M. Jean-Yves Leconte. Et les dividendes ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. J’en viens à l’amendement n° 2855 rectifié bis, toujours du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui est à mes yeux celui qui pose le plus de difficultés. Vous entendez, mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, revoir complètement le système de la contribution sociale généralisée (CSG) avec la mise en place de nouveaux taux. Par exemple, vous créez un taux à 7,5 % pour un revenu fiscal de référence entre 19 287 euros et 29 817 euros. Avec votre amendement, un retraité gagnant à peine plus de 1 600 euros par mois et qui se voit appliquer actuellement un taux de CSG à 6,6 %, verra celui-ci passer à 7,5 %. Vous proposez donc à tous les retraités percevant 1 600 euros de retraite par mois de leur retirer 173 euros de pension.
Ce n’est pas non plus ce que j’appelle des superprofits ! Il s’agit, je le rappelle, de l’amendement n° 2855 rectifié bis,…
Mme Raymonde Poncet Monge. Il n’a pas été défendu !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. … consultable par tous.
Puisque vous m’interpellez, madame Poncet Monge, je passe aux amendements du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Avec l’amendement n° 3182, signé Raymonde Poncet Monge, il est question d’augmenter les taxes et cotisations sur les heures supplémentaires. Deux tiers des ouvriers en France effectuent des heures supplémentaires, mesdames, messieurs les sénateurs écologistes ; vous projetez donc d’enlever aux deux tiers des ouvriers entre 100 et 200 euros de pouvoir d’achat. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Répondez sur l’article liminaire !
Mme Cathy Apourceau-Poly. L’article liminaire !
M. le président. Calmez-vous, mes chers collègues ! Nous écoutons le ministre.
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je continue, puisque vous avez l’air gênés que je mette au jour la réalité de votre projet politique.
L’amendement n° 2528 rectifié de M. Guillaume Gontard – il n’a pas l’air content que je le cite, mais je vais le faire tout de même –…
Mme Céline Brulin. Dix jours, c’est encore trop ! Vous voulez voir tous les amendements ce soir ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. … vise à supprimer les allégements de cotisation sur les bas salaires. Cela représente, pour les entreprises, une augmentation de 39 milliards d’euros de leurs cotisations – l’amendement est également consultable. Avec une telle mesure, quand aujourd’hui un employeur doit débourser 1 780 euros pour payer un salarié au Smic, il devrait payer 2 500 euros demain, soit 720 euros de plus.
Autrement dit, vous demandez à un boulanger, à un artisan, à un commerçant employant trois salariés au Smic d’en licencier un pour payer les charges supplémentaires des deux autres. Encore une fois, ce n’est pas ce que j’appelle des superprofits ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteure générale applaudit également.)
Je termine avec un amendement du groupe CRCE, dont les membres seraient déçus si je ne les citais pas. (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRCE.)
Avec l’amendement n° 4267 rectifié, mesdames, messieurs les sénateurs communistes, vous augmentez les cotisations patronales et salariales d’assurance vieillesse. Pour les cotisations salariales, la hausse serait de 1,9 point pour tous les Français qui travaillent. Vous prendriez donc 525 euros de pouvoir d’achat à un ouvrier gagnant 1 800 euros par mois.
Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Laurence Cohen. L’article liminaire !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas sérieux !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Pour conclure, quand j’entends M. Leconte nous parler de hold-up et Mme Laurence Rossignol de potion amère, je dirais plutôt que, le hold-up et la potion amère, c’est ce que l’opposition sénatoriale propose d’infliger à la classe moyenne qui travaille dans notre pays pour financer les retraites. Notre projet politique n’est pas celui-là ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Je voudrais remercier notre collègue Étienne Blanc, qui se plaignait quelque peu d’être seul face à l’avalanche de nos amendements. Le sien est très utile à nos débats et tout à fait éclairant.
Pierre Laurent a eu l’occasion de mentionner la tribune du Figaro dans laquelle certains appellent de leurs vœux une marche progressive vers la capitalisation – on sait ce qu’il en coûte ! Cet appel montre bien la genèse de l’accord fondamental entre le Gouvernement et la majorité sénatoriale. Tout cela est très respectable ; c’est néanmoins contestable.
Notre collègue ayant indiqué que tous les pays européens s’étaient orientés vers cette option, je voudrais évoquer le cas de la Suède.
Voilà vingt ans, ce pays a procédé à une réforme de son système de retraite comme nous le faisons ici. L’âge de la retraite a été reculé à 65 ans et un système par capitalisation a été introduit. Le responsable de la sécurité sociale suédoise de l’époque, un certain Karl Gustaf Scherman, était l’initiateur du projet.
Quelques années plus tard, les Suédois ont constaté que leurs pensions de retraite avaient diminué. Selon une étude de la caisse des pensions suédoises, réalisée voilà trois ans, 72 % des hommes et 92 % des femmes à la retraite ont subi une baisse de leur pension et de leur pouvoir d’achat. Conclusion : « ne recopiez pas le même modèle », aurait dit M. Karl Gustaf Scherman à M. Emmanuel Macron, Président de la République française.
Je suggérerais donc à M. Macron d’appeler Stockholm au retour de sa tournée africaine pour savoir ce qu’il en est ! (Mme Laurence Cohen applaudit.)
Souvenez-vous du scandale Enron, mes chers collègues. C’était aux États-Unis, voilà vingt-deux ans. C’est vers de tels fonds de pension que l’on cherche à s’orienter.
Au Royaume-Uni, à la fin du mois de septembre dernier, les fonds de pension britanniques ont frôlé la banqueroute après une panique sur les marchés financiers. Ces géants, chargés de l’épargne retraite des habitants, avaient misé sur la spéculation. Si c’est cela que l’on veut, alors on nous trouvera en face ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Supprimez la Préfon, retraite des fonctionnaires !
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Nous connaissons, bien sûr, le caractère obligatoire de cet article liminaire. Si nous demandons sa suppression, madame la rapporteure générale, c’est bien parce que nous sommes opposés au présent projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
Je voudrais, pour ma part, répondre à un certain nombre de propos.
Il paraît que nous serions le pays le plus généreux en matière de prestations sociales… Eh bien oui ! Et nous nous en félicitons ! Nous nous félicitons d’être ce pays qui a permis, voilà fort longtemps, que les enfants ne travaillent plus dans les mines, qu’ils aillent à l’école jusqu’à 16 ans. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. C’est Zola !
Mme Monique Lubin. Cela vous fait rire, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, mais c’est toute l’histoire de notre protection sociale.
Nous nous félicitons de la création de notre système de retraite, ou encore de l’existence de l’hôpital public. Nous en sommes fiers, nous n’allons pas nous en excuser et notre rôle, aujourd’hui, consiste à faire en sorte que personne ne puisse toucher à ce niveau de protection sociale.
On nous dit qu’il faut réduire les cotisations sociales. Mais, messieurs les ministres, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, assumez-vous le fait que baisser les cotisations sociales, c’est baisser le niveau des prestations ? L’assumez-vous devant les Français ? Car, en définitive, votre intention n’est-elle pas de dire aux salariés de ce pays que vous allez réduire leur niveau de protection sociale et que seuls ceux qui seront capables de se protéger eux-mêmes, par leur propre richesse personnelle, pourront continuer à bénéficier d’une protection maximale ?
Enfin, M. le ministre Gabriel Attal multipliant les comparaisons, je voudrais rappeler que nous n’étions, en 2012, pas encore tout à fait sortis de la crise financière liée aux subprimes et que nous étions au tout début du fameux papy-boom, dont nous commençons aujourd’hui à voir le bout. Il faut comparer ce qui est comparable !
Monsieur le ministre, vous parlez des boulangers ; occupez-vous de leur facture d’électricité avant toute chose ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.
M. Yan Chantrel. Vous avez répondu, monsieur le ministre Gabriel Attal, sur des amendements ne concernant pas l’article liminaire. Comme vous ne comprenez pas bien les choses, nous reviendrons sur cette question de la nécessité d’aider les plus démunis et de taxer les plus riches – que vous avez bien aidés tout au long des dernières années, alors même qu’ils n’en ont vraiment pas besoin. Nous aurons l’occasion de nous expliquer là-dessus !
En revanche, vous n’avez pas répondu sur les interventions portant sur l’article en lui-même – il y en a eu quelques-unes pourtant. Sur ces points, j’aurais bien aimé vous entendre.
Une précision d’ailleurs, au cas où vous ne le sauriez pas, cet article liminaire se fonde sur un projet de loi qui n’a pas été adopté par l’Assemblée nationale. Le premier alinéa mentionne effectivement : « les prévisions, pour la même année, de ces mêmes agrégats, telles qu’elles figurent dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 ».
Le Gouvernement présente donc un texte fondé sur un projet de loi que le Parlement a rejeté. Comment est-ce possible ?
Nos amendements de suppression visent, d’une certaine manière, à dénoncer une gabegie.
L’article présente une hausse de 400 millions d’euros de la branche vieillesse, correspondant à des mesures d’accompagnement figurant dans le présent projet de loi, notamment la revalorisation du minimum contributif ou les mesures relatives à la pénibilité figurant à l’article 9. Or nous n’y voyons pas les baisses de dépenses ni les hausses de recettes qui seraient générées par les mesures d’âge censées entrer en vigueur dès septembre prochain.
Où sont les économies ? Vous n’avez pas répondu à la question. Comment pouvez-vous affirmer que cet article est sincère, dès lors que les économies permises par l’accélération de l’entrée en vigueur de la mesure d’âge à partir de septembre prochain ne figurent même pas dans le texte ? C’est ce que nous aimerions savoir et c’est pourquoi nous avons déposé ces amendements de suppression : il s’agit de dénoncer l’insincérité du texte et ses mensonges. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Mmes Raymonde Poncet Monge et Laurence Cohen applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je voudrais tout d’abord vous remercier, monsieur le ministre des comptes publics. Si, chaque fois que vous devez donner l’avis du Gouvernement, vous le faites sur toute une liasse d’amendements, nous n’avons pas fini de débattre !
Mme Frédérique Puissat. Ça, c’est sûr !
M. Jean-Yves Leconte. Vous avez observé, madame la rapporteure générale, que la France est le pays où les charges sociales sont les plus élevées. D’abord, ne dites pas « charges » : ce sont des cotisations ! Ensuite, cette affirmation est totalement inexacte. J’ai été employeur en Pologne, où les taux sont supérieurs.
En effet, pour les salaires inférieurs à 1,5 Smic, qui sont malheureusement nombreux, les cotisations ne sont pas si élevées. Cela a relevé d’une stratégie économique menée pendant longtemps, à des périodes qui, peut-être, exigeaient une politique dynamique pour résorber le chômage. Aujourd’hui, j’entends plutôt qu’il existe des tensions sur le marché du travail. Dès lors, la priorité devrait être d’augmenter les salaires, et non les primes, comme l’été dernier. Un accroissement des primes n’engendre effectivement aucune recette sociale supplémentaire.
Par conséquent, monsieur le ministre des comptes publics, votre politique de multiplication des primes, plutôt que d’augmentation des salaires, affaiblit aussi les comptes sociaux. Si vous voulez donner plus de moyens à la sécurité sociale, il faut augmenter les salaires, ce qui fera rentrer des cotisations.
Il n’est pas non plus exact de prétendre que les retraites pèseront de plus en plus lourd dans le PIB. Voilà trente ans qu’on nous raconte la même chose, qu’on nous renvoie à la démographie, en évoquant une situation intenable. Regardez les chiffres – mais pas au doigt mouillé ! Regardez ceux du COR : en matière de poids dans le PIB, il y a effectivement une augmentation entre 2000 et 2020, mais c’est stable aujourd’hui et, demain, cela baissera.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue, vous avez épuisé votre temps de parole !
M. Jean-Yves Leconte. Cette baisse, mes chers collègues, devrait nous inquiéter !
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je voudrais d’abord répondre à M. Étienne Blanc, non pour répéter ce qui a été dit sur le plan politique, mais pour souligner que la capitalisation ne consiste pas en une cagnotte que l’on mettrait sous son lit, sans répercussion sur le PIB. Non, c’est bien une part de PIB.
Il y a, à cet endroit, une illusion économique – je ne dis pas une ineptie. In fine, que l’on soit dans un système de répartition ou de capitalisation, les pensions sont toujours prises sur le PIB réel. La différence réside, non pas dans la part de PIB que chaque système représenterait, mais entre une solidarité redistributive et un dispositif d’assurance selon ses moyens. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)
Vous savez, messieurs les ministres, il a fallu de nombreuses interventions à l’Assemblée nationale pour lever le mensonge sur le minimum contributif. J’interviendrai autant de fois qu’il le faudra pour vous faire admettre que le maintien du départ à 62 ans des invalides n’engendre pas un surcoût dans la réforme. Ce n’est certes pas une économie – vous ne baissez pas les pensions –, mais ce n’est pas non plus un surcoût : c’est neutre.
Dès lors qu’il est mensonger de présenter ce maintien comme un surcoût, je vous demande officiellement de le sortir des calculs financiers, ce qui ramène les mesures dites « sociales » de la réforme à 3 milliards d’euros, soit un sixième des gains pris sur les travailleurs, et d’admettre que le solde n’est pas nul de ce fait, mais qu’il est excédentaire de 3 milliards d’euros. Pour quels futurs cadeaux aux grands groupes du CAC 40 ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je voterai bien évidemment ces amendements de suppression de l’article liminaire.
J’ai déjà expliqué comment le déficit avait été gonflé par la sous-estimation des recettes. J’aurais pu prendre un autre exemple : le taux d’activité des femmes, qui ne doit pas bouger dans les simulations du Gouvernement. Autrement dit, les importantes inégalités en matière d’accès au travail des femmes vont se maintenir, et je ne parle même pas des salaires – chacun sait que s’il y avait égalité en la matière, les caisses de retraite seraient pratiquement à l’équilibre !
Je ne vais pas reprendre l’ensemble de l’argumentaire concernant les impôts, que tous mes collègues de gauche ont parfaitement exposé.
Vous dites, monsieur le ministre Attal, que nous ne serions pas attentifs aux Français moyens, aux salariés de la classe moyenne. Dans les propositions qu’elle formule, la CFE-CGC, dont chacun d’entre nous voit bien qu’il ne s’agit pas de gauchistes bolcheviques, irresponsables en matière de gestion, constate elle-même le très fort basculement de la part dans le PIB de la valeur ajoutée du monde salarié vers le capital. À partir du moment où les salaires n’augmentent pas – tout ce que M. Jean-Yves Leconte a dit s’agissant des primes est parfaitement juste –, vous pouvez toujours nous parler du déséquilibre entre les actifs et les non-actifs, monsieur le ministre. La réalité, ce sont les masses salariales, et vous asséchez celles de ce pays !
Selon la Banque de France, la part du PIB revenant aux salariés est passée, entre 1997 et 2019 – soit très peu d’années ! –, de 59,3 % à 54,9 %, quand celle des actionnaires est passée de 5,2 % à 15,8 %. Il y a de la marge pour un rééquilibrage ! La question est donc celle du projet de société : vous passez votre temps à nous parler de la valeur travail.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mais la valeur travail, c’est d’abord de revaloriser les salaires et d’accroître les recettes du système de retraite ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.
M. Daniel Breuiller. Je suis surpris d’avoir entendu le ministre Gabriel Attal apporter des réponses à tant d’amendements qui n’ont pas été défendus.
Je suis déçu, en revanche, de ne toujours pas l’avoir entendu répondre à la question que je posais : pourquoi, messieurs les ministres, cachez-vous aux citoyens et aux parlementaires la note d’analyse du Conseil d’État montrant que vous choisissez un véhicule législatif inapproprié pour cette réforme ? C’est à ce type de questions que nous attendons des réponses.
J’ajoute, messieurs les ministres, qu’au regard des sondages portant sur l’appréciation de cette réforme des retraites, vous devez avoir conscience que vous êtes en train de mettre le pays sens dessus dessous. Même chez les sympathisants Les Républicains, le taux de personnes se déclarant défavorables à cette réforme atteint 58 %.
Partout dans le pays, on vous appelle à retirer la réforme. Dès lors, commencez par être transparents, respectez ce que l’on vous dit et cherchez d’autres solutions, comme la hausse des salaires ou l’amélioration de l’accès des femmes à l’emploi. N’allez pas voler deux années de vie à nos concitoyens !
Hier après-midi, monsieur Dussopt, vous disiez : « il suffirait de presque rien »… Oui, il suffirait de presque rien : ne pas voler deux ans aux Français ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Puisque nous allons passer dix jours ensemble, messieurs les ministres, madame la rapporteure générale, il vaudrait mieux nous entendre sur le sens des mots, en particulier ceux qui vont revenir souvent dans la discussion.
Tout le monde ici se dit « pour la répartition ». Mais, à droite et au banc du Gouvernement, tout en étant « pour », on est très inquiets des cotisations et des impôts. Mais, mes chers collègues, qu’est-ce qu’un système par répartition ? C’est un ensemble de cotisations prélevées sur la valeur ajoutée, qui est créée par le travail, pour financer les retraites et l’assurance maladie. Sans cotisations sociales, il n’y a pas de système par répartition ! (Mmes Laurence Cohen et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent.)
C’est le principe même du dispositif : on prélève directement sur la valeur ajoutée créée dans l’entreprise par le travail des salariés pour en assurer le financement.
Ce ne sont pas des charges, madame la rapporteure générale… La retraite n’est pas une charge, c’est une libération après une vie de travail ; l’assurance maladie n’est pas une charge, c’est ce qui nous a sauvés pendant la pandémie. Grâce au travail, on crée de la richesse et, par cette richesse, on finance le système.
M. Marc-Philippe Daubresse. Dites-le à Mme Rousseau !
M. Pierre Laurent. Vous ne pouvez pas, en permanence, nous dire que vous êtes pour le système par répartition et, en permanence, nous expliquer que le problème vient de ce qui finance ce système par répartition.
Il faut être clair quant à ses choix : si l’on est favorable à un système par répartition, alors il faut protéger la cotisation sociale. Il faut même – nous l’assumons – la développer quand les besoins sociaux l’exigent : le pays s’en sentira mieux, ce qui sera favorable au développement économique. C’est d’ailleurs le compromis qui a été passé entre un communiste, Ambroise Croizat, et les gaullistes à la Libération pour reconstruire le pays, et cela a fonctionné.
M. Bruno Sido. Ce n’est pas comparable !
M. Pierre Laurent. Aujourd’hui, pour sortir de la crise actuelle, c’est cette voie qu’il faut emprunter et non celle de la financiarisation, qui nous enfonce dans les difficultés. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour explication de vote.
M. Sébastien Meurant. La dette actuelle de la France s’élève à 3 000 milliards d’euros de dette. La situation n’est pas durable. Cela tient parce que la Banque centrale européenne maintient des taux infiniment bas, en raison d’une politique monétaire extravagante.
Comme certains ici, je conteste la méthode employée. Je conteste aussi la temporalité, car cette réforme des retraites intervient à un moment où – nous avons tous lu, relu, écouté le COR et les experts – le système a affiché un solde excédentaire, même si c’est de peu, pendant deux années consécutives. Personne n’en a fait état jusqu’à présent, mais le régime des retraites était bien excédentaire en 2021 et en 2022. Certes, ce n’est pas durable ; certes, on nous parle à terme de déficit… On sait ce que valent les prévisions !
Ce dont on est sûr en revanche, et là ce sont des faits, c’est que le budget de l’État affiche un déficit de 150 milliards d’euros et que l’emprunt prévu pour le budget de l’État de 2023 atteint 270 milliards d’euros. Les faits, c’est donc que le Gouvernement, incapable de tenir le budget de l’État, propose de toucher au système social.
Notre système social est le plus généreux. Pour pouvoir évoluer favorablement, celui-ci a besoin de répartition, mais aussi de capitalisation. C’est ainsi que cela fonctionne et vous savez très bien, mes chers collègues, que les régimes publics comprennent des mécanismes de capitalisation.
La question qui se pose n’est donc pas celle des retraites, mais celle du travail et de la création de richesses. À cet égard, je ne peux être d’accord avec la partie gauche de l’hémicycle : nous sommes les plus taxés, les plus endettés et ceux qui créent le moins de richesses. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Le déficit commercial de 160 milliards d’euros, mes chers collègues, est-ce un fait ? Est-ce un leurre ? Depuis des années, nous assistons à l’appauvrissement généralisé du pays. Le budget de l’État n’a pas connu d’excédent depuis 1974. Pour citer Pierre Mendès France, « un pays qui n’est pas capable d’équilibrer ses finances publiques est un pays qui s’abandonne ». (M. Vincent Segouin applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. M. le ministre Gabriel Attal n’a pas réellement réagi sur les amendements de suppression de l’article liminaire, mais il nous a tout de même ouvert un champ de réflexion assez intéressant. En effet, dans la même intervention, on trouve à la fois l’exaltation de la valeur morale du travail et l’objectif clair et affirmé de ce gouvernement de réduire le coût du travail.
Le travail, monsieur le ministre, n’est pas une valeur morale ; c’est une valeur marchande, nécessaire, indispensable à la création de richesses. Comme tout bien, comme tout élément soumis au marché, il y a, d’un côté, celui qui veut l’acheter le moins cher possible et, de l’autre, celui qui veut le vendre le plus cher possible.
C’est de cela dont nous parlons aujourd’hui parce que, en réalité, c’est à la rémunération du travail que vous vous attaquez. Et contrairement à ce que vous prétendez, vous n’aimez pas le travail. Lorsque vous exaltez le travail, vous vous placez sur un terrain qui n’est pas celui de sa rémunération.
Vous voulez que les salariés soient payés le moins possible, et en salaire, puisque vous avez refusé l’augmentation du Smic que nous vous avons proposée voilà quelques mois, et en salaire différé, puisque ce que vous appelez les charges et le coût du travail, c’est un salaire qui, au lieu d’être versé immédiatement, est versé sous la forme de cotisations de retraite pour que les salariés aient à l’avenir une retraite ou sous la forme de cotisations d’assurance maladie pour qu’ils soient prémunis contre le risque de maladie. Avec cette réforme, c’est à cela que vous vous attaquez !
Monsieur le ministre Attal, vous êtes un homme jeune, or vous avez tenu un discours que Margaret Thatcher aurait pu tenir. C’est la doxa libérale que l’on entend depuis vingt-cinq ans ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.) Pas une once de modernité dans votre propos !
M. Marc-Philippe Daubresse. Et vous, c’est Karl Marx ! Le discours du XIXe siècle !
Mme Laurence Rossignol. La France a besoin d’autre chose que cette même rengaine sur le coût du travail et les vertus du libéralisme. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. J’ai précédemment évoqué la conviction qui était celle du Président de la République durant les années 2018 et 2019, quand celui-ci expliquait qu’il fallait réformer le système des retraites afin de répondre aux enjeux des décennies à venir, mais que le recul de l’âge de la retraite était une injustice. Je me suis posé la question : qu’est-ce qui a changé depuis ? Est-ce sa conviction ?
En réalité, il y a eu entre-temps la crise du covid-19 et les sommes très importantes que le Gouvernement, pendant cinq années, mais en particulier au moment de cette crise, a données aux entreprises. Beaucoup d’argent, des milliards d’euros chaque année, et cela continue…
À un moment, le Gouvernement, le Président de la République ont décidé d’aller chercher l’argent dans les poches des salariés et, d’une certaine manière, de rembourser ainsi ces dépenses et la dette engendrée par les cadeaux offerts, parfois de manière justifiée, pour faire face à la crise. Il a été décidé de faire payer les premiers de corvée.
Là se trouve le nœud du changement, messieurs les ministres, et là votre réforme ; une réforme budgétaire visant à combler une dette que l’on peut dire « relative », puisque vous avez décidé d’épargner ceux qui, dans cette crise, ont dégagé des milliards d’euros de bénéfices. Vous êtes à côté de la plaque ! Vous ne comprenez pas ce qui est en train de se passer dans le pays ! Les Français n’arrivent plus à vivre et, au lieu de répondre aux urgences causées par l’inflation et les salaires trop bas, vous annoncez aux gens qui crèvent, notamment aux classes moyennes, …