M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. Confirmant largement les éléments fournis par le démographe Hervé Le Bras, avec la survenue de la période covid, l’espérance de vie dans notre pays aurait tendance à stagner, voire à décliner.
C’est ce que nous indique le bilan démographique publié récemment par l’Insee. En 2022, 667 000 personnes sont décédées en France, soit 5 000 de plus qu’en 2021. Ce nombre plus élevé de décès est dû au vieillissement de la population, mais aussi aux conditions de vie et de travail des seniors. Le changement climatique y est aussi pour quelque chose, du fait des périodes de canicule qui, chacun le sait, ont une incidence sur le corps des travailleurs âgés.
Seule une retraite anticipée pour toutes et tous constituerait une solution. Nous sommes en 2023, mes chers collègues : nous pourrions nous appuyer sur les formidables progrès technologiques et informatiques pour travailler beaucoup moins longtemps !
Là est l’absurdité de votre réforme : allonger la vie active sans prendre en considération les conditions effectives de l’emploi est source de beaucoup de souffrance et de peu d’efficacité économique. En faisant primer un équilibre comptable et financier fallacieux sur le bien-être de chacun pour justifier votre réforme, vous faites fausse route.
La Cour des comptes souligne une croissance notable des dépenses pour le risque maladie. Dans les années qui ont suivi le passage de 60 à 62 ans de l’âge légal de départ à la retraite, le coût des indemnités journalières liées à l’absence pour maladie a augmenté en moyenne chaque année de 4,2 %, enjeu financier pour les organismes publics, mais aussi pour les entreprises, qui doivent compenser les absences plus fréquentes de salariés.
Évidemment, pour faire passer la pilule, si vous me passez cette expression familière, vous sortez cet index, mais, mes collègues l’ont déjà dit, il s’agit d’un écran de fumée, parce qu’il n’y a aucune contrainte. La seule contrainte imposée aux entreprises réside dans la publication de l’index.
Vous êtes extrêmement loin des enjeux, monsieur le ministre, et votre réforme représente un recul terrible pour la plupart des salariés.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, sur l’article.
Mme Raymonde Poncet Monge. Cet article constitue la première d’une série de maigres atténuations de la brutalité de cette réforme – cela ne représente que 3 milliards d’euros de dépenses, à comparer à 18 milliards d’euros de gains – ou plutôt une prétendue contrepartie demandée aux employeurs. En effet, c’est une contrepartie sans contrainte, puisqu’il n’est évidemment pas question de sanctionner le comportement des employeurs, qui sont pourtant les principaux responsables de l’effondrement du taux d’emploi des sexagénaires.
Avec cet index, le Gouvernement reconnaît les effets délétères de son projet de loi pour tous les seniors, notamment l’allongement du sas de précarité et de pauvreté. À 61 ans, plus d’un tiers des femmes ne sont ni en emploi ni en retraite ; elles sont surreprésentées dans cette situation par rapport aux hommes. C’est bien une loi contre les femmes, nous y reviendrons le 8 mars prochain. Ces personnes ne retrouveront pas un emploi entre 61 et 64 ans, elles iront grossir les rangs de ceux qui ne sont ni en emploi ni en retraite.
Cet index s’appuie en outre sur des prémisses non documentées, selon lesquelles le taux d’emploi des seniors serait faible comparativement à d’autres pays européens. Mais c’est normal : nous partons, en France, à la retraite à 62 ans – nous, les écologistes, préférerions 60 ans –, il n’est donc pas étonnant que les statistiques d’Eurostat démontrent que, au-delà de 60 ans, notre taux d’emploi est plus faible. C’est important, car l’âge conjoncturel moyen de départ n’est pas si mauvais que cela en France, par rapport aux autres pays.
Ce taux est donc essentiellement lié au comportement des employeurs des salariés de plus de 60 ans,… (Marques d’impatience sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Il faut conclure, madame Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. … en raison d’ailleurs des ruptures conventionnelles, que vous avez voulues et qui sont souvent causées par des mises au placard. (Les protestations s’intensifient.)
M. Philippe Pemezec. Il faut tenir le compteur !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est le président de séance qui préside !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il n’y a pas besoin d’avoir un index seniors pour savoir que, en réalité, l’élévation jusqu’à 64 ans de l’âge de départ à la retraite augmentera considérablement la précarité des seniors et le nombre, déjà élevé, de ceux qui sont dans la « zone grise », c’est-à-dire ni en emploi ni à la retraite.
D’abord, il faut le rappeler, on part en moyenne à la retraite, dans les faits, deux ans avant l’âge légal. Par ailleurs, la zone grise des seniors qui ne sont ni en emploi ni à la retraite est considérable : en 2021, 16,7 % des personnes de 62 ans s’y trouvaient ; 3 % étaient au chômage et 13,7 % étaient en inactivité ou touchaient le RSA.
On nous affirme que l’élévation de l’âge de départ à la retraite améliorera l’emploi des seniors, mais nous avons déjà le bilan de la réforme de 2010, qui a fixé cet âge à 62 ans. Or cette réforme n’a fait gagner que 20 points au taux d’activité des seniors. En revanche, elle a considérablement augmenté cette fameuse zone grise ! Cela n’a donc pas constitué une amélioration de l’emploi des seniors, mais une détérioration massive de la situation des seniors qui se trouvent dans cette zone.
Évidemment, c’est très inégalitaire, puisque, dans le même temps, le nombre d’ouvriers dans la zone grise a augmenté de 16 %. En 2019, il y avait plus de personnes de 61 ans dans la zone grise qu’en emploi.
On voit donc bien que l’on est en train de changer structurellement les dernières années de la vie des seniors,…
M. Christian Cambon. Votre temps de parole est épuisé !
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … avant leur droit à la retraite.
M. Philippe Pemezec. C’est long !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous aurons le temps de poursuivre cette discussion, mais, face à tout cela, l’index seniors sera totalement impuissant.
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, sur l’article.
M. Daniel Breuiller. Je veux, une nouvelle fois, revenir sur le véhicule législatif choisi, qui est proprement scandaleux ; je regrette d’ailleurs que les protestations contre ce choix ne soient pas plus nombreuses au sein de la majorité sénatoriale.
Nous discutons maintenant d’un « index seniors » qui est, d’après l’avis du Conseil d’État dont nous ne disposons pas, manifestement inconstitutionnel.
Pour ma part, je fais totalement confiance au rapporteur Savary, dont le désir d’amélioration de la situation en question est réel. Je suis parfois surpris de ses propos quand il indique avoir « accepté cet indice », comme si la loi était déjà adoptée avant même d’entrer dans l’hémicycle, après un deal ou une négociation, mais c’est tout à fait le genre de sujets qui méritent un débat au sein de la Haute Assemblée afin de déboucher sur des solutions.
En effet, maintenir l’expertise des seniors dans l’entreprise est un enjeu pour notre pays et conserver de bonnes conditions de rémunération, d’emploi, de qualité du travail et de santé au travail est un enjeu pour tous les salariés. Voilà donc un beau sujet !
Manque de chance : nous examinons un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Ce débat nécessaire, nous l’aurons seulement à l’occasion de l’examen de cet article. Or, monsieur le rapporteur, vous avez évacué les propositions que notre collègue Cathy Apourceau-Poly a très bien décrites et qui reposaient sur une autre vision de la question du travail des seniors. C’est dire à quel point le détournement de procédure auquel vous vous livrez malmène la possibilité d’avoir un véritable débat de fond sur le travail. Cela n’est pas acceptable.
Je conclurai mon propos en évoquant cet index seniors. Il existe déjà un indice de l’égalité professionnelle entre femmes et hommes, puisqu’il y a un écart de rémunération de 8 % entre les sexes. Mais, plutôt que d’un index seniors, il s’agit plutôt, selon moi, d’un indice « Quai 9 ¾ de King’s Cross », tiré de la saga Harry Potter : on pense qu’il suffit de traverser le mur et que, d’un seul coup, tout ira mieux. Non ! On se fait beaucoup d’illusions. Il faut travailler avec les partenaires sociaux pour améliorer le travail des seniors.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour vos explications et l’importance que vous accordez à ce sujet.
Toutefois, comme l’a relevé notre collègue Alain Milon, cet article ne constitue-t-il pas un cavalier social, puisque les pénalités prévues ne financeront pas la sécurité sociale ?
Il est vrai que le taux d’emploi des seniors est l’outil le plus puissant de tous pour rééquilibrer ou mieux financer le système de retraites ; lorsque l’on a conscience du taux d’emploi des 55-64 ans, qui est bien plus faible en France que dans le reste de l’OCDE, on convient qu’il y a d’importantes marges de progression.
Toutefois, repousser de 62 à 64 ans l’âge légal de départ conduira dans la « zone grise » qu’évoquait Marie-Noëlle Lienemann, c’est-à-dire dans la précarité, plus de personnes et pendant plus longtemps. Et le surcoût de RSA, de chômage, d’arrêts maladie et d’allocations d’invalidité est estimé à près de 5 milliards d’euros, soit plus du quart des prétendues économies visées par la réforme ! Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner une estimation sérieuse du coût, pour les autres prestations sociales, de ce report de 62 à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite, à taux constant d’emploi des seniors ?
Enfin, il ne s’agit que d’une publication ; en somme, pour répondre au problème, cet article n’instaure rien d’autre qu’une obligation d’information, qui n’aura aucun effet sans une politique publique spécifique.
C’est pourquoi je voulais saluer l’intervention de notre rapporteur sur cet article.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, sur l’article.
Mme Corinne Féret. Les statistiques nationales officielles en attestent, le taux d’emploi des 60-64 ans est seulement de 35,5 %. En repoussant de deux ans l’âge légal de départ à la retraite, on augmentera d’autant la durée de chômage d’une grande partie des travailleurs âgés qui sont à la recherche d’un emploi, tout en réduisant encore davantage leurs droits à la retraite quand ils seront en âge d’y prétendre.
Le Gouvernement se garde bien d’évoquer les coûts cachés de sa réforme paramétrique. Une étude de l’Unédic publiée cette semaine et portant sur les liens, depuis la réforme de 2010, entre assurance chômage et système de retraite confirme l’existence d’un pic de ruptures conventionnelles trois ans avant l’âge légal de départ à la retraite.
En conséquence, les dépenses d’indemnisation chômage des plus de 55 ans ont augmenté de 38 % depuis 2010, passant de 4,8 milliards d’euros au moment de la réforme à 6,7 milliards d’euros en 2022. Ces montants devraient nous éclairer sur les stratégies mises en œuvre par les entreprises pour se séparer de leurs salariés les plus âgés et sur l’impact de la prochaine réforme, tant en recettes qu’en dépenses.
Dans ce contexte, on voit mal comment créer un index seniors pour « valoriser les bonnes pratiques » en matière d’emploi des seniors. Comment donc cet index pourrait-il avoir le moindre impact sans sanction, puisqu’aucun pouvoir de contrainte sur les entreprises n’est prévu ?
In fine, les seniors sans emploi, mais non encore retraités n’auront pas d’autre choix que de se tourner vers d’autres filets de sécurité : revenu de solidarité active, allocation chômage ou invalidité.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti, sur l’article.
Mme Marie-Arlette Carlotti. Le Gouvernement jure vouloir prendre à bras-le-corps le problème du chômage des seniors, mais, une fois de plus, nous constatons que vous nous faites de fausses promesses, monsieur le ministre.
Lorsqu’ils prennent leur retraite, la moitié des salariés ont déjà perdu leur emploi. Sans salaire, sans retraite, les conséquences sont désastreuses pour beaucoup. Certains sont pris en charge par d’autres filets de sécurité – RSA, allocations chômage ou invalidité –, mais pour tous, absolument tous, c’est la précarité !
Face à cela, votre réponse est extrêmement décevante. Vous proposez de créer un index seniors « fin de carrière », pour « valoriser les bonnes pratiques », une mesure qui se limite pour les entreprises à publier des indicateurs sans encourir de sanctions. Mais pensez-vous vraiment, monsieur le ministre, que les chefs d’entreprise seront sensibles à tout ce qui affecte leur réputation ? En réalité, nous le savons, vous avez reculé sous la pression du Medef, mais vous restez sourd aux demandes des manifestants, qui vous disent depuis deux mois – ce sera encore le cas le 7 mars – qu’ils ne veulent pas de votre réforme.
Vous faites simplement un pari, celui que le recul de l’âge légal de départ à la retraite augmentera automatiquement l’emploi des seniors, mais il y a un véritable risque que l’augmentation de l’âge légal provoque au contraire un pic de ruptures de contrat. Aucune de vos mesurettes ne nous donne donc satisfaction.
Et je ne parle là que des seniors actifs, ceux qui sont encore sur le marché de l’emploi, mais que fait-on des personnes les plus éloignées de l’emploi ? Ils seraient 1,4 million d’hommes et de femmes – surtout de femmes, d’ailleurs – de 53 à 65 ans à ne pas avoir suffisamment cotisé pour pouvoir partir à la retraite et à survivre comme ils le peuvent en attendant. Le taux de pauvreté des seniors n’ayant ni emploi ni retraite atteint 32 %, c’est énorme ! C’est cinq fois plus que pour les seniors en emploi ou à la retraite et il y a fort à parier, malheureusement, que votre réforme prolongera leur calvaire…
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, sur l’article.
Mme Mélanie Vogel. Je ne comprends même pas pourquoi nous discutons de l’article 2, et ce pour deux raisons.
En premier lieu, cela a été dit à de nombreuses reprises, selon ce que la presse dit de l’avis du Conseil d’État, cet article est probablement anticonstitutionnel. En effet, pour qu’un article d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale soit constitutionnel, ses mesures doivent avoir un impact financier direct sur les comptes de la sécurité sociale de l’année en cours. Or il semble fort probable que ce ne soit pas le cas. Cela sous-entend que cet index ne sert à rien ; en effet, s’il avait quelque utilité, il améliorerait le taux d’emploi des seniors, il y aurait donc plus de cotisations sociales, donc cette mesure aurait un impact. Si elle n’en a pas, c’est bien qu’elle ne sert strictement à rien…
En second lieu, cet article a été rejeté par l’Assemblée nationale. Le Gouvernement s’est beaucoup plaint de l’attitude de l’opposition, de l’obstruction, du fait que tous les articles n’avaient pas pu être discutés, mais, quand un article est mis aux voix et rejeté, cela ne l’intéresse plus ! Je ne comprends pas.
Par ailleurs, sur le fond, qu’est-ce que cet index ? Nous avons déjà un exemple d’index similaire, avec celui des inégalités salariales entre femmes et hommes, qui a démontré son inutilité totale. D’une part, il n’y a pas de sanction ; d’autre part, les indicateurs sont tellement mal conçus que leurs résultats sont faux ! Ainsi, certaines entreprises françaises dans lesquelles les inégalités salariales sont colossales ont des notes magnifiques, de 90 % ou 100 %. Cela revient à soigner une fièvre avec un thermomètre cassé : cela ne sert absolument à rien !
Si vous voulez vraiment améliorer l’emploi des seniors, faites des choses qui améliorent l’emploi des seniors ! Prévoyez des sanctions ou investissez dans la reconversion des seniors exerçant dans des entreprises ou des activités polluantes amenées à disparaître. En effet, s’ils ne sont pas formés, ils ne retrouveront pas de boulot après avoir été licenciés.
Ce que l’on a ici ne sert absolument à rien et je ne comprends pas que l’on soit en train d’en discuter.
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, sur l’article.
M. Jacques Fernique. L’examen de cet article – ce cavalier social, allais-je dire… – sur l’index seniors illustre assez clairement la façon dont le Gouvernement considère la démocratie parlementaire.
Ce fameux index a été – son nom l’y prédestinait – mis à l’index, puisque l’article a été rejeté par les députés et qu’il sera peut-être, sans doute, probablement, censuré par le Conseil constitutionnel.
Pourtant, le Gouvernement soumet cet article au Sénat, espérant sans doute atténuer, s’il est possible, l’impopularité lourde de cette réforme brutale. En Alsace, les adeptes du vélo appellent cela – vous me pardonnerez l’expression – « pédaler dans la choucroute »… (Sourires.)
L’Unédic estime que le report de l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans a entraîné, entre 2010 et 2022, une hausse de 100 000 bénéficiaires de l’assurance chômage de plus de 60 ans, mais le Gouvernement s’obstine à vouloir détériorer encore un peu plus le taux d’emploi des seniors en France.
Aussi, ne pouvant plus nier que sa réforme aura logiquement un impact négatif sur l’emploi des seniors, il est prêt à toutes les manœuvres pour cacher les conséquences catastrophiques de cette réforme et pour laisser penser qu’il œuvre en faveur de l’emploi des seniors.
Toutefois, personne n’est dupe. Cet index, par lequel on se contente d’obliger les entreprises à publier chaque année des indicateurs de suivi relatifs à l’emploi des seniors dans l’entreprise, n’est qu’un écran de fumée qui n’améliorera en rien l’emploi des seniors, puisqu’il n’oblige pas les entreprises à présenter des résultats satisfaisants.
Il est inspiré de l’index de l’égalité professionnelle, qui n’a pourtant pas eu d’impact particulier dans la lutte contre les inégalités salariales entre hommes et femmes.
M. le président. Il faut conclure.
M. Jacques Fernique. Comment le Gouvernement ose-t-il exiger des Français qu’ils travaillent jusqu’à l’âge de 64 ans, alors même que, en 2021, seulement 56 % des plus de 55 ans occupaient un emploi ?
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, sur l’article.
M. Olivier Henno. On a pu lire ce matin que cette réforme était de gauche (M. Thomas Dossus s’esclaffe.) ; il y a été répondu qu’elle résulte, pour partie, d’une initiative de la majorité sénatoriale ; d’autres pourraient être tentés de dire que cela relève du « en même temps ». Finalement, peu importe : ce que nous cherchons, c’est l’intérêt commun, le bien général. Or cet index seniors me semble y contribuer et le groupe UC y est favorable.
Sur la question de la forme et du droit, le Conseil d’État peut bien rendre un avis, mais nous verrons quelle sera la position du Conseil constitutionnel ! C’est lui qui jugera s’il s’agit d’un cavalier. Il demeure donc intéressant d’examiner cette question.
En effet, l’emploi des seniors est indispensable si l’on veut équilibrer cette réforme et, plus largement, le système de retraite par répartition. Et là, disons-le, il y a du travail : seulement 57 % des 55-64 ans sont en emploi dans notre pays, contre 75 % en Allemagne. Notre groupe estime que le plancher de 300 salariés est raisonnable, parce que c’est à partir de ce seuil que les entreprises sont soumises à des procédures comme le bilan social.
Toutefois, il y a une différence entre nous, mes chers collègues de la gauche de notre hémicycle : pour notre part, nous ne désespérons pas du tout de l’emploi des seniors ! Nous pensons qu’ils peuvent être très utiles en entreprise dans les années à venir. Nous pensons également que cet index seniors et la question plus générale de l’emploi des seniors concernent le paritarisme, qui demande du grain à moudre, à l’image de ce qui se passe dans le modèle social rhénan. Eh bien, en voilà, du grain à moudre !
Enfin, contrairement à certains orateurs, nous ne désespérons pas non plus de la responsabilité sociale et sociétale des entreprises et des entrepreneurs.
Tel est justement le sens de l’index seniors. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, sur l’article.
M. Olivier Jacquin. Ce matin, j’ai parlé du rêve, ou plutôt du cauchemar, que j’ai fait, dans lequel une flopée de livreurs à vélo âgés de plus de 65 ans pédalaient trop doucement et vous livraient des repas froids, déclenchant votre courroux. J’ai évoqué ce rêve pour parler de la sous-déclaration massive de leurs revenus, au sujet de l’amendement de M. Husson portant article additionnel après l’article 1er.
L’article 2 est, lui aussi, l’occasion de vous décrire la réalité contemporaine d’une catégorie de travailleurs pauvres, qui sont soumis à une forte pénibilité et gagnent très peu ; vous conviendrez, mais j’y insiste, qu’ils ne sont pas des fainéants ! Selon la sociologue Laetitia Dablanc, spécialiste de la question, leur salaire, qui est de moitié inférieur au seuil de pauvreté, s’élève en moyenne à 590 euros par mois.
Par ailleurs, la proportion de travailleurs irréguliers est en forte croissance sans que vous mettiez en œuvre, monsieur le ministre, les moyens de contrôle nécessaires pour la limiter.
J’ai eu, lors des fêtes de la Saint-Nicolas à Nancy, un échange avec un groupe de travailleurs pauvres livreurs à vélo, dans un français tout à fait approximatif. Ils nous disent que leur situation est extrêmement pénible, mais, dans le même temps, ils nous demandent de les laisser travailler parce qu’ils n’ont véritablement rien d’autre.
Il est absolument inacceptable de vouloir contraindre les salariés exerçant certains métiers à travailler au-delà d’un certain âge sans véritablement prendre en compte la pénibilité de ces métiers.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, sur l’article.
M. Thomas Dossus. Avec l’article 2, nous abordons la partie la plus « gadget » de ce projet de loi. Il prévoit la création d’un index seniors, c’est-à-dire la publication par certaines entreprises d’un certain nombre d’indicateurs relatifs à l’emploi des salariés les plus âgés.
Je ne reviendrai pas sur la fragilité constitutionnelle de cet article dans le présent projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Si cet article existe, c’est parce que vous êtes bien conscient, monsieur le ministre, que votre réforme s’inscrit dans un contexte extrêmement dur pour l’emploi des seniors et que vous allez évidemment aggraver la situation. En portant de 62 ans à 64 ans l’âge du départ à la retraite, vous allez voler aux Français deux ans de vie. Pour beaucoup, les meilleures années de la retraite vont être transformées en leurs pires années de travail.
Quant à ceux qui ne travaillent pas, vous feignez d’ignorer les informations sur l’emploi des seniors et vous les demandez aux entreprises, mais les données sur ce sujet sont connues, cela a été dit.
Je me suis plongé dans les rapports de la Dares et de la Drees. Selon ces rapports, seules 35 % des personnes âgées de 60 ans à 64 ans occupent un emploi. La Dares comptabilise 1,4 million de chômeurs de plus de 50 ans au dernier trimestre de 2022, parmi lesquels 865 000 sont au chômage depuis plus d’un an. En 2020, 20 % des ruptures conventionnelles individuelles ont concerné les plus de 50 ans et un tiers des seniors sans emploi ni retraite vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Votre texte ne va rien corriger, il va juste servir à constater ce que l’on sait déjà. En outre, il ne prévoit ni contraintes ni contrepartie à la publication des données. Il sera sans impact sur les finances de la sécurité sociale.
Vous avez déclaré que vous alliez peut-être intégrer des dispositifs relatifs à l’employabilité des seniors à un futur projet de loi sur le travail. Cette annonce n’a rien d’anodin, elle montre que vous êtes bien conscient de la brutalité de cette réforme et de la faiblesse de vos mesures d’atténuation de cette brutalité.
Vous annoncez d’hypothétiques mesures à venir, mais n’attendez pas de nous un chèque en blanc ! Nous combattrons en bloc votre projet de report de l’âge de départ à la retraite et votre « gadget seniors ».
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l’article.
M. Yan Chantrel. Cet article pose effectivement un problème. Alors qu’il a été rejeté par l’Assemblée nationale, comme mes collègues l’ont très bien rappelé, vous avez décidé, monsieur le ministre, de le présenter au Sénat. Cela témoigne du peu de cas que vous faites du Parlement et de l’irrespect dont vous faites preuve à l’égard de l’Assemblée nationale, mais passons.
En 2019, Emmanuel Macron faisait lui-même le constat que les gens avaient du mal à rester en emploi après l’âge de 55 ans. Il déclarait alors : « On doit d’abord gagner ce combat avant d’aller expliquer aux gens : “mes bons amis, travaillez plus longtemps” ». Voilà des propos frappés au coin du bon sens !
Le taux d’emploi des 60-64 ans en France est inférieur à la moyenne européenne. Deux seniors sur trois sont au chômage, en invalidité ou bénéficiaires du RSA. En plus d’être socialement insupportable, cette situation est la première cause du déséquilibre de notre système de retraite. Au lieu d’améliorer la situation, votre mesure d’âge va accroître la précarité des seniors.
Plutôt que d’écouter les arguments à la limite de la schizophrénie de ceux qui veulent se débarrasser des plus de 55 ans tout en demandant le report de l’âge légal de départ à la retraite, écoutons l’Emmanuel Macron de 2019 !
Écoutons aussi Jean-Hervé Lorenzi, titulaire de la chaire « Transition démographique, transition économique » de la Fondation du risque. Il explique qu’une hausse de dix points du taux d’emploi des seniors permettrait au système de retraite d’être à l’équilibre.
Pour y parvenir, il faudra évidemment plus que cet index seniors, qui est plutôt un cache-sexe seniors. En effet, sans contraintes significatives, les entreprises ne modifieront pas leurs pratiques en matière d’emploi des seniors – l’effet sur leur réputation ne sera bien évidemment pas suffisant –, surtout si seules sont concernées par cet index celles de plus de 300 salariés.
Vous évoquez souvent l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Or il ne produit aucun effet, en tout cas pour cette égalité.