M. le président. Vous avez capitalisé votre temps de parole ! (Sourires.)
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. C’est un peu étonnant. Hier, dans un quasi-silence, vous avez voté en faveur de reculs sociaux importants et d’efforts demandés aux Français ; vous allez continuer en ce sens. Pourtant aujourd’hui, vous nous dites que cela ne suffira pas à résoudre le problème. Voilà qui est tout de même quelque peu inquiétant !
Au sujet de la capitalisation, je me concentrerai sur la manière dont vous imaginez la mettre en place. S’il s’agit d’un dispositif obligatoire en plus, il faut trouver les moyens de le financer ; s’il s’agit de faire passer une partie de ce qui relève à l’heure actuelle de la répartition vers la capitalisation, à ce moment-là, il faut nous expliquer comment vous financerez la retraite par répartition. De fait, le système par répartition sera fragilisé.
Par ailleurs, dans la plupart des pays où le système par capitalisation fonctionne, ou en tout cas où il existe, les montants dédiés à la capitalisation ne sont pas soumis à la fiscalité. Dans ce cas, les plus aisés ont une solution pour payer des impôts non pas le jour où ils gagnent de l’argent, mais le jour où ils perçoivent la rente liée à leur capitalisation. Compte tenu de l’état actuel des finances publiques, il ne me semble pas souhaitable que les personnes les plus aisées du pays soient mises en capacité de reporter dans trente ans le paiement des impôts dont elles devraient s’acquitter aujourd’hui.
De plus, sur le fond, si vous voulez éviter que la capitalisation ne représente trop de risques, c’est-à-dire éviter le capital-risque, il faut dès lors investir une partie de l’argent dans des obligations de l’État, donc créer de la dette…
M. Sébastien Meurant. Sûrement pas !
M. Jean-Yves Leconte. … et investir une partie de cet argent dans des biens dont on sait qu’ils garderont de la valeur, en particulier dans l’immobilier. À partir de là, des biens essentiels à la dignité et à la vie…
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Yves Leconte. … vont devenir une matière à investissement et à spéculation. Ce n’est pas la société que nous voulons !
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Je suis ravi qu’il y ait des failles dans l’obstruction silencieuse de nos collègues de droite : pour notre plus grand plaisir, nous avons un débat ce matin. Pour débattre, il faut être deux. Ici, deux projets de société s’affrontent : la répartition versus la capitalisation.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Non !
M. Fabien Gay. Vous le dites très bien : pour vous, cette réforme n’est qu’une étape pour reprendre le chemin tracé en 2019 et, dans deux ou trois ans, revenir nous assurer de la nécessité de la capitalisation individuelle pour tous et toutes.
M. Max Brisson. C’est trop facile !
M. Fabien Gay. Voilà votre volonté : mettre la main sur les 346 milliards d’euros de cotisations sociales qui échappent chaque année au capital pour les placer entre les mains du marché, celles de BlackRock et compagnie. Soit !
M. Max Brisson. Caricature !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. On n’est pas des Robin des Bois…
M. Fabien Gay. Je remercie M. Le Rudulier et ses quarante collègues de poser la question : nous débattons et vous comprenez alors que, pour nous, c’est non ! Il nous faut un débat argument contre argument, car M. Le Rudulier a raison : nous avons, en effet, moins d’actifs actuellement qu’en 1945 ou en 1980. En 1980, si ma mémoire est bonne, le ratio était de 3,8 actifs pour un retraité ; il est désormais de 1,7 actif pour un retraité. Toutefois, en 1980, un travailleur ou une travailleuse produisait 25 000 euros de richesse en moyenne. Combien dorénavant ? Environ 80 000 euros ! Les gains de productivité ont donc, pour le dire autrement, été multipliés par 3,2.
Je vous pose la question : où sont passés ces gains de productivité ? Pas dans les salaires ! Pas dans les niveaux de pension de retraite ! Où sont passés les gains de productivité en quarante ans ? Dix points ont été volés au travail par le capital. Voilà la réalité ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Mon explication de vote porte sur l’amendement n° 174 rectifié. Madame la rapporteure générale, vous n’avez pas soutenu l’amendement, mais vous avez quand même laissé clairement entrevoir votre position. Vous avez indiqué il y a un instant qu’il faudra un jour aller vers un régime par capitalisation car, la preuve, les jeunes sont les plus méfiants à l’égard de notre système de répartition.
Hier, le rapporteur René-Paul Savary nous mettait en garde : à force d’insister sur la pénibilité de certains métiers, on finit par cesser de les rendre attractifs. Je vous suggère d’appliquer la recommandation de René-Paul Savary à la question des retraites ! À force de répéter aux jeunes que le système est plombé, on finit effectivement par leur faire perdre confiance.
En fait, nous parlons moins des retraites que du marché. Nous parlons d’une injonction permanente formulée par les cabinets de conseil anglo-saxons, dont le Gouvernement raffole, et par les instituts libéraux. En effet, ceux-ci assurent que la France a besoin des fonds de pension.
Il faut se poser la question : veut-on donner aux fonds spéculatifs l’argent que les salariés consacrent aujourd’hui, par la répartition, à leur retraite de demain ?
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit !
Mme Laurence Rossignol. J’irai même plus loin : est-ce dans l’intérêt des salariés que leur rémunération abonde les fonds spéculatifs ?
La guerre en Ukraine est un facteur d’inflation, mais ces grands fonds spéculatifs en sont un autre, ces derniers temps, portant la responsabilité, clairement identifiée, de la spéculation sur les matières premières alimentaires. Il n’est donc pas dans l’intérêt des salariés d’alimenter un marché financiarisé, fondé sur la spéculation, avec leur propre rémunération.
Je reviendrai sur la question démographique, mais il faut que chacun assume ses positions. En fait, même si je passe sur le paradoxe de cette démonstration, vous ne voulez pas sauver le système de retraite par répartition par la capitalisation : vous voulez de l’argent pour la spéculation. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et GEST.)
M. Max Brisson. Caricature ! C’est Karl Marx !
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.
Mme Émilienne Poumirol. Effectivement, nous ne sommes pas favorables à la retraite par capitalisation : deux projets de société s’affrontent.
La pérennité de notre système de retraite – cela vient d’être rappelé – n’est pas en danger. Le COR l’a dit et répété. Le problème est donc non pas celui des dépenses, qui devraient évoluer, allais-je dire, dans le mauvais sens, mais celui des recettes.
Vous avez élevé comme dogme depuis cinq ans le fait de ne pas augmenter les recettes et, au contraire, de les diminuer. Vous avez diminué le nombre de fonctionnaires, donc les recettes liées à leurs cotisations. Surtout, vous n’avez pas cessé d’augmenter les exonérations sociales, baissant de 85 milliards d’euros depuis 2017 les recettes de la sécurité sociale. En même temps, vous diminuez les impôts et les taxes des privilégiés. Vous montrez là votre volonté de donner aux banques et aux assurances privées, donc à ces fameux fonds de pension, des masses énormes d’argent pour pouvoir spéculer.
Je répète moi aussi à Mme la rapporteure générale que la jeunesse réfléchit bien entendu à la question des retraites ; Laurence Rossignol vient de l’indiquer. Il a été répété sans cesse aux jeunes qu’ils n’auraient pas droit à la retraite et que le régime par répartition était en danger. Ils sont donc inquiets, avec raison. Ils pensent qu’ils vont être obligés de continuer à faire des économies personnelles et d’investir dans une retraite par capitalisation : c’est ce que l’on n’a pas arrêté de le leur répéter.
Alors, donnons-leur confiance : le système par répartition est viable, comme l’a prouvé le COR. Arrêtons de leur faire peur !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre Monier. On a fait peur aux jeunes, ils sont inquiets, mais, surtout, ils savent qu’ils ne pourront pas capitaliser parce qu’ils n’en auront pas les moyens.
Mon explication de vote porte sur le sous-amendement n° 4735, que je soutiens bien entendu. Présenté par Monique Lubin, il vise à modifier l’amendement n° 1968 rectifié quater de M. Husson afin de supprimer toute référence à la capitalisation.
Il nous faut être très fermes à ce sujet. Une telle mention est un cheval de Troie,…
M. Max Brisson. C’est un simple rapport !
Mme Marie-Pierre Monier. … revenant en réalité à acter la fin de notre système par répartition actuel, à rebours, d’ailleurs, de la ligne que vous prétendez défendre, monsieur le ministre.
La période récente, et les crises boursières qui l’ont ponctuée, a souligné à de nombreuses reprises les incertitudes liées aux marchés financiers.
Il apparaît donc pour le moins paradoxal de vouloir sécuriser l’avenir de notre système actuel de retraite en le faisant évoluer vers un système mixte, intégrant un mécanisme de capitalisation qui soumettrait une partie de la retraite des Françaises et des Français aux aléas des fonds de pension et des fonds d’investissement.
Par ailleurs, comme l’économiste Thomas Piketty, entre autres, a eu l’occasion de le souligner, le financement des retraites par capitalisation présente un autre risque, celui de l’aggravation des inégalités…
M. Jean-François Husson. C’est l’inverse !
Mme Marie-Pierre Monier. … entre les Françaises et les Français aux plus hauts revenus, déjà détenteurs de capital, qui verraient leurs placements et investissements en cours renforcés par la capitalisation, et les autres, qui partiraient avec un temps de retard dans ce processus de fructification.
Au fond, il suffit de parler avec les citoyennes et les citoyens de ce pays pour savoir qu’ils ont, comme je l’ai déjà dit, du mal à boucler leurs fins de mois. Comment voulez-vous, mes chers collègues, qu’ils puissent en plus capitaliser pour leur retraite ?
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.
M. Alain Milon. Je voudrais tout d’abord remercier René-Paul Savary de ses propos, qui sont en fait le fruit d’une réflexion que nous menons depuis quelques années avec lui-même, Catherine Deroche et tous les membres de la commission des affaires sociales issus du groupe Les Républicains.
Autrement dit, nous travaillons, nous avons travaillé, et tout cela sans agir en catimini – je le souligne pour répondre à ceux qui nous reprochent, soit de ne pas travailler, soit de le faire en catimini. Nous travaillons en fait entre nous, mes chers collègues de la gauche, tout comme vous le faites entre vous !
Cela étant dit, pourquoi demander un rapport au Gouvernement, quand on sait que 16 % seulement des rapports demandés sont in fine remis ? Si nous maintenons notre demande et insistons jusqu’au bout, le risque que nous courons est de récupérer un rapport établi par un bureau d’études, plutôt que par le Gouvernement.
Dès lors, nous pourrions envisager de faire ce travail nous-mêmes dans le cadre de la commission des finances et de la commission des affaires sociales, en nous concentrant, évidemment, sur un système de fonds de capitalisation à la française, c’est-à-dire complémentaires ou supplémentaires de la péréquation.
Pourquoi s’opposer à la capitalisation, alors que, comme l’a dit Mme Lienemann, les fonds de réserve créés par Lionel Jospin reposent eux-mêmes sur un tel mécanisme ? Pourquoi s’y opposer au moment où, on le constate, les cabinets médicaux, en particulier les centres de santé, les cliniques de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) ou les cliniques psychiatriques sont rachetés par des fonds de capitalisation étrangers.
Faisons en sorte de disposer de nos propres fonds de capitalisation à la française, par exemple pour pouvoir mieux contrôler notre secteur de la santé ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur ainsi que MM. Vincent Capo-Canellas et Pierre-Jean Verzelen applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je m’étonne, chers collègues de la gauche : si, pour vous, la capitalisation est l’abomination des abominations, pourquoi n’avez-vous pas déposé des amendements de suppression des deux régimes, individuel et collectif, de capitalisation pour la fonction publique ? (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Pour notre part, nous croyons en la retraite par répartition, car elle assure un lien intergénérationnel. C’est parce que nous voulons sauver cette retraite par répartition que nous voulons voter cette réforme, après l’avoir modifiée.
Certes, cher Pierre Ouzoulias, on ne peut pas prévoir l’économie de demain, mais on peut prévoir la démographie et l’on sait parfaitement que celle-ci est la clé d’un régime par répartition.
Nous voulons simplement réfléchir, étudier, l’objet de notre étude étant un système de fusée à trois étages. Le premier étage serait le socle, la répartition, le lien intergénérationnel. Le deuxième serait constitué des régimes complémentaires gérés par les partenaires sociaux – dispositif de retraite par points, d’ailleurs, où l’on cotise en partie pour sa propre retraite. Le troisième serait un mécanisme par capitalisation.
Celle-ci pose effectivement deux problèmes. D’une part, il ne faut pas que les riches puissent faire, mais pas les modestes. Il faut donc un système collectif et solidaire. D’autre part, se pose la question de la transition. C’est pourquoi nous souhaitons réfléchir à ce système de demain. C’est absolument fondamental !
Par ailleurs, si nous sommes tous attachés à ce que la France dispose demain de fonds souverains, à ce que les centres de décision ne partent pas, à ce que ce soit l’argent des Français qui finance la transition énergétique et écologique, alors il n’y a pas d’autres moyens ! Il y va aussi, mes chers collègues, de notre souveraineté financière et industrielle. (Mme Sophie Primas acquiesce.) Là est l’enjeu, et nous pouvons y faire face sans détricoter notre système ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions. – MM. Vincent Capo-Canellas, Alain Duffourg et Olivier Henno applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, pour explication de vote.
M. Stéphane Le Rudulier. Mon amendement étant un amendement d’appel, je le retire au bénéfice de celui que Jean-François Husson a proposé.
Mais je voudrais tout de même rassurer la partie gauche de l’hémicycle : quand on fait quelques recherches sur le système de retraite, on trouve que notre premier système de retraite date des années 1909-1910, qu’il a été porté par Jean Jaurès et défendu par lui au nom du réformisme. Figurez-vous, mes chers collègues, qu’il s’agissait d’un système par capitalisation, solidaire et obligatoire pour les petits salariés, les ouvriers et paysans qui gagnaient moins de 3 000 francs annuels en 1910…
Comme quoi, « capitalisation » n’est pas un gros mot ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Duffourg applaudit également.)
Mme Laurence Rossignol. Ce système reposait sur trois modes de financement : l’État, le travailleur et le patron !
M. le président. L’amendement n° 174 rectifié est retiré.
La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Sur la forme, je me félicite que Mme la rapporteure générale et M. le rapporteur aient estimé que notre assemblée ne pouvait pas acter cette demande de rapport. Toute autre décision aurait été curieuse, eu égard au nombre de demandes de rapport émanant de la gauche de la Haute Assemblée qui sont retoquées. Je les en remercie.
Par ailleurs, nous sommes effectivement en plein dans le clivage droite-gauche évoqué par M. Bruno Retailleau, qui, je tiens à le dire, n’a pas de bâillon.
D’ailleurs, monsieur Retailleau, si j’étais facétieux, je vous dirais que la une du Parisien de ce matin – je ne sais pas si vous l’avez lu – m’indique que vous ne voterez pas cette réforme : elle est de gauche ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.) Qu’elle soit de gauche nous avait un peu échappé… M. le ministre a beaucoup d’humour !
Plus sérieusement, l’amendement n° 174 rectifié, même retiré, constitue un signal fort. Ce n’est pas un simple diagnostic que vous avez demandé, cher collègue Le Rudulier ; dès lors que vous précisez la manière dont cette retraite par capitalisation peut être mise en œuvre, vous tenez la main du Gouvernement.
Il y a en définitive une grande différence qui nous oppose. Certes, il existe aujourd’hui des systèmes de capitalisation dans notre pays : on a évoqué le cas de la fonction publique, ou encore la création dans le cadre de la loi Pacte, du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, du nouveau plan d’épargne retraite (PER), qui obtient d’ailleurs de bons résultats. Ces dispositifs se fondent sur le volontariat, sur la capacité donnée à une personne de compléter sa retraite par répartition comme elle l’entend. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. C’est faux !
M. Patrick Kanner. Dans votre système en revanche, monsieur Le Rudulier, la capitalisation viendrait se substituer progressivement à la répartition, ce qui obligerait un salarié modeste à devoir faire des choix en la matière.
Mme Nadine Bellurot. Non !
Mme Sophie Primas. C’est l’inverse !
M. Patrick Kanner. Je regrette, mais pour nous c’est non ! Nous rejetons le principe d’une capitalisation généralisée ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Mme la rapporteure générale a convoqué les jeunes. J’ai un autre sondage à mentionner à ce sujet : selon une étude de l’Institut français d’opinion publique (Ifop), 66 % des jeunes sont favorables à l’augmentation des cotisations, plutôt qu’à l’allongement de la durée de travail. J’espère que l’on en tiendra compte !
Je voudrais rappeler deux caractéristiques du régime de répartition, qui, je crois, gênent la droite. Tout d’abord, le régime par répartition, qui était jusqu’à ce jour le meilleur, le plus généreux, est un régime redistributif – même s’il l’est insuffisamment. Par ailleurs, et c’est une caractéristique totalement incompatible avec la capitalisation, notre régime est, dans sa partie régime général, à prestations définies, avec l’application de règles comme la cotisation sur les 25 meilleures années, la moitié du plafond, etc. Cette partie qui correspond à des prestations définies, et non à ce que le marché serait susceptible de donner dans trente ans, représente entre 40 % et 70 % de la pension selon les catégories socioprofessionnelles.
Il me semble, chers collègues de la majorité sénatoriale, que le côté redistributif – bien qu’insuffisant, j’y insiste, il est tout de même inscrit dans le système de répartition et a permis d’éradiquer la pauvreté chez les personnes âgées – ne vous sied pas, non plus que le régime général délivrant des prestations définies.
En outre, ne mélangeons pas les choses. Les réserves ne qualifient pas le régime de capitalisation ; cela n’a rien à voir. Il s’agit d’un principe de gestion à long terme, de lissage du régime par répartition, qui n’est en rien induit par le fait de placer l’argent.
Je mentionnerai rapidement un dernier point : les rendements généralement demandés dans les systèmes par capitalisation…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Raymonde Poncet Monge. … sont obtenus au détriment des travailleurs, lors des plans de licenciement, ou par des investissements dans les secteurs rapportant le plus, à savoir les industries extractives, en particulier les industries des combustibles fossiles. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.
M. Daniel Breuiller. Je commencerai par une remarque : si la retraite par répartition est le premier étage d’une fusée, c’est assez inquiétant car, quand on lance une fusée, on lâche le premier étage pour qu’elle puisse continuer ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE.)
Je salue par ailleurs le fait que nous ayons enfin un vrai débat. Merci, mes chers collègues, et merci aussi à Jean-François Husson, dont je connais l’exigence constante vis-à-vis du Gouvernement, d’avoir souligné à quel point nous sommes mis dans une situation empêchant la tenue de véritables échanges.
Ce dont nous parlons ici, en effet, n’entre pas dans le cadre d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale ; il s’agit d’une discussion sur les retraites telle que nous devrions l’avoir dans le cadre d’une loi non budgétaire. Malheureusement, le temps est contraint, puisque nous l’abordons au travers de l’examen d’amendements, et nous ne pourrons pas aller au bout de cette discussion.
S’agissant de la démographie, nous pourrions y consacrer très tranquillement une bonne demi-heure tant les variables sont nombreuses. Le partage de la valeur produite, évoqué par Fabien Gay, est un sujet qui mérite d’être évoqué ; il ne l’est jamais sur les travées de droite.
Je voudrais aussi dire un mot sur le contexte de mondialisation libérale et de financiarisation. La capitalisation a permis de construire des acteurs financiers privés plus puissants que les États. BlackRock en est l’illustration la plus criante. Le paradoxe, c’est qu’aujourd’hui la veuve du Michigan ou le boulanger de l’Ohio financent des projets qui les mettent eux-mêmes à genoux. Ils financent, d’abord, des projets climaticides, parce que ce sont aujourd’hui les plus rentables, ensuite, des projets aggravant les inégalités, qui vont – notre collègue Laurence Rossignol l’a évoqué – jusqu’à affamer des pays en spéculant sur la nourriture et l’alimentation.
C’est un vrai problème ! La financiarisation et les grands groupes privés n’ont jamais été un outil de progrès. Il faut donc chercher d’autres réponses.
M. le président. Il faut conclure !
M. Daniel Breuiller. Le Fonds de réserve pour les retraites en est une.
Mme Sophie Primas. N’importe quoi !
M. Daniel Breuiller. Merci de vos encouragements !
M. Stéphane Piednoir. De rien !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mon explication de vote porte sur le sous-amendement n° 4735. Effectivement, on assiste aujourd’hui, venant de la droite sénatoriale, avec le Gouvernement, à un retour en arrière historique. Pourquoi cela ?
M. Stéphane Le Rudulier a précédemment rappelé l’instauration – c’était assez nouveau – des retraites par capitalisation au début du siècle…
M. Jean-François Husson. … passé !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mais on a constaté très vite qu’une part importante des travailleurs français n’avaient pas de quoi faire face à ce système par capitalisation.
La CGT s’est d’ailleurs opposée à la loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, que M. Le Rudulier a aussi brièvement évoquée, du fait d’un âge d’application particulièrement tardif – au point que l’organisation syndicale avait surnommé cette loi la « retraite pour les morts ». En tout état de cause, le dispositif était financé par plusieurs intervenants, dont l’État.
À partir de 1936, le pays connaît plusieurs dévaluations et un effondrement des ressources. Tout cela aboutit à l’instauration de la retraite par répartition en 1945.
C’est là que je veux en venir, chers collègues de la majorité sénatoriale. Effectivement, les gaullistes que je croyais que vous étiez – mais peut-être êtes-vous post-gaullistes – devraient, me semble-t-il, être attentifs à ce point : aujourd’hui, c’est le chemin exactement inverse que vous proposez de faire !
Avec votre fusée à plusieurs étages, vous diminuez les droits. Rien d’étonnant que les jeunes soient inquiets : ils entendent tous les jours qu’ils n’auront plus de retraite et la réduction des droits…
M. Jean-François Husson. C’est faux ! On ne diminue pas les droits !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. … alimente cette idée, ce qui laisse penser que, dans un tel cas, il vaut mieux économiser pour son propre avenir.
Dès lors, oui, madame Doineau, l’inquiétude croît ! La part des personnes inquiètes pour leur retraite a progressé de 3 points rien qu’en 2023.
J’interrogerai à ce propos M. le ministre. Il a fait état dans sa réponse d’une interrogation tout à fait personnelle, en mentionnant son inquiétude, que je partage, pour les Français les plus modestes. Cet adjectif, « personnelle », tend-il à indiquer que ce n’est pas le cas du reste du Gouvernement, lequel ne se préoccuperait pas de cette situation ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. René-Paul Savary, rapporteur. Procès d’intention !
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Mon explication de vote porte sur l’amendement n° 174 rectifié.
M. Stéphane Le Rudulier a commencé son raisonnement en évoquant la démographie. En matière de retraite, comme sur d’autres sujets, d’ailleurs, on entend beaucoup de poncifs et d’affirmations qui paraissent d’une évidence absolue, si on ne va pas se documenter.
S’agissant précisément de la démographie, comme l’a indiqué Fabien Gay, celle-ci baisse depuis un bon moment. Nous avons eu à affronter – et c’est bien une conjugaison passée que j’emploie, puisque le mouvement est pratiquement sur sa fin – le fameux papy-boom. Les rapports du COR sont très clairs à ce propos : ce papy-boom a été absorbé grâce à des gains de productivité.
Par conséquent, il faut arrêter de dire que le pire est devant nous ! Jusqu’à maintenant, au contraire, notre économie a parfaitement réussi à supporter ces phénomènes.
Par ailleurs, M. Le Rudulier nous a rappelé la genèse du premier système de retraite en France. Effectivement, celui-ci reposait en partie sur la capitalisation, mais la crise de 1929 et l’hyperinflation entre les deux guerres ont altéré la rentabilité des placements financiers et provoqué une très lourde dépréciation des pensions. Comme le précise l’économiste Philippe Trainar, « entre 1914 et 1939, les prix vont augmenter de 600 % au total, divisant par sept le pouvoir d’achat des rentes sur la période ». L’État français s’est alors tourné vers l’assurance publique et le système par répartition indexé sur les salaires et l’inflation.
Les fondements du système par répartition sont donc liés aux craintes engendrées par l’incertitude financière.