M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour explication de vote.
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le ministre, je souhaitais que la discussion se poursuive, parce que le Gouvernement avait été alerté par des parlementaires. M. Blanquer avait répondu, quatre ans après que la question lui avait été posée, que quelque chose serait fait. Or vous nous indiquez que vous découvrez le problème : comprenez que nous nous interrogions…
J’espère donc que votre parole vaut engagement et que vous comptez bien avancer sur ce sujet.
Je retire cet amendement. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Caricatures !
M. le président. L’amendement n° 3108 rectifié bis est retiré.
Demande de renvoi à la commission de l’article 2
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Poumirol et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, d’une motion n° 4740.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission l’article 2 du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 368, 2022-2023).
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l’article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant pour deux minutes maximum, un orateur d’opinion contraire pour deux minutes maximum, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond, et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour la motion.
Mme Émilienne Poumirol. Cet article introduit, pour les personnes âgées de plus de 55 ans, un indicateur relatif à l’emploi des salariés âgés dans les entreprises de plus de 300 salariés : l’index seniors.
Si cette réforme des retraites voulue par le Gouvernement est bien une réforme budgétaire, elle est aussi une réforme du marché du travail qui ne dit pas son nom. La création de l’index seniors en est un exemple.
Si nous disposions de la fameuse note du Conseil d’État dont nous parlons depuis deux jours, peut-être pourrions-nous y lire que cet article 2 risque d’être frappé d’inconstitutionnalité. En effet, l’index seniors n’a aucune incidence financière ; il n’a donc rien à faire dans un PLFRSS.
De fait, la situation des seniors sur le marché du travail n’est pas bonne. Cela avait d’ailleurs été pointé en 2019 dans un rapport d’information de nos collègues René-Paul Savary et Monique Lubin.
Selon la Dares, seuls 56 % des seniors sont en emploi, contre 60,5 % en Europe. Selon les chiffres du ministère du travail, ce taux serait même de 53,8 %, contre 70 % en Allemagne ou en Suède.
En outre, nous savons que le recul de 60 à 62 ans de l’âge légal de départ résultant de la réforme Woerth de 2010 a causé le chômage de 100 000 personnes supplémentaires. Combien pour le passage de 62 à 64 ans ? Quelque 90 000, selon la Dares, 300 000 selon l’OFCE. L’Unédic, dans un rapport publié le 1er mars 2023, vient de confirmer que l’approche du recul de l’âge légal de départ à la retraite entraînait un pic de ruptures conventionnelles. Monsieur le ministre, avez-vous évalué le coût de ces effets collatéraux ?
Par ailleurs, nos collègues du groupe Les Républicains ont déposé des amendements exprimant des propositions sur l’emploi des seniors. Il est donc nécessaire d’étudier en profondeur ce dossier en commission. Nous ne pouvons pas régler cette question au détour d’un simple article d’un PLFRSS sans que se tienne un débat de fond au sein de la Haute Assemblée.
C’est pourquoi nous avons déposé cette motion de renvoi en commission, que nous vous invitons à adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. La commission ne s’est pas spécifiquement réunie sur cette motion, qui vient d’être déposée, mais nous avons déjà émis des avis défavorables sur deux demandes de renvoi en commission. Nous avons également appelé au rejet d’une motion d’irrecevabilité, similaire dans son esprit à cette motion-ci.
Par ailleurs, je doute de la pertinence de renvoyer cet article en commission : lors de notre réunion de mardi dernier, il y a eu très peu de prises de parole au cours des deux heures que nous avons consacrées à ce sujet, car vous disiez vous réserver pour le débat en séance – ce que je ne vous reproche pas. Nous avons d’ailleurs bien vu à quel point vous vous réserviez pour le débat ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Dans ces conditions, je ne vois pas l’intérêt d’un renvoi en commission. La commission émet donc un avis défavorable sur cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je rappelle qu’un orateur de chaque groupe peut avoir la parole pour explication de vote sur la motion.
M. Fabien Genet. Il n’y a pas d’obligation !
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Mon groupe soutiendra cette demande de renvoi pour une raison bien précise : nous souhaitons une nouvelle discussion des amendements que la commission a jugés irrecevables sur l’index seniors, de manière totalement paradoxale.
En effet, le Gouvernement a conservé dans le texte l’article sur l’index seniors, alors même qu’il a pris connaissance de l’avis du Conseil d’État mettant en garde sur le risque d’inconstitutionnalité de cet article. Du reste, il est normal qu’il cherche à maintenir cet article, censé instaurer une petite contrainte pour les employeurs. Il faut bien maintenir l’illusion que ces derniers sont mis à contribution !
Pourquoi pas ? Mais, dans ce cas, je m’étonne que beaucoup d’amendements relatifs à cet index aient été déclarés irrecevables, non pas au titre de l’article 40 de la Constitution, car il s’agissait de demandes de rapport, mais au prétexte qu’ils n’avaient pas de lien, direct ou indirect, avec la réforme.
Il faudrait savoir ! L’index peut-il être maintenu pour offrir un semblant de mise à contribution des employeurs – nous en reparlerons –, ou bien n’a-t-il pas sa place dans un tel texte, auquel cas nous allons en discuter alors que le Conseil constitutionnel risque de le censurer ?
Dès lors que l’article est maintenu dans le texte, j’estime qu’il convient de revenir sur la décision de juger irrecevables plusieurs amendements demandant des rapports, sous prétexte qu’ils seraient sans lien direct ou indirect avec le texte. (M. Thomas Dossus applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Vous ne serez pas surpris de nous voir soutenir cette demande de renvoi en commission – c’est la nôtre ! Nous avons beaucoup de choses à dire au sujet de cet index seniors, sur la forme comme sur le fond.
Nous estimons que cette réforme des retraites ne prend absolument pas en compte la situation des seniors. Aucune étude chiffrée, hormis quelques travaux approximatifs, ne nous permet de savoir quelle sera la situation des seniors après l’instauration de ces deux années supplémentaires de travail, ou plutôt, pour certains, de chômage.
Nous avons certes abordé le sujet lors d’une réunion de la commission, mais nous déplorons le manque d’éléments dont celle-ci aurait pu disposer pour travailler sur ce projet de réforme des retraites.
Arrêtons de gamberger sur cette fameuse note du Conseil d’État ! Nous aimerions bien sûr en prendre connaissance, mais ce qui en a été dit à l’Assemblée nationale nous permet de savoir à peu près ce qu’elle contient, à savoir que cet article 2 sera certainement qualifié de cavalier législatif. Dès lors, pourquoi passer tant de temps à en discuter, a fortiori dans le cadre d’un projet de loi qui dégradera la situation des seniors ?
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Nous soutenons cette motion de renvoi en commission de l’article 2, relatif à l’index seniors, déposée par le groupe socialiste.
Le Gouvernement crée un index pour les entreprises de plus de 300 salariés ; la seule obligation qui pèsera sur elles sera la publication de cet index, sous peine d’une sanction pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale.
J’ai retrouvé cette rédaction précise dans les propos des membres – cela n’étonnera personne – du club des grandes entreprises : le Medef. C’est leur volonté affichée !
Cet index est dépourvu d’un réel pouvoir de contrainte. Pourtant, les trajectoires entre l’emploi et la retraite ne sont pas linéaires, chacun le sait. En effet, nous ne pouvons pas ignorer que, à 60 ans, près d’une personne sur trois n’est ni employée ni à la retraite. La majorité de ces personnes se trouvent, malheureusement, dans des situations de grande précarité : invalidité, RSA, chômage…
Aussi, nous dénonçons cet allongement de ce qu’on peut appeler le « sas de précarité » des seniors, allongement qui aura des conséquences désastreuses pour de nombreuses personnes.
Permettez-moi un petit retour en arrière qui, je l’espère, nous rassemblera unanimement, parce que « la preuve du pudding, c’est qu’on le mange ». En 2018 a été créé un index de l’égalité professionnelle. Or l’expérience a prouvé que cet index n’a pas favorisé l’application de la loi sur l’égalité salariale entre les hommes et les femmes. (Mme Cathy Apourceau-Poly le confirme.)
Il serait bien que nous prenions tous acte de cette expérience. Un index ne permet pas d’opérer les changements nécessaires pour la société. Ce qui vaut pour l’égalité salariale vaut également pour les seniors.
Au-delà du travail d’amendement de l’ensemble des parlementaires que nous sommes, ce serait donc faire preuve de bon sens que de renvoyer cet article en commission.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 4740, tendant au renvoi à la commission de l’article 2.
(La motion n’est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion de l’article 2.
Article 2
I. – La section 4 du chapitre Ier du titre II du livre Ier de la cinquième partie du code du travail est ainsi rétablie :
« Section 4
« Indicateurs relatifs à l’amélioration de l’emploi des seniors
« Art. L. 5121-6. – L’employeur poursuit un objectif d’amélioration de l’embauche et du maintien en activité des seniors.
« Art. L. 5121-7. – Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, l’employeur publie chaque année des indicateurs relatifs à l’emploi des seniors, en distinguant leur sexe, ainsi qu’aux actions mises en œuvre pour favoriser leur emploi au sein de l’entreprise.
« La liste des indicateurs et leur méthode de calcul sont fixées par décret.
« Une convention ou un accord de branche étendu peut déterminer la liste des indicateurs mentionnés au premier alinéa et leur méthode de calcul, qui se substituent alors à celles fixées par le décret mentionné au deuxième alinéa pour les entreprises de la branche concernée.
« Un décret fixe les conditions d’application du présent article, notamment les modalités de mise en œuvre du troisième alinéa, la date et les modalités de publication des indicateurs ainsi que la date et les modalités de leur transmission à l’autorité administrative.
« Art. L. 5121-8. – Les entreprises qui méconnaissent l’obligation de publication prévue à l’article L. 5121-7 peuvent se voir appliquer par l’autorité administrative une pénalité, dans la limite de 1 % des rémunérations et gains, au sens du premier alinéa de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et du premier alinéa de l’article L. 741-10 du code rural et de la pêche maritime, versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours de l’année civile précédant celle au titre de laquelle l’obligation est méconnue.
« La pénalité est prononcée dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État. Son montant tient compte des efforts constatés dans l’entreprise en matière d’emploi des seniors ainsi que des motifs de méconnaissance de l’obligation de publication.
« Le produit de cette pénalité est affecté à la caisse mentionnée à l’article L. 222-1 du code de la sécurité sociale. »
II. – La sous-section 4 de la section 3 du chapitre II du titre IV du livre II de la deuxième partie du code du travail est ainsi modifiée :
1° Après le 6° de l’article L. 2242-20, il est inséré un 7° ainsi rédigé :
« 7° L’emploi des seniors, en prenant en compte les indicateurs publiés par l’entreprise en application de l’article L. 5121-7, et l’amélioration de leurs conditions de travail. » ;
2° Au 6° de l’article L. 2242-21, les mots : « l’emploi des salariés âgés et » et, à la fin, les mots : « et l’amélioration des conditions de travail des salariés âgés » sont supprimés.
III. – Le Gouvernement engage, dès la publication de la présente loi, une concertation avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’adoption du décret mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 5121-7 du code du travail.
IV. – Les I et II du présent article s’appliquent à compter du 1er novembre 2023 aux entreprises d’au moins mille salariés, à compter du 1er juillet 2024 aux entreprises d’au moins trois cents salariés et de moins de mille salariés et à compter du 1er juillet 2025 aux entreprises d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés.
V (nouveau). – À compter de l’année suivant la publication de la présente loi, le Gouvernement transmet chaque année au Parlement, au plus tard le 1er juin, un point d’étape sur la mise en œuvre du présent article et sur ses répercussions concrètes sur l’emploi des seniors.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. René-Paul Savary, rapporteur. Nous abordons le cœur de la réforme : l’emploi des seniors. Compte tenu de l’augmentation, heureuse, de notre longévité, il nous faut à l’évidence revoir la prise en compte des seniors par la société.
Jusqu’à présent, nous n’avons pas légiféré sur cette tranche de vie intermédiaire, entre la fin d’une carrière active et le début d’une période de sédentarité. Cette dernière durant de plus en plus longtemps, il faut la préparer.
C’est la raison pour laquelle nous avons toujours dit qu’il manquait à la réforme un volet de prise en compte de l’employabilité des seniors ; il eût été plus judicieux de travailler sur cette tranche de vie avant de passer à l’examen d’un projet définitif de réforme des retraites. Voilà ce qui a animé les réflexions que nous avons menées afin de vous faire des propositions.
Je note toutefois que les gouvernements précédents se sont intéressés à la question, puisque l’augmentation de la durée de cotisation à 43 annuités, qui a été votée sous la présidence de François Hollande, fait que nous sommes amenés à travailler beaucoup plus longtemps.
Il faut donc prendre en compte le fait que, malgré cette longévité, le travail peut causer de l’usure. Aussi nous a-t-il semblé important de bâtir dès à présent, même si c’est par le véhicule législatif d’un texte relatif aux retraites, une politique relative à l’emploi des seniors, que l’on pourrait appeler, monsieur le ministre : « 1 senior, 1 solution ».
Le plan « 1 jeune, 1 solution » avait exprimé une ambition collective à l’égard de l’emploi des jeunes ; nous souhaitons faire de même pour l’emploi des seniors.
Notre plan comprend trois volets, concernant respectivement les seniors qui sont au chômage, les seniors qui sont en emploi, et ceux qui voudraient profiter d’une période transitoire.
Pour les seniors au chômage, nous proposons un nouveau type de contrat : le CDI senior. Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen de notre amendement n° 2112 rectifié, après l’article 2.
Pour les seniors en emploi, nous proposons des dispositifs plus généreux sur les pensions, notamment une surcote pour les mères de famille, dont les difficultés de prise en compte de leur carrière ont été rappelées, mais aussi des dispositifs tels que la retraite progressive dès 60 ans, ou le fait de réserver aux fins de carrière la possibilité de recourir au temps partiel dans le cadre du compte professionnel de prévention (C2P). Ce faisant, nous prenons en compte les difficultés des seniors en leur permettant d’aménager leurs dernières années en emploi.
Par ailleurs, pour renforcer l’attractivité des travailleurs âgés auprès des employeurs, nous avons décidé d’étendre la mutualisation de la prise en compte des maladies professionnelles à effet différé dans les cotisations accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), de manière que le dernier employeur ne paye pas la note pour l’usure d’un salarié qui aurait exercé différents emplois.
En outre, nous estimons qu’il faut dissuader les ruptures conventionnelles conclues deux ou trois ans avant la retraite, sorte de consensus social où chacun s’y retrouve : on dit au salarié qu’il peut passer par la case chômage avant la retraite pour finir sa carrière tranquillement et l’employeur lui verse des indemnités qui ne sont pas assez taxées. Nous comptons donc augmenter la taxation de la rupture conventionnelle à hauteur de 30 %. Cette proposition, qui vient de l’Assemblée nationale, nous a semblé pertinente.
Quant à l’index seniors, pour tout vous dire, je n’en suis pas un grand fan. (Exclamations ironiques sur des travées des groupes SER et CRCE.)
Il s’agit de prendre une photographie et de la publier au bon moment. Ce n’est pas parce qu’une entreprise emploie beaucoup de seniors qu’elle aime les seniors ; c’est parfois juste l’effet du temps. Ainsi, cette entreprise aura un très bon index jusqu’au moment où il faudra remplacer les salariés par des plus jeunes – alors, l’index se dégradera.
A contrario, une entreprise qui compte beaucoup de jeunes salariés parce que le secteur exige des compétences récentes que possèdent en majorité des jeunes – par exemple une entreprise de biotechnologie – recevra un mauvais index seniors.
Néanmoins, nous avons convenu qu’il fallait lancer ce plan seniors et convaincre les entreprises. Aussi avons-nous accepté de reprendre cet index seniors, mais en fixant son plancher à 300 salariés au lieu de 50. En effet, c’est le seuil à partir duquel des discussions doivent se tenir dans l’entreprise pour la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP). Ces discussions permettent justement de définir une politique pour les seniors et de l’appliquer de manière qu’elle soit éventuellement reprise dans le cadre des index.
Voilà les éléments qui ont animé notre réflexion et dont je souhaitais vous faire part.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, sur l’article.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous n’avons pas déposé d’amendement de suppression de cet article, bien que l’index seniors, tel qu’il nous est proposé, soit à l’évidence un leurre. Il s’agit d’une facétie du Gouvernement pour faire croire qu’il parle du travail des seniors.
S’il reste en l’état, nous voterons contre, et plutôt deux fois qu’une !
Seulement, voyez-vous, nous avions l’espoir d’en faire un outil réellement contraignant au service de l’emploi des seniors.
Nous avions ainsi proposé la réécriture intégrale de cet article, au travers d’un amendement qui a été déclaré irrecevable pour un motif que je vous livre, car il est assez drôle : « Cet amendement, qui concerne le droit du travail et l’emploi des seniors et ne prévoit pas d’affectation de la pénibilité à la sécurité sociale, n’a pas d’effet sur les recettes des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale pour 2023. Il est donc irrecevable en application de l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale. »
Nous entendions imposer une pénalité financière, équivalente à 10 % des rémunérations et des gains, aux entreprises de plus de 5 000 salariés ne respectant pas les critères que nous détaillions. Des pénalités moins importantes étaient prévues pour les entreprises aux effectifs plus faibles.
Il s’agissait d’instaurer un véritable outil au service des seniors, dont l’impact budgétaire aurait été bien différent de celui de la maigre sanction facultative prévue à cet article, qui ne s’appliquerait, peut-être, que si les entreprises ne daignent pas publier cet index…
Il y aurait donc eu une incidence financière si ces entreprises ne respectaient pas cette obligation.
C’est le régime « zéro sanction » qui s’applique. Il serait impératif de faire de cet index un outil « incitatif », au service des entreprises. Nous reviendrons sur le dévoiement du sens de ce terme dans le débat public…
Le Conseil d’État, dont nous attendons toujours la note, qui vous a été transmise, monsieur le rapporteur, et que vous vous ferez un plaisir de nous communiquer,…
M. René-Paul Savary, rapporteur. Non !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. La note ne se transmet pas !
Mme Cathy Apourceau-Poly. … indique que l’index seniors constitue un cavalier social, car il n’a pas d’incidence budgétaire.
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, sur l’article.
Mme Monique Lubin. L’examen de cet article nous permet de débattre de l’index d’emploi des seniors. Cela appelle des commentaires sur la forme et sur le fond.
Sur la forme, le Gouvernement sait pertinemment qu’une loi de financement rectificative de la sécurité sociale ne peut pas contenir de mesures non budgétaires et que l’on ne peut donc pas valablement, dans ce contexte, discuter de la situation des seniors ni mettre en place de véritables mesures en faveur de leur emploi. C’est pourquoi ce qui est proposé dans cet article relève du gadget ; et encore, le mot est faible…
Sur le fond, le Gouvernement ignore-t-il la situation desdits seniors ? On peut en discuter, on a le temps : à partir de quel âge est-on un senior ? 50 ans ? 55 ans ? Pour certaines entreprises, c’est même 45 ans. Disons que la situation est critique à partir de 55 ans et très tendue à partir de 50 ans. Le Gouvernement ignore-t-il cela ? Sait-il que de très nombreuses personnes, au-delà de 55 ans, ne retrouvent pas d’emploi, se voient aspirées, après une vie de labeur, par la spirale du chômage, des fins de droits, des minima sociaux, et attendent la retraite avec impatience pour pouvoir enfin toucher un revenu assurant un minimum de dignité ? Ce n’est certainement pas avec ce projet de loi que les choses s’amélioreront.
Nous proposerons donc la suppression de cet article, non parce que nous ne faisons pas confiance au rapporteur – je connais sa volonté de traiter ce sujet –, mais parce que nous ne pouvons pas cautionner ce que le Gouvernement nous propose.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Fabien Gay. Je considère que l’index seniors est aussi utile que le numéro vert mis en place l’été dernier pour lutter contre la canicule ; il est nul et non avenu !
Cet index ne sera pas contraignant – Pascal Savoldelli l’a souligné – et on ne sait pas ce qu’il comportera – ce sera défini par décret –, hormis peut-être le nombre de seniors dans l’entreprise ou les mesures de formation mises en œuvre. Même l’index de l’égalité professionnelle entre femmes et hommes, qui n’est déjà pas bien contraignant, peut donner lieu à des sanctions si des mesures correctives ne sont pas prises. Vous n’allez même pas jusque-là avec cet indice : seules les entreprises qui ne l’auront pas publié seront sanctionnées par une amende, d’ailleurs extrêmement faible.
Il y a deux questions à se poser.
Premièrement, comment conserver au travail les seniors au-delà de 55 ans ? Plus de 40 % d’entre eux n’atteignent pas les 62 ans ; après 55 ans, ils sont poussés dehors par les entreprises ! Quelles mesures concrètes proposez-vous pour maintenir les seniors au travail ? Il faudra bien en parler, car ce n’est pas l’index qui le fera !
Deuxièmement, d’après la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 1,4 million de personnes âgées de 53 à 69 ans ne perçoivent ni pension de retraite ni revenu d’activité ; ce chiffre figure dans l’excellent numéro de L’Humanité consacré aux retraites, que je vous recommande, mes chers collègues ! (Sourires sur diverses travées.)
M. René-Paul Savary, rapporteur. Je l’ai lu !
M. Fabien Gay. Le recul de 62 ans à 64 ans n’agira pas sur ces 1,4 million de personnes, qui resteront sans ressources et sans emploi. Concrètement, qu’allez-vous faire ?
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, vous avez affirmé, lors de la discussion générale, que cette réforme allait mécaniquement augmenter le taux d’emploi en fin de carrière, mais France Stratégie rappelle que « l’effet des règles du système de retraite sur l’emploi des seniors est loin d’être mécanique » et précise que « même des règles coercitives telles que le relèvement de l’âge d’ouverture des droits se heurtent à l’hétérogénéité des situations de fin de carrière ».
L’index seniors ne permettra donc pas, nous le savons tous, de remédier aux représentations négatives liées à l’âge, qui constitue, avec le sexe et les origines, l’un des premiers motifs déclarés de discrimination au travail.
L’autre fait que vous négligez, alors qu’il est important, est l’état de santé. Toujours selon France Stratégie, « plus de la moitié des personnes prématurément sorties de l’emploi évoquent des problèmes de santé » pour expliquer la cessation anticipée de leur activité, un chiffre à prendre très au sérieux dans un contexte de quasi-stagnation, depuis 2000, de l’espérance de vie sans incapacité à 50 ans.
Concrètement, l’index seniors ne remettra pas en cause certaines pratiques délétères, comme le harcèlement moral démissionnaire, qui consiste à dégrader les conditions de travail d’un salarié pour provoquer son départ à moindre coût. La mise au placard dans les entreprises concernerait 200 000 salariés et coûterait – tenez-vous bien – 10 milliards d’euros par an.
Bref, vous avez la prétention de « construire les bases d’une nouvelle société du travail » – rien de moins –, mais je crois que cette société du travail ressemble plus à un grand retour en arrière qu’à une véritable nouveauté.