M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, sur l’article. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
Mme Monique Lubin. Voilà revenu le vieux débat de la suppression des régimes spéciaux.
La droite en rêve depuis qu’ils existent et c’est un gouvernement ni de droite ni de gauche, mais surtout ni de gauche (M. Vincent Éblé sourit.), qui menace de le faire.
Quel est l’intérêt de supprimer des régimes autonomes tels que celui des gaziers ou des clercs de notaire, qui ne demandent rien à personne ?
Quel est l’intérêt de vouloir rompre un contrat avec des agents de catégorie active de la RATP qui, de toute façon, ne prennent pas leur retraite à 52 ans, mais au minimum quatre ou cinq ans plus tard ?
Quel est l’intérêt de verser au régime général des milliers de salariés, qui viendront finalement – s’il doit y en avoir un, puisque vous nous annoncez des déficits abyssaux – creuser le déficit ?
Une fois que ces transferts seront faits, que deviendra la contribution tarifaire d’acheminement (CTA), versée par les usagers d’EDF pour financer les retraites de ses agents ? Oserez-vous la prélever au bénéfice du régime général et l’expliquerez-vous à tous les clients d’EDF ?
De même, que deviendra la cotisation particulière qui est versée par les employeurs des clercs de notaire pour financer les retraites de leurs salariés ? La réclamerez-vous également aux notaires ?
Nous aurons l’occasion de l’exprimer très clairement au cours de la matinée : cette proposition est idéologique et démagogique. Elle a pour objectif de « faire passer la pilule » auprès des salariés dont vous entendez prolonger la durée de travail.
Tout le monde sait en effet que ces régimes sont enviés. Quoi de mieux, dans ces conditions, que de dresser les moyens contre les plus modestes et vice versa ? (Mme Émilienne Poumirol et M. Rémi Féraud applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, sur l’article.
Mme Céline Brulin. Par cet article 1er, qui vise à l’extinction de cinq régimes spéciaux, vous voulez faire de ces derniers le symbole censé incarner la prétendue justice de votre réforme, en mettant fin aux privilèges inconsidérés d’une toute petite minorité qui se gaverait, au détriment de la grande majorité des salariés.
Quelle est la réalité de ces régimes ?
En France, 6,8 millions de cotisants bénéficient d’un régime de base qui n’est pas le régime général, 8,6 millions de retraités – soit près d’un sur deux – bénéficient d’un régime de base qui n’est pas le régime général, 600 000 personnes en invalidité bénéficient d’un régime général qui n’est pas le régime de base. Finalement, ce sont près de 40 % des assurés sociaux qui bénéficient d’un régime différent, hors fonctionnaires d’État.
La réalité de la situation des retraites est le fruit de l’histoire des différentes caisses, le fruit de conquêtes sociales et de la négociation des différentes conventions collectives.
Par cet article, vous visez moins de 1 % de la population active et vous en faites des boucs émissaires qui seraient à l’origine de tous les maux.
Ce dont il devrait être question aujourd’hui, c’est précisément d’élargir ce que nous considérons en effet comme des régimes pionniers. Nous pourrions, par exemple, élargir le régime de ce salarié de la RATP, dont il est question ces jours-ci et qui a été exposé à de l’amiante dans son travail d’électricien, aux « nomades du nucléaire », qui travaillent dans des entreprises sous-traitantes et subissent des pressions.
Voilà qui serait une réforme de justice, au lieu de pointer des boucs émissaires.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Céline Brulin. La mobilisation est un front uni de l’ensemble des salariés et vous ne parviendrez pas à les diviser. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec, sur l’article.
M. Gérard Lahellec. Cet acharnement contre les régimes spéciaux a quelque chose d’assez indécent.
En vérité, ces derniers sont à l’origine même de nos retraites, le premier des régimes ayant été mis en place, me semble-t-il, à la Royale.
Sans comparaison excessive, il convient de rappeler que saboter la question de la pénibilité – la raison d’être de ces régimes – revient en quelque sorte à perdre de vue ce qui fait le développement de notre pays.
Pour m’en tenir au seul exemple des marins, vous nous dites, lorsque l’on vous interroge, monsieur le ministre, qu’ils continueront à bénéficier de la retraite à 55 ans, mais vous ne nous dites jamais quel sera le montant de cette retraite et sur quelle base elle sera calculée.
En procédant ainsi, vous gommez une partie essentielle de ce qui fait notre développement, alors même que vous nous avez déjà imposé en 2018 un « nouveau pacte ferroviaire » qui a remis en cause le statut des cheminots. En 2018 également a été entérinée, après deux années de négociations, la nouvelle convention collective nationale unifiée ports et manutention.
C’est toute cette histoire, mais aussi le développement durable de notre pays, que vous remettez en cause et ce n’est pas acceptable ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, sur l’article.
Mme Raymonde Poncet Monge. Nous nous opposons à la fermeture des régimes spéciaux qui ne sont que la reconnaissance, conquise par les branches, de l’exposition aux facteurs de pénibilité du travail. Les prendre en compte participe à l’attractivité des professions à l’heure d’une crise inédite en la matière.
Le Gouvernement mobilise le principe de justice afin de justifier leur fermeture, mais votre chemin pour la justice est le nivellement par le bas et la diffusion dans tous les secteurs de la crise du travail et de l’attractivité.
Ce n’est pas cela, la justice ! La justice, c’est de permettre dans chaque branche la reconnaissance de la pénibilité, en créant des catégories actives dans chacune d’elles pour les métiers pénibles.
Ces régimes sont dits pionniers, parce qu’ils existaient avant 1945 et qu’ils ont adopté une méthode de reconnaissance différenciée des pénibilités par métier afin d’en prévenir les effets sur la santé et l’espérance de vie. C’est cette méthode que devraient appliquer toutes les branches !
Vous incitez une partie des salariés qui ne bénéficient pas des mêmes droits à demander l’abaissement de la protection de ceux qui sont mieux protégés. Manœuvre éternelle de la droite pour diviser et faire diversion aux reculs que vous voulez appliquer !
Quant aux régimes autonomes, ce sont des régimes qui surcotisent pour des prestations plus généreuses que les autres régimes et sans subvention publique d’équilibre. Alors, que leur reproche-t-on ? De s’exclure de la solidarité inter-régimes ? C’est un argument qui est en partie juste, mais cela ne vous rappelle-t-il pas un autre régime autonome du même type ?
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, sur l’article.
M. Daniel Breuiller. Monsieur le ministre, selon l’exposé des motifs, l’existence des régimes spéciaux de retraite visés à cet article 1er n’apparaît plus justifiée au regard des principes d’équité et d’universalité qui sont au cœur de notre modèle social.
Je lisais récemment dans une excellente revue, Alternatives économiques, que les régimes spéciaux représentaient moins de 3,5 % de l’ensemble des cotisants de France et qu’ils ne pesaient pas tous le même poids.
Les danseurs de l’Opéra de Paris ne sont que 168 et, si j’ai bien compris, vous n’allez pas leur imposer de danser jusqu’à 64 ans…
Quant aux salariés de la Banque de France, ils sont 8 400 et ils partent déjà en moyenne à près de 62 ans. Je ne suis pas un grand spécialiste, mais leur régime me paraît ressembler au nôtre par beaucoup d’aspects, mes chers collègues ; je me demande d’ailleurs s’il ne s’agit pas de commencer par celui-là avant de s’attaquer au nôtre…
De plus, ni le régime spécial des IEG – cent cinquante-huit entreprises de production et de distribution d’électricité – ni celui de la RATP – une entreprise qui peine à recruter – ne mettent en péril l’ensemble du système. Bruno Le Maire a d’ailleurs déclaré : « C’est moins un problème financier qu’un problème d’équité. »
L’équité, c’est une vertu qui consiste à régler sa conduite sur le sentiment naturel du juste. Mes chers collègues, il n’est pas juste de niveler par le bas !
Enfin, je voudrais savoir ce que dit la note de synthèse du Conseil d’État sur ce sujet (Exclamations amusées sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.), car il ne s’agit pas d’un problème financier. Monsieur le ministre, si vous ne voulez pas diffuser cette note, pouvez-vous au moins nous dire ce qu’elle dit sur ce sujet particulier ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, les gouvernements auxquels vous avez appartenu jusqu’au gouvernement actuel ont de la suite dans les idées !
En 2017, par ordonnance, vous avez supprimé différents critères de pénibilité du régime général. Aujourd’hui, vous nous proposez de supprimer des régimes spéciaux qui tiennent compte de cette pénibilité. Vous nous proposez l’alignement par le bas des régimes spéciaux qui prennent en compte, branche par branche, la pénibilité d’un certain nombre de métiers.
Dans ces régimes spéciaux, les cotisations des salariés sont souvent supérieures à celles du régime général. Je pense en particulier au régime des industries électriques et gazières qui est en excédent de 120 millions d’euros.
Dans quelques semaines, vous nous proposerez des dispositions relatives aux métiers en tension. Comment pouvez-vous, d’un côté, nous dire qu’il y a des métiers en tension et, de l’autre, mettre fin à des régimes spéciaux qui accueillent justement nombre de ces métiers ? Pourquoi refusez-vous de maintenir les protections qui existent dans ces métiers, notamment la prise en compte de la pénibilité ?
Compte tenu des enjeux énergétiques de notre pays, nous avons besoin d’élargir les protections qui existent dans ces métiers à l’ensemble de ceux qui vont travailler à la reconstruction et à l’efficacité de notre réseau et à la mise aux normes de nos centrales nucléaires.
Pourquoi voulez-vous fermer le régime des IEG au moment même où nous avons besoin d’attirer des compétences dans ce secteur qui est déjà en tension ?
Je ne peux pas accepter que le régime de ceux qui ont des carrières longues ou pénibles soit aligné sur celui des salariés qui ont des carrières plus confortables.
Il est important de prendre en compte la pénibilité et de toujours avoir en tête que l’espérance de vie à la retraite dépend aussi de la pénibilité de la carrière. Les régimes que vous voulez supprimer prennent justement en compte ces facteurs.
Je ne peux pas me résoudre à ce que l’intérêt général ne consiste pas à attirer les gens vers le haut.
M. le président. Votre temps de parole est écoulé, monsieur Leconte.
La parole est à Mme Corinne Féret, sur l’article.
Mme Corinne Féret. Monsieur le ministre, l’article 1er qui vise à supprimer certains régimes spéciaux constitue à l’évidence un détournement de procédure.
En effet, il est bien indiqué que cette suppression n’interviendrait que pour les personnes recrutées à compter du 1er septembre 2023. Cela n’aura par conséquent aucun effet direct sur les dépenses en 2023, puisque les premières pensions versées du fait de cette modification ne le seront pas avant de très nombreuses années.
Or une loi de financement rectificative de la sécurité sociale ne peut concerner que l’année en cours, 2023 en l’occurrence. Certes, notre collègue Bruno Retailleau a déposé un amendement portant article additionnel après l’article 7 et visant à accélérer la suppression des régimes spéciaux, mais nous en débattrons à un autre moment.
Monsieur le ministre, comment justifiez-vous un tel détournement de procédure ?
Ensuite, cet article remet gravement en cause le contrat social. Je rappelle que ces régimes spéciaux ont été instaurés au moment de la création du régime général de sécurité sociale en 1945 en reconnaissance de contraintes professionnelles – horaires décalés, travail de nuit, pénibilité, conditions de travail spécifiques, etc.
J’ajoute qu’une réforme des régimes spéciaux est déjà intervenue en 2008.
Monsieur le ministre, il faut dire la vérité aux Français ! Je sais que vous avez du mal avec cette notion et nous aurons l’occasion de le voir, lorsque nous parlerons des petites pensions. Il faut dire la vérité aux Français : cette remise en cause des régimes spéciaux ne concerne pas l’ensemble des salariés du secteur qui seraient des privilégiés, comme cela a été avancé, mais uniquement celles et ceux qui ont les conditions de travail les plus difficiles.
Je le redis, la création de ces régimes spéciaux a permis de reconnaître la pénibilité au travail et les contraintes très fortes qui pèsent sur ces salariés.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. On nous propose, dans cet article, de supprimer cinq régimes spéciaux. Je ne veux pas faire de provocation, mais comment allons-nous garder notre crédibilité, mes chers collègues ?
Les Français nous regardent et, pour eux, un régime spécial ou un régime autonome, comme celui du Sénat, c’est la même chose !
Comment dire, d’un côté, que les salariés des régimes spéciaux ayant vocation à être supprimés seraient des privilégiés, des profiteurs, et que leur travail ne serait pas pénible – j’ajoute que vous ne comptez pas rétablir les quatre critères supprimés en 2017, notamment l’exposition aux pesticides ou les vibrations – et, de l’autre, que notre propre travail serait particulièrement pénible, parce que nous siégeons la nuit ?
Comment pouvons-nous être crédibles, si nous conservons notre régime autonome très spécial ? Comment voulez-vous que les Français nous croient ? Comment pouvez-vous jouer ainsi sur les bas instincts de l’être humain, l’envie, la jalousie, pour qualifier les salariés des régimes que vous voulez supprimer de profiteurs ?
Marie-Noëlle Lienemann a parlé des clercs et employés de notaire. Leur retraite est calculée, comme pour les fonctionnaires, sur les six derniers mois de salaire, leur régime est excédentaire et la profession a du mal à recruter. Ils vont beaucoup perdre avec cette réforme. Comment pouvez-vous leur demander cela ?
Nous ne sommes pas crédibles ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, sur l’article.
M. Jean-Claude Tissot. L’article 1er prouve, dès le début de ce texte, la volonté du Gouvernement de détricoter notre modèle social, en s’attaquant à des régimes spéciaux présentés comme des « sur-privilèges » auxquels il faudrait mettre fin dans les meilleurs délais.
Face à cela, il est nécessaire, une nouvelle fois, de rappeler quelques faits.
Premièrement, les régimes spéciaux représentent moins de 3,5 % de l’ensemble des cotisants en France. Heureusement, votre stratégie d’accabler une minorité pour recevoir l’assentiment de l’opinion publique ne semble pas fonctionner.
Deuxièmement, les régimes spéciaux ne sont pas une exception française, loin de là.
Monsieur le ministre, vous qui aimez comparer – vous le faites sans cesse – notre régime aux systèmes de nos voisins européens, que pensez-vous des 22 % de retraités polonais issus de régimes spéciaux ou encore des nombreux régimes spéciaux existant en Espagne, en Belgique ou en Allemagne ?
Alors que nous devrions défendre collectivement un projet d’amélioration de notre modèle social qui prenne en compte le quotidien des individus et la pénibilité de chaque profession, vous faites le choix de vous attaquer à des régimes qui étaient précurseurs par une juste appréhension du travail et de ses effets sur les travailleurs.
Comme cela a été dit, il ne faut pas oublier que, lors de la création du régime général en 1945, les régimes existants, notamment celui des cheminots, ont été maintenus, car ils apparaissaient comme un horizon à atteindre pour le régime général.
Nous reviendrons longuement sur la question de la pénibilité lors de nos débats, mais je pense que l’adoption de l’article 1er représenterait déjà une première atteinte particulièrement regrettable à notre système de protection sociale et illustrerait le manque de considération envers ces professions pénibles au quotidien.
Pour éviter de nombreux pas en arrière et une atteinte aux fondements mêmes de notre modèle social, mes chers collègues, supprimons cet article ! (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Je rappellerai quatre principes.
Premièrement, le principe du dialogue social. Chacun voit bien qu’il est mis à mal, puisque les organisations syndicales s’opposent unanimement à ce texte.
Deuxièmement, le principe du respect des engagements pris. Il est complètement bafoué par les mesures que vous nous proposez, monsieur le ministre.
Troisièmement, le principe de transparence. Je vais revenir à ce propos sur cette fameuse note du Conseil d’État…
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Encore…
M. Jean-Pierre Sueur. … qui revient comme un serpent de mer dans ce débat.
Monsieur le ministre, soyons clairs : il ne s’agit tout de même pas d’un document classé secret-défense – on est loin de la bombe atomique ! – ou qui serait si épouvantable que l’on ne pourrait pas le laisser entre toutes les mains… Une telle conception est complètement infantilisante !
Si le Conseil d’État a réalisé un travail, c’est évidemment au service de la République. Par conséquent, les parlementaires de la République doivent pouvoir en prendre connaissance.
Cette histoire est totalement ridicule. Monsieur le ministre, cessez ces arguties ! Ce document permettrait d’éclairer le débat ; d’ailleurs, sa diffusion éviterait certainement les éventuels faux procès.
Quatrièmement, le pragmatisme. Je ne vais pas revenir sur l’exemple des clercs de notaire avancé par Marie-Noëlle Lienemann et Victorin Lurel, mais il montre clairement que vous avez choisi le dogmatisme plutôt que le pragmatisme.
De notre côté, nous plaidons pour le pragmatisme dans la prise en compte des situations spécifiques liées notamment à la pénibilité, en particulier lorsque le régime est équilibré ou, encore plus, lorsqu’il est excédentaire. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin, sur l’article.
Mme Victoire Jasmin. Les salariés attendent de chacun de nous que nous les défendions, que nous défendions leur santé, leur qualité de vie au travail, les emplois et la population en général.
Vous avez supprimé les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Vous voulez faire disparaître certains régimes de retraite, mais vous voulez surtout faire disparaître les travailleurs eux-mêmes !
Aux Antilles, territoire à vocation agricole, les agriculteurs et leurs proches sont victimes des pesticides, en particulier du chlordécone. Ils souffrent de cancers. Vous avez pourtant réintroduit les néonicotinoïdes, il faut le savoir ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Dans le même temps, par incohérence ou provocation, vous avez supprimé des critères de pénibilité. C’est injuste, malheureux et méprisant !
C’est triste, parce que, en tant qu’assemblée des territoires, nous sommes ici pour défendre la population et je vois que nous sommes dans une tout autre dynamique : détruire tout ce qui fonctionne, détruire l’humain, déshumaniser la politique. C’est vraiment dommage ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Il ne faut tout de même pas exagérer !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l’article.
Mme Laurence Rossignol. Ce qui est intéressant avec le débat sur cet article – je m’avance un peu, en parlant de débat… (Sourires sur les travées du groupe SER.) –, c’est qu’il nous ramène à la conception que chacun de nous se fait de la justice et de l’injustice.
J’observe que ceux qui soutiennent cet article – ils veulent même parfois en durcir encore les dispositions – parlent d’injustice pour les salariés qui ont plus, pas pour ceux qui ont moins. Jamais ils ne prennent pour étalon les salariés qui ont davantage d’acquis sociaux, qui ont mieux négocié leurs rémunérations, qui ont obtenu, par des luttes sociales, de meilleures conditions de travail.
J’observe aussi que cette conception ne vaut que dans un sens : ceux qui soutiennent cet article n’ont cette perspective que pour les salariés, il en va tout autrement pour les revenus du capital. Pour eux, il est juste que les revenus du capital assurent des conditions et une qualité de vie bien meilleures que les revenus du travail. L’injustice devient subitement vertueuse !
Dans ce sens-là, vous n’êtes pas troublés, au contraire ! Vous pensez même, d’une certaine façon, que l’injustice contribue au bonheur économique : c’est la fameuse théorie du ruissellement. Or ce que vous appelez le ruissellement, c’est simplement de l’injustice qui crée encore plus d’injustice !
On parle souvent du désamour des salariés pour leur entreprise, du manque d’esprit d’entreprise, ce que l’on appelle de nos jours l’esprit corporate… Dites-vous bien que ce qui faisait l’esprit d’entreprise, la communauté de travail, c’était aussi cette somme d’avantages – les billets de train, le régime de retraite, les réductions sur l’achat d’une voiture pour ceux qui travaillaient dans l’industrie automobile, etc.
Je ne suis pas une nostalgique du capitalisme social ou du paternalisme, mais j’en vois aujourd’hui les vertus. La volonté constante de tout niveler par le bas tend à désagréger les relations sociales et l’esprit d’entreprise. (Applaudissements sur des travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, sur l’article.
M. Didier Marie. Monsieur le ministre, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous souhaitez supprimer des régimes spéciaux. Cette suppression relève d’une logique, celle du Président de la République qui « n’adore pas ce mot de pénibilité, parce qu’il donne le sentiment que le travail serait pénible ».
C’est ce qui a amené son gouvernement à vider de sa substance le compte professionnel de prévention, créé en 2015, en supprimant dès 2017 les quatre critères principaux qui permettaient aux salariés qui effectuent des travaux pénibles de cumuler des points pour partir à la retraite de manière anticipée.
C’est la même logique qui prévaut avec cet article sur les régimes spéciaux. Vous choisissez un nivellement par le bas, alors que la justice et l’équité voudraient non seulement qu’on les conserve, mais surtout que l’on s’en inspire pour prendre en compte les difficultés de nombreux métiers.
Oui, monsieur le ministre, mes chers collègues, porter des charges lourdes, travailler en horaires décalés, subir des vibrations mécaniques, travailler dans un environnement chimique dangereux, soulever des malades, tout cela est pénible.
Ces régimes sont le fruit de conquêtes sociales par les travailleurs concernés et leurs organisations syndicales. C’est le fruit d’un compromis social. Notre conception de la relation au travail diffère de la vôtre. Nous considérons que la pénibilité existe, qu’elle pèse sur la santé des salariés et qu’elle doit se traduire par des gains en espérance de vie à la retraite en bonne santé, donc par un départ anticipé.
C’est là de votre part une mesure de diversion, s’appuyant sur un postulat faux : l’opinion publique serait favorable à la suppression de ces régimes spéciaux. C’est une mesure de diversion et de division des salariés, car vous laissez croire que ceux qui bénéficient de ces conditions seraient des privilégiés, alors qu’en fait, comme tous les autres, ils subiront votre réforme qui est tout simplement néfaste.
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l’article.
M. Yan Chantrel. Finalement, cet article est inséparable de l’article 7. Vous voulez tout simplement appliquer aux régimes spéciaux les mêmes dispositions et les intégrer au régime général dans le cadre d’une réforme profondément injuste et brutale.
Comme vous faites une réforme des retraites injuste qui frappera durement l’ensemble des Français, vous avez voulu détourner leur attention, en cherchant des boucs émissaires. Fidèles à vos penchants sarkozystes, c’est sur ce qu’on appelle les régimes spéciaux que vous avez choisi de vous acharner.
Vous allez nous chanter la ritournelle habituelle et faire passer des règles dérogatoires pour des privilèges. Vous allez essayer de diviser les salariés de ce pays et plus généralement l’ensemble des Français.
Vous allez nous parler du chauffeur de bus de la RATP et nous demander pourquoi un chauffeur de bus a des droits particuliers à Paris et pas à Poitiers. Pourtant, la véritable question est : pourquoi le chauffeur de bus de Poitiers qui connaît également des horaires et des conditions de travail difficiles n’a-t-il pas les droits de son collègue parisien ? Qu’attendez-vous pour lui offrir une retraite digne à un âge décent, comme il le mérite ?
Au lieu de chercher à niveler par le bas, soyez à la hauteur de l’histoire de notre pays et harmonisez par le haut. C’est cela, être juste !
En vérité, ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale est un exercice d’équilibre budgétaire. Après avoir rempli les poches des riches avec la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou de l’exit tax, avec l’introduction de la flat tax et avec toutes les autres mesures que vous avez mises en place – il y en a tellement que l’on ne peut même pas les citer toutes ! –, ce sont les salariés et les ouvriers que vous voulez faire payer. C’est profondément scandaleux ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, sur l’article.
Mme Annie Le Houerou. Nous en sommes à l’article 1er, la première mesure de votre projet de réforme, et il s’agit de la suppression de cinq régimes spéciaux qui ont été créés pour mieux compenser la pénibilité de certains métiers.
Les régimes spéciaux sont non pas des privilèges, mais la juste compensation des contraintes du travail – travail de nuit, de week-end ou en sous-sol, horaires décalés, exposition à des risques chimiques, etc.
Nous connaissons votre avis sur ces critères de pénibilité, puisque la première mesure prise par le Président de la République en 2017 a été d’en supprimer quatre : la manutention manuelle des charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l’exposition aux risques chimiques. Une entrée en matière de mépris pour ceux qui travaillent dans des conditions particulièrement difficiles.
De plus, vous choisissez de supprimer certains régimes : la RATP, mais pas celui des avocats ; celui des industries électriques et gazières, mais pas celui des médecins ; pas celui des marins – fort justement ! Pourquoi tel ou tel régime ? Sur quels critères vous êtes-vous fondés, alors que tous ces régimes sont justifiés ?
Nous pensons que ces régimes spéciaux font partie des éléments d’attractivité de ces métiers et qu’ils sont justifiés. Quelque 4 000 postes vacants à la RATP ! Ce sont des métiers qu’il faut rendre attractifs en compensant leur pénibilité, si nous voulons recruter. C’est pourtant ce que vous avez rejeté en 2017.
Contrairement à ce que vous laissez penser, ces régimes spéciaux concernent uniquement ceux qui sont soumis à des travaux difficiles et non tous les salariés.
Vous supprimez des acquis sociaux pour les travailleuses et travailleurs français. Vous protégez, encore une fois, les plus riches, ceux qui ne vivent pas de leur travail, mais qui se contentent d’attendre que le fruit de leur capital leur tombe dans les mains.