Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, M. Loïc Hervé.

1. Procès-verbal

2. Questions d’actualité au Gouvernement

risque systémique en europe à la suite de la faillite de la silicon valley bank

M. Jean-Claude Requier ; Mme Élisabeth Borne, Première ministre ; M. Jean-Claude Requier.

réforme des retraites (i)

Mme Mélanie Vogel ; M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.

conséquences économiques et sociales de la fermeture d’usines dans le nord

M. Dany Wattebled ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.

situation des dépenses publiques

M. Jean-François Husson ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ; M. Jean-François Husson.

lutte contre les dérives sectaires

Mme Dominique Vérien ; Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté ; Mme Dominique Vérien.

réforme des retraites (ii)

Mme Éliane Assassi ; Mme Élisabeth Borne, Première ministre.

comité national d’éthique dans le sport

Mme Samantha Cazebonne ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

réforme des retraites (iii)

M. Rémi Cardon ; M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion ; M. Rémi Cardon.

prix du logement

M. Marc-Philippe Daubresse ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. Marc-Philippe Daubresse.

action de la france à haïti

Mme Catherine Conconne ; M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger ; Mme Catherine Conconne.

grève des éboueurs

Mme Catherine Dumas ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer ; Mme Catherine Dumas.

vente du stade de france

M. Laurent Lafon ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

capacité des hôpitaux pendant les jeux olympiques

Mme Frédérique Puissat ; M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention ; Mme Frédérique Puissat.

réforme de la police judiciaire

M. Jérôme Durain ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer ; M. Jérôme Durain.

nombre de communes en france

M. Bruno Sido ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. Bruno Sido.

prix de l’électricité

M. Stéphane Piednoir ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme ; M. Stéphane Piednoir.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

3. Communication relative à une commission mixte paritaire

4. Défense extérieure contre l’incendie et territoires ruraux. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi

M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Mme Nathalie Goulet

Mme Nathalie Delattre

Mme Kristina Pluchet

M. Pierre-Jean Verzelen

Mme Monique de Marco

M. Dominique Théophile

M. Patrick Kanner

Mme Céline Brulin

M. Patrick Chaize

M. Édouard Courtial

Clôture de la discussion générale.

Article 1er (nouveau)

M. Franck Montaugé

M. Hervé Maurey

M. Mickaël Vallet

Amendement n° 8 de M. Franck Montaugé. – Retrait.

Amendement n° 4 rectifié de M. Hervé Maurey. – Adoption.

Amendement n° 3 de M. Hervé Maurey. – Retrait.

PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi

Amendement n° 1 rectifié de M. Jean-Baptiste Blanc. – Adoption.

Amendement n° 9 de M. Franck Montaugé. – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Après l’article 1er

Amendement n° 7 rectifié bis de M. Franck Montaugé. – Retrait.

Amendement n° 10 rectifié de M. Franck Montaugé. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 2

M. Vincent Segouin

Amendement n° 5 de M. Hervé Maurey. – Rejet.

Amendement n° 13 rectifié de Mme Monique de Marco. – Adoption.

Amendement n° 12 rectifié de Mme Monique de Marco. – Rejet.

Amendement n° 2 rectifié de M. Jean-Baptiste Blanc. – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Après l’article 2

Amendement n° 6 de M. Hervé Maurey. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Vote sur l’ensemble

M. Franck Montaugé

Mme Nathalie Goulet

Mme Céline Brulin

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

5. Communication relative à une commission mixte paritaire

6. Représentation des communes au sein des conseils communautaires. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Françoise Gatel, auteur de la proposition de loi

Mme Nadine Bellurot, rapporteure de la commission des lois

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

M. Jean-Yves Roux

Mme Agnès Canayer

M. Dany Wattebled

M. Guy Benarroche

M. Alain Richard

M. Éric Kerrouche

Mme Cécile Cukierman

Mme Nathalie Goulet

Mme Laure Darcos

Clôture de la discussion générale.

Avant l’article unique

Amendement n° 1 rectifié bis de M. Hervé Maurey. – Rejet.

Article unique

Vote sur l’ensemble

M. Jean-Pierre Sueur

Adoption de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

7. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 mars 2023

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe

M. Olivier Cadic, vice-président de la commission des affaires étrangères

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes

Mme Véronique Guillotin

Mme Pascale Gruny

Mme Colette Mélot

M. Jacques Fernique

M. André Gattolin

M. Jean-Yves Leconte

M. Pascal Savoldelli

M. Jean-Michel Arnaud

Mme Martine Berthet

M. Patrice Joly

M. Olivier Cadic

M. Guillaume Chevrollier

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État

Conclusion du débat

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes

8. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Jacqueline Eustache-Brinio,

M. Loïc Hervé.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

J’appelle chacun de vous, mes chers collègues, au respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.

risque systémique en europe à la suite de la faillite de la silicon valley bank

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)

M. Jean-Claude Requier. Ma question s’adresse à Mme la Première ministre.

De l’autre côté de l’Atlantique, les déboires de la Silicon Valley Bank (SVB) et de Signature Bank (SB) nous renvoient au mauvais souvenir de la crise financière de 2008. Ces défaillances ont rapidement affolé les marchés, provoquant une crainte chez les citoyens américains qu’il ne faudrait pas voir exportée vers l’Europe.

Depuis quelques jours, à Bruxelles, par la voix des ministres des finances de la zone euro, ou aux États-Unis, par celle de Joe Biden, les commentaires se multiplient pour affirmer que l’on doit garder confiance.

Certes, la Réserve fédérale et le Trésor américains se sont mobilisés pour éviter le pire. Qui plus est, en Europe, les règles prudentielles ont été durcies au cours de cette dernière décennie, en jouant sur les niveaux de solvabilité et de liquidité de nos banques.

Je n’ose demander, madame la Première ministre, s’il existe le moindre risque systémique au sein de l’Union européenne, tant le reconnaître serait l’encourager. C’est tout le problème des marchés financiers – ce n’est d’ailleurs pas le seul – : leur fébrilité s’alimente des déclarations alarmistes.

Cependant, si l’on peut espérer que l’incendie soit éteint, ces bank run américains posent question quant aux effets de la politique monétaire menée par les banques centrales depuis plusieurs mois. La remontée des taux d’intérêt, utilisée comme principale boussole, ne commence-t-elle pas à montrer ses limites ? Pendant ce temps, nos concitoyens, en particulier les plus modestes, souffrent de plus en plus de l’inflation.

Nous sommes à la veille de la réunion du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE). Devons-nous anticiper une nouvelle hausse des taux, au risque de restreindre encore la liquidité du système ?

Si tel devait être le cas, considérez-vous que les banques françaises sont suffisamment capitalisées et toujours en mesure de continuer à jouer leur rôle de prêteur auprès des entreprises et des particuliers, dans une situation économique européenne dégradée ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le sénateur Jean-Claude Requier, les raisons de la faillite de la banque californienne SVB sont bien connues : exposition au seul secteur de la technologie, capitalisation insuffisante, manque de fonds propres, supervision défaillante.

Cette situation a conduit les autorités américaines à prendre immédiatement les dispositions nécessaires pour stabiliser la situation. Je vous confirme, comme le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique l’a rappelé hier, que les banques françaises ne sont exposées à aucun risque à la suite de cette faillite : elles respectent des exigences en matière de fonds propres et de liquidités parmi les plus fortes au monde ; elles sont soumises à une supervision européenne ; elles ont des activités diversifiées.

Plus proche de nous, s’agissant du Crédit Suisse, dont les difficultés sont connues de longue date, je tiens à rappeler que cette banque n’appartient pas à la zone euro ; elle n’est donc pas soumise à la supervision bancaire européenne. Le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique aura un contact avec son homologue suisse dans les prochaines heures : ce sujet est du ressort des autorités suisses et doit être traité par elles.

Vous le voyez, nous sommes vigilants, mais la situation est très différente de celle que nous avons connue en 2008. Depuis lors, en effet, de nombreuses règles prudentielles ont été imposées à toutes les banques de la zone euro. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour la réplique.

M. Jean-Claude Requier. Hier, le covid-19, aujourd’hui, la guerre en Ukraine, formons le vœu que, demain, nous ne subissions pas une crise financière.

En économie, comme dans d’autres domaines, la confiance ne se décrète pas, elle se perd en litres, mais ne se gagne qu’en gouttes ! (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains. – M. André Gattolin applaudit également.)

réforme des retraites (i)

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Mme Mélanie Vogel. Ma question s’adresse à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.

Monsieur le ministre, dans une démocratie parlementaire normale, aujourd’hui serait la journée de l’apaisement.

Après des années de négociation avec les partenaires sociaux et toutes les forces politiques, un consensus sur l’avenir du travail et de notre système de retraites aurait été trouvé et une réforme des retraites serait en voie d’être adoptée largement et paisiblement. Tel est le modèle décisionnel qui règne dans tous les pays européens que vous aimez tellement prendre en exemple.

Mais pas ici – parce qu’ici, c’est la France !

Ici, le Gouvernement aime avoir raison tout seul, en n’écoutant personne et en agissant contre tout le monde. Qu’importe que personne ne soit d’accord avec lui !

En effet, personne, monsieur le ministre, sinon une partie des Républicains, n’est d’accord avec vous. Vous êtes tout seul : 75 % de la société française rejettent cette réforme, 93 % des actifs y sont opposés, aucun syndicat ne la défend. La majorité parlementaire elle-même est incertaine.

Alors que les Français sont encore massivement dans la rue, sept députés – qui n’ont ni voté ni examiné le texte – et sept sénateurs – auxquels le Gouvernement a imposé un vote bloqué – ont décidé à huis clos de prendre deux ans de repos aux plus précaires.

Quant à vous, vous hésitez entre une majorité de quelques voix, arrachée contre un pays transformé en poudrière, ou l’utilisation du 49.3, c’est-à-dire l’adoption sans vote d’une réforme minoritaire.

Ces deux options, monsieur le ministre, sont une folie.

Ce n’est pas parce que des outils sont légaux que leur utilisation est légitime. Ce n’est pas parce que des procédés sont constitutionnels qu’ils répondent aux standards démocratiques modernes des démocraties dignes de ce nom.

Arrêtez les frais ! À ce niveau de tension sociale et démocratique, l’urgence, ce n’est plus d’adopter cette réforme des retraites, c’est de sortir de ce fonctionnement mortifère et d’organiser démocratiquement la transition vers une République véritablement parlementaire. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de linsertion. Madame la sénatrice Vogel, il me semble que votre question est plutôt une interpellation.

Si j’ai bien compris, vous considérez que nous ne nous trouvons pas dans une démocratie moderne. (Non ! sur des travées du groupe GEST.) C’est pourtant bien le cas.

Nous sommes dans une démocratie qui permet l’expression des oppositions et des divergences – les mobilisations que vous avez évoquées en apportent la démonstration la plus flagrante. Elle les autorise cependant dans la limite du respect de l’ordre public.

Respecter l’ordre public, c’est éviter les débordements, ce que les organisations syndicales font très bien quand elles organisent des manifestations.

Respecter l’ordre public, c’est aussi condamner les coupures sauvages d’électricité qui visent les permanences et les habitations des élus, notamment celles des sénateurs. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.) C’est éviter et condamner les coupures qui fragilisent les commerces, les établissements scolaires, les administrations, qui mettent en danger ceux qui sont hospitalisés chez eux et qui ont besoin d’électricité pour des respirateurs ou des appareils médicaux.

Mme Laurence Cohen. Quelle dramatisation !

M. Olivier Dussopt, ministre. Enfin, respecter l’ordre public, c’est respecter le fonctionnement de nos institutions.

J’ai eu le plaisir de passer ici même, avec vous, dix jours de débats, durant lesquels le Sénat a pu évoquer chacun des articles, chacune des dispositions du texte.

M. Guillaume Gontard. C’est faux !

M. Hussein Bourgi. Et le vote bloqué ?

M. Olivier Dussopt, ministre. Vous nous rappelez, madame la sénatrice, que cela s’est conclu par un vote unique. C’est vrai. Ce fut aussi le cas ici même, lors de l’examen de la réforme de 2010, ou à l’Assemblée nationale lors de celui de la réforme de 2013, ou encore sur la loi relative à la sécurisation de l’emploi. Il s’agit d’une procédure constitutionnelle qui a un objectif et un mérite : elle permet de contourner l’obstruction.

M. Pierre Laurent. Non ! C’est un passage en force !

M. Olivier Dussopt, ministre. Si tant est que nous nous posions la question, oui, il y a bien eu obstruction.

M. Jean-Marc Todeschini. N’importe quoi !

M. Olivier Dussopt, ministre. Si elle ne fut pas de la même nature que celle qui a sévi à l’Assemblée nationale, il y a bien eu obstruction. Par le dépôt de presque neuf mille amendements et sous-amendements, vous avez méthodiquement entendu paralyser le Sénat et lui retirer sa capacité à délibérer.

La majorité du Sénat et le Gouvernement ont su y répondre, afin de permettre à cette assemblée de se prononcer. Ainsi, samedi soir, le Sénat a adopté la réforme avec toutes ses dispositions.

Je forme le vœu que la commission mixte paritaire permette maintenant de trouver un texte de consensus entre l’Assemblée nationale et le Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)

conséquences économiques et sociales de la fermeture d’usines dans le nord

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Dany Wattebled. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé de l’industrie.

Monsieur le ministre, laissez-moi vous lire la lettre d’un salarié de l’usine Buitoni, à Caudry, adressée à son employeur, le groupe Nestlé : « Courant mars 2022, j’apprends que toute la production de pizzas est rappelée par Nestlé. Que se passe-t-il ? C’est inquiétant. On me demande de rester chez moi. J’apprends que le fruit de mon travail aurait handicapé et tué des enfants.

« Qu’est-ce que j’ai fait ? Je suis père, moi aussi, je suis rempli de honte et je pleure. Le soir, je vais en famille au restaurant du coin, où tout le monde me connaît. À mon arrivée, quelqu’un m’interpelle : “Voilà l’assassin de chez Buitoni !” Je ne réponds pas. Nous partons.

« Les chaînes d’info nous accablent : “Comment les salariés pouvaient-ils travailler dans ces conditions ? Ils sont sales, c’est bien fait pour eux !” Je me demande pourquoi Nestlé ne prend pas la parole pour dire que ses employés ne sont pas responsables de ce drame.

« Début janvier, après une fermeture administrative et le nettoyage complet du site, les activités reprennent, mais les commandes ne sont pas au rendez-vous. La direction suspend la production et annonce la fermeture du site. »

Voilà, monsieur le ministre, résumée en quelques mots, la détresse que vivent depuis douze mois les 150 employés de l’usine de Caudry.

Durant la même semaine, la fermeture de l’usine Tereos à Escaudœuvres a été annoncée, menaçant, encore une fois, 150 emplois. Cette usine produit du sucre : il s’agit de l’une des filières d’excellence française, mais, à force d’appliquer les normes de manière plus draconienne que ne le font nos voisins, nous sommes en train de détruire notre filière betteravière.

Alors que le Gouvernement parle de réindustrialisation des territoires, je peux malheureusement d’ores et déjà vous annoncer que d’autres fermetures vont suivre.

Il s’agit d’énormes coups de massue pour le Cambrésis et le Caudrésis, des territoires qui se trouvent déjà en grande difficulté.

Monsieur le ministre, quels moyens comptez-vous déployer pour sauvegarder ces usines ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Wattebled, je vous remercie d’avoir rappelé avec émotion les mots que j’ai, moi aussi, entendus lundi, alors que nous étions ensemble à Caudry pour rencontrer les salariés de cette usine.

Vous l’avez dit, ceux-ci ont pris comme un coup de massue l’annonce de la suspension d’activité de la chaîne de production, après avoir vécu comme une énorme injustice les accusations qui sont portées contre eux depuis un an.

Certains de ces ouvriers ont été traités d’assassins, alors qu’ils ne sont évidemment en aucun cas responsables du drame sanitaire qui a affecté l’usine de production Buitoni, il y a un an. Il est hors de question qu’ils soient les victimes collatérales de ce drame sanitaire.

J’ai rencontré la direction, mes équipes travaillent avec les autorités du groupe Nestlé pour trouver d’autres solutions. Je souhaite que l’on produise, dans l’usine de Caudry, des pizzas ou autre chose – je ferai tout pour cela.

Cette nouvelle extrêmement triste s’est accompagnée d’une autre information qui ne l’était pas moins : non loin de Caudry, à Escaudœuvres, Tereos a décidé de fermer l’une de ses usines. Cela arrive, et cela pourrait arriver encore à l’avenir, mais pas quand une entreprise gagne de l’argent alors qu’elle en perdait il y a encore quelques années, pas quand une entreprise se désendette alors qu’elle était endettée il y a quelques années, pas quand une entreprise bénéficie d’un prix du sucre au plus haut et d’un marché en pleine expansion.

M. Roland Lescure, ministre délégué. J’ai demandé des explications à la direction. Une rencontre est organisée demain, avec le préfet et les élus – vous y êtes d’ailleurs convié, monsieur le sénateur –, parce que je souhaite obtenir des précisions sur les raisons pour lesquelles une entreprise qui va mieux et qui marche ferme une usine, ce qui emporte des conséquences très importantes dans la région.

M. Roland Lescure, ministre délégué. Par ailleurs, je l’ai dit sur place avec vous lundi et je le répète : nous avons d’ores et déjà annoncé le déploiement de 3 millions d’euros dans le cadre du dispositif Rebond industriel, afin d’accompagner les entreprises locales qui souhaitent investir dans la réindustrialisation du territoire. Il y en a.

Le Nord va mieux, monsieur le sénateur. Des gigafactories sont en train de se monter à une ou deux heures de Caudry, qui créeront des milliers d’emplois.

M. le président. Il faut conclure !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Nous ne devons pas pour autant abandonner les territoires délaissés, notamment le vôtre. Nous serons à vos côtés. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

situation des dépenses publiques

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Monsieur le ministre, depuis plusieurs années, nous ne cessons d’appeler votre attention sur l’absence de maîtrise de la dépense publique. Notre constat à ce sujet est partagé par la Cour des comptes, laquelle vient de vous adresser une sévère mise en garde, pour ne pas dire un carton rouge. Elle dénonce le fait que, une fois défalquées les aides exceptionnelles liées à la crise sanitaire et à l’inflation, la dépense publique continue d’augmenter.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que la France atteint bien le niveau le plus élevé en matière de dépense publique en Europe, à hauteur de 58 % de son PIB ? Comment avez-vous pu laisser ainsi dériver nos comptes publics ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le sénateur Husson, je connais votre attachement au rétablissement des finances publiques. J’espère que vous me suivrez dans la méthode que nous avons proposée, laquelle nous a permis, en 2018, de revenir sous les 3 % de déficit public, de rétablir les comptes publics et de sortir la France de la procédure pour déficit excessif. (M. Martin Lévrier applaudit.)

Cette méthode se caractérise d’abord par un objectif : ramener les dépenses publiques de 57 % à 54 % du PIB. Cela suppose que tout le monde fasse un effort.

M. Jean-Marc Todeschini. Pas les plus riches !

M. David Assouline. Seulement les pauvres !

M. Rachid Temal. Et l’impôt de solidarité sur la fortune ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Cela suppose également de s’abstenir de défendre des propositions susceptibles d’augmenter la dépense publique et de privilégier celles qui permettent de la réduire.

Nous comptons donc repasser sous les 3 % de déficit dès 2027 et réduire la dette publique à partir de 2026. Tels sont les chiffres que nous vous soumettons. Nous proposons une méthode pour atteindre ses objectifs :…

M. Jean-Marc Todeschini. Faire payer les pauvres !

M. Bruno Le Maire, ministre. … une revue des dépenses publiques comme aucune n’a jamais été engagée dans notre pays. Celle-ci examinera toutes les dépenses publiques, de toutes les administrations, celles qui relèvent des collectivités locales (Eh voilà ! sur les travées du groupe Les Républicains.), en accord avec elles, des associations et de l’État.

La dépense publique est en effet composée à 50 % de dépenses sociales, à 30 % de dépenses de l’État et à 20 % de dépenses des collectivités locales. Il faut donc que chacun participe à cet engagement collectif, sur la base d’un diagnostic qui doit être partagé.

Nous tiendrons ensuite un séminaire (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et SER.) sous l’autorité de la Première ministre pour examiner les dépenses de l’État et nous assurer que chaque ministère contribue bien à la réduction de la dépense publique.

Je proposerai à toutes les collectivités locales d’y participer et de s’engager dans cette direction, dans le respect de leur liberté d’administration.

M. Rachid Temal. C’est le retour des contrats de Cahors !

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous ferons de même avec les associations et nous organiserons des assises des finances publiques avant l’été (Nouvelles exclamations ironiques sur les mêmes travées.), qui nous permettront d’établir le rythme et le montant de réduction de la dépense.

En matière de calendrier, notre objectif est simple : dès le projet de loi de finances pour 2024, nous opérerons des réductions significatives de nos dépenses publiques…

M. le président. Il faut conclure !

M. Bruno Le Maire, ministre. … pour tenir les objectifs que je vous propose de soutenir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.

M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, au mois de septembre dernier, vous avez annoncé ce que seraient les dépenses, puis vous avez confié à votre majorité le soin de trouver des économies. Vous avez finalement rendu copie blanche : zéro.

Comment comptez-vous aujourd’hui nous convaincre de l’efficacité de la méthode et de la stratégie que vous présentiez si doctement à l’instant ?

Depuis la Seconde Guerre mondiale, la France n’a jamais connu un tel niveau d’endettement. Vrai ou faux ? C’est une réalité.

Nous allons emprunter 270 milliards d’euros en 2023 – du jamais vu ! –, alors que les taux d’intérêt remontent. La France se retrouve donc en grande difficulté, au moment où nos partenaires européens, eux, ont consenti des efforts.

Nous sommes en queue de peloton sur un certain nombre d’indicateurs importants : dette publique et prélèvements obligatoires records, déficit public sur le podium européen, déficit commercial qui s’envole. Cela ne peut durer ! C’est l’affaire de tous les Français.

Vous avez pris un carton rouge, mais la France ne saurait rester hors jeu !

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, à quand des économies ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

lutte contre les dérives sectaires

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État chargée de la citoyenneté.

Madame la secrétaire d’État, la Terre est-elle plate ?

Cette question vous paraît absurde. Pourtant, certaines voix estiment que toutes les affirmations, même les plus complotistes et les plus farfelues, méritent d’être débattues. Pis encore, comme je l’ai entendu hier matin sur France Inter, ces dernières devraient être entendues comme des « thèses minoritaires », face à celles qui seraient alors considérées comme des « thèses majoritaires » ; elles auraient ainsi leur place dans le débat public, aux côtés de faits scientifiquement validés.

Ce mélange des genres particulièrement dangereux emporte des conséquences parfois désastreuses, en particulier dans le domaine de la santé. On peut ainsi vous expliquer que le cancer se soigne par le jeûne ou que les vaccins sont un outil de contrôle mental des populations.

Des charlatans en profitent pour vendre des pseudo-thérapies inefficaces et dangereuses, qui conduisent à un refus des soins conventionnels. Ils déploient des stratégies pernicieuses, sous le prétexte du bien-être, qui mettent peu à peu leurs victimes sous emprise et les entraînent dans un engrenage sectaire qui peut devenir mortel.

L’un d’entre eux a récemment été mis en examen. N’est-ce pas pourtant l’arbre qui cache la forêt ? Que dire, de surcroît, des mutuelles qui remboursent des médecines dites alternatives, sans contrôle sérieux ?

Madame la secrétaire d’État, l’État est-il suffisamment armé pour lutter ? Notre position quasiment unique au monde vis-à-vis de ces dérives sectaires peut-elle se conjuguer efficacement avec la législation européenne ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Daniel Chasseing et Mickaël Vallet applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la citoyenneté.

Mme Sonia Backès, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Vérien, je vous remercie tout d’abord d’avoir participé aux assises nationales de lutte contre les dérives sectaires, qui ont été extrêmement riches et ont constitué un moment important. Elles étaient attendues par tous ceux qui défendent les victimes et par les dizaines de milliers de personnes qui sont touchées chaque année par ces dérives sectaires.

Ces assises ont donné lieu à des propositions. La première d’entre elles concerne la prévention. Comment nos compatriotes en viennent-ils à considérer de la même manière le fait scientifique et un certain nombre de croyances ?

Pour y répondre, nous avons reçu des engagements forts de la secrétaire d’État Sarah El Haïry en matière d’éducation à l’information des plus jeunes. Pour cette population, nous n’avons pas toujours su évoluer et épouser le passage de l’information traditionnelle aux réseaux sociaux. Un travail important va ainsi être mené avec les plateformes, pour éviter que celles-ci ne contribuent à soutenir ces dérives. Il faudra également revoir la communication sur ce sujet.

Ensuite, nous devrons lancer des actions particulières en matière de santé, domaine dans lequel ces dérives explosent. Une annonce importante a été faite à ce sujet par Agnès Firmin Le Bodo, au nom du ministère de la santé et de la prévention : l’encadrement des pratiques non conventionnelles de soins, qui était absolument indispensable. Nos compatriotes ont en effet accès à beaucoup de praticiens, de naturopathes, dont les méthodes ne font l’objet d’aucune vérification.

Enfin, il convient d’accompagner les victimes, qui attendent une indemnisation, et de punir plus sévèrement les auteurs. Vous l’avez dit, il se produit des mises en examen et des condamnations, mais nous avons besoin de renforcer notre arsenal pénal.

Je compte sur vous, parlementaires, membres du Sénat, pour soutenir cette évolution de la loi afin de condamner ces gourous et ces charlatans. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour la réplique.

Mme Dominique Vérien. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. En effet, notre arsenal pénal doit peut-être être renforcé en France, mais, à mon sens, nous devons travailler sur la sujétion et sur l’emprise.

En outre, il faudra convaincre la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qu’une personne sous emprise n’est pas libre. Si la liberté de choisir une religion est bien un droit fondamental, subir une sujétion peut représenter un danger mortel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Rachid Temal et Vallet applaudissent également.)

réforme des retraites (ii)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Éliane Assassi. Madame la Première ministre, vous affirmiez hier devant les députés que chacun devait assumer ses choix. Je vous demande donc aujourd’hui d’assumer les vôtres : celui du coup de force antidémocratique comme celui de la régression sociale.

Depuis deux mois, le peuple vous dit non. Les grèves et les manifestations se multiplient sur tout le territoire, demeurant ce qu’elles ont toujours été : des outils du progrès social.

Hier, vous avez répondu avec nervosité à mon ami André Chassaigne en lui reprochant d’opposer la légitimité de la rue à celle du Parlement. Dois-je vous rappeler, à vous qui aimez à évoquer votre passé de gauche, que c’est la grève et la rue qui ont bâti les conquêtes sociales ? (Mme la Première ministre fait non de la tête.)

Sans remonter jusqu’à 1789 (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), contestez-vous la légitimité des grèves de 1906 pour la journée de travail de huit heures ? Contestez-vous celle des grèves de 1936 et la victoire qu’ont représentée les congés payés ? Contestez-vous les formidables progrès obtenus à la suite du mouvement de 1968, de la grève massive et de la mobilisation de la jeunesse ?

Enfin, plus proches de nous encore, les victoires de 1995, face à la réforme des retraites de M. Juppé, et de 2006, contre le contrat première embauche (CPE), n’ont-elles pas confirmé la force du mouvement social et sa légitimité ?

Oui, madame la Première ministre, il existe une légalité résultant de l’élection, mais il existe aussi une légitimité sociale, que vous ne pouvez pas nier et qui s’impose à vous aujourd’hui.

Oui, le recul de l’âge de départ à la retraite est refusé par notre peuple. Vous avez fait un choix de société, un choix de droite, un choix de classe. Le débat a eu au moins le mérite de clarifier l’échiquier politique en faisant l’union des droites électoralement minoritaires, de Renaissance à LR.

Ensemble, vous avez pris les rênes, par un acte d’autoritarisme dangereux pour la démocratie, que devrait confirmer la commission mixte paritaire réunie depuis ce matin.

Madame la Première ministre, nous ne laisserons pas faire, nous ne lâcherons rien, y compris en mobilisant les moyens constitutionnels qui sont à notre disposition. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Madame Éliane Assassi, il y a quelque chose de grave à opposer systématiquement la légitimité de la rue à celle du Parlement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)

Il y a quelque chose de dangereux à tenter par tout moyen d’empêcher le débat, de le bloquer. (Applaudissements sur les mêmes travées. – Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

MM. Thomas Dossus et Jean-Marc Todeschini. C’est vous qui l’avez bloqué !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. La gauche sénatoriale a revendiqué un seul objectif : empêcher un vote sur le texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.) Vous n’avez pas réussi. De longs débats ont eu lieu, tous les articles ont été examinés et le projet de loi a été adopté à une large majorité.

M. Pierre Laurent. Par un vote bloqué !

M. Jean-Marc Todeschini. Vous aviez tout verrouillé !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Évidemment, j’aurais préféré plus de débat de fond et moins de procédure, plus de débat d’idées et moins de postures. Vous en avez décidé autrement. Je le regrette, mais c’est ainsi et c’est le fait unique de ce qui devient la Nupes sénatoriale. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains. – Protestations vives et prolongées et applaudissements ironiques sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. Jean-Marc Todeschini. Ce n’est pas la question !

M. David Assouline. Ils ne sont pas là !

M. Vincent Éblé. C’est vraiment tout petit !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Je veux à cet égard saluer l’attitude responsable de la majorité sénatoriale pour la bonne tenue des discussions dans l’hémicycle. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Vous avez pu vous pencher sur tous les articles et enrichir le texte de nombreuses propositions, notamment pour améliorer les pensions des femmes ou l’emploi des seniors. Vous avez également pu faire vôtres de nombreux amendements déposés lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale.

M. Hussein Bourgi. Une Première ministre ne devrait pas lire une fiche !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Madame Assassi, certains parlementaires de la Nupes qualifient le processus démocratique en cours de « prise d’otages » des Français. J’y vois une entreprise de disqualification de nos institutions particulièrement insupportable de la part d’élus de la Nation. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)

M. Pascal Savoldelli. Vous entendez nous interdire ? Vous êtes plus dure avec nous qu’avec le Rassemblement national. C’est grave et vous devriez y réfléchir !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Pour ma part j’ai le plus grand respect pour le travail parlementaire qui se poursuit, en ce moment même, en commission mixte paritaire. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. Hussein Bourgi. Avez-vous vraiment besoin de lire une fiche pour dire cela ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Je suis convaincue que le Sénat et l’Assemblée nationale peuvent s’accorder sur un projet qui garantira l’avenir de nos retraites par répartition, qui réduira l’écart de pension entre les femmes et les hommes, qui augmentera les petites retraites, qui fermera les principaux régimes spéciaux, qui améliorera l’emploi des seniors, qui protégera ceux qui sont usés par le travail, qui permettra à ceux qui ont commencé à travailler tôt de partir plus tôt.

Cette réforme est nécessaire. Elle a été enrichie, notamment grâce aux travaux de votre assemblée.

Avec mon gouvernement, nous sommes pleinement mobilisés pour que, dans les prochains jours, une majorité vote la réforme des retraites. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

comité national d’éthique dans le sport

M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Mme Samantha Cazebonne. Madame la ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques, l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire a rendu public, le jeudi 3 mars dernier, un baromètre national des pratiques sportives pour l’année 2022. Les résultats en sont très encourageants, puisque 60 % des Français de 15 ans et plus ont pratiqué une activité physique et sportive en moyenne une fois par semaine au cours des douze derniers mois, soit 6 points de plus qu’en 2018.

Ces résultats ont, hélas ! pu être occultés par les profondes crises de gouvernance qu’ont traversées certaines institutions du sport français depuis quelques années, notamment les fédérations françaises de rugby et de football.

Le sport est vecteur d’unité et d’émancipation. Il permet à une société de se rassembler autour de valeurs essentielles telles que l’équité, l’esprit d’équipe, l’inclusion, le respect et la persévérance. Rien ne doit entacher le projet politique et sociétal dont le sport est porteur.

Alors que la France se prépare à accueillir des événements sportifs mondiaux majeurs – la Coupe du monde de rugby à la fin de l’année et les jeux Olympiques et Paralympiques à l’été 2024 –, nous devons promouvoir des valeurs sportives irréprochables.

Madame la ministre, ma question porte sur la réforme de la gouvernance des fédérations sportives.

Un Comité national pour renforcer l’éthique et la vie démocratique dans le sport vient d’être créé, dont les membres ont été désignés. Pourriez-vous préciser quel sera le fonctionnement de ce comité et nous détailler ses missions précises et ses objectifs ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)

M. Philippe Tabarot. Question difficile ! Allô ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Madame la sénatrice Samantha Cazebonne, les derniers mois ont en effet été marqués par une série de crises dans le sport français qui ont mis en exergue la nécessité d’améliorer notamment la gouvernance des fédérations sportives.

Il est clair que les errements constatés ne peuvent pas se reproduire au sein d’organisations délégataires d’une mission de service public qui ont, de plus, la responsabilité d’une partie de notre jeunesse.

Pour autant, cela ne doit pas nous conduire à éluder ni les progrès accomplis en matière de pratique sportive – je vous remercie de les avoir rappelés, madame la sénatrice – ni l’engagement remarquable des bénévoles et des éducateurs sportifs.

Par ailleurs, de nombreuses fédérations vont bien. La démocratie sportive progresse, sous l’impulsion notamment de la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, qui a instauré la parité au sein des instances dirigeantes du sport français et permis le vote des clubs au sein des assemblées générales électives.

Nous devons aujourd’hui prolonger et amplifier ces évolutions. Tel est le sens du Comité national pour renforcer l’éthique et la vie démocratique dans le sport que j’ai constitué. Coprésidé par Marie-George Buffet et Stéphane Diagana, il sera composé de dix autres personnalités qualifiées issues d’horizons divers – je pense à Jean-François Lamour, à Arsène Wenger, à notre arbitre pionnière Stéphanie Frappart ou encore à la grande dame qu’est Isabelle Autissier.

Ce comité réalisera un grand nombre d’auditions avant de me remettre, à l’automne prochain, des conclusions articulées autour de trois axes : la promotion d’une gouvernance du sport à la fois plus éthique, mais aussi plus démocratique, fondée sur davantage de débats et de pluralisme, et enfin plus protectrice des pratiquantes et des pratiquants, notamment au regard des violences à caractère sexiste et sexuel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe INDEP. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

réforme des retraites (iii)

M. le président. La parole est à M. Rémi Cardon, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Rémi Cardon. Madame la Première ministre, M. Olivier Dussopt affirmait hier devant les députés que, « pour atteindre le port, il faut un cap ».

Ce cap de progrès, de justice et d’équilibre pour nos retraites, nous le cherchons toujours, et ce n’est pas le simulacre de démocratie que vous avez offert au Parlement qui nous a permis de nous en rapprocher.

Premièrement, les retraités ne verront jamais les 1 200 euros de pension de retraite minimum longtemps promis. Telle est votre vision du progrès !

Deuxièmement, les femmes continueront de percevoir des pensions de retraite inférieures de 39 % en moyenne à celles des hommes. Telle est votre vision de la justice !

Troisièmement, vous faites reposer tous les efforts sur une seule génération, sans jamais solliciter le patronat. Telle est votre vision de l’équilibre !

Une chose est sûre, madame la Première ministre : nous ne partageons pas le même cap et nous sommes des millions à refuser d’embarquer avec la droite sénatoriale sur ce radeau de la Méduse. (Murmures sur des travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Vous faites l’unanimité et l’unité contre vous : l’unanimité des syndicats, des travailleurs, des millions de personnes qui descendent dans les rues chaque semaine, qui votent la reconduction des grèves et qui ne lâcheront rien.

Finalement, madame la Première ministre, pour qui et avec qui gouvernez-vous ? Ce que vous proposez – consciemment ou non d’ailleurs – est une alternative mortifère, à savoir la préparation du terrain à la prise de pouvoir du Rassemblement national.

Il ne me reste qu’à vous demander ceci, madame la Première ministre : êtes-vous des inconscients ou des irresponsables ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Exclamations sur des travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de linsertion. Monsieur le sénateur Cardon, vous m’indiquez que vous n’approuvez pas notre réforme. Le Gouvernement, lui, est convaincu que cette réforme a une majorité.

Cette réforme a une majorité, parce qu’elle peut être votée par toutes celles et tous ceux qui souhaitent sauver et préserver le système par répartition.

Cette réforme a une majorité, parce qu’elle peut être votée par toutes celles et tous ceux qui sont prêts à aménager les carrières longues et qui souhaitent que les travailleurs concernés par celles-ci, mais aussi ceux que le métier expose le plus à l’usure professionnelle ainsi qu’aux facteurs de pénibilité soient mieux protégés.

M. Jérôme Durain. Vous savez que ce n’est pas vrai !

M. Olivier Dussopt, ministre. Cette réforme a une majorité, parce qu’elle peut être votée par celles et ceux qui veulent que le taux d’emploi des seniors et, partant, notre taux d’activité augmentent.

Cette réforme sera aussi votée par celles et ceux qui sont attachés à la revalorisation des petites retraites.

M. David Assouline. En êtes-vous sûr ?

M. Olivier Dussopt, ministre. Le fait que vous fassiez d’une telle réforme un cheval de bataille, monsieur le sénateur, est la démonstration que la gauche est aujourd’hui déconnectée des classes populaires. (M. Emmanuel Capus applaudit. – Exclamations sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.)

Avec cette réforme, 1,8 million de retraités bénéficieront d’une revalorisation de leur pension de 25 à 100 euros par mois. Pour 900 000 d’entre eux, le montant de cette revalorisation sera de 70 à 100 euros.

Si vous considérez qu’une augmentation de 70, 80 ou 90 euros n’est rien pour des retraités dont la pension s’élève à 800, 900 ou 1 000 euros par mois, c’est que vous avez perdu le sens de la réalité !

Vous affirmez que nous serions inconscients et irresponsables.

Quand vous ne faites rien, alors que le système par répartition est en train de s’écrouler,…

M. David Assouline. Personne ne dit qu’il s’écroule !

M. Olivier Dussopt, ministre. … quand vous ne faites rien, alors que notre réforme permet de le sauver, l’irresponsabilité est bien dans votre camp ! (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Monsieur le sénateur, pendant le débat, dont vous n’avez manifestement pas retenu grand-chose, vous avez eu des mots assez outranciers, comme vous en avez eu à l’instant à l’égard de la Première ministre. C’est la démonstration que la « mélenchonisation » des esprits que j’ai évoquée vous a gagné, comme elle gagne l’ensemble de la gauche française. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.)

M. Thomas Dossus. Cela vous obsède !

M. le président. La parole est à M. Rémi Cardon, pour la réplique.

M. Rémi Cardon. Monsieur Dussopt,…

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Monsieur le ministre !

M. Rémi Cardon. Monsieur le ministre, si vous voulez,… (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) vous n’avez d’autre majorité que le 49.3. Sachez que gouverner sans le peuple et contre lui et ses représentants est dangereux pour la démocratie.

Telle est la raison pour laquelle, avec le groupe socialiste, nous allons déposer une demande de référendum d’initiative partagée (RIP) pour sauver la démocratie et la République de vos bâillons ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. N’importe quoi !

prix du logement

M. le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Monsieur le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, la récente publication des chiffres de la construction neuve pour 2022 confirme ce que plusieurs collègues sénateurs et moi-même n’avons cessé de dire au Gouvernement depuis plusieurs mois : la situation est, non pas dramatique, mais catastrophique.

Nous avons rarement enregistré des indicateurs aussi alarmants : l’activité des promoteurs privés a chuté de 25 % et le nombre de constructions individuelles, de 30 %. Le nombre de constructions neuves prévues pour 2023 s’établit à 350 000 unités – pour mémoire, après le plan de relance de Jean-Louis Borloo, ce nombre s’élevait à 486 000 –, une baisse de 40 % étant de plus annoncée pour l’année suivante. Et cela va continuer, car des faillites en cascade sont annoncées dans le secteur de la promotion immobilière.

En ce qui concerne le logement social, la funeste réforme des aides personnelles au logement (APL), introduite par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite Élan, a asséché les finances des offices d’habitation à loyer modéré (HLM), si bien que, pour la troisième année consécutive, nous avons construit moins de 100 000 logements sociaux.

Et je ne m’étends pas sur un certain nombre de mesures prises par votre gouvernement, monsieur le ministre, telles que le « zéro artificialisation nette » que le Sénat est fort heureusement en train de corriger.

Mes questions sont donc simples, monsieur le ministre : avez-vous enfin prévu un plan de relance de la construction neuve dans notre pays, comme nous l’avons fait avec succès sous Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac ? Avez-vous prévu des mesures fiscales de relance exceptionnelles, comme nous avons réussi à le faire sous le gouvernement de François Fillon ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Amel Gacquerre applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Daubresse, permettez-moi tout d’abord de vous communiquer quelques données très récentes, qui permettront de nous fonder sur une base objective.

En 2022, le nombre d’autorisations de travaux s’est élevé à 480 000, soit une hausse de 3 %. Un tel volume n’avait pas été atteint depuis plus de six ans. (Mme Marie-Noëlle Lienemann sexclame.)

Dans le même temps, nous observons une baisse de 3 % du nombre de mises en chantier, qui s’établit à 376 000.

Des facteurs structurels – j’y reviendrai – expliquent la concomitance de ces deux phénomènes, mais celle-ci s’explique aussi par les facteurs conjoncturels que sont la très forte augmentation du nombre de refus de prêts, le relèvement des taux d’intérêt, qui sont passés de 1,5 % à 3,2 % sur vingt ans, et l’augmentation du coût moyen de la construction du fait de l’inflation que nous avons enregistrée en 2022 et qui a particulièrement affecté le secteur du logement.

Tout cela a abouti à une baisse de la demande de 39 % au dernier trimestre 2022. Celle-ci ne relève pas du Gouvernement :…

M. Christophe Béchu, ministre. … elle est liée non pas à une absence d’offre, mais au comportement des ménages.

La mensualisation du taux d’usure, que nous avons instaurée depuis le 1er février afin de fluidifier une partie du marché, est un premier élément de réponse.

Des réponses plus structurelles seront apportées dans la continuité du Conseil national de la refondation (CNR) Logement, qui achèvera ses travaux au mois d’avril. (Mme Marie-Noëlle Lienemann sexclame.) Nous discutons en ce moment avec tous les professionnels que vous avez cités, monsieur le sénateur, mais aussi avec les élus.

L’ambition du Président de la République est d’ouvrir le chantier de la décentralisation du logement.

Pour avoir été élu local et membre d’un gouvernement, vous connaissez parfaitement ces questions, monsieur Daubresse. Elles sont généralement abordées sous l’angle du « combien ? », alors que, du fait de la disparité des situations, les questions les plus pertinentes sont plutôt « où ? » et « comment ? ».

La décentralisation du logement est au cœur d’une ambition incluant la rénovation énergétique. Elle suppose un dialogue franc avec les communes, les intercommunalités et les départements. Les changements de zonages, la décentralisation des dispositifs et le soutien aux maires bâtisseurs sont autant de sujets sur lesquels nous travaillons dans ce cadre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. Alain Richard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour la réplique.

M. Marc-Philippe Daubresse. En tant qu’ancien ministre chargé du logement, je vous invite à réviser vos chiffres, monsieur le ministre. Selon les notaires de France, le nombre de permis de construire a chuté de 25 % au dernier trimestre 2022 par rapport à l’année précédente – 25 % !

Le nombre de constructions neuves rapporté au nombre de ménages français est le plus bas que nous ayons connu depuis 1951. La situation avait alors justifié l’appel de l’abbé Pierre !

Monsieur le ministre, vous sous-estimez le problème, parce que vous êtes confronté à des objectifs stratégiques contradictoires ! Il est pourtant grand temps que le Gouvernement se réveille ! (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, SER et CRCE.)

action de la france à haïti

M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Catherine Conconne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Haïti pleurant tous les jours ses morts et ses blessés par dizaines, Haïti affamé, Haïti livré aux mains de gangs, Haïti assistant au viol de ses femmes, Haïti voyant ses enfants recrutés par des groupes armés, Haïti sans gouvernement, sans État, s’enfonce inexorablement dans le chaos.

Pourtant, pas un mot de l’État sur la situation de ce pays auquel nous sommes tant redevables, ce pays envers lequel nous avons une « dette morale », comme le disait si légitimement François Hollande en 2015. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Première colonie noire à prendre son indépendance en 1804, Haïti, à bien des égards, a ouvert des chemins, repoussé les limites du possible, et ce, alors même qu’il a été dès le départ affublé du fardeau indigne d’une dette insoutenable pour acheter sa liberté.

La résolution adoptée par l’ONU au mois d’octobre dernier constitue un pas symbolique, mais elle ne peut servir de refuge pour justifier notre inaction collective.

Certains pays, comme le Canada, ont fait le choix d’une politique plus active. Que fait la France, alors qu’Haïti n’est qu’à une heure trente de vol des pays français d’Amérique ? Que fait l’Europe ?

Il faut désormais aller plus loin que des sanctions face au massacre des Haïtiens. Pour pallier le retrait des organisations humanitaires qui baissent les bras une à une, il faut organiser la coopération dans le bassin caribéen. Face au massacre quotidien de civils haïtiens, face à la terreur et à la famine dans lesquelles vit la population, il faut oser l’envoi d’une force de maintien de la paix pour venir en aide à cet État inexistant.

Dois-je rappeler qu’à la suite de l’assassinat du président Moïse en 2017 Haïti n’a plus de gouvernement ?

Combien de temps encore allons-nous attendre ? Combien de morts, combien d’horreurs, combien de viols, combien de drames avant d’agir ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger.

M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de lattractivité et des Français de létranger. Madame la sénatrice Conconne, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Nous sommes d’accord sur un point : la situation à Haïti est très grave du point de vue humanitaire, sécuritaire et politique.

En revanche, je ne partage pas vos propos sur l’inaction de la France.

Le France est en effet, aux côtés des États-Unis et du Canada, l’une des nations les plus actives pour tenter d’aider les Haïtiens. (Mme Catherine Conconne manifeste son scepticisme.)

Cela passe par le soutien que nous apportons à la police nationale haïtienne, que nous allons d’ailleurs renforcer.

Cela passe également par les moyens que nous déployons au titre de l’aide humanitaire, d’un montant de 8,5 millions d’euros : 5 millions d’euros d’aide alimentaire bénéficient directement aux Haïtiens.

Comme vous l’avez indiqué, madame la sénatrice, nous agissons également dans le cadre diplomatique. Cela s’est notamment traduit par la résolution 2653 de l’Organisation des Nations unies prévoyant des sanctions envers les criminels, notamment les gangs, responsables des faits que vous dénoncez.

Enfin, nous sommes à l’écoute de nos partenaires en ce qui concerne le projet de force internationale d’appui à la police nationale haïtienne, auquel nous pourrions envisager d’apporter un soutien matériel.

Comme vous le savez, madame la sénatrice, la sortie de crise implique un accord inclusif entre les acteurs politiques haïtiens. La mise en place récente du Haut Conseil de la transition doit permettre d’avancer vers des élections, conformément au document du 21 décembre dernier intitulé Consensus national pour une transition inclusive et des élections transpartisanes. C’est en tout cas ce que nous nous souhaitons, pour le bien d’Haïti. (M. Ludovic Haye applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour la réplique.

Mme Catherine Conconne. Je ne peux que déplorer la très grande discrétion des actions que vous venez d’énumérer, monsieur le ministre.

Il est vrai qu’Haïti n’a ni pétrole ni gaz… (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)

grève des éboueurs

M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Dumas. Monsieur le ministre de l’intérieur et des outre-mer, depuis plus d’une semaine, Paris est submergée par des montagnes de déchets. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.) Eh oui, mes chers collègues, je ne vous apprends rien…

Alors que 7 000 tonnes de poubelles non ramassées jonchent les rues, la grève est reconduite jusqu’au 20 mars. Cette situation peut entraîner d’importants risques sanitaires, aggravés par la recrudescence de la présence de rats – nommés « surmulots » à Paris (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) – dans les espaces publics de la capitale.

Les Parisiens sont en colère, monsieur le ministre. Pourtant, à la mairie de Paris, personne ne semble s’en émouvoir. Mme Hidalgo a même annoncé son soutien entier et total au mouvement social. (Marques de satisfaction sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – M. Thomas Dossus applaudit.)

C’est la vérité, mes chers collègues !

Constatant cette inertie, la chef de file de l’opposition à Paris, Mme Rachida Dati, vous a saisi hier, monsieur le ministre. (Exclamations amusées sur les travées des groupes SER et CRCE.) Vous avez donc chargé le préfet de police de demander à la maire de Paris de réquisitionner les moyens matériels et humains nécessaires au ramassage des poubelles.

Ce matin, le premier adjoint de Mme Hidalgo affirme en réponse que c’est le Gouvernement qui a créé cette situation. (Il a raison ! sur des travées du groupe SER.)

Mme Laurence Cohen. C’est vrai !

Mme Catherine Dumas. Quel déni ! Quelle mauvaise volonté !

Monsieur le ministre, quand l’État va-t-il se substituer à la mairie de Paris pour régler cette situation et, surtout, dans quels délais ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur et des outre-mer. Madame la sénatrice, vous connaissez la situation.

À la suite de neuf jours de grève, que l’on soit Parisien d’occasion ou d’habitude, chacun a pu constater l’amoncellement des ordures dans la capitale. Vous avez évoqué plusieurs milliers de tonnes, madame la sénatrice.

Cette situation pose des difficultés, au regard non seulement de la sécurité de nos concitoyens, puisque des manifestations ont lieu à l’heure où je vous parle, mais aussi de la salubrité publique.

Pour avoir été, comme beaucoup d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, gestionnaire d’une collectivité locale, je mesure les difficultés que suscitent de tels amoncellements d’ordures et de poubelles sur la voie publique au bout de neuf jours.

Ayant été saisi par Mme Dati, mais aussi par d’autres maires d’arrondissement et par des élus parisiens de tous bords politiques, j’ai demandé à Mme Hidalgo, d’abord oralement, puis, ce matin, par écrit, par l’intermédiaire du préfet de police, qui est chargé du maintien de la salubrité publique sous l’autorité de mon ministère, de réquisitionner les éboueurs comme le droit lui permet de le faire, afin d’assurer à la fois le ramassage des poubelles et leur incinération.

Du reste, une telle réquisition a déjà été réalisée par la mairie de Paris lors des grèves suscitées par le projet de loi qui est devenu la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi Travail.

Le premier adjoint de Mme Hidalgo a indiqué ce matin qu’il n’était pas favorable à une telle réquisition. J’attends que Mme la maire de Paris réponde par écrit à la demande écrite du préfet de police. S’il est confirmé que Mme Hidalgo n’est pas prête à prendre ses responsabilités, le préfet de police procédera ce soir, au plus tard demain matin, aux réquisitions au nom du maintien de la salubrité publique.

Quoi qu’ils pensent de la réforme des retraites, je crois que tous les Parisiens en seront heureux. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour la réplique.

Mme Catherine Dumas. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

À chaque grève, Paris s’enfonce un peu plus dans l’insalubrité qu’Anne Hidalgo et ses alliés ont imposée aux Parisiens.

Alors que nous sommes aujourd’hui à moins de cinq cents jours de l’ouverture des jeux Olympiques, l’image de notre pays et de sa capitale est durablement dégradée auprès des touristes et des observateurs étrangers, qui en sont sidérés. Il est grand temps d’agir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

vente du stade de france

M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Laurent Lafon. Ma question s’adresse à Mme la ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques et porte sur le devenir du Stade de France.

Madame la ministre, vous avez annoncé il y a quelques jours que, pour ce qui est de l’avenir du Stade de France, l’État travaillait sur les deux hypothèses que sont la cession et le renouvellement du système de concession déjà en vigueur depuis vingt-cinq ans. À ce jour, le Gouvernement n’a pas arrêté son choix entre ces deux options, pourtant significativement différentes.

De fait, le Trésor a engagé de manière inédite deux procédures parallèles, l’une pouvant aboutir à la vente du Stade de France, l’autre, au renouvellement du système de concession.

Alors que les deux procédures sont lancées, les objectifs du Gouvernement quant à l’avenir du Stade de France ne sont pas transparents.

Afin de clarifier les intentions du Gouvernement, je vous poserai quatre questions précises, madame la ministre.

Premièrement, les deux principales fédérations sportives utilisatrices du Stade de France, à savoir la Fédération française de football et la Fédération française de rugby, se sont-elles engagées sur une utilisation a minima du stade et, si oui, selon quelles conditions financières ?

Deuxièmement, pourquoi l’athlétisme ne figure-t-il pas dans les consultations lancées par le Trésor ?

Mes deux dernières questions ont trait à la cession, madame la ministre.

Troisièmement, quels sont les critères qui pourraient vous amener à choisir la cession plutôt que la concession ?

Quatrièmement, enfin, l’État français serait-il prêt à céder à une structure appartenant à un État étranger le Stade de France, alors qu’il est un emblème du sport français depuis la Coupe du monde de football de 1998 et qu’il le sera plus encore après les jeux Olympiques qui se tiendront dans quelques mois ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Lafon, en amont de la fin de la concession à l’été 2025, le Gouvernement s’est donné pour boussole l’ambition de faire émerger le meilleur projet de long terme pour le Stade de France avec méthode et transparence. Il s’est également fixé deux exigences : préserver la vocation sportive du stade ainsi que les intérêts économiques et financiers de l’État.

Comme vous l’avez indiqué, deux procédures ont été lancées en parallèle. Je m’efforcerai de répondre aux quatre questions précises que vous m’avez posées à ce sujet.

Les fédérations sont libres de candidater, de s’associer à un candidat et de négocier les conditions d’utilisation du stade. Il importe qu’elles puissent échanger avec l’ensemble des candidats dans le respect de l’équité et du droit de la concurrence.

Pour ce qui concerne la piste d’athlétisme, les deux avis mentionnent bien la capacité d’accueillir de grands événements sportifs internationaux, qui incluent l’athlétisme. Nous étudierons attentivement les propositions des candidats en la matière.

Par ailleurs, deux critères emporteront notre choix en faveur de la cession ou de la concession : un critère d’avantage économique global pour l’État et un critère commercial et technique, relatif notamment à l’amélioration de l’accueil du stade et de son attractivité au sein de son territoire

J’en viens enfin à votre question relative à d’éventuels investisseurs étrangers. Un candidat étranger ou un groupement d’opérateurs incluant un investisseur étranger devrait comme les autres satisfaire aux conditions protectrices qui, dans le cadre d’une cession, seront fixées par le Parlement dans la loi. Il n’y a donc pas de raison d’écarter un investisseur a priori et par principe.

En tout état de cause, le projet retenu sera un projet ambitieux et de long terme, à la hauteur de la place de ce stade dans le récit sportif national, ainsi que des attentes des élus et des habitants du territoire où il est implanté. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

capacité des hôpitaux pendant les jeux olympiques

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Frédérique Puissat. Monsieur le ministre de la santé et de la prévention, cinq cents jours : c’est le nombre de jours qu’il nous reste avant la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris.

La parade nautique, au cours de laquelle les 10 000 athlètes défileront sur six kilomètres, constitue un lourd défi en matière de sécurité. Le budget de 8 milliards d’euros, dont on annonçait la maîtrise, semble de plus en plus difficile à tenir. Or la France n’a pas droit à l’erreur.

Ma question porte sur une autre difficulté, relative à la situation et à la capacité d’accueil des hôpitaux pendant le déroulement des jeux Olympiques à l’été 2024.

Pour ce qui concerne les athlètes et leurs accompagnants, dont le nombre total s’élève à 15 000, un centre de santé sera créé en lien avec l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Pour autant, que compte faire le Gouvernement pour les plus de 10 millions de visiteurs attendus ?

En temps normal, les hôpitaux parisiens peinent à fonctionner. Les services d’urgences sont débordés et trop de lits de chirurgie sont aujourd’hui fermés. En plein été, les équipes médicales sont de surcroît réduites en raison des congés.

Gouverner, c’est prévoir.

Aussi, monsieur le ministre, qu’avez-vous prévu pour assurer le fonctionnement des hôpitaux parisiens et pour que ceux-ci puissent faire face aux soins courants et à l’afflux de visiteurs pendant les jeux Olympiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la prévention.

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice Puissat, autour de la Première ministre et de la ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques, le Gouvernement est totalement mobilisé pour faire de la Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques et Paralympiques les grandes fêtes sportives qu’ils doivent être.

Dans ce cadre, l’attention de mon ministère est concentrée sur trois points. Vous en avez évoqué un, j’en préciserai deux autres.

Le premier point concerne bien sûr le maintien de l’accès aux soins dans les territoires concernés par les jeux Olympiques – l’Île-de-France, mais aussi les Hauts-de-France et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca).

À cette fin, nous mobilisons le public, le privé, la médecine libérale et l’ensemble de nos partenaires afin d’assurer la prise en charge de la demande de soins supplémentaire. À titre d’exemple, nous estimons que la fréquentation des services d’urgences devrait augmenter de 5 % pendant ces événements.

Trois autres publics sont particulièrement concernés : d’abord, les touristes, pour lesquels se posent des questions de prise en charge financière, mais aussi de traduction ; ensuite, les sportifs et leur staff, pour lesquels nous prévoyons des parcours de soins spécifiques de manière à garantir qu’ils ne croisent pas les spectateurs ; enfin, les personnes en situation de handicap, qui doivent également bénéficier de parcours de soins parfaitement identifiés.

Le deuxième point a trait aux situations sanitaires exceptionnelles, aux risques climatiques – ces événements se dérouleront l’été –, aux risques infectieux, aux risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC) et aux risques de cyberattaque pour lesquels nous travaillons à la mise en place de contre-mesures.

Le troisième point porte sur l’héritage des jeux Olympiques, c’est-à-dire le sport-santé. Le Président de la République a annoncé que le sport serait la grande cause nationale en 2024. Nous déploierons dans ce cadre encore davantage le sport-santé, élément essentiel de la prévention – qui est elle-même l’un des axes forts de mon ministère –, afin de contribuer à l’amélioration de l’état de santé global de nos concitoyens.

Tels sont les trois axes sur lesquels nous travaillons actuellement de façon approfondie, madame la sénatrice.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour la réplique.

Mme Frédérique Puissat. Monsieur le ministre, vous l’avez compris, ma question est légitime et préventive. Elle est légitime, parce que le personnel de santé s’inquiète ; elle est préventive, parce que les Français ont trop souffert du fiasco du Stade de France à l’occasion de la finale de la Ligue des champions.

Mesdames, messieurs les ministres, comme le Président de la République, nous souhaitons nous aussi des médailles, mais nous souhaitons surtout être sur la plus haute marche du podium en matière d’organisation, celle des jeux Olympiques et celle de la santé, non seulement pendant ces jeux, mais aussi dans nos territoires et dans nos départements, au quotidien et pour tous les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

réforme de la police judiciaire

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jérôme Durain. Monsieur le ministre de l’intérieur et des outre-mer, le 3 mars dernier, vous avez écrit aux fonctionnaires de police pour répondre aux inquiétudes qui se sont exprimées derrière le slogan : « Sauvez la PJ de Clemenceau ! » Ce courrier a été rédigé avant même que le rapport d’information du Sénat ne soit rendu public.

La mission que j’ai eu l’honneur de mener avec ma collègue Nadine Bellurot au nom de la commission des lois avait pourtant émis vingt-deux recommandations, adoptées à l’unanimité, pour vous aider à faire cette réforme nécessaire. Vous ne les avez pas entendues, vous les avez d’ailleurs à peine attendues.

Vous vouliez aller vite, mais vous n’avez pas réussi à rassurer les PJistes, qui continuent d’exprimer publiquement leur écœurement. Vous deviez restaurer l’attractivité de la filière PJ, vous confortez des envies de démission.

Vous n’avez pas davantage rassuré les avocats ni les magistrats, qui se joindront aux PJistes demain, partout en France, pour manifester devant les tribunaux.

Surtout, vous n’avez répondu à aucun des quatre rapports qui ont été rendus sur le sujet. Les inspections ont évoqué « l’insuffisance du cadrage initial de l’expérimentation ». Notre collègue Philippe Dominati, au nom de la commission des finances, vous appelait à « ne pas déshabiller la PJ ». À l’Assemblée nationale, les deux rapporteurs n’ont pas réussi à se mettre d’accord, M. Bernalicis craignant une mise « à mal du principe d’indépendance de la police judiciaire ». Ici, enfin, au Sénat, nous vous avons proposé un moratoire jusqu’aux jeux Olympiques et Paralympiques ; il vous permettrait d’améliorer votre copie tout en évitant de fragiliser notre appareil sécuritaire avant l’échéance de 2024.

Monsieur le ministre, pourquoi avez-vous rejeté ce conseil éclairé du Sénat ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur et des outre-mer. Monsieur le sénateur Durain, permettez-moi tout d’abord de vous dire que c’est une réforme très importante que celle de la police nationale.

Vous l’avez vous-même souligné dans le rapport d’information que vous avez produit avec Mme Bellurot ; l’Assemblée nationale a fait de même. En effet, depuis soixante ans, il n’y a pas eu de réforme de la police nationale à ce point structurante, si bien qu’elle fait naître des interrogations et qu’elle bouscule des habitudes, conséquences auxquelles le ministère de l’intérieur – en particulier le ministre que je suis – est particulièrement attentif.

Je constate, ensuite, que le Sénat dans sa très grande majorité, y compris vous-même et le groupe socialiste, a adopté le principe de cette réforme, puisque vous avez voté la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, que nous avons d’ailleurs coconstruite ensemble, en particulier pour ce qui est de la réforme de la police nationale.

Vous dites que nous n’avons pas pris connaissance de vos propositions et que nous n’en avons pas tenu compte. Permettez-moi de dire, monsieur le sénateur, que c’est faux.

Il est vrai que j’ai refusé d’attendre la fin des jeux Olympiques pour mettre en place une réforme sur laquelle on travaille depuis le ministre Joxe – voilà qui ne nous rajeunit pas. (Sourires.). Par ailleurs, cela fait plus de deux ans et demi que le ministre de l’intérieur que je suis y travaille, alors qu’elle avait déjà été imaginée par mes prédécesseurs dans le fameux Livre blanc de la sécurité intérieure.

Sur l’intégralité des autres dispositions, nous donnons suite à vos préconisations, monsieur le sénateur.

Il faudra systématiquement une habilitation en tant qu’officier de police judiciaire (OPJ), ce qui est le cas, et une formation particulière des futurs directeurs départementaux de la police nationale (DDPN) est prévue. Nous avons travaillé avec le ministre de la justice pour que leur évaluation se fasse avec les procureurs de la République.

Nous travaillons à une lettre conjointe pour rappeler que les magistrats pourront saisir les services d’enquête et que ce ne sont pas les préfets qui le feront.

Nous serons au rendez-vous pour faire en sorte que les directions zonales de la police nationale (DZPN) puissent travailler en lien avec les directions interdépartementales de la police nationale (DIPN) que j’évoquais dans le courrier que vous avez mentionné.

Vous suggérez d’établir un état des lieux du stock des procédures dans votre proposition n° 1 : avec le garde des sceaux, nous avons ouvert une mission sur le sujet pour répondre à cette préconisation.

Votre proposition n° 4 vise à conserver des moyens d’investigation au niveau zonal pour le traitement d’affaires nécessitant la mobilisation de services très spécialisés. C’est déjà le cas.

La proposition n° 3 garantit la possibilité pour les magistrats de saisir directement les offices centraux. C’est déjà le cas.

M. le président. Il faut conclure.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le président, j’attendais votre rappel pour dire à quel point je manque de temps pour citer toutes les bonnes propositions du sénateur Durain que nous suivons. (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour la réplique.

M. Jérôme Durain. Monsieur le ministre, toutes ces bonnes propositions ne sont pas arrivées jusqu’aux oreilles des PJistes. Si nous exprimons une inquiétude, c’est que notre conviction et notre crainte se fondent sur le fait que, sans PJ, nous ne gagnerons pas la guerre contre la drogue. Sans PJ, nous ne lutterons pas efficacement contre la criminalité organisée, notamment économique et financière. Nous craignons que la dilution de l’expertise de la PJ, que le « tout voie publique » ne soit une impasse, tout comme le rétrécissement départemental et la prise en main du judiciaire par l’administratif.

Oui, monsieur le ministre, comme les PJistes et les magistrats vous le disent : pour la sécurité des Français, sauvez la PJ ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

nombre de communes en france

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. Monsieur le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, dans son dernier rapport, la Cour des comptes préconise la réduction du nombre de communes, notamment pour ce qui est des plus petites d’entre elles. Les gouvernements successifs, par le biais de différentes lois, se sont attaqués régulièrement au nombre de communes en France.

Toutefois, je tiens à rappeler que le fait communal et le fait départemental précèdent le fait républicain.

La loi du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes, dite loi Marcellin, avait pour objet de faire fusionner les communes – sans grand succès. D’autres lois similaires ont été votées par la suite. J’ajouterai que nul n’est prophète en son pays, M. Marcellin n’ayant procédé à aucune fusion-association dans son département.

Dans mon département de la Haute-Marne, conformément à cette loi, deux cents communes ont souhaité fusionner, mais la moitié d’entre elles ont divorcé l’année suivante. (M. Roger Karoutchi fait un geste fataliste.)

Aujourd’hui, les communes sont attaquées sous l’angle financier : il s’agit d’assainir les finances publiques de l’État, en se fondant sur les chiffres de 2021, année paradoxale où les investissements des collectivités ont été très réduits à cause de la crise covid.

Monsieur le ministre, bien que ce que dit la Cour des comptes soit rarement entendu par les gouvernements, quelle est votre position sur son analyse et ses préconisations ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Bruno Sido, M. Marcellin n’aurait pas été prophète en son pays, dites-vous. Laissez-moi convoquer la présidente de la commission des affaires sociales Catherine Deroche et les sénateurs Stéphane Piednoir, Joël Bigot et Emmanuel Capus, puisque le département du Maine-et-Loire est celui dans lequel il y a eu le plus de fusions de communes : 48 % d’entre elles ont fusionné, au point qu’il ne reste que 186 communes sur les 358 qui existaient initialement.

M. Olivier Cadic. Et cela marche mieux !

M. Christophe Béchu, ministre. Quand je vous aurai précisé qu’il ne s’agit que de mariages d’amour et que je vous aurai dit que, en matière de fusion, je ne crois pas aux mariages qui ne soient pas d’amour (Mme Sophie Primas sexclame.), je vous aurai livré une partie de ma philosophie sur le sujet, à savoir qu’il ne faut pas plaquer un modèle national.

Le constat, on le connaît : en 1790, il y avait 44 000 communes, en 1960, il y en avait encore 38 000, il en reste 34 000. Par ailleurs, il n’y a eu que 235 fusions de communes depuis 2014.

Pourtant, au travers d’un certain nombre de textes – la proposition de loi de Bruno Sido ou celle de Françoise Gatel –,…

M. Loïc Hervé. Excellentes !

M. Christophe Béchu, ministre. … on s’est efforcé de donner un statut aux communes associées et aux communes déléguées pour éviter le « tout ou rien ».

Notre conviction – j’associe à mes propos Dominique Faure, dont vous savez l’attachement aux communes, en particulier rurales –, c’est que rien dans ce domaine ne se fera par la contrainte. L’intercommunalité est une chance, à condition qu’il y ait une conférence des maires et un pacte de gouvernance. Dans certains cas, il faut rendre possibles les fusions en montrant ce qu’elles permettent, mais il ne faut pas les forcer : cela n’aboutira sinon qu’à aggraver la situation.

Quelle doit être notre obsession ? Il s’agit de faire en sorte de favoriser les mutualisations qui permettront d’améliorer la vie des habitants sur le territoire et le meilleur usage des deniers publics. Dans certains endroits, cela peut passer par des fusions, dans d’autres, par des coopérations intercommunales, dans d’autres encore, par des modes d’association qui dépendent de ce que les élus veulent. On ne peut pas à la fois expliquer qu’on leur fait confiance et projeter un modèle qui serait le même partout, en faisant fi de notre histoire et de nos réalités locales. (Mme Vanina Paoli-Gagin applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour la réplique.

M. Bruno Sido. Monsieur le ministre, aujourd’hui, les Français sont plus que jamais attachés à leur commune. La crise des « gilets jaunes » et la crise sanitaire sont passées par là et ont démontré l’importance de ces 500 000 élus – maires, adjoints, conseillers municipaux – qui administrent leur commune.

Bien souvent, tous ces élus sont bénévoles et font eux-mêmes beaucoup de travaux à titre gracieux.

Rappelons-nous ce couple du maire et du préfet. Le Premier ministre Jean Castex vantait le mérite des maires, en les désignant comme les « piliers de la République ». On les applaudissait alors pour leur implication ; aujourd’hui, face aux poids des finances publiques, on voudrait les sacrifier.

Monsieur le ministre, votre réponse ne m’a pas convaincu et je repose donc la question : allez-vous faire payer aux petites communes le laxisme budgétaire du Gouvernement en les supprimant ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

prix de l’électricité

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. Ma question s’adressait à Mme la ministre de la transition énergétique.

En l’espace d’une année, la problématique des coûts de l’énergie est devenue cruciale pour bon nombre de nos concitoyens, nos entreprises et même nos collectivités locales. Dans ce contexte, le Parlement a légiféré, ce qui est son rôle, et la loi du 16 août 2022 prévoit que le prix de l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (Arenh) ne peut désormais être inférieur à 49,50 euros le mégawattheure.

Puis, curieusement, le Gouvernement a introduit l’obligation de soumettre cette disposition à l’avis de la Commission européenne, ce que le Conseil d’État, dans son délibéré du 3 février dernier, a formellement identifié comme inutile, puisque ce prix de 49,50 euros est largement inférieur au prix du marché.

Non seulement le Gouvernement semble sourd à cette objection du Conseil d’État, mais le Gouvernement n’a à ce jour même pas sollicité la Commission européenne. Madame la ministre, pouvez-vous donner les raisons de cette surdité gouvernementale, mâtinée d’une procrastination bien étonnante ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de lartisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Piednoir, Mme Agnès Pannier-Runacher est en ce moment même à l’Assemblée nationale pour l’examen du projet de loi visant à accélérer le nucléaire. Elle vous prie d’excuser son absence.

J’essaierai de répondre à votre question, pertinente et technique, avec les éléments dont je dispose et je ne doute pas que la ministre apportera ultérieurement des précisions complémentaires.

Je veux tout de même rappeler, indépendamment des procédures que vous mentionnez, de la saisine et des réactions du Conseil d’État, la mobilisation du Gouvernement concernant notre mix énergétique et les travaux en cours avec la Commission européenne pour faire avancer la réforme du marché de l’énergie.

Je veux redire à quel point nous continuons d’investir massivement dans le nucléaire, soit 4 à 5 milliards d’euros par an pour ce qui est d’EDF, 50 milliards d’euros depuis 2015 pour le grand carénage, six nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR), dont deux pour 50 milliards d’euros. Par ailleurs, vous le savez, nous investissons aussi à l’international, dans le chantier d’Hinkley Point. L’État n’a pas lésiné : il a recapitalisé EDF par deux fois depuis 2015, à hauteur de près de 4 milliards d’euros en 2017 et de 3 milliards d’euros en 2022. De plus, je le répète, nous construisons de nouveaux réacteurs. Agnès Pannier-Runacher l’a dit : l’État sera au rendez-vous.

Les Français sont protégés face à cette situation d’envolée des prix de l’électricité. Vous avez mentionné l’Arenh, dispositif qui – peu importe ce qu’en dit le Conseil d’État – protège massivement non seulement nos concitoyens, mais aussi une bonne partie de nos entreprises. Je pense aussi au bouclier tarifaire et aux aides énergie.

En outre, nous n’avons rien lâché sur la réforme du marché européen de l’énergie. Après un an de travail et de mobilisation, notamment de Bruno Le Maire, mais aussi d’Agnès Pannier-Runacher, la Commission européenne a proposé formellement une réforme qui reprend trois demandes françaises majeures auxquelles vous serez sensibles : des contrats pour différence entre les producteurs et tous les consommateurs, afin que l’électricité soit vendue à un prix proche des coûts de production nationale ; l’éligibilité du nucléaire à ces contrats ; l’éligibilité des installations existantes, c’est-à-dire de la plupart des centrales en France. C’est une nouvelle encourageante,…

M. le président. Il faut conclure.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. … une bonne base de travail pour l’instant. Notre objectif est que la réforme soit adoptée cette année. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour la réplique.

M. Stéphane Piednoir. Je sais l’implication du Gouvernement en faveur de la relance de la filière nucléaire de notre pays, même si elle est récente. Cela suppose de consolider les moyens donnés à l’outil industriel qui doit accomplir ce programme nucléaire, à savoir EDF. En effet, l’entreprise doit faire face à une dette colossale de 64 milliards d’euros et à un mur d’investissements dans les années à venir.

Le président-directeur général d’EDF Luc Rémont déclarait lui-même que rien ne serait possible si le prix de l’Arenh restait fixé à 42 euros le mégawattheure. Agnès Pannier-Runacher reconnaissait quant à elle que le prix de production par EDF était aux alentours de 58 euros le mégawattheure. On voit bien que le delta est important et je demande au Gouvernement au moins un peu de cohérence.

Vous savez qu’il est encore temps de prendre les mesures nécessaires pour ne plus bafouer ou piétiner les décisions du Parlement. Un véhicule législatif en cours d’examen à l’Assemblée nationale vous permet de le faire, je vous invite à vous en saisir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs est parvenue à l’adoption d’un texte commun. (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Il y a des commissions mixtes paritaires conclusives… (Sourires.)

4

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l'incendie à la réalité des territoires ruraux
Article 1er (nouveau)

Défense extérieure contre l’incendie et territoires ruraux

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l’incendie à la réalité des territoires ruraux, présentée par M. Hervé Maurey, Mme Françoise Gatel et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 262, texte de la commission n° 377, rapport n° 376).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi.

M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l’incendie à la réalité des territoires ruraux. Je remercie le groupe Union Centriste d’avoir demandé son inscription dans l’espace qui lui est réservé.

Ce texte est le fruit des travaux de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, engagés à la demande du président du Sénat, qui a considéré qu’il n’était pas normal que la quasi-totalité du budget d’investissement d’une commune soit consacrée à la défense extérieure contre l’incendie, quelle que soit l’importance de celle-ci.

Ces travaux, menés avec mon collègue Franck Montaugé, que je salue, ont abouti à la publication au mois de juillet 2021 du rapport d’information Défense extérieure contre lincendie : assurer la protection des personnes sans nuire aux territoires.

Le 5 janvier 2022 a eu lieu en séance publique un débat sur les conclusions de ce rapport d’information, organisé à la demande de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, présidée Françoise Gatel, également auteur de cette proposition de loi, que je tiens à remercier de son appui tout au long de nos travaux.

Au cours de ce débat, nous avons malheureusement constaté à quel point le Gouvernement n’était pas conscient de la situation et de ses conséquences sur un grand nombre de territoires ruraux. Ce constat nous a conduits à déposer la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Sur notre initiative, l’article 32 de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS, a prévu que le Gouvernement remette un rapport d’évaluation de l’impact de la défense extérieure contre l’incendie sur les communes avant le 1er juillet 2022.

Si celui-ci n’a pas été formellement remis par le Gouvernement, comme le prévoit la loi, ce qui est quelque peu surprenant, une copie datée de juin 2022 m’en a été transmise récemment, à la demande du cabinet du ministre de l’intérieur. Nous nous félicitons que ce document confirme une très grande partie des conclusions auxquelles Franck Montaugé et moi-même sommes arrivés, même si, curieusement, il a été élaboré sans aucune consultation des maires, mais uniquement à partir de celle des préfets.

Il est tout d’abord nécessaire de rappeler que la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, dite Warsmann, a substitué à la réglementation nationale en matière de défense extérieure contre l’incendie le principe d’une réglementation départementale établie par le préfet en concertation avec les élus locaux, l’objectif étant de mieux répondre aux spécificités des différents territoires que ne peut le faire une réglementation nationale.

Comme le souligne l’excellent rapport de notre collègue Loïc Hervé, au nom de la commission des lois, que je tiens à remercier de la qualité de nos échanges et de son travail, cette réforme était attendue de longue date par les élus et les parlementaires. Malheureusement, près de douze ans après son adoption, force est de constater que cette loi n’a pas répondu à leurs attentes et à la volonté du législateur quant à l’adaptation des règles à la réalité des territoires.

Au contraire, elle a provoqué dans un certain nombre de départements un fort mécontentement des maires, qui résulte de la mise en application très inégale et, souvent, très insatisfaisante de la concertation prévue par le décret de 2015. Selon l’enquête que nous avons menée, 70 % des maires estiment en effet que la concertation n’a pas été satisfaisante.

Un autre aspect insatisfaisant de la réforme est l’absence d’évaluation de la mise en œuvre à l’échelon local des règles de défense extérieure contre l’incendie. Celles-ci ont pu, en effet, être élaborées sans considération de leurs conséquences, notamment financières, pour les communes chargées de leur application.

Il en résulte que ces règlements ne répondent pas toujours, ou insuffisamment, aux spécificités infradépartementales et ne sont pas proportionnés à la réalité des risques.

Dans le département de l’Eure, que j’ai l’honneur de représenter, cela a conduit à édicter une règle particulièrement stricte d’une distance de deux cents mètres entre les habitations et l’installation d’un point d’eau incendie sur l’ensemble du territoire, en zone urbaine comme en zone rurale, alors que le risque en matière de propagation n’est évidemment pas le même.

Comme l’indique le rapport du Gouvernement, « il n’est pas concevable de demander à des communes peu peuplées de disposer d’une couverture de défense extérieure contre l’incendie (Deci) identique à celle des communes urbaines ». Pourtant, cela peut être le cas – je sais de quoi je parle !

Le rapport va plus loin, en indiquant que ces règlements devraient même envisager l’absence de couverture plutôt qu’« une Deci coûteuse et pénalisante pour assurer la couverture incendie d’un bâti à risque très faible ».

Ces règles disproportionnées ont des conséquences particulièrement préjudiciables sur les finances des communes. Ce sont en effet parfois des investissements de plusieurs centaines de milliers d’euros qui sont nécessaires pour de toutes petites communes. (M Claude Kern acquiesce.)

M. Hervé Maurey. Je citerai l’exemple de la commune des Bottereaux dans l’Eure, qui compte 380 habitants et dispose d’un budget d’investissement de 210 000 euros. Le coût des travaux de mise aux normes sur son territoire a été estimé à 3,6 millions d’euros.

Le rapport du Gouvernement rejoint ce constat en indiquant que « la récurrence des sinistres en zone rurale est de faible intensité et les investissements demandés aux maires paraissent souvent disproportionnés par rapport aux finances de leurs collectivités ». Je ne saurais mieux dire…

Pour financer ces dépenses de mise en conformité, les maires sont donc contraints de renoncer à des investissements importants pour la population sur lesquels ils s’étaient engagés lors des élections municipales. De surcroît, ces investissements bénéficieraient davantage aux entreprises locales que des bornes ou des bâches incendie.

Cette situation conduit de nombreux maires à devoir refuser toute autorisation d’urbanisme, enclenchant ainsi un cercle vicieux de baisse de population, donc de ressources et de fermeture de classes.

Si certains préfets, conscients des difficultés, ont modifié leur règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie (RDDECI) pour tenir compte des attentes des élus – cela s’est produit deux fois en Seine-Maritime –, ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Une réponse législative pour remédier à cette situation est donc nécessaire.

C’est le sens de la proposition de loi que nous examinons. Elle a été enrichie par le travail du rapporteur et de la commission des lois.

Ainsi, le règlement deviendra un volet du schéma départemental d’analyse et de couverture des risques (Sdacr) pour renforcer encore la nécessaire articulation entre couverture des risques et moyens de lutte contre les incendies mis à disposition du service départemental d’incendie et de secours (Sdis).

La consultation des élus dans le cadre de l’élaboration du règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie sera renforcée et élargie. Le préfet devra ainsi recueillir l’avis des communes et des intercommunalités compétentes en matière de défense extérieure contre l’incendie et prendre en compte ces avis.

Une évaluation préalable de l’application du règlement dans le département permettant d’objectiver les difficultés devra être faite.

Par ailleurs, ce document n’ayant pas vocation à être « figé », pour reprendre l’expression du rapport du Gouvernement, il me semble nécessaire que ces règlements puissent être modifiés à l’issue du vote de cette proposition de loi, s’ils n’ont pas été révisés au cours des cinq dernières années.

Cette clause de revoyure doit permettre d’intégrer de bonnes pratiques, ainsi que l’évolution des techniques et des risques, notamment sous l’effet des dérèglements climatiques.

Elle devra également permettre l’édiction de règles qui devront respecter plusieurs principes indispensables. Il s’agit, premièrement, de l’adaptation aux spécificités du territoire et je proposerai de préciser que les règles doivent avoir un caractère infradépartemental, deuxièmement, du nécessaire équilibre et de la complémentarité entre les moyens des communes et des Sdis, troisièmement, de la prise en compte de l’impact budgétaire et financier de ces règles sur les finances communales.

Comme l’indique le rapport du Gouvernement, la fixation de ces règles en fonction du matériel et des ressources des Sdis, malheureusement trop souvent observée, ne peut constituer une « règle absolue ».

Le règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie ne doit pas être la variable d’ajustement des moyens des Sdis, mais doit prendre en compte la « nécessité d’éviter de faire peser des investissements hors de proportion sur les budgets des collectivités », pour citer une fois encore le rapport du Gouvernement.

Enfin, ce texte proposera l’institution d’une commission départementale chargée du suivi de l’application de ces règlements. Il s’agira d’inscrire dans la loi la création de cette instance, que le ministre de l’intérieur m’a indiqué appeler de ses vœux, dans un courrier qu’il m’a adressé.

Cette instance sera composée de maires et présidée par l’un d’entre eux. Elle sera chargée de l’évaluation de la mise en œuvre des règles en la matière et de leurs conséquences en matière budgétaire, d’urbanisme et de développement économique. Cette commission pourra notamment proposer au préfet toute modification du règlement qui lui semblera nécessaire.

Tels sont, mes chers collègues, les éléments dont je souhaitais vous faire part en vous présentant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Patrick Kanner applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’enjeu de cette proposition de loi pourrait se résumer à la question de savoir si la défense contre l’incendie est un sujet suffisamment grave pour qu’il ne soit confié qu’à ceux qui ont la maîtrise de l’art. En réalité, la réflexion que nous allons conduire cet après-midi tourne autour de cette seule question.

Cette proposition de loi entend répondre à un problème lancinant, que les communes, notamment rurales, ne connaissent que trop bien : l’exercice particulièrement complexe de leurs missions en matière de défense extérieure contre l’incendie.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Les difficultés en la matière sont connues de longue date et par nous tous. La consultation du répertoire des questions écrites de nos collègues députés et de nous-mêmes, au Sénat, corrobore le sentiment d’un État historiquement velléitaire en la matière : de sollicitations restées lettre morte en promesses de réformes non tenues, le sujet a longtemps constitué un « irritant » pour les maires en zone rurale.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Si aujourd’hui la passivité et l’inertie de l’État en la matière ne semblent plus de mise, nous le devons tout particulièrement à notre collègue Hervé Maurey, très mobilisé et de manière constante pour la défense des intérêts des communes rurales sur ce sujet, auteur avec Franck Montaugé d’un rapport d’information en 2021 et auteur de la proposition de loi qu’il nous revient désormais d’examiner.

Le cadre juridique applicable à ces missions a pourtant été largement révisé par la loi Warsmann de 2011. Pour mémoire, ce cadre prévoit l’équivalent d’une hiérarchie des normes entre plusieurs documents dont le RDDECI constitue le nœud : ces règlements départementaux, établis en concertation avec les maires et arrêtés par le préfet de département après avis du conseil d’administration du Sdis (Casdis), doivent tenir compte d’un référentiel national, le RNDECI, et s’imposent aux communes, dont les arrêtés et les éventuels schémas en matière de Deci doivent être conformes au règlement départemental.

Outre le délai, jugé excessif, de mise en application de cette réforme, les communes n’y ont pas trouvé de solution définitive à leurs difficultés. Comme l’ont relevé Hervé Maurey et Franck Montaugé dans leur rapport d’information de 2021, ces difficultés sont de quatre ordres.

Premièrement, la concertation des élus dans l’élaboration des règlements départements est jugée – pour tout dire – « inégale ».

M. Loïc Hervé, rapporteur. Deuxièmement, la couverture du risque est parfois qualifiée de « défaillante ».

Troisièmement, l’adéquation entre les prescriptions du règlement départemental et les risques réels n’est pas satisfaisante, les premières n’étant pas toujours proportionnées aux seconds, en raison d’une évaluation insuffisante, de la complexité des règles et, surtout, du défaut d’adaptation de celles-ci aux spécificités des territoires, notamment en milieu rural. Combien d’entre nous ont entendu parler de la tristement célèbre règle des deux cents ou quatre cents mètres ? On parle ici de longueur de tuyaux ! Les prochaines élections sénatoriales auront lieu au mois de septembre 2023 et, trois ans après, on continue de débattre sur un sujet qui était déjà d’actualité lors de celles de 2020.

Quatrièmement, le coût financier reste important, à la fois en matière budgétaire et pour ce qui est du développement économique, notamment lorsqu’une autorisation d’urbanisme ne peut être accordée en raison du défaut de couverture du risque incendie.

L’examen de cette proposition de loi en commission a permis de retravailler le dispositif imaginé par Hervé Maurey, de le simplifier et d’en renforcer la portée. En définitive, nous sommes allés au bout de la réflexion initiale de notre collègue, en faisant du RDDECI un volet à part entière du Sdacr.

Les personnes que j’ai auditionnées sont pour la plupart convenues de l’incongruité de la coexistence de deux documents distincts – incongruité que plusieurs travaux sénatoriaux ont d’ailleurs démontrée : des représentants de l’Assemblée des départements de France à ceux de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, en passant par le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises lui-même, le préfet Alain Thirion, personne n’a vraiment été en mesure de m’expliquer pourquoi on avait créé le Sdacr, d’un côté, et le RDDECI, de l’autre ! Pis, madame la ministre, tout le monde ignore la raison pour laquelle aucune articulation n’existe entre eux. (Mme la ministre déléguée approuve.)

Tout porte à croire que la défense extérieure contre l’incendie constitue le parent pauvre de l’organisation des moyens de lutte contre l’incendie. Le choix a ainsi été fait d’en faire un document annexe, distinct et sans articulation avec le document stratégique que constitue le Sdacr.

Il me semble que la prise en compte des moyens et des difficultés rencontrées par les communes en matière de défense extérieure contre l’incendie doit justement être l’un des éléments de la stratégie des Sdis, a fortiori – nous en reparlerons probablement lors de l’examen des amendements – compte tenu des changements climatiques que nous connaissons et des graves incendies que subissent de nombreux départements, y compris ceux qui avaient été épargnés jusqu’alors.

Pour ce qui est de la détermination et de l’allocation des moyens des Sdis, les départements ne peuvent pas faire l’économie d’une analyse de leurs forces et de leurs faiblesses en matière de défense extérieure contre l’incendie : le Sdacr doit prévoir un certain nombre d’adaptations permettant de faire évoluer ses prescriptions en fonction de ces forces et de ces faiblesses et des réalités du terrain.

Aussi, le volet « défense extérieure contre l’incendie » du Sdacr continuerait à comporter le règlement départemental et, sans qu’il soit besoin de le préciser dans la loi, les arrêtés communaux et intercommunaux en matière de défense extérieure contre l’incendie, qui devraient être conformes à ce nouveau volet.

Cette mesure constituerait également une simplification des documents organisant les services départementaux d’incendie et de secours, qui n’ont jamais fait l’objet d’une réforme globale, reflet d’une vision d’ensemble et stratégique de ces compétences.

Les modalités d’adoption du volet spécifique à la défense extérieure contre l’incendie au sein du Sdacr s’inspirent très largement de la procédure qui est aujourd’hui applicable pour l’élaboration du règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie.

Deux apports du dispositif initial ont néanmoins été conservés : le projet de document ferait l’objet d’une concertation élargie, le conseil départemental et les conseils municipaux ou organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents étant désormais consultés pour avis, ainsi que d’une évaluation préalable du service public de la défense extérieure contre l’incendie, conformément au souhait de l’auteur de ce texte.

Le principe d’une révision concomitante du Sdacr et de son volet consacré à la défense extérieure contre l’incendie serait également préservé.

Ce dispositif a été harmonieusement complété par un amendement de notre collègue Hervé Maurey, adopté en commission, qui tend à créer une commission départementale de suivi de la défense extérieure contre l’incendie.

Composée d’élus, cette instance aurait pour mission, d’une part, de procéder à l’évaluation régulière de l’état de la couverture des risques au regard des points d’eau situés sur le territoire, dont elle ferait état dans un rapport annuel, d’autre part, de formuler toute proposition d’évolution qu’elle jugerait pertinente.

Cette piste d’évolution, évoquée par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises dans un rapport du mois de juin 2022, me semble consensuelle et permettrait aux élus de disposer d’un espace d’écoute et de dialogue entre eux et le service départemental d’incendie et de secours.

Nous nous sommes montrés tellement attentifs à cette initiative d’Hervé Maurey que nous avons décidé, en commission, de mettre en place une incompatibilité : l’interdiction pour tout élu siégeant au sein de la commission départementale de suivi de la défense extérieure contre l’incendie de siéger également au sein du conseil d’administration du Sdis, de manière à préserver un dialogue éclairé entre les maires des communes, notamment rurales, et ceux qui, dans le département, sont chargés de la lutte contre l’incendie.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Nous avons enfin prévu que le rapport annuel de cette commission de suivi puisse faire fonction, sur décision du conseil d’administration du Sdis, d’évaluation préalable du service public de la défense extérieure contre l’incendie l’année précédant la révision du Sdacr.

Cette modification me paraît de nature à renforcer la place de cette commission de suivi, qui pourrait se voir attribuer un rôle majeur dans l’élaboration du volet « défense extérieure contre l’incendie » du Sdacr. Il s’agit aussi d’une mesure de simplification, des évaluations aux objectifs similaires n’ayant pas nécessairement vocation à se multiplier.

Le texte qui vous est soumis cet après-midi, mes chers collègues, est donc équilibré, pragmatique et consensuel.

Pour terminer, je veux profiter de l’occasion qui m’est donnée de remercier l’ensemble des sénateurs qui, sur toutes les travées, nous ont permis de progresser ensemble et significativement sur la voie de l’adaptation de la défense extérieure contre l’incendie à la réalité des communes rurales. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, INDEP et SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd’hui, dans le cadre de l’espace réservé au groupe Union Centriste, pour étudier la proposition de loi du sénateur Hervé Maurey, visant à adapter la défense extérieure contre l’incendie à la réalité des territoires ruraux.

Ce texte résulte notamment d’un important rapport d’information réalisé au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur le sujet. Je tiens au passage à en saluer les auteurs.

Vous l’avez rappelé, la Deci, qui est une responsabilité ancienne des maires, puisqu’elle date de la fin du XIXe siècle, a pour objet d’assurer l’alimentation en eau des moyens des services d’incendie et de secours (SIS). Elle concourt ainsi directement à la sécurité et à la protection des populations. C’est son premier objet.

La Deci contribue aux bonnes conditions d’intervention des services d’incendie et de secours en garantissant la sécurité des sapeurs-pompiers engagés. C’est son second objet.

Nos travaux doivent donc concilier ces impératifs absolus avec une organisation et un mode de financement de la Deci réalistes, efficaces et adaptés aux réalités de terrain.

Le déploiement de la Deci s’inscrit aussi dans un contexte particulier, celui d’une évolution climatique défavorable, qui entraîne une succession de périodes de sécheresse et de forte chaleur propices au développement des feux d’espaces naturels.

Ces feux peuvent menacer des habitations, désormais partout en France, et pas seulement dans les régions méridionales ou dans le Sud-Ouest. À titre d’exemple, un feu a brûlé quatre-vingt-dix hectares de chaume et de bosquets l’été dernier dans l’Essonne, pendant une vague de chaleur, détruisant des maisons d’habitation dans la commune des Molières.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Le régime juridique applicable en matière de Deci résulte d’une réforme engagée par voie législative et réglementaire. Elle s’est achevée en 2015 – vous l’avez dit – et remplace de simples circulaires datant des années 1950.

Désormais, et cela constitue un indéniable progrès, la Deci ne répond plus à une norme nationale, mais relève d’une approche décentralisée fondée sur l’analyse des risques et des objectifs de sécurité.

Ainsi, le volume ou le débit des points d’eau incendie et la distance entre ces points d’eau sont précisés dans un règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie, arrêté par le préfet après avoir été élaboré par le SIS, en concertation obligatoire avec les maires et l’ensemble des acteurs concourant à la Deci.

Ce règlement départemental doit s’inscrire en cohérence avec le règlement opérationnel du SIS et le schéma départemental d’analyse et de couverture des risques.

Le cadre a certes évolué, puisqu’il est davantage décentralisé et prend mieux en compte les spécificités locales, mais je ne peux que partager les avis exprimés par les précédents intervenants : il reste très largement perfectible…

La Deci souffre du manque d’approfondissement et de régularité de son suivi. Les élus peuvent ainsi rester sans réponse et sans appui face à de légitimes interrogations sur ce sujet techniquement complexe. Cette situation n’est pas satisfaisante.

La proposition de loi issue des travaux de la commission des lois comporte deux dispositions visant à améliorer l’articulation entre le RDDECI et le Sdacr, ainsi qu’à créer une instance de concertation de l’ensemble des acteurs concernés, notamment les maires, avant l’édiction des règlements départementaux.

Nous adhérons à la philosophie de ces mesures, mais nous proposons de les mettre en œuvre en introduisant certaines modifications par voie réglementaire.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. À l’article 1er, la rédaction retenue aboutit à transformer la nature même du Sdacr en créant un volet dédié à la Deci, prescriptif et directement intégré en son sein.

Pour le Gouvernement, le Sdacr n’a pas vocation à devenir un document opposable : il doit rester un document stratégique tendant à dresser l’inventaire des risques de toute nature auxquels doivent faire face les SIS et à définir les objectifs de couverture de ces risques.

La distinction entre le Sdacr, document d’analyse et d’orientation, et le RDDECI, texte réglementaire spécifique à la défense extérieure contre l’incendie, est pertinente.

À l’article 2, le Gouvernement a également fait le constat, qui rejoint celui de la commission, d’une insuffisante concertation de l’ensemble des acteurs concernés, notamment des maires, avant l’édiction des règlements départementaux. Ce défaut ne concerne que certains territoires.

Toutefois, il ne paraît pas indispensable que la loi institue une nouvelle commission pour favoriser la concertation, alors que le constat de l’existence d’un trop grand nombre d’instances de ce type est unanimement partagé.

Concrètement, le Gouvernement propose de faire évoluer le dispositif, tout en restant dans l’esprit de ce qui est prévu par le texte, en suivant quatre axes de travail, et ce avant l’été 2023. Le plan d’action qu’il entend lancer comprend deux mesures directement inspirées de la proposition de loi, que nous pourrions affiner en étroite concertation avec l’auteur de ce texte, Hervé Maurey, et le rapporteur, Loïc Hervé.

Pour ce qui est du premier axe, je propose que toute question relative à la Deci soit discutée au sein d’une instance départementale qui existe déjà, plutôt que dans le cadre d’une nouvelle structure, en l’occurrence la commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité, la CCDSA, dont je suggère que nous élargissions les compétences par voie réglementaire.

Je m’engage à ce que cette nouvelle prérogative de la CCDSA entre en vigueur très rapidement par décret simple et à ce que la commission tienne pleinement compte de la nécessaire association de l’ensemble des acteurs concernés.

Le deuxième axe porte sur l’établissement, par voie réglementaire, d’un lien entre le RDDECI et le Sdacr, comme vous le demandez, sans pour autant donner de portée opposable au Sdacr.

Le troisième axe de ce plan d’action est la production d’un guide méthodologique à destination des SIS, qui reposera sur les bonnes pratiques. Ce guide détaillera la stratégie de déploiement de la Deci : il précisera les modalités de soutien que les SIS doivent apporter aux collectivités en la matière, notamment pour favoriser le développement des schémas communaux ou intercommunaux de Deci.

Le quatrième et dernier axe vise à améliorer les synergies entre réglementation de l’urbanisme et Deci, afin d’en clarifier les effets sur le droit à construire, en créant un référentiel technique.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette proposition de loi.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Dommage !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Je vous propose cependant que nous actions ensemble la stratégie et le plan d’action en quatre points que je viens d’exposer, en lieu et place des deux articles de ce texte.

Vous pouvez compter sur ma complète détermination à faire évoluer, avec vous, le dispositif avant l’été prochain, afin de répondre au mieux aux préoccupations plus que légitimes du Sénat. (Marques de déception sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous vivons une semaine « bobologie » au Sénat, avec un ordre du jour dédié aux sujets urticants. Hier, nous avons en effet commencé l’examen d’un texte sur l’objectif de « zéro artificialisation nette » des sols, le ZAN, tandis qu’aujourd’hui nous abordons la question de la défense extérieure contre l’incendie : reconnaissons-le, il s’agit là de deux sources d’irritation majeures pour nos territoires, notamment les plus ruraux.

Si l’on ajoute à l’objectif ZAN celui de la défense extérieure contre l’incendie, on aboutit immanquablement au blocage de toute velléité de construction et, par suite, au découragement et au renoncement des élus, ainsi qu’à une baisse de la population dans nos territoires. Et encore, mes chers collègues, je vous épargne la suite du raisonnement qui veut qu’une diminution du nombre d’habitants entraîne la fermeture des écoles et des commerces. Vous connaissez cette litanie par cœur !

Je tiens à remercier Hervé Maurey et Franck Montaugé, auteurs d’un rapport d’information essentiel sur la défense extérieure contre l’incendie au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, ainsi que Françoise Gatel, la bonne fée desdites collectivités territoriales (Sourires.), et notre rapporteur Loïc Hervé.

Le texte que nous examinons aujourd’hui a été cosigné par de nombreux sénateurs.

Le constat est sans appel : la réforme engagée en 2011 en matière de défense extérieure contre l’incendie n’a pas tenu ses promesses. Environ 70 % des maires interrogés par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation estiment que la concertation n’a pas été suffisante ; 81 % d’entre eux considèrent que leur territoire n’est que partiellement couvert au regard des nouvelles normes. Cela signifie que près d’une habitation sur trois se situerait en dehors du champ couvert par les dispositifs actuels, ce qui concernerait 6 à 7 millions de nos concitoyens.

La Deci fait peser des contraintes souvent excessives sur les communes, sans que ces dernières soient suffisamment impliquées dans son élaboration.

Depuis 2011, les communes sont chargées du service public de Deci, mais elles restent soumises au RDDECI, arrêté par le préfet. Elles doivent à ce titre contribuer au financement des moyens de lutte définis par le Sdis.

Le règlement départemental repose sur un certain nombre de normes qui s’inspirent d’un référentiel national, et qui ne s’appliquent que dans un second temps aux territoires.

Or l’évaluation des risques en matière d’incendie dans le département procède d’un document distinct du règlement départemental – il aurait été trop simple d’en faire un seul ! C’est bien ce que prévoit de corriger la présente proposition de loi.

Les normes définies par le règlement départemental sont donc parfois en total décalage avec les besoins réels et les spécificités des territoires – les précédents orateurs ont déjà mentionné la règle des deux cents ou des quatre cents mètres, que nous expérimentons tous les jours dans nos départements. Ces normes ont un coût important pour les communes, qui obère l’efficacité de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), laquelle devrait servir à autre chose qu’à compenser la mise en œuvre de normes supplémentaires.

J’ajoute que la concertation des élus en vue de l’élaboration de ces normes se révèle insuffisante dans un certain nombre de départements. L’élaboration du RDDECI, rédigé par le Sdis, ne requiert en effet qu’une concertation avec les maires, laquelle est menée de manière très inégale d’un territoire à l’autre.

Quant à la révision du règlement départemental, elle se fait à la discrétion du préfet et, comme l’a indiqué le rapporteur, selon une régularité aléatoire.

Ce constat appelait une réforme. C’est l’objet du texte que nous examinons aujourd’hui.

L’intégration du RDDECI dans le schéma départemental d’analyse et de couverture des risques constitue un effort de simplification bienvenu.

Par ailleurs, la création d’une commission départementale de suivi de la défense extérieure contre l’incendie permettra une meilleure association des élus locaux à sa gouvernance, ce qui ouvrira un véritable espace de dialogue.

Je vous ai entendue dire, madame la ministre, que votre dispositif entrerait en vigueur par voie réglementaire. Je ne peux pas adhérer à cette solution (Mme la ministre déléguée sen étonne.), étant donné les difficultés d’application des dispositions réglementaires d’un département à l’autre.

Par parallélisme des formes, c’est à la loi de modifier le dispositif légal actuellement en vigueur. Je ne vois pas pourquoi on recourrait à des normes hiérarchiquement inférieures.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Absolument !

Mme Nathalie Goulet. Pour ce faire, il faudrait que la présente proposition de loi soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, ce qui ne sera pas chose facile, à en juger par la position que vous venez de défendre à notre tribune.

Cela étant, cela ne coûte rien d’essayer, d’autant que ce texte est indispensable si l’on veut réellement simplifier la gestion de la défense extérieure contre l’incendie dans les territoires ruraux.

Dans l’intervalle, rien ne vous empêche, madame la ministre, de publier une circulaire. Vous nous montreriez ainsi votre bonne volonté, tout en laissant ce texte poursuivre son chemin. Les deux processus ne sont pas incompatibles. Il est possible, me semble-t-il, de mener les deux combats de front.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Tout à fait !

Mme Nathalie Goulet. Plus le dispositif que nous adopterons sera utile et facilitera la vie aux communes les plus rurales, moins cela leur coûtera d’argent et plus cela permettra de fixer une ligne de conduite claire aux préfectures. Et vous verrez que tout ira mieux ensuite.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Très bien !

Mme Nathalie Goulet. Je profiterai de la minute qu’il me reste, madame la ministre, pour faire le lien entre ce texte et la discussion que nous avons eue lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023.

J’ai été extrêmement surprise de constater que plusieurs amendements de bon sens, déposés en première partie du projet de loi de finances par Anne-Catherine Loisier, notamment ceux qui tendaient à la mise en œuvre de mesures fiscales en vue de favoriser l’aménagement et l’entretien des forêts, n’avaient pas du tout été pris en considération.

Madame la ministre, je pense que votre ministère devrait travailler de concert avec le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire et celui du budget pour prendre des mesures intelligentes et coordonnées dans ce domaine. La défense extérieure contre l’incendie, c’est aussi l’entretien des forêts ! Les deux sujets, défense incendie et protection des forêts, sont liés. (M. Jean-François Longeot applaudit.)

La preuve en est que vous avez vous-même cité tout à l’heure l’exemple d’un incendie qui, je crois, s’est déclaré dans le département de notre président de séance, l’Essonne.

Là encore, un travail devrait être conduit en amont pour préparer au mieux la prochaine loi de finances.

Au risque de me répéter, je pense qu’il est important de procéder par voie législative sur cette question. Rien ne vous empêche, madame la ministre, de prendre une circulaire ou toute autre mesure réglementaire : au contraire, les deux procédures peuvent se poursuivre en parallèle.

En attendant, notre groupe votera avec enthousiasme cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne surprendrai personne en disant combien les incendies dramatiques qui ont eu lieu au cours de l’été dernier ont marqué les esprits, et très singulièrement la population girondine. Madame la ministre, vous vous étiez d’ailleurs rendue sur place pour assurer la population et les communes de votre soutien.

Ces incendies ont contraint certains à une prise de conscience abrupte des risques encourus sur nos territoires. Et le réchauffement climatique, pour le dire très synthétiquement, démultipliera ces risques, ce qui appellera toujours plus de vigilance et d’anticipation de notre part.

Ces risques nécessiteront, d’abord, des moyens matériels et humains. C’est dans cette perspective que nous examinerons bientôt, ici, une proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie. Permettez-moi de souligner qu’au Sénat nous avons cette culture de l’anticipation.

Toutefois, en préalable de ce volet opérationnel, il existe un volet « planification » qui nécessite de mobiliser et d’actualiser les outils juridiques qui devront permettre de répondre au mieux à la réalité de nos territoires.

C’est dans cette perspective que je tiens à saluer l’initiative des auteurs de la proposition de loi, Hervé Maurey et Françoise Gatel.

Nous avons débattu au mois de janvier 2022 des conclusions du rapport d’information de nos collègues Hervé Maurey et Franck Montaugé, intitulé Défense extérieure contre lincendie : assurer la protection des personnes sans nuire aux territoires. Je profite de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui pour saluer leur implication sur le sujet.

Le rapport d’information soulignait que de nombreux maires nouvellement élus reconnaissaient ne pas être en mesure de s’approprier les enjeux liés à la Deci et de porter une appréciation sur cette politique à l’échelle de leur territoire par manque de compétences techniques.

À l’époque, Éric Gold était intervenu au nom du groupe du RDSE pour signaler que l’une des principales difficultés que posait la Deci résidait dans la complexité de ses règles et dans leur insuffisante adaptation aux réalités de nos communes. Cette remarque fut largement partagée sur toutes les travées de notre assemblée.

Nos administrations locales font donc face à un régime juridique particulièrement exigeant, lequel résulte du caractère périlleux de l’activité qu’est la Deci. Nous devons néanmoins trouver les moyens de le simplifier et de permettre un meilleur enchevêtrement des outils à notre disposition.

Je pense que cette proposition de loi y participe. J’en profite pour saluer le travail d’orfèvre du rapporteur, notre collègue Loïc Hervé.

Plutôt que de prévoir la concomitance de la révision du schéma départemental d’analyse et de couverture des risques et du règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie, comme le prévoyait le texte initial, le texte de la commission prévoit, dans son article 1er, d’inclure le RDDECI au Sdacr, afin de faire coexister les deux documents.

Bien entendu, il est difficile à ce stade de mesurer les incidences de cette modification, mais je ne doute pas que celle-ci participera, dans un souci d’efficacité, à l’effort de simplification de notre droit.

Dans ces conditions et pour ces raisons, le groupe du RDSE se prononcera unanimement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Kristina Pluchet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Kristina Pluchet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « assurer la protection des personnes sans nuire aux territoires », voilà tout l’enjeu de la défense extérieure contre l’incendie depuis l’application du décret du 27 février 2015.

C’est une conciliation difficile que j’appelle sincèrement de mes vœux dans mon département et que permettra cette proposition de loi.

Dans l’Eure, il ne se passe pas une semaine sans que je sois confrontée, lors de mes visites sur le terrain, à l’incapacité des maires de mettre en œuvre le règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie, soit parce qu’il est foncièrement irréalisable d’y parvenir, soit parce que l’application de ce règlement serait budgétairement insoutenable.

Le RDDECI, élaboré en 2017, prévoit un cadre uniforme pour nos 585 communes très rurales : il impose un point d’eau incendie tous les deux cents mètres, sans prendre en compte la diversité de l’habitat, qui est souvent diffus dans la plupart des communes de l’Eure.

Pour les unes, le manque de débit rend impossible l’installation de points d’eau supplémentaires ; pour d’autres, c’est l’absence de foncier disponible qui empêche la mise en place de bâches à eau ; pour d’autres encore, la mise en œuvre de toutes les préconisations en matière de défense extérieure contre l’incendie siphonne littéralement les capacités d’investissement de la commune pour plusieurs années.

Enfin, quand la mise aux normes n’est pas possible, les élus sont contraints de bloquer de nombreux permis de construire, ce qui est source d’incompréhension et de conflits avec leurs concitoyens. Aussi les élus exercent-ils leur mandat en craignant d’engager la responsabilité de la commune en cas de sinistre.

Pourtant, à l’origine, cette élaboration déconcentrée des règlements départementaux a été décidée pour que soit mise en œuvre une défense extérieure contre l’incendie évolutive, au plus près de la réalité des territoires et en concertation avec ces derniers.

Force est de constater que le dispositif a manqué sa cible dans un certain nombre de départements.

Le dernier rapport d’évaluation du Gouvernement, remis au mois de juin 2022 en application de la loi 3DS, dresse la liste des dysfonctionnements. Il reconnaît l’existence de crispations dans certains départements, essentiellement ruraux, et préconise pour ces cas emblématiques la révision et l’adaptation des règlements à un niveau infradépartemental.

D’après ledit rapport, l’Eure est l’illustration parfaite de la mise en place d’une défense extérieure contre l’incendie « coûteuse et pénalisante pour assurer la couverture incendie d’un bâti à risque très faible ». « Les distances et délais d’intervention » la rendraient « parfois inopérante ».

Mon département avait déjà tristement illustré un débat qui a eu lieu il y a plus d’un an dans cet hémicycle, en présence de la secrétaire d’État chargée de la biodiversité d’alors, Bérangère Abba.

Dans l’Eure, le montant des dossiers de demande de subvention au titre de la DETR pour des projets de défense extérieure contre l’incendie est vingt fois supérieur au montant moyen enregistré dans les autres départements ! Cela témoigne du caractère disproportionné de cette compétence pour l’État, le département et les communes, pour un résultat très en deçà des objectifs du règlement départemental.

Alors que d’autres départements sont parvenus à trouver une issue favorable aux situations de blocage, notamment grâce à des systèmes de dérogation, à une évolution des doctrines de lutte ou tout simplement par l’intermédiaire d’une révision de leur règlement départemental – dix-sept d’entre eux l’ont déjà fait –, je déplore que la situation ne s’améliore pas dans l’Eure.

Vous le comprendrez, mes chers collègues, je suis favorable, pour en revenir à l’esprit d’une défense extérieure contre l’incendie déconcentrée et évolutive, à ce que la loi encadre et prévoie une concertation qui se déroulerait de manière périodique : cela permettrait aux collectivités de trouver une issue favorable en cas de règlement trop uniforme et trop rigide.

L’intégration de ce règlement dans le schéma départemental d’analyse et de couverture des risques est une mesure cohérente, tout comme l’obligation, pour les départements dans lesquels sa révision est trop ancienne, de le réviser dans l’année qui suit l’adoption de ce texte.

Comme le souligne à propos le rapport du Gouvernement, l’effort en matière de défense extérieure contre l’incendie doit être pondéré par l’analyse pragmatique et locale du risque, la prise en compte de la disponibilité de la ressource et la nécessité d’éviter de faire peser des investissements hors norme sur les budgets des collectivités.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Eh oui !

Mme Kristina Pluchet. Enfin, la récurrence des feux d’une ampleur que nous n’avions pas l’habitude de voir nous invite à repenser le modèle de défense incendie et à l’adapter à nos ressources et à nos moyens. C’est ainsi que nous pourrons garantir la sécurité de nos concitoyens et de nos sapeurs-pompiers.

Je soutiendrai donc sans réserve la proposition de loi de mon collègue Hervé Maurey ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen. (M. Franck Menonville applaudit.)

M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la défense extérieure contre l’incendie est parfois mal identifiée, souvent assez mal comprise. Il s’agit pourtant d’un enjeu essentiel de sécurité publique, qui permet aux pompiers qui se rendent sur un feu d’exercer leurs missions dans les meilleures conditions possible.

La Deci a pour objet de garantir la ressource et l’alimentation correcte des points d’eau, d’assurer une localisation et une répartition efficace de ces derniers.

Il revient au maire ou au président de l’intercommunalité d’assumer cette compétence et cette responsabilité. Les élus locaux doivent bien sûr travailler main dans la main avec les Sdis.

Jusqu’en 2011, la Deci relevait d’une logique nationale : les normes s’appliquaient de façon uniforme et s’écartaient beaucoup des spécificités locales et du terrain. En 2011, en tant que maire et président de Sdis, j’ai apprécié de pouvoir bénéficier d’une forme de souplesse en élaborant les documents à l’échelle départementale. Il s’agissait d’une avancée extrêmement importante.

Ce fut et c’est toujours un travail considérable pour les pompiers et le maire ou le président d’un EPCI d’aboutir à un arrêté communal.

Les résultats sont plus ou moins probants et inégaux selon les départements et les travaux conduits par les Sdis. Les maires, surtout ceux des communes rurales, ne disposent pas toujours des moyens humains et matériels suffisants pour la réalisation de tels documents, qui restent assez complexes – même pour les spécialistes, reconnaissons-le.

Les difficultés sont d’autant plus importantes que les interlocuteurs sont multiples – c’est notamment le cas quand la distribution de l’eau est confiée en affermage – : difficultés pour obtenir des informations, difficultés pour engager un dialogue sur le sujet.

Si cette réforme a permis de véritables avancées, elle n’a pas eu tous les effets escomptés. C’est du reste pourquoi nous sommes réunis aujourd’hui.

Une grande partie des maires ont estimé, à juste raison, qu’ils n’avaient pas été suffisamment associés en amont à l’élaboration des nouvelles règles, ce qui fait que leur mise en œuvre a été compliquée dans un certain nombre de territoires.

Il faut également tenir compte du volet financier et des coûts d’investissement très importants auxquels les communes font face. Si on prend l’exemple d’une commune ayant plusieurs hameaux où il faut installer des points d’eau tous les deux cents ou quatre cents mètres, on comprend bien que les coûts engendrés sont parfois intenables.

À cet égard, mes chers collègues, pardonnez-moi la comparaison, mais il existe des systèmes, notamment en matière d’investissements pour les églises ou le patrimoine, par lesquels les préfectures autorisent des déplafonnements permettant d’obtenir des financements à 100 %… C’est peut-être vers ce type de solutions qu’il faut se tourner !

En tout cas, nous saluons le travail mené et les dispositions de la proposition de loi, telles qu’elles ont été modifiées par la commission. Elles permettent de remédier aux difficultés en incluant le RDDECI au sein du schéma départemental d’analyse et de couverture des risques, le fameux Sdacr, tout en associant davantage les maires à l’élaboration de ces documents.

Ces mesures apporteront une plus grande souplesse, notamment dans les territoires ruraux. Par ailleurs, la création de la commission de suivi renforcera la cohérence dans la couverture des risques et le bilan annuel servira d’évaluation préalable pour faciliter, à terme, l’application de ces mesures.

Ce texte répond aux attentes des élus locaux, mais nous devons, et c’est l’esprit de chacun ici, rester vigilants à ne pas perdre de vue l’objectif premier de la défense extérieure contre l’incendie, c’est-à-dire améliorer la sécurité publique et les capacités des pompiers à lutter contre le feu.

Les sénateurs du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans son dernier bulletin, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) alerte sur le faible niveau de nos nappes phréatiques : 80 % d’entre elles auraient un niveau inférieur à la moyenne et 45 % ont rejoint – et c’est inquiétant – le niveau « bas », voire « très bas ».

Depuis l’automne, en effet, les pluies ont été insuffisantes pour reconstituer ces nappes.

La situation ne va pas s’améliorer d’ici au printemps et au renouveau végétal, sans que l’on puisse compter sur la contribution hydrique du manteau neigeux dans les Pyrénées, qui est trop faible. Fait nouveau, cette situation touche l’ensemble du territoire et laisse augurer un été 2023 encore plus sec que le fut l’été 2022, et ce dans toutes les régions.

Ce n’est pas sans incidence sur le risque incendie dans les espaces naturels, mais également dans les communes bordant ces espaces. En Gironde, nous en avons fait la douloureuse expérience l’été dernier. Dans ce contexte, l’importance de la défense extérieure contre l’incendie doit être réaffirmée.

C’est dans cet état de vigilance que nous abordons l’examen de cette proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l’incendie à la réalité des territoires ruraux.

Il est vrai que, depuis sa modification par la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, l’application du nouveau cadre de la Deci n’est pas satisfaisante. Le rapport d’information de 2021 souligne la faible mise en conformité des communes à la loi, faute de schémas communaux nécessaires.

Cela est dû au déficit de concertation observé au moment de l’élaboration des règlements départementaux de défense extérieure contre l’incendie, mais aussi, et surtout, au coût de la mise en conformité, comme le rapport d’information le démontre largement. Il est indéniable que, pour de nombreuses petites communes, la création ou l’entretien des bouches d’incendie constitue une charge exorbitante, s’ajoutant à celle de l’entretien des canalisations d’eau courante auxquelles ces bouches sont rattachées.

Ce texte n’offre pourtant aucun instrument financier aux communes. Nous considérons, pour notre part, qu’un plan national d’accompagnement financier devrait être mis en place pour répondre à cette problématique transversale de la compétence communale de l’eau. Sans cela, toute initiative semble vaine. Je ne vous ai pas entendue, madame la ministre, mentionner ce sujet précis dans les propositions que vous avez avancées…

En définitive, l’efficacité des mesures proposées par nos collègues de l’Union Centriste pour améliorer l’application de la Deci dans tous nos territoires est très difficile à évaluer.

D’un côté, la clarification des procédures de concertation, la création d’une commission consultative dédiée et l’obligation d’information des communes en amont de l’adoption de réglementations départementales vont évidemment dans le bon sens et permettront de mieux accompagner les maires.

De l’autre, les dispositions qui permettent aux communes rurales de déroger aux normes de sécurité aujourd’hui prévues par le référentiel national risquent de faciliter la délivrance de permis de construire en zones non sécurisées, donc l’étalement urbain. Ce référentiel fixe les besoins objectifs en points d’eau et bouches d’incendie pour les pompiers. L’introduction de dérogations territoriales ne risque-t-elle pas d’affaiblir les capacités d’action de ces derniers ?

Quel est par ailleurs le sens de la création d’évaluations préalables des coûts financiers, urbanistiques et de développement économique, si ce n’est de justifier les dérogations pour les communes aujourd’hui moins exposées au risque incendie ? Celles-ci seront-elles à l’abri demain ? Cette solution reportant la charge sur les générations futures, nous avons déposé un amendement pour clarifier la mesure.

Dans l’intérêt des communes, nous proposerons enfin une nouvelle piste pour alléger leurs charges. Il s’agirait, comme le proposait d’ailleurs le rapport d’information, de dresser l’inventaire de tous les points d’eau incendie privatifs pour les intégrer aux schémas communaux et les substituer à des bornes communales. Cela permettrait d’intégrer les piscines privées ou toute étendue d’eau non potable, à condition que cela ne porte pas atteinte aux réserves de nos précieuses nappes phréatiques.

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons de voter le texte.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Dommage !

M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Dominique Théophile. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Hervé Maurey vise à adapter la défense extérieure contre l’incendie à la réalité des territoires ruraux. Elle s’inspire du rapport d’information que celui-ci a produit, au mois de juillet 2021, avec Franck Montaugé, au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Ce rapport d’information, consacré à la réforme de la défense extérieure contre l’incendie intervenue en 2011, formulait une série de recommandations permettant de faciliter son application dans les territoires ruraux. Certaines d’entre elles trouvent, ici, leur traduction législative.

Dans sa première mouture, le texte prévoyait une révision du règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie dans les six mois suivant la promulgation de la loi et après chaque révision du schéma départemental d’analyse et de couverture des risques. Il prévoyait également une meilleure concertation entre les élus et les acteurs concourant à la Deci, et proposait de faire précéder l’établissement du règlement d’une évaluation de ses conséquences financières, urbanistiques et économiques.

La commission des lois a profondément remanié le texte. Celui-ci propose désormais une fusion du règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie et du schéma départemental d’analyse et de couverture des risques, en faisant du premier un volet du second.

La commission a également voté la création d’une commission départementale de suivi de la Deci, chargée de procéder à l’évaluation régulière de l’état de la couverture des risques au regard des points d’eau situés sur le territoire et d’adresser au préfet de département des propositions d’évolution.

Si l’ambition de ce texte nous semble parfaitement louable – pour ne pas dire nécessaire – au regard des difficultés rencontrées dans de nombreux territoires et par de nombreux maires, et alors que le risque d’incendie se fait plus fort chaque année en raison du réchauffement climatique et des sécheresses à répétition, notre groupe est partagé sur la méthode proposée.

Outre les quelques doutes que nous émettons sur ce qui pourrait relever du domaine réglementaire plutôt que du domaine législatif – je pense notamment à la création de la commission départementale de suivi à l’article 2 –, d’autres mesures nous semblent plus contestables, à l’image de la fusion du Sdacr et du RDDECI, deux dispositifs de nature et de finalités différentes.

Par ailleurs, et c’est là peut-être ce qui nous retient le plus, il nous semble que ce débat trouverait sa place lors de l’examen de la proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, déposée notamment par notre collègue Jean Bacci.

Ce texte d’une petite quarantaine d’articles et d’une portée plus large que celui que nous examinons cet après-midi – cohérent, par ailleurs, avec la stratégie nationale et territoriale de lutte contre les incendies de forêt voulue par le Président de la République – nous apparaît comme le véhicule législatif le plus adéquat et le plus à même de prospérer.

En effet, la multiplication de textes sur le sujet, qui ont tous pour ambition de rendre la défense extérieure contre l’incendie plus lisible dans les territoires ruraux, ne concourt pas à la lisibilité de nos travaux.

En conséquence, le groupe RDPI salue le travail des auteurs de ce texte, mais s’abstiendra. (Marques de déception sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je salue les auteurs de ce texte, auxquels je me permets d’associer un coauteur putatif, mon ami et collègue Franck Montaugé. Nombre des travaux que nous menons au Sénat sont transpartisans : le sujet de la lutte contre l’incendie et la protection de nos concitoyens contre le risque incendie en fait partie.

L’action des pompiers, acteurs majeurs de la lutte contre l’incendie, est propice à un travail consensuel au sein de l’hémicycle. Sur toutes les travées de la Haute Assemblée, nous saluons évidemment leurs valeurs et leur engagement, tout comme nous partageons le souhait de leur exprimer notre reconnaissance.

Outre les nombreuses propositions de loi irriguant notre travail parlementaire – j’en ai dénombré au moins quatre entre 2021 et 2022 –, nous avons aussi beaucoup travaillé sur le statut des sapeurs-pompiers. À cet égard, je salue le travail de notre ancien collègue Roland Courteau sur leur régime de retraite. Voilà qui me permet de rappeler le nombre important d’amendements sur le sujet que nous avons défendus dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 que nous venons d’examiner pendant dix jours et dix nuits sans désemparer – un nombre remarqué notamment par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France.

Madame la ministre, vous avez indiqué que vous alliez vous inspirer de ce travail et le transformer en décision gouvernementale à caractère réglementaire.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Absolument !

M. Patrick Kanner. Permettez aux législateurs que nous sommes de poursuivre leurs travaux. Nous ne doutons pas de votre bonne volonté, mais nous préférons décider par nous-mêmes de ce qui relève de l’intérêt de notre pays, notamment des communes concernées !

Deux missions ont également été créées : d’une part, une mission de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, conjointe à la commission des affaires économiques et à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, dont les soixante-dix propositions ont été traduites dans une proposition de loi qui sera examinée en séance au début du mois d’avril prochain, d’autre part, une mission d’information lancée par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, ayant abouti à un rapport d’information de Franck Montaugé et Hervé Maurey – ou inversement, vous le mettrez dans l’ordre que vous souhaitez… (Sourires.) – remis au mois de juillet 2021.

Une proposition de loi a également été rédigée pour reprendre les mesures d’ordre législatif contenues dans ce rapport d’information. C’est en fait l’une des quatre mesures de ce texte que nous examinons aujourd’hui.

Un débat a été organisé au mois de janvier 2022, sur les conclusions de ce rapport d’information. À l’époque, le Gouvernement a indiqué avoir mandaté la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) pour la réalisation d’un audit, dont la publication me semble encore attendue. Aucun engagement précis n’a été formulé quant à la prise en compte des constats et des propositions du rapport sénatorial d’information. En revanche, le débat a mis en exergue une forme de déconnexion de l’exécutif quant à la réalité de la situation – cela étant, madame la ministre, j’ai bien entendu vos engagements sur le sujet.

De nombreux élus locaux font en effet état d’une inadaptation à leurs territoires des obligations en matière de défense extérieure contre l’incendie. Plusieurs millions de nos concitoyens ne seraient d’ailleurs pas correctement protégés contre le risque incendie. Bien que nous ne bénéficiions d’aucune statistique sérieuse sur la couverture effective du risque incendie, il est fort probable que les zones rurales, où se trouve l’habitat le plus déconcentré, soient plus particulièrement affectées par cette réforme. Quand on sait qu’un tiers de la population vit dans une commune rurale, le nombre d’habitants concernés est forcément inquiétant.

La compétence de la défense extérieure contre l’incendie, comme la police spéciale qui y est rattachée, relève du maire ou, si elle a été déléguée, de l’établissement public de coopération intercommunale.

Les difficultés évoquées par les élus locaux sont principalement liées à la prise en charge de cette défense par les petites collectivités, qui peinent à faire face aux dépenses d’investissement nécessaires.

Les impacts financiers pour la mise aux normes de la Deci ont conduit certaines communes à reporter des projets pourtant attendus par leur population ; les impacts en termes d’urbanisme ont également été soulignés.

Revenons un instant sur l’évolution de la politique de la Deci : reposant sur une logique nationale indifférenciée, elle a été réformée par la loi de 2011, qui a mis en place des déclinaisons départementales. Toutefois, son organisation n’ayant pas été prévue par cette réforme de 2011, la concertation a été laissée de facto à l’appréciation – souveraine, mais parfois inégalitaire – des préfets. Les expériences sont ainsi très différentes selon les départements.

Le texte soumis aujourd’hui à notre examen, mes chers collègues, prévoit la révision du règlement départemental dans un délai restreint, avec une meilleure concertation des élus et acteurs de la Deci. Il représente donc un progrès par rapport à la situation actuelle.

La mise en cohérence permettra d’apporter une vision plus globale et d’optimiser les moyens de lutte contre l’incendie.

Le dynamisme des travaux du Sénat témoigne de l’engagement de notre chambre, consciente du service de sécurité rendu à nos concitoyens, dans la défense ardente des conditions de travail des sapeurs-pompiers et la protection de notre population contre le risque incendie.

Très attaché à la concertation, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est nécessairement favorable aux dispositions contenues dans ce texte. Néanmoins, avec notre collègue Franck Montaugé – qui a fourni, sur le sujet, un excellent travail –, nous allons essayer de l’améliorer encore par nos amendements.

Nous serons – je le précise à l’attention de tous ici – à la hauteur de l’ambition des auteurs de cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de nos collègues Hervé Maurey et Françoise Gatel est la bienvenue et, je le dis d’emblée, nous la soutiendrons.

La défense extérieure contre l’incendie peut considérablement empoisonner la vie des communes rurales. Elle contribue au sentiment selon lequel, plus l’État abandonne ses propres missions, en particulier celles qui consistent à assurer l’égalité républicaine, plus il se fait exigeant et procédurier à l’égard des communes.

Les maires souhaitent assurer la protection des populations, mais, comme le dit à juste titre le rapporteur Loïc Hervé, « la déclinaison départementale du référentiel national de défense extérieure contre l’incendie sans concertation avec les élus, restrictive dans son schéma et parfois disproportionnée face au risque réel » va à l’encontre même des objectifs de protection de la population. Cela a été le cas dans mon département de la Seine-Maritime, avant que nous n’obtenions, avec de nombreux maires, une révision de ce règlement départemental.

Dans de trop nombreux départements, en effet, la déclinaison départementale du référent national ne prend pas en compte les réalités de terrain, alors que c’est précisément sa vocation.

Dans le cas que j’ai cité, il nous a fallu prendre l’initiative d’une consultation des communes du département, ce qui n’avait pas été fait, ou si peu, par les services de l’État.

Il nous a fallu multiplier les interventions auprès du préfet et du Gouvernement – ce dernier étant trop souvent sourd à ces interpellations –, en prenant appui sur le témoignage de près de 180 communes et l’expertise des maires.

Il nous a fallu mettre en avant les aberrations comme celles que subissaient des communes du bord de Seine, se voyant refuser la prise en compte du fleuve et la possibilité de s’y alimenter en eau dans leur schéma communal. Je citerai également le refus de prendre en compte la densité de l’habitat, celle-ci étant considérée comme urbaine, dès lors que l’on se situait entre les panneaux d’entrée et de sortie de bourg, ce qui a évidemment des conséquences en matière d’application de la règle des deux cents mètres ou quatre cents mètres.

Il nous a fallu alerter sur l’impossibilité objective de se conformer à la Deci, faute de débit d’eau suffisant, de foncier nécessaire pour installer bâches ou citernes enterrées, et, plus encore, sur l’impossibilité financière de s’y conformer, certaines communes étant contraintes de consacrer à cette défense le budget d’investissement d’au moins un mandat entier.

Il nous a fallu mettre en avant des propositions simples, pragmatiques, facilement réalisables et peu coûteuses dans un recueil remis au préfet et au Sdis pour faire la démonstration que des solutions de bon sens existaient.

Bref, il nous a fallu beaucoup d’énergie et plusieurs années de mobilisation.

Malheureusement, ce que nous sommes parvenus à faire en Seine-Maritime n’a pas pu être mis en place partout !

C’est toute l’utilité, à mes yeux, de cette proposition de loi.

Madame la ministre, je vous ai écoutée attentivement et je souhaite vous alerter sur la manière dont risque d’être accueilli votre refus de soutenir ce texte, au profit, si je peux le dire ainsi, de « vagues engagements » à travailler sur des mesures réglementaires. (Mme la ministre déléguée sétonne.)

Voilà des années que les élus de tous bords alertent le Gouvernement sur le sujet. À la suite de la remise du rapport d’information, déjà évoqué, de Franck Montaugé et Hervé Maurey, nous avons eu ici même un débat, au cours duquel, tous, nous avons alerté votre prédécesseur sur la nécessité de donner consigne aux préfets de faire bouger les choses. Rien n’a bougé !

De même, le Gouvernement est censé, de par la loi, remettre un rapport au Parlement. Cela n’a toujours pas été fait et nous nous en étonnons !

Je crois donc qu’il est nécessaire d’en passer par la loi.

Rassurez-vous, madame la ministre, cela n’épuisera pas le sujet. La question financière reste en effet en suspens : le financement de la Deci, même avec les assouplissements que nous pouvons apporter, demeure extrêmement lourd pour les communes ; sur ce sujet, nous avons également de nombreuses propositions à vous faire. Il existe des moyens pour alléger le poids pesant sur les communes, par exemple en le faisant porter plus sur les compagnies d’assurances,…

Mme Céline Brulin. … qui ont tout à gagner à voir la défense contre l’incendie améliorée partout dans le pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées des groupes SER et UC. – Mme Kristina Pluchet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Chaize. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dix ans seulement après l’entrée en vigueur de la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, de nombreuses insuffisances ont été relevées en matière de défense extérieure contre l’incendie, conduisant le Sénat à engager des travaux d’évaluation de la réglementation applicable.

Ces travaux ont abouti, au mois de juillet 2021, au très bon rapport d’information de nos collègues Hervé Maurey et Franck Montaugé – que je salue. La proposition de loi dont nous commençons l’examen, signée par Hervé Maurey et Françoise Gatel – que je salue également –, s’inscrit dans la continuité de ce rapport.

Du fait des enjeux juridiques et financiers importants qu’elle revêt pour les communes, en particulier rurales, la Deci est une préoccupation sensible pour les élus locaux.

Les règlements départementaux de défense extérieure contre l’incendie adoptés en 2017 dans la majeure partie des départements ont permis des avancées. Néanmoins, les mises en conformité ont un impact fort sur les communes en raison d’une responsabilité accrue des maires, chargés du pouvoir de police administrative spéciale, de la nécessité d’identifier les risques et de dimensionner les besoins en eau, de la mise en œuvre d’un service public de la Deci chargé de la création, de l’aménagement et du contrôle des points d’eau incendie, de la prise d’arrêtés communaux ou intercommunaux établissant a minima la liste des points d’eau incendie et, enfin, de la création de nouvelles charges dévolues aux communes, notamment financières.

Les enjeux de la réforme étaient importants, l’objectif étant de diminuer le recours à une gestion nationale de la Deci et de privilégier une approche réaliste et opérationnelle, mettant en adéquation les risques identifiés localement et les besoins en eau.

À l’échelon local, les règles sont toutefois jugées sévères et difficiles à mettre en œuvre, d’où la nécessité d’adapter le cadre actuel, qui plus est dans un contexte de réchauffement climatique et de recrudescence des incendies.

La mutualisation à l’échelle des territoires constitue un véritable levier. Elle est une source de rationalisation pour la planification et les achats, la maintenance et le contrôle périodique des points d’eau incendie. Ce levier peut présenter l’avantage de rapprocher au même niveau la gestion du service public de l’eau et de la Deci. Il réduit également le nombre d’interlocuteurs, facilite l’échange et le partage de données, notamment avec les Sdis.

Le texte qui nous est soumis constitue une avancée, que je salue. L’amélioration de la réglementation applicable à la Deci est une nécessité pour faciliter son exploitation.

Il y a lieu d’inciter à l’effort de mutualisation dans nos territoires ruraux, afin que la Deci puisse être assurée au travers de la mise en commun des ressources que chaque commune consacre, de son côté, à ce domaine.

Toutefois, il est aussi opportun de renforcer l’éligibilité des travaux en matière de Deci aux dotations de l’État et – pourquoi pas – de redéfinir un outil d’analyse de risque Deci communale qui soit plus accessible.

Je voterai avec enthousiasme cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Françoise Gatel et M. Hervé Maurey. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Édouard Courtial. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Édouard Courtial. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que notre pays a connu son année la plus chaude depuis le début des enregistrements, causant une sécheresse exceptionnelle, et que 80 % des nappes phréatiques atteignent un niveau inquiétant, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui et que j’ai cosignée a un écho bien particulier.

Ce texte fait suite à la saisine, par le président du Sénat, de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation d’une mission d’information sur un sujet que les communes rurales ne connaissent que trop bien, celui de la défense extérieure contre l’incendie.

La Deci vise à garantir l’alimentation en eau des moyens des Sdis par l’intermédiaire de points d’eau identifiés spécialement pour cela. Cette politique publique a longtemps été encadrée par voie réglementaire, avant d’être réformée par voie législative avec la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.

Plus de dix ans après l’entrée en vigueur de ce texte, de nombreuses insuffisances ont été relevées, ainsi que la nécessité de mieux associer les communes, ce qui a conduit le Sénat à procéder à l’évaluation de la réglementation applicable dans un rapport d’information du 8 juillet 2021 de notre collègue Hervé Maurey.

Dans la continuité de ce rapport d’information, et pour répondre aux difficultés d’application des règles rencontrées sur certains territoires, la présente proposition de loi tend à modifier les modalités de révision des règlements départementaux de défense extérieure contre l’incendie qui encadrent cet exercice pour prévoir une meilleure prise en compte des intérêts communaux.

Partageant, avec l’auteur de la proposition de loi, l’idée qu’il est nécessaire de renforcer la cohérence entre le règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie et le schéma départemental d’analyse et de couverture des risques, la commission a néanmoins estimé le dispositif proposé insuffisamment opérationnel. Elle l’a en conséquence simplifié et a renforcé sa portée, en prévoyant que le RDDECI, cadre d’organisation départemental de la défense extérieure contre l’incendie, constitue un volet à part entière du Sdacr, document stratégique pluriannuel de la couverture des risques de toute nature, présentant les garanties nécessaires d’association et de concertation des élus locaux pour son établissement.

Nous le savons, mes chers collègues, l’eau devient au même titre que l’énergie un enjeu majeur, y compris pour les collectivités locales, qui doivent faire face à sa pénurie. En outre, toute mesure pouvant conduire à une plus grande prise en compte des réalités locales, à une simplification et à davantage de concertation doit être soutenue. C’est pourquoi j’appelle évidemment à l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l’incendie à la réalité des territoires ruraux

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l'incendie à la réalité des territoires ruraux
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 7 rect. bis

Article 1er (nouveau)

Le chapitre IV du titre II du livre IV de la première partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° L’article L. 1424-7 est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est ainsi modifié :

– au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;

– est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Il comprend un volet relatif à la défense extérieure contre l’incendie, adopté dans les conditions définies au II. » ;

b) Au deuxième alinéa, le mot : « préfet » est remplacé par les mots : « représentant de l’État dans le département » ;

c) Après le quatrième alinéa, il est inséré un II ainsi rédigé :

« II. – Le schéma mentionné au I comprend un volet relatif à la défense extérieure contre l’incendie. Il fixe pour chaque département les règles, dispositifs et procédures de défense extérieure contre l’incendie en tenant compte, le cas échéant, d’un référentiel national dont le contenu est défini par décret en Conseil d’État et en les adaptant aux spécificités du territoire.

« Ce volet est établi sur la base de l’inventaire des risques du schéma mentionné au même I, d’une évaluation du service public de la défense extérieure contre l’incendie et en cohérence avec les autres dispositions dudit schéma. Il concourt à la couverture des risques inventoriés en favorisant un équilibre et une complémentarité entre les moyens déployés par les communes compétentes et, lorsqu’ils sont compétents, les établissements publics de coopération intercommunale en matière de défense extérieure contre l’incendie et par le service d’incendie et de secours.

« Il est élaboré par le service d’incendie et de secours, en concertation avec les maires et l’ensemble des acteurs concourant à la défense extérieure contre l’incendie. À cette fin et au plus tard six mois avant la révision du schéma mentionné audit I, le service d’incendie et de secours transmet pour avis un projet de révision du volet mentionné au présent II au conseil départemental ainsi qu’aux conseils municipaux des communes compétentes et, lorsqu’ils sont compétents, aux organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale situés sur le territoire du département. À défaut d’avoir été rendus dans un délai de deux mois, ces avis sont réputés rendus.

« Ce volet est arrêté par le représentant de l’État dans le département après avis du conseil d’administration du service d’incendie et de secours, en tenant compte des avis mentionnés au troisième alinéa du présent II.

« Il est révisé en même temps que le schéma mentionné au I. Par dérogation, il peut être modifié, à l’initiative du représentant de l’État dans le département et à tout moment, dans les conditions prévues au troisième alinéa du présent II sans qu’il soit nécessaire de réviser l’ensemble du schéma. » ;

d) Au début du cinquième alinéa, est ajoutée la mention : « III. – » ;

e) Le dernier alinéa est complété par les mots : « du I » ;

f) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article. » ;

2° L’article L. 1424-70 est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est ainsi modifié :

– au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;

– est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Il comprend un volet relatif à la défense extérieure contre l’incendie, adopté dans les conditions définies au II. » ;

b) Il est ajouté un II ainsi rédigé :

« II. – Le schéma mentionné au I comprend un volet relatif à la défense extérieure contre l’incendie. Il fixe les règles, dispositifs et procédures de défense extérieure contre l’incendie en tenant compte, le cas échéant, du référentiel mentionné au II de l’article L. 1424-7, et en les adaptant aux spécificités du territoire.

« Ce volet est établi sur la base de l’inventaire des risques du schéma mentionné au premier alinéa du I du présent article, d’une évaluation du service public de la défense extérieure contre l’incendie et en cohérence avec les autres dispositions dudit schéma. Il concourt à la couverture des risques inventoriés en favorisant un équilibre et une complémentarité entre les moyens déployés par les communes compétentes et, lorsqu’ils sont compétents, les établissements publics de coopération intercommunale en matière de défense extérieure contre l’incendie et par le service départemental-métropolitain d’incendie et de secours.

« Il est élaboré par le service départemental-métropolitain d’incendie et de secours, en concertation avec les maires et l’ensemble des acteurs concourant à la défense extérieure contre l’incendie. À cette fin et au plus tard six mois avant la révision du schéma mentionné au même I, le service départemental-métropolitain d’incendie et de secours transmet pour avis un projet de révision du volet mentionné au présent II au conseil départemental du Rhône, au conseil de la métropole de Lyon ainsi qu’aux conseils municipaux des communes compétentes et, lorsqu’ils sont compétents, aux organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale situés sur le territoire du département du Rhône. À défaut d’avoir été rendus dans un délai de deux mois, ces avis sont réputés rendus.

« Ce volet est arrêté par le représentant de l’État dans le département après avis du conseil d’administration du service départemental-métropolitain d’incendie et de secours, en tenant compte des avis mentionnés au troisième alinéa du présent II.

« Il est révisé en même temps que le schéma mentionné au I. Par dérogation, il peut être modifié, à l’initiative du représentant de l’État dans le département et à tout moment, dans les conditions prévues au troisième alinéa du présent II sans qu’il soit nécessaire de réviser l’ensemble du schéma. » ;

3° L’article L. 1424-91 est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est ainsi modifié :

– au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;

– est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Il comprend un volet relatif à la défense extérieure contre l’incendie, adopté dans les conditions définies au II. » ;

b) Il est ajouté un II ainsi rédigé :

« II. – Le schéma mentionné au I comprend un volet relatif à la défense extérieure contre l’incendie. Il fixe les règles, dispositifs et procédures de défense extérieure contre l’incendie en tenant compte, le cas échéant, du référentiel mentionné au II de l’article L. 1424-7, et en les adaptant aux spécificités du territoire.

« Ce volet est établi sur la base de l’inventaire des risques du schéma mentionné au premier alinéa du I du présent article, d’une évaluation du service public de la défense extérieure contre l’incendie et en cohérence avec les autres dispositions dudit schéma. Il concourt à la couverture des risques inventoriés en favorisant un équilibre et une complémentarité entre les moyens déployés par la collectivité territoriale en matière de défense extérieure contre l’incendie et par le service d’incendie et de secours de Saint-Barthélemy.

« Il est élaboré par le service d’incendie et de secours de Saint-Barthélemy, en concertation avec la collectivité territoriale. À cette fin et au plus tard six mois avant la révision du schéma mentionné au même I, le service d’incendie et de secours transmet pour avis un projet de révision du volet mentionné au présent II au conseil territorial. À défaut d’avoir été rendu dans un délai de deux mois, cet avis est réputé rendu.

« Ce volet est arrêté par le représentant de l’État à Saint-Barthélemy en tenant compte des avis mentionnés au troisième alinéa du présent II.

« Il est révisé en même temps que le schéma mentionné au I. Par dérogation, il peut être modifié, à l’initiative du représentant de l’État à Saint-Barthélemy et à tout moment, dans les conditions prévues au troisième alinéa du présent II sans qu’il soit nécessaire de réviser l’ensemble du schéma. »

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, sur l’article.

M. Franck Montaugé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon nom a été évoqué à plusieurs reprises au cours de cette discussion générale – cela n’était jamais arrivé. Pourtant, je ne suis pas signataire de ce texte.

Je rassure donc tous ceux ici qui pourraient penser que j’ai du dédain et peu d’intérêt pour le sujet. Vous vous en doutez, c’est tout le contraire, notamment eu égard au travail que j’ai pu réaliser avec mon collègue Hervé Maurey sous l’égide de la présidente de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Mme Françoise Gatel.

Je le dis sans acrimonie ni amertume : je regrette de n’avoir pas été sollicité pour signer ce texte. Il y avait toute matière à cela, d’autant que j’ai déjà signé par le passé une proposition de loi avec Hervé Maurey sur le même sujet, proposition de loi qui a dû rejoindre depuis les archives du Sénat. (Sourires.)

Ce n’est pas regrettable pour moi, mon petit cas personnel est sans importance. En revanche, c’est regrettable, et embêtant, pour l’esprit – tel que je l’ai perçu et compris en près de dix ans de mandat au sein de cette institution – qui préside à nos travaux, la reconnaissance que nous avons les uns envers les autres, quand bien même nous n’avons pas pris les mêmes engagements partisans.

C’est un coup de canif à cette façon de travailler que je crois très précieuse. Je le répète, c’est regrettable !

Je ne vais pas en faire des tonnes, mes chers collègues, mais je pense qu’il faut veiller – je le dis, en particulier, à l’attention de Françoise Gatel – à la façon dont on conduit collectivement les délégations, mais aussi les commissions et les autres organes de notre institution. (M. Mickaël Vallet applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, sur l’article.

M. Hervé Maurey. Mon cher collègue, comme vous le savez, nous examinons ce texte dans le cadre de l’ordre du jour réservé du groupe Union Centriste. C’est pourquoi cette proposition de loi, qui reprend en grande partie celle que nous avions signée tous deux, n’est présentée que par moi.

Madame la ministre, vous approuvez le constat que nous dressons et je m’en réjouis. Vous souscrivez à la philosophie du présent texte et je m’en réjouis également. Mais, malheureusement, vous n’y êtes pas favorable – c’est dommage ! – et vous proposez – c’est un grand classique depuis Clemenceau (Sourires.) – de créer une commission chargée d’examiner le problème en se penchant plus précisément sur quatre points. Je n’y reviendrai pas en détail, faute de temps, et me contenterai de formuler deux observations.

Premièrement, je note que vous êtes contre la commission d’élus que nous proposons. (Mme la ministre le confirme.) Vous devriez en parler avec M. Gérald Darmanin : j’ai ici un courrier du 24 octobre dernier où le ministre de l’intérieur écrit en toutes lettres qu’il proposera, par décret, la création d’une instance départementale spécifique.

Vous suggérez de renvoyer cette question à la CCDSA…

M. Loïc Hervé, rapporteur. Ça, ça ne va pas…

M. Hervé Maurey. Or c’est précisément ce que nous ne voulons pas. Pourquoi ? Parce que cette commission est composée de trois maires et de neuf représentants de l’administration. À mon avis, on peut faire beaucoup mieux pour relayer la voix des élus.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Bien sûr !

M. Hervé Maurey. Deuxièmement, parmi vos axes de travail, vous oubliez, sinon le cœur de ce texte, du moins l’un de ses points importants : la nécessité de réviser le schéma départemental.

Vous n’en parlez pas. Que fait-on dans les départements où cette révision est nécessaire ? En 2022, plus de soixante-dix d’entre eux n’avaient pas encore entamé ce travail.

À mon sens, il est utile que, après cinq ans, un bilan soit élaboré. Un certain nombre d’évolutions se font jour, qu’il s’agisse des risques ou des technologies. Un certain nombre de préfets ont engagé cette révision ; d’autres – je suis bien placé pour le dire – ne le veulent pas ou ne le peuvent pas.

Il est donc important que cette évolution soit prévue dans les textes ; mais, malheureusement, vous n’en faites pas du tout état.

M. le président. La parole est à M. Mickaël Vallet, sur l’article.

M. Mickaël Vallet. Je tiens à m’exprimer sur ce texte pour bien des raisons, et d’abord pour saluer le travail du Sénat sur un sujet qui préoccupe profondément les élus locaux : merci, d’une part, à MM. Maurey et Montaugé et, de l’autre, aux cosignataires de cette proposition de loi.

On est toujours tenté d’estimer que la règle commune doit s’appliquer aux autres, mais que sa propre collectivité a droit à une exception. C’est assez français ; c’est peut-être même assez humain.

Or, sur un sujet aussi sérieux que la sécurité incendie, il faut une règle claire. C’est une exigence républicaine ; et, à cette exigence, il faut répondre en tenant compte des réalités sur lesquelles les règlements actuels se fracassent.

C’est le cas dans le département de la Charente-Maritime, que j’ai l’honneur de représenter et qui, comme d’autres départements, présente tous les types d’habitats – villes denses, lotissements, bourgs, hameaux ou encore habitats très diffus.

Je salue donc cette proposition de loi ainsi que les amendements déposés, notamment, par les membres de mon groupe.

La concertation entre les élus, les représentants des Sdis et les préfets est le meilleur moyen d’atteindre l’optimum entre les exigences de sécurité et les ressources de nos communes. Il s’agit à la fois de partager intelligemment cette responsabilité, qui est loin d’être mineure, le diagnostic et les coûts correspondants.

C’est le maire qui connaît le mieux sa commune, mais c’est le Sdis qui connaît le mieux la réalité du risque et c’est le préfet qui, quand on lui laisse les marges de manœuvre nécessaires, sait appliquer efficacement la loi et le règlement. Faisons-leur confiance pour travailler ensemble et sortons du carcan actuel.

Ce nouveau cadre est très attendu en Charente-Maritime, en Haute Saintonge comme dans l’Aunis. Il est très attendu par le Sdis, qui, pour calibrer l’achat de ses engins, doit savoir ce que l’on attend de lui : les plans d’investissement sont d’une ampleur considérable.

J’invite le Sénat à adopter ce texte, quels que soient les amendements retenus, et le Gouvernement à s’en saisir.

Madame la ministre, il faut écouter le bon sens de la Haute Assemblée. Ne réinventez pas l’eau tiède : c’est d’eau tout court qu’il est question et le Sénat vous propose une solution clé en main ! (Mme Victoire Jasmin et M. le rapporteur applaudissent.)

M. le président. L’amendement n° 8, présenté par MM. Montaugé et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéas 8, 22 et 32

Supprimer les mots :

le cas échéant,

La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Avant de présenter cet amendement, je rappelle à mon tour que, en la matière, la principale question reste celle des moyens.

En projet de loi de finances, nous avons plusieurs fois essayé de réserver des crédits à la mise en conformité des réseaux de Deci : nous n’y sommes jamais parvenus. Le Gouvernement n’a jamais retenu nos propositions. Il est désormais urgent de dresser un état des lieux des réseaux de Deci aux échelles communale, départementale ou encore nationale.

Dans le cadre du travail que nous avons mené de concert, Hervé Maurey et moi-même n’avons pas pu obtenir un tel état des lieux. Or – je vous l’assure –, la conformité de ces réseaux est un sujet très préoccupant. Ce qui est en jeu, c’est la responsabilité juridique des maires, en tout cas dans les communes qui exercent cette compétence.

Nous avons su traiter de la sécurité des ponts et, aujourd’hui, les travaux de mise aux normes sont engagés. Le débat de ce soir se pose dans les mêmes termes, peut-être avec plus d’acuité encore.

Cette précision étant apportée, j’en viens à l’amendement n° 8.

Cette proposition de loi inscrit dans la loi le règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie sous la forme d’un volet complémentaire du Sdacr. Notre commission des lois a aussi donné valeur législative au référentiel national de défense extérieure contre l’incendie.

Néanmoins, le présent texte ne souligne pas suffisamment le lien fonctionnel entre le référentiel national et les règlements départementaux. Cet amendement a donc pour objet de supprimer les mots « le cas échéant » aux alinéas 8, 22 et 32 de l’article 1er, afin que les RDDECI soient réellement la déclinaison du référentiel national.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Loïc Hervé, rapporteur. Mon cher collègue, votre amendement tend à préciser que le RDDECI est obligatoirement conforme au RNDECI. Je comprends votre intention et tiens à vous remercier de votre lecture vigilante du texte de la commission. Toutefois, notre intention est beaucoup plus modeste.

Certes, les règlements départementaux ne sauraient s’exempter de la conformité au référentiel national. Mais, selon nous, mieux vaut éviter d’inscrire une telle obligation dans la loi, afin de ne pas avoir à rehausser au niveau législatif toutes les dispositions réglementaires relatives à ce référentiel.

Un tel changement serait lourd de conséquences. En effet, prévoir la conformité du règlement départemental à un document national que nous ne définissons pas dans la loi, nous exposerait à un risque d’incompétence négative.

Au-delà de ces considérations techniques, nous devons nous poser les questions suivantes : quelle est la valeur du règlement départemental ? Quelle est la valeur du référentiel national ?

Mes chers collègues, je vous rappelle que ce référentiel n’est en aucun cas un « super-règlement » national, mais un guide de bonnes pratiques.

Bref, je comprends l’intention des auteurs de cet amendement – je peux même la faire mienne –, dont la mise en œuvre aurait des conséquences juridiques insoupçonnées. Voilà pourquoi je demande son retrait. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Pour nous, les termes « le cas échéant » visent la nature même du RNDECI, qui – M. le rapporteur l’a très bien expliqué – constitue en fait un guide méthodologique.

C’est précisément pourquoi le Gouvernement émet un avis réservé sur l’article 1er : pourquoi vouloir conférer un caractère réglementaire au Sdacr, alors que ce n’est pas sa vocation ?

Je suis, moi aussi, défavorable à cet amendement.

M. le président. Monsieur Montaugé, l’amendement n° 8 est-il maintenu ?

M. Franck Montaugé. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 8 est retiré.

L’amendement n° 4 rectifié, présenté par M. Maurey, est ainsi libellé :

Alinéas 8 et 22, seconde phrase

Compléter ces phrases par les mots :

et aux différences objectives de situations dans lesquelles se trouvent les collectivités territoriales situées sur ledit territoire

La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Comme le souligne, notamment, le rapport du Gouvernement, le RNDECI n’a jamais exigé une couverture uniforme du risque incendie.

Ce rapport précise : « Il n’est pas concevable de demander à des communes peu peuplées de disposer d’une couverture identique à celle des communes urbaines. » C’est pourtant ce qui se passe dans un certain nombre de départements, dont celui que je représente.

Aussi, cet amendement tend à préciser que les règlements départementaux de défense extérieure contre l’incendie prennent en compte les spécificités, non seulement départementales, mais aussi infradépartementales, pour s’adapter aux risques de chaque territoire.

Par exemple, en bordure de forêt, les besoins de protection sont accrus. Le règlement doit s’adapter à la situation de chaque territoire composant le département et pas seulement au département dans son ensemble.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Loïc Hervé, rapporteur. Cet amendement tend à préciser que le volet Deci du Sdacr est tenu d’adapter les règles, dispositifs et procédures de Deci à l’échelle infradépartementale.

C’est une bonne idée : chaque territoire doit se voir appliquer des règles aussi adaptées que possible, conformément au principe de différenciation que le Sénat nous s’efforce d’étendre à de nombreux dispositifs législatifs.

Bien sûr, seule une vraie appropriation de ces documents par les acteurs locaux permettra de faire vivre effectivement la différenciation. Mais les dispositions de cet amendement aideront notamment à mieux prendre en compte les enjeux de la ruralité, qu’il s’agisse de la densité de population ou des spécificités de ces territoires en matière d’urbanisme.

C’est pourquoi la commission émet un avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Le Gouvernement partage pleinement la préoccupation de M. Maurey : les RDDECI doivent tenir compte de la grande diversité des territoires, qu’il s’agisse du niveau de risque à défendre ou de la densité de l’habitat.

Toutefois, sur le fond, le Gouvernement rappelle son avis réservé sur cet article, qui conduirait à conférer au Sdacr un caractère réglementaire alors que telle n’est pas sa vocation.

Ces précisions étant apportées, nous nous en remettons à la sagesse du Sénat.

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je souscris moi aussi à la philosophie de cet amendement : nous devons coller au plus près à la réalité du terrain.

Sur ce sujet, chacun a en tête des cas particuliers. Pour ma part, je pense à la commune de Saint-Martin-d’Ordon, dans le département de l’Yonne, à laquelle on refuse un certain nombre de déclarations préalables pour l’implantation de panneaux photovoltaïques. Un point d’eau se trouve pourtant à moins de 100 mètres, mais son débit est légèrement inférieur à 30 mètres cubes, limite fixée par le règlement départemental.

Or les bornes ne sont pas les seuls équipements permettant d’éteindre un incendie : s’y ajoutent les moyens prépositionnés d’un certain nombre de centres de secours, qui, parfois, sont eux aussi à proximité. Le terrain dont il s’agit est proche d’une autoroute et de sites classés Seveso : différents moyens peuvent donc, très vite, être déployés sur place.

Une vision infradépartementale ne peut que favoriser le travail d’analyse, en conciliant la sécurité et le développement des territoires. Aussi, les dispositions de cet amendement me semblent frappées au coin du bon sens.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 3, présenté par M. Maurey, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 9

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ces règles doivent prendre en compte les moyens financiers des communes et des établissements de coopération intercommunale compétents en matière de défense extérieure contre l’incendie.

II. – Alinéa 23

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ces règles doivent prendre en compte les moyens financiers des collectivités compétentes en matière de défense extérieure contre l’incendie.

II. – Alinéa 33

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ces règles doivent prendre en compte les moyens financiers de la collectivité territoriale.

La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Dans certains cas, l’application des règles imposées aux communes entraîne, pour ces dernières, des coûts littéralement insoutenables.

Cet amendement vise à préciser que le règlement départemental doit, à l’avenir, prendre en compte les moyens financiers des communes et des EPCI lorsqu’ils sont compétents. Il faut s’assurer que, demain, nous n’aurons plus de règlement imposant aux communes des charges tout simplement impossibles à assumer.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Loïc Hervé, rapporteur. Cet amendement tend à prévoir que le volet Deci du Sdacr prend en compte les moyens financiers des communes et, le cas échéant, des EPCI compétents.

Je comprends l’intention de son auteur ; mais, tout en le suivant sur les autres points qu’il soulève, je tiens à exprimer une nuance à cet égard.

Cet amendement est satisfait, dans son intention, par un amendement adopté par la commission des lois sur mon initiative : ce dernier tend à prévoir que le volet Deci du Sdacr favorise « un équilibre et une complémentarité entre les moyens déployés par les communes compétentes et, lorsqu’ils sont compétents, les établissements publics de coopération intercommunale en matière de défense extérieure contre l’incendie et par le service d’incendie et de secours. »

Le texte de la commission contient déjà des dispositions qualitatives et quantitatives : il souligne la nécessité d’un équilibre et d’une complémentarité entre les moyens du Sdis et ceux des communes.

Il importe de préserver cette rédaction. Si nous options pour des termes aussi précis que ceux proposés par M. Maurey, nous devrions revoir un certain nombre de formulations, notamment au sujet des moyens techniques des Sdis, afin de trouver un nouvel équilibre.

En outre, nous devons garantir la précision de la législation en évitant, autant que possible, les périphrases. C’est le meilleur moyen de conserver un dispositif juridiquement opérant, a fortiori si nous visons une adoption par l’Assemblée nationale et – pourquoi pas ? – une adoption conforme.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Madame la ministre, telle est mon ambition…

M. Loïc Hervé, rapporteur. Je souhaite que ce texte soit voté par l’Assemblée nationale. Dès lors, mieux s’en tenir au texte de la commission sur ce point.

Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Je m’en remets à la sagesse de la commission des lois.

M. le président. Monsieur Maurey, l’amendement n° 3 est-il maintenu ?

M. Hervé Maurey. M. le rapporteur m’assure que la rédaction retenue par la commission des lois traduit déjà la préoccupation que j’exprime. Je lui fais confiance et je retire mon amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 3 est retiré.

(M. Roger Karoutchi remplace M. Vincent Delahaye au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi

vice-président

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. J.B. Blanc, Allizard, Anglars, Bascher et Belin, Mme Belrhiti, M. Bouchet, Mme Bourrat, MM. Brisson, Burgoa et Cambon, Mme Canayer, MM. Chaize et Charon, Mme Chauvin, MM. Courtial, D. Laurent et Darnaud, Mmes Di Folco, Drexler, Dumont et Estrosi Sassone, MM. Favreau et B. Fournier, Mmes Garnier, Garriaud-Maylam, F. Gerbaud, Gosselin et Goy-Chavent, M. Gremillet, Mme Gruny, M. Hugonet, Mme Imbert, MM. Klinger, Laménie et Lefèvre, Mme Lherbier, M. Milon, Mme Noël, MM. Pointereau, Reichardt, Saury, Sol et Somon et Mme Ventalon, est ainsi libellé :

Alinéas 10 et 24, première phrase

Remplacer la seconde occurrence du mot :

et

par les mots :

, notamment les maires des communes rurales, ainsi que

La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc.

M. Jean-Baptiste Blanc. Compte tenu de l’intitulé du présent texte, « proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l’incendie à la réalité des territoires ruraux », il me paraît important de préciser que le volet relatif à la défense extérieure contre l’incendie du schéma d’analyse et de couverture des risques est élaboré avec les maires, notamment les maires ruraux.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Loïc Hervé, rapporteur. Mon cher collègue, il va sans dire que, dans cette assemblée, nous chérissons la ruralité et les maires des communes rurales.

Vous souhaitez que ces élus bénéficient d’une prise en compte particulière, mais tel est déjà le cas dans cette proposition de loi, telle que nous l’avons réécrite.

De plus, dans un département rural, les maires ruraux sont par définition ultramajoritaires parmi les élus locaux. Ils le seront également dans les instances de concertation que nous avons prévues. La nouvelle précision que vous proposez ne me semble pas utile.

La commission des lois émet, en conséquence, un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Le Gouvernement s’en remet à l’avis de M. le rapporteur.

Mme Françoise Gatel. Quelle sagesse ! (Sourires.)

M. le président. Monsieur Blanc, l’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?

M. Jean-Baptiste Blanc. Il y a des départements où les maires ruraux ne sont pas spécialement représentés et où ils espèrent être associés à ce type de décisions. C’est tout le sens de cette demande de précision.

Je maintiens mon amendement, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 9, présenté par MM. Montaugé et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 11

Remplacer les mots :

du conseil d’administration du service d’incendie et de secours, en tenant

par les mots :

conforme du conseil d’administration du service d’incendie et de secours, qui tient

II. – Alinéa 25

Remplacer les mots :

du conseil d’administration du service départemental métropolitain d’incendie et de secours, en tenant

par les mots :

conforme du conseil d’administration du service départemental métropolitain d’incendie et de secours, qui tient

La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Cet amendement tend à préciser que le volet du Sdacr relatif à la Deci est arrêté par le préfet après avis conforme du conseil d’administration du service d’incendie et de secours (Casdis), cet avis conforme devant lui-même tenir compte des avis du conseil départemental, des conseils municipaux des communes compétentes et, le cas échéant, des organes délibérants des EPCI compétents dans le ressort du département.

Sur la base des constats figurant dans le rapport, précédemment cité, que j’ai rédigé avec Hervé Maurey, il s’agit de tirer les conséquences des défauts des RDDECI.

On l’a rappelé à de multiples reprises au cours de la discussion générale, un certain nombre de communes ont été confrontées aux très lourdes conséquences budgétaires de ces règlements, lesquelles excèdent largement leurs capacités financières et obèrent leurs marges de manœuvre sur d’autres projets communaux attendus par la population.

Grâce à cette exigence de conformité, l’on tiendrait réellement compte des possibilités des communes et, plus largement, des territoires.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Loïc Hervé, rapporteur. Mon cher collègue, je comprends votre intention.

Je rappelle toutefois que le règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie est aujourd’hui adopté après un avis simple du Casdis.

L’ajout d’une telle condition nuirait à la cohérence de notre position, qui tend précisément à mieux inclure les élus dans la conception du volet Deci du Sdacr. D’une certaine manière, il lierait également le pouvoir du préfet.

Je ne suis pas toujours le défenseur de l’autorité préfectorale. Mais, en l’espèce, il s’agit à mon sens d’une de ses responsabilités importantes et l’avis simple est préférable à l’avis conforme.

Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. L’association des représentants des collectivités territoriales dans la définition des stratégies de Deci doit certes être améliorée, mais l’effort passe avant tout par son inscription dans la durée, notamment au travers d’une instance départementale de suivi. Il n’impose pas d’assortir les avis recueillis d’un caractère conforme.

Je rappelle une nouvelle fois l’avis réservé que, dans sa substance même, l’article 1er inspire pour partie au Gouvernement : il conduirait à conférer au Sdacr un caractère opposable, alors que telle n’est pas sa vocation.

Le Gouvernement demande lui aussi le retrait de cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Avec cet amendement, nous souhaitons aussi attirer l’attention sur les enjeux financiers auxquels nombre de communes font face.

On demande aux collectivités territoriales d’engager des investissements au titre de la défense extérieure contre l’incendie. Tôt ou tard, l’ensemble des parties prenantes devront prendre leurs responsabilités, car il faut garantir in fine des réseaux conformes aux règlements édictés et, surtout, à même de protéger nos compatriotes contre le risque d’incendie.

Telle est la vraie difficulté à laquelle nous sommes confrontés. Telle est aussi l’ambition de cette proposition de loi.

Un avis conforme permettrait une plus grande responsabilisation des acteurs pour aller dans ce sens. En l’état, le présent texte ne permettra pas de traiter la question de fond.

Nous aurons légiféré une fois de plus, mais nous resterons à côté du sujet. J’y insiste, toutes les parties prenantes doivent mobiliser les moyens nécessaires, conformément à leurs responsabilités.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 9.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l'incendie à la réalité des territoires ruraux
Article 2

Après l’article 1er

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par MM. Montaugé et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le deuxième alinéa du B du I de l’article L. 5211-9-2 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Sans préjudice de l’article L. 2212-2 et par dérogation à l’article L. 2213-32, lorsqu’un groupement de collectivités est compétent en matière de défense extérieure contre l’incendie, les maires des communes membres de celui-ci ou membres d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre membre du groupement de collectivités peuvent transférer au président de ce groupement, à l’unanimité, des attributions lui permettant de réglementer l’activité de défense extérieure contre l’incendie. »

La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Cet amendement vise à permettre le transfert de la police spéciale de la Deci au président du groupement de collectivités à l’unanimité des membres de ce dernier. La précision a son importance. Elle signifie qu’un tel transfert ne serait en aucun cas une contrainte.

Cette faculté peut être mise en œuvre dans une perspective de rationalisation et de mutualisation, pour accroître l’efficience de la défense extérieure contre l’incendie. Je le répète, il ne s’agirait pas d’une contrainte ou d’une obligation, car l’unanimité serait requise. En procédant ainsi, on irait dans le bon sens.

M. le président. L’amendement n° 10 rectifié, présenté par MM. Montaugé et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le deuxième alinéa du B du I de l’article L. 5211-9-2 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Sans préjudice de l’article L. 2212-2 et par dérogation à l’article L. 2213-32, lorsqu’un groupement de collectivités est compétent en matière de défense extérieure contre l’incendie, les maires des communes membres de celui-ci ou membres d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre membre du groupement de collectivités peuvent transférer au président de ce groupement des attributions lui permettant de réglementer l’activité de défense extérieure contre l’incendie. »

La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Cet amendement tend à permettre le transfert de la police spéciale de Deci aux syndicats compétents. Ce faisant, l’on améliorera l’articulation entre les différents acteurs.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Loïc Hervé, rapporteur. La commission demande le retrait de l’amendement n° 7 rectifié bis. En effet, ses dispositions lui semblent parfaitement satisfaites par le droit existant, en particulier depuis l’adoption de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS.

L’article L. 5211-61 du code général des collectivités territoriales (CGCT) dispose ainsi qu’en matière de défense extérieure contre l’incendie « un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou un établissement public territorial (EPT) peut transférer toute compétence à un syndicat de communes ou un syndicat mixte sur tout ou partie de son territoire ou à plusieurs syndicats situés chacun sur des parties distinctes de son territoire ». (Mme la ministre le confirme.)

Quant à l’amendement n° 10 rectifié, il tend à préciser que le président d’un syndicat des eaux peut exercer un pouvoir de police en matière de défense extérieure contre l’incendie lorsqu’il exerce cette compétence. Il s’agit d’une bonne idée.

Cette disposition, à laquelle la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises s’est d’ailleurs déclarée favorable dans son rapport, me semble de bon aloi. Elle permettra une meilleure efficacité de l’action publique en la matière. J’émets, partant, un avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Le Gouvernement est défavorable aux deux amendements. (Protestations sur des travées du groupe SER.)

Mme Céline Brulin et M. Hervé Maurey. Pourquoi ?

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Madame la ministre, nous souhaiterions obtenir quelques explications de votre part, en particulier au sujet de l’amendement n° 10 rectifié.

Monsieur le rapporteur, vous relevez que les dispositions de l’amendement n° 7 rectifié bis figurent déjà dans la loi 3DS. Il ajoutait toutefois la notion d’unanimité. Ce point n’est sans doute pas majeur, mais il a son importance.

Cela étant, je retire cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis est retiré.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Je dois effectivement une réponse à M. Montaugé !

L’amendement n° 10 rectifié tend à créer une possibilité de transfert de la police spéciale de la défense extérieure contre l’incendie au bénéfice du président d’un groupement de collectivités territoriales compétent en matière d’eau.

Actuellement, la police spéciale de la Deci peut être transférée facultativement au président d’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre compétent en matière de Deci.

Monsieur le sénateur, le transfert que vous proposez de créer devrait nécessairement être conditionné par le fait que le groupement de collectivités considéré dispose de la compétence en matière de service public de Deci, laquelle est distincte du service public de l’eau. En effet, l’adoption de votre amendement risquerait de permettre une séparation entre l’exercice de la compétence et celui de la police spéciale.

En conséquence, je vous confirme l’avis défavorable du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Madame la ministre, je vous signale que M. Montaugé a rectifié son amendement pour prendre en compte les différentes observations que vous venez de formuler.

M. Franck Montaugé. Mme la ministre n’a peut-être pas reçu la bonne version !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur, je n’ai probablement pas sous les yeux la bonne version de cet amendement, mais je vous fais confiance et je m’en remets à l’avis de la commission.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.

Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 7 rect. bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l'incendie à la réalité des territoires ruraux
Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 6 (début)

Article 2

Après l’article L. 2225-2 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2225-2-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 2225-2-1. – I. – Dans chaque département, une commission départementale de suivi de la défense extérieure contre l’incendie est chargée de favoriser l’adéquation entre les objectifs de couverture des risques mentionnés au I de l’article L. 1424-7 et la création, l’aménagement et la gestion des points d’eau mentionnés aux articles L. 2225-1 et L. 2225-2.

« À cette fin, la commission procède à l’évaluation régulière de l’état de la couverture des risques au regard des points d’eau situés sur le territoire du département et adopte annuellement un rapport en faisant état, qu’elle communique aux conseils municipaux des communes compétentes et, lorsqu’ils sont compétents, aux organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale ainsi qu’au conseil d’administration du service d’incendie et de secours. Ce rapport peut faire état des conséquences du fonctionnement du service public de défense extérieure contre l’incendie en matière budgétaire, d’urbanisme et de développement économique. L’année précédant la révision prévue au quatrième alinéa du I de l’article L. 1424-7, le conseil d’administration du service d’incendie et de secours peut décider que ce rapport vaut évaluation du service public de la défense extérieure contre l’incendie, telle qu’elle est prévue au II du même article L. 1424-7. La commission formule toute proposition d’évolution qu’elle juge pertinente et l’adresse au représentant de l’État dans le département.

« II. – La composition de la commission est arrêtée par le représentant de l’État dans le département.

« Les membres, qui ne peuvent être membres du conseil d’administration du service d’incendie et de secours et dont le nombre ne peut excéder trente, sont désignés sur proposition des associations des maires du département parmi les membres des conseils municipaux des communes compétentes et, lorsqu’ils sont compétents, des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale en matière de défense extérieure contre l’incendie. La répartition des sièges au sein de la commission assure la représentation démographique et géographique des établissements publics de coopération intercommunale et des communes compétents.

« Par dérogation, le nombre de membres et la composition de la commission départementale de suivi de la défense extérieure contre l’incendie peuvent être déterminés par délibérations concordantes du conseil départemental, des conseils municipaux des communes compétentes et, lorsqu’ils sont compétents, des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale en matière de défense extérieure contre l’incendie, prises à la suite d’un renouvellement général des conseils municipaux et au plus tard six mois après celui-ci. Le représentant de l’État dans le département arrête le nombre de membres et la composition de la commission ainsi déterminés.

« Les membres de la commission exercent leurs fonctions à titre gratuit.

« III. – Le président de la commission départementale de suivi de la défense extérieure contre l’incendie est élu parmi ses membres maires, adjoints aux maires ou conseillers municipaux des communes compétentes en matière de défense extérieure contre l’incendie.

« La commission organise librement ses travaux et leur publicité dans le cadre de son règlement intérieur. Elle est assistée dans ses travaux par des représentants du directeur départemental du service d’incendie et de secours désignés par lui.

« La commission se réunit au moins une fois par an à l’initiative de son président ou, dans la limite d’une réunion par an, à la demande d’un tiers de ses membres, sur un ordre du jour déterminé.

« Le représentant de l’État dans le département et le président du conseil départemental sont informés des réunions de la commission départementale de suivi de la défense extérieure contre l’incendie. Ils prennent part aux réunions avec voix consultative, à leur demande.

« La commission peut associer à ses travaux tout élu ou organisme non représenté. Elle peut solliciter l’avis de toute personne ou de tout organisme.

« IV. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article. »

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, sur l’article.

M. Vincent Segouin. Madame la ministre, on vient de le dire, les communes sont aujourd’hui soumises à l’impératif légal de disposer de réserves d’eau d’au minimum 30 mètres cubes pour répondre aux « risques faibles isolés », situées à des distances oscillant entre 200 et 400 mètres des habitations.

Dans mon département de l’Orne, un tiers des communes ne sont pas aux normes, comme d’ailleurs de nombreuses communes rurales partout en France.

Une solution pourrait être mise en place pour compenser ces manques, qui représentent des dangers notamment pour les sapeurs-pompiers : la fourniture de camions-citernes de grande capacité de 10 à 15 mètres cubes. Mais les préfets n’osent pas mettre en place cette solution, n’ayant pas de cadre législatif ou réglementaire pour le faire explicitement. Ces camions, qui viendraient en complément des réserves d’eau des communes, seraient en nombre suffisant pour quadriller le département et ne feraient pas l’objet d’un transfert de responsabilité.

Il conviendrait donc d’élargir les moyens pour parvenir aux objectifs opérationnels de la Deci. Le recours aux camions-citernes de grande capacité doit être clairement précisé dans le référentiel national prévu à l’article R. 2225-2 du CGCT qui a été introduit par le décret du 27 février 2015 relatif à la défense extérieure contre l’incendie.

La mise en œuvre de ce dispositif serait une décision simple et efficace, attendue par les acteurs de terrain : il n’appartient qu’à vous, madame la ministre, de l’engager par voie réglementaire. Pour votre information, si vous souhaitez expérimenter cette mesure, sachez que le département de l’Orne se porte volontaire !

M. le président. L’amendement n° 5, présenté par M. Maurey, est ainsi libellé :

Alinéa 3, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

et aux parlementaires élus dans le département

La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Cet amendement prévoit que le rapport annuel rendu par la commission départementale chargée du suivi de la défense extérieure contre l’incendie soit adressé aux parlementaires du département.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Loïc Hervé, rapporteur. L’avis est défavorable pour une raison simple : nous sommes en train de créer cette commission, à laquelle nous souhaitons laisser la plus grande possible liberté pour organiser ses travaux. La transmission de ce rapport aux parlementaires est une bonne idée, mais je ne suis pas persuadé qu’il faille en faire une contrainte, en instaurant une obligation législative.

Puisqu’il s’agit d’élus locaux qui ne sont pas membres du conseil d’administration du Sdis, il est préférable de leur faire totalement confiance pour organiser leurs travaux et en faire la publicité.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. En introduction de l’article 2, et pour répondre à M. Maurey, j’aimerais rappeler, et peut-être clarifier, ma proposition : je souhaite que la problématique de la Deci soit évoquée au sein d’une instance départementale existant déjà, la commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité, présidée par le préfet.

Cette commission traite de sujets liés au risque incendie, en associant les acteurs locaux, dont les maires. Je propose de créer en son sein une formation spécialisée – une sous-commission en quelque sorte – sur la Deci, qui pourrait remplir les mêmes missions que celles qui sont prévues dans votre proposition de loi.

Mon plan d’action est le suivant : je souhaite, vous l’aurez compris, prévoir une extension des compétences de la CCDSA, instituée par un décret du 8 mars 1995, par voie réglementaire. Cette commission associerait l’ensemble des acteurs territoriaux de la Deci et demeurerait placée sous la présidence du préfet.

En effet, le préfet est le détenteur, à l’échelon départemental, de la compétence de police générale au titre de laquelle il arrête le règlement départemental de Deci, dont l’instance de concertation qui doit être créée aurait pour but d’assurer le suivi.

Pour ce qui en est de l’amendement n° 5, nous suivons l’avis défavorable de la commission.

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.

M. Hervé Maurey. Madame la ministre, puisque vous revenez sur ce que nous avons précédemment évoqué – c’est un constat, et non un reproche ! –, je vous apporterai la même réponse.

Vous proposez de donner à la CCDSA la compétence que nous voulons, pour notre part, confier à la commission que nous créons, conformément – je le redis – au souhait du ministre de l’intérieur. Cette solution ne nous convient pas pour la simple et bonne raison que cette commission est composée – là encore, je le répète – de trois élus et de neuf fonctionnaires.

Je respecte tout à fait les fonctionnaires, mais je ne pense pas que ces neuf personnes et les trois élus puissent représenter la volonté des communes, notamment rurales, comme l’a dit notre excellent collègue.

Je maintiens mon amendement qui prévoit simplement la transmission du rapport de la commission aux parlementaires. Car nous ne cessons tous de nous plaindre dans cette assemblée à longueur de journée que, en raison notamment de la suppression du cumul des mandats, nous ne sommes aujourd’hui plus au courant de rien, que nous ne savons plus ce qui se passe dans les commissions, ce qui se dit au cours des différentes réunions…

Il s’agit donc d’assurer le suivi d’un règlement qui concerne l’ensemble des élus, en application d’un texte que nous sommes en train d’adopter. Il me paraît important d’écrire noir sur blanc que le rapport devra nous être transmis, afin que nous ne soyons pas obligés de mendier ou supplier pour avoir communication de ce document.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Mon cher collègue, l’association des parlementaires aux travaux du département depuis la fin du cumul des mandats pourrait faire l’objet d’une autre proposition de loi.

On ne le dit jamais assez, les parlementaires, même au titre du pouvoir de contrôle qui leur est reconnu par la Constitution, ont énormément de difficultés à se tenir au courant de ce qui se passe. Mais si l’on commence à faire figurer dans tous les textes que l’ensemble des documents élaborés par les commissions départementales doivent être transmis aux parlementaires, nous allons alourdir le droit !

Puisque la commission des lois vous propose, mon cher collègue, de créer une commission d’élus locaux indépendante – ce n’est pas du tout l’idée de Mme la ministre –, qui éclairera les travaux du conseil d’administration du Sdis et du préfet, laissons-lui un peu de liberté, nous qui chérissons, à la fois, la décentralisation et la liberté des élus locaux, et n’ajoutons pas une telle disposition dans le texte !

Si le Sénat vote l’amendement, cela ne posera certes pas de grandes difficultés. Mais gardons à l’esprit pour la suite de nos travaux que ce genre de disposition risque vraiment d’alourdir le droit !

M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour explication de vote.

Mme Laurence Harribey. Je souscris à l’argumentation du rapporteur. On ne va pas utiliser ou instrumentaliser un texte qui vise à renforcer la capacité d’action des élus locaux pour essayer d’améliorer l’information des parlementaires… Je comprends tout à fait l’intention de l’auteur de l’amendement, mais le problème est différent.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.

Mme Céline Brulin. J’entends les arguments du rapporteur, mais peut-être devriez-vous, madame la ministre, nous envoyer un signe dès à présent en vous engageant à fournir le rapport que le Gouvernement devait, au titre de la loi 3DS, porter à la connaissance du Parlement sur la question de la défense contre l’incendie, ce qu’il n’a pas fait.

Mme Céline Brulin. Nous ne prenons pas un plaisir particulier à lire des rapports, mais on constate que ce sujet préoccupe de nombreux départements, et encore davantage les communes qui ne parviennent pas à se mettre en conformité avec les exigences de la défense incendie, même avec la meilleure volonté du monde.

Je soupçonne – et je l’affirme sans l’avoir lu, puisqu’il ne nous a pas été remis ! – que ce rapport conforte ce que nous disons et qu’il fournit, comme l’avait déjà fait le rapport de MM. Montaugé et Maurey, des pistes pour non seulement contrôler le Gouvernement, mais aussi améliorer la situation.

Je me souviens que le rapport de nos collègues indiquait que 7 millions de nos concitoyens n’étaient pas couverts par la défense incendie – la situation a dû sûrement s’améliorer depuis – en raison de l’impossibilité pour les communes de répondre aux exigences qui leur sont imposées. Le sujet est donc bien réel.

Madame la ministre, nous souhaitons que ce rapport nous soit remis.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Vous avez tort de « soupçonner », madame la sénatrice, car le rapport a été transmis à la commission des lois, et sera communiqué à l’ensemble des parlementaires.

Mme Céline Brulin. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 13 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 3, deuxième phrase

Compléter cette phrase par les mots :

au regard de l’état de connaissance des conséquences climatiques sur le risque incendie dans le territoire concerné

La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. J’ai précédemment évoqué les inquiétudes quant aux conséquences de cette proposition de loi sur les normes d’installation des points d’eau incendie dans les communes. Je pense au remplacement des règlements départementaux par le volet relatif à la Deci des schémas départementaux d’analyse et de couverture des risques, mais aussi aux évaluations préalables des conséquences financières, urbanistiques et sur le développement économique afin de prévoir des dérogations pour les communes les moins exposées aux incendies.

Dans les prochaines années, sous l’effet du réchauffement climatique en cours, de la multiplication des sécheresses et de la raréfaction des ressources en eau, le risque incendie va croître sur l’ensemble de notre territoire. Afin de s’y préparer, il convient que les études préalables sur l’installation des bouches d’incendie communales intègrent ces perspectives climatiques.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Loïc Hervé, rapporteur. Étant donné la gravité du sujet, notamment pour le département de la Gironde, département dans lequel la question de l’herméticité entre le Sdacr et le règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie s’est posée, la commission a décidé, ce matin, de s’en remettre à la sagesse de notre assemblée.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 13 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 12 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dossus, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 3, après la deuxième phrase

Insérer deux phrases ainsi rédigées :

Ce rapport établit un inventaire de l’ensemble des points d’eau disponibles sur le territoire, publics ou privés, dont le volume dépasse 5 000 litres. Cet inventaire inclut les piscines privatives mais exclut les points d’eau constitués au moyen du pompage des nappes phréatiques.

La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Cet amendement vise à compléter la proposition de loi par l’une des recommandations du rapport d’information du 8 juillet 2021 relatif à la défense extérieure contre l’incendie.

Sur le recensement de l’ensemble des points d’eau, les rapporteurs indiquent, à la page 54, que « la Deci repose sur une équation à plusieurs variables à pondérer, parmi lesquelles la disponibilité d’une ressource en eau, le débit de cette ressource et la distance entre celle-ci et la zone à défendre […]. L’enjeu consiste à trouver le point d’équilibre entre ces différentes contraintes et à optimiser la combinaison de ces variables. Dès lors, l’un des leviers sur lesquels il apparaît judicieux de jouer réside dans la prise en compte de l’ensemble de la ressource en eau. En effet, optimiser cette ressource permet d’alléger les exigences sur les autres variables, en particulier la distance. »

Cet amendement permet de remplacer les obligations communales de création de bouches d’incendie par une meilleure prise en considération de l’ensemble des ressources en eau, y compris privées, déjà présentes sur le territoire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Loïc Hervé, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable. Nous voulons laisser une certaine liberté aux commissions départementales, aux élus et aux techniciens départementaux pour identifier les points d’eau. Nous n’allons pas lister ici les lacs, mares, étangs, cours d’eau, etc. On en reviendrait au code civil d’il y a plus de deux cents ans !

Prévoyons une rédaction large et n’introduisons pas, de grâce, ce genre de disposition dans la loi ! Je comprends l’esprit de l’amendement, qui a du sens, mais qui est beaucoup trop précis pour être intégré dans le texte.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Nous comprenons aussi l’esprit de l’amendement, mais nous émettons un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. Mes chers collègues, pour vous faire sourire, les piscines privatives doivent-elles être pleines d’eau ou vides ? (Mme Monique de Marco sexclame.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 12 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. J.B. Blanc, Allizard, Anglars, Bascher et Belin, Mme Belrhiti, M. Bouchet, Mme Bourrat, MM. Brisson, Burgoa et Cambon, Mme Canayer, MM. Chaize et Charon, Mme Chauvin, MM. Courtial, D. Laurent et Darnaud, Mmes Di Folco, Drexler, Dumont et Estrosi Sassone, MM. Favreau et B. Fournier, Mmes Garnier, Garriaud-Maylam, F. Gerbaud, Gosselin et Goy-Chavent, M. Gremillet, Mme Gruny, M. Hugonet, Mme Imbert, MM. Klinger, Laménie et Lefèvre, Mme Lherbier, M. Milon, Mme Noël, MM. Pointereau, Reichardt, Saury, Sol et Somon et Mme Ventalon, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Après les mots :

maires du département

insérer les mots :

, dont l’association départementale des maires ruraux,

La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc.

M. Jean-Baptiste Blanc. Dans le même ordre d’idées que mon amendement précédent, je propose de préciser que les membres de la commission départementale de suivi soient désignés sur proposition des associations des maires du département, dont l’association des maires ruraux.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Loïc Hervé, rapporteur. Le Sénat a adopté précédemment un joli « notamment », dont la commission des lois a horreur !

Votre amendement relève du même esprit, mon cher collègue. Mais il n’existe pas d’association des maires ruraux dans tous les départements. Par ailleurs, si nous mettons l’association départementale des maires ruraux au même niveau que l’association départementale des maires, alors nous aurons des demandes des communes forestières, des petites villes, des villes moyennes, des intercommunalités, et de toutes les associations d’élus qui seraient légitimes à être autour de la table.

Je reprends un argument que j’ai déjà cité : dans un département rural, où les maires ruraux sont très majoritaires, ils sont aussi très majoritaires dans l’association départementale des maires – l’ensemble de ces associations étant fédérées au sein de l’Association des maires de France.

C’est la raison pour laquelle il ne nous est pas apparu pertinent de mettre ces deux types d’associations au même niveau, sauf à élargir la composition de la commission à toutes les associations d’élus qui voudraient donner leur avis en la matière.

La commission des lois est donc défavorable à l’amendement, même si l’on comprend la nécessité de représenter les maires ruraux à la hauteur qu’ils méritent.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Le Gouvernement émet aussi un avis défavorable sur cette mention spécifique.

Vous l’aurez compris, nous sommes extrêmement réservés sur l’ambition que traduit cet article 2 et sur la pertinence de la création par la loi d’une nouvelle instance. D’autant que la composition prévue n’intègre pas l’ensemble des acteurs territoriaux de la Deci.

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour explication de vote.

M. Jean-Baptiste Blanc. Je persiste dans ma position : on m’a parlé de très nombreux cas dans lesquels les règlements départementaux n’ont pas été soumis à la consultation des maires ruraux. Quand ça fonctionne, il n’y a pas de problème ; mais, dans de nombreux endroits, ça ne fonctionne pas !

Il me paraît donc important de faire figurer dans la loi la représentation des élus ruraux. Je ne vois pas où est la difficulté.

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Le cinquième alinéa de l’article 2 prévoit que les membres soient désignés « sur proposition des associations des maires du département ». Il me semble que si l’on parle « des » associations, cela n’en couvre pas qu’une. Il peut y avoir, au sein d’un département, plusieurs associations : l’AMF d’un côté, l’AMRF (Association des maires ruraux de France) de l’autre.

Je me demande si l’on ne peut pas considérer, au bénéfice du débat que nous sommes en train d’avoir, que le texte tel qu’il est rédigé englobe d’autres types d’associations de maires, qui peuvent être plus sectorielles. À tout le moins, la rédaction ne me semble pas l’exclure.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour explication de vote.

M. Jean-Marie Mizzon. Les départements sont variés : urbains, ruraux, ou bien duals, comme c’est le cas du département d’où je viens, qui est à la fois urbain et rural.

L’expérience montre qu’il est bon, comme le propose systématiquement le préfet de mon département, d’inviter les deux associations de maires, qui ont toutes les deux une compétence générale – ce ne sont pas des associations thématiques, par exemple de protection de la forêt ou des cours d’eau. Les deux associations se distinguent par la taille des communes qu’elles représentent. Force est de reconnaître qu’il s’agit d’un véritable sujet.

Je voterai l’amendement proposé par notre collègue Jean-Baptiste Blanc, car il va dans le bon sens en respectant la diversité des situations que connaissent nos communes.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour explication de vote.

M. Jean-François Longeot. Dans mon département du Doubs, il existe une association des maires ruraux et une association dépendante de l’Association des maires de France. Le président de l’association départementale des maires de France siège à l’association des maires ruraux, et inversement.

Il serait incompréhensible que l’une puisse participer à la commission départementale et pas l’autre. L’argument selon lequel il n’y a pas forcément, dans tous les départements, d’associations de maires ruraux peut s’entendre, mais ce n’est pas une raison suffisante pour rejeter l’amendement de M. Blanc. Pour ma part, je le voterai.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Je ne veux pas qu’il y ait d’ambiguïté : il ne faut pas prendre mon avis défavorable pour une hostilité à l’égard des territoires ruraux. Je viens moi-même d’un département dont une grande partie est rurale.

Je dis simplement que, si l’on adoptait ce type d’amendement, alors les communes forestières, dont un certain nombre d’entre nous ici proviennent, pourraient en toute légitimité vouloir être membres de cette commission qui traite de la défense extérieure contre l’incendie. Il n’y aurait rien d’illogique à cela !

Soit on reconnaît la juridiction de l’Association des maires de France et de ses déclinaisons départementales que sont les associations départementales ; soit on ouvre complètement la composition de la commission, comme l’a dit Jean-Baptiste Lemoyne, à toutes sortes d’associations générales, comme l’association départementale des maires ou l’association départementale des maires ruraux, ou d’autres encore : elles auraient toute légitimité à être représentées.

Nous avons eu ce débat encore récemment au sein de la commission des lois. Personnellement, je préférerais en rester à une acception assez restrictive, avec la seule association départementale des maires, car elle couvre la plupart des communes.

Je le redis, mon avis ne traduit pas une hostilité vis-à-vis des maires ruraux, mais si on entrouvre la porte, nous aurons forcément d’autres demandes.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, il existe peut-être une solution. Vous nous avez indiqué que vous vouliez prendre des mesures réglementaires qui correspondraient peu ou prou à la proposition de loi. Vous pourriez donc, dans le cadre de ce dispositif, donner instruction à vos services de consulter l’ensemble des associations présentes dans le département – chaque département ayant sa propre structure et pouvant avoir plusieurs démembrements de différentes associations. Cette mesure permettrait de régler ce problème.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.

(Larticle 2 est adopté.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l'incendie à la réalité des territoires ruraux
Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 6 (fin)

Après l’article 2

M. le président. L’amendement n° 6, présenté par M. Maurey, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Par dérogation au neuvième alinéa de l’article L. 1424-7 du code général des collectivités territoriales et aux derniers alinéas des articles L. 1424-70 et L. 1424-91 du même code, les révisions des volets relatifs à la défense extérieure contre l’incendie des schémas départementaux d’analyse et de couverture des risques prévues à ces alinéas interviennent dans les douze mois suivant la publication de la présente loi si les règlements départementaux de défense contre l’incendie ou tout règlement d’application locale s’y substituant sur le territoire couvert par les schémas précités n’ont pas été révisés pendant les cinq années qui précèdent la promulgation de la présente loi.

La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Cet amendement vise à prévoir, dans l’année qui suit la promulgation de la loi, une révision de l’ensemble des schémas qui ne l’auraient pas été depuis leur élaboration, c’est-à-dire au cours des cinq dernières années.

On l’a évoqué lors de nos débats cet après-midi, dans de nombreux départements, les règlements n’ont pas été mis à jour. Il nous semble donc utile d’en faire un bilan. Comme nous avons eu l’occasion de le dire, certaines situations ne peuvent perdurer.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Loïc Hervé, rapporteur. La commission s’en remet à la sagesse du Sénat.

Je vois très bien les situations auxquelles Hervé Maurey fait allusion – le département de l’Eure est notamment concerné. Après la promulgation de la loi, il faudrait prévoir le type de dispositif qu’il propose : son amendement est donc tout à fait bienvenu.

Je ne reprendrai pas la parole pour explication de vote sur l’ensemble du texte ; aussi, à ce stade, je tenais à vous dire, madame la ministre, que, si nous divergeons sur la manière d’agir – vous par le règlement, nous par la loi –, nous devons saisir au bond votre proposition de travailler sur les quatre thématiques que vous avez évoquées dans votre discours.

Je vous demanderai de prendre en compte les différents éléments soulevés lors de la discussion générale par nos collègues : je pense notamment à l’intervention de Nathalie Goulet et à celle de Vincent Segouin sur l’adéquation des moyens matériels dans les départements.

Ces éléments de réflexion sont importants. On pourrait faire d’énormes économies avec une simple adaptation de la norme en matière de matériels, notamment s’agissant des matériels roulants qui sont désormais tout à fait adaptés.

Nous sommes donc d’accord pour travailler avec vous, mais il faut que vous preniez en compte – j’y insiste – les observations faites par mes collègues lors de la discussion générale.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Je m’en remets à la sagesse de la commission.

Monsieur le rapporteur, je suis ravie que vous acceptiez que nous travaillions ensemble en prenant en compte les propositions intéressantes faites par les différents sénateurs.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Le groupe socialiste va voter ce texte.

Je le redis, notre groupe s’inquiète des difficultés que rencontrent, dans de nombreux territoires, les élus, qui sont directement et personnellement responsables, pour mettre en conformité leur réseau de défense extérieure contre l’incendie. Les moyens ne sont pas à leur disposition pour ce faire.

Je profite de l’occasion pour saluer les services d’incendie et de secours qui, malgré la situation – certains d’entre eux nous ont alertés –, font face pour lutter contre le feu. Ils se débrouillent toujours pour trouver des solutions, afin de minimiser les dégâts et d’éviter, la plupart du temps, les pertes humaines. Mais l’inquiétude demeure. Je veux attirer l’attention du Gouvernement sur ce point.

Certains préfets acceptent qu’une partie de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) soit consacrée à la mise en conformité des réseaux. Il faut aller bien au-delà. La DETR est une enveloppe constante : ce que l’on consacre à un domaine ne l’est pas à un autre, et on ne peut pas faire plus. La budgétisation au niveau national est un véritable sujet.

Pour terminer, Françoise Gatel, Hervé Maurey et moi-même avions rencontré le ministre de l’intérieur, M. Darmanin, à l’occasion de la préparation de notre rapport : il nous a indiqué vouloir conduire un audit interne sur le sujet au sein de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, et il a donné suite à cette annonce, puisque j’ai été entendu en tant que corapporteur. Il serait intéressant, pour autant que ce soit possible, que nous puissions prendre connaissance des conclusions de ce rapport d’audit interne relatif à la Deci sur l’ensemble du territoire national du point de vue de la sécurité civile.

Nous voterons ce texte, qui constitue un pas dans le bon sens, même s’il en faudra beaucoup d’autres !

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Nous soutenons ce texte, tout comme les initiatives que vous prendrez, madame la ministre.

Je veux revenir sur la proposition d’expérimentation qui avait été faite lors de la discussion budgétaire. Le dispositif ornais est tellement intéressant que j’avais proposé au rapporteur d’entendre le président du département. Je n’ai pas réitéré ma proposition aujourd’hui, mais mon collègue Vincent Segouin l’a fait. Le dispositif est coûteux, mais je suis sûre que nous trouverons le moyen de le mettre en place.

Quoi qu’il en soit, les maires attendent des mesures urgentes. Je l’ai dit lors de la discussion générale, il s’agit d’un irritant supplémentaire, d’un frein à l’urbanisation dans les départements et à la construction dont nous avons impérativement besoin pour nos territoires ruraux. Vous avez fait des propositions ; nous vous attendons sur ces sujets.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Nous allons voter cette proposition de loi qui améliorera les choses, ce qui réjouira, je le pense, de nombreuses communes. Le sujet ne sera malheureusement pas épuisé. J’entends dans ce qui est dit par les uns et par les autres, y compris par vous, madame la ministre, la volonté de continuer à travailler ensemble pour améliorer le dispositif.

Je voudrais moi aussi insister sur le coût qui reste extrêmement important pour les communes, même lorsqu’on trouve des solutions de bon sens, en bonne intelligence. La DETR ne peut être le seul vecteur de financement, notamment parce que cela se fait alors au détriment d’autres projets locaux : les communes qui n’ont pas amélioré leur défense incendie vont devoir retarder d’autres projets.

Mme Céline Brulin. Ce point mérite d’être examiné.

Nous attendons aussi la mise en place d’une sorte d’agrément des bureaux d’études qui accompagnent les communes. Car, pour le dire de manière triviale, certains ont la main un peu lourde, autant dans les études qu’ils fournissent que dans le nombre de points incendie qu’ils proposent d’installer.

Comme dans d’autres domaines, un agrément ministériel permettrait de juger de la probité de ces bureaux d’études, le mieux étant encore ce que nous avons obtenu en Seine-Maritime à force de revendications : la mise à disposition d’agents par le Sdis pour mieux accompagner les collectivités dans la définition de leur schéma communal.

Une autre piste évoquée dans le rapport d’information de nos collègues consiste à évaluer et à comparer les coûts assumés, d’un côté, par les Sdis et, de l’autre, par les communes. Il s’agit dans les deux cas d’argent public ; nous veillons tous à ce qu’il soit utilisé le mieux possible. Parfois, il est préférable d’équiper les Sdis et de les autoriser à réaliser des investissements qui ne pèseront pas sur les communes, lesquelles contribuent à leur financement.

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 6 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l'incendie à la réalité des territoires ruraux
 

5

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 est parvenue à l’adoption d’un texte commun. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Loïc Hervé. Incroyable !

6

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à garantir la continuité de la représentation des communes au sein des conseils communautaires
Article additionnel avant l'article unique - Amendement rectifié n° 1 bis (début)

Représentation des communes au sein des conseils communautaires

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi tendant à garantir la continuité de la représentation des communes au sein des conseils communautaires, présentée par Mme Françoise Gatel et plusieurs de ses collègues (proposition n° 860, texte de la commission n° 379, rapport n° 378).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Gatel.

Mme Françoise Gatel, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chers collègues, l’égalité de représentation des femmes et des hommes est un principe constitutionnel depuis 1999. Ainsi, pour les communes de plus de 1 000 habitants, le législateur a instauré une règle de parité pour la composition du conseil municipal, mais également pour la représentation de ces communes au conseil communautaire. Ces dispositions ont montré leur efficacité puisque, à l’issue du renouvellement de 2020, le nombre de femmes conseillères communautaires a augmenté de plus de quatre points et atteint désormais près de 39 %.

Le sujet de la parité dans l’intercommunalité et des progrès qui peuvent être faits en la matière est souvent évoqué. Il convient toutefois de rappeler que l’intercommunalité n’est pas une collectivité, mais un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ; les conseillers sont donc directement issus des élections municipales, puisqu’ils sont les représentants de leur commune. De ce fait, comme dans les syndicats, la composition de l’assemblée communautaire se doit de respecter chaque élection municipale.

Cependant, la règle est que, en cas de vacance d’un siège de conseiller communautaire au cours du mandat, le respect du principe de parité continue à s’appliquer : le siège de conseiller communautaire devenu vacant doit obligatoirement être pourvu par un élu communal du même sexe dans les communes disposant de plusieurs sièges au conseil communautaire.

Cette règle de parité peut donc aboutir à une vacance durable, provoquant la sous-représentation problématique et contestable d’une commune au sein de son EPCI. Ces situations de sous-représentation commencent à émerger : on en observe à Reims, au Havre, à Fécamp, mais aussi dans de petites communes de la Nièvre ou de Vendée – je pense à Talmont-Saint-Hilaire.

Ce problème est particulièrement aigu pour les petites communes qui ne disposent que de peu de conseillers communautaires, mais il peut toucher aussi celles de plus de 1 000 habitants. Ainsi, il est susceptible d’aboutir à une grave diminution de leur représentation au sein du conseil communautaire. Le législateur avait d’ailleurs perçu, dès le départ, ces difficultés en prévoyant une dérogation au principe de remplacement par un élu du même sexe pour les communes ne disposant que d’un seul conseiller communautaire.

Il convient donc – c’est l’objet de cette humble proposition de loi – de corriger cette rupture d’égalité pour les communes de plus de 1 000 habitants : pourquoi l’amoindrissement de la représentation serait-il toléré dans certains cas et pas dans d’autres ?

Je voudrais en cet instant rassurer mes collègues qui pourraient craindre que cette proposition de loi ne porte atteinte à la parité. La plupart des exemples que j’ai cités laissent à penser que, dans beaucoup de cas, ces dispositions risquent de bénéficier aux femmes, car, à ce jour, les démissions frappent plus les hommes. Je n’en connais pas la raison, n’ayant pas fait de diagnostic : je laisse chacun apprécier. (Mme Cécile Cukierman sexclame.)

En outre, cette application stricte du principe de parité peut aboutir à ce que j’appellerai des accidents démocratiques fâcheux, comme un amoindrissement des droits de l’opposition. En effet, une commune peut perdre toute représentation au conseil communautaire quand elle dispose d’un seul siège, alors même que le « pluralisme des courants d’idées » a acquis valeur constitutionnelle.

Comme je l’indiquais, si aujourd’hui encore ces situations sont peu nombreuses, nul ne peut ignorer le risque de leur multiplication du fait de la crise de l’engagement. Je rappelle l’augmentation préoccupante des démissions d’élus municipaux depuis 2020 : le nombre de démissions de maires s’élève, mes chers collègues, à 930 ; je ne connais pas, à ce stade, le nombre de démissions de conseillers municipaux, mais la situation est grave.

Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi de remercier très chaleureusement notre rapporteure Nadine Bellurot pour la grande qualité de son travail et pour son écoute. N’oublions pas que la question de l’intercommunalité nécessite encore beaucoup d’apaisement et que l’engagement, comme la démocratie, est à l’heure actuelle en grande fragilité.

Avec humilité, madame la rapporteure, monsieur le président, madame la ministre, disons que ce petit pas législatif qui vous est aujourd’hui proposé peut être considéré comme un grand pas pour la démocratie. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nadine Bellurot, rapporteure de la commission des lois. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’auteur de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui entend répondre à un problème ponctuel, mais qui mérite toute notre attention : les vacances durables de siège au sein des conseils communautaires, faute de candidats de même sexe pour remplacer le conseiller démissionnaire.

Dans un contexte de crise des vocations et de désintérêt croissant pour le mandat communautaire, les exemples locaux de telles vacances se multiplient et aboutissent parfois à des situations ubuesques, comme cela a été rappelé par l’auteure de la proposition de loi.

Ce constat semble d’ailleurs partagé par certains de nos collègues députés. Élodie Jacquier-Laforge et Raphaël Schellenberger, dans leur rapport intitulé Parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal, rappelaient « les marges de manœuvre […] nulles » des élus locaux face à une telle obligation.

L’ancien ministre des collectivités territoriales Joël Giraud, répondant à une question écrite de Françoise Gatel, avait lui-même constaté que « ces situations, qui sont exceptionnelles, pourraient faire l’objet d’une attention particulière à l’occasion d’un prochain vecteur législatif ». Nous y voilà !

Cette situation de vacance est particulièrement préjudiciable – cela a été précisé – aux communes et aux intercommunalités à trois égards.

Premièrement, la vacance d’un siège aboutit à un amoindrissement de la représentation d’une commune au sein du conseil communautaire, alors même que les intercommunalités sont désormais titulaires de nombreuses compétences, qu’elles exercent souvent sur l’ensemble de leur périmètre.

Deuxièmement, dans certains cas, une telle vacance conduit à un amoindrissement des droits de l’opposition, qui peut se retrouver privée de représentation au sein du conseil communautaire faute d’un réservoir de candidats de même sexe, fléchés ou non, suffisant.

Troisièmement, des vacances durables sont préjudiciables au bon fonctionnement des EPCI à fiscalité propre eux-mêmes, dont les décisions pourraient être considérées comme entachées d’un défaut de représentativité et de légitimité, en cas d’équilibre fragile de représentation entre, d’une part, la ville-centre et, d’autre part, les communes de plus petite taille. Nous connaissons tous cela.

La solution aux difficultés des élus semble pourtant parfaitement simple : une fois qu’est constatée l’impossibilité, faute de candidats, du remplacement d’un conseiller communautaire par un conseiller municipal de même sexe, pourquoi ne pas donner la faculté de le remplacer par un conseiller d’un autre sexe ?

L’auteur de la présente proposition de loi apporte une solution pragmatique et encadrée en prévoyant, pour les seules communes de plus de 1 000 habitants…

Mme Françoise Gatel. Tout à fait !

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. … représentées par plusieurs sièges au conseil communautaire, et « lorsqu’il n’existe pas de conseiller municipal » de même sexe candidat à ce siège, de le pourvoir « par le premier candidat élu conseiller municipal […] suivant sur la liste des candidats aux sièges de conseiller communautaire sur laquelle le conseiller à remplacer a été élu, sans tenir compte de son sexe. Lorsqu’il n’y a plus de candidat élu conseiller municipal […] pouvant pourvoir le siège sur la liste des candidats au siège de conseiller communautaire, le siège est pourvu par le premier conseiller municipal […] élu sur la liste […] n’exerçant pas de mandat de conseiller communautaire, sans tenir compte de son sexe ».

Ce dispositif me paraît constituer un point d’équilibre satisfaisant entre, d’un côté, l’exigence d’égale représentation des hommes et des femmes et, de l’autre, l’indispensable représentation juste et continue des communes au sein des conseils communautaires.

Ce dispositif n’étant applicable qu’aux communes de plus de 1 000 habitants représentées par plusieurs sièges au conseil communautaire, seules 30 % de ces collectivités seraient concernées. Je souhaite être claire sur ce point : il ne s’agit pas ici de modifier la situation des communes de moins de 1 000 habitants.

Ainsi, n’enlevant rien au droit existant, ces assouplissements éviteraient, par tous les moyens, une vacance de siège, qui n’est jamais souhaitable, et opéreraient une nouvelle conciliation des principes de parité et de représentation des communes au sein des conseils communautaires afin d’éviter, comme c’est le cas actuellement, que l’un de ces principes fasse échec à l’autre.

La principale originalité du dispositif est de n’être applicable qu’à l’issue de la première année du mandat, ce qui permet d’écarter toute possibilité de contournement pour affaiblir l’application du principe de parité par des démissions en cascade dès les élections passées.

La rédaction de la proposition de loi initiale a été retravaillée en commission afin de s’assurer que le dispositif ne s’applique qu’à compter d’une année suivant la date d’installation du conseil municipal, qu’il soit issu du renouvellement général ou d’un renouvellement local. Aucune vacance intervenue dans le délai d’un an à compter du début de mandat ne pourrait donc se voir appliquer les dispositions de la proposition de loi.

Je termine mon intervention en remerciant Françoise Gatel pour la qualité de sa rédaction et pour le travail que nous avons pu accomplir ensemble durant l’élaboration de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, madame la sénatrice Françoise Gatel, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes aujourd’hui réunis, dans le cadre de l’ordre du jour réservé du groupe Union Centriste, pour étudier la proposition de loi de la sénatrice Françoise Gatel visant à garantir la continuité de la représentation des communes au sein des conseils communautaires. De fait, la continuité de la représentation des communes au sein des EPCI s’avère, pour la chambre haute que vous êtes, un sujet de préoccupation légitime.

Comme vous le savez, l’article L. 273-10 du code électoral dispose, dans son premier alinéa : « Lorsque le siège d’un conseiller communautaire devient vacant, pour quelque cause que ce soit, il est pourvu par le candidat de même sexe élu conseiller municipal […] suivant sur la liste des candidats aux sièges de conseiller communautaire sur laquelle le conseiller à remplacer a été élu. »

Il est ajouté au deuxième alinéa : « Lorsqu’il n’y a plus de candidat élu conseiller municipal » de même sexe « pouvant le remplacer sur la liste des candidats au siège de conseiller communautaire, le siège est pourvu par le premier conseiller municipal […] de même sexe élu sur la liste correspondante des candidats aux sièges de conseiller municipal n’exerçant pas de mandat de conseiller communautaire. »

Enfin, le troisième alinéa conclut : « Lorsqu’il n’existe pas de conseiller municipal […] pouvant être désigné en application des deux premiers alinéas, le siège de conseiller communautaire reste vacant jusqu’au prochain renouvellement du conseil municipal de la commune. »

C’est précisément de ce dernier point que Mme Gatel nous invite à débattre aujourd’hui au travers de sa proposition de loi. Elle souligne en effet que, tel qu’elle est conçue, la loi peut ponctuellement conduire à ce qu’une commune ne soit plus représentée au sein de l’organe délibérant de l’établissement de coopération intercommunale auquel elle appartient.

Ce dispositif législatif vise bien entendu, en première intention et conformément aux dispositions de la Constitution, à favoriser « l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives », objectif auquel je souscris totalement ; je sais, du fait de mon parcours d’élue locale, à quel point cet égal accès est cardinal pour la vitalité et la diversité démocratiques de nos territoires.

Il est important, néanmoins, d’affirmer que l’absence de représentation d’une commune au sein du conseil communautaire de son EPCI représente une difficulté significative pour ladite commune. Le cas n’est pas complètement d’école : si nous ne disposons pas de chiffres consolidés permettant d’établir l’éventuel caractère massif du phénomène – je ne pense d’ailleurs pas qu’il le soit – quelques situations ponctuelles nous ont été signalées et témoignent du fait que l’hypothèse peut se présenter.

Bien sûr, l’objectif de parité appelle un effort que nous devons poursuivre sans relâche ; ma collègue Isabelle Rome et moi-même savons à quel point cette parité est fragile. Les propositions formulées par la mission flash, citée par Mme la rapporteure, d’Élodie Jacquier-Laforge et de Raphaël Schellenberger lors de la précédente législature démontrent que notre dispositif électoral présente encore quelques angles morts et que nous devons donc achever le mouvement entrepris par la loi du 6 juin 2000 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, dont les dispositions, pour la première fois, prenaient en compte la parité dans les élections communales.

Pour autant, à ma connaissance, la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le sujet nous invite aussi au pragmatisme. En effet, ce dernier considère qu’il est loisible au législateur d’adopter des dispositions contraignantes ou incitatives pour atteindre l’objectif d’« égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives », ce qui signifie que nous avons une obligation de résultat, mais que nous sommes libres des moyens que nous donnons aux collectivités pour y parvenir.

La jurisprudence du même Conseil constitutionnel rappelle par ailleurs que le principe de parité doit être concilié avec d’autres impératifs. Il doit en particulier s’articuler avec le principe inscrit à l’article 4 de la Constitution : ne pas porter atteinte aux « expressions pluralistes des opinions ».

Je pense que le principe de parité doit aussi s’articuler avec l’exigence de représentation effective des communes au sein des organes délibérants des EPCI auxquels elles appartiennent. Il y a là un enjeu de continuité de leur représentation et de leur participation à la délibération collective.

Une commune qui ne participe plus aux décisions de son EPCI est une commune qui, dans tous les domaines de compétence de cet EPCI, ne pourra plus se faire entendre. Cette commune aura donc le sentiment d’être dépossédée d’une partie de ses choix et je suis trop attachée à ce que la gouvernance locale fonctionne bien pour admettre que cette hypothèse puisse, même dans un nombre limité de cas, se réaliser.

Vous le savez aussi bien que moi : la coopération intercommunale est construite pour fonctionner sur la base de la participation effective et active des communes. Si nous n’étions pas persuadés de la nécessité de favoriser une association effective des communes au fonctionnement de leur établissement de coopération intercommunale, nous n’aurions pas adopté, dans la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite loi Engagement et proximité, les dispositions relatives au pacte de gouvernance ou celles relatives à la conférence des maires.

Soyons cohérents : si nous voulons que l’intercommunalité fonctionne bien – cela doit être un objectif commun – nous devons garantir à chaque commune qu’elle pourra, en toute hypothèse, participer effectivement aux délibérations de son EPCI.

En sens inverse, j’ai écouté attentivement ceux d’entre vous qui ont exprimé leurs doutes en commission et je salue l’engagement qu’ils marquent en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes. Je ne suis pas sûre, néanmoins, que la conséquence logique de cet engagement doive être d’en venir à priver une commune de sa représentation au sein de l’EPCI.

La proposition faite Mme Gatel, qui consiste seulement, dans le cas résiduel où aucun conseiller de même sexe ne pourrait occuper le siège vacant, à admettre qu’un conseiller de sexe différent l’occupe, me semble en tout état de cause tenir sur la ligne de crête. L’objectif n’est aucunement de revenir sur nos ambitions en matière de parité, mais cette proposition permet de traiter le cas dans lequel l’application des règles en la matière conduit à une impasse institutionnelle et, à la fin, démocratique.

Vous l’aurez compris, la problématique de la représentation des communes au sein des conseils communautaires est un sujet qui retient toute mon attention. Face à ce problème bien identifié, votre solution, madame la sénatrice Gatel, se détache. Je la soutiens… (Exclamations sur les travées du groupe UC.)

M. Loïc Hervé. Mme Gatel a la cote !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Aujourd’hui, le texte que vous proposez étant de bon sens, j’émets un avis favorable.

Je signale toutefois qu’il nous faudra, dans la suite de la discussion parlementaire, nous assurer et faire confirmer par la délibération collective que ce texte ne porte pas atteinte au principe de parité, auquel je ne peux que réitérer mon plein et entier attachement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.

M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je pense que tout le monde salue les progrès effectués ces dernières années en matière de parité et de mixité au sein des institutions publiques.

Bien sûr, il nous reste beaucoup à accomplir. La marge de progrès est indéniable au sein de la représentation politique et, plus largement, dans l’accès à toutes les fonctions publiques, surtout pour des postes à responsabilité. Je pense également, au-delà de la question du sexe, aux progrès à réaliser en matière d’origines sociales.

Le sujet de la parité est pris en compte depuis plusieurs décennies. Ainsi, la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 relative à l’égalité entre les femmes et les hommes visait à compléter l’article 1er de la Constitution, anciennement l’article 3, en posant que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Ont suivi, très spécifiquement, la loi du 6 juin 2000 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, puis la loi du 31 janvier 2007 tendant à promouvoir l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. Enfin, des dispositions au sein d’autres textes plus vastes sont venues compléter ces apports ; je pense en particulier à la loi du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, mais également à la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.

Bref, même s’il reste beaucoup à faire, reconnaissons tout de même que le législateur n’a pas failli à sa mission ! Seulement, chacun conviendra également que les mécanismes incitatifs, voire coercitifs, en vue de rendre effective cette représentation paritaire ne doivent pas conduire à des blocages.

Le droit actuellement applicable aux conseils communautaires a déjà été rappelé. Je citerai brièvement à mon tour l’article L. 273-10 du code électoral : dans les communes de plus de 1 000 habitants, « lorsque le siège d’un conseiller communautaire devient vacant, pour quelque cause que ce soit, il est pourvu par le candidat de même sexe élu conseiller municipal ou conseiller d’arrondissement suivant sur la liste des candidats aux sièges de conseiller communautaire sur laquelle le conseiller à remplacer a été élu. »

Les auteurs de cette proposition de loi ont raison de souligner que cette disposition pose parfois des difficultés d’application, en particulier dans le cas où un seul siège est à pourvoir. Le candidat complémentaire qui figure en deuxième et dernière position de la liste a vocation à constituer le remplaçant du conseiller communautaire élu. Or, le remplaçant ne pouvant être de sexe différent, la personne qui figure en deuxième position, nécessairement de sexe différent de la tête de liste du fait de cette règle de parité, ne peut ainsi jamais assurer cette fonction. C’est évidemment regrettable et il est nécessaire de rectifier ce dispositif.

Il a été souligné par la rapporteure que les objectifs fixés par l’auteure de la proposition de loi étaient partagés, quand bien même la rédaction du texte initialement présenté a dû être ajustée afin de la rendre plus opérante.

Le texte initial prévoyait de s’appliquer seulement au terme de la première année suivant le renouvellement général des conseils municipaux. La nouvelle rédaction a écarté le décalage d’un an de sorte que, même la première année du mandat, aucune vacance ne pourrait échapper à l’application des dispositions de la proposition de loi.

Cela me paraît être un travail de qualité. Je tiens à remercier celles et ceux qui y ont pris une part active. Aussi, vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe RDSE votera en faveur de ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Dominique Vérien applaudit également.)

Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si « l’unité dans la diversité » est la devise de l’Union européenne, elle pourrait être aussi celle de toutes les intercommunalités de France.

Regroupant plus de 34 000 communes, elles sont toutes différentes. Plus ou moins grandes, plus ou moins riches, plus ou moins vastes, elles se sont progressivement constituées pour exercer leurs compétences dans un contexte de décentralisation. Ces regroupements ont fait émerger une nouvelle gouvernance fondée sur la légitimité des élus municipaux.

Au Sénat, nous savons que l’intercommunalité est un organe de coopération au sein duquel chaque commune doit avoir sa juste représentation. Toutefois, cet échelon soulève des questions légitimes comme la représentativité de son conseil à la fois entre les oppositions et la majorité, entre les communes, selon leur population, et entre les hommes et les femmes.

Ainsi, un équilibre subtil est à trouver entre l’exigence légale d’égalité entre hommes et femmes, et l’indispensable « représentation juste et continue des communes » au sein des conseils communautaires, selon les mots de notre collègue rapporteure Nadine Bellurot.

Aussi, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, déposée par la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Françoise Gatel, tend à garantir la continuité de la représentation des communes au sein des conseils communautaires.

Je me félicite que notre collègue se saisisse de ce sujet important pour la démocratie locale et qui touche particulièrement les intercommunalités de la Seine-Maritime. Tout particulier et ponctuel qu’il soit, le cas dont nous débattons aujourd’hui n’en est pas moins problématique. Il s’agit de la vacance d’un siège faute de candidat du même sexe pour remplacer un conseiller communautaire démissionnaire.

Les règles actuelles ont montré leurs limites. La vacance durable de siège communautaire conduit à un amoindrissement de la représentation des communes ou des droits de l’opposition, ou encore à un défaut de représentativité et de légitimité. Un siège durablement vide au conseil communautaire alimente, tant l’on connaît le rôle des EPCI dans la vie des Français, un sentiment pernicieux dont nous pouvons faire l’économie : l’incompréhension.

Le pragmatisme du Sénat est donc, une fois encore, exigé pour régler les problèmes posés par l’insatisfaisante règle actuelle, à savoir concilier les principes de parité et de représentation des communes.

Occasion nous est donnée de mesurer les effets inattendus de l’exigence légale qu’est la parité. Dans le département que je représente, plusieurs exemples attestent la nécessité de faire évoluer une règle générale et absolue qui résiste mal à la réalité du terrain.

À Tourville-sur-Arques, en Seine-Maritime, le maire a dû composer avec les volontés, les aspirations et les attentes de chacun. Ainsi, il a souhaité s’entourer de deux adjointes, car elles avaient vraiment manifesté leur souhait de s’engager pour cette commune de 1 300 habitants. Eh bien non ! La parité a interdit au maire de les nommer. Il a fallu choisir un homme, pas forcément volontaire, et une des deux femmes a dû devenir simple conseillère municipale déléguée. Vous le savez, l’engagement devient rare. Il ne faut pas gaspiller nos chances d’avoir des élus volontaires, qu’ils soient homme ou femme.

Autre exemple, celui d’une commune que je connais particulièrement bien puisque j’y suis élue, Le Havre voit son conseil municipal siéger en totalité au conseil communautaire. Or, depuis le 3 janvier 2022, un siège y est vacant. En effet, la conseillère municipale de la majorité du Havre dernièrement désignée ne peut pas siéger au conseil communautaire, où elle doit remplacer un collègue masculin. Elle est la seule des élus du conseil municipal du Havre qui n’ait pas le droit de siéger au sein de l’instance intercommunale. Des cas similaires se retrouvent dans l’agglomération de Fécamp, voire celle de Bolbec – je viens d’avoir un échange sur ce dernier cas avec Mme Brulin.

Par conséquent, en ce qui concerne la communauté urbaine Le Havre Seine Métropole, un siège demeurera vacant jusqu’en 2026. Comment le comprendre quand, dans les communes, en cas de démission, il n’est pas nécessaire d’avoir un suivant de liste de même sexe ?

Ainsi, la représentation des communes n’est pas assurée dans son intégralité au sein des intercommunalités quand la parité prédomine sur la représentativité démocratique, ce qui est particulièrement vrai pour les communes les plus rurales. Il est donc urgent d’adopter cette très bonne proposition de loi, particulièrement pragmatique, qui répond à cette difficulté, certes parfois mineure, mais réelle, rencontrée sur le terrain.

Pour toutes ces bonnes raisons, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled. (M. Daniel Chasseing applaudit.)

M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, certaines communes sont confrontées à des situations durables de vacance de siège au sein des conseils communautaires, faute de candidats de même sexe pour remplacer le conseiller démissionnaire.

Certes, il s’agit de dysfonctionnements exceptionnels, qui peuvent toutefois être amenés à se multiplier.

C’est pourquoi je me félicite de l’initiative de notre collègue Françoise Gatel visant à pallier cette difficulté déjà rencontrée par des élus locaux.

En effet, ces situations de vacance peuvent être à bien des égards dommageables pour les communes et les intercommunalités, cela a été relevé à juste titre par la rapporteure : affaiblissement de la représentation des communes au sein du conseil communautaire, diminution des droits de l’opposition ou, encore, atteinte à la représentativité et à la légitimité des décisions.

Afin d’apporter une solution pragmatique à ces situations, certes ponctuelles, mais portant toutefois atteinte à la démocratie, la proposition de loi prévoit, pour les seules communes de plus de 1 000 habitants représentées par plusieurs sièges au conseil communautaire, et lorsqu’il n’existe pas de conseiller municipal, fléché ou pas, de même sexe candidat à un siège vacant, de le pourvoir par le suivant de liste « fléché » et élu au conseil municipal, sans tenir compte de son sexe.

Lorsque la liste concernée ne comporte plus de conseillers municipaux dits fléchés, le siège serait alors pourvu par le premier conseiller municipal élu sur la liste n’exerçant pas de mandat de conseiller communautaire, sans tenir compte de son sexe.

Ces ajustements apportent une réponse équilibrée aux dysfonctionnements ponctuels constatés, tout en préservant à la fois l’impérieuse nécessité de représentation continue des communes au sein des conseils communautaires et l’obligation de représentation égale des hommes et des femmes.

Enfin, je rejoins la position de la commission, qui a souhaité apporter une modification au texte initial en précisant que le dispositif s’appliquerait à compter d’une année suivant la date d’installation du conseil municipal, afin notamment de tenir compte d’éventuels renouvellements locaux.

Madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi constitue un texte correctif pertinent, répondant à une difficulté ponctuelle à laquelle plusieurs collectivités se sont déjà heurtées, à savoir la vacance durable d’un siège au sein d’un conseil communautaire. Elle remédie ainsi à des situations pouvant porter atteinte au bon exercice de la démocratie.

Aussi le groupe Les Indépendants votera-t-il pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la représentativité, la parité, la diversité dans les instances décisionnaires sont considérées généralement comme bénéfiques, notamment, dans la conduite des affaires publiques.

Sans conteste, les lois sur la parité ont permis de faire progresser celle-ci au sein des communes puis des conseils communautaires.

L’application de la contrainte paritaire a facilité une entrée massive des femmes dans les conseils municipaux des villes de plus de 3 500 habitants. Alors que leur proportion n’était que de 25,7 % dans les conseils municipaux issus des élections de 1995, celle-ci a grimpé à 48,5 % en 2008. Par ailleurs, la part des femmes dans les conseils communautaires a augmenté et atteint 35,8 % après les élections en 2020.

L’obligation a donc eu des effets, mais elle demeure indispensable. Dans la mesure où la proportion de femmes n’a augmenté que parmi les jeunes élus, cela augure d’un renouvellement à terme encore plus paritaire.

Parallèlement, la vocation des élus s’essouffle, nous l’avons tous observé, et le nombre de démissions tend à déstabiliser la conduite des travaux des EPCI.

Les règles actuelles imposent aux communes de plus de 1 000 habitants une règle de parité pour la constitution des listes de candidats aux conseils communautaires.

Elles obligent aussi à maintenir la parité tout au long du mandat : une femme représentant une commune au sein d’un EPCI ne pourra être remplacée que par une femme de la même liste ; à défaut, le siège restera vacant. Le mécanisme a été expliqué par les collègues qui m’ont précédé à la tribune.

C’est bien à ce problème de vacance que l’auteure a souhaité répondre. Les EPCI exercent des compétences essentielles pour la vie de la commune, aussi l’absence de conseillers au sein des conseils communautaires peut-elle être préjudiciable.

L’incompréhension de nos élus locaux sur ces difficultés de représentativité s’est installée de manière durable.

À cet égard, personne dans ces travées ne m’accusera d’être insensible aux questions de représentativité au sein des intercommunalités, y compris de statut spécifique, et aux conséquences que cela emporte quant à la compréhension de nos citoyens, sur les questions de la gestion des déchets, des routes, des transports en commun et des autres compétences exercées.

La proposition de loi issue des travaux de la commission vise à répondre à l’incongruité qui voudrait qu’une commune ou une opposition ne puisse plus être représentée au sein de l’EPCI auquel elle participe.

Certes, la réponse apportée par cette proposition de loi est sans doute imparfaite s’agissant de l’application de la parité. Notre groupe restera très attentif aux utilisations qui seront faites de ce texte, qui ne visait initialement à répondre qu’à des situations ponctuelles qui doivent rester isolées. Le resteront-elles ? L’imagination de certains hommes politiques est sans limite. Je dispose de quelques exemples, mais je n’aurai pas le temps de vous les donner…

La rédaction semble apporter un certain nombre de garde-fous : l’instauration d’un délai de réserve d’un an suivant l’installation des conseils municipaux permettra d’éviter toute tentative d’effet d’aubaine après une élection. Toutefois, toute atteinte à l’obligation de parité peut avoir des effets négatifs, même si elle ne remet pas en cause les dispositions liées à la parité, mais permet simplement leur adaptation, en cas d’impossibilité matérielle de remplacer les conseillers communautaires.

Notre groupe a conscience de l’importance de la représentativité de l’ensemble des idées et des territoires au sein d’une assemblée, et a toujours attiré l’attention sur les difficultés des positions minoritaires au sein des assemblées. Je pense notamment à la représentativité des commissions mixtes paritaires.

Dans sa grande majorité, notre groupe ne peut se satisfaire de ce type de solution. Pourquoi ne pas permettre des listes plus longues ? Pourquoi ne pas le limiter aux villes de moins de 3 500 habitants ? Ainsi, majoritairement, notre groupe voit dans cette mesure une solution moyenne à un vrai problème.

Pour autant, certains d’entre nous, dont je fais partie, voteront ce texte, en restant très attentifs aux résultats de l’application de ces dispositions au regard des progrès obtenus dans le cadre d’une meilleure et plus juste représentativité des femmes au sein de nos institutions locales. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. le président. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet sur lequel nous avons à délibérer, la proposition judicieuse de notre collègue Françoise Gatel, résulte de la conjonction de deux principes électoraux.

Le premier est celui du fléchage et de l’élection des conseillers communautaires à l’intérieur des listes municipales, en gardant ce que j’appellerai un « chaînage », une solidarité permanente et une cohérence entre les représentations communales et intercommunales. Ce système est parfois discuté et confronté à d’autres. J’entends, avec beaucoup d’irritation, que l’on continue à employer l’expression d’« élection directe des conseillers communautaires », pour parler d’autre chose, à savoir une élection supracommunale ou même extérieure aux conseils municipaux, qui changerait fondamentalement la nature des intercommunalités.

Dans le système existant, il y a une cohérence et une solidarité entre la liste municipale et ses élus communautaires, que ce soit dans la majorité ou la minorité.

Le second principe, qu’il s’agit bien évidemment de faire appliquer le plus efficacement possible, est celui de la parité, qui opère dans le cas des élections communautaires de façon assez spécifique. En effet, de toutes les élections au scrutin de liste, où s’impose une composition paritaire des listes, seule l’élection du conseil communautaire possède une règle spécifique de remplacement.

Qu’il s’agisse du Parlement européen, des conseils régionaux ou des conseils municipaux, un siège vacant est toujours attribué au suivant de liste, quel que soit son sexe ou son genre. Il faut bien le dire, la précaution supplémentaire instaurée dans la loi de 2013 s’agissant des vacances de siège dans les conseils communautaires était probablement un coup d’épée dans l’eau. En effet, compte tenu du nombre de cas dans lesquels des communes n’ont qu’un nombre impair – un ou trois – de conseillers communautaires, avec une grande majorité de têtes de liste hommes, une règle de succession sans condition de sexe aboutirait probablement à l’arrivée en cours de mandat d’un plus grand nombre de conseillères communautaires femmes que la disposition actuelle.

Nous ferons un jour le bilan d’une telle disposition, qui s’applique dans cet unique cas. Il en résulte deux types de situations, qui ont été décrites. Mme Canayer a évoqué le cas des grandes villes ou des communes-centres, dont les conseillers représentent une très grande proportion du conseil communautaire et dans lesquelles tous ou quasiment tous les conseillers sont des conseillers communautaires. Au contraire, dans d’autres communes, le cas de conseillers communautaires manquants peut concerner les listes minoritaires.

Dans ces deux cas, il peut y avoir un déficit de représentation, dans la mesure où le dernier poste vacant ne peut pas être pourvu par un conseiller communautaire ou municipal de même sexe.

Notre groupe a donc estimé que ce texte permettait d’introduire un aménagement de bon sens dans l’application d’une règle spécifique qui n’a pas forcément démontré sa plus grande efficacité en matière de respect de la parité. C’est la raison pour laquelle nous soutiendrons également cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, parfois, les règles qui s’appliquent aux collectivités territoriales relèvent du cabinet de curiosité ! Il s’avère que notre collègue Françoise Gatel a des dons pour les débusquer. Mais elle participe parfois à la création de ce bestiaire : je pense ainsi à la commune-communauté !

Mme Françoise Gatel. Belle invention !

M. Éric Kerrouche. Néanmoins, dans les deux cas, il s’agit de mesures ayant leur intérêt.

S’agissant de cette proposition de loi, il convient bien évidemment de corriger ce que nous appellerons une bizarrerie. Certes, il ne s’agit pas du cas de figure le plus courant au sein des intercommunalités. Néanmoins, on peut se demander pourquoi il existe encore.

Tout le monde l’a bien compris, ce texte concerne le remplacement, pour les communes de plus de 1 000 habitants, des conseillers communautaires : le remplaçant serait disponible, mais ne pourrait occuper le siège vacant, car l’alternance homme-femme ou femme-homme ne serait pas respectée. Pourquoi laisser vacants ces postes, s’il existe une possibilité de remplacement participant du bon sens ?

C’est la raison pour laquelle notre groupe votera ce texte.

De manière plus large, cette proposition de loi renvoie à deux problématiques adjacentes.

La première est la spécificité, ou l’exotisme, du scrutin applicable à nos communes de moins de 1 000 habitants. Voilà peu de temps, je vous le rappelle, on pouvait être élu « à l’insu de son plein gré ». Il y avait des possibilités de panachage. Dans ce type de scrutin, il y a un tir au pigeon qui se fait souvent au détriment du maire, celui qui est identifié comme prenant les décisions.

La seconde problématique est liée à la question de la parité, qui n’est pas applicable pour ces scrutins. Ainsi conviendrait-il d’unifier le mode de scrutins, afin que, quelle que soit la commune dans laquelle on se trouve, celui-ci soit identique, ce qui imposera de manière définitive la parité, y compris dans les communes de moins de 1 000 habitants, lesquelles, si je ne m’abuse, représentent un peu plus de 18 000 communes françaises – autre trait parfaitement atypique.

De fait, la proposition de loi renvoie à la question plus large de la parité entre les femmes et les hommes au sein des intercommunalités, et aux moyens d’y parvenir.

Or l’amendement sur la parité que nous avons déposé a été jugé irrecevable, ce que je regrette. Il reprenait une proposition du groupe des sénatrices et sénateurs socialistes formulée lors de l’examen du projet de loi Engagement et proximité et traduite dans une proposition de loi que j’ai déposée.

Il s’agit d’établir une parité-miroir au sein de l’exécutif intercommunal : la proportion de femmes vice-présidentes serait au moins équivalente à la proportion de femmes à l’intérieur du conseil communautaire.

Cet amendement a été adopté au Sénat de haute lutte lors de l’examen du projet de loi Engagement et proximité. Malheureusement, la majorité présidentielle de l’Assemblée nationale a supprimé cette disposition – vous n’étiez pas encore au Gouvernement à l’époque, madame la ministre – dans le cours de la navette, et cette suppression a été entérinée par la commission mixte paritaire, malgré une proposition de rédaction discutée au cours de sa réunion.

Les dispositions introduites étaient les suivantes : « Avant le 31 décembre 2021, les dispositions du code électoral relatives à l’élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires sont modifiées pour étendre l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives dans les communes et leurs groupements. »

À ma connaissance, nous sommes le 15 mars 2023 et ces dispositions ne trouvent toujours pas à s’appliquer. Ainsi, la prise en compte de cet amendement aurait été une bonne chose, en permettant de réguler ce qui demeure un problème.

Néanmoins, parce que nous continuerons à défendre dans le temps cette disposition, qui dépasse donc le cadre de cette proposition de loi, nous voterons pour ce texte, qui nous paraît de bon sens. Toutefois, nous rejetterons l’amendement déposé, qui nous semble aller au-delà du périmètre de la correction proposée par Françoise Gatel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi permet une continuité de la représentation dans les conseils communautaires, dans un contexte où les EPCI exercent des compétences structurantes qui ont un impact fort dans le quotidien des communes et des habitants. De ce fait, la représentation continue des communes au sein des EPCI via les élus est nécessaire. Tel est l’objet de cette proposition de loi.

Nous savons que cette proposition de loi n’est pas discutée pour remettre en cause le principe de parité. Simplement, certaines situations vécues par nos élus locaux méritent d’être entendues. Nous devons, quand cela est possible, apporter des solutions et des réponses concrètes.

Ce n’est pas faire offense à l’auteure de cette proposition de loi ni au travail de Mme la rapporteure en disant que l’enjeu de ce texte est faible, dans la mesure où celui-ci ne concerne, cela a été dit, que quelques communes. Il ne s’agit donc pas d’une remise en cause du principe de la parité et de la représentation, même si, Agnès Canayer l’a rappelé, nous avons tous en tête des exemples de certaines aberrations dans la constitution des exécutifs locaux. Par exemple, un adjoint homme a assez peu de délégations, alors qu’une femme conseillère déléguée se retrouve avec un nombre important de délégations. Mais tout cela n’est pas remis en cause dans le cadre de cette proposition de loi.

En amendant la règle de droit, on permet aussi aux groupes d’opposition, je le souligne, de faire entendre leur voix au sein du conseil communautaire. En effet, c’est souvent dans le cadre de leurs listes que le nombre d’élus fléchés pour siéger au conseil de communauté vient à manquer. Ils ne disposent pas d’une liste suffisante de remplaçants ou de remplaçantes pour assurer le remplacement de la personne démissionnaire du même sexe.

Une telle situation peut entraîner une non-représentation et ainsi mettre en difficulté leur droit d’expression en tant qu’élus d’opposition.

Cette proposition de loi a du sens et permettrait une représentation pérenne au sein des conseils communautaires, mais surtout corrigerait la législation, qui n’a pas pris en compte des situations ponctuelles particulières qui peuvent exister.

Ainsi, dans le cadre des dispositions prévues par cette proposition de loi, quand il n’existera pas de conseiller communautaire de même sexe sur la liste communautaire, on pourra nommer le suivant de liste sans tenir compte de son sexe, afin d’assurer la mission première confiée aux élus, celle de la représentation de leur commune et de leur population.

Attaché au principe de démocratie et de représentation des communes au sein des EPCI, le groupe CRCE votera cette proposition de loi, qui permet d’apporter une solution à des problématiques rencontrées au sein de nos collectivités.

Reste devant nous l’éternel chantier, jamais mis en œuvre, qui mérite nombre de débats et d’évolutions sociétales, celui de la place des femmes et des hommes dans la vie politique locale et nationale. Si une simple proposition de loi suffisait à régler des problèmes de société, cela se saurait ! En l’état, nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, inscrite en huitième position dans ce débat qui ne pose aucun problème, je n’utiliserai pas la totalité de mon temps de parole.

Je tiens toutefois à remercier Mme Françoise Gatel, dont la perspicacité a encore frappé.

Notre groupe soutient naturellement ce texte, qui répond à un problème ponctuel. Le constat est partagé par l’Assemblée nationale et le Gouvernement.

Madame la ministre, vous pouvez le constater, la vigilance de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat permet de régler des problèmes qui peuvent paraître insignifiants, sauf pour les gens qui sont directement concernés !

Je n’ai rien d’autre à ajouter, sinon qu’il faut écouter le Sénat. Le principe des niches parlementaires est d’autant plus important qu’il apporte des solutions à ceux qui en ont besoin. (Mme Françoise Férat et M. Charles Guené applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi tendant à garantir la continuité de la représentation des communes au sein des conseils communautaires, présentée par notre collègue Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Je tiens à saluer son initiative, particulièrement judicieuse, ainsi que le travail de notre collègue rapporteure Nadine Bellurot.

Comme vous le savez, la loi du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires a prévu que, pour les communes de plus de 1 000 habitants, la liste des candidats aux sièges de conseiller communautaire soit composée alternativement de candidats de chaque sexe.

Ce texte a contribué à améliorer la féminisation de la vie politique locale, ce dont nous nous réjouissons. Grâce aux lois adoptées depuis plus de vingt ans, l’engagement des femmes a considérablement progressé dans les assemblées élues des collectivités territoriales, même si nous pouvons déplorer que la parité réelle ne soit toujours pas atteinte.

La part des femmes dans les conseils municipaux s’élève à ce jour à 48,5 %. La composition des organes délibérants et des exécutifs des intercommunalités reste en revanche imparfaite et les EPCI représentent sans aucun doute une zone blanche de la parité.

Ainsi que le relevait, en 2020, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, dans les conseils communautaires des EPCI à fiscalité propre, la part des femmes a certes augmenté de 5 points, celle des vice-présidentes de 5,6 points et celle des présidentes de 2 points. Toutefois, en valeur absolue, cette part n’atteint respectivement que 36 %, 25,6 % et 11 % de la composition générale de ces instances.

Bien entendu, il ne saurait être question de mettre en cause ces avancées, dont la portée est loin d’être symbolique, puisqu’elle favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

Telle n’est d’ailleurs pas l’intention de Françoise Gatel, auteure de la proposition de loi. Pour autant, l’obligation de parité instituée par le législateur peut conduire à des situations incongrues qui n’avaient pas été identifiées à l’origine et que le texte examiné aujourd’hui a pour objectif de corriger.

L’impossibilité de remplacer une conseillère ou un conseiller communautaire démissionnaire par un élu de même sexe n’est pas sans conséquence, puisqu’elle peut rendre le siège vacant pendant toute la durée d’un mandat.

Pour les communes concernées, une telle situation est susceptible de créer un effet d’éviction du pouvoir intercommunal, d’autant plus préjudiciable que nous connaissons tous ici l’étendue des compétences acquises au fil du temps par les EPCI.

En outre, elle peut avoir pour effet de donner à la commune la plus importante de l’EPCI un poids et une représentation qui ne seraient démocratiquement pas justifiés, avec le risque de voir les décisions de l’intercommunalité entachées d’un défaut de légitimité.

Notre rapporteure signale le cas d’espèce que représente le recours gracieux formé en 2021 par le préfet de la Nièvre contre la délibération d’un conseil communautaire qui avait procédé au remplacement d’un conseiller démissionnaire de son mandat municipal par une conseillère municipale de sexe féminin, faute de candidats masculins.

La délibération contestée ne pouvait être que rapportée, puisque la désignation à laquelle elle procédait n’était pas conforme au droit en vigueur.

J’ajoute que, à l’avenir, nous pourrions être de plus en plus fréquemment confrontés à ce type de situations, en raison de l’augmentation constante des démissions d’élus locaux.

Mes chers collègues, nous ne devons pas ignorer la désaffection croissante des élus pour l’exercice d’un mandat qui s’avère, à bien des égards, difficile à assurer sur le temps long. Les maux sont connus : les élus assument toujours plus de responsabilités dans des conditions d’insécurité juridique et financière grandissante.

Tout le mérite de la proposition de loi de notre collègue Françoise Gatel est de tenir compte de cette réalité et de proposer une solution qui, sans porter atteinte à la règle de parité prévue par le code électoral, permet de ne laisser aucune commune sans représentant au sein d’un conseil communautaire.

Il est ainsi proposé d’inscrire dans le droit positif deux facultés subsidiaires de désignation d’un conseiller municipal en remplacement d’un élu démissionnaire.

La première consiste à pourvoir le siège par le premier conseiller municipal fléché de même liste et de sexe opposé ou, à défaut, par le premier conseiller municipal non fléché de même liste et de sexe opposé.

Une telle dérogation ne serait possible qu’à compter d’une année suivant la date d’installation du conseil municipal, afin d’éviter des stratégies électoralistes inopportunes visant à contourner le principe de parité.

Indéniablement, cette solution est de nature à répondre aux inquiétudes des élus locaux et de leurs associations représentatives, qui nous avaient alertés.

Elle est marquée du sceau du pragmatisme et ne porte pas atteinte au principe de parité, qui, je le rappelle, n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

C’est la raison pour laquelle je voterai sans réserve, comme mon groupe, en faveur de la proposition de loi qui nous est soumise. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi tendant à garantir la continuité de la représentation des communes au sein des conseils communautaires

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi tendant à garantir la continuité de la représentation des communes au sein des conseils communautaires
Article additionnel avant l'article unique - Amendement rectifié n° 1 bis (fin)

Avant l’article unique

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par M. Maurey, Mme Pluchet, MM. Sautarel, Canévet et Delahaye, Mme de La Provôté, M. Cigolotti, Mmes Sollogoub et Noël, MM. Guerriau et Laugier, Mme Vermeillet, M. Duffourg, Mme Demas, MM. J.P. Vogel et Chasseing, Mme Férat, MM. Hingray, Rietmann, Perrin, Mandelli et de Nicolaÿ, Mme Jacquemet, MM. Belin, Pellevat, B. Fournier, Laménie, Paccaud, Wattebled et Klinger, Mme Drexler et MM. Panunzi, Cadec, Menonville, Longeot, Levi et Le Nay, est ainsi libellé :

Avant l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Le code électoral est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa de l’article L. 273-11 est ainsi modifié :

a) Au début, sont ajoutés les mots : « À compter de la première réunion suivant le renouvellement du conseil municipal, » ;

b) Après le mot : « sont », sont insérés les mots : « , sous réserve de l’article L. 273-12, » ;

2° L’article L. 273-12 est ainsi rédigé :

« Art. L. 273-12. – I. – En cas de cessation du mandat d’un conseiller communautaire pour toute autre cause que celle mentionnée au second alinéa de l’article L. 273-11, il est remplacé par un membre du conseil municipal désigné par celui-ci parmi les membres n’exerçant pas de mandat de conseiller communautaire dans les conditions prévues, selon les cas, aux II ou III du présent article.

« II. – Dans les communes qui ne disposent que d’un seul conseiller communautaire, le conseil municipal désigne, dès la première réunion suivant son renouvellement, un suppléant appelé à remplacer le conseiller communautaire pour l’application du I.

« Si un suppléant désigné cesse d’exercer son mandat municipal ou devient lui-même conseiller communautaire, le conseil municipal désigne un nouveau suppléant dès la première réunion suivant cet événement. Jusqu’à cette réunion, les fonctions de conseiller suppléant sont, pour l’application du dernier alinéa de l’article L. 5211-6 du code général des collectivités territoriales, exercées par le premier conseiller municipal dans l’ordre du tableau établi à la date à laquelle le suppléant désigné a définitivement cessé d’exercer ses fonctions au conseil municipal ou est devenu conseiller communautaire.

« III. – Dans les communes autres que celles mentionnées au II, le remplaçant du conseiller communautaire dont le siège est devenu vacant est désigné lors de la première réunion du conseil municipal suivant la date à laquelle cette vacance est devenue définitive. Jusqu’à cette réunion, l’élu dont le siège devient vacant est remplacé au conseil communautaire par le premier conseiller municipal n’exerçant pas de mandat de conseiller communautaire dans l’ordre du tableau établi à la date où cette vacance devient définitive. »

II. – À la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 5211-6 du code général des collectivités territoriales, la référence : « I » est remplacée par la référence : « II ».

III. – Le présent article est applicable à compter du premier renouvellement général des conseils municipaux suivant la publication de la présente loi.

La parole est à Mme Nadia Sollogoub.

Mme Nadia Sollogoub. Cet amendement de notre collègue Hervé Maurey vise à modifier les modalités de désignation des remplaçants des conseillers communautaires des communes de moins de 1 000 habitants.

Dans les communes de moins de 1 000 habitants, les conseillers communautaires sont désignés dans l’ordre du tableau du conseil municipal. Si l’application de cette règle paraît opportune en ce qu’elle garantit aux maires d’être le représentant de sa commune au sein de l’intercommunalité, les règles de remplacement du conseiller communautaire en cas de vacance définitive sont insatisfaisantes. Le code électoral prévoit ainsi que le conseiller municipal appelé à remplacer un conseiller communautaire est le premier membre du conseil municipal n’exerçant pas de mandat de conseiller communautaire qui le suit dans l’ordre du tableau.

Or le maire et, plus largement, le conseil municipal peuvent souhaiter qu’un autre élu que celui désigné en application de cette règle puisse représenter la commune au sein de l’intercommunalité, et ce pour diverses raisons.

Il n’est pas non plus satisfaisant que le suppléant, qui a vocation à remplacer le titulaire en cas d’empêchement temporaire, soit désigné selon la même règle.

Dans les communes de moins de 1 000 habitants, avec un seul conseiller communautaire, le premier adjoint est ainsi obligatoirement suppléant du maire, sans possibilité de déroger à cette règle. Or, pour un certain nombre de raisons, notamment de disponibilité, il pourrait être souhaitable que cette fonction échoie à un autre membre du conseil municipal.

Ainsi cet amendement prévoit-il que le remplaçant puisse être désigné par le conseil municipal.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. Les conseillers communautaires des communes de moins de 1 000 habitants sont désormais désignés selon l’ordre du tableau du conseil municipal.

Cette règle, vous le savez, a été adoptée en 2013, par analogie avec le système du fléchage dans les communes de 1 000 habitants et plus, puisque, en dehors du maire et des adjoints, le rang des simples conseillers municipaux dans l’ordre du tableau dépend du nombre de suffrages qu’ils ont obtenus aux élections. Un lien est ainsi établi avec le suffrage universel. Il me paraît donc quelque peu dangereux de remettre en cause le tableau et ce lien.

C’est pourquoi il ne me semble pas opportun de revenir en arrière, au risque de fragiliser l’équilibre trouvé en 2013.

Par ailleurs, s’agissant de la suppléance, l’ordre du tableau du conseil municipal qui régit la désignation des conseillers communautaires titulaires doit également être respecté, dans la mesure où le conseiller suppléant a vocation à devenir le conseiller titulaire si celui-ci cesse d’exercer ses fonctions.

Enfin, je tiens à préciser que nous légiférons aujourd’hui, comme je l’ai rappelé dans mon intervention liminaire, sur une proposition de loi qui vise à éviter les situations de vacance durable d’un siège communautaire, ce qui est peu probable pour les communes de moins de 1 000 habitants disposant d’un seul siège au conseil communautaire. Par conséquent ce texte concerne les communes de plus de 1 000 habitants ayant plusieurs conseillers communautaires.

Vous visez donc un objectif qui n’est pas celui de la proposition de loi examinée aujourd’hui, ma chère collègue. Nous avons voulu la circonscrire à ces communes et nous ne souhaitons pas aller au-delà.

Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que la commission.

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour explication de vote.

Mme Nadia Sollogoub. J’ai bien écouté vos explications, madame la rapporteure. Malgré tout, je demeure très favorable à l’amendement de M. Hervé Maurey.

Mme la ministre nous a demandé de porter une attention particulière aux situations particulières, j’ai pris bonne note de sa remarque…

Dans mon département, le maire d’une commune de moins de 1 000 habitants, gravement malade, a dû être hospitalisé pendant de longs mois. Son suppléant – c’est-à-dire le premier adjoint –, qui travaillait de nuit, n’a pu siéger à sa place : impossible pour lui de mettre en péril sa situation professionnelle. Pendant de longs mois, cette commune n’a donc pas été représentée au conseil communautaire.

Il y a là un véritable enjeu de continuité dans la représentation. Il importe de garantir à chaque commune qu’elle puisse participer effectivement et activement au fonctionnement de son EPCI.

Dans le cas que j’ai cité, le premier adjoint lui-même a demandé au conseil municipal de désigner quelqu’un d’autre pour représenter la commune au sein du conseil communautaire. Certaines situations demandent davantage de souplesse afin de garantir une représentation effective au sein du conseil communautaire.

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.

M. Éric Kerrouche. Je rejoins volontiers la démonstration de Mme la rapporteure : les perspectives ne sont pas les mêmes.

L’avantage du texte de Françoise Gatel est qu’il vise à résoudre une difficulté dont on sait qu’elle peut se manifester essentiellement dans les communes de plus de 1 000 habitants. La solution proposée est de bon sens.

Je comprends le raisonnement des auteurs de l’amendement n° 1 rectifié bis, mais l’ordre du tableau n’est pas indifférent dans les communes de moins de 1 000 habitants. Si la personne suivante sur la liste ne veut pas être désignée, il suffit qu’elle démissionne. Tant que l’on n’aura pas changé le mode de scrutin dans ces communes, il ne me semble pas adéquat de donner de la latitude alors que l’ordre du tableau a une importance démocratique particulière.

En tout état de cause, l’objectif n’est ici pas identique à celui de la proposition de loi : la solution trouvée par Françoise Gatel obéit à une logique palliative, alors que cet amendement vise à corriger les règles.

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

M. Guy Benarroche. Cet amendement constitue une perturbation, car il tend à remettre en cause les résultats d’un vote, et donc le suffrage universel, sous couvert d’accorder davantage de souplesse. Éric Kerrouche a raison, si le suppléant ne peut pas représenter sa commune, il lui suffit de démissionner. Nous nous opposerons donc à cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Il est toujours délicat de modifier le code électoral au détour d’un amendement. Soyons donc prudents.

J’entends les arguments avancés, mais il ne faudrait pas donner à penser que, à travers cette proposition de loi, nous aurions volontairement laissé de côté les communes rurales de moins de 1 000 habitants, car tel n’est pas le cas !

Ces dernières sont soumises, de fait, à des réalités totalement différentes. Dans les communes de moins de 1 000 habitants, la désignation se fait en suivant l’ordre du tableau, sans obligation d’alternance de sexe. Allons jusqu’au bout du cas évoqué par Nadia Sollogoub : si la commune n’est plus en mesure de désigner un représentant au conseil communautaire, voire deux, cela signifie que plus de la moitié du conseil municipal a démissionné. Elle se trouve donc, de fait, dans une situation de démissions massives, avec une réélection anticipée de conseil municipal.

Je veux bien qu’un cas d’école vienne contredire la logique de mon raisonnement, mais la loi telle qu’elle est prévue ne pose normalement pas de problème aux communes de moins de 1 000 habitants. La question n’est pas de remettre en cause le principe de parité, mais la loi impose aux communes plus importantes d’autres règles et d’autres contraintes : scrutin de liste, alternance et respect des sexes. Le texte que nous examinons aujourd’hui tend à apporter une dérogation pour assouplir ces règles et permettre la continuité politique, ainsi que la représentation communale. Mais c’est uniquement parce que le cadre est tout autre.

En l’état, je ne voterai pas cet amendement, même si j’ai le souci des communes rurales de moins de 1 000 habitants. Elles ont effectivement leurs problématiques, mais ce n’est pas dans ce cadre-là qu’il convient de les traiter.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.

Mme Françoise Gatel. Je comprends parfaitement la question soulevée par notre collègue Nadia Sollogoub, mais le contexte des communes de moins de 1 000 habitants est quelque peu différent.

Pour ces communes, qui n’ont souvent qu’un représentant, il est prévu de suivre au fur et à mesure des démissions l’ordre du tableau, sans obligation de parité. C’est toute la question selon moi. Sincèrement, cet amendement ne constitue pas la bonne arme ou le bon outil pour régler le problème. Le cadre de cette proposition de loi est très humble et étroit : elle ne vise que les communes de plus de 1 000 habitants qui, elles, peuvent se retrouver sans solution pendant cinq ans ou cinq ans et demi…

Cet amendement toucherait, comme Cécile Cukierman l’a souligné à juste titre, au code électoral, qui ne doit être modifié que prudemment et après en avoir mesuré l’impact, exactement comme pour la Constitution. (Mme Cécile Cukierman opine.)

J’entends les remarques de Nadia Sollogoub, mais il existe déjà des solutions. Voter cet amendement pourrait en revanche compromettre le règlement des gros problèmes – sans solution, eux – que rencontrent les communes de plus de 1 000 habitants…

Toutefois, pourquoi ne pas réfléchir à un sujet dont il est beaucoup question, à savoir la diminution du scrutin de liste en deçà du seuil de 1 000 habitants ? Cela vaudrait la peine d’en débattre, même si je vois que certains, qui remuent la tête horizontalement et non verticalement, ont des doutes…

Sincèrement, chère Nadia Sollogoub, vous pointez du doigt un problème, mais l’outil que vous proposez n’est pas le bon. Il risque au contraire de faire capoter la solution que nous essayons de mettre en place ici.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. Comme l’a remarqué Françoise Gatel, même s’il existe des avis divergents, nous pourrions effectivement réfléchir au mode de scrutin dans les communes de moins de 1 000 habitants.

Pour répondre à la difficulté soulevée par Nadia Sollogoub, si le conseiller municipal appelé à remplacer le conseiller communautaire ne peut le suppléer, qu’il démissionne et l’on passera au suivant sur la liste !

Mme Nadia Sollogoub. Non, il ne le peut pas !

Mme Françoise Gatel. Si, il y a une solution !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article unique

Après le troisième alinéa de l’article L. 273-10 du code électoral, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation au troisième alinéa du présent article, au terme de la première année suivant l’installation du conseil municipal de la commune concernée, lorsqu’il n’existe pas de conseiller municipal ou de conseiller d’arrondissement pouvant être désigné en application des deux premiers alinéas, le siège devenu vacant est pourvu par le premier candidat élu conseiller municipal ou conseiller d’arrondissement suivant sur la liste des candidats aux sièges de conseiller communautaire sur laquelle le conseiller à remplacer a été élu, sans tenir compte de son sexe. Lorsqu’il n’y a plus de candidat élu conseiller municipal ou conseiller d’arrondissement pouvant pourvoir le siège sur la liste des candidats au siège de conseiller communautaire, le siège est pourvu par le premier conseiller municipal ou conseiller d’arrondissement élu sur la liste correspondante des candidats aux sièges de conseiller municipal n’exerçant pas de mandat de conseiller communautaire, sans tenir compte de son sexe. »

M. le président. Sur l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je n’ai été saisi d’aucun amendement.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. J’aurais voulu pouvoir soutenir les excellents amendements présentés par mon collègue et ami Éric Kerrouche, malheureusement l’article 45 de la Constitution, tel que le Sénat l’applique, ne me l’a pas permis.

Madame la ministre, il serait très heureux que nous puissions avancer sur le sujet de la parité au sein des exécutifs intercommunautaires. Comme mon collègue l’a expliqué, le Sénat a voté une mesure pour modifier la loi en ce sens, qui n’a pas prospéré à l’Assemblée nationale, ce qui est regrettable.

La parité est maintenant considérée comme juste, nécessaire et pleinement légitime. Quel obstacle y aurait-il à la mettre en œuvre dans les exécutifs, puisque nous ne manquons pas d’élus des deux sexes dans la très grande majorité des métropoles, des communautés d’agglomération, voire des communautés de communes ? D’autant qu’une deuxième solution, qui a également été présentée en faveur de la parité, consisterait à ce que la composition de l’exécutif soit homothétique à celle de l’assemblée.

Madame la ministre, j’espère que vous soutiendrez notre démarche afin que nous puissions inscrire dans la loi cette avancée, très attendue par un certain nombre d’associations et d’élus. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi tendant à garantir la continuité de la représentation des communes au sein des conseils communautaires.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Article additionnel avant l'article unique - Amendement rectifié n° 1 bis (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à garantir la continuité de la représentation des communes au sein des conseils communautaires
 

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Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 mars 2023

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 mars 2023.

Dans le débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, fidèles à nos traditions, c’est pour moi un plaisir de vous retrouver afin de vous présenter, comme de coutume avant chaque Conseil européen, les principaux sujets qui y seront traités.

Comme vous le savez, les chefs d’État et de gouvernement se sont déjà réunis une fois, au début du mois de février. Dans deux semaines, ils se retrouveront pour assurer le suivi de notre réponse aux sujets qui continuent d’être en haut de l’agenda.

La guerre en Ukraine reste le sujet le plus brûlant, mais je pense aussi, naturellement, à la réponse que l’Union européenne doit apporter à l’Inflation Reduction Act (IRA) ainsi qu’aux réflexions sur la réforme de la gouvernance économique européenne.

Le Conseil européen sera par ailleurs marqué par des discussions sur la situation énergétique, d’une part, et sur les questions migratoires, d’autre part. Il assurera en cela le suivi du Conseil européen des 8 et 9 février dernier.

Le Conseil européen échangera enfin sur la conférence de soutien aux populations syrienne et turque, frappées par les tremblements de terre du 6 février dernier.

Comme vous le savez, sur l’ensemble de ces sujets, la situation évolue tous les jours et les positions que je vais vous exposer sont encore susceptibles d’évoluer à l’aune des événements que vous connaissez, et des concertations conduites entre Européens.

L’Ukraine, je le disais, restera bien sûr une des principales priorités de ce Conseil européen.

Le Conseil européen condamnera de nouveau la guerre d’agression de la Russie en faisant référence au soutien apporté à la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies pour une paix juste et durable, votée le 23 février, et au plan de paix en dix points du président Zelensky. Il insistera sur la poursuite de la mise en œuvre des sanctions à l’égard de la Russie en renforçant la lutte contre les contournements de ces mesures restrictives.

Le Conseil européen appellera à poursuivre les travaux sur la lutte contre l’impunité en saluant la création du centre international pour juger du crime d’agression. Cette lutte contre l’impunité doit également concerner les transferts forcés massifs d’enfants ukrainiens par la Fédération de Russie, comme vous l’avez rappelé dans votre proposition de résolution européenne, adoptée à l’unanimité par la commission des affaires européennes. Ce point figure également dans le dixième paquet de sanctions, mais nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.

Sur ce sujet, il est important que nous restions très unis et fermes sur les messages envoyés par la France. En accueillant dans cet hémicycle, le 1er février dernier, le président de la Rada ukrainienne, vous avez témoigné du soutien indéfectible de la France à l’Ukraine.

Le Conseil européen reviendra sur les travaux concernant l’achat, la livraison et la production de munitions au niveau européen. Sur ce point très précis, les travaux sont encore en cours, et la question sera abordée en détail au Conseil conjoint des ministres des affaires étrangères et de la défense le 20 mars prochain.

Les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept réitéreront enfin leur engagement en faveur de la reconstruction de l’Ukraine et leur souhait de poursuivre le travail sur le recours aux actifs russes gelés et immobilisés.

Enfin, le Conseil reviendra sur la poursuite de l’initiative céréalière de la mer Noire, dont nous espérons vivement qu’elle sera prolongée.

Une partie substantielle du Conseil européen sera consacrée aux questions économiques, dans toutes leurs dimensions. Ce sera l’occasion de confirmer et d’amplifier la dynamique vers une souveraineté stratégique européenne. N’ayons pas peur des mots : oui, l’Europe peut être un véritable « espace puissance ». Le passage d’un espace économique à un espace-puissance implique fondamentalement d’ajouter à l’économie la capacité d’influence.

L’influence de l’Union européenne découle en grande partie de son marché intérieur de près de 500 millions de consommateurs qui, par son pouvoir normatif, lui donne le moyen de peser de façon décisive sur l’organisation des échanges internationaux.

Nous avons fait valoir auprès de la Commission européenne notre vision, qui est celle d’une politique industrielle ambitieuse. C’est d’ailleurs aussi ce même objectif que votre commission des affaires européennes a appelé de ses vœux dans sa proposition de résolution du 8 février sur le programme de travail de la Commission européenne pour 2023. Comme le Gouvernement, vous y appelez à une réponse européenne forte à l’adoption de l’Inflation Reduction Act américain, à la fois, par des outils de défense commerciale et par une nouvelle politique industrielle européenne.

Je veux être très claire sur ce point : l’affirmation de cette souveraineté européenne est notre priorité absolue. Elle est la traduction directe du discours de la Sorbonne de 2017. Elle est l’inspiration du sommet de Versailles de mars 2022 et de la présidence française du Conseil européen.

À cette fin, nous devons être en mesure de fixer des objectifs à horizon de 2030 et d’accompagner l’implantation des capacités de production européennes pour répondre à nos besoins stratégiques. Ces besoins stratégiques, ce sont, à la fois, par exemple, les matières premières ou les semi-conducteurs. Ces capacités permettront la réduction des dépendances de l’Union européenne et la réalisation de sa transition écologique.

Plusieurs leviers ont été évoqués et nous avions eu l’occasion d’en débattre ensemble lors d’un débat en séance le 8 février dernier.

Tout d’abord, il faudrait simplifier le cadre réglementaire pour l’octroi de permis, adapter la commande publique et accélérer les procédures d’évaluation de projets par la Commission européenne – je pense aux projets importants d’intérêt européen commun (Piiec), mais aussi aux aides d’État.

Il faudrait, par ailleurs, flexibiliser les possibilités de financement via les programmes européens afin d’optimiser ces ressources, et mobiliser les capacités d’investissements tant publiques que privées.

Il faudrait également soutenir une action renforcée pour conforter notre vivier de talents dans ces secteurs clés, car nous manquons aujourd’hui de main-d’œuvre dans bon nombre de ces secteurs.

Il faudrait enfin, en matière commerciale, poursuivre un dialogue soutenu avec nos partenaires tout en mobilisant, lorsque cela s’avère nécessaire, nos instruments de défense commerciale.

Le Conseil européen aura également l’occasion d’avoir un échange sur la gouvernance économique de l’Union européenne. Dans la continuité des échanges en Conseil des affaires économiques et financières (Écofin), hier, le Conseil européen devrait endosser les conclusions relatives à la révision de la gouvernance économique qui y ont été adoptées.

Cette question est fondamentale : les débats devront refléter la nécessité de concilier soutenabilité des finances publiques et réponse aux différents défis auxquels nous sommes confrontés. Le statu quo n’est pas envisageable, car le cadre actuel est inadapté aux défis qui se posent désormais à l’Union européenne, qu’il s’agisse de la transition ou de la dépendance énergétique, et de la souveraineté industrielle. Il est essentiel pour assurer à la fois ces investissements et la croissance que le Conseil s’accorde sur de grandes orientations communes, autour des principes de différenciation par pays pour assurer la crédibilité des trajectoires budgétaires. Nous souhaitons à ce titre que la Commission puisse rapidement présenter une proposition législative.

Concernant la situation énergétique, le Conseil européen se réunira quelques jours avant le Conseil des ministres de l’énergie, qui aura lieu à Bruxelles à la fin du mois de mars. Il sera surtout l’occasion d’aborder le sujet de la réforme du marché de l’électricité pour laquelle la Commission européenne a présenté sa proposition hier. L’objectif est clair, et vous l’avez rappelé dans votre proposition de résolution du 8 février dernier : il s’agit d’avancer le plus rapidement possible sur ce sujet afin d’aboutir à l’adoption d’une proposition d’ici à la fin de l’année 2023, pour être en position d’agir rapidement sur les prix de l’énergie.

Cette réforme, à nos yeux essentielle, doit répondre à deux objectifs : créer un cadre de marché apportant une plus grande prévisibilité et une visibilité accrue pour les producteurs d’électricité et les consommateurs ; garantir des prix plus stables et moins dépendants des cours des énergies fossiles.

Ce cadre sera également plus incitatif pour investir dans les énergies décarbonées, ce qui est essentiel pour réduire à la fois nos émissions et notre dépendance aux hydrocarbures.

Les chefs d’État et de gouvernement auront également l’occasion d’aborder d’autres enjeux en cours de discussions, notamment concernant l’hydrogène ou encore notre état de préparation pour l’hiver 2023-2024. La France, sur ce sujet, a une position constante : l’Union doit se préparer le plus en amont possible à l’hiver à venir, en particulier pour son approvisionnement en gaz naturel.

Le Conseil européen fournira également l’occasion d’un nouveau point sur les questions migratoires. Le Conseil européen des 8 et 9 février dernier a souligné toute l’importance du renforcement de notre action à l’égard des pays tiers, d’origine et de transit, au moyen de partenariats mutuellement bénéfiques et respectueux des droits de l’homme et des valeurs de l’Union européenne.

L’objectif est de prévenir les départs irréguliers, d’éviter les pertes de vies humaines, de lutter contre les trafics de migrants et de traite des êtres humains et de favoriser le retour, la réadmission et la réintégration durable des personnes qui ne remplissent pas les conditions de séjour sur notre territoire, notamment les personnes non éligibles à la protection internationale.

Dans cette optique, il est essentiel de mobiliser de façon coordonnée les instruments à notre disposition pour soutenir et responsabiliser nos partenaires en matière de gestion des migrations.

Il est crucial d’adopter une approche européenne coordonnée pour faire face à la situation actuelle en Méditerranée centrale, marquée par l’augmentation constante du nombre de personnes tentant de rejoindre l’Union européenne depuis la Libye, la Tunisie et la Turquie, conduisant à de trop nombreux drames humains, comme nous l’avons encore tristement constaté le 26 février au large des côtes italiennes.

En matière de dimension interne des migrations, le Conseil européen a souligné la détermination des chefs d’État et de gouvernement à maintenir le cap des négociations au sujet du pacte sur la migration et l’asile (PMA), qui constitue véritablement une boussole entre responsabilité et solidarité. La dynamique engagée au Conseil et au Parlement dans les négociations doit absolument être préservée afin de maintenir notre objectif d’une adoption d’ici à un an exactement.

Enfin, monsieur le président Rapin, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez raison d’insister dans une proposition de résolution sur le rôle de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, appelée communément Frontex. Il est clé. Nous aurons, je n’en doute pas, l’occasion d’en rediscuter.

Enfin, le Conseil européen reviendra sur les tremblements de terre tragiques survenus le 6 février en Turquie et en Syrie, qui ont fait plus de 52 000 morts.

Lors de leur dernière réunion, les 8 et 9 février, les chefs d’État et de gouvernement avaient exprimé leurs plus sincères condoléances pour les victimes et affirmé leur solidarité sans faille avec les populations des deux pays. Depuis, l’Union européenne et ses États membres se sont très rapidement mobilisés, de façon coordonnée, pour apporter leur aide financière et matérielle et atténuer les souffrances dans toutes les régions touchées. Nous sommes conscients de la gravité de la situation sur place et de l’immensité des besoins restant à couvrir : notre solidarité et notre soutien ne doivent donc pas s’arrêter là. C’est dans cet esprit que la présidence suédoise du Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne organisent une conférence des donateurs le 20 mars à Bruxelles, afin de permettre de mobiliser des fonds de la communauté internationale en faveur des populations sinistrées. Cela permettra également d’assurer la bonne coordination de l’aide versée par les différents contributeurs, malgré des difficultés logistiques, afin de couvrir de manière efficace les besoins des victimes sur le terrain.

Voilà, en quelques mots, les enjeux de ce Conseil européen. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne doute pas que vos questions me permettront d’éclaircir certains points. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Pascale Gruny applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères.

M. Olivier Cadic, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà à peine plus d’un an, les 10 et 11 mars 2022, les dirigeants des vingt-sept États membres de l’Union européenne se réunissaient à Versailles, sous présidence française, pour un sommet fondateur de notre politique extérieure commune. L’ensemble des États membres ont pu affirmer à cette occasion leur engagement au service d’une « souveraineté européenne », selon la formule défendue par la France depuis plusieurs années.

Depuis un an, la guerre se poursuit dans notre voisinage immédiat. Il est dès lors essentiel que l’Union européenne et ses États membres démontrent leur capacité à maintenir leur unité et à prouver leur détermination, à court, à moyen et à long termes, de devenir un acteur géopolitique à part entière dans les relations internationales.

À court terme, d’abord, j’aimerais aborder la dimension européenne de l’aide militaire livrée aux forces ukrainiennes, et plus particulièrement la question des munitions.

Sur le plan du financement, la mobilisation, dès le mois de février 2022, de la Facilité européenne pour la paix (FEP) pour financer en commun des livraisons d’armement à l’Ukraine est un succès, largement salué comme tel. Les sept enveloppes d’aide adoptées à l’unanimité depuis, ainsi que son refinancement, décidé récemment, témoignent de l’efficacité et de la pertinence de ce mécanisme.

Toutefois, dans l’immédiat, l’efficacité de notre soutien militaire commun rencontre de nouveaux obstacles, qui ne sont pas financiers. Je pense aux limites industrielles de notre appareil productif, notamment en matière de fabrication de munitions.

À la fin du mois dernier, le Haut Représentant Josep Borrell estimait à 50 000 le nombre de munitions tirées quotidiennement par l’artillerie russe. Quelques jours auparavant, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, avait déclaré publiquement que les forces ukrainiennes utilisaient des munitions à un rythme plus élevé que celui de leur production au sein de l’Alliance atlantique.

Madame la secrétaire d’État, quels sont, dans ce domaine, les leviers dont dispose l’Union européenne pour coordonner la stratégie des États membres en matière de livraison des munitions à l’Ukraine, voire pour en accélérer la cadence de production ?

À moyen terme, ensuite, il est impératif que l’épreuve que subit actuellement notre continent joue un rôle de catalyseur pour la constitution d’une base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) autonome.

La boussole stratégique européenne, adoptée l’année dernière, a fait de l’investissement dans la défense un de ses axes structurants. Mais nous accusons encore un retard difficile à justifier : seulement 18 % de nos dépenses de défense sont aujourd’hui réalisées en commun. Cet émiettement de l’industrie de défense européenne, qui nuit à notre crédibilité et à notre unité, n’est plus acceptable.

Il importe que nous intervenions avec vigueur pour empêcher que le déclenchement de la guerre en Ukraine n’ait pour conséquence indirecte d’accroître notre dépendance à l’industrie de défense américaine.

Madame la secrétaire d’État, quels sont les instruments dont dispose la France pour défendre notre souveraineté industrielle dans le secteur de l’armement ? Sur ce sujet, vous voudrez bien nous donner la position de la France sur l’instrument European defense industry reinforcement through procurement act (Edirpa) de financement d’achats en commun d’armement, actuellement discuté au Parlement européen.

À long terme, enfin, il est nécessaire que nous envisagions l’ensemble des conséquences diplomatiques que la guerre en Ukraine aura dans notre voisinage. Plus particulièrement, je pense au risque de déstabilisation des pays des Balkans occidentaux.

L’ouverture des négociations d’adhésion, l’été dernier, avec l’Albanie et la Macédoine du Nord a témoigné de la volonté de l’Union européenne de faire avancer le processus d’élargissement. Toutefois, il est essentiel que cette volonté se traduise par des bénéfices concrets et, surtout, immédiats pour les populations concernées. Je tiens à rappeler à cet égard qu’il s’est écoulé dix-sept ans entre l’octroi du statut de candidat à l’Albanie et l’ouverture des négociations d’adhésion.

Alors que les stratégies d’influence extérieures, aussi bien russes que turques ou chinoises, convergent vers les pays de cette région, nous devons leur donner des gages de notre engagement en faveur de l’élargissement. À cet égard, il serait utile que vous nous précisiez la position de la France sur la stratégie européenne dans les Balkans.

Pour terminer, je rappelle qu’un second sommet de la Communauté politique européenne (CPE) est annoncé au mois de juin en Moldavie. Pourriez-vous nous dire quel premier bilan vous tirez de cette initiative française au service de l’intégration en Europe des Balkans occidentaux ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après avoir suspendu l’application des règles du pacte de stabilité et de croissance en 2020, pour permettre aux États de mettre en œuvre les réponses budgétaires qui s’imposaient face à la crise sanitaire, la Commission européenne a engagé, à partir du mois d’octobre 2021, une réflexion sur la révision de la gouvernance des finances publiques en Europe.

Reposant sur un déficit inférieur à 3 % du PIB, sur une dette publique contenue en dessous de 60 % du PIB et sur la mise en œuvre de procédures de coordination entre les États et de correction des écarts, la gouvernance prévue par le pacte de stabilité et de croissance et le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) n’a pas véritablement permis d’assainir les finances de l’ensemble des États membres de l’Union. Plusieurs critiques avaient été adressées aux mécanismes prévus jusqu’ici.

D’abord, ils s’appliquaient de manière uniforme, c’est-à-dire sans tenir véritablement compte des grandes différences de situations qui peuvent exister entre les États, tant du point de vue des finances publiques que des capacités des économies. Aussi, une approche plus prudente, pragmatique et différenciée peut être souhaitable dans les phases de consolidation.

Ensuite, ils étaient sans doute trop complexes, puisque reposant, pour beaucoup, sur des variables économiques difficilement observables, et dont l’évaluation fait débat, à l’instar du PIB potentiel.

Enfin, ils n’étaient pas suffisamment souples pour permettre de différencier les dépenses qui doivent évidemment être maîtrisées de celles qui sont nécessaires pour faire face aux défis d’avenir : transition écologique, souveraineté en matière de sécurité, formation. Tout en étant particulièrement sensible au fait que les finances publiques des États membres, et plus particulièrement celles de la France soient davantage maîtrisées, j’ai salué l’ouverture d’une réflexion sur la réforme de la gouvernance budgétaire pour l’adapter aux enjeux du XXIe siècle.

La Commission européenne a proposé plusieurs pistes d’évolution dans une communication du mois de novembre 2022. Elles ont été présentées hier au Conseil Affaires économiques et financières du Conseil de l’Union européenne et adoptées par ce dernier.

Sans revenir sur la règle de limitation des déficits et de l’endettement à, respectivement, 3 % et 60 % du PIB, la Commission européenne propose notamment de maintenir le cadre commun de surveillance en rendant plus automatique la mise en œuvre des sanctions et que les États s’engagent sur des trajectoires pluriannuelles de moyen terme en décrivant leurs cibles budgétaires, ainsi que les réformes et investissements envisagés.

Il s’agit également de tenir compte des investissements prévus pour la transition écologique, le numérique et la défense. La Commission propose enfin de différencier les objectifs prévus pour chacun des États en fonction de la situation de leurs finances publiques.

Ces propositions devraient donner lieu prochainement à des initiatives au plan législatif de la part de la Commission européenne.

L’existence et la bonne application des règles de convergence budgétaire en Europe sont la condition de notre participation à la monnaie unique et au marché commun.

Par ailleurs, je crois que le pragmatisme du cadre de gouvernance qui est proposé engage la France. Alors que notre endettement s’élève en 2022 à près de 3 000 milliards d’euros et notre déficit à 4,7 % du PIB, le Gouvernement doit faire davantage d’efforts pour réduire les dépenses publiques à l’horizon 2027.

La trajectoire proposée par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques n’était, à cet égard, pas conforme à nos engagements européens. Elle ne l’aurait pas été davantage avec ceux qui découleraient des propositions de la Commission européenne. Il est donc temps d’anticiper et d’agir !

Je dirai également un mot de la crise des prix de l’énergie, qui, depuis son déclenchement, a conduit l’État à engager des dizaines de milliards d’euros pour en contrer les effets sur les ménages et les entreprises. Ces dépenses sont nécessaires à court terme, même si elles grèvent durablement nos finances publiques et si elles peuvent ne pas toujours paraître à la hauteur, notamment pour soulager nos entreprises les plus fragiles ou les plus exposées.

À plus long terme, nous le savons tous, une telle situation n’est pas tenable. Pour nous prémunir à l’avenir d’avoir à affronter ce dilemme entre la protection légitime de nos compatriotes et l’emballement incontrôlable de notre dette, une réforme structurelle du marché de l’électricité est indispensable.

Or les espoirs que nous portions sur la proposition qui doit être présentée cette semaine par la Commission européenne devraient malheureusement être déçus. Le Gouvernement semble n’avoir pas réussi à faire valoir nos intérêts, qui reposent sur un mix électrique décarboné et aux coûts de production faibles. De toute évidence, cet ajustement des règles du marché de l’électricité ne permettra pas de décorréler les prix du gaz et de l’électricité. Par conséquent, à la prochaine crise des prix, j’ai bien peur que nous soyons de nouveau contraints de prendre des mesures palliatives d’urgence, fortement coûteuses et moins efficaces. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, même si l’actualité nationale est aujourd’hui focalisée sur la réforme des retraites, nous ne devons pas perdre de vue l’échelon européen et les décisions structurantes qui s’annoncent à l’occasion de la prochaine réunion du Conseil européen, prévue dans huit jours.

Une délégation de la commission des affaires européennes était d’ailleurs hier au siège du Parlement européen, à Strasbourg, où elle a pu échanger avec près d’une vingtaine d’eurodéputés français de tous les groupes politiques. Vous y étiez aussi, madame la secrétaire d’État, comme à chaque session du Parlement européen ; nous avons été sensibles au fait que vous passiez nous saluer.

Nous avons également pu y rencontrer utilement le commissaire Thierry Breton dans la perspective du prochain Conseil européen. L’Ukraine sera assurément au cœur de son ordre du jour. Or Thierry Breton nous a confirmé que le conflit était entré dans une phase critique et que les prochaines semaines seraient décisives. Je ne reviens pas sur les propos d’Olivier Cadic, qui vous a suffisamment interrogé sur la question des munitions. Nous attendons des réponses, d’autant que cette situation pourrait nous faire entrer en économie de guerre.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser dans quelle mesure la France pourra contribuer à répondre aux besoins ukrainiens, compte tenu de notre dépendance en matière de munitions, sur laquelle le Sénat n’a pas manqué d’alerter le Gouvernement depuis plusieurs années ?

Nous sommes par ailleurs très préoccupés par le sort de la Moldavie. La menace russe d’en faire la prochaine Ukraine est à prendre au sérieux. C’est ce qui vous a conduite à vous rendre la semaine dernière à Chisinau, où vous avez retrouvé plusieurs de vos homologues pour manifester votre soutien à la présidente Maia Sandu, à l’occasion de la Journée internationale des femmes. Il est effectivement important de donner ainsi de la substance à la décision du Conseil européen du mois de juin 2022 d’accorder à la Moldavie le statut de candidat à l’Union européenne. Chisinau accueillera en outre, le 1er juin, le second rendez-vous de la Communauté politique européenne. La commission que je préside se propose de prolonger au plan parlementaire cette démarche. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous apporter votre appui sur un potentiel déplacement que pourrait effectuer notre commission pour manifester sa solidarité avec le parlement moldave ?

Le second grand enjeu du prochain Conseil européen sera de finaliser la réponse européenne à l’IRA, comme convenu en décembre. Le commissaire Breton a eu l’occasion de nous en présenter les grands traits hier. Comme lui, nous voyons trop d’entreprises européennes proprement aspirées vers les États-Unis. Nous ne pouvons que regretter le retard avec lequel la riposte européenne est arrivée. Néanmoins, sa structuration semble globalement satisfaisante. Elle favorisera l’autonomie européenne sur les matières premières critiques, alors que l’Union est aujourd’hui dépendante des importations à 100 % pour la moitié d’entre elles. Elle prévoit un nouvel assouplissement du régime des aides d’État, avec une clause « alignement » pour prévenir les délocalisations, et, en complément, un futur règlement « zéro émission nette » destiné à renforcer l’écosystème des technologies propres dans l’Union.

Madame la secrétaire d’État, nous nous demandons, d’une part, si la durée de l’assouplissement en matière d’aides d’État, prévu pour être temporaire, sera aussi longue que celle qui est prévue par l’IRA et, d’autre part, dans le champ des technologies « zéro émission », si les technologies nucléaires pourront bénéficier du futur règlement.

Nous souhaiterions aussi savoir si le levier des marchés publics, auquel les États-Unis n’hésitent pas à recourir pour soutenir les technologies propres, fera partie de l’arsenal européen, et si une préférence européenne en la matière sera retenue.

Enfin, la Commission vient de présenter la dernière brique de la réponse à l’IRA, destinée à juguler la hausse des prix de l’énergie. Il s’agit de la réforme du marché de l’électricité. Le Gouvernement s’en félicite déjà, bien qu’elle ne revienne pas sur le principe fondamental du merit order. À ce stade, madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous confirmer que les spécificités des mix nationaux seront bel et bien prises en compte et que les consommateurs en tireront profit sur leur facture énergétique ? De jour en jour, nous mesurons en effet dans nos territoires les dégâts de l’inflation pour nos concitoyens. L’Union européenne se doit de les en protéger. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, plus d’une année s’est écoulée depuis l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Ce que l’on redoutait se produit : le conflit dure.

Il est trop tôt pour parler d’enlisement, mais on peut certainement déplorer un durcissement. Sur le terrain, la dureté des combats à Bakhmout illustre en effet une situation très difficile.

Devons-nous craindre qu’une guerre initialement confinée à l’Europe ne se mue en conflit plus général ? Le flou de Pékin sur d’éventuelles livraisons d’armes à Moscou interroge, de même que les manœuvres de Vladimir Poutine pour pousser l’Iran à l’offensive contre l’Occident. Aussi, l’Union européenne doit s’apprêter à affûter ses armes, si j’ose dire.

Tout d’abord, à ce stade de la guerre, il ne reste plus de place pour l’hésitation. L’Europe doit définitivement s’accorder sur une vision unique : si le peuple russe n’est pas l’ennemi, la Russie de Vladimir Pouline l’est devenue. Tant que ce dernier restera au pouvoir, il apparaît difficile de rétablir la confiance.

Pour garantir la sécurité collective, les pays membres de l’Union européenne doivent donc tous partager les craintes exprimées depuis longtemps par les membres du centre de l’Europe et les pays baltes. À cet égard, en tant que présidente du groupe d’amitié sénatorial France-Moldavie, je suis inquiète face aux tentatives de déstabilisation de Chisinau. La présidente moldave, Maia Sandu, redoute un plan russe visant à troubler son pays, qui est, je le rappelle, candidat à l’Union européenne.

Dans ces conditions, je ne doute pas que le prochain Conseil européen réaffirmera, comme il l’a fait lors de sa dernière réunion du mois de février dernier, son soutien, non seulement à l’Ukraine, mais aussi à tous ses voisins menacés par l’impérialisme russe. Dans cette perspective, mon groupe soutient la politique de pression collective engagée par l’Europe, notamment le plafonnement des prix des produits pétroliers, toutes les mesures restrictives adoptées en étroite coordination et coopération avec les partenaires mondiaux, ainsi que les dispositifs anti-contournement qui les accompagnent.

Le dernier Conseil européen a exprimé son soutien à la formule de paix en dix points présentée par le président Zelensky. Au sein du RDSE, nous sommes bien entendu également dans l’attente de la recherche d’une paix négociée, même si, je l’ai dit, le dialogue avec Moscou est rompu.

En attendant, mes chers collègues, nous sommes dans une impasse face à un conflit qui a un impact direct sur l’économie européenne.

Si les prix de l’énergie se tassent un peu, cette question sera une nouvelle fois à l’ordre du jour du prochain Conseil. Madame la secrétaire d’État, comment recevez-vous les propositions avancées hier par Bruxelles sur le marché de l’électricité ? On voit bien qu’une vraie réforme de fond, promise par la présidente de la Commission, s’éloigne de plus en plus. Il semblerait que l’on se contente de stabiliser les prix, alors qu’il faudrait revoir leur mode de fixation.

En attendant, je dois dire que l’on ne peut qu’accueillir favorablement l’idée d’imposer à tous les fournisseurs d’énergie ayant plus de 20 000 clients particuliers des contrats à prix fixes. De même, la possibilité pour les États membres de réduire la facture des consommateurs est également une bonne chose, à un moment où nos concitoyens les plus modestes sont pris en tenaille entre les coûts croissants des charges contraintes et les dépenses alimentaires incontournables. Quant aux petites entreprises, les protéger contre les fluctuations des énergies fossiles par un régime de garantie ou un soutien public au contrat d’achat de combustibles non fossiles constitue aussi une initiative de bon sens.

Si toutes ces mesures, pour beaucoup conjoncturelles, méritent d’être soutenues, il faut que la France renforce encore sa vision de long terme. C’est une nécessité pour que notre pays retrouve une grande part de souveraineté énergétique.

Vous nous avez confirmé, madame la secrétaire d’État, que le nucléaire faisait bien partie de la réforme proposée par Bruxelles. Compte tenu de notre modèle énergétique, il est évident qu’il paraît difficile de se passer de centrales nucléaires. Pour autant, ce maintien de l’atome dans notre mix énergétique ne doit pas empêcher la France de combler le retard considérable qu’elle a pris dans le développement des énergies renouvelables. J’espère que la loi relative à l’accélération de la production des énergies renouvelables, tout juste adoptée, et que mon groupe a soutenue, tiendra ses promesses.

Pour terminer, je tiens à souligner la demande du Bureau européen des unions de consommateurs, qui recommande à l’Union européenne d’interdire les allégations climatiques trompeuses sur les aliments, telles que « bananes climatiquement neutres ». Ce bureau a publié une étude rappelant, notamment, que la production de tous les aliments et boissons nécessitera toujours l’émission de carbone et que ces allégations induisent les consommateurs en erreur. Attachée aux questions d’étiquetage des aliments, je souhaite, madame la secrétaire d’État, que la France soit attentive à cette politique, ainsi qu’à celle de la protection des indications géographiques protégées.

Sur ce dernier point, j’insiste pour qu’une approche harmonisée ne remette pas en cause la richesse, l’identité et les usages dans nos territoires des produits d’excellence. Comme vous le savez, près de 200 appellations viticoles de l’Union européenne se sont inquiétées de la proposition de réforme des règles en matière d’indications géographiques. Il serait question d’externaliser l’examen des cahiers des charges vers une agence de l’Union européenne, à savoir l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO). Merci de rassurer nos producteurs et artisans du goût sur ce volet. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, parmi les nombreux sujets qui seront abordés lors du Conseil européen des 23 et 24 mars, il y aura celui de la compétitivité de l’Union européenne.

Cette compétitivité doit être ardemment soutenue, que ce soit dans le domaine agricole ou dans le domaine industriel. Il y va de l’avenir de nos économies, mais aussi de notre souveraineté.

C’est tout l’objet du plan industriel du Pacte vert, qui sera encore au menu des discussions des Vingt-Sept à Bruxelles, et dont l’ambition est claire : décarboner notre économie et enrayer notre déclin industriel. Et il y a urgence !

Depuis plusieurs décennies, les pays émergents exercent sur notre industrie une concurrence de plus en plus vive, y compris dans des secteurs où l’Europe pensait qu’elle aurait toujours une longueur d’avance, comme l’aéronautique, le nucléaire ou la grande vitesse ferroviaire.

À cela s’ajoute une remise en cause permanente de l’organisation collective du commerce international. Pendant que l’Europe s’évertue à respecter à la lettre les règles multilatérales, la Chine continue ses pratiques commerciales déloyales et les États-Unis se réfugient dans un néoprotectionnisme assumé.

Le dernier exemple en date est la loi sur la réduction de l’inflation, dite IRA, qui va concentrer les fonds publics américains sur les produits Made in America, creusant encore un peu plus les écarts de compétitivité et augmentant le risque de délocalisations de nos entreprises vers les États-Unis.

Si l’Europe ne réagit pas, ce plan américain pourrait, selon la Première ministre, faire perdre à court terme 10 milliards d’euros d’investissements à la France et entraîner la perte de 10 000 créations potentielles d’emplois.

Dans ce contexte, la nécessité de bâtir une politique industrielle à l’échelon européen est non plus une option, mais une obligation !

Nous devons nous donner les moyens de jouer à armes égales avec nos concurrents, en exigeant la réciprocité dans nos relations commerciales, en adaptant notre politique de concurrence à la réalité de l’économie du XXIe siècle, et en imposant dans nos programmes de subventions des exigences de localisation des approvisionnements et de la production.

Certaines clauses contenues dans le projet de règlement pour une industrie « zéro émission nette » semblent nous conduire dans cette direction, mais tout cela est encore bien timide, alors qu’il nous faudrait affirmer avec force un changement complet de paradigme.

De la même façon, comment comprendre, au regard du contexte climatique, que ce projet de règlement semble vouloir exclure le nucléaire de son champ d’application ? Comment imaginer que, demain, l’industrie européenne puisse être à la fois compétitive et sobre en carbone, tout en snobant l’atome ? L’« alliance du nucléaire » lancée par Agnès Pannier-Runacher a visiblement encore beaucoup de travail pour que la Commission et certains États membres ouvrent enfin les yeux sur cette question fondamentale.

Le risque de déclassement touche aussi l’industrie agricole. Je voudrais prendre l’exemple de l’industrie sucrière, qui apparaît actuellement en grande fragilité. Tereos vient ainsi d’annoncer la fermeture de deux de ses usines en France. Comment ne pas y voir la conséquence directe de la pression réglementaire croissante sur les moyens de production de la culture betteravière ?

Les surtranspositions nationales et les distorsions de concurrence en Europe aboutissent inexorablement à une baisse continue des surfaces de betteraves et fragilisent nos outils industriels, qui doivent faire face à un environnement toujours plus concurrentiel.

Le choix politique d’interdire totalement les néonicotinoïdes à partir de 2018 a conduit toute une filière dans l’impasse. Madame la secrétaire d’État, allez-vous demander l’activation de la réserve de crise agricole de l’Union européenne pour venir en aide aux producteurs de betteraves affectés par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne sur les dérogations d’urgence pour les néonicotinoïdes ?

Je voudrais également évoquer deux autres sujets, sur lesquels je travaille en ce moment avec la commission des affaires européennes du Sénat.

Il y a d’abord la création d’un espace européen des données de santé. Si l’on souhaite que nos concitoyens autorisent l’utilisation de leurs données de santé à des fins de recherche, il faut leur assurer que celles-ci seront protégées et qu’elles ne seront pas utilisées à d’autres fins.

Il est donc indispensable, comme l’a demandé le Parlement européen, que ces données soient hébergées sur le territoire de l’Union, où les États membres respectent le règlement général sur la protection des données (RGPD).

Cet hébergement suppose également des technologies de pointe, que nous devons maîtriser. Pour cela, il nous faut absolument investir davantage dans le domaine du numérique, sans quoi nous condamnerions notre économie à être en permanence dépendante de technologies venues d’ailleurs.

La compétitivité des entreprises passe aussi par un système réglementaire favorable à l’investissement. Nous devons donc être attentifs à certaines propositions de règlement, comme celle qui consiste à réviser le système de redevances perçues par l’Agence européenne des médicaments. Il s’agit de s’assurer que certains produits continueront d’être fabriqués et commercialisés sur le territoire de l’Union.

La Commission européenne doit présenter à la fin du mois de mars une réforme de la législation pharmaceutique. Nous comptons sur vous pour veiller à ce que celle-ci permette le développement effectif d’une industrie pharmaceutique innovante sur le territoire de l’Union, mais également le maintien d’une industrie produisant des médicaments plus matures, afin d’éviter les pénuries que nous connaissons aujourd’hui.

Le second sujet concerne la directive sur les travailleurs de plateformes, pour laquelle les négociations au Conseil se poursuivent, mais semblent patiner.

Au vu des divergences encore existantes entre les États membres, plusieurs questions se posent : est-il légitime d’espérer un accord au Conseil pour faire aboutir ce texte sous présidence suédoise, comme celle-ci l’annonce, ou plutôt compter sur la présidence espagnole, dont la législation nationale est avancée sur le sujet ? La France est-elle prête à faire des concessions pour parvenir à un accord ?

Pour conclure, mes chers collègues, sur toutes ces questions ayant trait à la compétitivité de l’Union européenne, nous n’avons d’autre choix que de faire preuve de volontarisme. À défaut, l’Europe risque d’être balayée par des concurrents internationaux toujours plus déterminés et conquérants.

Nous sommes donc aujourd’hui à la croisée des chemins : soit nous nous donnons les moyens de continuer à peser dans les affaires du monde, soit nous devenons un continent sous influence. Je forme le vœu que l’Europe choisisse la voie du sursaut, et non celle du renoncement ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cela fait plus d’un an que les atrocités sont en cours en Ukraine ; plus d’un an que des enfants ukrainiens sont déplacés massivement vers la Fédération de Russie.

Ces enfants sont naturalisés, leurs noms sont changés, et même leurs filiations sont modifiées. Ces crimes sont punis par le droit international, et je salue le travail fourni par de nombreuses personnes et organisations, afin de faire toute la lumière sur ces faits innommables.

La commission des affaires européennes du Sénat a travaillé, sur l’initiative de notre collègue André Gattolin, sur une proposition de résolution européenne dénonçant ces transferts forcés. Plusieurs points concernent l’action de l’Union européenne et vont au-delà des sanctions qu’il faut maintenir, bien sûr, pour exercer une pression significative sur la Russie.

Nous devons, collectivement, continuer à condamner ces faits. Il faut les documenter le plus précisément possible, afin que justice puisse se faire en temps et en heure.

Le groupe Les Indépendants est très investi sur la question de l’Ukraine. Sur l’initiative de Claude Malhuret, nous avons fait adopter au Sénat le 7 février dernier, à une très large majorité, une proposition de résolution exprimant le soutien de notre assemblée à l’Ukraine, condamnant la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie et appelant au renforcement de l’aide fournie à l’Ukraine. Nous y dénoncions déjà l’enlèvement des enfants et les déplacements forcés. La proposition de résolution portée par André Gattolin prolonge ce travail.

J’espère, madame la secrétaire d’État, que la France portera la vision de ces deux propositions de résolution au Conseil européen.

Ce conflit a aussi de fortes répercussions sur les Européens. En matière énergétique, les annonces de la Commission sur son projet de réforme du marché de l’électricité marquent un premier point d’évolution. C’est le futur des Européens qui se dessine. Cette nouvelle crise majeure nous oblige à avancer.

Madame la secrétaire d’État, quels sont les points principaux que vous défendrez au-delà du découplage des prix du gaz et de l’électricité, mesure qui n’a pas été retenue bien qu’elle me semble essentielle ?

De plus, comment vont se passer les hivers prochains, particulièrement concernant les stocks de gaz, sujet dont on doit se soucier dès l’été ? Les citoyens européens ont besoin de prévisibilité face aux prix de l’énergie.

Le sujet de l’énergie déstabilise notre compétitivité à court terme, mais aussi à long terme. La loi IRA des États-Unis, dont l’objectif est de « booster » l’industrie verte et le secteur de la santé, met en danger notre marché commun. Bien que l’objectif de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre de 50 % en 2030 soit louable, nous ne pouvons pas laisser partir nos industries.

Nous ne pouvons pas accepter que notre marché commun soit envahi par des produits moins chers, fabriqués hors Union européenne. Les règles de concurrence doivent rester équitables. Il faut stimuler et soutenir notre compétitivité. Notre souveraineté n’est pas une option. Seule notre indépendance doit nous guider.

Le plan industriel du pacte vert, présenté demain, sera l’un des sujets majeurs de la semaine prochaine. La Commission européenne travaille sur la simplification de l’accès aux financements, aux aides d’État, tout comme sur la facilité en matière de réglementation. L’objectif est de réaliser une transition juste et efficace.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous déjà nous indiquer les actions que pourrait mettre en œuvre le Gouvernement, afin que ces règles puissent s’appliquer rapidement et correctement sur nos territoires ? Une ingénierie locale est-elle prévue, afin d’aider nos entreprises et nos concitoyens qui font face aux complexités européennes et se sentent parfois bien démunis ?

Enfin, j’en terminerai par un point non moins stratégique, même s’il ne sera pas forcément à l’ordre du jour du Conseil européen : notre relation avec le Royaume-Uni.

Nous avons longuement débattu du sujet dans cet hémicycle. Nous nous sommes émus du choix des Britanniques de sortir de l’Union. Nous avons exprimé notre colère et nos craintes face à leur attitude lors des négociations de l’accord de retrait, ainsi qu’après. Nous sommes restés fermes face au Northern Ireland Protocol Bill et aux remous provoqués par le sujet de la pêche. Nous avons tenté de formuler des solutions. Nous sommes restés suspendus bien des fois au vote du Parlement britannique et, quelquefois, à son refus.

Trois ans après le départ du Royaume-Uni, la relation semble enfin apaisée, tout du moins au niveau des discussions. Le 27 février dernier, le cadre de Windsor a permis d’apporter une nouvelle pierre à notre relation nouvelle.

Certains ont évoqué une normalisation. Nous partageons une histoire, des valeurs et une vision communes sur bien des plans. Nous vivons sur le même territoire. La relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sera toujours au-delà de la normalité, car elle est extraordinaire.

Cependant, madame la secrétaire d’État, les règles négociées sur le statut de l’Irlande du Nord assurent-elles la protection du marché unique ? Ma question concerne le volet pratique : sommes-nous sûrs de pouvoir matériellement assurer les contrôles et la coopération nécessaires en matière d’effectifs et d’infrastructures ? Si tel n’est pas le cas, à quel horizon serons-nous prêts ? Plus largement, pouvez-vous revenir sur les étapes qu’il reste à franchir pour entériner concrètement ce cadre ?

Le Conseil européen qui arrive est encore une fois crucial. Comme à chaque fois, vous n’avez d’autre choix que de réussir, mais vous avez aussi toute notre confiance ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et RDSE, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Jacques Fernique. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la Commission européenne a présenté hier sa proposition de réforme du marché de l’électricité pour soulager les consommateurs en agissant sur les prix, orienter le marché vers les énergies renouvelables et dépendre moins des coûts des fossiles.

Alors que cette présentation ouvre une phase qui sera déterminante, je pose nettement la question : devons-nous nous résigner, sur ces enjeux européens majeurs, à voir la France se comporter comme un petit pays de la négociation européenne, obnubilé par la défense, partout et toujours, de sa spécificité nucléaire ?

Ainsi, notre gouvernement s’est montré très actif pour développer les contrats à long terme, notamment pour soutenir le nucléaire. Pour faire plaisir à la France, l’Espagne propose donc de promouvoir les contrats de différence pour les technologies qui ne sont pas soumises à la concurrence d’une nouvelle entrée sur le marché,… comme le nucléaire !

Ce lobbying s’étend à bien d’autres dossiers, comme la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments, par exemple, ou prend la forme de pressions pour inclure des objectifs de déploiement de l’hydrogène nucléaire dans le cadre réglementaire européen en cours de révision.

Pendant ce temps, la France est le seul État membre à devoir débourser 500 millions d’euros pour n’avoir pas atteint son objectif d’énergies renouvelables pour 2020 ! Notre pays européen est le seul à la traîne, tant pour l’éolien que pour le solaire, dont le boom mondial et les bas coûts sont à présent avérés.

La France persiste et signe dans la voie du nucléaire. Or ce choix n’aura aucune utilité dans les quinze ans à venir. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) le martèle pourtant : c’est dans les dix prochaines années que les principaux investissements de transition énergétique doivent produire leurs résultats pour le climat. Chaque euro dépensé au profit d’un nouvel essor nucléaire sera autant en moins pour le déploiement des énergies renouvelables.

La découverte de fissures non négligeables sur des réacteurs à Penly et à Cattenom, les sécheresses plus fréquentes et plus marquées qui fragiliseront les localisations le long des fleuves, les déchets, les incertitudes sur un financement qui n’est absolument pas maîtrisé et un coût moyen de production d’électricité nettement plus élevé sont autant d’arguments pour ne pas tout engager dans cette voie et au travers d’un tel lobbying européen.

Ce lobbying est même cynique : ignorant la demande du Parlement européen d’un embargo immédiat, notamment sur l’uranium russe, la Commission a plié face au président Emmanuel Macron. Elle a renoncé, à l’instar du Conseil, à sanctionner des cadres importants du nucléaire russe, comme ceux de Rosatom, une entreprise créée par Poutine lui-même.

Le nucléaire est à l’abri des sanctions. En pleine guerre russe contre l’Ukraine, la France a quasiment triplé ses importations d’uranium enrichi provenant de l’aire d’influence russe, et elle a exporté en 2022 vers la Russie l’intégralité de son uranium de retraitement.

La France ne brille pas non plus par son exemplarité concernant la protection des océans. Notre secrétaire d’État chargé de la mer a réussi l’exploit ici même, la semaine dernière, de qualifier le traité sur la haute mer d’« historique », tout en défendant bec et ongles, dans la même phrase, le chalutage de fond dans les aires marines protégées.

Quel est le sens de la notion d’aire marine protégée si un ministre défend des engins de pêche qui ravagent les fonds marins, des pratiques si destructrices de la biodiversité ? L’écart entre les opérations de communication du Gouvernement et ce qu’il défend réellement est sidérant ! Jacques Attali s’en est d’ailleurs offusqué sur Twitter.

Il serait grand temps d’écouter les scientifiques du Conseil international pour l’exploration de la mer (Ciem) et de fermer les zones de pêche concernées pendant les pics d’échouage de dauphins, tout en compensant financièrement les pêcheurs. L’inaction du Gouvernement en la matière cause la mort de plusieurs centaines de dauphins par an sur la côte Atlantique et lui vaudra sans doute d’être bientôt condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

A contrario de mes critiques sur les renouvelables et la protection des biodiversités marines, je tiens à saluer le cap maintenu par le Gouvernement concernant l’échéance européenne de fin de vente des véhicules neufs à moteur thermique en 2035.

Le revirement allemand et sa tentative de monter une minorité de blocage sont inacceptables. Comment le parti libéral-démocrate, en déconfiture électorale, et de mèche avec des intérêts privés de petits et moyens constructeurs sous-traitants, pourrait-il saboter les chances de nos constructeurs de répondre au défi chinois en contrecarrant ainsi l’échéance de 2035, qui est une nécessité écologique et industrielle ?

C’est précisément le Green Deal européen et une stratégie industrielle qui ne soit pas à très courte vue qui réduira l’écart avec les constructeurs chinois et contribuera à apporter une réponse à la hauteur de l’IRA.

Ne laissons pas détricoter le Green Deal ! Ne laissons pas tuer dans l’œuf les discussions sur la norme Euro 7, qui viennent de très mal démarrer ! Tenons bon sur l’échéance de 2035 !

Enfin, je salue le vote au Parlement européen, aujourd’hui, d’un revenu minimum européen. Il est temps de concrétiser l’un des objectifs affichés par l’Union : réduire la pauvreté de moitié d’ici à 2030 sur le continent.

Cela passe aussi par notre jeunesse : en France, une personne pauvre sur deux a moins de 30 ans. Cette dynamique européenne, dont témoigne le vote intervenu ce jour doit inciter notre pays à mettre un terme à la discrimination des moins de 25 ans pour l’accès au revenu de solidarité active (RSA) ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Patrice Joly applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne se trouve dans une situation des plus paradoxales. Ce n’est pas la première fois de son histoire, mais, dans le contexte actuel et extrêmement grave de la guerre en Ukraine, ce paradoxe interroge et, d’une certaine manière, inquiète.

Après avoir honorablement fait face à trois crises inédites qui auraient pu la mettre en péril ou lui coûter son existence, l’Union européenne semble aujourd’hui potentiellement menacée par un banal accident de voiture. Je vous l’accorde, ce propos sibyllin et quelque peu mystérieux mérite explication…

Ces trois crises inédites successives, ces trois astres noirs qui ont fait irruption dans la paisible galaxie Europe, nous les connaissons tous.

La première crise est évidemment celle qui a résulté du Brexit.

Pour la première fois de son histoire, l’Union a vu l’un de ses membres, et non des moindres, claquer la porte, en posant pour sa sortie des conditions parfois assez irréalistes. La négociation fut longue et pénible, et l’accord une fois trouvé fit encore l’objet de renégociations.

Les divisions fratricides, souvent prédites, entre les vingt-sept membres restants de l’Union n’ont cependant pas eu lieu. Il nous semble même apercevoir le bout du tunnel après l’accord de Windsor, évoqué par notre collègue Colette Mélot, passé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, qui révise en termes acceptables l’épineux protocole douanier concernant l’Irlande du Nord.

Le sommet franco-britannique qui s’est tenu voilà quelques jours à l’Élysée vient également de sceller les bases d’une nouvelle relation constructive entre nos deux pays. Bien sûr, et même si une proportion croissante de Britanniques dit désormais regretter le choix du Brexit, le Royaume-Uni n’est pas près de revenir sur sa décision historique.

On note cependant que la nouvelle donne internationale et, plus encore, la dégradation de la situation économique outre-Manche semblent ouvrir la voie à des relations plus apaisées et, surtout, à des coopérations accrues entre l’archipel et l’Union européenne.

Pourriez-vous, madame la secrétaire d’État, nous faire un point sur les perspectives qui s’ouvrent aujourd’hui à ce sujet ?

La deuxième crise inédite, à la fois sanitaire, économique et sociale, fut celle de la pandémie de covid-19.

Là encore, l’Union a réagi assez vite, notamment dans un domaine, la santé, qui ne relevait pourtant pas de ses compétences propres. Elle a su aussi réagir économiquement, avec un plan de relance sans précédent et une suspension de ses sacro-saintes règles sur le déficit budgétaire et l’endettement public autorisés.

Après une récession très marquée en 2020, les économies européennes ont connu un rebond presque inespéré en 2021. Certes, tout cela s’est fait au prix d’un endettement accru des États membres, et la Commission appelle depuis quelques mois à un retour au respect des règles budgétaires édictées par les traités européens.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire quelle est aujourd’hui la philosophie de la Commission en la matière, notamment au regard des lourdes conséquences, en particulier budgétaires, qui résultent de l’actuelle guerre en Ukraine ?

La troisième crise inédite affrontée par l’Union est celle de la terrible guerre d’agression menée par la Russie depuis plus d’un an à l’encontre de l’Ukraine, avec son cortège déjà long de graves conséquences tant économiques que politiques.

Chronologiquement, c’est la plus récente des crises dont je viens de faire la liste, mais rien malheureusement ne nous assure qu’il s’agisse de la dernière, compte tenu de l’instabilité géopolitique globale qui règne désormais, des soubresauts qui agitent le monde bancaire et financier ou des nouvelles crises migratoires qui pourraient se profiler.

Notons que si ces trois crises paraissent se succéder dans le temps, certaines conséquences au long cours des deux premières viennent en partie se superposer à l’instant présent, le tout impactant simultanément nos économies et les équilibres politiques qui, jusqu’à présent, s’imposaient au sein de l’Union.

Le premier constat que l’on peut faire, avec toute la prudence qui sied lorsque l’on s’aventure sur les terres incertaines de l’avenir, c’est que l’Union a réagi avec davantage de rapidité et d’ampleur que nous n’aurions osé l’imaginer avant cette guerre. Cette réaction, souvent qualifiée de « réveil géopolitique de l’Europe », est d’ailleurs – il faut bien l’avouer – moins significative en valeur relative qu’en volume des engagements pris. Elle nous frappe surtout en comparaison de l’inanité qui prévalait dans la partie occidentale de notre continent face à la menace extérieure.

En valeur relative, force est de constater que, si progrès il y a, en revanche, on n’observe pas encore « l’effet waouh » qui ferait entrer l’Europe dans le cercle restreint des acteurs géostratégiques pesant le plus dans notre monde en pleine recomposition. Pour autant, il faut admettre qu’en dépit de la grande diversité des nations qui composent l’Union, cette dernière a fait preuve d’une grande cohésion et de résilience depuis le début du conflit.

Bien sûr, le cas de la Hongrie fait singulièrement tache dans ce tableau européen plutôt harmonieux. Madame la secrétaire d’État, pensez-vous que M. Viktor Orban puisse être en mesure de refuser et de bloquer d’éventuelles nouvelles mesures européennes en faveur de l’Ukraine – ou au détriment de la Russie – et de son adhésion future à l’Union ?

Notons qu’il existe au moins une conséquence positive de l’attitude négative de la Hongrie : le fameux groupe de Visegrad, qui a souvent entravé la dynamique européenne au cours des quinze dernières années, a définitivement volé en éclats.

Il faut également se féliciter du rééquilibrage Est-Ouest qui semble s’opérer aujourd’hui, à la faveur des événements, au sein de l’Union. Le poids nouveau pris par la Pologne et la Roumanie pourrait favoriser, à terme, une meilleure intégration politique de ces pays dans une Europe qui n’a désormais pas d’autre choix que de se repenser.

Plus généralement, et en dépit des réactions positives aux crises des dernières années, nous restons dans les faits encore loin de l’union invoquée en guise de prophétie auto-réalisatrice lorsque nous avons formellement décidé, en 1993, d’adopter la dénomination d’« Union européenne ». Objectivement, et près de vingt ans après le grand élargissement, nous commençons à peine à nous commuer en une véritable communauté de nations et de peuples. Alors, restons lucides, d’autant que le processus d’intégration, comme le processus démocratique, n’est ni constant ni linéaire. Nous ne sommes jamais à l’abri d’une régression.

Pour illustrer ce risque et éclairer mon propos préalable sur un possible banal accident automobile qui pourrait mettre à mal le fonctionnement de l’Europe, je veux rapidement évoquer, à l’instar de Jacques Fernique, l’attitude récente de l’Allemagne, qui a remis soudainement en cause l’accord trouvé à l’issue d’un trilogue, pourtant concluant, sur la proposition de règlement mettant fin à la vente de véhicules neufs à moteur thermique à l’horizon 2035.

Nous connaissons tous l’importance de l’industrie automobile dans l’économie et la politique allemandes. Nous sommes nombreux à nous rappeler l’empressement de Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission, à se rendre à Washington au mois de juillet 2018 pour tenter de convaincre le président Trump de renoncer à une hausse des taxes d’importation sur les automobiles européennes, comme par hasard à 80 % allemandes, au détriment des alcools et des produits de luxe, comme par hasard essentiellement français et italiens…

Ce type d’attitude est totalement délétère pour un juste et équitable fonctionnement interne de l’Union. Déjà, le « cavalier seul » qui fut par le passé opéré par l’Allemagne en matière de dépendance gazière excessive à l’égard de la Russie continue aujourd’hui de nous coûter collectivement très cher.

Voilà quelques mois, nous avions tous salué, au Sénat et ailleurs, la décision allemande d’investir enfin très significativement dans sa défense et dans celle de l’Europe. Par sa très récente décision, Berlin semble renouer avec une conception plus nationale qu’européenne, plus mercantile que politique, de sa place au sein de l’Union. C’est une erreur, je crois, qu’il convient très vite de corriger. (Applaudissements au blanc des commissions. – M. Jacques Fernique applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, 55 milliards d’euros de recettes commerciales en 2021, 431 milliards d’euros de déficit commercial en 2022 : voilà l’évolution de l’Union européenne, une illustration de plus du choc et de l’importance de la remise en cause de notre modèle européen.

Face à cette remise en cause, il est indispensable de faire preuve d’humilité, mais aussi de solidarité. Nous sommes en effet tous responsables, et chercher des boucs émissaires parmi nos partenaires ne nous permettrait pas de trouver, en solidarité, une réponse à ce défi commun : définir un nouveau modèle sans se battre sur les questions de nucléaire ou de production et de transmission d’hydrogène…

Nous devons plus que jamais, et de manière encore plus résolue au vu de ce que nous avons vécu en 2022, avancer vers le Green Deal, encore une fois en solidarité, en sachant que nous trouverons ensemble une solution.

En effet, malgré les échos pessimistes qui nous reviennent, l’Union européenne est encore un espace fort en matière commerciale.

La puissance commerciale de l’Union est, certes, un atout, mais qui n’est pas suffisant. Nous l’avons vu, lorsque l’on commerce sans s’aimer, survient le Brexit… Et lorsque l’on commerce sans se comprendre, à un moment se produit un choc : c’est ce que nous vivons aujourd’hui avec la Russie.

Chercher à construire un nouveau modèle ne peut pas se faire en autarcie ; il faut en passer par des accords commerciaux qui sont assumés par l’ensemble des populations et qui répondent aux exigences actuelles en matière de respect de l’environnement et de compréhension des questions climatiques, environnementales et sociales.

Madame la secrétaire d’État, nous entendons dire que la Commission européenne pourrait dissocier les accords commerciaux, afin d’éviter le passage devant les parlements nationaux : il y aurait, d’une part, une partie strictement commerciale, ainsi qu’on l’entendait dans les années 1980, et, d’autre part, une partie politique. Ce n’est ni sérieux ni correct !

Si nous avons de bons accords politiques et de bons accords commerciaux, nous pourrons avancer. Mais passer des accords commerciaux comme au siècle dernier n’est certainement pas le bon moyen de placer l’Union européenne en position de force !

Tout ce qui a pu être dit sur nos faiblesses, en termes notamment d’aides d’État, justifie que nous construisions nos projets différemment, de façon plus politique. La Commission européenne doit savoir avancer avec l’ensemble des parlements nationaux pour que nous ne nous trouvions pas devant le fait accompli en matière d’accords commerciaux.

Nous devons plus que jamais nous mobiliser pour soutenir l’Ukraine et lui fournir les armes qui lui permettront, demain, d’imposer la paix sur son territoire. Il nous faut aussi soutenir les réfugiés que nous accueillons.

Nous devons, en outre, reconnaître le droit pour la Cour pénale internationale (CPI) de lancer des mandats d’arrêt contre toutes les personnes responsables de crimes de guerre en Ukraine. À cet égard, je veux saluer la proposition de résolution européenne dénonçant les transferts forcés d’enfants, présentée par André Gattolin. Aucun niveau de la chaîne de commandement et d’exécution de ce qui peut être qualifié de crime de génocide ne doit bénéficier d’une quelconque impunité.

Nous devons au peuple ukrainien, à ses souffrances et à son combat de défendre l’État de droit plus résolument que jamais, auprès des pays membres et des pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne, l’Ukraine en premier lieu.

Aucun pays de l’Union européenne et aucun candidat à l’adhésion ne saurait transiger sur les principes d’indépendance de la justice, de lutte contre la corruption, de liberté de la presse et de liberté d’opinion !

Nous avons conféré à l’Ukraine la qualité de candidat à l’adhésion à l’Union européenne. C’est une bonne chose, et c’est indispensable. Ce doit être la source d’un nouveau dynamisme en vue de l’adhésion des pays candidats, en particulier ceux des Balkans, qui ne croient plus à la perspective européenne.

Il convient de crédibiliser la perspective d’adhésion des peuples des Balkans et de ne pas décevoir demain le peuple ukrainien, qui a commencé son combat parce qu’il voulait entrer dans l’Union européenne. Nous devons à ces peuples d’avancer dans cette voie. Le veto qui fut opposé à la Macédoine, par exemple, doit faire partie du passé.

Ce nouveau dynamisme est nécessaire, mais il faut être conscient que le processus d’adhésion sera difficile. Rappelons que l’Ukraine, en tant que grande puissance agricole, est dans une situation unique sur le continent européen. Il faudra cependant avancer, et ce sera positif pour l’ensemble des pays européens.

Il faut également progresser sur le pacte sur la migration et l’asile : pas seulement sur la base de données Eurodac, sur la procédure de filtrage dite « screening », en bref sur le volet « répressif », mais aussi sur les questions de solidarité. Nous devons tirer les enseignements de ce que nous avons bâti pour la protection temporaire des réfugiés, en accordant la liberté de circulation dans l’ensemble de l’Union européenne et le droit au travail aux Ukrainiens que nous avons accueillis et protégés.

Je n’évoquerai pas l’ensemble des relations entre l’Afrique et l’Union européenne, dont la politique de visas me semble particulièrement préoccupante ; elle influe sur la perception par les Africains de l’Europe et de la France. Mais permettez-moi, madame la secrétaire d’État, de vous faire partager mon inquiétude sur l’évolution de la Tunisie.

L’Europe ne peut pas rester tétanisée face à un pays dont l’avenir est lié à sa relation avec l’Union. Nous ne pouvons pas fermer les yeux en imaginant le pire, avec toutes les conséquences que cela entraînerait.

L’Europe est véritablement elle-même lorsqu’elle est fidèle à ses valeurs et qu’elle défend résolument, tout en étant consciente de son histoire, la liberté de l’ensemble des peuples du monde.

Cela vaut pour l’Ukraine comme pour tous les peuples du monde. Nous savons crier avec les peuples qui revendiquent la liberté : « Femme, vie, liberté » ! Il revient à l’Union européenne de montrer sa solidarité sans limites avec le combat du peuple iranien, comme avec ceux de tous les autres peuples. C’est pour cela qu’elle doit se développer pour être plus forte ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans cette période de disette en matière de progrès social, je me réjouis que le Parlement européen ait entériné, avec 376 votes favorables, la directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, consacrant la présomption de salariat des travailleurs de plateformes.

Avant un débat tronqué sur les retraites, Emmanuel Macron aurait dû présenter une loi sur le travail. Dans ce texte, la France se serait honorée à reconnaître le salariat des travailleurs de plateformes avant même la fin du processus législatif européen.

Pourtant, le Président de la République en a décidé autrement : la réforme des retraites apparaît comme un solde de tout compte omettant le débat primordial sur le travail, en particulier sur celui des travailleurs ubérisés, qui cumulent les précarités et qui ne connaîtront pas la retraite.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. Pascal Savoldelli. Par cet acte manqué, 6 milliards d’euros échappent aux caisses de la sécurité sociale. Ils représentaient pourtant une piste de financement du système des retraites : 1,25 milliard d’euros pour les retraites, la dignité pour les travailleurs. On aurait fait ainsi d’une pierre deux coups !

Contrainte par les luttes et les décisions judiciaires, l’Europe a franchi une première étape, mais, malgré une évolution du rapport de force en faveur de la requalification des travailleurs et du droit du travail, le Président de la République reste arc-bouté sur une défense obstinée des intérêts des plateformes.

Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement continuera-t-il à être récalcitrant à cette avancée sociale ? Mieux, prévoyez-vous de devancer l’adoption définitive de la directive pour consacrer, dès demain, un droit nouveau pour les travailleuses et les travailleurs de plateformes ?

Sur la réforme des retraites, le contrat pourrait être rempli d’ici au 23 mars et le texte adopté, contre l’opinion populaire majoritaire. Nous ne cesserons de rappeler que, comme ce fut le cas en Espagne, cette réforme répond à une exigence de la Commission européenne. Nul complotisme dans cette affirmation ; nul projet dissimulé : tout est public et transparent.

Dès le 5 juin 2019, le Conseil de l’Union européenne enjoignait à la France de réformer ses retraites ; bis repetita le 1er juillet 2022 : les ministres des États membres de l’Union recommandent que la France s’attache « à réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite, en vue de renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes ». Vous nous expliquerez – sans doute pas ce soir, car nous en avons déjà beaucoup débattu ! – où vous voyez de l’équité dans cette réforme !

La Commission, tout comme le Conseil, raffolait d’une retraite par point, comme le prévoyait la précédente réforme, mise en échec en 2019. Elle préparait plus frontalement, mais moins sournoisement, l’accroissement d’une part de capitalisation.

Le recul de l’âge de départ obligera ceux qui le peuvent à mettre de l’argent de côté pour se prémunir des décotes, de l’épuisement professionnel ou des minima sociaux. Cette manne va être captée par le système bancaire, puis placée sur les marchés financiers. Les banques américaines font faillite sans garantie des dépôts, sans garantie des placements ; cela devrait vous faire réfléchir. Il ne suffit pas de crier : « Calm down ! », comme Bruno Le Maire, pour faire cesser l’irrationalité des marchés devenus fous.

L’insistance européenne en faveur d’une réforme des retraites est un phénomène de longue date. Je le dis avec solennité, en France comme en Europe, en gouvernant par oppression, et en menant des réformes contre le progrès social, on réarme les extrêmes droites dans leur quête du pouvoir, le tout sur fond d’affaiblissement continu des parlements nationaux. Ainsi, nous réunissons les conditions d’émergence d’un régime autoritaire. Notre idéal démocratique est bien mis à l’épreuve.

La contre-réforme des retraites n’est pas la seule conséquence de la volonté d’ingérence de l’Union européenne dans la souveraineté budgétaire des États. Après leurs suspensions pendant la crise sanitaire, les règles budgétaires reviennent et seront probablement abordées au troisième point de l’ordre du jour du Conseil.

Nous en attendons les éléments, mais ce que nous entendons est extrêmement préoccupant et ne tire en rien les leçons des injonctions austéritaires inapplicables et inappliquées : 3 % de déficit – une hérésie ! – et 60 % de dette publique – une fable répétée à l’envi. Le peuple souverain a-t-il décidé de telles règles ? Je n’en trouve pas la trace démocratique. Osez donc consulter les parlements nationaux !

En tout état de cause, la Commission a présenté le 9 novembre 2022 une nouvelle méthode. Chaque État pourra définir lui-même sa propre trajectoire de réduction des déficits et de sa dette publique sur quatre ans. Il en serait ainsi terminé des règles uniformes, qui n’ont jamais fonctionné.

Pour autant, si un délai supplémentaire de trois ans est prévu pour les pays dont la dette publique dépasse 60 % du PIB, il ne serait accordé, selon Le Monde, qu’à condition que ceux-ci « s’engagent à adopter des réformes structurelles et à faire des investissements stratégiques de nature à alimenter la croissance ». « Réforme structurelle » est ici synonyme de chantage, pour mener des contre-réformes libérales contre l’intérêt des classes populaires.

Dès lors, des questions s’imposent. Quelle croissance ? Pour qui ? Pour quels nouveaux emplois ? Pour quels nouveaux métiers ? Pour quels progrès sociaux ? On ne saurait raisonner ainsi, tant la croissance pour la croissance ressemble à une impasse.

Un média allemand résume ainsi les annonces de la commission : « Plus de marge de manœuvre, mais aussi plus de rigueur ». Si j’ai du mal à voir les marges de manœuvre, je vois bien la rigueur !

Ainsi, la procédure d’infraction pour déficits excessifs est maintenue. En entendant l’expression, on sait déjà que l’on va prendre perpétuité, sans remise de peine. Les sanctions relatives au niveau de la dette publique sont renforcées par des sanctions financières et des sanctions de réputation, notamment par une convocation à une audition au Parlement et par le blocage des fonds structurels.

Rassurez-vous, mes chers collègues, tout cela sera préventif ; le goulot d’étranglement interviendra plus tôt, enfermant les États dans l’austérité en asséchant leur capacité budgétaire. Les mêmes causes emporteront donc les mêmes effets ; la Grèce en a déjà durement fait les frais !

En outre, les deux piliers du pacte de stabilité sont maintenus : déficit public limité à 3 % du PIB et plafond d’endettement à 60 %.

Les finances publiques ne sont pourtant pas qu’une dette ; elles constituent aussi un patrimoine financier et immobilier. Si nous procédions ainsi, la dette de la France n’atteindrait plus que 87 %, au lieu de 115 %, nous rapprochant de l’objectif infondé de 60 %. Nos concitoyens auraient dès lors le droit de décider de leur propre politique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (M. Olivier Cadic applaudit.)

M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur les volets relatifs à la compétitivité et à l’énergie inscrits à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil.

La crise énergétique a affecté la balance commerciale de la quasi-totalité des pays de l’Union européenne. En France, son déficit s’établit à 164 milliards d’euros en 2022.

Les subventions massives aux technologies vertes de l’IRA américain laissent craindre une nouvelle perte de compétitivité de l’Europe vis-à-vis des États-Unis. Le 8 février dernier, le Sénat a ainsi consacré un débat d’actualité à la question suivante : « Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? »

Madame la secrétaire d’État, comment éviter un détournement de l’investissement européen vers les États-Unis ? Faut-il ouvrir la voie à de nouveaux financements pour nos industries vertes ou miser sur le renforcement d’enveloppes existantes, comme le Fonds européen de développement régional (Feder) ?

Par ailleurs, le récent renchérissement du dollar vis-à-vis de l’euro semble représenter une occasion de relance pour la politique industrielle européenne, dès lors qu’il est porteur de gains de productivité et de compétitivité pour nos entreprises exportatrices.

Comment éviter, toutefois, une course aux subventions entre États membres, qui fragiliserait les règles de concurrence équitable sur lesquelles est bâti le marché unique ?

La dégradation du solde de notre balance commerciale procède principalement de la dépendance de l’Union européenne à l’égard des énergies fossiles. Il convient de prendre les mesures nécessaires au renforcement de la souveraineté énergétique du continent.

Je salue le fait que, depuis peu, les plans nationaux de relance et de résilience peuvent comprendre un chapitre REPowerEU, qui leur permettra d’accéder aux 20 milliards d’euros – dont 2,32 milliards pour la France – de subventions supplémentaires prévues par ce plan européen. Je m’interroge cependant sur la possibilité accordée aux États membres de puiser dans les fonds de réserve de la politique de cohésion à hauteur de 7,5 % du Feder.

Cela ne risque-t-il pas de priver nos régions de financements essentiels à leur développement économique ? Madame la secrétaire d’État, des mécanismes de compensation du manque à gagner pour nos territoires sont-ils envisagés ? De manière générale, il est regrettable que les collectivités aient été tenues à l’écart de l’élaboration des plans de redressement et de résilience nationaux.

Je note pourtant que ces plans doivent désormais contenir une synthèse du processus de consultation des autorités locales et régionales. Comment garantir que leurs besoins soient réellement pris en compte dans le texte final ?

Je souhaite par ailleurs vous interpeller sur la feuille de route qu’a présentée hier Mme Kadri Simson, commissaire européenne à l’énergie, devant le Parlement européen. Trois mesures principales ont été annoncées.

Premièrement, la réforme proposée maintient le système du merit order, selon lequel la dernière unité de production électrique appelée fixe les prix. L’exécutif européen n’a pas accédé à la demande française d’un découplage total entre le gaz et l’électricité.

Deuxièmement, pour les nouveaux investissements dans le bas-carbone, quand un financement public est nécessaire, la Commission plaide pour le recours à des contrats pour la différence, ce qui représenterait une opportunité pour nos investissements dans le nucléaire.

Troisièmement, la proposition oblige également les États membres à établir des fournisseurs en dernier ressort afin qu’aucun consommateur ne se retrouve privé d’électricité, et vise de plus à renforcer la capacité de surveillance de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (Acer) et des régulateurs nationaux.

Madame la secrétaire d’État, quelle sera la position de la France dans les négociations à venir sur ce sujet particulièrement sensible pour les industries, les entreprises et les consommateurs ?

Je souhaite également évoquer le plan des mobilités. L’Allemagne vient de surprendre ses partenaires en s’opposant à un texte européen censé exiger la vente de véhicules uniquement électriques à partir de 2035. Ce faisant, elle a entraîné dans son sillage plusieurs pays d’Europe centrale, dont la Hongrie, dans lesquels l’industrie automobile est puissante et représente une part importante de l’économie.

Cette décision doit nous amener à réfléchir à des alternatives au tout électrique qui nous permettraient de nous détacher des énergies fossiles sans pour autant imposer une technologie précise aux industriels.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Jean-Michel Arnaud. Depuis quelques jours, le Gouvernement français est sollicité pour répondre à la proposition de Berlin d’utiliser les carburants synthétiques dans les moteurs à combustion après 2035. Quelle voix la France entend-elle porter au Conseil, alors même que plusieurs de nos producteurs automobiles, comme Renault, se sont engagés à fabriquer 100 % de véhicules zéro émission en Europe dès 2030 ? Stellantis a adopté cette orientation, tout en ayant été plus critique que Renault sur le sujet.

L’actualité européenne sera également bientôt marquée par l’entrée en vigueur de deux directives ayant pour objectif une meilleure régulation numérique. Pour rappel, à eux seuls, les Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – représentent un chiffre d’affaires comparable aux recettes fiscales de la France.

Leur modèle économique, qui repose sur la combinaison de masses de données sur leurs utilisateurs et sur des algorithmes puissants et opaques, leur permet d’avoir une position de quasi-monopole sur le marché européen, laissant peu de place à la concurrence. Cela appelle une réelle régulation européenne, dont les prémices verront le jour avec les directives dites Digital Markets Act (DMA) et Digital Services Act (DSA).

Le DMA, applicable au 2 mai 2023, vise à stimuler l’innovation, la croissance et la compétitivité sur le marché numérique, ainsi qu’à renforcer la liberté de choix des consommateurs européens, en créant une concurrence loyale entre acteurs du numérique.

Et le DSA, applicable en février 2024, sauf pour les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche, concernés dès 2023, entend mettre en pratique le principe suivant : ce qui est illégal hors ligne est illégal en ligne. Il permet ainsi de s’assurer du bon fonctionnement du marché intérieur numérique, selon des règles uniformisées.

Quelle sera la position de la France au sein du Conseil européen pour favoriser ce travail et atténuer autant que possible les risques systémiques, désinformation ou manipulation de l’information, dont nous avons pu constater les effets à l’occasion du Brexit, ainsi que lors de grandes échéances électorales dans des pays de l’Union européenne ou d’ailleurs ?

Il s’agit d’un sujet important pour nos concitoyens et déterminant pour l’équilibre de nos démocraties en Europe, attaquées à la fois par des puissances extérieures – rappelons qu’une enquête sur TikTok a été lancée au Sénat – et des manipulations à grande échelle. En Europe, la démocratie peut également être remise en cause par un manque de volontarisme en la matière.

J’attends du Gouvernement français et du Conseil de l’Europe des avancées sur ce sujet, afin de protéger les libertés individuelles et les démocraties nationales. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Martine Berthet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, guerre en Ukraine, difficultés d’approvisionnement en matières premières, pénurie de semi-conducteurs, hausse sans précédent des prix de l’énergie, l’Europe traverse une grave période de turbulences.

Le doublement, le triplement, ou plus encore, des factures d’électricité et de gaz met nos collectivités et nos entreprises dans une situation financière délicate. De sérieuses menaces planent sur la vie économique de nos territoires. Nous le savons tous : l’indemnisation des collectivités et des entreprises par l’État ne peut pas durer, car elle ne fait qu’aggraver le déficit public. Quant au bouclier tarifaire, il protège nos ménages de l’inflation violente des prix de l’énergie, mais pour combien de temps ?

Dans ce contexte, si un constat doit faire l’unanimité, c’est bien celui de l’incapacité du marché européen de l’électricité à protéger les consommateurs de la crise liée à l’approvisionnement en gaz.

Cet aveu d’échec, la commissaire européenne à l’énergie, Kadri Simson, l’a fait elle-même le 27 février dernier, à l’issue d’une réunion informelle des vingt-sept ministres de l’énergie de l’Union européenne. Aujourd’hui, les Français – ménages, entreprises, TPE-PME, industries, collectivités – pâtissent de règles européennes dépassées qui font dépendre, de façon paradoxale, le prix de l’électricité du cours des énergies fossiles que sont le gaz ou le charbon, alors même que notre pays produit une électricité peu chère, grâce à son parc nucléaire et à son hydroélectricité.

Nous ne pouvons pas sacrifier notre tissu économique et social et mettre le pays tout entier en danger pour conserver – « quoi qu’il en coûte ! » – un marché européen de l’électricité dérégulé qui ne joue plus son rôle.

Le mécanisme ibérique, qui consiste à intervenir sur le marché pour faire baisser les prix, mis en œuvre par nos voisins portugais et espagnols, en témoigne : il est efficace pour ces deux pays, mais il génère une concurrence déloyale pour nos entreprises. La réponse à la crise énergétique doit être commune aux États membres de l’Union.

Nous avons été nombreux à alerter le Gouvernement sur ces différents écueils. Lors de sa déclaration de politique énergétique devant le Sénat, le 12 octobre dernier, Mme la Première ministre avait elle-même reconnu la nécessité de réviser les règles européennes.

Pourtant, à la lecture du paquet législatif annoncé par Mme Simson hier au Parlement européen, la Commission européenne ne semble pas prendre la mesure des dysfonctionnements.

L’objectif affiché de ces propositions est louable : il s’agit de faire en sorte que le prix de l’énergie produite sur le continent européen ne soit pas trop volatil et ne dépende pas de nos importations de gaz et de pétrole. Il ne renvoie cependant qu’à des mesures ciblées, suggérant qu’aucune refonte complète des règles n’est véritablement engagée.

Le système du merit order, selon lequel la dernière unité de production électrique appelée fixe le prix, est ainsi conservé et le découplage du prix du gaz de celui de l’électricité, que nous appelions de nos vœux, n’est toujours pas à l’ordre du jour.

Par ailleurs, la Commission européenne a présenté des propositions sur l’industrie zéro carbone. Elle souhaite lancer une stratégie de décarbonation massive de nos productions industrielles qui inclura toutes les modalités d’une production énergétique neutre en carbone.

Or, sur ce point, la Commission est revenue sur sa proposition initiale, en excluant le nucléaire du domaine des énergies pouvant être utilisées par une Europe qui se décarbone. Dans la perspective d’une réforme du marché européen de l’électricité, il s’agit d’un anachronisme !

Pour rompre avec des logiques de production polluantes et carbonées, il faut obligatoirement faire avec le nucléaire ; le Giec nous le rappelle régulièrement.

Les traités européens garantissent aux États membres le droit et le devoir de définir souverainement leur propre mix énergétique. L’Union européenne doit simplement leur en donner les moyens.

L’Allemagne, dans le même temps, double la production de ses centrales à gaz – une énergie fossile, est-il nécessaire de le rappeler ? – et place l’Europe dans une situation de dépendance vis-à-vis de puissances étrangères. Ce n’est pas acceptable. La France doit se faire entendre. Le nucléaire fait partout son retour, au Moyen-Orient, au Japon, en Chine, en Inde, au Canada, aux États-Unis. Comme l’indique M. Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’Europe ne doit pas manquer ce « saut technologique ».

Face à la concurrence agressive et au protectionnisme auxquels se livrent plusieurs de nos partenaires commerciaux depuis quelques mois, la stratégie française lors du prochain Conseil doit être dénuée d’ambiguïté : la réforme du marché de l’électricité est un véritable enjeu de souveraineté économique et de compétitivité. Nos entreprises subissent en effet une double peine, infligée par les États-Unis, avec l’Inflation Reduction Act, et par l’absence de choix européens forts et structurants.

De tels choix sont pourtant essentiels pour que, d’une part, nous profitions pleinement des avantages comparatifs que nous procure le nucléaire, énergie bas-carbone, et que, d’autre part, l’indépendance économique européenne sorte renforcée de ce temps de crise.

La réforme du marché de l’électricité doit inciter les industriels européens et français à relocaliser et nous permettre d’accélérer les investissements de transition vers une économie décarbonée et moins dépendante des économies étrangères.

Actuellement, la situation de notre industrie est préoccupante ; celle-ci n’a absolument aucune visibilité quant à ses coûts d’approvisionnement en électricité. À l’inverse, ses concurrents au niveau mondial disposent, eux, d’une visibilité de dix ans, quinze ans ou vingt ans au minimum, et peuvent se fournir en électricité à bas coût autant qu’ils le souhaitent. Pour ces entreprises, l’électricité peu chère est parfois l’élément de base de leur production, qui leur permet d’être compétitives vis-à-vis de leurs concurrents.

À cet égard, le rétablissement des contrats de long terme est indispensable pour sécuriser des prix d’approvisionnement stables et des coûts de production compétitifs.

Mon département, la Savoie, compte plusieurs grandes industries hyper électro-intensives qui produisent des matériaux nécessaires à la transition énergétique. Si ces entreprises ne peuvent pas renouveler leur contrat de long terme en 2023, elles seront contraintes de baisser, voire d’arrêter, leur production. Certaines l’ont déjà fait en ce début d’année. La seule alternative étant de se fournir auprès de la Chine ou de la Russie, le déficit du commerce extérieur comme la situation géopolitique de la France s’en trouveraient aggravés.

Le rétablissement de ces contrats fait partie des mesures ciblées par la Commission européenne. C’est une excellente nouvelle, mais il faudra veiller à ce que l’adaptation du marché de l’électricité à un système énergétique dominé par les énergies renouvelables, conformément au souhait de la Commission, prenne bien en compte la production nucléaire, afin de ne pas pénaliser nos industries dans la renégociation de leurs contrats.

La reconnaissance de l’urgence d’une nouvelle politique énergétique pour accélérer la décarbonation de l’économie et renforcer la compétitivité des entreprises européennes fait l’unanimité. Saisissons donc l’occasion de ce prochain Conseil européen pour défendre une réforme plus ambitieuse du marché européen de l’électricité.

L’heure n’est plus aux déclarations d’intentions, mais aux actes forts. La France doit se faire entendre. Le sujet des concessions de nos barrages hydroélectriques n’est d’ailleurs toujours pas réglé.

Le Gouvernement doit défendre nos intérêts. Madame la secrétaire d’État, nous comptons sur votre action. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly.

M. Patrice Joly. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en l’espace d’un an, le paysage énergétique a considérablement changé. Les prix mondiaux du pétrole ont augmenté de 200 %, ceux du charbon de 400 %, et les prix du gaz européen jusqu’à 1 000 %.

La hausse des prix de l’énergie a alimenté la crise du coût de la vie, qui touche d’autant plus les foyers européens que leurs revenus sont modestes. Elle impacte aussi fortement les entreprises, en particulier les PME et les TPE.

Jusqu’à présent, les États membres ont majoritairement réagi en instaurant des mécanismes d’urgence de contrôle des prix ou d’amortissement : baisse de la fiscalité, bonus climatique, chèque énergétique ou chèque de chauffage.

Alors que les prix de l’énergie sont loin d’être stabilisés, la réforme ciblée du marché de l’électricité, proposée hier par la Commission européenne, est-elle suffisante ?

Nous partageons l’essentiel des objectifs affichés par la Commission. Celle-ci vise en effet un accès généralisé et à un coût abordable à l’électricité produite à partir de sources renouvelables et non fossiles.

Elle entend encourager une meilleure transparence des informations sur les marchés vis-à-vis des consommateurs et un plus grand choix de fournisseurs, afin qu’aucun consommateur ne se retrouve privé d’électricité.

Elle défend un accès amélioré des entreprises à des contrats et à des marchés à long terme plus stables.

Enfin, elle envisage une révision des règles relatives à la revente des énergies renouvelables.

Cependant, cette réforme ne devrait pas toucher aux fondamentaux du fonctionnement du marché, alors que l’explosion historique des prix de l’énergie que l’Europe subit aujourd’hui provient bien de sa défaillance. De plus le découplage strict entre le gaz et l’électricité n’est pas prévu. Comment expliquer cet échec dans la négociation, alors que le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en faisait son principal cheval de bataille ?

En outre, nous ne maîtrisons pas le calendrier de mise en œuvre de ces mesures. Le Parlement européen et le Conseil doivent désormais discuter et adopter la proposition qui leur est soumise.

Enfin, certains experts et professionnels du secteur ne sont pas convaincus que les mesures présentées par la Commission aient pour effet de faire refluer les prix, dont la baisse dépend de beaucoup d’autres facteurs, notamment de la disponibilité du nucléaire en France, de la météo ou du marché mondial du gaz.

Se posent donc plusieurs questions. Comment les ménages vont-ils passer l’hiver prochain ? Verront-ils leur pouvoir d’achat préservé ? Les entreprises bénéficieront-elles à temps d’une énergie à des tarifs compétitifs, au risque d’une course aux délocalisations, au moment où les États-Unis renouent avec le protectionnisme pour protéger, relocaliser et investir dans l’industrie verte ? Le coût de l’énergie, fondamental au sein des coûts de production, est aussi le nerf de la guerre.

Que penser donc de ce texte, qui se présente également comme l’une des facettes de la réponse européenne à l’IRA, c’est-à-dire au plan américain de soutien massif à l’économie, comprenant notamment de fortes subventions à l’énergie pour en baisser le prix.

L’Europe entend-elle s’aligner – pour ne pas dire qu’elle doit le faire ? De nombreux défis de taille sont en jeu, dont la reconquête industrielle et la transition écologique, qui ne peuvent plus attendre.

Ce plan massif d’aides à la transition énergétique lancé par Joe Biden a montré à quel point l’Union européenne était fondée sur un logiciel pseudo-économique qui arrive à son terme.

L’IRA ne doit pas se résumer à une tentative protectionniste américaine pour attirer l’industrie verte, en plein essor, sur son territoire, au détriment des intérêts de ses partenaires commerciaux. Joe Biden s’est engagé vendredi dernier auprès d’Ursula von der Leyen à ne pas déclencher une concurrence délétère dans la course à la transition énergétique et à « travailler pour éviter une compétition à somme nulle, afin que [leurs] politiques d’aides publiques soutiennent le développement des énergies propres et de l’emploi sans devenir des aubaines pour les intérêts privés ».

Une bonne nouvelle, pour autant : les États-Unis souhaitent réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 50 % d’ici à 2030, même si l’on peut être dubitatif à ce sujet au vu de l’autorisation récente accordée à l’exploitation de pétrole en Alaska.

Cet épisode offre également une chance pour l’Europe : nous prenons collectivement conscience qu’il faut, certes, adopter une politique de défense vis-à-vis de la concurrence, mais aussi qu’il est vital de mettre en place une politique industrielle et de transition écologique.

Tel est bien l’enjeu pour l’Europe : il s’agit d’accélérer les investissements bas-carbone dans le logement et la mobilité pour se préparer aux prochains hivers en s’attaquant à la racine de la crise : notre dépendance aux combustibles fossiles. Il nous faut décarboner dès que possible, conformément au Pacte vert pour l’Europe, car décarbonation et compétitivité vont de pair.

De plus, la transition ne peut pas se faire sans prendre en compte le pilier social : nous ne pouvons pas parvenir à la durabilité environnementale sans durabilité sociale. Il nous faut donc continuer à augmenter le budget du Fonds social pour le climat, dont la portée pourrait contribuer à limiter la crise climatique sociale et à garantir la sécurité énergétique tout en renforçant la solidarité européenne.

Il est également essentiel que l’industrie soit préparée aux objectifs du Pacte vert de neutralité climatique à l’horizon 2050.

L’industrie de l’Union européenne doit occuper une position de leader international pour garantir notre autonomie stratégique et pour créer des emplois de qualité pour tous les Européens.

Or, pour mener une politique industrielle et de transition écologique, des subventions, de la planification et des pouvoirs publics forts sont nécessaires. Il faut également, parfois, protéger nos industries.

C’est pourquoi plusieurs leviers financiers doivent être activés, notamment à l’occasion de la revue à mi-parcours du cadre financier pluriannuel, qui doit avoir lieu d’ici à l’été 2023.

L’Union doit aujourd’hui plus que jamais se doter de nouvelles ressources propres. J’ai eu l’occasion d’indiquer à de nombreuses reprises dans cet hémicycle combien il est important de disposer de moyens.

Je pense bien sûr à l’extension des marchés carbone, à la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières le plus rapidement possible, à la création d’une nouvelle taxe sur les transactions financières et, enfin, à une meilleure taxation des bénéfices des multinationales. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Cadic. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Véronique Guillotin a opportunément évoqué les menaces que la Russie fait peser sur la Moldavie.

La Géorgie, elle, fait face à un mouvement contestataire d’ampleur depuis le 7 mars dernier, date à laquelle le Parlement a adopté la loi dite des « agents étrangers ». Inspiré de la législation russe, ce texte était censé museler les ONG et les médias d’opposition dans le pays.

Des rassemblements spontanés de plusieurs milliers de personnes à Tbilissi, la capitale, ont fait plier le gouvernement. Quel avenir proche pour la Géorgie, pays paradoxal dirigé par des gouvernements inféodés à la Russie, mais dont la population est acquise à plus de 80 % à la cause de l’Europe ?

En début de semaine, Sergueï Lavrov n’a pas hésité à comparer ce soulèvement à la révolution ukrainienne de 2014, dénonçant par là même des influences cherchant à provoquer un sentiment antirusse. Et le représentant des affaires étrangères de la Crimée de renchérir : « Nous recommandons au peuple géorgien de se souvenir d’une situation similaire en Ukraine en 2014, et de ce à quoi elle a finalement mené. »

En juin dernier, l’Union européenne s’est déclarée prête à donner le statut de pays candidat à la Géorgie. Quelles sont les prochaines étapes envisagées pour cette adhésion, madame la secrétaire d’État ? Les conditions nécessaires à l’activation de ce statut sont-elles réunies ? La situation de la Géorgie fera-t-elle l’objet d’un point précis lors du Conseil européen de la semaine prochaine ?

Alors que les combats et les bombardements en Ukraine s’intensifient, l’Europe a annoncé qu’elle se prépare à mettre en œuvre un plan d’action qui prévoit d’utiliser les ressources de la Facilité européenne de paix à hauteur de 1 milliard d’euros, afin de libérer les stocks de munitions déjà existants et de passer de nouveaux contrats.

Comme l’a indiqué M. Rapin, Thierry Breton a détaillé cet enjeu existentiel pour l’Europe en expliquant qu’il fallait identifier les goulets d’étranglement qui empêchent l’Union européenne de produire des munitions de manière massive et qu’il convenait de procéder, avec les entreprises qui produisent des munitions, presque au cas par cas.

Cette stratégie permettra-t-elle à court terme de produire plus de munitions et de préserver notre souveraineté européenne en la matière ?

Par ailleurs, je souhaite attirer votre attention sur la proposition de résolution de mon collègue André Gattolin, déjà évoquée par notre collègue Colette Mélot. Adopté il y a quelques jours par la commission des affaires européennes, ce texte, qui dénonce les transferts forcés et massifs d’enfants ukrainiens par la Fédération de Russie, sera examiné par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées dans les tout prochains jours.

La France et, plus largement, l’Union européenne mettront-elles des moyens pour enquêter sur ces disparitions d’enfants ?

Je souhaite enfin vous alerter, madame la secrétaire d’État, sur l’Indopacifique.

Le président chinois a apporté son appui politique à Moscou. Comme Poutine, il combat le monde démocratique et cherche à le soumettre.

Alors que les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni affirment leur stratégie dans l’Indopacifique et ont fait une déclaration commune voilà quelques jours, l’Union européenne peine à fournir une réponse à la hauteur des enjeux de la région.

Au mois de septembre 2021, l’Union européenne a présenté sa stratégie pour la région indopacifique. Celle-ci a vocation à répondre aux grands défis mondiaux en matière de sécurité, de climat ou encore de transition numérique.

Cette zone est au centre d’une concurrence géopolitique très intense. Preuve en sont notamment les tensions croissantes autour de territoires et de zones maritimes contestés par la Chine, qui affiche son expansionnisme.

La Chine augmente encore son budget militaire et investit dans sa capacité à prendre le contrôle de Taïwan et à chasser les États-Unis hors de la région.

Au mois de décembre 2022, le Japon a modifié radicalement sa doctrine de défense et prévoit désormais de doubler son budget annuel consacré à celle-ci, le portant d’environ 1 % de son PIB actuellement à 2 % d’ici à 2027.

Le mois dernier, à Manille, le président Marcos a convoqué l’ambassadeur chinois pour dénoncer l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des actions menées par la Chine contre les garde-côtes et les pêcheurs philippins.

En février, les États-Unis et les Philippines ont signé un accord pour créer quatre bases militaires américaines supplémentaires dans ce pays d’Asie du Sud-Est.

Compte tenu de la proximité de Taïwan et de ses eaux voisines, les Philippines occupent une position stratégique dans l’éventualité d’un conflit avec Pékin, pronostiqué par certains généraux dès 2025.

Comme nous l’indiquait Gillian Bird, ambassadrice d’Australie en France, la situation dans l’Indopacifique n’a jamais été aussi dangereuse depuis la Deuxième Guerre mondiale.

La France a toujours eu la volonté de porter une stratégie européenne sur ce sujet. Cette question sera-t-elle discutée lors du prochain Conseil ?

La loi sur la sécurité nationale de 2020 à Hong Kong a par ailleurs porté un coup fatal au cadre « un pays, deux systèmes » mis en place au moment de la rétrocession par le Royaume-Uni de Hong Kong à la Chine en 1997.

Le procès de quarante-sept personnes accusées de subversion pour avoir organisé une élection primaire non officielle à Hong Kong en 2020 a commencé le mois dernier. Il vise à écraser la dissidence.

La plupart de ces personnalités prodémocratie sont détenues depuis deux ans. Seules seize d’entre elles seront jugées, tandis que trente et une personnes ont plaidé coupable et seront condamnées à l’issue du procès.

Ce procès montre que Pékin s’est affranchi du respect de ses engagements internationaux, comme l’a dénoncé l’ONU et comme l’avait anticipé Josep Borrell.

L’Union européenne prévoit-elle de prendre position sur ces procès politiques qui nous rappellent les procès staliniens et démontrent que le concept « un pays, deux systèmes » a disparu ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra les 23 et 24 mars prochains intervient dans un climat extrêmement compliqué pour l’Union européenne, écartelée entre plusieurs crises distinctes.

La première d’entre elles est, bien sûr, la guerre entre l’Ukraine et la Russie, dont nous fêtons le triste anniversaire. Durant toute cette année, l’Europe n’a cessé de tanguer face aux répercussions de ce conflit.

Celles-ci sont d’abord humaines. Le bilan humain du conflit est en effet dramatique. Celui-ci a de plus entraîné des déplacements massifs de population.

Je salue à ce titre l’ensemble de nos collectivités locales, de nos élus, mais aussi des concitoyens français qui, comme je l’ai vu dans mon département de la Mayenne, ont permis par pure solidarité à des familles d’être accueillies dans des conditions décentes sur notre territoire.

Ce conflit emporte également des conséquences militaires pour la France et pour l’Europe, qui envoient du matériel, notamment des munitions, mais aussi, pour la France, des canons Caesar. L’Union européenne devrait d’ailleurs fournir une aide supplémentaire de 2 milliards d’euros en munitions pour l’Ukraine, soit le double de ce qui était prévu.

En mettant fin à la paix européenne si durement acquise, cette guerre nous a conduits à nous interroger de façon lucide sur nos capacités militaires et à revoir celles-ci au niveau national, mais aussi européen.

Quel est l’état actuel de notre coopération militaire avec nos voisins européens ? Existe-t-il une ligne rouge à ne pas franchir dans l’aide apportée à l’Ukraine ? Le prochain Conseil européen débattra-t-il de nouveau de sa boussole stratégique pour ce qui concerne l’Europe de la défense ?

Ce conflit a également engendré une instabilité sur les marchés de l’énergie et une augmentation vertigineuse des prix. Chacun connaît les répercussions de ces prix de l’énergie sur nos collectivités locales et sur toutes nos entreprises. Pour beaucoup, notamment pour nos artisans et nos commerçants, les factures sont insupportables.

Du fait de cette augmentation des prix, du sous-investissement dans la filière nucléaire dans notre pays et de l’arrêt de nombreux réacteurs, la France a échappé de peu à la catastrophe cet hiver. Mais qu’en sera-t-il l’année prochaine ?

À l’échelon européen, notre politique d’investissements dans le nucléaire nous impose de réformer le marché européen de l’électricité, par exemple en découplant le prix de l’électricité des cours du gaz.

Le conflit avec la Russie et la suppression de l’approvisionnement en gaz russe ont totalement changé la donne. Aujourd’hui, le mécanisme est devenu totalement inéquitable, dans la mesure où le gaz ne contribue qu’à 7 % de la production de notre électricité.

La France doit peser de tout son poids dans les négociations à venir. À l’heure où nous relançons nos investissements dans le nucléaire, peut-on espérer voir les négociations aboutir avant cet été, madame la secrétaire d’État ?

L’Union européenne est aussi tiraillée par la récente mise en place par les États-Unis de l’Inflation Reduction Act, qui repose notamment sur un impressionnant paquet de subventions du gouvernement américain d’un montant de 370 milliards de dollars pour stimuler le développement des énergies renouvelables.

Ces mesures prises par les États-Unis constituent une véritable offensive économique et manifestent la volonté d’aller chercher en Europe des entreprises et leur technologie, afin de les installer aux États-Unis. Pour être éligibles à ces subventions, les entreprises doivent en effet produire sur place.

L’Union européenne doit réagir fermement, au risque de connaître une fuite des cerveaux et, pis encore, une fuite de notre savoir-faire technologique et industriel.

Les premières pistes d’une réponse européenne qui voient le jour, notamment via le Pacte vert, semblent insuffisantes.

L’assouplissement des aides d’État permettra à la France d’investir davantage, mais aura comme conséquence de créer une distorsion au sein de l’Union européenne entre les pays membres disposant d’une forte capacité fiscale et ceux n’en disposant pas.

Pour rappel, on estime que l’Europe aura besoin de 350 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an sur cette décennie pour atteindre son objectif de réduction des émissions à l’horizon 2030 pour les seuls systèmes énergétiques.

Néanmoins, la volonté de mettre en place une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne ne peut qu’être saluée et encouragée pour des raisons à la fois écologiques et économiques.

L’Union européenne a réalisé plus de 2 100 milliards d’euros d’importations en 2019, soit l’équivalent du PIB de la France. Ces échanges intenses représentent 20 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Europe. À l’heure de la décarbonation de notre économie, une telle taxe permettra de réduire cette empreinte.

Elle constitue aussi une mesure de compétitivité économique. Par cette taxe carbone, l’Union européenne encourage la mise en place d’une concurrence loyale entre les entreprises européennes et les entreprises mondiales et lutte contre la délocalisation de nos entreprises.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer l’état d’avancement de la mise en place de cette taxe carbone et nous confirmer que celle-ci sera bien effective en 2026 ?

Le point noir le plus nuisible à notre compétitivité est sans aucun doute l’empilement des réglementations au sein de l’Union européenne, qui pèse sur nos entreprises et qui est devenu l’un des problèmes majeurs ces dernières années.

Quelque 116 propositions de réglementation de la Commission européenne seraient en attente. Et pour la seule année 2023, celle-ci prévoit de présenter 43 nouvelles initiatives. Madame la secrétaire d’État, pensez en particulier à nos agriculteurs et au secteur agricole, si important pour notre souveraineté alimentaire et si fortement fragilisé dans sa compétitivité. C’est une véritable surcharge réglementaire, qui peut contribuer à faire peser sur nos entreprises des contraintes supplémentaires.

Récemment encore, dans cet hémicycle, je rappelais combien les initiatives européennes en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE), bien qu’utiles et même nécessaires, laissent à craindre la création d’un choc de complexité dans la mesure où elles élargissent l’obligation de diffusion d’informations sociales et environnementales à un grand nombre d’entreprises européennes, notamment les PME, qui n’étaient jusqu’alors pas concernées.

Madame la secrétaire d’État, peut-on espérer une Europe moins technocratique ?

Assistera-t-on cette année à la fin de la naïveté européenne, à la fois militaire et économique ? Je le souhaite sincèrement et l’appelle de mes vœux.

Je terminerai cette intervention en rappelant que si nous sommes profondément Européens et attachés à l’Union européenne comme institution politique, nous avons le devoir de nous réformer pour nous adapter à un monde qui change et à une mondialisation qui a atteint ses limites, notamment sur le plan environnemental.

Se réformer est la condition sine qua non pour construire une Europe forte, une Europe véritablement puissante, susceptible de faire face aux nombreuses menaces, au retour des empires, mais aussi aux nombreux défis enthousiasmants du XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDPI et RDSE, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat. Madame la présidente, messieurs, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions. Je tâcherai de répondre à toutes les questions que vous m’avez posées. Mais le temps qui m’est imparti étant restreint, je me tiendrai à votre disposition avec mon cabinet si vous avez besoin d’éléments supplémentaires.

Monsieur le président Rapin, monsieur le rapporteur général Husson, madame la sénatrice Guillotin, monsieur le sénateur Gattolin, madame la sénatrice Mélot, vous avez été très nombreux à évoquer la guerre en Ukraine, où les combats sont toujours très intenses.

La Russie tirant environ 10 000 obus par jour, les Ukrainiens ont cruellement besoin de notre aide, notamment en matière de munitions. Les discussions qui se tiennent à Bruxelles ont abouti à la proposition de prélever 2 milliards d’euros sur les fonds de la Facilité européenne de paix pour accélérer la fourniture de munitions, essentiellement de 155 millimètres, à l’Ukraine.

L’objectif de cette initiative est triple.

Premièrement, encourager la cession des stocks en remboursant à hauteur de 1 milliard d’euros des cessions consenties par les États membres à l’Ukraine.

Deuxièmement, faciliter les achats conjoints via l’Agence européenne de défense.

Troisièmement, renforcer les capacités de production de l’industrie européenne, notamment par la mobilisation du budget européen pour aider nos industriels à augmenter l’offre européenne de munitions.

Cette initiative devrait être validée lors du Conseil affaires étrangères et défense du 20 mars, puis endossée par le Conseil européen.

Monsieur le sénateur Chevrollier, vous m’avez demandé s’il y avait une ligne rouge dans l’aide à fournir à l’Ukraine. Le Président de la République a été très clair à ce sujet. Rien n’est exclu, mais nos choix doivent répondre à trois exigences : ils doivent être efficaces et utiles immédiatement pour les Ukrainiens – ce n’est pas le cas de toutes les armes que nous leur fournissons –, ils ne doivent pas contribuer à l’escalade et ils ne doivent pas obérer nos propres capacités de défense nationale.

Vous avez été nombreux – MM. les sénateurs Cadic et Leconte, ainsi que Mme Mélot, qui a évoqué le projet de résolution de votre collègue André Gattolin – à mentionner les transferts forcés et massifs d’enfants ukrainiens par la Fédération de Russie. Ces transferts forcés sont ignobles.

Le Conseil européen s’est emparé du sujet, puisque le dixième paquet de sanctions contre la Russie, adopté le 25 février, a déjà permis de sanctionner quatre personnes responsables de la déportation et de l’adoption forcée d’enfants ukrainiens.

Il s’agit de deux responsables politiques dans des régions russes – le vice-premier ministre de la République de Bachkirie et le chef adjoint de l’oblast de Moscou –, ainsi que de la commissaire russe aux droits de l’homme et d’une responsable de fondation russe. Tous ont contribué à l’adoption illégale d’enfants ukrainiens par des citoyens russes. Nous n’hésiterons évidemment pas à renforcer ses sanctions.

Monsieur le président Rapin, madame la sénatrice Guillotin, vous m’avez également interrogée sur la Moldavie, où je me suis rendue la semaine dernière. Je ne peux que vous encourager à vous y rendre également pour apporter votre soutien à sa présidente Maïa Sandu.

Lors de mon entretien avec Mme Sandu la semaine dernière, nous avons abordé trois thématiques principales.

La première est la coopération apportée par la France pour renforcer la démocratie, l’État de droit et la justice en Moldavie. Vous savez à quel point la présidente s’est attaquée à la corruption et à la rénovation de la justice dans son pays.

La deuxième thématique est celle du soutien que nous apportons à la société civile moldave, notamment dans la continuité de l’aide d’urgence qui est apportée depuis l’an dernier.

Nous avons enfin évoqué les préparatifs du deuxième sommet de la Communauté politique européenne (CPE) qui se tiendra à Chisinau le 1er juin et qui est un événement très important pour la Moldavie.

La diplomatie parlementaire a un rôle majeur à jouer, d’autant que comme cela a été indiqué, dans de nombreux pays des Balkans, la demande de soutien parlementaire est très forte.

Vous avez également évoqué la Géorgie, monsieur Cadic. J’ai reçu ce matin la présidente de la commission des affaires européennes du Parlement géorgien – si mes informations sont bonnes, vous l’avez également rencontrée, monsieur le sénateur –, qui m’a fait part des progrès réalisés par son pays sur onze des douze recommandations qu’il doit mettre en œuvre, la polarisation de la vie politique demeurant un sujet difficile.

De notre côté, nous avons salué le retrait du projet de loi sur la transparence de l’influence étrangère, qui n’était pas compatible avec le processus de rapprochement de la Géorgie avec l’Union européenne.

Ce pays a besoin de tous les soutiens possibles, notamment techniques, pour parvenir à mettre en œuvre les recommandations de façon satisfaisante

Plus largement, dans le cadre de l’élargissement de l’Union européenne aux Balkans occidentaux, nous devons parvenir à fournir une assistance technique plus importante à ces pays de manière à ne pas les laisser dans une chambre d’attente trop longtemps.

M. le rapporteur général Husson, ainsi que Mmes et MM. les sénatrices et sénateurs Berthet, Joly, Chevrollier et Fernique, Guillotin et Arnaud m’ont également interrogée sur la compétitivité de l’Union européenne en matière d’énergie et sur l’IRA.

Tous l’ont souligné, la première des raisons pour lesquelles nous avons un fossé de compétitivité avec les États-Unis et d’autres régions est bien le prix de l’énergie. Dans ce cadre, la réforme du marché de l’électricité est extrêmement importante, et la France s’est mobilisée en ce sens, notamment grâce à l’action du ministre Bruno Le Maire, de la ministre Agnès Pannier-Runacher et de tout le Gouvernement, depuis plus d’un an, pour protéger les consommateurs, pour lutter contre la volatilité des prix et pour donner de la visibilité à nos entreprises afin qu’elles puissent prendre leurs décisions d’investissement en Europe.

Je crois qu’il faut le reconnaître, la proposition de la Commission européenne est une base solide et large, puisqu’elle inclut le nucléaire existant. Elle aura pour effet non seulement de préserver les avantages de l’intégration des échanges d’énergie en Europe, mais aussi de nous apporter des bénéfices concrets en matière de stabilité. Elle nous permettra de bénéficier de la compétitivité du parc nucléaire.

Elle prévoit à la fois des contrats de long terme – certains d’entre vous le demandaient – et ce que l’on appelle des contrats « pour différence ». Ainsi, le Power Purchase Agreement (PPA) permet de sécuriser les consommateurs comme les entreprises en incluant le nucléaire existant, de faire baisser les prix au plus près des coûts de production de notre parc nucléaire existant et de fournir une certaine stabilité et une prévisibilité, qui sont très importantes pour nos entreprises.

Notre objectif est que cette réforme soit adoptée avant la fin de l’année. Nous disposerons probablement d’un certain nombre d’orientations au mois de juin prochain. Nous espérons – et je crois que le Parlement européen en fait aussi un sujet d’importance – parvenir à conclure rapidement, de façon à pouvoir présenter la mise en œuvre de cette réforme et son bilan dans le cadre des prochaines élections européennes.

Outre la question des prix de l’énergie, il faut aussi prendre en compte la nécessité de répondre au plan américain Inflation Réduction Act par le plan « zéro émission nette ». Cette réponse s’inscrit dans une stratégie très large, qui vise à faire en sorte que l’Europe se montre plus offensive en matière commerciale et industrielle. Je regrette que vous trouviez que ce plan ne produise pas d’« effet waouh », mais j’espère que dans sa mise en œuvre, ce sera le cas.

Il prévoit plusieurs dispositifs, au premier rang desquels un volet de propositions sur les marchés publics pour que tous les bons critères soient pris en compte dans l’attribution des contrats, que ce soit la performance environnementale ou la sécurité d’approvisionnement de l’Union européenne. L’objectif est d’éviter toute dépendance en faisant en sorte que nos services publics ne soient pas assurés par des entreprises de pays tiers.

Le deuxième dispositif consiste en la mise en place d’une plateforme d’investissement pour mieux coordonner les financements disponibles et pour mobiliser toutes les ressources dans les secteurs stratégiques de façon rapide.

Monsieur le rapporteur général, j’entends ce que vous dites sur la bureaucratie européenne, mais je peux vous assurer que le troisième pilier de ce plan est la réduction des délais d’octroi de permis pour faciliter la réindustrialisation de la France. Il sera complété par le futur projet de loi sur l’industrie verte en France qui est défendu par Bruno Le Maire. Nous voulons réduire la bureaucratie européenne et faire de la rapidité de nos procédures un réel avantage compétitif.

Je ne dirai pas qu’il n’y a pas encore de progrès à faire dans cette proposition de plan. La liste des technologies couvertes doit être étendue pour intégrer le nucléaire, puisque comme vous l’avez constaté, cela n’y figure pas encore. Il en va de même pour la chaleur renouvelable et la biomasse. Il faut que le règlement prenne en compte tous les projets de décarbonation du secteur industriel.

J’en viens à présent à la question du Royaume-Uni, sur laquelle m’ont interrogée Mme la sénatrice Mélot et M. le sénateur Gattolin, entre autres.

L’accord de Windsor a en effet été signé le 27 février dernier, ce qui est une bonne chose, puisqu’il nous permet d’avancer sur la mise en œuvre du protocole nord-irlandais.

Son dispositif est assez simple : il y aura des produits destinés à rester sur le marché britannique et des produits qui iront sur le marché unique. Sur le marché britannique, l’accord prévoit des tests aléatoires et sur le marché unique les tests seront systématiques. Nous aurons aussi un système de contrôle des données d’échanges commerciaux, de façon à détecter toute éventuelle fraude.

Plus largement, sur le Royaume-Uni, la ligne française n’a pas varié. Notre pays défend une exigence maximale sur le respect des accords conclus dans le cadre du Brexit et une ouverture maximale pour travailler avec le Royaume-Uni, car nous n’échapperons pas à notre géographie.

Messieurs les sénateurs Fernique, Gattolin, Arnaud et Chevrollier, en ce qui concerne l’interdiction des véhicules thermiques en 2035, la France est très claire : elle réaffirme qu’il faut garder cet objectif de 2035. Tout d’abord, c’est là un signal clair de notre mobilisation pour lutter contre l’urgence climatique. Cet objectif est nécessaire sur le plan écologique. Ensuite, il est aussi nécessaire sur le plan industriel. Nous l’avons dit aux producteurs de voitures : changer de direction serait nuisible à la prévisibilité que nous voulons donner à toutes nos entreprises industrielles. La décision est donc à la fois écologique et industrielle. Elle nous permettra en outre de renforcer notre indépendance énergétique.

Je note aussi que la ministre de l’environnement allemande ne dit pas autre chose, ce qui me donne beaucoup d’espoir pour sortir de cette situation malheureuse.

M. Franck Menonville. Oui, de l’espoir !

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat. Pas que de l’espoir, monsieur le sénateur ; je vous l’assure. Il y a du travail aussi.

Monsieur le sénateur Gattolin, vous avez mentionné la visite du Premier ministre hongrois Viktor Orban à Paris. L’objectif était clair : il était de rappeler que le Parlement hongrois doit ratifier l’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’Otan. Il s’agissait aussi de rappeler l’unité nécessaire des pays européens dans leur soutien à l’Ukraine face à l’agression russe, l’exigence de coopérations concrètes dans le cadre de la coopération politique européenne (CPE) et la volonté d’un renforcement de l’Europe de la défense.

Enfin, en ce qui concerne les travailleurs des plateformes, il est vrai qu’il n’y a pas eu de progrès sous la présidence suédoise. Vous savez que le dernier conseil « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs » (Epsco) n’a pas été conclusif ; cette semaine, il n’y a pas eu d’avancées. Les discussions se poursuivront et vous pourrez compter sur la France pour défendre une position constructive et équilibrée.

Cela me donne l’occasion de répéter que la Commission européenne n’exige en rien une réforme des retraites dans notre pays. C’est une recommandation, mais ce n’est pas un jalon du plan de relance. La différence est grande ; je suis sûre que vous en conviendrez.

La mise en œuvre du DMA-DSA est en train de se faire et les travaux du Gouvernement se poursuivent pour adapter les textes dans la législation française : un projet de loi devrait vous être soumis à la fin du premier semestre de cette année. (Applaudissements.)

Conclusion du débat

Mme la présidente. Pour conclure le débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous remercie d’être restés si tard. Je sais que, depuis trois semaines, les nuits sont courtes pour les uns et les autres, mais il était indispensable que ce débat préalable au prochain Conseil européen ait lieu à cette date. En tout cas, la conférence des présidents en a décidé ainsi.

Madame la secrétaire d’État, merci encore pour les réponses assez précises que vous avez pu nous apporter ; comme vous avez pu le voir, les questions se regroupaient en réalité autour des mêmes sujets. Je l’ai déjà dit, lors du dernier débat de ce type, mais je le redis : c’est la preuve que les préoccupations sont vraiment redondantes. Elles structurent en effet toutes les décisions prises au sujet de l’Ukraine et de ce qui pourrait se passer.

Je rappelle brièvement, sans reprendre dans le détail les propos de Thierry Breton, qui était à nos côtés lundi soir dernier, à quel point la situation est dramatique. Elle l’est bien évidemment sur le plan humain, et elle l’est aussi sur le plan politique et géopolitique. Nous devons continuer de porter l’effort en y consacrant tous les moyens possibles. Ici, à la chambre haute, madame la secrétaire d’État, vous aurez un soutien sinon unanime – le terme est peut-être très large –, du moins très majoritaire.

Certains sujets n’ont pas été abordés, ce qui est normal puisqu’ils ne seront pas traités dans le cadre de ce conseil. Toutefois, je voudrais les mentionner pour ouvrir la suite de nos discussions dans les semaines à venir. De nombreuses opérations sont en cours, comme la mise en place de l’Inflation Reduction Act, qui nécessitera probablement d’importants engagements financiers. Il faut bien évidemment tenir compte aussi de la guerre en Ukraine : l’aspect budgétaire et financier n’est donc pas négligeable.

Il est indispensable de poursuivre la réflexion sur ce point et d’avancer tout d’abord dans le travail de révision du cadre financier pluriannuel (CFP), dont on sait qu’elle interviendra incessamment, avec pour effet de faire bouger certaines lignes à budget égal. Au détriment de qui et de quoi cela se fera-t-il ? Et où iront les profits ? Je considère que cela devra faire l’objet d’une réflexion importante.

Il faudra ensuite avancer sur le pacte de stabilité en menant une réflexion sur le fond, qui générera les prochains CFP et qui aura une incidence non négligeable. Le président de la commission des finances Claude Raynal s’y intéresse déjà. Nous avons besoin de lignes directrices pour essayer de comprendre quel sera l’avenir en matière financière. À partir de là, nous pourrons lancer quelques avancées.

Madame la secrétaire d’État, vous ne me répondrez pas ce soir, mais je tenais à ouvrir la réflexion pour les prochaines semaines. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 mars.

8

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 16 mars 2023 :

À neuf heures :

Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :

(Ordre du jour réservé au groupe Les Indépendants)

Proposition de loi visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d’une allocation de logement et vivant dans un habitat non-décent, présentée par M. Jean-Louis Lagourgue et plusieurs de ses collègues (texte n° 821, 2021-2022) ;

Proposition de loi relative aux outils de lutte contre la désertification médicale des collectivités, présentée par M. Dany Wattebled et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n° 414, 2022-2023).

De seize heures à vingt heures :

(Ordre du jour réservé au groupe RDSE)

Proposition de loi visant à permettre une gestion différenciée de la compétence « Eau et Assainissement », présentée par M. Jean-Yves Roux et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 382, 2021-2022) ;

Proposition de loi portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, présentée par M. Bernard Fialaire et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 403, 2022-2023).

À l’issue de l’espace réservé au groupe RDSE et le soir :

Suite de la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires, présentée par M. Jean-Baptiste Blanc, Mme Valérie Létard et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée ; texte de la commission, n° 416, 2022-2023).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER