Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Pierre Cuypers, Mme Victoire Jasmin.
2. Questions d’actualité au Gouvernement
moyens pour les juridictions judiciaires
M. Thani Mohamed Soilihi ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. David Assouline ; M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
Mme Maryse Carrère ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Maryse Carrère.
soutien à l’agriculture biologique et transition agricole
M. Joël Labbé ; M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement ; M. Joël Labbé.
M. Pierre Médevielle ; M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement ; M. Pierre Médevielle.
M. Max Brisson ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Max Brisson.
devenir de l’agriculture biologique
M. Jean-Michel Arnaud ; M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement ; M. Jean-Michel Arnaud.
financiarisation des terres agricoles
M. Éric Bocquet ; M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement ; M. Éric Bocquet.
situation du monde agricole (i)
M. Laurent Somon ; M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement ; M. Laurent Somon.
situation du monde agricole (ii)
M. Christian Redon-Sarrazy ; M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
M. Jean Sol ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Jean Sol.
retenues collinaires contre la sécheresse
M. Alain Duffourg ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Alain Duffourg.
Mme Catherine Belrhiti ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique ; Mme Catherine Belrhiti.
Mme Annie Le Houerou ; M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention ; Mme Annie Le Houerou.
M. Jean-Claude Anglars ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique.
effets de la hausse des prix de l’énergie sur les stations de ski
M. Cyril Pellevat ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
3. Candidatures à une commission mixte paritaire
4. Candidature à une commission
5. Candidatures à une commission d’enquête
6. Conséquences de l’inflation sur le pouvoir d’achat des français. – Débat d’actualité
M. Jean-Claude Requier ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
M. Serge Babary ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
M. Paul Toussaint Parigi ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
Mme Nadège Havet ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
M. Éric Bocquet ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
M. Vincent Capo-Canellas ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
M. Patrick Kanner ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
7. Mise au point au sujet d’un vote
8. Lutte contre les violences pornographiques. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution
Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de résolution
Mme Alexandra Borchio Fontimp, auteure de la proposition de résolution
Mme Laurence Cohen, auteure de la proposition de résolution
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Adoption de la proposition de résolution.
9. Élus locaux au sein du service public de l’assainissement francilien. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Texte élaboré par la commission
Mme Catherine Belrhiti, rapporteure de la commission des lois
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Adoption, par scrutin public n° 136, de la proposition de loi dans le texte de la commission.
10. Modifications de l’ordre du jour
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
11. Mixité sociale à l’école. – Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
Mme Sylvie Robert, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse
M. Pierre-Jean Verzelen ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Thomas Dossus ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme Samantha Cazebonne ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Yan Chantrel ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme Céline Brulin ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Céline Brulin ; M. Pap Ndiaye, ministre ; Mme Céline Brulin.
M. Claude Kern ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Bernard Fialaire ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Max Brisson ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Max Brisson ; M. Pap Ndiaye, ministre ; M. Max Brisson.
Mme Marie-Pierre Monier ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Annick Billon ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Annick Billon.
M. Olivier Paccaud ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Jean-Jacques Lozach ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme Toine Bourrat ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Jacques Grosperrin ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Jacques Grosperrin ; M. Pap Ndiaye, ministre ; M. Jacques Grosperrin.
Mme Corinne Imbert ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Corinne Imbert.
Mme Béatrice Gosselin ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Béatrice Gosselin.
Mme Sylvie Robert, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
12. Ordre du jour
Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
Nomination d’un membre d’une commission
Nomination de membres d’une commission d’enquête
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Pierre Cuypers,
Mme Victoire Jasmin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 16 février 2023 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
J’appelle chacun de vous, mes chers collègues, au respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
moyens pour les juridictions judiciaires
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le garde des sceaux, le Gouvernement a pris la mesure des enjeux liés à la justice dans notre pays puisque, en cinq ans, le budget qui lui est consacré a augmenté de plus de 40 %.
Vous avez fait de la mise en œuvre d’une politique de justice de proximité l’une de vos priorités. Le groupe RDPI s’en réjouit.
L’objectif visé est d’apporter une réponse judiciaire, concrète et rapide, aux petits actes de délinquance qui pèsent lourdement sur le sentiment d’insécurité et le bien vivre ensemble, et dont le traitement, jusqu’à présent, entamait la confiance des citoyens envers l’institution judiciaire.
Le besoin de réassurance qui s’est exprimé, tout comme le redressement de notre justice, nécessite des moyens supplémentaires.
Moyens financiers, tout d’abord : c’est avec satisfaction que nous observons que, pour la troisième année consécutive – ce qui est inédit – le budget augmente de 8 %.
Moyens humains, aussi, et nous saluons le lancement d’un vaste plan d’embauche de magistrats et de fonctionnaires. Le renfort qui a été apporté aux magistrats depuis 2020 – je pense notamment aux 2 000 contractuels – a permis une réduction significative des affaires en attente de jugement, ce dont nous nous félicitons.
Lors d’un déplacement au tribunal judiciaire de Reims, vous avez annoncé la « CDIsation » de ces contractuels. Cette mesure participera à la lutte contre la précarité de l’emploi dans la fonction publique.
Vous avez également signalé votre intention de poursuivre la consolidation de l’équipe autour des magistrats par le recrutement de 300 juristes assistants supplémentaires et la création de la fonction d’attaché de justice.
Monsieur le garde des sceaux, pourriez-vous nous préciser quels seront les contours de cette nouvelle fonction d’attaché de justice ? Quel sera le calendrier du déploiement du plan d’action pour la justice que vous avez présenté à l’issue des états généraux ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Mohamed Soilihi, grâce aux budgets que le Sénat a votés chaque année depuis trois ans, nous avons pu recruter 2 000 contractuels, dont 900 juristes assistants, depuis 2017. Cela a apporté une aide particulièrement précieuse aux magistrats et aux greffiers de notre pays. Résultat : en matière civile, nous avons obtenu un déstockage des dossiers en attente de l’ordre de 30 %.
M. François Patriat. Bravo !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Grâce à Mme la Première ministre, j’ai annoncé dès lundi le recrutement de 300 juristes assistants supplémentaires cette année. Cependant, leur statut actuel, vous le savez, est insatisfaisant. Trop précaire, il ne prévoit aucune formation, et ne définit pas les tâches qui doivent leur être confiées. C’est pourquoi j’ai décidé de créer une fonction d’attaché de justice ouverte aux fonctionnaires comme aux contractuels, pour que les attachés de justice soient présents partout dans nos territoires.
Les missions seront définies. Les attachés de justice prêteront serment. Ils recevront une formation dispensée par l’École nationale de la magistrature (ENM). Ils formeront un vivier indispensable au recrutement massif, à venir, de 1 500 magistrats. Une passerelle spécifique, leur donnant accès à l’ENM, est à l’étude. Enfin, tous les contractuels de la justice de proximité, de catégorie A, B et C, seront « CDIsés » dans leur poste.
Afin de donner corps à ces annonces, je présenterai la nouvelle loi de programmation de la justice et son volet organique au Sénat à la fin du mois de mai.
Ce texte constituera une nouvelle étape du travail conjoint que, Chancellerie et Sénat, nous avons conduit avec constance depuis plusieurs années. Je souhaite vous en remercier tout particulièrement, monsieur le sénateur, et rendre hommage à toute la commission des lois ainsi qu’à son président, François-Noël Buffet (Ah ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous ferons tout cela pour renforcer les moyens dont notre justice a tellement besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
réforme des retraites
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. David Assouline. Madame la Première ministre, comme vous le savez, le débat qui va commencer ici demain suscite une énorme attente. C’est d’autant plus vrai que les discussions à l’Assemblée nationale n’ont même pas atteint l’examen du principal article et qu’elles ont offert un spectacle parfois désolant.
M. Marc-Philippe Daubresse. À qui la faute ?
M. David Assouline. Pourtant, lorsque le débat y a eu lieu, il a été éclairant. Sur la situation des femmes, par exemple : contrairement à vos affirmations, elles sont les principales victimes de votre texte. Ou encore sur les 1,8 million de personnes que vous prétendiez être concernées par une retraite minimum de 1 200 euros, qui ne sont plus que 40 000, voire 10 000 ou 20 000.
Au Sénat, nous, la gauche, allons poursuivre ce travail de vérité. Nous ferons écho à l’attente d’une très grande majorité de nos concitoyens et des syndicats unis, qui appellent à ce que notre pays s’arrête le 7 mars pour dire non à cette régression sociale.
Nous débattrons de cet article 7, qui est un impôt sur la vie des plus modestes. Chacune et chacun, ici, devra prendre ses responsabilités par son vote : pour ou contre deux ans de plus pour celles et ceux qui ont déjà travaillé dur toute leur vie ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mais nous sommes attachés au débat de fond, et le fond, comme la démocratie, demande du temps, le temps de l’argumentation et de l’écoute, celui de l’amendement, de l’explication de vote libre pour chacun, qui sont des droits sacrés des parlementaires. Alors, je vous le demande, allez-vous encore empêcher ce débat en le brutalisant, en le menaçant d’interruption, alors qu’il s’agit d’une loi qui touche à la vie de millions de nos concitoyens ?
Faute d’avoir recherché un accord acceptable avec les syndicats, cette limitation fait-elle partie de l’accord des droites auquel vous avez consacré tant d’énergie, et que vous avez négocié avec le groupe Les Républicains au Sénat, pour faire passer cette réforme injuste et inutile ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE. – Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Monsieur le sénateur Assouline, permettez-moi de vous répondre en trois points.
Vous m’interrogez d’abord sur les conditions et la durée du débat. Le Gouvernement espère bien évidemment que la discussion qui s’ouvrira demain au Sénat permettra d’examiner, de débattre, de discuter chacune des dispositions du projet de loi, afin d’avoir un débat éclairé sur la totalité des articles, sur la totalité des dispositions et la totalité du projet.
Vous dites, d’une certaine manière à juste titre, que le débat n’a pas pu aller jusqu’à son terme à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas au Gouvernement qu’il faut en faire le reproche. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.) C’est plutôt à vos alliés de La France insoumise qu’il faut le dire : ce sont eux qui, avec 18 000 amendements, et parfois quelques outrances, ne nous ont pas permis d’aller au bout ! (Mêmes mouvements.)
Vous dites, monsieur le sénateur, que ce débat sera pour vous l’occasion de pointer des vérités. Permettez-moi d’en rappeler une et de confirmer un chiffre que vous avez donné. Avec cette réforme des retraites, nous prévoyons une pension minimale pour les assurés qui ont cotisé toute leur carrière au niveau du Smic.
Parmi les 17 millions de retraités que compte aujourd’hui notre pays, 1,8 million de personnes bénéficieront d’une revalorisation et la moitié d’entre elles toucheront une revalorisation comprise entre 70 et 100 euros.
Mme Laurence Rossignol. Cela ne fera pas 1 200 euros !
M. Olivier Dussopt, ministre. Peut-être trouvez-vous que ce n’est pas assez… Cela montrerait combien vous êtes déconnecté du niveau des petites pensions et de l’importance d’une telle revalorisation pour celles-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Cette réforme donnera à un nouveau retraité sur quatre, soit 200 000 personnes par an, une pension meilleure. Notre objectif est de garantir une pension équivalente à 85 % du Smic pour une carrière complète payée au niveau du Smic.
Enfin, monsieur le sénateur, vous dites que chacun devra prendre ses responsabilités. C’est une réalité.
M. David Assouline. Vous êtes d’accord avec les Républicains !
M. Olivier Dussopt, ministre. Nous travaillons avec tous les groupes qui le souhaitent et, si nous pouvons avancer sur les droits familiaux avec la majorité sénatoriale, j’en serai le premier heureux.
Mais prendre ses responsabilités, c’est aussi assumer les positions de votre famille politique. J’ai entendu votre chef de parti, M. Faure, défendre la retraite à 60 ans avec 43 annuités. C’est une machine à décote, une machine à pauvreté : une machine à petites pensions ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, et sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
sécheresse
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Météo-France nous avertissait mardi dernier que « la France a subi une sécheresse météorologique préoccupante », et confirmait que le pays venait de vivre 31 jours consécutifs sans pluie. Samedi matin, au salon de l’agriculture, le Président de la République appelait les agriculteurs à la sobriété sur l’eau.
Dans le bassin Adour-Garonne, qui couvre une grande partie du Sud-Ouest, le département des Hautes-Pyrénées est un véritable château d’eau, qui assure l’irrigation des terres jusque dans les Landes, en traversant le Gers. Mais jusqu’à quand ? On constate année après année la baisse du niveau des nappes phréatiques. On va même jusqu’à manquer d’eau dans quelques villages de montagne, riches pourtant de leur réseau hydrographique. C’est plus qu’inquiétant.
Madame la ministre déléguée, je sais que vous prenez la mesure de ce phénomène, mais, aujourd’hui, nos agriculteurs ont besoin de réponses – et nous aussi ! On ne peut pas se contenter d’imposer des mesures de restriction sans véritable politique ni ambition.
Quelle stratégie comptez-vous mettre en œuvre pour accompagner notre agriculture dans son adaptation indispensable à la sécheresse ? Quelles solutions, au-delà des économies d’eau nécessaires, lui apporterez-vous ? Que comptez-vous faire pour soutenir et faciliter la création de nouvelles réserves, essentielles à la survie de nos systèmes hydrographiques ? Ceux-ci sont vitaux pour nos besoins quotidiens en eau potable, le maintien de la qualité des milieux et la salubrité publique. Ils sont indispensables aussi à la préservation de notre agriculture, garante de notre souveraineté alimentaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Je commence par vous prier d’excuser l’absence de Christophe Béchu, qui est actuellement au Gabon, au One Forest Summit, un sommet qui a pour but la préservation des forêts tropicales.
Comme vous l’avez dit, la France métropolitaine connaît aujourd’hui une sécheresse météorologique préoccupante. Cinq départements font déjà l’objet de restrictions : les Pyrénées-Orientales, le Var, l’Isère, l’Ain et les Bouches-du-Rhône. Dans les jours qui viennent, d’autres départements feront l’objet d’arrêtés de restriction pris par les préfets. Le niveau de précipitations dans les deux mois qui viennent sera crucial pour déterminer la situation dans laquelle nous serons cet été.
Le Gouvernement, en lien avec les opérateurs de l’État chargés du suivi hydrologique, comme Météo-France, suit avec attention l’évolution de la situation et les projections. État et collectivités territoriales, nous devons poursuivre ensemble notre travail d’anticipation et prendre dès maintenant, si nécessaire, des décisions de partage de l’eau. Le mot d’ordre est la sobriété des usages.
Nous sommes tous concernés. Tous les secteurs d’activité le sont. Vous évoquez l’agriculture et, en effet, sans eau, il n’y a pas d’agriculture. Et sans agriculture, on ne se nourrit pas ! Il faut donc réussir à trouver des compromis et discuter ensemble pour trouver des solutions.
Christophe Béchu et moi-même sommes pleinement mobilisés. Les préfets qui coordonnent les sept grands bassins du pays ont été réunis le 27 février pour planifier les solutions aux problèmes de raréfaction d’eau auxquels nos territoires seront confrontés. Leur prochaine réunion aura lieu le 6 mars.
À la demande de la Première ministre, une cellule interministérielle de crise ouvrira au mois de mars.
Enfin, le plan sur l’eau, sur lequel nous travaillons depuis six mois, sera présenté dans les prochaines semaines. Il fait suite au chantier de la planification écologique sur l’eau, et se penchera sur les questions de sobriété et de répartition des usages, notamment dans l’agriculture.
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour la réplique.
Mme Maryse Carrère. Malheureusement, la sobriété et les efforts d’économies ne suffiront pas, car les déficits sont déjà trop importants dans les bassins hydrographiques. Nous avons réellement besoin de stratégie. Où en sont, par exemple, les propositions du Varenne de l’eau, formulées il y a quelques années ? Nous voulons de la simplification et un accompagnement pour la création de nouvelles réserves. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
soutien à l’agriculture biologique et transition agricole
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Joël Labbé. Ma question s’adressait à M. le ministre de l’agriculture.
L’agriculture biologique traverse actuellement une très mauvaise passe. Une chute des ventes, inédite, de 4 % fait suite à des années de croissance à deux chiffres.
Madame la Première ministre, vous avez évoqué une aide de soutien à la filière via un fonds d’urgence doté de 10 millions d’euros. Les acteurs concernés ont rapidement fait le calcul : cela fait 166 euros en moyenne par ferme, soit le prix d’une paire de bottes pour aller au champ !
M. le ministre de l’agriculture a déclaré que le bio ne souffrait pas seulement d’un manque de soutien, mais aussi d’un problème de demande.
Quand la filière porc conventionnelle a connu en 2022 une crise de la demande à l’export, c’est un plan de sauvegarde doté de 270 millions d’euros qui a été mis en place, et l’aide directe versée en soutien à la trésorerie des exploitations porcines a atteint 15 000 euros.
Le soutien à la demande, c’est aussi la communication : quand 20 millions d’euros permettent la communication en faveur des produits laitiers conventionnels, l’Agence Bio doit faire avec 750 000 euros.
Et, puisqu’on parle de demande, je rappelle que l’État a la responsabilité d’imposer le respect des 20 % de bio dans la restauration collective – nous en sommes loin ! Quant au chèque alimentation durable, il a disparu de l’actualité.
Monsieur le ministre, allez-vous enfin mettre en œuvre un réel plan de soutien à l’agriculture biologique ? C’est une demande non seulement de l’ensemble de la profession agricole, mais aussi, aujourd’hui, de l’ensemble des syndicats agricoles. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur Joël Labbé, je commence par signaler que je vais être amené à répondre à six reprises sur des questions agricoles. Je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, qui se trouve au salon international de l’agriculture et m’a chargé de le représenter ici.
Nous sommes conscients, monsieur le sénateur, que la filière du bio traverse actuellement une crise. Vous l’avez dit, il s’agit notamment d’une crise de la demande, et c’est sur ce levier en particulier que nous voulons agir.
Nous avons déjà mis en place de nombreuses mesures pour soutenir la production bio et encourager la consommation : écorégime, crédits d’impôt, participation de l’État, à hauteur de 750 000 euros, au financement d’une nouvelle campagne #BioRéflexe. J’ajoute que, comme nous l’avons fait en 2022, nous consacrerons 3 millions d’euros du plan France 2030 à ce sujet.
Nous avons également abondé le fonds Avenir Bio de 15 millions d’euros, au lieu des 8 millions d’euros initialement prévus. Sur cette somme, 2 millions d’euros serviront à structurer la filière porc bio, qui connaît des difficultés particulières.
Lors des assises de la Bio, le 6 décembre dernier, le ministre de l’agriculture a demandé à l’Agence Bio d’engager un travail de structuration de la filière.
La consommation en restauration collective sera stimulée, grâce à la campagne de communication que l’Agence va lancer dès 2023, avec le financement du programme de promotion européen qu’elle a obtenu en 2022.
Nous avons ouvert la possibilité aux régions qui le souhaitent de réexploiter des crédits du fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) non utilisés.
Le futur programme Ambition bio sera aussi l’occasion de construire une véritable filière, renouvelée dans sa stratégie, pour l’accompagnement et la structuration.
Pour apporter des réponses conjoncturelles à la situation actuelle du marché, la Première ministre a annoncé l’ouverture d’un fonds d’urgence, doté de 10 millions d’euros, pour soutenir des exploitations bio qui sont en difficulté immédiate.
Nous avons entendu la demande de la filière, qui craignait que des exploitations bio ne s’écroulent. L’État soutiendra ces exploitations par une aide de trésorerie, qui sera versée dans les semaines qui viennent.
Nous encouragerons activement tous les acteurs, et notamment la grande distribution et les collectivités locales, à faire la promotion du bio, sous la bannière #BioRéflexe dès ce printemps.
Pour autant, une réponse structurelle est nécessaire. Elle sera apportée très prochainement, comme je l’expliquerai dans quelques instants, puisqu’une autre question porte sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.
M. Joël Labbé. Vous donnez quelques réponses, monsieur le ministre, mais l’ensemble est absolument insatisfaisant. C’est un avenir durable que représente l’agriculture biologique, au vu des enjeux actuels. Elle permet la préservation de l’eau, en qualité mais aussi en quantité, de la qualité du sol, de l’air, la préservation de l’environnement, le maintien de la biodiversité, des pollinisateurs – la préservation, aussi, de la santé humaine. Toutes ces raisons justifient qu’on donne de véritables moyens à l’agriculture biologique pour qu’elle se développe. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Yan Chantrel et Mmes Sabine Van Heghe et Marie-Claude Varaillas applaudissent également.)
plan écophyto 2030
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
M. Pierre Médevielle. « En matière de produits phytosanitaires, nous respecterons désormais le cadre européen, et rien que le cadre européen. » Tels sont les mots, largement salués par la profession, prononcés ce lundi par la Première ministre au salon de l’agriculture.
Nos agriculteurs ont besoin d’un cadre commun, cohérent et réaliste au niveau européen sur les produits phytosanitaires. Stop aux technocrates qui veulent laver plus vert que vert !
Nos agriculteurs ont surtout besoin que le cadre français ne soit pas la succession de surtranspositions mortifères made in France. Nous nous plaignons depuis des années de la pénalisation de nos agriculteurs par rapport à leurs collègues européens. Il y a eu des progrès, mais restons vigilants !
L’agriculture est à la croisée des chemins face à des nécessités majeures, et particulièrement pour la préservation de notre environnement, de nos sols, de notre biodiversité.
L’équation qui mêle plus de chaleur à moins d’eau, plus d’aléas climatiques et moins de produits phytosanitaires, tout en conservant un niveau de production suffisant, est extrêmement compliquée à résoudre. Si rien n’est impossible, nous allons devoir dessiner une agriculture de demain fondée sur l’innovation, la technologie, la recherche et la formation.
La liste des besoins est longue. En priorité figurent l’optimisation de la ressource en eau, l’utilisation de plantes de nouvelle génération et l’accélération des délais d’obtention de l’autorisation de mise sur le marché de nouvelles molécules prometteuses.
La profession se réjouit des annonces d’un nouveau plan Écophyto 2030, qui doit aider à uniformiser les techniques agricoles au niveau européen et nous permettre d’être cohérents sur les marchés mondiaux. Comment pensez-vous que l’État puisse accompagner concrètement la profession dans ce virage historique pour notre agriculture ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur Pierre Médevielle, nous sommes confrontés à une réduction importante du nombre de substances actives au niveau européen. Et ce mouvement n’est pas terminé, loin de là.
Il s’agit d’un sujet de souveraineté alimentaire et de transition écologique. Et c’est à travers la logique de planification que nous entendons concilier ces deux impératifs. C’est dans cet esprit que la Première ministre a annoncé au salon de l’agriculture l’élaboration d’un plan d’action stratégique pour renforcer le pilotage et l’adaptation des techniques de protection des cultures.
Avec ce plan Écophyto 2030, nous devons assumer collectivement que le développement des alternatives, y compris non chimiques, est essentiel. La voie à suivre passe nécessairement par plus d’agronomie, la mobilisation non pas d’un seul, mais de plusieurs leviers et le renouvellement des pratiques agricoles et des systèmes de production. Cela requiert des moyens importants pour accompagner les agriculteurs et massifier les solutions.
C’est dans cet esprit que le ministre travaille, avec l’ambition que nous puissions collectivement nous inscrire dans une nouvelle approche.
D’abord, nous devons avoir une stratégie et ne plus fonctionner dans une gestion au coup par coup : ne plus être en réaction, mais en anticipation – c’est ce qu’on appelle la planification. Pour cela, il nous faut une plus grande visibilité sur l’évolution des solutions en termes de protection des cultures.
Ensuite, nous voulons avancer avec les professionnels, avec les filières, avec les instituts techniques et de recherche, pour faire en sorte que ce qui peut apparaître comme une impasse devienne, au fond, une opportunité. Nous allons donc travailler étroitement ensemble, mobiliser nos capacités de recherche et de développement. L’État fera sa part, bien sûr, mais il faut aussi mobiliser les centres techniques des filières et les chambres d’agriculture.
En outre, nous voulons une approche globale, qui implique de ne pas négliger ce qui permet d’optimiser l’utilisation des produits phytosanitaires. Il y a sur ce point des innovations qui doivent être déployées le plus largement possible.
Enfin, nous devons nous appuyer sur ce qui a fonctionné. Nous allons donc élargir le travail fait dans le secteur des fruits et légumes, comme exemple de notre méthode de planification écologique, à l’ensemble des filières, dans une approche mobilisatrice, transversale et que nous pourrons décliner opérationnellement, filière par filière. (MM. François Patriat et Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour la réplique.
M. Pierre Médevielle. Nous sommes tous d’accord sur la planification. Nos agriculteurs en ont besoin. Ils ont besoin d’une vraie égalité entre agriculteurs européens. Ils réclament de la lisibilité, de la visibilité, de la confiance, et ils veulent qu’on arrête avec les tabous concernant l’agriculture productiviste, car nous avons besoin d’une agriculture qui produise ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
carte scolaire
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, mercredi dernier vous avez partagé l’émotion des élèves et des professeurs du lycée Saint-Thomas-d’Aquin de Saint-Jean-de-Luz. Je vous en remercie. Ce drame absolu n’a pas grand-chose à voir avec la violence qui gangrène nos collèges et nos lycées ou la difficile détection des situations de détresse des adolescents. De ces sujets, nous reparlerons quand l’émotion sera passée.
Pour l’heure, je voudrais vous narrer l’histoire d’un inspecteur d’académie venu dans un petit village de France calculer le nombre d’élèves attendus pour la prochaine rentrée. Par la fenêtre de l’école, on voit plusieurs maisons en construction devant accueillir dans deux ou trois ans des familles avec enfants. Mais ce qui se passera dans deux ou trois ans n’intéresse pas M. l’inspecteur d’académie !
L’école, à la prochaine rentrée, perdra trois élèves. Résultat : un professeur en moins, une classe qui ferme. Tel est le verdict de ce rituel immuable qui sent bon la IVe République : la carte scolaire. Ce rituel conduit chaque année les inspecteurs d’académie de France et de Navarre à sortir leur règle à calcul pour compter les élèves et décider du sort des postes et des classes.
Et, pendant ce temps, l’État demande aux élus d’inscrire leur politique d’urbanisme dans les Sraddet (schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires), les Scot (schémas de cohérence territoriale), les PLUi (plans locaux d’urbanisme intercommunaux) ou les PLU (plans locaux d’urbanisme), qui imposent aux maires de voir loin.
Monsieur le ministre, jusqu’à quand resterez-vous le seul membre du Gouvernement qui adapte chaque année ses postes au comptage à l’unité près de ses usagers ? À quand, monsieur le ministre, une procédure pluriannuelle de la carte scolaire, adaptée à notre époque ?
M. André Reichardt. Très bien !
M. Max Brisson. Bref, monsieur le ministre, au ministère de l’éducation nationale, l’entrée dans la modernité, c’est pour quand ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Max Brisson, je m’associe bien sûr à l’hommage que vous venez de rendre à Agnès Lassalle, assassinée dans l’exercice de ses fonctions. Elle consacrait sa vie à ses élèves et mes pensées vont à sa famille, à ses collègues et à ses élèves. Toute atteinte contre un professeur porte atteinte à la République. C’est ce que j’ai dit sur place avec Stanislas Guerini, le ministre de la transformation et de la fonction publiques – vous étiez présent vous-même, ainsi que Mme la sénatrice Frédérique Espagnac et le maire de Saint-Jean-de-Luz, Jean-François Irigoyen.
La carte scolaire tient compte, d’une manière générale, de la baisse des effectifs scolaires, qui s’annonce très importante l’année prochaine. Cela nous amène à fermer des classes ici et à en ouvrir là. Dans votre département des Pyrénées-Atlantiques, nous compterons environ 450 élèves de moins l’an prochain, mais nous veillons à ce que le taux d’encadrement, particulièrement dans les régions rurales, continue de s’améliorer – et ce sera le cas dans votre département.
Des ajustements auront lieu d’ici au mois de juin, en particulier sur les points sensibles que vous connaissez, tout en donnant la priorité aux regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI), et donc aux zones rurales.
Grâce aux statistiques qui nous sont fournies par le ministère de l’éducation nationale et par les rectorats, nous portons un regard pluriannuel sur les évolutions démographiques. Nous devons toutefois tenir compte des variations annuelles, des migrations, des installations de familles et des déménagements, qui nous imposent de construire une carte scolaire annuelle.
M. le président. Il faut conclure !
M. Pap Ndiaye, ministre. Nous en sommes donc encore au stade des ajustements. (MM. François Patriat et Dominique Théophile applaudissent.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Pas brillant !
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Monsieur le ministre, je ne vous ai pas parlé des Pyrénées-Atlantiques, mais de la procédure d’élaboration de la carte scolaire.
Il est grand temps de travailler avec les associations d’élus pour entrer dans une démarche pluriannuelle ! Les maires n’en peuvent plus de voir arriver, chaque année dans leurs écoles, un comptable venu calculer le nombre d’élèves scolarisés, alors qu’ils savent qu’un lotissement est en cours de construction et que les enfants reviendront un ou deux ans plus tard !
C’est cette vision comptable que nous vous demandons d’abandonner au profit d’une démarche pluriannuelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, INDEP, RDSE, GEST, CRCE et SER.)
devenir de l’agriculture biologique
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que l’agriculture biologique a longtemps été favorisée par les pouvoirs publics au nom de l’impératif écologique, elle est aujourd’hui à la marge des priorités gouvernementales : le plan national stratégique, dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), supprime l’aide aux agriculteurs bio, l’Agence Bio est sous-financée et les dispositifs de soutien sont largement insuffisants.
Depuis quelques décennies, les pouvoirs publics promettaient un soutien massif aux pratiques vertueuses, une souveraineté alimentaire accrue et de meilleurs débouchés pour nos agriculteurs. Quelle est la situation réelle aujourd’hui ?
Les modes de production sobres en énergie et respectueux de la biodiversité sont peu reconnus et nous constatons une baisse des ventes des produits bio, depuis la crise sanitaire notamment.
Le contexte économique ne conforte en aucun cas les conditions de travail de ceux qui nous nourrissent : hausse insupportable des coûts de production, freinage des exportations, signature de traités de libre-échange comme celui avec le Mercosur, qui sont souvent synonymes de concurrence déloyale.
Le marché bio est en situation de surproduction et la demande est toujours plus morose au regard de l’inflation actuelle.
Ce déclin est comme un ver dans la pomme : il ne faut pas laisser pourrir la situation.
Que compte faire le Gouvernement pour remédier à la situation particulièrement difficile des 60 000 exploitants agricoles bio de ce pays ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Jean-Michel Arnaud, j’ai répondu précédemment à votre collègue Joël Labbé sur le bio.
Nous aimons le bio ! Nous avons besoin de nourrir l’ensemble des Françaises et des Français, mais aussi de développer notre filière bio, pour la consommation nationale comme pour l’export.
À cet égard, l’un des leviers – j’y consacrerai d’ailleurs l’essentiel de ma réponse – est la restauration collective. La loi dite Égalim 1 (loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) a fixé un objectif de 50 % de produits de qualité et durables dans la restauration collective, dont 20 % de bio.
Nous souhaitons actionner plus fortement ce levier majeur, que ce soit dans les écoles, collèges et lycées, mais aussi dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou dans les entreprises.
C’est aussi une manière de changer durablement les pratiques de consommation alimentaire que d’introduire massivement le bio dans la restauration collective.
Il se trouve que, depuis 2018, nous avons fait face à des événements et vents contraires. D’abord, la crise du covid-19 a fait perdre transitoirement à la restauration collective 40 % de son chiffre d’affaires, du fait des mesures sanitaires.
Ensuite, le contexte d’inflation que nous connaissons depuis plusieurs mois rend difficile un bilan précis pour cette année. Néanmoins, grâce aux résultats Égalim que les gestionnaires de restaurants collectifs doivent renseigner sur la plateforme « Ma cantine » nous disposerons prochainement de données plus détaillées, qui seront naturellement communiquées au Parlement.
Il faudra également accompagner la filière, car l’amélioration de la qualité des repas en restauration collective passe aussi par la lutte contre le gaspillage alimentaire et par une réflexion sur les quantités servies ou sur les recettes utilisées.
La Première ministre a publié le 29 septembre dernier une circulaire, qui permet d’aider tous les établissements publics à renégocier leurs contrats, et donc à acheter au juste prix.
En outre, les différents ministres concernés réfléchissent à des dispositifs adaptés à chaque segment de la filière de restauration collective.
Nous voulons atteindre l’objectif Égalim. Il représente un potentiel d’augmentation du chiffre d’affaires de la filière d’environ 10 %, qui viendra plus que compenser les baisses des ventes en bio constatées pour l’année 2022. (MM. François Patriat et Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.
M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le ministre, il nous faut une politique ambitieuse de promotion de la filière bio et de soutien de l’agriculture biologique.
Il nous faut également clarifier les labels existants ou encore inclure systématiquement l’agriculture biologique – vous l’avez rappelé – dans les projets alimentaires territoriaux.
La souveraineté alimentaire doit aussi passer par une meilleure attractivité du métier d’agriculteur. Je pense particulièrement en cet instant aux arboriculteurs. Alors que le groupe Carrefour met en tête de gondole des pommes polonaises, nos arboriculteurs ne s’en sortent pas : il leur manque 20 centimes de marge. Les marges ne sont pas aujourd’hui à la hauteur des coûts de production.
Tout comme l’agriculture conventionnelle, l’agriculture biologique est confrontée à l’impossibilité de lutter contre les espèces invasives. Alors que nombre de traitements sont homologués à l’échelle européenne, la France maintient, par le biais de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), une interdiction générale de plusieurs traitements, y compris bio, qui se cantonne à des dérogations successives et envoie un message négatif aux clients.
Comme je l’ai souvent entendu dans les travées du salon international de l’agriculture voilà quelques heures maintenant : « En France, nous avons trop souvent le droit de manger ce que nous n’avons pas le droit de produire. » (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
financiarisation des terres agricoles
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adressait à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, mais je sais, monsieur Véran, que c’est vous, aujourd’hui, qui avez chaussé les bottes. (Sourires.)
M. Éric Bocquet. L’association Terre de Liens a publié hier un rapport très intéressant sur la propriété des terres agricoles en France.
En pleine semaine du salon de l’agriculture, les constats présentés sont de nature à susciter de grandes inquiétudes sur l’avenir de notre agriculture : on compte en France 496 000 chefs d’exploitation agricole, mais seulement 35 % des terres cultivées appartiennent aux agriculteurs.
Le rapport présente un phénomène nouveau : on voit se développer des sociétés agricoles, dont certaines sont financiarisées. Alors que ces dernières possédaient 7 % de la surface agricole voilà vingt ans, elles en détiennent aujourd’hui 14 %. On découvre ainsi que de grands groupes comme Auchan, Chanel ou L’Oréal achètent des terres agricoles.
Les capacités de l’innovation financière sont décidément illimitées, nous le savions. Nous connaissions la finance des villes ; nous découvrons aujourd’hui la finance des champs !
Ces sociétés possèdent aujourd’hui 640 000 hectares. Ces pratiques font flamber le prix à l’hectare, rendant par conséquent l’accès aux terres difficile pour les petits agriculteurs et favorisant les exploitations de très grande taille.
Au cours des quarante dernières années, deux enquêtes statistiques ont été menées par le service statistique du ministère de l’agriculture en vue d’étudier la structure de la propriété des terres agricoles. Or depuis trente ans, le ministère ne recueille presque plus aucune donnée en la matière.
Monsieur le ministre, ma question est double : premièrement, n’est-il pas temps de procéder à un audit complet afin de prendre la mesure de ce phénomène nouveau ? Deuxièmement, nous pensons qu’il y a urgence à renforcer la régulation foncière agricole. La future loi d’orientation agricole ne devrait-elle pas être l’occasion de lancer ce chantier ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur Éric Bocquet, vous m’interrogez sur la financiarisation des terres agricoles et vous avez raison… (Exclamations.)
L’usage du foncier fait l’objet d’une concurrence et la préservation des terres agricoles est une priorité que le Gouvernement partage. C’est en effet un sujet de souveraineté agricole et de souveraineté alimentaire.
Grâce aux outils de régulation – contrôle des structures, actions des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), statut du fermage – qui ont été mis en œuvre dans l’après-guerre, nous bénéficions, en France, d’un prix du foncier parmi les moins élevés d’Europe. Cela permet de maintenir la diversité des modèles et c’est un élément essentiel.
Par ailleurs, deux avancées législatives importantes ont eu lieu, cette fois-ci lors de la législature précédente. Vous les connaissez : il s’agit d’abord du « zéro artificialisation nette », sur lequel le Sénat est très engagé. (Rires.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Heureusement que nous sommes là !
M. Olivier Véran, ministre délégué. Des dispositions prévoient en effet que les documents de planification régionale intègrent des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols.
Je citerai en outre la mise en œuvre d’un contrôle renforcé des opérations sociétaires issu de la loi dite Sempastous du 23 décembre 2021 portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, qui instaure un dispositif d’autorisation administrative préalable en cas de cession de titres sociaux, uniquement si l’opération confère le contrôle de la société au cessionnaire, et lorsque les surfaces ainsi contrôlées dépassent un seuil d’agrandissement significatif.
Enfin, vous le savez, nous avons lancé une grande concertation sur le pacte et la loi d’orientation et d’avenir agricoles.
L’objectif est d’installer des agriculteurs en leur donnant les moyens de s’adapter aux conditions climatiques, techniques et économiques de demain.
Les questions relatives au foncier seront évoquées à cette occasion. Le levier n’est pas seulement législatif : nous devons naturellement construire ce dispositif, comme vous l’avez appelé de vos vœux, avec les élus locaux.
Notre objectif commun est d’agir rapidement, avec des outils opérationnels.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour la réplique.
M. Éric Bocquet. Monsieur le ministre, il y a véritablement urgence : une ferme sur dix est aujourd’hui une société financiarisée.
En conclusion, je citerai la première phrase du rapport de Terre de liens : « Le jour où nos ancêtres ont fait de la terre une marchandise est un jour noir pour l’humanité. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes GEST et SER. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
situation du monde agricole (i)
M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, pour le groupe Les Républicains.
M. Laurent Somon. Monsieur le président, monsieur le ministre, nous achetons à l’étranger des œufs qui ont été pondus dans des cages que nous avons vendues.
Nous y achetons des cerises, parce qu’on a arraché nos cerisiers, et bientôt nos pommiers et noisetiers.
Nous achetons du poisson déchargé de bateaux battant pavillon étranger, parce qu’on a détruit et que l’on continue de détruire notre flotte, alors que nous nous targuons de posséder le deuxième domaine maritime mondial.
Déjà, les fruits et légumes, faute de main-d’œuvre – et demain peut-être les endives – sont laissés en terre, faute à une énergie trop chère, que l’on brade aux concurrents d’EDF.
Malgré le plan Protéines, le sucre ou les lentilles sont importés de pays, où sont autorisés des traitements qui sont interdits ici.
Ajoutez à cela l’angoisse des règlements, des contrôles, des injonctions contradictoires, des charges administratives et l’incertitude des revenus soumis aux négociations annuelles… Vous le voyez, le « compte de faits » ne fait pas rêver la profession agricole, qui s’interroge sur la place réelle et sur l’avenir que vous lui réservez.
Exposée à ces vents contraires, la ferme France s’affiche cette semaine en lettres capitales, pour proclamer la qualité des productions et l’engagement des hommes et des femmes pour des produits respectueux des exigences sanitaires et durables, pour protéger les consommateurs et notre environnement.
Croyez-vous que les agriculteurs refusent de se lancer dans des cultures intermédiaires pièges à nitrates (Cipan) et préfèrent répandre plus de nitrates, dont les coûts ont plus que triplé ?
Croyez-vous que les agriculteurs ou les industriels ont attendu les déclarations du Président de la République évoquant la fin de l’abondance au sujet de l’eau pour économiser cette ressource, alors que des entreprises comme Cristal Union, dans la Somme, utilisent l’eau même des betteraves pour leur cycle de production de sucre et ne puisent rien dans les nappes pour gagner en compétitivité et répondre aux exigences environnementales ?
M. Laurent Somon. L’agriculture est soumise à la nature et au temps.
Monsieur le ministre, faites-vous, résigné, le choix de son déclin ou celui d’une agriculture vitrifiée et d’importation, voire in vitro ?
La ferme France a besoin de connaître le cap pour adapter son évolution, dépendante de la recherche technique et génétique, ainsi que les moyens alloués et le pas de temps nécessaire.
Ce temps politique, c’est maintenant, monsieur le ministre ! Quelle est votre ambition ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Annick Jacquemet et Françoise Férat, ainsi que M. Pierre Louault applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur Laurent Somon, je partage votre constat selon lequel les agriculteurs ne nous ont pas attendus pour identifier des solutions.
Vous citez l’entreprise Cristal Union et l’usine de betteraves, capable de recycler l’eau en totalité. Figurez-vous que je me suis rendu sur place pour constater, avec les responsables de ladite usine, qu’ils avaient mis, dans le bon sens du terme, la charrue avant les bœufs, en réduisant fortement leur consommation énergétique et en réduisant considérablement leur consommation d’eau. C’est donc possible !
En tant que représentants de l’État, nous devons être capables, d’abord, de colliger ces bonnes pratiques, de les enregistrer, de les reconnaître et de les soutenir, mais aussi de les faire essaimer dans l’ensemble des entreprises du secteur agricole et sur l’ensemble du territoire national.
Voilà ce que nous appelons restaurer la compétitivité de la ferme France. Il faut aussi partir de ce qui fonctionne sur le terrain et de l’exemple que nous montrent celles et ceux qui aiment profondément la terre, qui aiment la cultiver et nourrir les Français. Telle est véritablement notre ambition.
Un rapport du Sénat a montré que, depuis 1990, la compétitivité de la ferme France s’était progressivement effritée. C’est la raison pour laquelle nous tenons fermement à identifier des solutions.
Depuis 2017, des choses ont été faites. Nous avons mis par exemple le revenu agricole au cœur de notre politique, au travers notamment de la loi dite Égalim 2 (loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs). Vous l’avez votée, mesdames, messieurs les sénateurs, et je vous en remercie !
Cette loi vise à ce que le juste prix ne soit plus seulement le prix bas, mais tout simplement celui qui permet à nos agriculteurs de vivre. Il s’agit d’une véritable rupture avec la loi de modernisation de l’économie de 2008, dite LME.
Vous aurez par ailleurs prochainement l’occasion d’assurer la prolongation du SRP+10, qui est un des leviers du dispositif Égalim.
Nous avons également engagé des transitions ambitieuses dans le cadre, par exemple, du Varenne de l’eau. Il est important de regrouper les parties prenantes et de discuter ensemble pour identifier les bonnes solutions. Je pense encore à la réforme de l’assurance récolte ou au travail mené sur la réutilisation des eaux usées.
Les agriculteurs, qui sont bien souvent les premières victimes, le savent parfaitement : l’adaptation au changement climatique et la souveraineté alimentaire sont un seul et même combat.
Voilà ce que nous appelons la logique de planification écologique, qui rejoint la logique de planification agricole. Ce projet est porté à bras-le-corps par le ministre en charge de l’agriculture et, évidemment, par la Première ministre. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, pour la réplique.
M. Laurent Somon. Monsieur le ministre, en vingt ans, la France a vu son industrie décliner. Nous importons désormais voitures, médicaments, jusqu’à notre électricité.
Demain, si vous ne remettez pas en cause vos choix, nous perdrons nos agriculteurs, les vocations et notre souveraineté alimentaire.
Nous avons laissé notre industrie décliner, n’en faisons pas de même avec notre agriculture !
Redonnez confiance à nos agriculteurs, que nous n’ayons pas à répéter au président ce que Fénelon écrivait en 1694 à Louis XIV : « La France entière n’est plus qu’un grand hôpital désolé et sans provision. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
situation du monde agricole (ii)
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le ministre, hier puissance agricole et deuxième exportatrice mondiale de produits agroalimentaires, la France est passée au cinquième rang en vingt ans.
Ses importations ont suivi le sens inverse et représentent aujourd’hui près de la moitié des produits consommés par les Français chaque jour.
Nous ne sommes plus le grenier de l’Europe : nous sommes déficitaires en matière alimentaire depuis 2015, le nombre d’exploitations – tout comme les cheptels – ne cesse de diminuer et l’on observe un taux inquiétant de déconversion dans l’agriculture biologique.
Après cinq ans et demi d’action gouvernementale, la situation des agriculteurs ne s’est pas améliorée, loin de là.
Le taux de suicide chez les exploitants agricoles est le plus élevé de toutes les catégories socioprofessionnelles. La transmission des exploitations reste un problème majeur : en vingt-cinq ans, le prix des terres agricoles aura doublé et, dans dix ans, 50 % des chefs d’exploitation seront en droit de partir à la retraite.
La profonde crise des vocations s’explique avant tout par l’absence d’un revenu décent et par le coût de plus en plus élevé du foncier agricole.
La proposition de loi pour lutter contre l’accaparement du foncier agricole déposée par votre majorité avant l’élection présidentielle de 2022, n’a en rien répondu au problème de concentration du foncier et des outils de production. À l’heure actuelle, l’État démontre un manque total d’ambition. Or les crises se succèdent et se multiplieront très rapidement.
L’été 2022 a montré à quel point notre agriculture était fragile et la France est déjà, depuis un mois, en situation de sécheresse.
Le véritable modèle agricole français que nous voulons défendre doit être pérenne, familial, respectueux des humains, des animaux et des sols et c’est celui qu’il faut préserver à tout prix.
Nos territoires comme nos citoyens ont besoin de la polyculture-élevage, de la multiplication des circuits courts, de relocalisations avec des chaînes d’approvisionnement alimentaire sûres, non soumises aux aléas climatiques et géopolitiques.
Préserver notre souveraineté et notre sécurité alimentaire est un gage d’indépendance et de survie. À cet égard, les intentions de l’État quant à la ratification des accords entre l’Union européenne et le Mercosur, du Ceta (accord économique et commercial global) et de l’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande – autant de portes ouvertes à une concurrence déloyale – ne sont toujours pas claires.
Monsieur le ministre, nous avons besoin d’une trajectoire d’adaptation précise et cohérente face à tous ces enjeux. Le temps presse ! Quand proposerez-vous une véritable politique agricole ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes GEST et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Christian Redon-Sarrazy, on ne peut que partager votre constat : vous avez raison de rappeler que, d’ici une dizaine d’années, près de la moitié des agriculteurs sera partie à la retraite et que nous devons absolument entrer dans une logique de renouvellement des générations.
Vous avez raison également de souligner qu’il faut profiter de ce renouvellement des générations – cela avait été le cas, d’ailleurs, dans les années 1960, lorsqu’un grand renouvellement générationnel avait eu lieu dans le monde agricole et qu’une planification avait été mise en place – pour accompagner les transitions.
Cela signifie répondre à la demande des jeunes agriculteurs, qui sont des gens qui aiment la terre, qui aiment cultiver, qui veulent être propriétaires de leurs moyens de production et qui veulent vivre décemment de leur travail. Ainsi, la question du revenu est une question qui compte. Elle n’est pas unique, mais elle est centrale.
Avec les lois Égalim 1 et 2, nous avons mis fin à la spirale déflationniste et à la destruction de valeur pour nos agriculteurs. Ces lois sont récentes ; nous devons travailler à leur pleine application.
Au-delà, nous devons surtout assumer collectivement un discours clair : nous voulons une alimentation saine, sûre, durable, respectueuse de l’environnement et de la biodiversité. Oui, monsieur le sénateur, cela a un prix !
Nous voulons garder un outil de production agricole en France, ne pas dépendre des produits importés, qui ne respectent pas les mêmes standards. C’est ce qu’on appelle la souveraineté alimentaire française. Oui, monsieur le sénateur, cela a un prix !
La logique de la réciprocité des normes, que nous avons ancrée dans le débat européen depuis la présidence française du Conseil de l’Union européenne, est identique.
Le revenu agricole suppose aussi une retraite digne. En la matière, des avancées ont été faites et je salue notamment les lois Chassaigne 1 (loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer) et Chassaigne 2 (loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles), mais aussi la loi Dive (loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses), que le Sénat vient d’adopter et qui prévoit que le Gouvernement travaille aux conditions d’une pension calculée sur les vingt-cinq meilleures années à partir de 2026.
Avec la réforme des retraites dont vous vous saisissez à présent, nous revaloriserons concrètement 350 000 retraites, en les améliorant de 100 euros supplémentaires en moyenne pour une carrière complète.
Enfin, monsieur le sénateur, l’avenir de l’agriculture, c’est assumer et accélérer les transitions. Vous l’avez dit, je partage votre point de vue et je n’insiste pas. (M. François Patriat applaudit.)
lutte contre la sécheresse
M. le président. La parole est à M. Jean Sol, pour le groupe Les Républicains.
M. Jean Sol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec le réchauffement climatique, la question de l’eau est de plus en plus préoccupante. L’été 2022, marqué par une sécheresse record et généralisée, en atteste.
L’eau est indispensable à une multitude d’activités, comme elle est indispensable aux grands équilibres des milieux naturels.
Notre pays s’est doté d’une législation qui vise un équilibre entre les différents usages de l’eau. Il s’agit de répondre à nos besoins tout en préservant la ressource, au travers d’une série d’outils.
L’un de ces outils est le « débit réservé ». Pour préserver la faune et la flore aquatiques, la loi interdit de prélever de l’eau dans un cours d’eau si cela conduit à réduire son débit en dessous d’un certain seuil. Si le principe est vertueux, j’appelle votre attention sur ses difficultés d’application et sur les dérives auxquelles nous assistons.
Saisi par des associations de protection de l’environnement, le juge administratif est amené à fixer les débits réservés bien au-dessus de ceux qui ont été décidés par les préfectures.
Dans les Pyrénées-Orientales, des prises d’eau sur le fleuve côtier la Têt, qui servent à alimenter des canaux d’irrigation ancestraux faisant vivre une agriculture maraîchère familiale, sont ainsi condamnées à être inopérantes et donc fermées par décision du juge, ce dernier ayant estimé que les calculs des services de la préfecture, pourtant très compétents, étaient erronés.
Se fondant sur d’anciennes études de volumes prélevables, par ailleurs contestées, le juge fait ainsi une application maximale des textes, en s’écartant de l’objectif d’équilibre entre les différents usages de l’eau, au risque de condamner les activités maraîchères locales et de faire disparaître le système des canaux, qui contribue pourtant à la biodiversité locale.
Ailleurs, à Sallanches, en Haute-Savoie, cette même interprétation maximaliste du débit réservé pourrait conduire à la destruction d’une centrale hydroélectrique neuve.
Madame la ministre, ma question est simple : envisagez-vous de modifier les modalités d’appréciation du débit réservé pour éviter de décimer les agriculteurs en les empêchant d’accéder à l’eau ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Sol, je vous prie de nouveau d’excuser l’absence de Christophe Béchu.
Nous partageons votre diagnostic : l’année 2022 a déjà été marquée par une sécheresse prolongée, intense et étendue. Ainsi, quatre-vingt-treize départements ont été contraints d’adopter des mesures de restriction d’eau et soixante-quinze ont subi des situations de crise.
Les perspectives pour 2023 sont donc suivies avec attention. D’ores et déjà, cinq départements font l’objet de restrictions.
En raison de la sécheresse de l’année dernière et du déficit de précipitations que nous connaissons actuellement, le niveau des nappes est globalement dégradé par rapport à l’année 2022 et nous accusons deux mois de retard sur le niveau de recharge.
Le niveau de précipitations des mois à venir sera crucial pour déterminer la situation de l’été prochain.
Notre rôle est bien sûr d’anticiper la situation et d’encourager, encore et toujours, la sobriété des usages. Christophe Béchu et moi-même sommes pleinement mobilisés et poursuivons ce travail absolument nécessaire.
Dès le mois de décembre dernier – je l’ai dit à Mme la sénatrice Carrère –, les préfets ont été chargés d’identifier les collectivités fragiles en matière d’alimentation en eau potable, pour les accompagner prioritairement.
En 2023, les agences de l’eau pourront mobiliser 100 millions d’euros d’aides supplémentaires en faveur des projets de résilience territoriaux.
Les préfets coordonnateurs de bassin ont également été réunis le 27 février dernier pour planifier des solutions liées au problème de raréfaction de l’eau. Leur prochaine réunion aura lieu le 6 mars 2023 et un plan sur l’eau sera présenté dans les prochaines semaines, dans le cadre de la planification écologique portée par la Première ministre.
Monsieur le sénateur, nous nous engageons à travailler sur les points que vous avez soulevés dans votre question. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean Sol, pour la réplique.
M. Jean Sol. Madame la ministre, les acteurs de terrain de la politique de l’eau ne peuvent plus se contenter de réponses dilatoires.
Il y a urgence à modifier les textes sur l’eau pour prendre en compte les besoins légitimes de nos territoires. À défaut, les prochaines saisons s’annoncent explosives.
Je vous invite aussi à vous emparer du récent rapport de la délégation sénatoriale à la prospective, si vous voulez éviter une « panne sèche » généralisée. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
retenues collinaires contre la sécheresse
M. le président. La parole est à M. Alain Duffourg, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Alain Duffourg. Monsieur le président, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adressait à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. En son absence, Mme Dominique Faure me répondra certainement.
Nous avons connu, en 2022 et au début de 2023, une sécheresse importante.
Interrogé à ce sujet lors de sa visite au salon de l’agriculture, le Président de la République a répondu qu’il fallait prendre des arrêtés préfectoraux de restriction, mais également proposer, dans le cadre d’infrastructures, le développement et la mise en place de retenues collinaires.
J’ai déposé à ce sujet une proposition de loi visant à soumettre à déclaration les retenues collinaires de moins de 150 000 mètres cubes. Cette expérience n’étant pas contraire aux règles de l’écologie, ma question vise à savoir, madame la ministre, si vous la soutiendrez.
Je présume que les territoires n’ont pas attendu le salon de l’agriculture pour vous poser cette question tout à fait pertinente.
En effet, les agriculteurs, les éleveurs et les vignerons de ce pays attendent de votre part une réponse particulièrement précise et efficace, de nature à les rassurer définitivement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Duffourg, je passerai brièvement sur les réponses que j’ai déjà apportées quant au diagnostic que vous posez sur les sécheresses estivales : elles nécessitent toute l’anticipation que je viens de décrire.
S’agissant des retenues collinaires, nous ne faisons preuve d’aucun dogmatisme : il faut les apprécier au cas par cas.
Tout projet respectant les critères exigeants que nous fixons pourra être validé. Lorsque les expertises techniques les jugent soutenables pour les milieux naturels, lorsqu’ils s’inscrivent dans un projet territorial largement concerté et lorsqu’ils participent d’un meilleur partage de la ressource, les stockages hivernaux font partie du panel de solutions à mobiliser.
Ils ne sauraient, en revanche, être la seule solution et dans nombre de territoires, le stockage hivernal est techniquement impossible.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que dans le contexte actuel particulièrement tendu, nous serons très vigilants sur le taux de remplissage de ces ouvrages. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Alain Duffourg, pour la réplique.
M. Alain Duffourg. Madame la ministre, nous serons vigilants, tout comme le seront les agriculteurs, quant à la mise en place de ce dispositif.
Aujourd’hui, il faut être non pas dans l’incantation, mais dans l’action. Les Français attendent, d’une manière générale, des résultats tangibles et vérifiables. Voilà la réalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
réserves de gaz en lorraine
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour le groupe Les Républicains.
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, madame la ministre de la transition énergétique, mes chers collègues, la crise actuelle a mis en évidence la dépendance de la France, tant financière que quantitative, sur le plan énergétique.
Il me semble indispensable de consolider à la fois nos filières de production énergétique et de développement durable, sans y sacrifier notre indépendance.
Aujourd’hui, la Moselle nous en fournit les moyens et je vous ai écrit à ce sujet voilà déjà plusieurs mois. Trois forages de recherche ont en effet permis d’identifier un immense volume de gaz, certifié 2P.
Le gisement de gaz lorrain représente au total un volume de 190 milliards de mètres cubes de gaz, soit environ cinq années de consommation de gaz pour la France.
D’un point de vue technique, son exploitation présente, à la différence notable du gaz de schiste, l’avantage décisif de ne pas recourir aux techniques de fracturation hydraulique ou à d’autres procédés polluants. Ainsi, l’utilisation de ce gisement diviserait par dix l’empreinte carbone de la fourniture de gaz actuelle.
Aujourd’hui, une entreprise française se tient prête à assurer l’exploitation de ce gaz, à investir près de 20 millions d’euros et à créer de nouveaux emplois pour ce faire. Il serait même possible, après extraction du gaz, de réaliser des enfouissements de CO2 dans le sous-sol ainsi libéré.
Le temps de l’action est donc venu. Il est suspendu à l’accord du Gouvernement concernant l’attribution d’une concession d’exploitation à l’entreprise, qui se fait attendre depuis maintenant trois ans.
Cet accord renforcerait notre souveraineté énergétique au regard de nos relations extérieures avec d’autres pays et d’un contexte global imprévisible. Il contribuerait à stabiliser notre situation économique, marquée par une hausse du prix du gaz et du coût supporté par les entreprises et les ménages. Il traduirait enfin notre engagement sur le plan écologique et environnemental.
Si vous partagez ces objectifs, madame la ministre, l’exploitation du gaz lorrain peut-elle compter sur votre soutien ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition énergétique.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Madame la sénatrice Belrhiti, la politique énergétique que je mène au nom du Gouvernement vise à sortir notre pays de sa dépendance aux énergies fossiles – celles-ci pèsent encore pour deux tiers dans notre consommation énergétique finale.
Notre stratégie repose sur trois piliers.
D’abord, la sobriété et l’efficacité énergétique. Nous devrons réduire notre consommation de 40 % d’ici à 2050, si nous voulons tenir notre objectif de neutralité carbone. C’est tout le sens du plan de sobriété que j’ai présenté avec la Première ministre en octobre dernier et qui a permis de réduire notre consommation d’énergie de 10 % cet hiver – nous avons fait en trois mois ce que nous n’avions pas réussi à faire en trente ans !
Ensuite, la production massive d’énergies renouvelables. C’est tout l’objet du projet de loi qui a été largement adopté sur ces travées au mois de février.
Enfin, la relance – historique – de notre filière nucléaire. Là encore, vous avez adopté un projet de loi ad hoc qui est en cours d’examen à l’Assemblée nationale.
Dans cette stratégie, madame la sénatrice, nous devons mobiliser toutes les ressources de production disponibles sur notre territoire, en privilégiant les moins carbonées.
C’est dans ce contexte que les services de l’État instruisent le projet d’exploitation de gaz de couche en Lorraine de la société Française de l’énergie, sur lequel vous m’interrogez.
Ce projet vise à extraire du méthane contenu dans les veines de charbon ; il a fait l’objet d’une enquête publique qui a mobilisé la population avec plus de cinq cents observations déposées, en majorité défavorables au projet. Les associations environnementales locales se sont également exprimées contre ce projet.
Il ne faut pas mettre sur le même plan le gaz de couche et le gaz de mine qui, lui, s’échappe de manière fatale dans l’atmosphère – il est donc important de le valoriser – et je suis particulièrement vigilante sur les projets d’exploitation de gaz de couche qui consistent à investir dans une énergie fossile.
L’instruction du projet que vous évoquez est en cours de finalisation conformément au code minier et je serai amenée à me prononcer dessus d’ici quelques semaines. (M. François Patriat applaudit.)
M. Bruno Retailleau. Et on importe du gaz de schiste !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.
Mme Catherine Belrhiti. L’enquête publique que vous mentionnez, madame la ministre, a été réalisée avant la crise actuelle et je pense qu’aujourd’hui la population préférerait certainement qu’on exploite le gaz mosellan plutôt qu’on importe du gaz de schiste des États-Unis ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
abus de l’intérim médical
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Annie Le Houerou. Monsieur le ministre, malgré le Ségur de la santé et ses promesses d’attractivité pour l’hôpital public, ce dernier continue de faire face à un absentéisme important et à de nombreux postes vacants.
Si l’intérim médical est nécessaire pour répondre aux difficultés temporaires de recrutement, l’usage abusif qui en est fait conduit – je vous cite – à un « intérim cannibale qui rémunère injustement le nomadisme professionnel et détruit la cohésion des équipes ».
Certains professionnels sont devenus de véritables mercenaires de la santé : ils font monter les enchères du marché de l’intérim à 2 000 euros par jour, voire 3 000 euros dans certaines périodes tendues.
En comparaison, un jeune praticien à l’hôpital perçoit un salaire mensuel d’environ 4 500 euros pour un engagement sans limite auprès de ses patients.
Pour répondre à cette injustice, loi Rist de 2021 (loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification) a encadré les tarifs de l’intérim médical avec un plafond fixé par décret à 1 170 euros brut pour une mission de vingt-quatre heures. L’application de cette mesure, prévue pour octobre 2021, a été décalée afin de prévenir les dysfonctionnements.
À un mois de la nouvelle échéance, fixée au 1er avril, nous sommes alertés par les praticiens hospitaliers, notamment dans les services d’urgence, qui peinent à boucler les plannings faute d’intérimaires acceptant les nouveaux tarifs.
Avez-vous envisagé, pour éviter des fermetures de lits ou de services d’urgences, la réquisition de ceux qui profitent du système au mépris du serment d’Hippocrate ?
Quelles mesures avez-vous prises pour éviter un nouveau recul dans le respect du temps de travail des praticiens hospitaliers titulaires et des patients, qui ne doivent pas être les victimes collatérales de cette guerre de tranchées entre le ministère et ces mercenaires ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la prévention.
M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice Le Houerou, la régulation de l’intérim médical est une constante préoccupation du législateur depuis au moins deux mandatures.
Je sais que votre assemblée surveille de près l’application des lois et je me suis engagé à ce que les décrets d’application de l’article portant sur l’intérim médical de la loi Rist de 2021 – vous en avez parlé – entrent en vigueur dès le début du mois d’avril.
Naturellement, cela ne vise pas l’intérim médical de manière générale, mais bien ses dérives, qui sont – fort heureusement – minoritaires. C’est d’abord une question d’éthique !
Il faut rappeler quelques chiffres. Le coût de l’intérim médical pour les hôpitaux s’est élevé à 359 millions d’euros en 2021. Vous parliez de rémunérations allant jusqu’à 3 000 euros pour vingt-quatre heures ; sachez que cela va même jusqu’à 5 000 euros ! Pourtant, vous l’avez rappelé, le plafond actuel est de 1 170 euros.
Au-delà de l’aspect financier, ces dérives contribuent à détruire les équipes hospitalières et l’engagement des praticiens : deux médecins font le même travail, mais l’un est payé trois, quatre ou cinq fois plus que l’autre pour la même période !
Il y a plus d’un mois, j’ai demandé aux agences régionales de santé (ARS) d’animer des concertations locales, territoire par territoire, avec les préfets et les élus pour affiner les diagnostics, établissement par établissement.
Je leur ai également demandé de construire des solutions avec les professionnels de santé du territoire, mais également avec les centres hospitaliers universitaires (CHU) et les établissements sièges de groupements hospitaliers de territoire (GHT), dont c’est la responsabilité.
J’en ai enfin appelé aux acteurs du secteur privé, notamment les cliniques : ils se sont engagés envers moi à nous suivre sur la voie d’une rémunération raisonnée de ces périodes d’intérim médical.
Je suis bien sûr avec une attention très particulière l’ensemble des établissements, en particulier ceux qui connaissent des fragilités, et je peux vous assurer qu’aucun territoire ne sera laissé sans solution.
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour la réplique.
Mme Annie Le Houerou. Entendez le cri d’alarme des professionnels, monsieur le ministre !
Je crains qu’il soit impossible de mettre en œuvre le plafonnement de la rémunération de l’intérim comme vous l’envisagez. Cela démontrerait, une fois de plus, l’échec de votre politique de santé qui nécessite d’être revue de fond en comble avec les professionnels.
Je crains que le respect du nouveau tarif ne soit qu’un poisson d’avril au mépris de ceux qui s’engagent auprès des patients pour l’intérêt général et sans reconnaissance ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
production d’hydroélectricité
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition énergétique.
Alors que la France dispose du parc hydroélectrique le plus important de l’Union européenne, que ce parc produit 12 % de la production nationale d’électricité et qu’il est essentiel pour le mix énergétique, sa situation est aujourd’hui fragilisée par des années d’indécision.
Les trois cent quarante ouvrages exploités sous le régime de la concession de service public font face à l’absence de renouvellement des concessions échues, dont de nombreux ouvrages dans les vallées de la Truyère et du Lot en Aveyron.
La situation du parc hydroélectrique nécessite une action urgente et déterminée en raison des conditions de renouvellement des concessions échues, exploitées en « délais glissants », et du contexte juridique modifié par la réglementation européenne.
Alors que le projet Hercule – projet sur lequel je vous ai déjà interrogé ici même il y a deux ans et qui aura provoqué de nombreuses oppositions – prévoyait la privatisation et le démantèlement d’EDF, le Gouvernement est finalement resté dans l’expectative.
En ce sens, la Cour des comptes a adressé une véritable mise en garde au Gouvernement le 6 février dernier, en soulignant la nécessité de « sortir rapidement de cette situation afin d’éviter que la gestion d’ensemble du parc hydroélectrique ne se dégrade » plus encore.
Madame la ministre, il est urgent de vous intéresser à ce problème !
L’hydroélectricité n’a pas été abordée dans le récent projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, ni dans celui visant à accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires.
Vous pourrez toujours vous abriter derrière l’annonce d’un prochain grand texte sur le sujet, mais en attendant, les faits sont là !
Alors, madame la ministre, pouvez-vous nous dire si vous partagez le constat sévère de la Cour des comptes sur l’inaction du Gouvernement ?
Pouvez-vous nous dire si vous approuvez la solution consistant à ce que les concessions soient fondées sur un ensemble de considérations économiques et juridiques ?
Madame la ministre, dites-nous vos difficultés sur le sujet et nous pourrons vous aider, comme la Cour des comptes vient de le faire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Duffourg applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition énergétique.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Monsieur le sénateur Anglars, le Gouvernement porte une grande attention à l’énergie hydroélectrique et à son développement.
Cette énergie renouvelable et pilotable est essentielle à l’atteinte de nos objectifs climatiques, mais également à la sécurité d’approvisionnement des Français, ainsi qu’à la bonne gestion de la ressource en eau.
Aujourd’hui, la France compte plus de 2 600 installations hydroélectriques qui ont représenté près de 11 % de la production électrique française en 2022.
Le secteur hydraulique contribue aussi à l’économie locale au travers des emplois créés dans les vallées – vous avez cité celles du Lot et de la Truyère, mais on pourrait aussi parler de celles de la Dordogne ou des Pyrénées.
La Commission européenne a engagé un précontentieux vis-à-vis de la France portant notamment sur l’absence de renouvellement par mise en concurrence des concessions échues.
Comme vous l’avez évoqué, la Cour des comptes a présenté un rapport sur ce sujet le 6 février dernier. En réponse à la Cour des comptes, le Gouvernement a indiqué qu’il explorait plusieurs scénarios pour le renouvellement des concessions qui doivent satisfaire cinq objectifs clairs : relancer rapidement des projets de développement actuellement bloqués par le contentieux européen, dont des projets de stations de transfert d’énergie par pompage (Step) ; garder la pleine maîtrise de notre parc hydraulique que pourraient fragiliser des remises en concurrence ; favoriser les synergies dans les usages de l’eau ; faire en sorte que l’ensemble des bénéfices dégagés par l’exploitation des concessions bénéficie in fine à la collectivité ; enfin, disposer de contrats souples avec des possibilités de modifications assez importantes pour pouvoir adapter les concessions aux évolutions des besoins.
À court terme – peut-être cela vous a-t-il échappé ? –, le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, adopté le 7 février dernier, permettra de réaliser les investissements assurant la pérennité des ouvrages hydroélectriques dont la concession est échue.
Quelle que soit la solution retenue, le Gouvernement sera très attentif à la préservation du potentiel énergétique, technique et humain des sociétés hydroélectriques et à leur ancrage territorial. (M. François Patriat applaudit.)
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Très bien !
effets de la hausse des prix de l’énergie sur les stations de ski
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Ma question est le fruit d’une concertation transpartisane et je la pose au nom des sénateurs membres du groupe d’études Développement économique de la montagne, que j’ai l’honneur de présider.
Nous sommes tous vivement inquiets par la situation économique des stations de ski, particulièrement pour les plus petites, qui se trouvent aujourd’hui dans une situation intenable d’asphyxie financière du fait de la hausse des coûts de l’énergie.
L’ensemble des activités économiques et industrielles sont bien évidemment touchées, mais certaines sont plus pénalisées que d’autres, ce qui nécessite un accompagnement complémentaire de la part de l’État.
C’est le cas des domaines skiables, qui subissent actuellement une double peine.
Tout d’abord, ils font l’objet, de par leur activité, d’une discrimination tarifaire au regard du mode d’attribution de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) : les textes prévoient que le bénéfice de l’Arenh est calculé sur la période d’avril à octobre, alors que les plus gros pics de consommation des domaines skiables ont essentiellement lieu durant la période hivernale.
De plus, malgré la mise en œuvre d’aides appréciées et attendues par les acteurs économiques de la montagne, le dispositif d’écrêtement de l’Arenh vient sensiblement réduire l’effet attendu d’amortisseur des prix, ce qui fragilise les structures, notamment les plus petites comme les régies de remontées mécaniques.
Plus de 40 % des domaines skiables français ont récemment dû renégocier leur contrat d’électricité avec des prix pouvant être multipliés par dix et des pénalités exorbitantes en cas de rupture anticipée.
De nombreux petits domaines se trouvent donc, aujourd’hui, au bord de la faillite et pourraient déposer le bilan, si le Gouvernement n’agit pas.
Pour les collectivités supports de stations qui seraient défaillantes, la prochaine étape laisse peu de doute : la mise sous tutelle par la chambre régionale des comptes, ce qui serait dramatique pour tout l’écosystème montagnard.
Madame la ministre, j’avais alerté le ministre Bruno Le Maire au mois d’août du risque qui pesait sur les stations. Il y a maintenant urgence ! Comment peuvent-elles absorber une hausse des coûts de l’énergie qui passent de 3 % à 20 % du chiffre d’affaires ?
J’ai donc plusieurs questions. Comment comptez-vous adapter les dispositifs d’aides pour que l’écrêtement ne vienne plus annuler le bénéfice des aides, notamment pour les régies de remontées mécaniques ? Comment comptez-vous prendre en compte les spécificités des domaines skiables pour la future réforme de l’Arenh ? Qu’en est-il de la possibilité de renégocier les contrats maintenant que les prix se stabilisent ? Des annonces ont été faites il y a quelques semaines : qu’en est-il aujourd’hui ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur, votre question porte sur les effets de la hausse des prix de l’énergie sur les stations de ski.
Vous le savez, le Gouvernement a mis en place, assez tôt, plusieurs dispositifs d’aides et nous continuerons de les déployer. Les sénateurs et les députés élus de la montagne ont d’ailleurs eu des échanges avec Bruno Le Maire et moi-même.
Les régies sont pleinement intégrées dans ce dispositif : il est bien prévu – cela va mieux, en le répétant – que les régies qui ont une taille équivalente à celle d’une PME au sens européen, c’est-à-dire jusqu’à 250 salariés, sont couvertes par l’amortisseur électricité soit parce qu’elles ont une personnalité morale, soit parce qu’elles sont rattachées à une collectivité territoriale elle-même bénéficiaire du dispositif.
Il ne vous a pas échappé, monsieur le sénateur, que j’ai l’honneur d’être à la fois en charge des PME et du tourisme. Je suis proche des élus de la montagne et des acteurs économiques de ce secteur – je me suis rendue récemment au salon de la montagne.
Je veille avec beaucoup d’attention à ce que l’ensemble des régies soient accompagnées et, je vous le dis comme je l’ai dit à l’ensemble des élus de la montagne, si vous avez des exemples spécifiques de régie qui n’entreraient pas dans la grille que je viens d’évoquer, n’hésitez pas à me saisir. Au moment où je vous parle, je n’ai pas eu de remontée (Sourires.) particulière concernant ce sujet, même s’il n’est pas exclu que cela puisse arriver demain.
Pour conclure, malgré le tableau un peu noir que vous avez dressé, monsieur le sénateur, je tiens quand même à dire qu’il ne faudrait pas oublier les fantastiques résultats du secteur de la montagne. Les chiffres sont sortis hier : 42 % de nos compatriotes ont l’intention d’aller au ski au cours de l’hiver 2023 ; en janvier 2023, le taux d’occupation est en hausse de 17 % par rapport à janvier 2022 ; pour février, le taux de réservation est en hausse de quasiment 12 % par rapport à la même période il y a un an. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.)
Les perspectives sont belles, le Gouvernement répond présent et, pour ma part, je reste à votre disposition si vous souhaitez évoquer des sujets spécifiques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 8 mars, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à ouvrir le tiers-financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires européennes a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
5
Candidatures à une commission d’enquête
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des dix-neuf membres de la commission d’enquête sur l’utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d’influence.
En application de l’article 8 ter, alinéa 5, de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
6
Conséquences de l’inflation sur le pouvoir d’achat des français
Débat d’actualité
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat d’actualité dont le thème, sur la proposition du président du Sénat après concertation avec les groupes, est le suivant : « Les conséquences de l’inflation sur le pouvoir d’achat des Français. »
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.
Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis janvier 2021, les Français font face à une hausse des prix généralisée et inédite depuis quarante ans.
Elle est principalement due aux restrictions d’activités de la période covid et à de fortes dépendances en matières premières et produits manufacturés en provenance de pays étrangers. En vérité, la guerre en Ukraine n’a fait que renforcer un phénomène d’inflation déjà bien installé.
Les Français ont désormais une certitude : l’affaiblissement de l’État stratège et souverain voulu par votre gouvernement nous conduit à l’appauvrissement actuel.
Selon l’Insee, l’inflation accélère à 6,2 % en février sur les douze derniers mois, avec +14,5 % dans l’alimentation et +14 % pour l’énergie. De plus en plus de stations-service affichent le prix des carburants, quel qu’il soit, à plus de 2 euros le litre.
Aujourd’hui, un kilo de pommes noisettes surgelées coûte 2,19 euros ; en février 2022, il coûtait 1,05 euro, soit une augmentation de 108 %. Le prix de la crème fraîche fouettée a augmenté de 40 % en rayon. En février 2022, 210 grammes d’emmental râpé coûtaient 1,65 euro, on atteint 2,19 euros aujourd’hui, soit une hausse de 33 %.
Le chariot de courses des classes populaires est de plus en plus réduit. La demande aux Restos du cœur a augmenté de 12 % cette année. Les banques alimentaires révèlent aider 2,4 millions de personnes, soit trois fois plus qu’en 2011.
Dans la sixième puissance économique du monde qu’est la France, des millions de personnes ne mangent plus à leur faim, ne se chauffent plus, ne se soignent plus.
C’est le grand effondrement des classes populaires, qu’une fiscalité toujours très importante accompagne d’un affaissement de la classe moyenne française. La fiscalité est un véritable sujet pour le pouvoir d’achat des Français, quand on sait que 60 % du prix de l’essence est constitué de taxes qui alimentent les caisses percées de l’État.
L’urgence est de nous remettre à produire en France pour permettre la création d’emplois et donc de salaires. Nous avons besoin d’une fiscalité saine pour in fine retrouver la croissance.
Même après avoir éteint la lumière de leur domicile, baissé, voire coupé le chauffage, sacrifié le renouvellement de leur garde-robe et une partie du contenu de leur réfrigérateur, les ménages, les retraités, les étudiants ne voient toujours pas le bout du tunnel inflationniste.
Vos annonces et prévisions se sont toutes révélées fausses. Le ministre de l’économie avait promis l’effondrement à venir de l’économie russe à la suite des sanctions du printemps 2022. Résultat : en 2023, le FMI (Fonds monétaire international) révèle la très bonne santé économique de la Russie pendant que la nôtre prend l’eau de toutes parts.
M. Véran, véritable boussole qui indique le sud, annonçait au mois d’août dernier que nous avions atteint le pic de l’inflation, alors que les prix n’ont cessé d’augmenter depuis.
Madame la ministre, qu’attendez-vous donc pour sortir du marché européen de l’électricité et de l’Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique), renucléariser, relocaliser, baisser la fiscalité et les cotisations patronales sur les salaires ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (M. Jean-Yves Roux applaudit.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à entendre les préoccupations de nos concitoyens dans les territoires ou celles des professionnels présents en ce moment au salon de l’agriculture, ce débat sur les conséquences de l’inflation est peut-être encore plus d’actualité que celui des retraites.
Le retour d’une forte hausse des prix pour la consommation courante – produits alimentaires et d’entretien, matériaux divers d’équipement et de construction, etc. – comme pour l’énergie est un tournant majeur de l’après-covid.
Si le choc de la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie ont eu un effet indéniable sur les prix de l’énergie, la remontée des prix avait en réalité commencé dès 2021 dans la foulée des premiers déconfinements.
Elle s’explique en particulier par l’augmentation du coût des matières premières et des transports, notamment du fret maritime. Avec des marchandises en grande partie importées, souvent de pays hors d’Europe, nous commençons peut-être à payer la facture de la désindustrialisation et de la perte de souveraineté économique.
Le débat sur le niveau réel de l’inflation n’est pas nouveau. On observe souvent un décalage entre l’indice synthétique des prix à la consommation tel qu’il est mesuré par l’Insee et l’inflation observée ou ressentie par le consommateur, qui dépend de son niveau de revenu, de son lieu de résidence, de ses préférences et de ses contraintes personnelles.
Par ailleurs, l’indice des prix à la consommation ne donne pas une mesure complète du coût de la vie. D’autres données pèsent lourdement sur le budget des ménages, comme le prix des logements que les statisticiens intègrent dans un indice pondéré des loyers. De façon générale, les prix des actifs, mobiliers ou immobiliers, ont beaucoup augmenté ces dernières années. L’injection massive de liquidités par les banques centrales dans l’économie a entraîné une forte inflation des valeurs mobilières sur longue période, mais elle n’avait pas eu d’impact sur les prix à la consommation.
Le taux d’inflation courante était, quant à lui, resté faible, voire nul, pendant des décennies. À peine atteignait-il l’objectif de 2 % fixé par la Banque centrale européenne. L’inflation est longtemps restée soit un souvenir remontant aux années 1970-1980, soit le fait de pays en développement comme la Turquie, l’Iran, le Venezuela ou l’Argentine. Aujourd’hui, elle touche de nouveau l’ensemble des pays développés, à l’exception, peut-être, de quelques pays comme le Japon.
Les conséquences de cette inflation sont à la fois massives et inégales : une baisse du pouvoir d’achat des ménages et une érosion de l’épargne, dont les effets dépendent beaucoup de la part de chaque poste de dépenses dans le budget individuel.
Inversement, l’inflation peut aussi réduire le coût des dettes : pensons aux années 1970 durant lesquelles l’inflation – une drogue douce, disait-on à l’époque – profitait aux emprunteurs et défavorisait les épargnants.
Dans tous les cas, elle modifie en profondeur les anticipations des agents économiques et rend les prévisions plus aléatoires. Le pire des scénarios serait la poursuite d’une forte inflation avec une croissance économique faible ou nulle : le retour de la stagflation.
Face à la complexité des calculs d’inflation et de pouvoir d’achat, des indices alternatifs, plus parlants, ont été élaborés : d’abord l’indice Big Mac aux États-Unis ; ensuite, un indice jambon-beurre, plus français… Un économiste allemand a, quant à lui, construit un indice de l’inflation perçue, qui intègre des paramètres plus individuels et subjectifs.
Dernièrement, l’agence Bloomberg a créé un indice coq au vin, qui intègre le prix des ingrédients nécessaires à la préparation de ce plat traditionnel. Sur un an, il aurait augmenté non pas de 6 % comme l’indice synthétique des prix, mais de près de 15 %.
Si les prix de l’ensemble des produits de consommation semblent maintenant se stabiliser, ceux des produits alimentaires ont fortement augmenté depuis l’été 2022. C’est dans ce contexte tendu que devaient aboutir au plus tard aujourd’hui les négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs de produits de grande consommation, à propos desquelles le Sénat a adopté une importante proposition de loi il y a deux semaines.
Face à ce défi de l’inflation, le Gouvernement prévoit-il des mesures supplémentaires en faveur du pouvoir d’achat, en plus des nombreuses initiatives qu’il a déjà prises depuis un an et demi et qui connaissent des fortunes diverses, même si elles contribuent, plus qu’ailleurs, à atténuer les effets de l’inflation sur les ménages ?
Dans son panier anti-inflation, le Gouvernement envisage-t-il de mettre à contribution les entreprises, en particulier celles qui ont largement bénéficié d’aides publiques ces dernières années ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Vanina Paoli-Gagin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur, je vous rejoins largement sur le constat, en particulier sur la nécessaire distinction entre l’inflation macroéconomique mesurée par l’Insee et l’inflation ressentie. C’est cette dernière qui est la plus importante à suivre et qui doit être notre boussole.
L’inflation est réelle – elle s’élève à 6,2 % sur un an – et le Gouvernement ne le nie pas. La poussée inflationniste est particulièrement élevée sur les produits alimentaires : 14,5 % en février, après 13 % en janvier.
L’inflation demeure donc soutenue, mais l’Insee a également conclu que la croissance a été positive au quatrième trimestre de 2022. Ainsi, grâce aux mesures prises par le Gouvernement, le pouvoir d’achat de nos concitoyens ne s’est pas effondré au quatrième trimestre.
Cela s’explique notamment par le prolongement du mouvement de baisse des prélèvements obligatoires – suppression de la contribution à l’audiovisuel public et aboutissement du processus de suppression de la taxe d’habitation –, mais aussi par notre politique très volontariste en matière d’emploi.
Je veux aussi citer le versement particulièrement élevé, dixit l’Insee, de primes de partage de la valeur : plus de 1 milliard d’euros, pour aller vite, ont été ainsi versés à un million de salariés, soit une moyenne de 1 000 euros par salarié.
Finalement, malgré une inflation soutenue, le pouvoir d’achat s’est maintenu. Le Gouvernement a beaucoup fait pour cela et nous continuerons de faire en sorte que les efforts soient partagés – nous le savons, les Français en fournissent déjà beaucoup.
Je réponds donc à votre question, monsieur le sénateur : le Président de la République, la Première ministre, Bruno Le Maire et moi-même demandons aux distributeurs de contribuer à ces efforts, en limitant le plus possible l’inflation alimentaire par une action sur leurs propres marges plutôt que sur celles des producteurs. Vous le savez, les négociations se poursuivent à ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Serge Babary. (M. André Reichardt applaudit.)
M. Serge Babary. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la guerre en Ukraine, depuis le 24 février 2022, et ses conséquences sur les prix des matières premières ont servi de catalyseur à de profonds bouleversements économiques.
Le premier d’entre eux est le retour de l’inflation qui avait pratiquement disparu depuis plus de vingt ans.
La crise de la covid-19, puis l’apparition de nombreux goulets d’étranglement au niveau des chaînes de production avaient déjà entamé les vertus d’un commerce mondial libéral, fonctionnant en grande partie sur la base d’une énergie à bas coût.
Même si certains économistes envisageaient une reprise modérée de l’inflation en 2022, le retour de cette dernière à des niveaux jamais vus depuis cinquante ans a surpris tous les spécialistes. En effet, l’affaiblissement croissant de la conjoncture mondiale, une mondialisation permettant de baisser les coûts de production, notamment en Asie, et l’abondance des matières premières énergétiques « bon marché » ont fixé durablement l’inflation sous la barre des 2 %.
La sortie de la crise sanitaire de 2020 a induit une demande soutenue de la part des ménages, désireux de pouvoir enfin consommer après des semaines de confinement. Les prix de nombreux produits ont ainsi augmenté face à une production insuffisante et désorganisée et à des difficultés de transport.
Mais c’est surtout la guerre en Europe de l’Est qui a perturbé l’acheminement de matières premières énergétiques, industrielles et alimentaires. En réponse aux sanctions occidentales, les Russes ont sensiblement réduit leurs exportations de gaz en direction des Européens, jusqu’à les arrêter.
Il en a résulté une forte hausse des cours du pétrole et, surtout, du gaz européen, qui a entraîné une flambée de l’inflation. Cette dernière a ainsi atteint plus de 10 % en zone euro, mettant sous pression le pouvoir d’achat des ménages, entraînant logiquement une baisse de la consommation. La guerre en Ukraine n’a pas provoqué l’inflation : elle l’a renforcée et accélérée.
Paradoxalement, l’inflation a dopé la croissance du chiffre d’affaires des principaux groupes français du CAC 40, qui affichent un résultat net cumulé de plus de 140 milliards d’euros. Ces résultats s’expliquent par des montées en gamme, des plans d’économies, mais aussi et surtout par le fait que la très grande majorité a pu répercuter dans ses prix la flambée des coûts.
Tel n’a pas été le cas, en revanche, des très nombreuses ETI et PME consommatrices d’énergie dans les domaines industriel, agricole et artisanal. Le cas bien concret des nombreuses fermetures de boulangeries en est le meilleur exemple.
Madame la ministre, pourquoi ne pas avoir supprimé le critère lié à la puissance installée permettant de bénéficier des tarifs réglementés de vente d’électricité – les fameux 36 kilovoltampères ?
En début de semaine, les ministres européens de l’énergie se sont retrouvés à Stockholm. Où en est la réforme du marché européen de l’énergie qui avait été annoncée pour la fin de l’année 2022 ? A-t-on enfin obtenu le découplage du prix de l’électricité et du gaz ?
M. André Reichardt. Très bien !
M. Serge Babary. Combinée à l’augmentation du prix de l’énergie, l’inflation des prix des produits de grande consommation ampute significativement le pouvoir d’achat des Français. De 5 % à l’été dernier, l’inflation des prix à la consommation sur un an s’établit aujourd’hui à 6,2 %.
À cette crise du pouvoir d’achat s’ajoute une crise sociale, voire sociétale. Selon une étude publiée ce lundi, 2,4 millions de personnes bénéficiaient de l’aide alimentaire à la fin de l’année 2022, soit trois fois plus qu’il y a dix ans. En ce début d’année, plus d’un tiers des personnes accueillies sont de nouveaux bénéficiaires.
Dès juillet 2022, notre collègue présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas, vous enjoignait de cesser cette « politique de chèques dispendieuse et éphémère », et d’engager « une politique ferme de revalorisation du travail, et notamment de défiscalisation et de socialisation des heures supplémentaires ».
L’exercice était, certes, difficile. Mais, faute d’anticipation et d’évaluation suffisante, la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, dite loi Pouvoir d’achat, n’a eu qu’un « effet pansement », moyennant un coût non négligeable pour nos finances publiques. Les prix des produits alimentaires ont bondi de 14,5 % sur un an ! La confiance des ménages est dégradée, avec un taux d’épargne qui s’établit à 16,6 % du revenu brut.
Selon France Stratégie, les conséquences de la crise varient selon le profil des ménages, les personnes âgées et éloignées des centres-villes étant particulièrement exposées.
Alors que les négociations commerciales entre les industriels et les enseignes de la grande distribution s’achèvent aujourd’hui, on nous annonce un « mars rouge ».
Hier, devant nos collègues députés, M. Bruno Le Maire a écarté cette idée et affirmé que des solutions applicables aux produits alimentaires étaient à l’étude. Plus encore, « des mesures efficaces et crédibles » devraient nous être présentées dans quelques jours…
Pourtant, la Fédération du commerce et de la distribution évoque une augmentation à venir de l’ordre de 10 %. Et, ce matin même, en plein salon de l’agriculture, la présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) accuse une partie des distributeurs de refuser de payer l’intégralité de la part des agriculteurs.
Les causes de la crise inflationniste, on l’a vu, sont multiples. Cette crise appelle une stratégie claire, des mesures ciblées, et des investissements longs. Madame la ministre, quel sera le plan du Gouvernement pour aider les Français à traverser cette nouvelle crise ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur Babary, je ne reviens pas sur les causes. Je vous remercie d’ailleurs d’avoir rappelé que le retour de la demande post-covid a contribué à booster l’inflation, avant même la guerre en Ukraine.
D’abord, j’ai à cœur de vous répondre sur le bouclier tarifaire, notamment sur votre question précise relative aux 36 kilovoltampères. Vous évoquez, dans votre conclusion, la nécessité de cibler les aides. Je connais la sensibilité de la chambre haute à la dépense publique, et je partage entièrement cette préoccupation.
Ce choix aurait entraîné deux difficultés. Nous aurions été amenés à accompagner des entreprises qui n’auraient pas forcément eu besoin de ce bouclier. Cette prise en charge aurait entraîné des dépenses publiques massives – elles se comptent en milliards d’euros – et n’aurait pas été idoine.
Par ailleurs, je ne voudrais pas que l’on oublie – c’est important – qu’installer des compteurs ne se fait pas du jour au lendemain. Ce n’est pas si facile sur le plan logistique pour les énergéticiens. Cela dit, je connais votre sérieux…
Nous avons choisi de cibler un amortisseur plus un guichet, assez facile à utiliser – impôts.gouv.fr, site sur lequel tout est disponible –, et, pour les TPE, un tarif à 280 euros le mégawattheure lissé sur l’année 2023.
Vous parlez de « pansement » en matière de soutien au pouvoir d’achat. Je veux tout de même insister sur la taille du pansement ! Le bouclier tarifaire, qui protège nos concitoyens de la hausse des prix de l’énergie, représente une dépense de 110 milliards d’euros pour l’État entre octobre 2021 et décembre 2023, soit un plan de relance de la consommation à lui tout seul ! Je ne voudrais pas non plus que l’on oublie le paquet pouvoir d’achat, avec la revalorisation des aides personnelles au logement (APL), des minima sociaux, la prime exceptionnelle de rentrée, l’adoption du chèque énergie exceptionnel, mais aussi, je l’ai dit, la prime de partage de la valeur. Je connais votre sensibilité à la situation des entreprises : 300 000 entrepreneurs de nos TPE ont versé plus de 1 milliard d’euros à 1 million de salariés pour les accompagner face à cette poussée inflationniste.
N’ayant pas assez de temps pour répondre aux autres questions, je le ferai par écrit.
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec les conséquences économiques de la pandémie, les sécheresses et le dérèglement climatique, 2021 réunissait bon nombre de conditions propices à une inflation record.
L’invasion de l’Ukraine par Poutine a encore aggravé cette situation. Les prix de l’énergie ont bondi. La crise alimentaire est devenue plus menaçante lorsque les Russes ont délibérément choisi de bloquer les exportations ukrainiennes de blé.
Nous craignions que la fin du « quoi qu’il en coûte » n’apporte son lot de faillites, et le retour de la guerre en Europe, dans des économies déjà très éprouvées par les confinements, ne présageait rien de bon.
Au cours de la difficile année 2022, les prix ont augmenté, en France, de 6,2 %. J’espère ne choquer personne en disant que ce n’est pas si mal. En effet, sur la même année, et à titre de comparaison, l’Argentine a battu son propre record, avec une inflation de 95 %. Plus proche de nous, le Royaume-Uni, avec son Global Britain, a enregistré une inflation de 11 %, devant celle des États-Unis, à 7 %. Au sein de l’Union européenne, l’inflation moyenne constatée sur 2022 a été de 10 %.
Avec une guerre à nos portes, avec la raréfaction de notre approvisionnement en gaz et l’envolée du prix des hydrocarbures, avec nombre de centrales nucléaires à l’arrêt, je crois pouvoir dire que nous ne nous en sommes pas trop mal tirés… Cela dit, quand on se compare, on se console, mais, quand on se regarde, on se désole. L’inflation frappe plus fortement les plus démunis de nos concitoyens. Ceux dont le pouvoir d’achat est fortement contraint par les dépenses obligatoires, les dépenses courantes, ceux-là sont en grande difficulté.
Les prix alimentaires ont bondi de 14,5 % : cela pèse très lourd dans le budget des ménages français.
C’est aussi le cas, comme chacun sait, des prix de l’électricité. Le prix du mégawattheure est ainsi passé de 220 euros en décembre 2021 à 700 euros au cours de l’année 2022. Il est heureusement redescendu depuis. Malgré le bouclier énergétique, la facture de nos concitoyens a néanmoins augmenté de près de 15 %.
Les prix des carburants ont également atteint des sommets, grevant l’activité de tous ceux qui travaillent, les artisans, les chauffeurs, les livreurs et, plus généralement, de tous les Français, particulièrement ceux qui vivent en milieu rural.
Face à ces augmentations, frappant plus violemment les plus vulnérables d’entre nous, la tentation est grande de recourir à l’argent public. Entre la crise de la covid-19 et les difficultés économiques que nous rencontrons actuellement, notre dette publique s’est elle aussi envolée. De 2 300 milliards d’euros en 2019, elle avoisine désormais 3 000 milliards d’euros. Avec la remontée des taux d’intérêt, cet état de fait est alarmant. Il est urgent de renverser la vapeur et de commencer à réduire notre dette publique.
Dans ce contexte, quelles solutions pour améliorer le pouvoir d’achat de nos concitoyens ? J’en vois principalement deux.
La première – je l’affirme, au risque de choquer – est la sobriété. En 2022, année de grandes tensions énergétiques, la consommation électrique de notre pays a nettement baissé par rapport à 2021, grâce, notamment, aux efforts consentis par nos entreprises et nos concitoyens. À travers nos écogestes, nous avons même réussi à diminuer notre consommation par rapport à l’année 2020, marquée par les confinements – les gens étaient beaucoup restés chez eux.
Les prix délirants de l’énergie rendent bien plus rentables les travaux d’isolation et les énergies renouvelables. La sobriété présente, en outre, l’avantage de ne pas participer à la spirale inflationniste.
La seconde solution pour le pouvoir d’achat est le travail. Les aides gouvernementales sont toujours prélevées sur nos concitoyens, que ce soit par l’impôt ou par la dette. Nous ne devons jamais l’oublier.
À cet égard, nous saluons, madame la ministre, l’effort du Gouvernement, qui, depuis 2017, s’efforce de réduire le poids des contributions sur nos entreprises et nos concitoyens. Nous souhaitons qu’il poursuive cet effort, notamment s’agissant des impôts de production.
Il nous faut favoriser les investissements dans nos territoires, tant dans les infrastructures que dans l’appareil productif. Le dérèglement climatique nous exhortait depuis longtemps à changer nos modes de production. La crise que nous traversons peut être l’accélérateur de ce changement.
Les Chinois désignent par un même mot « crise » et « opportunité ». Il y a longtemps que les Français le savent : à défaut d’avoir du pétrole, nous nous devons d’avoir des idées – et des bonnes !
M. le président. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi. (Mme Monique de Marco applaudit.)
M. Paul Toussaint Parigi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les chiffres sont historiques : les prix à la consommation ont augmenté de 6,2 % sur un an et, sur les six derniers mois, les structures alimentaires partenaires du réseau des banques alimentaires ont accueilli un tiers de personnes en plus.
La hausse des prix creuse dramatiquement l’écart entre les Français, qui, selon leurs revenus, mais aussi leurs lieux et conditions de vie, subissent plus ou moins fortement les conséquences de la crise. Celle-ci marginalise et précarise à vitesse accrue une grande partie de nos concitoyens.
À titre d’exemple, selon les récentes études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et de France Stratégie, le choc varie fortement en fonction du profil des ménages, les personnes âgées, pauvres et éloignées des centres-villes étant plus touchées. Si l’inflation moyenne sur l’année 2022 se situait à 5,2 %, elle était de 8,5 % pour les ménages les plus exposés et de 3,4 % pour les moins touchés, soit un écart de cinq points en défaveur des plus précaires.
Cela, je le constate chaque jour en Corse, sur mon territoire, majoritairement rural, dont 18 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, contre 15 % au niveau national. Chaque jour, je constate les ravages de la crise, qui accentue la précarité et creuse les inégalités, car, à ses conséquences s’ajoutent, pour notre territoire, les surcoûts induits par l’importation de nombreux produits et matières premières.
Force est de constater que les mesures apportées par le Gouvernement sont, à ce stade, insuffisantes et trop ponctuelles face à une crise qui s’enracine, à une précarisation structurelle, qu’il a, hélas, contribué à aggraver en actant de nombreuses régressions sociales : réforme de l’assurance chômage, baisse des APL… Quant aux mesures temporaires, comme la revalorisation anticipée des minima sociaux en deçà de l’inflation, elles n’apportent aucune solution durable.
Pis, le Gouvernement agite et se vante de mesurettes à l’effet d’un moulinet par temps de canicule : je pense à la création d’un panier anti-inflation sur une cinquantaine de produits, basé sur le volontariat. Nous ne pouvons qu’en remercier le Gouvernement, dont l’action ambitieuse est à la hauteur des enjeux…
Cependant, en 2021, une étude de l’Insee sur l’aide alimentaire montrait que 64 % des personnes interrogées exprimaient de la honte à se rendre aux points de distribution de l’aide alimentaire. La création d’une prime alimentation aurait limité tout effet de stigmatisation et laisserait les personnes actrices de leur alimentation.
Au cours des derniers mois, notre groupe avait présenté plusieurs propositions afin d’aider les Français face à l’envolée des prix.
Nous avions proposé, dès juillet dernier, de protéger les plus précaires en établissant des mesures visant à limiter à 1 % la hausse des loyers pour les locataires. L’Espagne a suivi cette voie, en limitant la hausse à 2 %. Nous avons défendu l’augmentation des salaires, notamment du salaire minimum, porté à 1 500 euros net. Aujourd’hui, nous défendons une augmentation substantielle des minima sociaux au-delà du seuil de pauvreté, comme l’instauration d’un revenu minimum garanti. Aucune de ces propositions, pourtant efficaces immédiatement et sur le long terme, n’a trouvé écho du côté du Gouvernement. Nous ne pouvons que le regretter.
Enfin, j’ajoute que, si l’inflation actuelle a des origines conjoncturelles, notamment du fait de la guerre en Ukraine et de ses conséquences sur l’acheminement de produits agricoles et énergétiques, nous serions tous coupables si nous omettions un facteur structurel : celui de la raréfaction des ressources.
En effet, nombreuses sont les études scientifiques qui ont directement lié la baisse des rendements agricoles ou encore de la production industrielle à la hausse des températures. Le réchauffement climatique impacte donc de manière durable les coûts et les volumes de production, entraînant une hausse inexorable des prix.
La Banque centrale européenne a déjà alerté à plusieurs reprises sur le sujet. La dégradation de l’environnement, associée à la raréfaction des ressources, nous expose à une inflation de fond, qui touchera plus durement les Français les plus modestes. C’est pourquoi nous ne cesserons de le rappeler : il est aujourd’hui urgent de donner à la France les moyens de réussir sa transition écologique et de mettre en place une économie au service de la construction de la sobriété.
Aujourd’hui, nous sommes au regret, madame la ministre, de constater que le Gouvernement n’apporte aucune solution durable à cette crise sans précédent qui s’annonce. (Mme Monique de Marco et M. Éric Bocquet applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Parigi, chacun qualifie comme il le veut les mesures mises en place par le Gouvernement, mais je ne peux pas ne pas réagir lorsque vous parlez de « mesurettes » à propos de ce que nous faisons depuis maintenant deux ans et demi.
D’abord, vous aurez remarqué que je n’ai pas commencé par rappeler les chiffres de l’inflation. Or, quelle que soit la façon dont on peint le tableau, la France s’en sort mieux que l’ensemble de ses voisins européens. Ce n’est pas le fruit du hasard, auquel je ne crois pas. C’est le fruit d’une politique économique, d’un combat pour l’emploi, d’un travail de fond pour faire baisser les prélèvements obligatoires et les impôts que paient les Français et pour augmenter leur pouvoir d’achat.
Je le répéterai aussi souvent que nécessaire : nous avons prévu 110 milliards d’euros de soutien à la demande par le truchement du bouclier tarifaire pour nos compatriotes. Si c’est une « mesurette », que l’on m’explique comment on construit un budget ! À titre de comparaison, l’ensemble des Français paient 86 milliards d’euros d’impôt sur le revenu. Autrement dit, nous avons mis plus pour accompagner les Français durant cette période que ce que nous récoltons en matière d’impôt sur le revenu ! Nous avons augmenté les minima sociaux.
Vous considérez, monsieur Parigi, que ce que nous avons fait est, en un mot, assez « nul ». Chacun pense ce qu’il veut, mais j’ai à cœur de vous faire part de ce que cela donne, pour un certain nombre de nos compatriotes, des aides allant de 377 à 416 euros selon le nombre et l’âge des enfants par famille pour l’allocation de rentrée scolaire. Cela donne aussi, grâce à l’augmentation du point d’indice, un accompagnement de 687 euros net annuels pour une secrétaire de mairie ayant quinze ans d’ancienneté, mais aussi un gain de 543 euros net annuels pour un agent d’accueil en début de carrière, par exemple.
Par conséquent, je ne suis pas d’accord pour que l’on dise que ce sont des « mesurettes ». Cependant, vous pouvez dire que vous auriez fait autrement : c’est le charme des échanges que nous pouvons avoir au sein de la chambre haute !
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pendant plus de trente ans, la hausse durable des prix, leur hausse généralisée, à la fois sur les biens et les services, a été contenue en France.
La rupture intervenue à l’été 2021 fut soudaine, avec des conséquences négatives sur le pouvoir d’achat des Françaises et des Français, sur le fonctionnement de nos services publics, de nos entreprises et de nos collectivités. Cette rupture fut violente, en particulier pour les plus modestes. De fait, le renchérissement du coût de la vie touche avant tout les produits alimentaires et l’énergie. Il touche aux fondamentaux de notre vie quotidienne. C’est, par conséquent, pour les responsables publics que nous sommes, une préoccupation majeure, d’où l’organisation de débats réguliers, dont celui de cet après-midi.
Les causes sont multiples et de natures différentes. Certaines sont d’ordre conjoncturel, quand d’autres sont plus structurelles. Elles produisent, en somme, un effet cocktail.
Cette inflation est la conséquence de la sortie de la crise pandémique, avec une demande qui a nettement pu augmenter, plus fortement que l’offre, restée fragile sur certains produits. Elle est la résultante de l’agression militaire russe en Ukraine, qui a occasionné une baisse des exportations et une montée des prix des matières premières. Elle est aussi alimentée par la baisse de l’euro, qui a renchéri le prix des importations. Les prix de l’énergie ont aussi été mis sous pression.
Au reste, l’explication ne réside pas que dans le contexte international. Elle réside aussi dans un fait durable : l’épuisement des sources d’énergies fossiles, couplé avec l’impérative transition écologique, qu’il nous faut nécessairement mener de front.
La rupture fut et demeure cependant moins appuyée en France qu’ailleurs.
Avec un taux à 6,2 % sur un an, selon la dernière note de l’Insee, publiée hier, la France reste en dessous de la moyenne de la zone euro, et le pic inflationniste devrait être atteint cette année. Les explications sont à trouver dans les politiques mises en œuvre depuis maintenant plus d’un an. Contre l’inflation, l’État a agi, agit et agira encore. Nous soutenons toutes vos actions, madame la ministre.
En effet, afin de soutenir le pouvoir d’achat, de nombreuses mesures ont été adoptées, avec la revalorisation des minima sociaux, des prestations sociales et familiales, de même que des pensions de retraite de base.
Globalement, les dispositifs de soutien ont porté sur l’encadrement des prix de l’énergie : 12 millions de ménages – les plus modestes – ont été destinataires d’un chèque de 100 euros ou de 200 euros en décembre dernier. Un chèque exceptionnel a été attribué à ceux qui se chauffent au fioul ou principalement au bois.
L’action sur le travail a également été résolue : revalorisation du point d’indice des agents publics, « prime Macron » devenue « prime de partage de la valeur ». Ce dispositif pérenne, que les entreprises peuvent mettre en place chaque année, a bénéficié à 5,5 millions de salariés en 2022, en augmentation de 50 % par rapport à 2021, et avant tout au sein des petites entreprises. La prime s’est élevée, en moyenne, à 739 euros, pour un total de 4,4 milliards d’euros. Elle a contribué à préserver le pouvoir d’achat des ménages en 2022, en dépit de la hausse des prix, ainsi que l’Insee le rappelle également.
J’en profite pour saluer l’accord intersyndical validé par la CFE-CGC, la CFDT, FO et la CFTC. Son objectif est de généraliser largement des dispositifs tels que l’intéressement, la participation et la prime de partage de la valeur à toutes les entreprises de plus de 11 employés. Nous avançons sur ce point essentiel.
Je forme le vœu que nous continuions à avancer lors de l’examen du futur texte relatif au plein emploi. Je pense, enfin, aux projets de loi relatifs à l’énergie adoptés ou en cours de discussion au Parlement.
Je citais les derniers chiffres de l’Insee. Quel est le constat, dans le détail ? La baisse des coûts de l’énergie est de 14 % sur un an, contre 16,3 % en janvier, mais la hausse persiste sur les prix de l’alimentation et des services. Alors que les négociations annuelles entre distributeurs et industrie agroalimentaire s’achèvent, les prix dans les rayons des supermarchés pourraient encore grimper.
Il est, par conséquent, nécessaire, madame la ministre, que ce domaine fasse l’objet d’une vigilance particulière afin de maîtriser ce que j’appellerai « l’inflation de l’assiette ». En visite au salon de l’agriculture, samedi, le Président de la République s’est exprimé à destination des pêcheurs, en donnant de la visibilité sur les aides, mais aussi sur la hausse des prix dans les supermarchés, en appelant les distributeurs à « faire un effort sur leurs marges ».
Il y a la détermination de nouvelles mesures, adaptées, ciblées, et puis il y a l’optimisation du recours aux dispositifs existants.
Par exemple, pour aider les Français modestes à faire face à la flambée des prix du carburant, le Gouvernement a mis en place une indemnité de 100 euros. Parce que plusieurs millions de conducteurs éligibles ne s’étaient pas encore manifestés, vous avez annoncé la prolongation du délai de demande jusqu’à la fin du mois de mars. Nous devons diffuser l’information sur les aides dans nos territoires respectifs.
Je veux conclure en soulignant la situation en outre-mer. Le ministre Jean-François Carenco a présenté, en décembre, un plan pour préserver le pouvoir d’achat des Ultramarins. Fruit d’intenses négociations, ce plan traitait essentiellement de l’élargissement des boucliers qualité-prix adaptés à chaque territoire. Où en est-on de cet « Oudinot du pouvoir d’achat », à la carte, alors que, au-delà de cette période inflationniste, la vie chère est un problème structurel en outre-mer ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la sénatrice Nadège Havet, je suggère, si vous m’y autorisez, de répondre par écrit à votre question sur l’Oudinot contre l’inflation outre-mer, après la présente séance, ce qui me permettra d’être parfaitement complète – le sujet est trop important pour que je l’élude.
Vous m’avez également interrogée sur la prise de parole du Président de la République au salon international de l’agriculture samedi matin et sur les actions que nous appelons de nos vœux pour continuer à juguler ensemble la poussée inflationniste, qui, même si elle est moins forte en France qu’ailleurs, reste assez soutenue en matière alimentaire, et, comme l’ont dit nombre d’entre vous, frappe en réalité très diversement nos concitoyens – elle touche d’abord les plus fragiles.
C’est un sujet sur lequel nous continuons à travailler. L’idée est assez simple. Nos compatriotes apportent leur contribution en payant cette hausse des prix. L’État a pris sa part : je ne reviens pas sur le bouclier tarifaire ni sur l’ensemble des aides, mais je rappelle qu’il y va de 46 milliards d’euros en 2023, soit, pour vous donner une idée, plus que le budget du ministère de la défense. Si nous parvenons à un prix à 280 euros le mégawattheure pour les TPE et à faire avancer le sujet avec les PME, c’est parce que les énergéticiens ont fait un effort. Total a aussi contribué. Le Président de la République a effectivement demandé aux distributeurs, avec Bruno Le Maire, de consentir un effort, en prenant sur leurs marges.
Nous attendons des propositions dans les prochains jours. L’objectif est d’aboutir à une solution collective, juste, où les distributeurs prendraient sur leurs marges, et non sur celle des producteurs ou de l’amont de la chaîne et, surtout, à une solution rapide qui soit efficiente et surtout opérationnelle pour les Français dans les supermarchés dès l’arrivée du printemps, qui, vous le savez, commence à la fin du mois de mars…
Nous sommes en train d’échanger et nous continuerons à le faire dans les prochains jours pour trouver une solution qui accompagne nos compatriotes durant les prochains mois.
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Bruno Le Maire a dit, la semaine dernière, qu’il ne croyait pas aux prévisions des économistes, qui estiment qu’il faut s’attendre à un « mois de mars rouge » et à une inflation qui dépasserait les 10 % sur les produits alimentaires. Il a dit : « Ce n’est pas la réalité. »
J’aimerais vous rappeler ce qu’est de plus en plus la réalité quotidienne de nos concitoyens depuis près d’un an.
Les prix à la consommation ont augmenté de 6 %. À cause de l’inflation, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a augmenté de 10 % en 2022. Les retraités et les étudiants sont touchés, mais aussi les personnes qui ont un emploi.
Les prix de l’énergie ont augmenté de 16 %, malgré le bouclier tarifaire et la « remise à la pompe ».
Dans les outre-mer, l’inflation et la forte dépendance de ces territoires aux importations, via l’aviation et le fret maritime, se répercutent particulièrement sur le prix des produits alimentaires. Dans ces mêmes territoires, les mêmes mécanismes entraînent les mêmes conséquences sur les populations les plus précaires. Ils renforcent le sentiment prégnant d’une « vie encore plus chère », en raison d’un coût de la vie déjà supérieur à celui de la métropole. C’est aussi cela la réalité !
Cette hausse globale des dépenses contraintes a un impact direct sur la capacité des plus modestes à se loger. Le nombre de ménages en retard de paiement de loyer de plus de trois mois a augmenté de plus de 10 % en deux ans.
La précarité dans le logement, c’est aussi la précarité énergétique : 5,6 millions de Français sont dans cette situation, et le chiffre ne baisse pas. Avec la loi Climat et résilience, le Gouvernement s’est fixé pour objectif d’éradiquer les logements énergivores d’ici à 2028.
Or, avec 37 % des passoires thermiques occupées par des ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté, avec un reste à charge extrêmement important pour les familles modestes, avec une réelle difficulté d’accès aux droits et aux aides auxquelles elles peuvent prétendre, faute d’un accompagnement adéquat, comment réussir à atteindre un tel objectif ?
Nous formulons inlassablement des propositions dans le cadre de l’examen des projets de loi de finances successifs ou en déposant des textes législatifs, madame la ministre. Ainsi, mon collègue Rémi Cardon et moi-même avons récemment déposé une proposition de loi visant à recentrer l’effort budgétaire du pays sur l’éradication des passoires thermiques, à mettre en place un reste à charge zéro pour les personnes les plus précaires et à assurer un égal accès aux dispositifs d’accompagnement sur tous les territoires, y compris dans les zones peu denses.
Si les mesures que vous avez prises contiennent l’inflation et limitent les hausses des prix de l’énergie, elles ne sont ni pérennes ni structurelles et ne ciblent pas les classes moyennes et populaires, qui sont les plus en difficulté. Elles n’apportent pas une réponse sur le long terme.
Vous ne pouvez pas dire qu’il n’y aura pas de mars rouge : les Français sont déjà dans le rouge ! Pour lutter contre les conséquences de l’inflation, il faut de la cohérence et une véritable justice sociale.
Le forfait charges des APL doit être réévalué. De même, le chèque énergie doit atteindre sa cible : les personnes chauffées en collectif, les locataires du parc social, les copropriétaires et les personnes hébergées en foyers ou résidences sociales ne peuvent pas y recourir pour payer leurs factures. Toutes ces personnes ne peuvent pas utiliser le chèque énergie alors qu’elles y sont éligibles. Comment expliquez-vous cette inégalité ?
On demande aux 5,6 millions de ménages en situation de précarité énergétique, c’est-à-dire les plus exposés aux aléas climatiques et à la hausse du prix de l’énergie, d’agir pour la sobriété énergétique dans le cadre de la transition écologique. Comment leur reprocher d’éprouver un fort sentiment d’injustice ? Alors qu’ils sont les moins favorisés, ils sont les premiers à payer la facture. Et il en faut peu, madame la ministre, pour que ce sentiment ne se transforme en colère ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dès le mois de décembre 2020, les prix de l’énergie ont massivement augmenté : +41 % pour le gaz entre décembre 2020 et octobre 2021, +21 % pour le carburant, +4 % pour l’électricité.
La tendance s’est confirmée en 2022, l’envolée des prix de l’énergie nous ayant entraînés dans une spirale inflationniste, jusqu’à atteindre des niveaux jamais vus depuis les années 1980.
Au mois de janvier 2023, les prix de l’énergie ont ainsi crû de 16,3 % en glissement annuel, tandis que ceux de l’alimentation ont connu une hausse de 13,3 %. Concrètement, pour les ménages, cela se traduit par +20 % pour les pâtes, +29 % pour le steak haché, +34 % pour les légumes frais et – chacun s’en souvient – jusqu’à +120 % pour l’huile de tournesol ! Le passage en caisse devient une épreuve…
Pour beaucoup, il faut choisir : manger, se chauffer ou se déplacer. En effet, plus de 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, dont un enfant sur cinq, et 7 millions se trouvent dans une situation de précarité alimentaire et doivent recourir à l’aide alimentaire. La fréquentation des Restos du cœur a ainsi augmenté de 12 % en six mois, nous conduisant à une situation inédite.
Le 6 octobre 2021, six mois avant le début du conflit russo-ukrainien, le journal Les Échos s’inquiétait sur ces « traders pris dans la folie spéculative du prix du gaz ». Et pour cause : en un mois, l’activité sur les options, c’est-à-dire les produits dérivés spéculatifs sur la matière première, avait bondi de 158 %.
Dans la même veine, si l’invasion de l’Ukraine par la Russie a bouleversé les chaînes de distribution, certaines entreprises, profitant de leur position dominante sur les marchés, ont spéculé sur les prix des denrées alimentaires ou ont augmenté leurs marges.
Mais tout cela n’est pas nouveau. Cela fait près de trois ans que nous vous alertons et que les associations vous alertent sur la paupérisation croissante d’une part toujours plus importante de la population.
Même son de cloche du côté des PME : pour les entreprises du secteur agroalimentaire, les coûts ont augmenté, par rapport à 2021, de 29 % pour les matières premières agricoles, de 26 % pour les emballages carton et plastique et de 57 % pour l’énergie.
Et ce n’est pas fini : en 2023, la facture d’électricité et de gaz va être multipliée par trois par rapport à 2022 et par cinq par rapport à 2021, voire davantage.
En ce sens, ce débat d’actualité n’en est pas vraiment un. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un bilan des mesures prises par le Gouvernement pour tenter d’enrayer l’inflation, la spéculation et la perte de pouvoir d’achat.
Où est le chèque alimentaire promis dès 2020 par le Président de la République ? Comment expliquer que 50 % des personnes ayant droit à l’indemnité carburant d’un montant de 100 euros ne la demandent pas ? Idem pour le chèque énergie.
Par ailleurs, le bouclier tarifaire exclut de nombreuses entreprises qui, en raison des équipements nécessaires à leur activité, possèdent un compteur électrique dont la puissance excède 36 kilowattheures. L’amortisseur énergie se révèle également insuffisant au regard de l’explosion cumulée des prix des matières premières et des produits énergétiques. En outre, la complexité des différents dispositifs ne permet pas aux bénéficiaires de s’en saisir massivement.
Alors oui, comme le soulignent de nombreux observateurs, le prix des biens de première nécessité a moins augmenté en France que dans d’autres pays, mais il a tout de même augmenté dans des proportions sensibles.
Alors que de nombreux États ont mis en place des mesures de revalorisation des salaires, vous avez préféré des mesures ponctuelles, sans portée générale. Vous continuez de ménager le capital au détriment du travail. Pourtant, la relégation de la question des salaires en marge du débat politique explique, pour l’essentiel, la baisse de la qualité de vie de nos concitoyennes et de nos concitoyens.
Ainsi, la France est, selon l’OCDE, le pays qui a subi la plus forte baisse des revenus réels au deuxième trimestre 2022, là où la majorité des autres pays ont progressé. Et, paradoxalement, alors que les dividendes battent chaque jour des records, notre pays connaît une hausse de la pauvreté « inédite depuis de très nombreuses années », selon les mots d’Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies.
Manger à sa faim, se chauffer, se soigner, cela devrait constituer un droit fondamental et une priorité politique. C’est la pauvreté qu’il vous faudrait combattre, par un véritable blocage des prix alimentaires, par une augmentation des salaires et des minima sociaux, par un tarif réglementé du gaz et de l’électricité pour tous et par la sortie du marché européen de l’énergie : autant de mesures que nous portons dans cet hémicycle de manière constante. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Bocquet, sans avoir l’espoir de parvenir à vous convaincre, je tiens tout de même à partager deux ou trois points.
Tout d’abord, nous ne serons effectivement pas d’accord sur une chose : quand le taux de chômage est de 7,2 % après six ans d’action résolue, quand le taux de chômage de nos jeunes est au plus bas depuis qu’on le mesure, quand la réindustrialisation de la France est en cours – cela prend du temps, car nous partons effectivement de loin –, quand 1 725 décisions d’investissement porteuses d’emplois industriels sont recensées dans notre pays, alors même que ces emplois quittaient le pays depuis quinze ans ou vingt ans, oui, la meilleure façon d’augmenter le pouvoir d’achat, c’est le travail.
Je sais que nous ne serons sûrement pas d’accord, mais c’est par le travail que nous nous en sortirons, pour des raisons non seulement pécuniaires, mais aussi d’épanouissement personnel.
C’est donc vers le travail que convergent nos efforts, notamment notre politique fiscale, dont l’allégement des prélèvements sociaux. Nous n’avons pas oublié, et j’imagine que vous non plus, la baisse des cotisations sur les feuilles de paie qui a augmenté les salaires nets en 2018. Cela fait six ans que nous nous battons pour que le travail paye mieux.
Est-ce à dire que nous ne faisons rien ? J’ai été chargée de l’économie sociale et solidaire, et j’ai trop de respect pour les acteurs associatifs pour le laisser dire. Le projet de loi de finances rectificative pour 2022 affecte quasiment 60 millions d’euros aux associations. Hier encore, le ministre Jean-Christophe Combe a annoncé que 60 millions d’euros seraient dédiés en 2023 à l’aide alimentaire de qualité.
Et je passe sur les vingt-sept appels à projets du plan de relance dont j’ai eu l’honneur de parler aux banques alimentaires pour que l’État, tout au long des années 2020 et 2021, continue de les soutenir financièrement.
Oui, nous nous battons pour que les gens travaillent et que le travail paye mieux ! Oui, nous accompagnons dans le même temps ceux qui, n’ayant pas de travail, ont besoin de la solidarité nationale ! J’avais à cœur de le rappeler.
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rarement un débat sera tombé aussi à point.
Si nous devions nous interroger sur l’intérêt des débats d’actualité, celui d’aujourd’hui nous apporterait sans doute une réponse positive. À quelques heures de la fin des négociations commerciales, la grande distribution, les agriculteurs, les industriels et le Gouvernement se renvoient la balle sur une hausse à venir de 10 % des prix alimentaires.
Des chiffres filtrent : les boîtes de Nesquik augmenteraient de 25 %, tandis que Coca-Cola envisagerait une hausse de 17 %.
Si l’inflation ralentit et si nous avons jusque-là évité la boucle prix-salaires, la hausse des prix alimentaires est, elle, plus alarmante. Même si nous essayons de faire la part des choses, nous ne pouvons qu’être inquiets.
Bien sûr, 6,2 % d’inflation en France, c’est mieux que 8,5 % dans l’ensemble de l’Union européenne. Bien sûr, le Gouvernement a su mettre en place un certain nombre de mesures pour soutenir le pouvoir d’achat, comme la remise carburant, l’indemnité inflation, le chèque énergie, le bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité ou encore les aides ciblées aux ménages et aux entreprises.
Toutefois, les chiffres de l’inflation alimentaire de février, sur un an, ont été connus hier : 14,5 %. Le constat est simple : l’évolution des prix des denrées alimentaires est beaucoup plus forte que celle de l’inflation. En outre, ce qui filtre des discussions en cours laisse entrevoir de nouvelles hausses élevées, sans doute de niveau équivalent. Le président de Système U a évoqué 10 % d’augmentation et celui de Carrefour s’est montré plus alarmant encore.
L’addition des 14,4 % déjà constatés avec la hausse attendue de 10 %, si elle devait se confirmer, fait froid dans le dos. Il y a, bien entendu, une part de bras de fer dans cette confrontation annuelle entre chacun des acteurs de la distribution, mais cela pose question. Les distributeurs accusent les transformateurs, qui désignent du doigt les hausses des prix des matières premières, voire les agriculteurs. Le Gouvernement demande aux grandes surfaces de réduire leurs marges et évoque un panier, ou un chariot de prix alimentaires à maintenir sous contrôle. Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, où en sont ces discussions et quels dispositifs vous pensez pouvoir mettre en œuvre ?
On peine à expliquer totalement ces augmentations. L’année dernière, la guerre en Ukraine, les prix de l’énergie, des matières premières, des transports et des produits manufacturés pouvaient expliquer l’inflation alimentaire. Mais en 2023, ces chiffres sont bien moindres.
Bien sûr, le niveau des prix de production relaie peu à peu l’inflation déjà constatée et se diffuse. L’inflation des prix de production serait de 17 %. Ce chiffre, au demeurant élevé, est inférieur à celui du reste de l’Union européenne. Faut-il y voir l’une des causes des augmentations attendues ?
Quoi qu’il en soit, si le pouvoir d’achat a pu être préservé en 2020 et en 2021, il a baissé de 0,2 % en 2022, et nous risquons de perdre l’acquis en 2023. Il est vrai qu’en 2022, les salaires ont augmenté de 4,2 % en moyenne alors que l’inflation s’élevait à 6 %. L’évolution du niveau des prix sera donc plus marquée que celle du niveau des salaires. Les aides de l’État et les primes ne pouvant pas rester élevées, le moral des ménages se dégrade.
En somme, le problème est que les salaires augmentent moins vite que l’inflation et que la consommation s’en trouve affectée, alors qu’elle constituait jusque-là un moteur de l’économie. Sur ce point, il nous faut nous interroger sur les manières d’aborder l’avenir.
La soutenabilité de notre budget nous appelle évidemment à la plus grande vigilance ; c’est toute la quadrature du cercle. Elle suppose un effort collectif reposant sur la maîtrise de la dépense qui doit être couplée à la recherche d’une plus grande efficacité de celle-ci. Il y a là une contradiction dont il nous faut sortir. À cet égard, la croissance et la maîtrise de l’inflation sont des nécessités. Comment voyez-vous les choses sur ce point, madame la ministre ?
En attendant, il nous faut répondre de manière segmentée à plusieurs urgences.
L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a publié une étude sur les mesures budgétaires importantes qui ont été mises en place et leurs effets sur le pouvoir d’achat des Français en 2022 et 2023. Il estime qu’en 2023, le pouvoir d’achat pourrait revenir à son niveau de la fin de l’année 2019, avant la crise sanitaire, et se réduire de 1,2 % à 2 % entre la fin de l’année 2021 et la fin de l’année 2023 ; sans les mesures qui ont été prises, la baisse aurait pu atteindre 5 %.
Cela prouve l’efficacité des mesures appliquées : le bouclier tarifaire et la remise carburant ont, semble-t-il, permis de soutenir le pouvoir d’achat à hauteur de 790 euros en moyenne en 2022 et auraient soutenu le niveau de vie des ménages les plus modestes de 5,1 %, contre 2,2 % pour les ménages les plus aisés.
L’inflation affecte les ménages de manière inégale en fonction de leurs revenus, de leur situation personnelle et de leur lieu de vie. Toujours selon les travaux de l’OFCE, les ménages ruraux, les plus éloignés des centres urbains et les plus modestes seraient les plus touchés par ce phénomène inflationniste. Madame la ministre, cela nous invite à réfléchir à des mesures différenciées pour prendre en compte l’impact disparate de l’inflation. S’il est évidemment très difficile de prendre des mesures catégorielles, nous voyons bien que l’inflation n’affecte pas chacun de la même manière selon l’âge ou le lieu d’habitation.
Selon une étude des banques alimentaires, le nombre de personnes bénéficiant de l’aide alimentaire a triplé en dix ans, avec une hausse de 10 % en 2022. Quelque 2,4 millions de nos compatriotes ont été accueillis par ces structures en 2022 pour bénéficier d’une nourriture gratuite ou très peu chère. Je n’oublie pas, madame la ministre, l’effort réalisé en matière d’emploi et de soutien. Mais je ne veux pas non plus nier les difficultés.
Avant de conclure, je tiens à mettre l’accent sur l’envolée des taux d’intérêt, qui affecte la capacité des ménages primo-accédants à devenir propriétaires. Beaucoup d’entre eux sont exclus du marché, ce qui constitue une grande difficulté. C’est un point d’alarme, tant pour le secteur de l’immobilier et de la construction que pour ceux qui veulent accéder à la propriété.
Dans un contexte de hausse des taux, il serait utile aux accédants de proroger le prêt à taux zéro (PTZ), dispositif phare du soutien à la propriété, de même que de développer massivement le bail réel solidaire, notamment pour les jeunes ménages. En tout état de cause, la cherté et la difficulté d’accession constituent un vrai sujet de préoccupation.
En outre, étant donné le poids du logement dans le budget des ménages, il y a sans doute une réflexion à conduire pour mieux adapter les loyers des locataires ou futurs locataires du parc social.
Nous mesurons, madame la ministre, l’ampleur des difficultés et l’effort qui a déjà réalisé. Nous avons dans cet hémicycle une pleine conscience des contraintes budgétaires. Mais les mesures que le Gouvernement doit annoncer sont, pour beaucoup, une question de vie quotidienne, pour ne pas dire une urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur, je vous remercie de la précision de vos chiffres et de vos sources. Il est vrai que le débat tombe à point nommé, comme vous avez été nombreux à le souligner sur toutes les travées. Il ne vous a pas échappé que je ne me suis pas cachée derrière des chiffres macroéconomiques et que je reconnais la réalité de l’inflation et de l’inflation alimentaire ressentie par nos compatriotes. Étant chargée des PME, mais aussi de la consommation, c’est à l’aune de cette inflation ressentie que je raisonne.
Pour corroborer vos propos, je rappelle que l’Insee a estimé hier encore qu’au total, le pouvoir d’achat a été globalement préservé sur l’année 2022. Il ne faut pas oublier de prendre en compte, ce que vous avez fait, l’ensemble des mesures que nous avons adoptées, notamment les chèques énergie.
Ainsi, le pouvoir d’achat dit « ajusté » progresse même de 1,2 % en 2022. J’en profite pour répondre au sénateur Babary, car les bonnes nouvelles sont rares : le taux de marge de nos entreprises progresse aussi au quatrième trimestre 2022, s’établissant en moyenne à 32 % sur l’année. Il baisse un peu par rapport à 2021, qui était une année particulière, mais demeure 0,5 point au-dessus de son niveau de 2018. Malgré la crise inflationniste qui a succédé à la crise sanitaire, le taux de marge de nos entreprises est en augmentation.
Vous m’avez interrogée sur l’avancement de nos travaux sur la grande distribution. À la demande du Président de la République, nous travaillons d’arrache-pied, Bruno Le Maire et moi-même, pour embarquer les distributeurs à nos côtés et aboutir à une solution collective, rapide et juste. J’ai proposé une idée, qui est une sorte de mise de jeu ; je n’ai jamais dit que c’était la solution et encore moins qu’elle était parfaite. Elle a toutefois le mérite d’exister et de pouvoir être critiquée ou soutenue. J’attends d’autres propositions dans les jours à venir pour répondre à l’objectif de payer moins cher à la caisse.
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce matin, je regardais une émission sur une chaîne d’information en continu qui titrait : Inflation : mars, le mois de tous les dangers. Je vous ai aussi écoutée sur une grande chaîne publique, madame la ministre. C’est important ; cela met de bonne humeur. (Sourires.)
M. Patrick Kanner. Au mois de novembre dernier, lors d’une audition par la commission des affaires économiques, M. le ministre de l’économie a confirmé ses déclarations antérieures selon lesquelles l’inflation que nous subissions n’était que transitoire et qu’une baisse des prix interviendrait à partir de la fin de l’année 2022.
Nous sommes au premier trimestre 2023 et cette baisse des prix n’est pas intervenue. Or si, pour certains, trois mois, c’est peu de chose, pour ceux qui éprouvent des difficultés financières, c’est une éternité.
On le sait désormais, cette inflation sera pérenne : les estimations portent plutôt sur une stabilisation d’ici à 2025. Mais de quoi parlons-nous en 2025 ? D’une inflation nulle ? D’une inflation à 2 % ou 3 % ? Comment évolueront les taux d’intérêt ? Quelle politique sera menée par la BCE ? Personne ne peut le dire, au vu de la vitesse à laquelle évolue l’économie mondiale. Méfions-nous des estimations ; la sagesse nous commande de relativiser toutes les prévisions que nous pourrions faire.
Il faut donc avoir en tête que, malheureusement, les épisodes de chocs économiques que nous avons connus avec la covid-19 sont amenés à se répéter et à devenir de plus en plus fréquents. Les prévisions peuvent donc être faussées, mes chers collègues.
Notre débat porte sur les conséquences de cette inflation sur le pouvoir d’achat des Français, et en particulier des plus modestes. Or, malgré le courrier que m’a envoyé Mme la Première ministre voilà quelques semaines, je reste persuadé que les difficultés éprouvées par les foyers français sont prégnantes.
Aussi, je reste mobilisé, avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, pour lutter contre la précarisation, contre les fins de mois difficiles, contre toutes ces trappes à pauvreté que ce gouvernement continue de ne pas voir. C’est d’ailleurs pour cela que notre groupe a proposé la tenue de ce débat, et je me réjouis que le président du Sénat l’ait retenu dans le cadre de ce que nous appelons désormais les débats d’actualité du premier mercredi de chaque mois.
Il est important de continuer de porter ces sujets au sein du débat national et d’être les porte-voix de nos concitoyens les plus modestes.
Madame la ministre, aucune prime, aucun chèque ne remplacera une hausse juste et durable des revenus pour maintenir – et seulement maintenir – le pouvoir d’achat. Car non, madame la ministre, l’augmentation du Smic de 8 % et les aides ponctuelles mises en place par votre gouvernement ne suffisent pas à compenser la véritable déflagration économique que certains foyers subissent.
Par ailleurs, l’obsession dogmatique du « moins d’impôts », que vous vous évertuez à ériger comme solution à tous les problèmes, ne me semble pas appropriée au contexte. Le seul ruissellement que nous connaissons, et de plus en plus, c’est celui de la précarité.
Madame la ministre, nous reconnaissons la réalité des mesures que vous avez prises en faveur du pouvoir d’achat. Pour autant, les coupes budgétaires que vous avez opérées pèsent également sur le budget des Français les plus modestes. Je pense bien sûr symboliquement à cette baisse de 5 euros décidée au début du quinquennat précédent sur les aides personnelles au logement.
Ce qu’il faut aux Français, ce ne sont pas des chèques énergie, des chèques carburant ou des chèques de rentrée.
Ce qu’il leur faut, c’est une revalorisation des salaires. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a d’ailleurs rédigé, sur l’initiative de notre collègue Thierry Cozic, une proposition de résolution visant à ce que soit tenu un Grenelle des salaires en France.
Ce qu’il leur faut, c’est que nous mettions fin au désarmement fiscal du pays. Pour rappel, la politique mise en œuvre par votre gouvernement entraînera une perte de 500 milliards d’euros de recettes fiscales entre 2017 et 2027.
Ce qu’il leur faut, c’est une juste répartition des richesses dans les entreprises prospères. Nous vous avons proposé de taxer les superprofits. Nous avons été soutenus par des millions de Français, y compris même par des parlementaires issus du centre. Vous ne nous avez pas entendus.
Il y a quelques jours était confirmé le niveau record des dividendes versés l’an dernier, à hauteur de 140 milliards d’euros. Cette situation n’est pas juste, et elle devient insupportable. Il est demandé à tous les Français de fournir un effort. Ce sera l’objet, dans quelques heures, de nos débats sur les retraites.
La décence voudrait que nous demandions le même effort à tous nos concitoyens, y compris ceux qui ont le plus bénéficié de l’hyperbouclier fiscal depuis maintenant bientôt six ans. Les concitoyens que nous souhaitons aider ne sont pas les plus riches ; ce sont ceux qui font exploser les chiffres des Restos du cœur.
Ce qu’il faut aux Français, madame la ministre, ce ne sont pas des mesures ponctuelles ; c’est une réelle redistribution. Sinon, attention danger ! Le désespoir est source de toutes les colères. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Kanner, « décembre noir », « juillet vert », « mars rouge »… Dieu sait si j’aime la peinture, mais je ne crois pas qu’il relève d’un membre d’une équipe de gouvernement de choisir le Pantone des difficultés qui sont devant nous.
En cela, je partage tout à fait la position de mon ministre de tutelle Bruno Le Maire sur le fait que l’inflation est et va demeurer soutenue, sur le fait que nous faisons effectivement face à un choc inflationniste et sur le fait qu’il est indispensable qu’en plus de ce que nous faisons depuis six ans, nous continuions à essayer de faire plus. C’est pour cette raison que nous demandons aux acteurs économiques, en responsabilité, de faire un effort.
En ce qui concerne le choc inflationniste, je suis plutôt d’accord avec vous. N’étant pas devin, je ne saurais indiquer ni son début ni sa fin. En revanche, je suis en mesure de mentionner ce que j’essaye modestement de faire au nom du Gouvernement pour accompagner les Français.
Vous dites être les « porte-voix » des plus modestes. À défaut de porte-voix, le Gouvernement est constitué de « porte-action ». Nous n’avons pas tremblé lorsqu’il a fallu augmenter les minima sociaux ; nous n’avons pas tremblé pour revaloriser, dès le mois de juillet, le point d’indice de 5,7 millions de fonctionnaires, qui a connu sa plus forte hausse depuis trente-sept ans. Cela représente un gain de plus de 1 093 euros nets annuels pour un infirmier anesthésiste avec huit ans d’ancienneté.
Par ailleurs, nous avons revalorisé la prime d’activité de plus de 4 %. Vous appelez de vos vœux une conférence sur les salaires ; je l’entends bien. Je sais que vous le savez, car je vous respecte, monsieur le sénateur Kanner, mais je rappelle que, jusqu’à preuve du contraire, l’État ne fixe pas les salaires, et c’est très bien comme cela !
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cet échange qui, malgré nos divergences, pointe un sujet de préoccupation majeure de nos compatriotes. En ce sens, il me semblait indispensable de tenir un tel débat.
De mon côté, j’ai essayé de vous faire part du fait que, indépendamment du choc inflationniste, nous menons depuis maintenant six ans une action résolue pour soutenir le pouvoir d’achat des Français et pour revaloriser le travail.
J’entends aussi, avec beaucoup d’humilité, que les solutions que nous avons apportées semblent largement insuffisantes à certains d’entre vous. Cela a été dit, mais il me semble important de le rappeler : même si c’est compliqué et si le ressenti est très important, il ne faudrait pas oublier que nous demeurons très en deçà de l’inflation que subissent nos voisins européens. Et même si le concept de hasard existe, de tels résultats sont aussi le fruit des politiques économiques que nous avons résolument menées depuis six ans.
Par souci de clarté, et dans le cadre du respect que je porte à la Chambre haute, je ne dirai pas pour autant que nous en faisons assez. En réalité, nous n’en ferons jamais assez pour revaloriser le pouvoir d’achat de nos concitoyens et lutter contre l’inflation, notamment l’inflation alimentaire pour les plus fragiles.
On doit, en humilité, continuer de proposer des solutions. À cet égard, j’ai bien écouté Patrick Kanner, dont je connais l’expérience, et j’ai entendu ses propositions sur les salaires. Attention toutefois à ne pas alimenter la spirale inflationniste, à laquelle certains pays européens ont cédé. Cela pourrait nous conduire, par exemple, comme l’ont fait les Belges, à indexer tous les salaires sur l’inflation. Certes, les Belges ont indexé les salaires sur l’inflation, mais ils n’ont pas de bouclier tarifaire !
Je sais que vous êtes nombreux à raisonner dans le contexte contraint que connaissent nos finances publiques, alors que les taux d’intérêt dépassent désormais 3,14 %. L’inflation a aussi – la Bourse de Paris l’a démontré hier – des conséquences directes sur la crédibilité financière de la signature française.
Outre les mesures financières, nous prenons des dispositions qui peuvent sembler secondaires à certains – pas ici –, mais qui ne le sont pas.
Ainsi, grâce à la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat et aux apports du Sénat, nous avons augmenté le pouvoir de choix de nos compatriotes. Désormais, ils pourront plus facilement mettre fin à leur abonnement à un fournisseur de gaz et d’électricité, mais aussi résilier leur abonnement à des magazines et à internet, leur contrat avec une compagnie d’assurances ou une mutuelle. D’ici trois mois, au plus tard le 1er juin 2023, l’ensemble des vendeurs et assureurs devront prévoir un bouton Résiliation en ligne qui soit facile d’accès. Ces mesures permettront aux consommateurs de respirer un peu financièrement.
J’ai pris très à cœur la mission qui a été la mienne pendant près de deux ans lorsque j’étais chargée de l’économie sociale et solidaire. Vous avez été nombreux, notamment sur les travées de la gauche de l’hémicycle, à rappeler la situation d’un certain nombre de nos compatriotes, très fragilisés par la crise. De même que nous avons été présents, avec des montants d’un niveau historique, auprès des banques alimentaires lorsque la situation a été très compliquée, notamment dans le cadre du plan de relance, nous nous mobilisons aujourd’hui. Le ministre Jean-Christophe Combe a annoncé hier la mobilisation d’un fonds de 60 millions d’euros à l’endroit des banques alimentaires. Sachez enfin que la Première ministre n’hésitera pas, s’il le faut, à faire plus pour accompagner nos associations qui soutiennent les plus fragiles.
Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, de ce débat. J’espère avoir prochainement le plaisir d’échanger de nouveau avec vous sur ces sujets. Nous nous battrons ensemble pour contenir et faire baisser la forte inflation que subissent nos compatriotes, bien moins forte toutefois – il convient de le rappeler –, que celle que connaissent nos voisins européens.
J’ignore si, quand on se compare, on se désole ou on se console, mais je sais, comme l’a dit Michelet, que c’est lorsqu’on se résigne que tout est perdu. Comptez sur moi, je ne suis pas prête à me résigner ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat d’actualité sur le thème : « Les conséquences de l’inflation sur le pouvoir d’achat des Français ».
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Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour une mise au point au sujet d’un vote.
M. Vincent Capo-Canellas. Lors du scrutin n° 134 du 14 février 2023 sur l’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par M. Stéphane Sautarel, tendant à insérer un article additionnel après l’article 4 ter de la proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, notre collègue Hervé Maurey souhaitait voter pour.
M. le président. Acte est donné de votre mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.
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Lutte contre les violences pornographiques
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Union Centriste, l’examen de la proposition de résolution appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 260).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution. (Applaudissements.)
Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Porno : l’enfer du décor, ou comment résumer en cinq mots le rapport-choc que notre délégation aux droits des femmes a publié au mois de septembre dernier sur les maux d’une industrie licencieuse qui prospère en irriguant la toile de contenus illicites.
Avec mes trois collègues corapporteures, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, nous avons, pour la première fois dans l’histoire parlementaire, enquêté pendant six mois sur la réalité des pratiques de l’industrie pornographique.
Nous avons entendu toutes les parties prenantes, dont, à huis clos, des victimes de l’affaire French Bukkake. Celle-ci a permis de mettre au grand jour les pratiques de producteurs, de barbares, qui ont détruit la vie de dizaines de femmes.
Nous avons analysé les principaux contenus disponibles sur les sites pornographiques, ces plateformes en ligne, les tubes, qui proposent gratuitement, et sans aucun contrôle, des millions de vidéos.
Il faut sortir de toute vision datée, faussée et édulcorée du porno. Le porno aujourd’hui, ce sont des contenus violents, dégradants, humiliants. Les scènes dans lesquelles un homme, ou plus souvent des hommes infligent des violences physiques et sexuelles à des femmes sont devenues la norme.
La pornographie n’est pas du cinéma. Les pleurs, les cris, les viols, le sang : tout est vrai. Il n’y a pas d’effets spéciaux. Ce sont ces violences et leur banalisation qui nous ont conduites à des prises de position fortes.
Notre rapport a eu un écho médiatique considérable, en France et à l’échelon international, et suscité une onde de choc dans l’opinion.
Le nombre de cosignataires de cette proposition de résolution – 255 exactement – constitue un record jamais atteint pour un texte sénatorial sous la Ve République.
Ce chiffre témoigne d’une prise de conscience collective. Il engage le Gouvernement à mettre en œuvre les recommandations que nous avons formulées. Les ministres à qui nous avons présenté notre rapport nous ont assuré vouloir avancer sur le sujet.
Je pense bien sûr à la solution de contrôle d’âge, annoncée récemment par Jean-Noël Barrot et Charlotte Caubel, ainsi qu’à toutes les mesures de politique pénale qui permettront de poursuivre les auteurs et diffuseurs.
La massification de la production et de la consommation nous obligent. Je sais pouvoir compter sur vous madame la ministre ; vous partagez notre détermination. Nos propositions sont sur la table. Le Gouvernement doit s’en saisir. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour ma part, j’évoquerai le caractère industriel du porno, notre rapport ne portant pas uniquement sur les effets de celui-ci et les consommateurs. Nous avons étudié toute la chaîne : le recrutement, les méthodes de tournage et de diffusion, l’influence sur les cerveaux et la société, sur les jeunes comme sur les adultes.
Le porno, c’est d’abord une industrie mondialisée qui génère plusieurs milliards d’euros de profit chaque année et qui est concentrée dans les mains de quelques grandes multinationales, souvent basées dans des paradis fiscaux. La production de contenus pornographiques de plus en plus extrêmes et violents est de plus en plus volumineuse. Elle alimente ce business mondial et représente un trafic vidéo prépondérant sur internet.
Les vidéos pornographiques, hébergées sur des plateformes de streaming, constituent ainsi plus d’un quart de tout le trafic vidéo en ligne dans le monde ! La demande de contenus pornographiques sur internet correspond, quant à elle, à une recherche sur huit sur ordinateur et à une recherche sur cinq sur mobile !
Ne nous voilons pas la face, mes chers collègues : nos recherches statistiques ont montré que la France est l’un des pays les plus consommateurs de pornographie au monde !
Le porno, c’est aussi une industrie qui, par sa nature même, est génératrice de violences systémiques envers les femmes.
N’oublions pas la définition de la pornographie : il s’agit de l’exploitation commerciale de la représentation explicite d’actes sexuels non simulés. Or, comme nous l’indiquons dans notre rapport, 90 % des scènes pornographiques comportent des violences sexuelles, physiques ou verbales. Ces violences ne sont pas simulées ; elles sont bien réelles pour les femmes filmées.
Nous avons également constaté au cours de nos travaux une grande porosité entre la pornographie et la prostitution : ce sont deux mondes entre lesquels les passerelles sont nombreuses et qui utilisent des méthodes de recrutement similaires pour exploiter sexuellement les mêmes femmes, vulnérables économiquement, socialement et, souvent, psychologiquement.
Enfin, le porno est une industrie qui fait aujourd’hui l’objet de poursuites pénales. Enfin ! Il était temps.
Pour la première fois en France, des violences commises dans un contexte de pornographie sur des femmes victimes de graves maltraitances, sexuelles, physiques et psychologiques, font l’objet d’un traitement pénal. Les auteurs de ces violences sont poursuivis pour viol, viol aggravé, complicité de viol avec actes de torture et de barbarie, traite des êtres humains aux fins de viol, proxénétisme. Telle est la réalité de cette industrie aujourd’hui !
C’est pourquoi nous appelons à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique. L’omerta qui pèse sur ces violences doit cesser. Il est temps de mettre un terme au déni et à la complaisance dont bénéficie cette industrie depuis trop longtemps ! Pour cela, nous avons besoin de votre engagement à nos côtés, madame la ministre. Nous savons déjà que vous êtes mobilisée sur le sujet, et nous espérons beaucoup de l’ensemble du Gouvernement.
Ma collègue évoquera dans quelques instants les effets du porno sur les jeunes cerveaux. Pour ma part, je soulignerai que le porno n’est pas toxique que pour les adolescents. Il l’est pour l’ensemble de ceux qui en consomment, y compris les adultes, pour ces hommes qui sont devenus addicts à la pornographie et ne sont plus capables d’avoir une sexualité réelle, car ils sont désormais excités exclusivement par les scènes violentes qu’ils voient sur internet. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, auteure de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp, auteure de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Porno : l’enfer du décor, un jeu de mots pour arrêter de jouer avec les plus fragiles et pour dénoncer les conséquences de la massification des contenus pornographiques : des consommateurs toujours plus nombreux, de plus en plus jeunes, en demande de contenus de plus en plus violents, extrêmes et dégradants. Ce sont aussi les conséquences de l’accoutumance !
Mais jusqu’où ira cette surenchère malsaine ?
On assiste à une escalade infernale pour tenter d’assouvir une curiosité qui, finalement, n’est jamais comblée, et ce sans considération pour les conditions dans lesquelles ces contenus sont produits.
Deux tiers des moins de 15 ans et un tiers des enfants de moins de 12 ans ont déjà eu accès à des images pornographiques. Il s’agit là d’une triste réalité lorsqu’on sait que l’exposition des mineurs à ce type de contenus s’inscrit en parfaite violation du code pénal. Car, comme vous le savez, depuis la loi du 30 juillet 2020, sur l’initiative de notre collègue Marie Mercier, que je veux saluer pour ses travaux sur ce sujet précis, les sites pornographiques ont l’obligation de s’assurer de la majorité de l’internaute qui les consulte. Et pourtant…
Tous les sites pornographiques demeurent accessibles en un clic, sans aucune vérification d’âge, tout comme les réseaux sociaux, devenus aujourd’hui le support social de référence des nouvelles générations, sur lesquels de nombreux comptes affichent des contenus pornographiques violents, bien loin de la réalité, et qui ont pour conséquence de banaliser ces pratiques sexuelles, comme si elles étaient la norme.
Se poser des questions sur la sexualité quand on est à l’école primaire est une curiosité naturelle, une étape du développement. En revanche, aller chercher des réponses sur les plateformes numériques qui proposent des contenus inadaptés à la maturité de l’enfant et absolument pas représentatifs de la réalité pose un sérieux problème !
Un effort doit être fait en matière de prévention, afin de sensibiliser les enfants et les parents aux dangers de la pornographie et de la marchandisation du corps.
Les conséquences sur la jeunesse de cette exposition massive à la pornographie sont plus que préoccupantes. Les mineurs ne sont évidemment pas les seuls concernés : le porno peut également avoir des effets dangereux sur les adultes, sur leurs représentations d’eux-mêmes, des femmes et de la sexualité !
Face à ce constat alarmant, il est donc urgent d’agir.
Dans notre rapport, nous avons notamment proposé la mise en place d’une attestation de majorité, reposant sur un principe de double anonymat.
Plus que des annonces, nous attendons désormais des actes forts. Madame la ministre, mes chers collègues, Annick Billon, Laurence Cohen et Laurence Rossignol et moi avons abordé ce sujet tabou parce qu’il nous a semblé majeur. Nous avons entendu à huis clos des témoignages glaçants, surréalistes, de victimes de violences, mais aussi d’adolescents, scolarisés dans un collège à quelques encablures d’ici qui considèrent que le corps peut être une monnaie d’échange.
Il est temps d’ouvrir les yeux et d’agir pour que notre pays ne soit plus complice de cette triste réalité, avant qu’il ne soit trop tard pour rectifier ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, auteure de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Laurence Cohen, auteure de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Porno : l’enfer du décor : la délégation aux droits des femmes et, aujourd’hui, le Sénat tout entier peuvent être fiers de ce rapport, véritable pavé dans la mare lancé voilà quelques mois. Il aura notamment permis d’inscrire à l’agenda du Gouvernement le sujet des pratiques de l’industrie pornographique, mais aussi contribué à sensibiliser l’opinion publique à ses violences, qu’il a mises au cœur du débat public.
De ce point de vue, nous pouvons considérer que notre rapport, pionnier à beaucoup d’égards, est une réussite en soi. Au-delà de l’écho médiatique et populaire qu’il a rencontré, nous attendons aujourd’hui des avancées concrètes, à la suite des vingt-trois recommandations que nous y avons formulées.
Je rappelle rapidement les quatre axes de ces recommandations.
Premièrement, faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique et pénale.
Deuxièmement, faciliter la suppression de contenus pornographiques illicites et l’exercice du droit à l’oubli.
Troisièmement, bloquer l’accès des mineurs aux contenus pornographiques. À cet égard, nous nous félicitons des récentes annonces du Gouvernement concernant la mise en place, dès le mois de mars, d’un dispositif technique opérationnel de vérification d’âge reposant sur le principe du double anonymat, tel que celui que nous avions proposé dans notre rapport et que vient de rappeler notre collègue Alexandra Borchio Fontimp.
Quatrièmement, éduquer les jeunes à la sexualité et sensibiliser les parents, les équipes pédagogiques et les professionnels de santé aux dangers de l’exposition à la pornographie des enfants et des adolescents.
Globalement, nous pensons qu’il est nécessaire de mettre en œuvre un plan interministériel de lutte contre les violences pornographiques et des mesures fortes dans les quatre domaines que je viens de citer.
Pour mettre en œuvre un tel plan, il faudra bien sûr des moyens importants, adaptés et nouveaux, notamment un renforcement de l’arsenal pénal, des effectifs et des moyens matériels mis à disposition des services enquêteurs et des magistrats amenés à traiter des violences commises dans un contexte de pornographie.
Nous sommes également favorables à l’exploration de toutes les mesures fiscales permettant de taxer l’activité de l’industrie pornographique, marché extrêmement rentable qui engendre des milliards d’euros de profits chaque année.
Mme Laurence Rossignol. Très bien !
Mme Laurence Cohen. Bref, nous revendiquons sans détour un pouvoir de nuisance contre cette industrie aussi puissante que néfaste. Unissons nos forces dans ce combat pour que cessent enfin les violences systémiques induites par les pratiques de cette industrie ! C’est l’une des conditions pour bâtir une société d’égalité entre les femmes et les hommes. Nous sommes toutes et tous concernés, et nous pouvons être fiers d’examiner aujourd’hui cette proposition de résolution au Sénat. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour reprendre un constat évident figurant dans le rapport d’information de mes collègues Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, le milieu de la pornographie est aujourd’hui avant tout un business, et un business qui peut rapporter gros.
Comme pour d’autres secteurs qui se situent souvent au-delà de la légalité, comme la prostitution ou les trafics en tous genres, il est difficile d’obtenir des statistiques précises sur l’ampleur et les caractéristiques du phénomène. On sait toutefois que les volumes d’affaires se chiffrent en milliards d’euros.
Ce secteur est aujourd’hui concentré dans les mains de quelques plateformes de diffusion à l’échelle mondiale, souvent d’origine nord-américaine. Leurs sièges sociaux peuvent être établis dans des paradis fiscaux et leurs activités se caractérisent souvent par une certaine opacité financière.
La diffusion et la consommation de contenus pornographiques sont massives et représentent le quart de la bande passante d’internet. Les plateformes dites pour adultes font partie des sites les plus consultés, comparables aux grands moteurs de recherche, aux réseaux sociaux, aux grands médias, etc. La France occupe – hélas ! – la quatrième place mondiale dans la consommation de contenus pour adultes.
Les critiques sur l’évolution de l’industrie pornographique ne sont pas nouvelles, notamment sur ses effets sur les consommateurs, en particulier les plus jeunes, mais pas uniquement, qu’ils soient volontaires ou accidentels. Ces critiques ont pris plus récemment un tour dramatique avec la révélation d’abus particulièrement graves, en France même, sur de jeunes femmes lors de la réalisation de tournages dits amateurs.
La massification et la banalisation de la pornographie peuvent entraîner la recherche de contenus toujours plus inventifs et, par conséquent, des pratiques de plus en plus extrêmes, voire violentes, sans le consentement réel des personnes. Nous devons donc nous interroger davantage sur les conditions de production des contenus pour adultes et sur les règles qui devraient les encadrer, et imposer, par exemple, des médiateurs du consentement ou des dispositifs comparables.
M. Loïc Hervé. Bien sûr !
Mme Véronique Guillotin. Il ressort des travaux de la délégation aux droits des femmes que ces abus touchent particulièrement l’industrie dite amateur, réalité qui cache en fait l’absence totale de garanties pour les jeunes femmes – ce sont elles le plus souvent les victimes – et une organisation digne des labels les plus établis.
La pornographie dite professionnelle n’est pas pour autant exempte de critiques. On sait de longue date que les conditions de travail lors des tournages et les conditions sanitaires les plus élémentaires ne sont pas respectées.
Un point important ressort des auditions menées l’année dernière : les actrices, qui refusent d’être assimilées à des prostituées, demandent à être reconnues en tant qu’actrices. Elles veulent que leur profession puisse s’organiser de façon à mieux défendre leurs droits, au moyen par exemple de syndicats interprofessionnels ou d’agences, à l’instar des acteurs classiques. En tant que cosignataire de la proposition de résolution, qui fait l’objet d’un consensus transpartisan, je me permets d’attirer l’attention sur ce point.
J’en viens maintenant au deuxième axe de la problématique : l’effet de la pornographie sur le public. Qu’on le veuille ou non, la pornographie occupe aujourd’hui une place importante, sans pour autant qu’il faille la considérer comme un produit de consommation classique.
L’accès à la pornographie des mineurs est problématique dans la mesure où ces contenus leur sont interdits par la loi. Le contrôle de l’âge est une difficulté réelle. Un dispositif de certification de l’âge, qui devrait être mis en œuvre cette année, est en cours d’élaboration. Je rappellerai pour ma part la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet, adoptée voilà un an. Sait-on si elle a d’ores et déjà produit des effets ?
L’accès des adultes à la pornographie est quant à lui autorisé en France et, plus largement, dans les pays occidentaux, mais il est souvent interdit ou limité dans le reste du monde. Pour autant, les effets de la pornographie sur les adultes ne devraient pas être négligés, soit parce qu’ils y ont été confrontés pendant l’adolescence, soit parce qu’elle contribue encore à donner une vision déformée de la sexualité. Enfin, les adultes ont naturellement une responsabilité dans leur propre usage de la pornographie et dans les conseils qu’ils doivent apporter aux mineurs. J’évoque là la question de l’éducation.
En conclusion, convaincus de la nécessité d’agir plus efficacement pour lutter contre les dérives de cette industrie, les membres du RDSE voteront cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de résolution de nos collègues Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, que je salue, appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique, que nous sommes nombreux à avoir cosignée.
La pornographie est partout et accessible d’un seul clic, tel un produit de consommation courante.
Le marché est si peu régulé qu’il suffit de répondre à une question simplissime – Avez-vous plus de 18 ans ? – pour accéder à des contenus sensibles, que l’on soit mineur ou majeur.
Une réponse positive permet d’entrer dans l’univers sordide des vidéos pornos tournées avec des actrices parfois vulnérables, qui n’auraient jamais consenti à l’acte sexuel si elles avaient été informées des conditions de tournage et des pratiques que ce milieu, ignorant de la dignité humaine, leur impose.
Qu’importe le respect dû à la femme et à son intégrité physique. Devenue de la chair à canon pour des pornocrates sans scrupule, elle doit contribuer à leur fortune personnelle et à leur gloire !
Certains, fatalistes, banaliseront la pornographie en affirmant qu’elle n’est finalement qu’une version modernisée de la sexualité… Et c’est là que le bât blesse ! Car la pornographie, aussi répandue soit-elle, ne peut pas être assimilée à la sexualité, qui est une découverte partagée mettant en scène une intimité complice.
Plusieurs chercheurs auditionnés par notre délégation nous ont confirmé que ces vidéos ont une influence certaine sur les pratiques des adolescents, à travers les normes corporelles et les diktats qu’elles imposent. Pis, elles véhiculent la culture du viol dans un contexte où l’éducation à la sexualité dans le cadre scolaire est quasi inexistante.
Dans certains cas, la consommation de contenus pornographiques peut entraîner des traumatismes psychologiques et physiques graves, auxquels concourent également les réseaux sociaux numériques, comme Instagram et Snapchat, où l’image des corps dénudés est banalisée, et le revenge porn, une pratique courante.
De mon point de vue, la réponse à ce phénomène doit être double : il faut éduquer pour mieux protéger et réprimer pour mieux réguler. Protéger nos jeunes contre les contenus inappropriés par la prévention et l’éducation est en effet la première réponse à apporter, face au fléau de la pornographie en libre accès.
Le rôle des parents est décisif ; je pense en particulier à la mise en œuvre du contrôle parental pour les plus jeunes, qui possèdent souvent un smartphone dès l’âge de 10 ans. Celui de la communauté éducative et des associations est également très important, non seulement pour encadrer les bonnes pratiques informatiques, mais également pour délivrer à nos adolescents une information pertinente sur la sexualité et ses pratiques.
Si les enjeux de prévention sont majeurs, ils ne sont cependant pas traités aujourd’hui avec suffisamment de détermination et de moyens humains dans notre pays.
Une seconde réponse peut consister en la mise en œuvre d’une politique coercitive beaucoup plus forte à l’égard des éditeurs de contenus.
Agir sur le terrain juridique et renforcer les outils techniques sont certainement les meilleurs moyens de réguler l’accès à la pornographie.
À cet égard, la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a constitué une étape importante en matière de lutte contre les contenus pornographiques. Je tiens ici à saluer l’engagement ferme et constant de notre collègue Marie Mercier sur le sujet essentiel de la protection de l’enfance.
C’est à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) qu’incombe désormais la responsabilité de faire respecter l’interdiction de l’accès des mineurs aux sites pornographiques. Elle s’y est récemment employée en mettant en demeure plusieurs plateformes de rendre leurs contenus inaccessibles, puis en saisissant le président du tribunal judiciaire de Paris pour obtenir le blocage de l’accès aux sites et leur déréférencement.
Les éditeurs concernés se sont lancés depuis dans une bataille juridique acharnée, afin de protéger leur activité et leurs revenus. L’indécence n’a décidément pas de limite !
Il faudra sans aucun doute, comme le propose la délégation aux droits des femmes, renforcer les pouvoirs de l’Arcom, par exemple en assermentant ses agents, afin de leur permettre de constater eux-mêmes les infractions des éditeurs de contenus sensibles. Il devrait également être parfaitement envisageable de prononcer à leur encontre des sanctions administratives d’un montant dissuasif.
Dans ce contexte, je me réjouis de l’annonce récente par le Gouvernement du test prochain d’un dispositif technique reposant sur le principe du double anonymat, destiné à vérifier l’âge des internautes. Une telle solution, plus performante que celles qui sont actuellement proposées par les éditeurs de contenus, serait de nature à répondre aux recommandations de notre délégation.
Enfin, nous devons avoir conscience du rôle pivot de l’éducation nationale et de la nécessité d’aborder, dans le cadre des séances d’éducation à la vie sexuelle et affective, les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie. De même serait-il judicieux de recruter plus de professionnels formés en matière d’éducation à la santé dans les établissements scolaires.
C’est à ces conditions que nous pourrons faire échec aux violences pornographiques et que nous permettrons à nos enfants et adolescents de vivre sereinement le passage progressif vers l’âge adulte.
Compte tenu de l’importance des enjeux et de la nécessité d’agir sans délai contre ces violences, je voterai la proposition de résolution qui nous est soumise. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quel parent ne s’est pas jamais interrogé sur le type de contenus auquel son enfant a accès sur internet ?
Parmi les contenus suscitant des inquiétudes figurent évidemment ceux qui sont à caractère pornographique. Ils inquiètent, car la plupart des parents veulent protéger leurs enfants contre ce type de vidéos, tout en sachant que l’accès à ces contenus, volontaire ou non, est bien trop souvent d’une simplicité enfantine.
En revanche, les conditions de tournage de ces vidéos, pourtant parfois excessivement violentes, notamment envers les actrices, suscitent beaucoup moins d’interrogations. Quiconque a consulté le rapport d’information du Sénat, intitulé Porno : l’enfer du décor, n’a pu être que bouleversé, voire perturbé, à la lecture des témoignages de certaines victimes. Certains font clairement état d’un système organisé d’abus de faiblesse, de viols et d’actes de torture et de barbarie.
Je tiens donc à saluer le travail des rapporteures, qui a permis de mettre en lumière les dessous très tabous d’un milieu qui l’est tout autant.
La pornographie constitue déjà en elle-même un genre du cinéma très particulier, dans lequel les actes les plus intimes ne sont ni simulés ni feints, mais reproduits. Et lorsque ces actes incluent des pratiques très violentes, voire déshumanisantes, non consenties, on ne peut plus du tout parler de cinéma.
Le sujet aujourd’hui, ce n’est pas d’être pour ou contre la pornographie ; c’est de condamner totalement et formellement toute forme de violence commise à l’encontre des acteurs et des actrices de cette industrie.
Ces dernières années, le secteur amateur s’est considérablement développé, notamment en raison de l’importance grandissante des réseaux sociaux, des messageries privées et des plateformes gratuites entièrement dédiées à ce type de contenus. Pratiques sexuelles imposées, rapports forcés, nombre de partenaires excessif : les tournages se font parfois dans des conditions inhumaines.
Si certains producteurs tentent de mettre en place des pratiques différentes, respectueuses des actrices et des acteurs, de leur dignité, de leur consentement et de leurs conditions de travail, cela reste malheureusement encore très minoritaire.
Nous souhaitons également affirmer notre volonté de renforcer la protection des mineurs face à ce type de contenus. Car si le code pénal interdit leur accès aux mineurs, il serait illusoire de prétendre que tel est le cas en pratique. Une simple déclaration de majorité suffit pour accéder aux sites pour adultes : 62 % des adolescents ont déjà vu des images pornographiques avant 15 ans et 31 % avant 12 ans. Plus inquiétant encore, un enfant de primaire sur deux y a déjà été exposé.
Au-delà d’une simple déclaration, un contrôle effectif de l’âge devrait être assuré avant l’accès à tout contenu pornographique. C’est là un point crucial : comment s’assurer de l’âge de l’internaute tout en respectant la confidentialité des données à caractère personnel ?
La piste principale proposée par le pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN) et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) non seulement pour les sites pornographiques, mais aussi plus largement pour tout site soumis à une obligation de vérification de l’âge, vise à ce que ceux-ci ne réalisent pas eux-mêmes les opérations de vérification. Ils devront s’appuyer sur des tiers de confiance, comme les banques ou les fournisseurs d’énergie, dont la validité aura été vérifiée de manière indépendante.
Cependant, aucun système ne sera parfait et aucun ne sera indétournable. Il s’agit de trouver la moins mauvaise des solutions pour protéger les mineurs. Cette solution devra nécessairement s’inscrire dans le cadre d’un débat démocratique.
Enfin, et parce que l’actualité nous y renvoie, il faut renforcer les moyens permettant de lutter contre la pédopornographie. Comment est-il possible que de tels contenus soient encore disponibles aujourd’hui ?
En 2021, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos) a permis d’empêcher plus de 3 millions de consultations, dont 90 % concernaient du contenu à caractère pornographique. Mais combien de contenus de ce type sont encore librement accessibles ?
Nous appelons à un renforcement de l’arsenal pénal, des effectifs et des moyens permettant de lutter contre toute forme de violence pornographique et de diffusion de contenus illicites. Nous espérons que cette proposition de résolution donnera lieu à des mesures concrètes.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera bien évidemment en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à quoi bon éduquer les enfants à la notion de consentement si des contenus pornographiques mettant en scène des adultes qui en sont privés leur servent de « lieu d’apprentissage de la sexualité par défaut », selon les termes de cette proposition de résolution ?
Contrairement aux fantasmes véhiculés par ces contenus, les faits judiciaires à l’origine de cette initiative sont bien réels. Dès 2020, plusieurs plaintes pour viols, viols aggravés, traite d’êtres humains et actes de torture, liées à des faits commis sur des plateaux de tournage et hors de ces plateaux, ont été déposées. Elles sont toujours en cours d’instruction.
Le Sénat s’est saisi de la question, ce qui a donné lieu à la publication d’un rapport d’information en septembre dernier, et je tiens à saluer l’initiative de mes quatre collègues.
Au moment de la publication du rapport, des représentants du secteur et des travailleurs du sexe avaient déjà mis en avant la possibilité d’une régulation alternative et la nécessité de distinguer la pornographie de la violence.
Bien que de jeunes productions offrent des contenus destinés à un public plus large et désormais féminin moins marqués par les rapports de domination, la marginalisation du secteur ne permet pas de garantir une protection satisfaisante pour les personnes engagées par ces productions. Il est donc urgent de s’assurer que le droit existant soit correctement appliqué au regard surtout de l’influence de ces contenus sur les mineurs.
Il est vrai que les images véhiculant les rapports de domination ne relèvent pas des seuls contenus pornographiques, mais ce secteur doit, comme les autres prendre, sa part de responsabilité, alors que deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers des enfants de moins de 12 ans ont déjà eu accès à de tels contenus.
On observe en outre un net retour des perceptions sexistes parmi les jeunes générations. Selon le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 23 % des jeunes âgés de 25 ans à 35 ans estiment qu’il faut parfois être violent pour être respecté en tant qu’homme et l’image des femmes véhiculée par la pornographie est jugée problématique par seulement la moitié d’entre eux.
Par ailleurs, les travaux de la délégation au droit des femmes ont permis de constater les faibles moyens d’action de l’Arcom.
Lors de son audition par la commission de la culture, au mois de septembre dernier, j’avais interrogé le président de cette autorité de régulation sur les capacités de cette dernière à mettre en place un écran noir en l’absence de vérification de majorité de ses utilisateurs par le site et sur la possibilité de disposer d’agents assermentés pour constater les infractions. La question est restée sans réponse : le président de l’Arcom a mis en avant des campagnes de communication et le recours à la signalétique. Celles-ci me paraissent totalement insuffisantes.
C’est pourquoi, avec d’autres collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, j’ai signé cette proposition de résolution.
Il s’agit également de poursuivre la réflexion législative qui s’est ouverte depuis plusieurs années sur l’existence de violences sexuelles et sexistes structurelles dans notre société et sur les moyens à mettre en place pour empêcher leur répétition générationnelle.
Sans verser dans le prohibitisme, trois pistes devraient être examinées en priorité.
Premièrement, il importe de s’assurer que les contenus soient produits dans des conditions légales, respectueuses du droit du travail, de ceux des personnes et de la dignité humaine, et que les manquements donnent lieu à des sanctions adaptées, ainsi qu’à un accompagnement des victimes. Une réflexion pourrait s’ouvrir également sur le soutien aux productions plus respectueuses des droits des personnes, dans l’esprit des travaux législatifs conduits sur la prostitution.
Deuxièmement, il importe de garantir que les contenus pour adultes soient réservés aux adultes. Autrefois, le filtre était assuré par un contrôle physique des distributeurs de films, à l’entrée des salles de cinéma et dans les vidéoclubs. L’époque a changé. La digitalisation nécessite d’adapter les outils de régulation, dans le respect de la protection des données personnelles. J’espère que le Gouvernement parviendra rapidement à un dispositif efficace, en s’inspirant par exemple du modèle de la Louisiane.
Troisièmement, il faut impérativement renforcer l’éducation à la sexualité, qui nécessite d’importants moyens humains et matériels : c’est là le rôle de l’éducation nationale.
Il me semble important de rappeler que la consommation de pornographie n’est qu’un aspect de la liberté sexuelle, n’est qu’un des moyens de vivre ses fantasmes et qu’il existe des sexualités heureuses sans y avoir recours. Dans Totem et Tabou, Freud écrit : « Le besoin sexuel, loin d’unir les hommes, les divise. » J’espère que nous parviendrons à dépasser ces divisions pour aboutir à une régulation de la pornographie respectueuse de toutes les sexualités et de toutes les dignités. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne.
Mme Samantha Cazebonne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France est marquant : 48 % des hommes entre 15 ans et 34 ans considèrent que l’image des femmes véhiculée par les contenus pornographiques est problématique. Ce chiffre monte à 79 % des hommes âgés de 65 ans et plus, soit trente points d’écart.
Ce constat est alarmant, surtout quand on le regarde à l’aune d’un autre chiffre : 90 % des scènes pornographiques comportent de la violence.
Comment se fait-il que des images de violence choquent moins les jeunes ? Comment agir contre le sexisme en France dans toutes les sphères où ce dernier existe ? Comment protéger mieux les femmes aujourd’hui ?
Dans ce contexte, la délégation aux droits des femmes a rendu un rapport d’information sur les pratiques de l’industrie pornographique. C’est la première fois qu’un tel travail est réalisé, et nous ne pouvons que nous féliciter de son existence. Car pour endiguer un phénomène de violence, pour protéger les femmes qui en sont victimes et pour encadrer une industrie qui représente 25 % du trafic web des vidéos dans le monde, il faut comprendre quels en sont les acteurs, les enjeux, les limites et les risques.
Ce travail parlementaire nous permet d’avoir une vision plus claire des mesures à prendre pour avancer vers une meilleure protection des femmes et des mineurs face aux violences pornographiques existantes. C’est tout l’objet de la proposition de résolution qui nous est soumise et que j’ai souhaité cosigner avec plusieurs de mes collègues.
Dans une ère où les vidéos se diffusent en quelques secondes aux quatre coins du monde, où les régulations d’accès sont rendues difficiles par des contenus disponibles en quelques clics, des mesures protectrices sont souhaitées par nombre d’entre nous.
C’est ainsi que, l’année dernière, la loi issue d’une proposition de notre collègue député Bruno Studer visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet a été promulguée. Elle rend obligatoire la préinstallation d’un dispositif de contrôle parental sur les appareils connectés vendus en France. L’activation de ce dispositif devra être proposée gratuitement à l’utilisateur lors de la première mise en service de l’équipement.
Le Gouvernement s’est également engagé sur le sujet avec pour objectif, notamment, de mieux protéger les mineurs face à ces contenus. C’est ainsi qu’une campagne gouvernementale pour promouvoir le site jeprotegemonenfant.gouv.fr et les dispositifs de contrôle parental a été lancée voilà quelques semaines. Cette plateforme d’information, de prévention et de protection des mineurs contre l’exposition aux contenus pornographiques en ligne propose des outils, des conseils et des ressources pratiques pour mieux informer les parents, afin qu’ils protègent leurs enfants.
De plus, le rapport commandé par le Gouvernement concernant l’éducation à la sexualité a été publié en 2021 et permet d’avoir un état des lieux de la mise en œuvre de cette politique publique. Il préconise notamment d’inscrire des notions d’éducation à la sexualité dans les programmes de certaines disciplines appartenant au domaine des sciences humaines, économiques et sociales et liées au sujet.
Enfin, un travail commun est actuellement mené par Jean-Noël Barrot et Charlotte Caubel sur la vérification de l’âge par le biais de l’attestation numérique. Ainsi le lancement au mois de mars prochain d’une expérimentation visant à trouver une solution de vérification de l’âge des internautes en double anonymat a-t-il été annoncé. Cette annonce intervient à la suite d’un avis de la Cnil sur le sujet. Il s’agira donc de s’assurer de la mise en œuvre d’un outil protecteur non seulement pour les mineurs, mais également pour la vie privée et les données personnelles de chacun.
Tout travail sur ces enjeux centraux implique d’aboutir à un équilibre. Il me semble que tel est l’objet de cette proposition de résolution : protéger avec justesse.
Le texte prévoit tout d’abord d’inciter à une prise de conscience collective de la réalité des pratiques de l’industrie pornographique et de leurs conséquences. C’est un objectif essentiel.
Il vise également à faire de la lutte contre les violences que cette industrie génère et véhicule une priorité de politique publique et pénale ; à mieux informer, accueillir et protéger les victimes de violences commises dans un contexte de pornographie, en particulier en formant les forces de l’ordre et les intervenants du numéro national 3919 ; à recommander la création d’une catégorie « violences sexuelles » sur la plateforme Pharos, afin de faciliter et de mieux comptabiliser les signalements ; à protéger la jeunesse en bloquant tout site ou réseau proposant des contenus pornographiques sans exiger une preuve de majorité des utilisateurs ; à plaider pour une généralisation des dispositifs de contrôle parental et de navigation sécurisée, qui pourraient être activés par défaut dès lors qu’un abonnement téléphonique est souscrit pour l’usage d’un mineur ; enfin, à alerter sur la nécessité d’appliquer la recommandation de trois séances annuelles d’éducation à la vie affective et sexuelle, au cours desquelles devront être abordés les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie.
Cette proposition de résolution vise ainsi à aller au-delà d’un mot connu de tous : la « pornographie ». Ce dernier est trop souvent utilisé par des mineurs qui ont accès à ces contenus avant même parfois de savoir ce que recouvrent les notions de consentement et de sexualité, et de connaître les problématiques liées à ces sujets.
Le texte, en s’attachant à trouver une réponse exhaustive tant sur l’information que sur le contrôle, la formation et la protection des plus fragiles, nous apparaît d’importance.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées des groupes UC, RDSE et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Angèle Préville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, perversion partout, respect nulle part ! L’industrie pornographique organise un monde parallèle où le spectacle de violences, de sévices et de viols est la norme.
La pornographie s’est infiltrée partout dans notre société et installe dans les esprits une vision sordide de la sexualité. C’est une activité économique extrêmement lucrative, autrement dit une machine à cash, générant dans le monde des milliards d’euros chaque année.
Les taux d’exposition des mineurs à des images pornographiques sont plus qu’alarmants. Ils sont massifs et proprement hallucinants. Avant 13 ans, bien plus du tiers des garçons et plus du quart des filles sont concernés. Avant 18 ans – les chiffres donnent le vertige –, ce sont la quasi-totalité des garçons, 95 %, et une très large majorité des filles, 86 %.
Rappelons-le, la loi interdit l’accès des mineurs aux contenus pornographiques. Par conséquent, nous sommes très loin du compte s’agissant du respect de la loi.
Les effets dévastateurs sur les comportements des enfants sont d’ores et déjà constatés, qu’il s’agisse de la multiplication des attouchements et harcèlements sexuels dans les collèges et les lycées, ou des visionnages forcés de vidéos pornographiques, les filles constituant bien évidemment la majorité des victimes. Tout cela se passe dans l’ignorance quasi totale des parents. Si un témoignage ou une affaire sont révélés, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : n’oublions pas que quasiment tous les enfants ont vu des vidéos pornographiques avant 18 ans.
Les effets du porno sont absolument toxiques sur les esprits, a fortiori sur les plus jeunes. Chez les adolescents, la rencontre avec la brutalité du porno précède la construction de l’imaginaire sexuel. L’enfant peut être profondément choqué et dans l’incapacité d’analyser ce qu’il a vu. Tous les possibles des rapports amoureux peuvent ainsi être balayés : rencontre, attirance et séduction.
Il s’agit – je le dis avec force, parce que c’est grave – d’une violence psychique qui constitue une blessure à vie pour les enfants auxquels on l’inflige en ne les protégeant pas. Les conséquences sont délétères, donnant lieu à de nombreux troubles et traumatismes et œuvrant surtout comme un apprentissage au non-consentement.
Il faut ajouter que les contenus sont de plus en plus violents. Il semble ne pas y avoir de limites, qu’il s’agisse de l’apologie du viol et de l’inceste ou de la déclinaison de tout un panel de déviances sexuelles.
Un nombre non négligeable de consommateurs développent une addiction entraînant une accoutumance à ces contenus de plus en en plus violents qui érigent la domination masculine en modèle dans une escalade sans fin : 90 % des scènes pornographiques sont violentes, voire ultraviolentes. Elles peuvent être qualifiées d’actes de torture et de barbarie impliquant la traite d’êtres humains.
De nombreuses femmes recrutées sont trompées et abusées : elles seront filmées alors qu’elles sont violentées, blessées et violées. La réalité, c’est qu’elles ont été piégées, n’ayant aucune idée de la violence inouïe des actes sexuels qu’elles allaient subir.
La rapide évolution de l’industrie pornographique, tirée par le développement d’internet, a créé des opportunités pour des acteurs sans scrupule qui ont bâti des fortunes alors que les pouvoirs publics restaient aveugles et sourds. Des empires se sont créés, insaisissables et tirant parti de l’absence de réglementation, de cadre et de surveillance, avec pour résultat l’instauration d’une réalité parallèle où prospère l’esclavage sexuel, dont la valeur marchande constitue une forme de barbarie contemporaine.
Ce monde semble échapper à toute poursuite et à toute sanction. Et les femmes victimes se trouvent dans la quasi-impossibilité de demander justice pour ce qu’elles ont subi. Si quelques affaires ont été révélées, dévoilant l’ampleur du phénomène, le constat des chiffres auxquels nous devons faire face est effrayant : 19 millions de visiteurs par mois en France, dont 17 millions d’adultes et 2 millions d’adolescents.
Le marché est colossal et crée un appel d’air qui favorise l’arrivée de nouvelles vidéos sur les plateformes pour répondre à la demande. Il connaît de plus une dérive sans précédent qui crée une passerelle vers une forme de proxénétisme très particulier, celui du viol sur commande d’une femme croyant participer au tournage d’une vidéo pornographique.
La lutte est vraiment inégale devant l’accélération du phénomène. Quelle société résultera demain de notre inaction et du manque de protection des enfants ?
Le constat du rapport est sans appel. Il faut agir sans tarder avec volontarisme et efficacité, en élargissant d’une part les prérogatives de l’Arcom pour sanctionner les sites qui ne respectent pas la loi et l’interdiction d’accès aux mineurs, en généralisant d’autre part le champ de la plateforme Pharos aux violences sexuelles. Pour cela, il faut engager des moyens humains substantiels.
La lutte contre la marchandisation du corps des femmes doit être une priorité absolue de politique publique. Alors que les violences exercées par les hommes sur les femmes ne diminuent pas dans notre pays, on peut légitimement se questionner, voire s’inquiéter, du rôle que joue la consommation massive de pornographie.
Je remercie très sincèrement la délégation aux droits des femmes pour ce travail ô combien nécessaire et courageux sur ce qu’elle a très justement appelé « l’enfer du décor ».
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons une proposition de résolution importante qui appelle à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique. Un principe de réalité s’impose à nous, mes chers collègues : nous vivons dans une société où la pornographie est omniprésente et où les violences sexuelles sont malheureusement aussi très présentes.
Car oui, la pornographie contribue à la culture du viol et à la normalisation de la violence sexuelle. Les images violentes et dégradantes qui y sont représentées ont un impact réel sur la manière dont les hommes et les femmes se perçoivent eux-mêmes.
C’est pourquoi nous devons nous opposer fermement à une industrie opaque et mondialisée qui exploite et objective le corps des femmes et des minorités de genre. Nous devons comprendre que le porno est un produit culturel qui se nourrit des discriminations de genre dans notre société pour générer des milliards d’euros de profit.
En effet, l’excellent rapport de nos collègues met en relief que dans la pornographie, les femmes et les minorités de genre sont souvent reléguées à des rôles stéréotypés et dégradants, tandis que le mythe de la performance masculine est surreprésenté.
Il est grand temps de dénoncer cette représentation des sexes biaisée, qui renforce les inégalités existantes et nourrit la culture de la violence sexuelle.
En outre, nous ne manquerons pas de pointer du doigt une industrie sans aucun scrupule, dans laquelle les actrices pornographiques sont victimes d’exploitation, de harcèlement et de violences sexuelles.
De plus, par cette résolution, nous souhaitons dénoncer une industrie du porno qui a des répercussions néfastes sur la santé physique et mentale des acteurs et des spectateurs. D’une part, les actrices pornographiques sont exposées à des infections sexuellement transmissibles, à des troubles de stress post-traumatique, à des troubles de l’alimentation et à d’autres problèmes de santé mentale ; d’autre part, les spectateurs de porno peuvent développer des addictions, des troubles de la sexualité et des problèmes de santé mentale.
Mes chers collègues, il est impératif que nous prenions des mesures pour contrer les effets nocifs de la pornographie actuelle sur notre société. En particulier, comme l’a évoqué ma collègue Laurence Cohen, nous devons fournir des ressources pour éduquer le public aux dangers de la pornographie et aux moyens de résister à ses effets néfastes. Cela peut inclure des campagnes de sensibilisation ou encore des programmes éducatifs pour promouvoir une éducation sexuelle mettant en avant la diversité des identités de genre et des orientations sexuelles, qui respecte la dignité et l’autonomie de chacune et qui lutte contre les stéréotypes sexistes et homophobes. Ces mesures sont plus que nécessaires lorsque l’on sait qu’en France, deux tiers des moins de 15 ans – mes collègues l’ont dit précédemment – ont déjà visionné des images pornographiques et 2,3 millions de jeunes de moins de 18 ans en visionneraient tous les mois.
Nous plaidons également en faveur de mesures pour lutter contre l’exploitation des actrices dans l’industrie pornographique. Il est grand temps de travailler à créer des espaces sûrs et égalitaires afin de protéger leur dignité et leur intégrité physique et mentale. Les violences systémiques qu’elles subissent doivent cesser.
Enfin, nous devons renforcer les lois et les politiques qui protègent les victimes de la violence sexuelle et de l’exploitation dans l’industrie pornographique.
En France, la justice commence à ouvrir les yeux. Avec l’affaire French Bukkake, pour la première fois en France, des acteurs ont été poursuivis pour viol dans des investigations visant l’industrie pornographique : nous voyons là un premier pas vers la reconnaissance du fait que les actrices pornographiques ne sont pas des citoyennes de seconde zone. Leurs plaintes à la police doivent être prises au sérieux. Il est nécessaire d’améliorer la formation des policiers pour recueillir de telles dénonciations.
En outre, le droit à l’oubli ne doit pas être à deux vitesses pour les actrices du porno. Faut-il donc rappeler que certaines ont dû débourser entre 3 000 euros et 5 000 euros pour faire retirer des vidéos en ligne dans lesquelles elles apparaissaient, en faisant valoir leur droit à l’oubli ? Cela n’est pas acceptable. Nous ne pouvons demeurer les bras croisés. À ce propos, madame la ministre, que comptez-vous faire des recommandations de ce rapport, qui méritent à l’évidence que nous agissions ?
Mes chers collègues, la violence sexuelle dans la pornographie est un problème de société qui nécessite des réponses collectives. En adoptant cette proposition de résolution, nous nous engageons en faveur de la lutte contre les violences pornographiques. Nous attendons que l’on érige celle-ci comme une priorité de politique publique, afin de mieux éduquer le public face aux dangers de ces violences et de protéger les actrices pornographiques, qui sont très souvent victimes de violences sexuelles. C’est une responsabilité que nous devons tous partager et un engagement que nous devons prendre.
C’est pourquoi le groupe CRCE, dont l’ensemble des élus sont signataires de la proposition de résolution, la votera bien évidemment. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant toute chose, et comme tous ceux qui se sont succédé à cette tribune aujourd’hui, je tiens à saluer le travail exceptionnel qui a été effectué par la délégation aux droits des femmes, en particulier par la présidente Annick Billon et par nos collègues Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, auteures du rapport d’information Porno : l’enfer du décor, dont émane la présente proposition de résolution.
Il s’agit d’un travail véritablement pionnier. Aussi incroyable que cela soit, alors que la pornographie est à l’évidence devenue un problème social majeur, le Parlement ne l’avait jamais véritablement investi.
Grâce à ce rapport d’information et à cette proposition de résolution, la représentation nationale ouvre enfin les yeux. Il était temps. Contre les préjugés les plus communément répandus, cette prise de conscience est évidemment tout à l’honneur de notre Haute Assemblée.
Je tiens donc à affirmer sans ambiguïté que je soutiens sans réserve chaque considérant de cette proposition de résolution, dont je suis moi-même cosignataire.
La question qui est devant nous est importante. Après la publication du rapport, l’adoption de cette résolution, qui interviendra – je l’imagine – tout à l’heure, nous entraînera sans doute, madame la ministre, vers un texte législatif et posera nécessairement la question de l’adoption de mesures pragmatiques et efficaces.
L’interdiction pure et simple de la pornographie est un chemin que certains de nos collègues nous proposeront peut-être d’emprunter. Sans préempter ce débat, je crois pouvoir affirmer que la prohibition pourrait avoir pour conséquence immédiate la bascule de la pornographie dans la contrebande et la mafia, qui sont des maux encore pires que ceux que nous connaissons déjà.
Existe-t-il une pornographie éthique ? Existe-t-il une pornographie morale ? Est-ce notre rôle d’en juger ?
Dans les débats à venir, je serai de ceux qui défendront un encadrement strict. C’est un chemin de crête qui demande de la conviction. Mais, à mes yeux, c’est le seul qui soit en mesure de produire de réels effets sur la réalité vécue dans notre pays.
Or, pour encadrer la pornographie, nous avons tout à faire. Et c’est bien à ce travail que nous invite, me semble-t-il, la présente proposition de résolution.
La seule pornographie qui puisse exister se doit de respecter la loi, mais avant tout la personne humaine, et bien évidemment les femmes. C’est une pornographie d’adultes consentants et qui ne s’adresse qu’à eux. Aucune tolérance pour les viols : ce sont des crimes ! Aucune tolérance pour les abus de faiblesse ni la prostitution et encore moins le proxénétisme. C’est d’ailleurs ce que considère la Cour de cassation, qui, dans sa décision du 18 mai 2022, a refusé d’étendre la définition jurisprudentielle de la notion de prostitution à l’activité dite de caming, consistant à proposer, moyennant rémunération, une diffusion d’images ou de vidéos à contenu sexuel.
Pour séparer le bon grain de l’ivraie, un cadre transversal doit être créé de toutes pièces.
Car, schématiquement, on peut classer les problèmes causés par la pornographie en deux grandes familles : ceux qui concernent les personnes qui la font et ceux qui concernent les personnes qui y ont accès.
La protection des premières, c’est-à-dire principalement les actrices, pose la question des conditions de travail et de tournage dans le cadre de la production de contenus pornographiques. Elle est la seule solution pour prévenir les crimes, comme ceux qui ont récemment défrayé la chronique et ont été portés devant les juridictions de notre pays. Ceux-ci sont sans doute à l’origine de notre prise de conscience collective.
Le grave problème de l’accès des enfants et des adolescents aux contenus pornographiques soulève l’impérieuse nécessité de contraindre les plateformes de diffusion à vérifier l’âge de la personne.
Enfin, la Cnil a formulé plusieurs propositions, dont celle, qui nous semble très importante et devrait selon nous constituer un élément de réflexion, d’une régulation des messageries instantanées.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera cette proposition de résolution sans aucune réserve. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le ministre chargé de la transition numérique, Jean-Noël Barrot, déclarait récemment : « En 2023, c’est la fin de l’accès aux sites pornographiques pour nos enfants ! »
À seulement 12 ans, près d’un enfant sur trois a été exposé à des contenus pornographiques en ligne. L’interdiction de l’accès aux sites porno manque sa cible quand il est simplement demandé à un mineur de répondre « oui » à la question de confiance sur sa majorité.
Conscient de cette faille, le Gouvernement prévoit une phase test, à compter de ce mois pour bloquer toute consultation de site pornographique par des mineurs. De fait, la jeunesse est trop souvent confrontée à une représentation déformée et inégalitaire des rapports entre les hommes et les femmes.
Ces contenus, accessibles facilement, toujours plus violents, font la promotion de l’acte sexuel forcé. Or, selon une étude de la BBC, plus d’un tiers des femmes subissent des violences lors de l’acte sexuel. Ces pratiques ne sont-elles pas encouragées par la consommation d’un certain type de pornographie ?
Il est urgent d’agir, mais comment ?
La corrélation entre violences sexuelles et pornographie s’observe déjà au niveau des conditions de travail imposées aux actrices, ces dernières relevant pourtant du code du travail, censé les protéger. Notre législation a clairement échoué jusqu’ici à dissiper le flou juridique entourant les métiers de la pornographie.
Comment protéger les actrices sans les empêcher d’exercer leur métier ? Il ne faudrait pas aggraver leur précarité en espérant abolir le porno. Mais il faut se doter d’un arsenal législatif permettant à la fois de garantir efficacement le consentement et la dignité des actrices et de sanctionner efficacement les producteurs encourageant les actes de violence lors des tournages.
La pornographie relève du débat public. Cette résolution pourrait servir de point de départ à la rédaction d’un projet de loi. Sans oublier que le problème posé est un problème non pas français, mais international, et que l’Europe devrait collectivement s’en saisir. Sans oublier non plus qu’encadrer et punir ne suffit pas. La solution passe aussi, comme le suggère Amia Srinivasan, professeure à Oxford, par une éducation rappelant à nos jeunes que le sexe peut rester ce que les anciennes générations en ont fait, mais qu’il peut aussi, si eux-mêmes le choisissent, devenir quelque chose « de plus joyeux, de plus égalitaire, de plus libre. » (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pendant plus de six mois, la délégation aux droits des femmes a mené des travaux sur l’industrie pornographique. Ceux-ci ont abouti à la publication du rapport intitulé Porno : l’enfer du décor.
Je tiens à remercier la présidente de la délégation, Annick Billon, d’avoir abordé ce sujet de fond aux côtés des rapporteures Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, qui ont accompli un travail formidable, dont je souhaite les féliciter, car celui-ci fera avancer non seulement les mentalités, mais aussi, je l’espère, notre droit.
Plus de 250 sénateurs, dont sept présidents de groupe, ont souhaité être associés à l’élaboration de cette proposition de résolution. Le Sénat a pleinement conscience de l’urgence et de l’importance du sujet.
Les mesures proposées iront dans le sens d’une meilleure protection des mineurs face à l’industrie pornographique, qui – je tiens à le souligner – réalise un véritable hold-up sur l’intimité et le développement de nos plus jeunes.
Pour autant, ne passons pas à côté d’un autre enjeu, dont je voudrais vous parler.
En 2018, à l’Assemblée nationale, j’avais auditionné le journaliste Robin d’Angelo, qui venait de publier son livre Judy, Lola, Sofia et moi. Pendant un an, il avait infiltré le milieu du porno soi-disant amateur, incarné en France par la puissante entreprise Jacquie et Michel.
Aussi, alors que nous nous sommes interrogés à juste titre pendant des années sur l’exposition et l’accès des jeunes à la pornographie, nous avions occulté tout un pan de ce sujet si grave. Il m’avait expliqué ce que personne n’osait dire à l’époque : l’absence récurrente de consentement, le non-respect du droit du travail et des pratiques contraires à la dignité humaine ; n’ayons pas peur des mots.
Il avait alors parlé d’une « forme de normalisation de la violence, assez marquante et assez forte » qui conduisait forcément à des abus ; j’y insiste, ce sont des abus et des scènes de violences, et non des films !
Dès 2020, ces actes ont éclaté au grand jour avec l’ouverture d’une information judiciaire pour « traite d’êtres humains aggravée, viol en réunion ou proxénétisme aggravé » contre la plateforme de vidéos pornographiques French Bukkake.
Les plaignantes ont dénoncé de graves atteintes au consentement lors de scènes dégradantes et très violentes, tandis que le réquisitoire du parquet faisait état de viols répétés, de mensonges et d’intimidations, de l’utilisation de drogues, parfois à l’insu des victimes, de tests VIH falsifiés, et de rackets organisés pour retirer les vidéos pornographiques qui empoisonnent la vie des victimes.
De même, il faut mentionner l’ouverture d’une deuxième information judiciaire, dans le cadre d’une procédure distincte, à l’encontre notamment de la société Jacquie et Michel, l’un des sites pornographiques français les plus consultés, pour « complicité de viol et traite d’êtres humains en bande organisée ».
Ces procédures témoignent de la volonté des enquêteurs et de la justice de porter une plus grande attention aux violences sexistes et sexuelles commises dans le milieu dit du « porno français ».
Sans compter toutes les victimes qui n’ont jamais osé parler…
Près de 220 000 vidéos sont vues chaque minute sur la principale plateforme, où se cachent parfois des réseaux criminels, proxénètes et de traite d’êtres humains à grande échelle. Il s’agit d’une industrie prospère : je rappelle qu’une recherche sur huit sur internet concerne une vidéo pornographique.
Ayons le courage de dire que les méthodes de l’industrie pornographique sont trop souvent identiques à celles des réseaux de traite des êtres humains. D’ailleurs, c’est bien de cela qu’il s’agit : rabattage, mise en confiance, soumission par le viol, exploitation, intimidation, inversion de la culpabilité et chantage.
Les tournages des actes sexuels sous contrainte économique et morale, des agressions sexuelles et des viols, voire des actes de torture et de barbarie doivent être lourdement condamnés.
C’est pourquoi, mes chers collègues, nous ne pouvons pas à la fois voter des lois dans cet hémicycle pour protéger les victimes de violences sexuelles et fermer les yeux ou même tolérer ce qui se passe bien trop souvent dans les entreprises du porno.
Le Sénat peut donc être fier aujourd’hui d’émettre un certain nombre de propositions, parmi lesquelles celle de faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d’incitation à une infraction pénale, ou celle de favoriser l’émergence des plaintes des victimes de violences commises dans un contexte de pornographie en améliorant leurs conditions d’accueil, en formant les forces de l’ordre au recueil de plaintes de ces victimes spécifiques et en instaurant le suivi de leur dossier par un contact unique.
Notre assemblée propose également de traduire dans les effectifs et les moyens matériels des services enquêteurs et des magistrats la priorité donnée à la lutte contre les violences commises dans un contexte de pornographie, ou encore de s’attaquer directement aux plateformes de diffusion.
Car ces femmes et, parfois, ces hommes – nous ne devons pas les oublier – doivent non seulement se reconstruire, mais aussi supporter la diffusion non contrôlée de vidéos dont ils sont les victimes.
Mes chers collègues, je sais qu’aujourd’hui il est de notre responsabilité de porter leur message : ces victimes sont aussi bien les personnes qui regardent ces vidéos que celles qui y figurent, les soi-disant acteurs qui subissent ces violences.
Voter cette résolution, c’est aussi leur dire : « Nous sommes avec vous ».
Soyons fiers d’adopter ce texte, car, en le faisant, nous protégeons ces hommes et ces femmes exploités. Nous défendons la liberté et la fraternité, et nous agissons pour la dignité humaine. La solidarité que nous leur devons est essentielle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
(Mme Pascale Gruny remplace M. Roger Karoutchi au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-présidente
Mme le président. La parole est à M. Serge Mérillou.
M. Serge Mérillou. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans l’enfer des films pornographiques, le non n’existe pas : le oui est la norme.
Malheureusement, la réalité dépasse parfois la fiction quand ce rapport au consentement, ou plutôt au non-consentement s’invite sur les tournages et s’immisce dans le cerveau des consommateurs.
Le porno est avant tout la mise en exergue d’une vision très singulière, misogyne de la sexualité, une sexualité majoritairement filmée par des hommes pour des hommes. Le porno est une vision violente, brutale, dans laquelle les femmes sont souvent réduites à l’état d’objet dont on peut disposer sans limites. Les insultes ou les propos dégradants se substituent aux sentiments, les coups aux caresses, les cris à la passion, les gros plans à la tendresse.
La réalité est bien différente. Pourtant, c’est à cette conception toute particulière de la sexualité que nos enfants sont exposés. En effet, les deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers de ceux de moins de 12 ans ont déjà eu accès à des contenus pornographiques. C’est le triste constat que tirent les auteures de cette proposition de résolution.
Smartphone, tablette, ordinateur : avec le numérique, chaque enfant, chaque adolescent détenteur d’un de ces appareils peut se rendre sur des sites pornographiques et se trouver exposé à de la pornographie.
La plupart du temps, l’accès n’est conditionné qu’à un clic sur un bouton « J’ai plus de 18 ans ». C’est un rempart en carton aisément franchissable par quiconque sait se servir d’une souris…
Ce clic n’est pourtant pas sans conséquence pour un cerveau en plein développement, pour un jeune en pleine construction. L’exposition à la pornographie est pour certains une première approche de la sexualité, une découverte qui débute parfois par le visionnage d’un viol en réunion, d’une vidéo hardcore.
En effet, les contenus violents, dégradants sont souvent mis au premier plan sur les sites. L’impact sur les enfants, sur leur représentation de la sexualité des adultes, des différentes orientations sexuelles est indéniable et destructeur.
Traumatismes, troubles du sommeil ou de l’alimentation, vision déformée et violente de la sexualité : les effets sont graves. La vision rétrograde, violente, fondée sur des rapports de domination entre individus qu’instaure le porno véhicule également des clichés et des préjugés racistes, homophobes, lesbophobes et transphobes qu’il nous revient de combattre.
Lutter contre cette exposition des mineurs à la pornographie n’est pas chose simple. Beaucoup de parents pensent contrôler les pratiques de leurs enfants sur le web. Malheureusement, la pornographie est partout. Twitter, Facebook, Snapchat, Telegram, Reddit… qu’il s’agisse de contenus publiés directement sur ces plateformes ou de liens envoyés par messages privés, les jeunes y sont confrontés de toute part.
Mes chers collègues, il nous faut protéger nos enfants. En ce sens, je remercie les auteures de ce texte, dont les propositions sont pertinentes.
Mieux contrôler l’accès aux plateformes est impératif. Ces dernières doivent respecter la loi, puisque l’exposition d’un mineur à des contenus pornographiques est un délit. Durcissons les conditions de vérification de l’âge.
Enfin, il est essentiel d’accélérer les initiatives de prévention et de sensibilisation à destination des parents et des enfants. Ces derniers doivent également disposer de davantage d’informations relatives à la sexualité pour que leur seul modèle ne soit pas celui de la pornographie. Dans cette perspective, l’école et l’État ont un rôle à jouer.
Mes chers collègues, cette proposition de résolution transpartisane va dans le bon sens. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain la votera ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa et M. Yves Détraigne applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution contre les violences pornographiques que nous examinons aujourd’hui est effectivement une priorité publique.
Avec le développement d’internet, les contenus pornographiques sont devenus quasiment libres d’accès via un ordinateur ou un téléphone. Or, comme le démontre le remarquable travail de nos collègues de la délégation aux droits des femmes, ces contenus comportent des images souvent dégradantes, reposant sur des maltraitances, des viols ou de la prostitution, y compris de mineurs.
On assiste à une banalisation de la diffusion de ce type de contenus, pour le plus grand profit d’une industrie qui, elle, prospère. Comme l’a expliqué notre collègue Loïc Hervé, le groupe Union Centriste votera donc cette proposition de résolution visant à susciter une prise de conscience dans notre pays : il s’agit d’améliorer le soutien aux victimes, de renforcer la réponse pénale contre ces violences, d’empêcher la diffusion de ces contenus illicites et de protéger notre jeunesse.
Du côté de la réponse pénale, nous avons déjà un outil exemplaire et unique en Europe : la plateforme Pharos. Regroupant policiers et gendarmes, celle-ci effectue une veille sur internet et dispose des moyens juridiques et techniques pour retirer les contenus illicites ou en bloquer l’accès sur le fondement de signalements, tout cela sous le contrôle d’une personnalité qualifiée, Laurence Pécaut-Rivolier, membre de l’Arcom.
J’ai pu échanger avec les responsables de cette plateforme : leurs témoignages sont atterrants – et même à la limite du supportable, quand il s’agit d’enfants, voire de nourrissons – et leur travail exemplaire.
La création d’une catégorie « violences sexuelles » serait bienvenue, mais il serait aussi souhaitable que les moyens de Pharos soient à la hauteur de cette ambition. En particulier, il faudrait songer à la personnalité qualifiée, qui mériterait d’être remplacée par une structure collégiale, tant son travail est éprouvant.
Aujourd’hui, la régulation sur internet dépend aussi et principalement de la législation européenne. Le Digital Services Act, récemment voté, prévoit que les autorités des États membres peuvent demander aux fournisseurs d’agir contre les contenus illicites.
Je regrette toutefois, et je l’ai dit maintes fois, que la responsabilité des fournisseurs de services d’hébergement, dont on connaît le modèle économique particulièrement toxique, demeure limitée pour ce qui est de ce type de contenus. N’oublions pas que Frances Haugen, la lanceuse d’alerte, nous avertissait ici que Facebook préférerait toujours le profit à la sécurité des enfants.
Aussi, dans la proposition de résolution européenne relative à la lutte contre les abus sexuels sur les enfants, qui a été adoptée par notre commission des affaires européennes le 15 février dernier, nous avons proposé, avec mes collègues Ludovic Haye et André Reichardt, que la Commission européenne puisse indiquer au public quels fournisseurs ne respectent pas leurs obligations, tout cela dans une logique de name and shame, afin que le risque réputationnel les incite à respecter scrupuleusement la réglementation.
Je remercie les auteurs de la proposition de résolution de leurs mesures visant à mieux protéger notre jeunesse, notamment au travers de la mise en place de dispositifs de contrôle parental, à activer par défaut sur les appareils, ou de l’écran noir qui serait imposé aux sites ne vérifiant pas l’âge de leurs utilisateurs. Ces recommandations confortent celles que nous avions faites avec mes corapporteurs pour mieux lutter contre la pédopornographie.
Une telle lutte nécessite des efforts redoublés à l’échelon tant national qu’européen, car la pornographie constitue une délinquance de masse, multiforme, qui prolifère. Ainsi, en 2021, l’agence policière européenne Europol, que j’ai pu visiter il y a une quinzaine de jours, démantelait le réseau Boystown, qui comptait alors 400 000 utilisateurs sur le dark web. On peut aussi mentionner l’enquête ouverte contre TikTok l’an dernier pour non-signalement de contenus pédopornographiques.
L’Union européenne détient – hélas ! – un triste record : celui du premier hébergeur de contenus à caractère pédopornographique au monde. En France, sur les 150 000 contenus litigieux qu’a examinés Mme Pécaut-Rivolier en 2021, environ 70 % étaient à caractère pédopornographique, en majorité publiés et détenus par des hommes, tous âges et toutes catégories socioprofessionnelles confondus.
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Morin-Desailly. Voilà pourquoi il y a urgence à agir ! Voilà pourquoi la France doit être le fer de lance au niveau européen sur le sujet !
Mme le président. Veuillez conclure !
Mme Catherine Morin-Desailly. Notre pays doit imposer des obligations complémentaires aux fournisseurs et aux grandes plateformes.
Mme le président. Votre temps de parole est écoulé !
Mme Catherine Morin-Desailly. Je remercie la délégation aux droits des femmes de son excellent travail, et je salue l’ensemble de nos collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
Mme le président. Madame Morin-Desailly, je vous rappelle que chaque orateur doit respecter le temps de parole qui lui est imparti. Nous avons encore un texte à examiner avant la suspension.
La parole est à Mme Marie Mercier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme Marie Mercier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à féliciter les auteures du rapport d’information sur la pornographie et son industrie de leur excellent travail.
En quelques clics sur leur téléphone, les petits Marceau, Lou ou Noé peuvent aujourd’hui visionner très facilement des contenus pornographiques disponibles gratuitement en ligne, même lorsque ceux-ci mettent en scène des pratiques violentes, douloureuses, humiliantes, voire des viols. Est-ce acceptable ?
Les conséquences sur nos enfants, sur leur développement affectif, psychologique et sexuel sont alarmantes ; nous l’avons constaté.
Nos mineurs peuvent accéder à des contenus gratuits, mais pas à des sites pornographiques payants. N’est-ce pas curieux ?
En 2020, le Sénat a examiné une proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, présentée par des députés de la majorité. Rapporteur de ce texte, j’ai fait en sorte qu’il traite aussi de l’accès des mineurs aux sites pornographiques. J’ai alors mené des auditions complémentaires, afin de proposer au Sénat un dispositif à la hauteur des enjeux.
M’inspirant d’une mesure en vigueur depuis dix ans pour les jeux en ligne, j’ai déposé un amendement visant à instaurer une nouvelle procédure destinée à obliger les éditeurs des sites pornographiques à mettre en place un contrôle de l’âge de leurs clients.
Mes chers collègues, vous avez voté mon amendement à l’unanimité le 10 juin 2020. Je vous en remercie : le dispositif adopté donne des prérogatives à l’Arcom que je ne détaillerai pas ici.
Quel bilan depuis le vote de cette loi du 31 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales ? Pourquoi faut-il déployer tant d’énergie pour être entendue, alors qu’il s’agit là d’une priorité publique, d’une loi votée, de la protection de l’enfance ?
Rappel des faits : le décret d’application de la mesure introduite à la suite du vote de mon amendement n’a été publié que le 7 octobre 2021, soit quatorze mois plus tard ! Pourquoi ?
Cinq sites pornographiques parmi les plus consultés ont alors été sommés de se plier à cette loi. Les mises en demeure sont restées sans effet malgré les constats d’huissier : plus de 500 !
Le président du tribunal judiciaire de Paris a par ailleurs été saisi. En septembre 2022, la justice française a examiné la demande de blocage de ces sites et a finalement enjoint à l’Arcom de rencontrer un médiateur. Oui, vous avez bien entendu : un médiateur ; c’est du jamais vu !
De leur côté, les sites ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité. La Cour de cassation a heureusement rejeté leur argumentaire le 5 janvier 2023. C’est une petite victoire pour nos enfants.
L’Arcom, confrontée à des sites pornographiques usant de manœuvres dilatoires pour éviter un blocage par la justice, a récemment mis fin à ce processus de médiation inutile, incompréhensible et choquant.
Le ministre Jean-Noël Barrot a annoncé tester fin mars un système de vérification de l’âge en double anonymat, qui me laisse perplexe.
Tester, mais jusqu’à quand ? Cette solution devra faire ses preuves avant d’être généralisée. Quand sera-t-elle définitivement mise en place ? En attendant, que fera la justice ? Reportera-t-elle ses décisions, et jusqu’à quand ? Pendant ce temps, nos petits Jules, Gabin et Daphné pourront continuer à visionner des contenus pornographiques gratuits.
Enfin, et pour moi, c’est le plus important, ce système déresponsabilise les sites pornographiques gratuits. Mon amendement visait pourtant à imposer aux plateformes de vérifier l’âge de leurs visiteurs, comme d’autres sites savent le faire.
Mme Annick Billon. Tout à fait !
Mme Marie Mercier. Les outils législatifs existent et sont en place. Il faut seulement veiller à faire appliquer la loi, ce qui implique une réelle volonté politique et des moyens.
Après une intervention, les pompiers emploient une très jolie formule : ils évaluent le « sauvé ». Depuis la promulgation de la loi du 31 juillet 2020, est-on capable d’évaluer le nombre des enfants qui ont été protégés de contenus qui ne sont pas faits pour eux ? Quel est le nombre des « sauvés » ?
Je vais vous le dire, car c’est facile à estimer, madame la ministre : dans la mesure où la loi n’est pas appliquée aujourd’hui, le « sauvé » est égal à zéro ! Je vous laisse juges, chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et SER. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, en préambule, je tiens à souligner la qualité du rapport que Mmes les sénatrices Billon, Borchio Fontimp, Cohen et Rossignol ont produit au mois d’octobre dernier.
Ces travaux mettent en lumière des faits de société trop souvent passés sous silence, bien que portant en eux une violence inouïe à l’égard des femmes. Ils contribuent à faire évoluer les mentalités et permettent au Parlement, pour la première fois, de mettre ce sujet à l’ordre du jour.
Je sais aussi que les auteurs du rapport ont fait preuve d’une grande force en recevant les victimes et en écoutant l’effroyable récit des sévices qu’elles ont subis.
Aujourd’hui, parmi les termes les plus recherchés sur les plateformes pornographiques, on trouve « sexe brutal », « ado amateur », « mom and son » ou encore « ado vierge ». Ces expressions ne sont pas des fantasmes : ce sont des appels à la violence, au crime ! Il peut s’agir – osons nommer les choses ! – de viols avec tortures et d’actes de barbarie, punissables de la réclusion criminelle à perpétuité.
Je tiens donc à remercier les sénatrices ayant effectué un tel travail d’avoir fait la lumière sur ce tabou.
Chaque seconde durant laquelle sont tues les violences pornographiques est une seconde de souffrance pour des milliers de victimes, des milliers de femmes abusées à force de pressions financières et psychologiques.
Ces femmes, ce sont par exemple toutes celles qui sont condamnées à vivre avec un cauchemar qui se répète à chaque fois qu’un utilisateur appuie sur Play et qui attendent le jugement de leur agresseur.
C’est aussi pour elles que nous devons agir. C’est en pensant à chacune d’entre elles que je m’exprime devant vous aujourd’hui. Elles sont les victimes de la violence de l’industrie pornographique. J’utilise le terme « industrie » à dessein, car ces violences répondent à la demande de consommateurs.
Pour y mettre fin sur le long terme, la réponse pénale ne suffit pas. Nous devons protéger et sensibiliser les plus jeunes aux dérives de la pornographie.
Vous l’avez rappelé, sur les 19 millions de personnes qui, en France, visitent chaque jour un site pornographique, on comptabilise 1 million d’adolescents ayant entre 15 ans et 18 ans, et 1,2 million d’enfants âgés de moins de 15 ans.
La violence des sites pornographiques est souvent pour eux le premier aperçu de ce qu’est la sexualité. Cela se traduit, chez nombre de jeunes, par une vision déformée et violente des rapports sexuels, qui peut aussi entraîner des difficultés à construire et entretenir des relations affectives.
En tant que magistrate, je peux l’affirmer : il y a là un terreau très favorable à des comportements violents envers les femmes.
L’une des clés du problème réside dans l’éducation. L’école de la République doit être un lieu de savoir, d’émancipation et d’éducation à la citoyenneté.
Depuis 2001, la loi prévoit que l’éducation à la sexualité doit être dispensée dans les écoles, les collèges et les lycées, à raison de trois séances par an. Il s’agit de séances d’éducation à la sexualité fondées sur un apprentissage du respect de l’autre, sur nos valeurs cardinales de respect de soi, d’égalité et sur l’apprentissage du consentement.
Dès notre entrée au Gouvernement, mon collègue Pap Ndiaye et moi-même avons fait de l’application de cette loi l’une de nos priorités. Nous devons défendre un message pédagogique fort à destination de notre jeunesse. Et c’est pourquoi nous avons pris le problème à bras-le-corps.
Le ministre de l’éducation nationale a ainsi publié le rapport produit au mois de juillet 2021 par l’inspection générale de l’éducation du sport et de la recherche. Il a également publié sur son site un vade-mecum sur l’éducation à la sexualité, afin d’en exposer le contenu et les enjeux. Depuis quelques semaines, un groupe de travail interministériel a été mis en place pour actualiser les contenus et ressources pédagogiques, et renforcer les formations des personnels.
Notre message doit être assez puissant pour mettre à mal l’idéologie patriarcale et méprisante pour les femmes que diffusent trop souvent les plateformes, quelles qu’elles soient.
Car il serait erroné de penser que l’on ne peut trouver la violence pornographique que sur des sites dédiés. Le rapport l’illustre parfaitement : certaines plateformes comme Twitter, Meta, TikTok ou Snapchat hébergent aussi ces contenus d’une grande violence.
Par cette proposition de résolution, nous devons exprimer une position claire sur un sujet que la société doit enfin regarder en face.
Sur mon initiative, des discussions interministérielles sont en cours pour prendre des mesures fortes à l’encontre des diffuseurs, qui ne pourront alors plus se cacher derrière un prétendu vide juridique.
Votre travail, mesdames les sénatrices, a porté ses fruits : d’abord, au travers de cette proposition de résolution que la Haute Assemblée examine aujourd’hui ; ensuite, par le travail qui est en cours pour imposer aux plateformes qu’un contrôle efficace de l’âge de l’internaute soit enfin mis en place, et ce grâce à l’engagement de mes collègues Éric Dupond-Moretti, Jean-Noël Barrot et Charlotte Caubel.
Le décret prévoyant la mise en œuvre d’un contrôle parental sur tous les terminaux sera promulgué prochainement. Je tiens en outre à rappeler le lancement d’une campagne gouvernementale ambitieuse à l’occasion du Safer Internet Day. Grâce au site jeprotegemonenfant.gouv.fr, nous offrons enfin aux parents les outils dont ils ont besoin pour préserver leurs enfants des contenus violents, et la pornographie en est un.
Nous voulons aller plus loin. Un travail sur les prérogatives de l’Arcom est ainsi en cours. Je suis aussi particulièrement attachée à améliorer les possibilités de retrait des images intimes divulguées à l’insu des personnes.
Parce que ces problématiques dépassent nos frontières, la collaboration internationale est essentielle pour réellement porter un coup d’arrêt à cette violence. Hier, j’étais en Suède pour échanger avec mon homologue sur les bonnes pratiques mises en place dans nos pays respectifs. Nous allons approfondir notre coopération sur le sujet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en votant la présente proposition de résolution, vous soutiendrez la politique ambitieuse que mène votre gouvernement face à ce fléau ; vous aiderez les victimes à ne plus se sentir seules face à cette industrie violente.
J’espère que ces femmes nous entendent cet après-midi. Ensemble, nous devons faire face à cette responsabilité qui est la nôtre. (Applaudissements.)
Mme le président. La discussion générale est close. Nous allons passer au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu le chapitre XVI du Règlement du Sénat,
Vu la résolution du Parlement européen du 17 décembre 1993 sur la pornographie,
Vu la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil,
Vu les articles 225-4-1, 225-5, 227-23 et 227-24 du code pénal,
Vu les articles L. 312-16 à L. 312-17-2 du code de l’éducation relatifs à l’éducation à la santé et à la sexualité,
Vu la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées,
Vu la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales,
Vu la loi n° 2022-300 du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à Internet,
Vu le rapport d’information n° 900 (2021-2022) « Porno : l’enfer du décor », de Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, fait au nom de la délégation aux droits des femmes du Sénat, déposé le 27 septembre 2022,
Considérant que l’industrie de la pornographie a connu une mutation au milieu des années 2000 avec l’apparition de plateformes de diffusion massive en ligne de contenus majoritairement gratuits et libres d’accès ;
Considérant que les vidéos pornographiques représentent aujourd’hui plus d’un quart de tout le trafic vidéo en ligne dans le monde ;
Considérant que l’exploitation et la marchandisation du corps et de la sexualité des femmes sont devenues une industrie à l’échelle internationale qui génère plusieurs milliards d’euros de profits chaque année ;
Considérant que la consommation de contenus pornographiques est banalisée ;
Considérant que les contenus pornographiques sont aujourd’hui accessibles à toutes et à tous, sans aucun contrôle de la preuve de majorité des internautes, en violation du code pénal ;
Considérant que deux tiers des enfants de moins de quinze ans et un tiers des enfants de moins de douze ans ont déjà eu accès à de tels contenus ;
Considérant la toxicité pour les consommateurs, mineurs comme majeurs, de contenus pornographiques de plus en plus violents ;
Considérant que ces contenus véhiculent des représentations sexistes, racistes, homophobes, constitutives d’infractions pénales ;
Considérant la dimension systémique des violences sexuelles, physiques et verbales à l’encontre des femmes dans le milieu de la pornographie ;
Considérant que les diffuseurs, plateformes comme réseaux sociaux, ignorent sciemment leurs responsabilités ;
Considérant que les nombreux contenus illicites publiés ne sont jamais intégralement supprimés, même après leur signalement ;
Considérant que la pornographie est un lieu d’apprentissage de la sexualité par défaut, qui engendre une vision déformée et violente de la sexualité, des traumatismes, une sexualisation précoce et un développement de conduites à risque ;
Considérant que les violences commises dans un contexte de pornographie ont récemment fait l’objet d’un traitement judiciaire en France, dans le cadre d’instructions pénales ;
Appelle à une prise de conscience collective de la réalité des pratiques de l’industrie pornographique et de leurs conséquences ;
Souhaite faire de la lutte contre les violences que cette industrie génère et véhicule une priorité de politique publique et pénale ;
Invite à cette fin le Gouvernement à mettre en œuvre un plan interministériel de lutte contre ces violences ;
Appelle à la sensibilisation des juridictions et, en premier lieu, des parquets au traitement pénal des violences commises dans un contexte de pornographie ;
Apporte son soutien à toutes les victimes de ces violences et aux associations et aux conseils qui les accompagnent ;
Estime nécessaire de mieux informer, accueillir et protéger les victimes de violences commises dans un contexte de pornographie, en particulier en formant les forces de l’ordre et les intervenants du numéro national 3919 à leur écoute afin de favoriser l’émergence de plaintes ;
Appelle de ses vœux un renforcement de l’arsenal pénal, des effectifs et des moyens matériels à disposition des services enquêteurs et des magistrats afin de lutter contre les violences pornographiques et d’empêcher la diffusion de contenus violents illicites ;
Recommande de créer une catégorie « violences sexuelles » sur la Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos) afin de faciliter et de mieux comptabiliser les signalements ;
Invite le Gouvernement à explorer toutes les mesures fiscales permettant de taxer l’activité de l’industrie pornographique et les milliards d’euros de profits qu’elle génère chaque année ;
Appelle à protéger la jeunesse en bloquant tout site ou réseau proposant des contenus pornographiques sans exiger une preuve de majorité des utilisateurs et en imposant l’affichage d’un écran noir tant que ce contrôle n’a pas été effectué ;
Invite l’Agence de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) à publier des lignes directrices définissant des critères exigeants d’évaluation des procédés techniques de vérification de l’âge des utilisateurs, afin d’encourager le développement de tels dispositifs ;
Recommande de doter l’Arcom d’un pouvoir de police administrative lui permettant de prononcer des amendes dissuasives à l’encontre des sites diffusant des contenus pornographiques sans contrôle de l’âge des utilisateurs ;
Plaide pour une généralisation des dispositifs de contrôle parental et de navigation sécurisée, qui pourraient être activés par défaut dès lors qu’un abonnement téléphonique est souscrit pour l’usage d’un mineur ;
Encourage l’organisation de campagnes de communication destinées à sensibiliser les parents comme les professionnels de l’éducation et de l’enfance aux dangers du numérique et à les informer sur les ressources et les outils disponibles ;
Alerte sur la nécessité d’appliquer les trois séances annuelles d’éducation à la vie affective et sexuelle prévues par la loi depuis 2001, dans l’enseignement primaire et secondaire ;
Estime nécessaire d’aborder lors de ces séances les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie ;
Juge indispensable de recruter des professionnels de santé, formés en matière d’éducation à la santé et de conduite de projet, dans les établissements scolaires ;
Invite enfin le Gouvernement à se saisir des recommandations du rapport sénatorial précité sur l’industrie de la pornographie, dans leur dimension interministérielle, et à tout mettre en œuvre pour que cessent les violences systémiques induites par les pratiques de cette industrie.
Vote sur l’ensemble
Mme le président. Mes chers collègues, je rappelle la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée.) – (Applaudissements.)
Mme le président. Je constate que la proposition de résolution a été adoptée à l’unanimité des présents.
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Élus locaux au sein du service public de l’assainissement francilien
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à renforcer la voix des élus locaux au sein du service public de l’assainissement francilien, présentée par Mme Marta de Cidrac et plusieurs de ses collègues (proposition n° 122, texte de la commission n° 351, rapport n° 350).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
Texte élaboré par la commission
Mme le président. Je donne lecture du texte élaboré par la commission.
proposition de loi visant à renforcer la voix des élus locaux au sein du service public de l’assainissement francilien
Article unique
Le chapitre unique du titre V du livre IV de la troisième partie du code général des collectivités territoriales est complété par un article L. 3451-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 3451-4. – I. – Par dérogation aux deux derniers alinéas de l’article L. 5421-1, un membre du conseil municipal de chaque commune située sur le territoire des départements de l’Essonne, de la Seine-et-Marne, du Val-d’Oise et des Yvelines sur le territoire de laquelle est installée une station de traitement des eaux usées exploitée par l’institution interdépartementale mentionnée à l’article L. 3451-1 siège avec voix consultative au conseil d’administration de l’institution interdépartementale précitée.
« II (nouveau). – Les conseillers municipaux des communes représentées au sein du conseil d’administration de l’institution interdépartementale précitée en application du I du présent article sont informés des affaires de l’institution faisant l’objet d’une délibération ayant une incidence directe ou indirecte sur l’exploitation desdits sites.
« Ils sont destinataires d’une copie de la convocation adressée aux membres du conseil d’administration avant chaque réunion de celui-ci accompagnée, le cas échéant, des documents afférents, ainsi que, dans un délai d’un mois suivant chaque séance, de la liste des délibérations examinées par l’institution interdépartementale précitée.
« III. – Les conditions d’application du présent article sont fixées par décret. »
Vote sur l’ensemble
Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, à la rapporteure de la commission des lois pendant sept minutes, puis au Gouvernement et, enfin, à un représentant par groupe pendant cinq minutes.
La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti, rapporteure de la commission des lois. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de Marta de Cidrac et de plusieurs de nos collègues vise à répondre à un réel problème de fonctionnement du syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (Siaap) dans ses relations avec les élus des communes sur le territoire desquelles ou à proximité desquelles est située une station d’épuration exploitée par ce syndicat.
Cette lacune est apparue de manière particulièrement criante à l’occasion des différents incidents survenus au sein de l’usine Seine aval et, récemment encore, lors de la fuite de quatre tonnes de biogaz en octobre 2022.
Les élus des communes des Yvelines et du Val-d’Oise pointent à juste titre un déficit sérieux de communication sur ces accidents, tant sur leur ampleur, que sur leurs conséquences et sur les solutions pour y remédier.
Vous le savez, en matière d’assainissement, la région parisienne est dotée d’une organisation spécifique, à savoir un syndicat dont les membres statutaires sont les départements de Paris et de la petite couronne.
Actuellement, le seul dispositif associant officiellement les élus locaux à la gouvernance du Siaap est la conférence d’information annuelle de l’assainissement de l’agglomération parisienne, prévue par les statuts du Siaap.
Or cet outil n’est pas suffisant pour répondre aux attentes légitimes des élus locaux en matière d’information, puisque cette conférence ne se réunit qu’une fois par an et ne traite pas spécifiquement de la gestion des sites qui peuvent être sensibles, comme les stations d’épuration.
Cette situation doit donc évoluer rapidement, car nous le savons bien, les élus locaux sont toujours en première ligne auprès de leurs concitoyens lorsque de graves incidents surviennent dans leur commune. Il n’est donc pas acceptable que ces derniers soient laissés sans information.
Bien que, par la voix de son président, le Siaap ait reconnu l’existence de défauts d’information par le passé et m’ait indiqué mener des actions pour y remédier, celles-ci ne sauraient suffire.
C’est pourquoi l’objet de la proposition de loi de Marta de Cidrac a emporté la complète adhésion de la commission, qui a néanmoins souhaité améliorer le caractère opérationnel du dispositif au bénéfice des élus locaux.
En premier lieu, la commission a décidé de renforcer l’effectivité juridique de la proposition de loi en précisant son champ d’application. En effet, les communes situées sur le territoire des départements de l’Essonne, de la Seine-et-Marne, du Val-d’Oise et des Yvelines ne bénéficient pas des prérogatives dont disposent les départements membres du Siaap – Paris, les Hauts-de-Seine, le Val-de-Marne, la Seine-Saint-Denis –, puisque ces communes ou leurs intercommunalités de rattachement ne sont liées au Siaap que par convention et n’ont, à ce titre, pas accès à ses organes de gouvernance.
En deuxième lieu, la commission a choisi de préserver l’équilibre de la gouvernance du Siaap, qui remplit sa mission de manière satisfaisante pour nos concitoyens franciliens. La proposition de loi prévoyait l’octroi d’une voix délibérative aux communes siégeant au sein du conseil d’administration et du bureau du Siaap. La commission a estimé qu’apporter des bouleversements substantiels dans sa gouvernance, qui plus est dans le contexte du déploiement du plan Baignade en vue des jeux Olympiques de 2024, ne semblait pas opportun. Elle a préféré attribuer une simple voix consultative à ces communes. Cette solution apportera une réponse immédiate et adéquate aux attentes exprimées par les élus locaux, tout en maintenant les équilibres existants.
En troisième lieu, le texte retenu par la commission renforce le caractère opérationnel du dispositif en améliorant l’information de l’ensemble des conseillers municipaux des communes concernées grâce à deux mécanismes distincts : d’une part, en rendant l’ensemble des conseillers municipaux des communes représentées au conseil d’administration du Siaap destinataires de la convocation adressée avant chaque réunion, mais aussi des documents afférents et de la liste des délibérations qui ont été examinées ; d’autre part, en faisant bénéficier les conseillers municipaux d’un droit à l’information sur les affaires du Siaap faisant l’objet d’une délibération et ayant une incidence directe ou indirecte sur la gestion des installations de traitement des eaux usées situées sur leur territoire.
Pour conclure, je tiens à souligner que j’ai travaillé en parfaite coopération avec notre collègue Marta de Cidrac. Je la remercie chaleureusement de la qualité de nos échanges et de notre collaboration, qui ont permis de dégager des pistes de solution équilibrées et consensuelles dans l’intérêt des élus locaux des communes de la grande couronne parisienne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd’hui pour étudier une proposition de loi de la sénatrice Marta de Cidrac visant à renforcer la voix des élus locaux au sein du service public de l’assainissement francilien, le Siaap, texte qui a été adopté en commission des lois après un avis de sagesse du Gouvernement.
Le Siaap, qui a été créé en 1970, est en effet chargé du transport et du traitement des eaux usées produites par l’agglomération parisienne, à savoir 287 communes, rassemblant plus de 9 millions d’habitants. C’est un établissement public administratif ayant historiquement pour membres les départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.
Son conseil d’administration est ainsi constitué de trente-trois représentants issus de ces quatre départements, douze représentants de Paris, sept représentants des Hauts-de-Seine, sept de la Seine-Saint-Denis et sept du Val-de-Marne.
Par ses missions, le Siaap travaille toutefois à une échelle territoriale plus large, en particulier dans les départements de la grande couronne parisienne. La volonté d’associer les élus locaux au fonctionnement du Siaap vous a conduit, mesdames, messieurs les sénateurs, à présenter cette proposition de loi visant à prévoir la présence au conseil d’administration, avec voix consultative, de représentants des conseils municipaux des communes accueillant une installation gérée par le Siaap.
Ce souhait d’associer largement les collectivités au fonctionnement de cette structure de coopération interdépartementale me semble parfaitement légitime, notamment pour assurer la bonne information des élus quand surviennent, comme cela a pu être le cas sur certains sites du Siaap, des accidents d’exploitation.
L’État s’est montré particulièrement attentif, au cours des dernières années, à renforcer le Siaap et les modalités d’associations des élus du territoire à ses décisions. À la suite d’une mission conduite par le préfet Gaudin pour le compte du préfet de la région Île-de-France, une conférence de l’assainissement a ainsi été mise en place avec pour objectif d’assurer l’information et l’association des élus des territoires d’implantation du Siaap. Par ailleurs, les commissions de suivi de site mises en place sont aussi des lieux d’information et d’échange associant largement les élus des collectivités sur le territoire desquelles sont implantées des stations d’épuration gérées par le Siaap.
La version initiale de la proposition de loi comportait un certain nombre de fragilités juridiques qui ont été corrigées grâce à l’adoption d’un amendement de Mme la rapporteure prévoyant que seules les communes répondant à une double condition – être situées dans un département non membre du Siaap et compter sur leur territoire une station de traitement des eaux usées exploitée par ce syndicat – intègrent le conseil d’administration avec une voix consultative.
Cette évolution de la rédaction est de nature à limiter les fragilités juridiques de votre proposition de loi, même si le Gouvernement estime qu’une révision des statuts du Siaap aurait les mêmes effets sans pour autant recourir à un support législatif.
Pour toutes ces raisons, conformément à ma position lors de l’examen de ce texte en commission, je m’en remettrai à la sagesse de la Haute Assemblée. (M. Alain Richard applaudit.)
Mme le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous allons voter vise à renforcer la voix des élus locaux au sein du Siaap, qui exerce, de manière dérogatoire au droit commun, la compétence assainissement pour le compte de quatre départements de la petite couronne parisienne.
Ces départements, qui étaient à l’origine de la création du Siaap en 1970, sont Paris, les Hauts-de-Seine, le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis et regroupent près de neuf millions d’habitants.
Depuis sa création en 1970, le champ d’action du Siaap s’est étendu via des conventions à 187 communes des départements du reste de l’Île-de-France. Toutefois, ces communes ne participent pas à la gouvernance du Siaap, pas plus que les départements dans lesquels elles se situent.
Vous comprendrez, mes chers collègues, que cette situation incompréhensible est devenue inacceptable pour les élus locaux concernés, car elle ne leur permet pas d’exercer pleinement leur mandat et d’être un relais pertinent auprès de leurs administrés, afin de les rassurer lorsque des incidents majeurs se produisent, comme ce fut le cas à l’usine Seine aval ces dernières années.
Je tiens à remercier les cosignataires de ma proposition de loi, soumise aujourd’hui au vote du Sénat, car elle permettra – j’en suis certaine, madame la ministre – de rassurer les élus concernés et de faire évoluer les relations entre le Siaap et les territoires d’implantation.
Je tiens également à remercier le président de la commission des lois, ainsi que ma collègue Catherine Belrhiti, dont je salue le travail et l’écoute.
La proposition de loi, dans sa rédaction actuelle, permet d’apporter une première réponse aux demandes des élus locaux des départements de la grande couronne parisienne qui ne sont pas – ou trop peu – informés des décisions du Siaap, comme ils sont trop peu informés des événements importants ayant trait aux installations situées sur le territoire de leur commune.
Le texte qui est soumis à votre vote, mes chers collègues, renforce leur droit à l’information et leur assure une voix consultative au sein du conseil d’administration du Siaap. Ainsi, les élus locaux pourront participer aux réunions du syndicat et seront en mesure de faire valoir directement leurs difficultés, tout en obtenant davantage d’informations sur le fonctionnement des installations situées sur leur commune. Rien de plus normal.
Toutefois, j’ai quand même un regret ; on en a toujours ! Je regrette que le sous-amendement proposé par notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio n’ait pas été adopté à l’occasion de l’examen du texte, malgré l’avis favorable de la rapporteure. Il aurait permis aux communes ne disposant pas d’une station d’épuration sur leur territoire de bénéficier des nouveaux droits créés par la proposition de loi en se fondant sur un critère lié aux risques plutôt qu’à un critère géographique.
Toutefois, je le répète, le texte que nous allons voter permet d’ores et déjà d’apporter une première réponse aux demandes des élus locaux des départements de la grande couronne parisienne.
En tant qu’auteure de cette proposition de loi, la rédaction équilibrée ainsi trouvée me satisfait pleinement, car elle tient compte des observations, des remarques et des réserves exprimées tout au long de nos débats.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 1970, le Siaap transporte et dépollue, pour quelque 9 millions d’usagers, les eaux usées, les eaux pluviales et industrielles de l’agglomération francilienne.
Nous le savons, les stations d’épuration sont des sites particulièrement sensibles. Les risques que les accidents peuvent présenter pour la santé publique, l’environnement et les populations avoisinantes ne sont évidemment pas négligeables.
Malheureusement, au mois de juillet 2019, comme cela a été rappelé, un important incendie s’est déclaré au sein de la station d’épuration d’Achères du Siaap. L’incendie avait gravement pollué la Seine et marqué l’opinion publique. Nous nous souvenons de ces photographies marquantes, diffusées dans la presse, de poissons asphyxiés flottant à la surface du fleuve. Cet incident grave s’ajoute à une liste d’accidents survenus récemment et n’ayant d’ailleurs pas toujours fait l’objet d’une communication spontanée.
Ainsi, au mois d’octobre dernier, les élus ont dû attendre plusieurs jours avant d’apprendre l’existence d’une fuite dans une usine des Yvelines, laissant échapper plus de 4 tonnes de méthane dans l’atmosphère. Cette fuite a été qualifiée d’incident majeur par la direction régionale et interdépartementale de l’environnement, de l’aménagement et des transports.
Il est donc aujourd’hui nécessaire de rétablir la confiance, celle des élus, mais aussi celle de nos concitoyens. Cette proposition de loi vise à apporter des réponses au manque de dialogue entre le syndicat et les élus, en favorisant des échanges plus transparents et plus systématiques. Actuellement, les élus se réunissent uniquement lors des conférences annuelles de l’assainissement ; c’est insuffisant.
Par conséquent, je salue l’initiative parfaitement nécessaire et légitime de notre collègue Marta de Cidrac, qui facilitera la transmission des informations et impliquera davantage les élus concernés en renforçant leur voix.
Le travail mené par Mme la rapporteure Catherine Belrhiti a permis de consolider les contours juridiques du texte et d’assurer une représentation équilibrée au sein du syndicat. Je pense notamment à l’octroi aux élus d’une simple voix consultative. Cette mesure répond aux attentes des élus locaux et les associe davantage, tout en garantissant l’équilibre institutionnel du Siaap. Cette solution sert l’intérêt des communes concernées et conserve l’esprit initial de la proposition de loi.
La rapporteure a aussi permis de renforcer l’information des conseils municipaux grâce à la communication, en amont des délibérations, des documents nécessaires à la prise de ces décisions. Par ailleurs, ce texte garantit le droit à l’information des conseils municipaux concernés par une délibération au sein du Siaap ayant une incidence directe ou indirecte sur leur territoire.
Au nom du groupe Les Indépendants – République et Territoires, j’accueille donc favorablement cette proposition de loi, qui renforce et associe davantage et mieux les élus.
C’est dans l’ADN du Sénat et dans celui de notre groupe. (Mme Marta de Cidrac et Mme la rapporteure applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Breuiller. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte dont nous débattons aujourd’hui vise à renforcer la voix des élus locaux au sein du Siaap.
Cette demande fait notamment suite à plusieurs incidents survenus à la station d’épuration de Seine aval. Le dernier – une fuite de 4 tonnes de biogaz de l’usine d’épuration d’Achères – est particulièrement grave et montre un dysfonctionnement avéré du Siaap en matière de gestion de crise.
La sécurité des stations est un sujet important et l’on ne peut que déplorer « l’absence d’un circuit efficace d’information à l’égard des élus locaux », comme vous le formulez, chère Marta de Cidrac.
Votre proposition de loi vise à remédier à ces difficultés en associant à la gouvernance du Siaap les élus des communes situées à proximité des stations d’épuration. Bien que la réponse apportée soit discutable en termes de gouvernance des syndicats, elle nous semble légitime au regard de la situation réelle.
Les propositions de la rapporteure Catherine Belrhiti concernant le critère lié aux risques plutôt qu’à la géographie et le maintien des équilibres de gouvernance nous paraissaient nécessaires.
Le groupe GEST est favorable à une meilleure représentativité des collectivités territoriales, notamment des communes directement touchées par les installations d’assainissement. Il est normal que les élus, qui sont en première ligne auprès des populations concernées par les dommages et les nuisances de ces stations, disposent d’une voix délibérative.
Toutefois, s’en tenir au seul sujet de gouvernance me laisserait dire comme Cyrano : « C’est un peu court, jeune homme ! On pouvait dire… Oh ! Dieu !… Bien des choses en somme. »
La gestion du risque, davantage que la gouvernance, est en réalité le cœur du sujet.
Le Siaap a été sommé de modifier ses process de sécurité et de formation du personnel à la suite de l’incendie de 2019. Mais qui porte véritablement la responsabilité de l’ensemble des risques liés à la présence de la plus grande station d’épuration d’Europe, qui traite les eaux usées de neuf millions d’habitants ?
Cette usine est classée Seveso seuil haut, ce qui impose à la fois des normes drastiques de sécurité et des contrôles réguliers de la direction régionale et interdépartementale de l’environnement, de l’aménagement et des transports (Drieat).
Le sujet est d’actualité. La semaine dernière, une barge appartenant à un des fournisseurs du Siaap et naviguant sur la Seine a heurté la pile d’un pont de Triel-sur-Seine, laissant s’échapper 70 mètres cubes à 80 mètres cubes de nitrate de calcium dans la Seine. La communication s’est améliorée et les élus ont été informés. Dans la presse locale, le maire s’est voulu rassurant : « Les habitants n’ont pas à s’inquiéter. […] Évidemment, ce n’est pas bon pour les poissons. » Évidemment ! Je le confirme, c’est même très mauvais pour l’ensemble de l’environnement et pour la biodiversité.
En 2019, l’incendie de l’usine avait provoqué la mort de 3 tonnes de poissons. Un bras entier de la Seine montrait ce spectacle de désolation, aspect le plus visible de la catastrophe, et les odeurs étaient pestilentielles.
Depuis lors, le fonctionnement de la station en mode dégradé laisse s’évacuer, toujours dans la Seine, des eaux non traitées en cas de fortes pluies.
Je veux également évoquer l’épandage des boues sur les terres agricoles du parc naturel du Vexin, qui permet de recycler les boues résiduaires de la station d’épuration d’Achères et qui est impropre à la culture.
Dans un compte rendu d’un comité de suivi du 8 mai 2021, le sous-préfet indiquait que la France n’avait pas la culture de la gestion du risque. En effet, la conclusion des documents d’analyse de Santé publique France révèle des concentrations de plomb comprises entre 138 milligrammes et 176 milligrammes par kilogramme de terre, alors que le seuil définissant une pollution due à l’activité humaine est fixé à 53 milligrammes. La présence de plomb dans le sol rend impossible d’exclure un effet sanitaire qui lui serait lié pour les enfants âgés de 0 an à 6 ans.
La France n’a donc pas la culture de la gestion du risque, mais elle a la culture du silence sur ces sujets ! Alors, qui est responsable ?
L’agence régionale de santé (ARS), à qui nous demandons de lancer un dépistage de saturnisme pour les enfants âgés de moins de 7 ans résidant dans les plaines des Yvelines et du Val-d’Oise ?
L’État, qui glane, madame la ministre, des informations dans tous les comités de suivi avec le Siaap, mais sans réelle garantie de résultats à ce jour ni d’exigence peut-être suffisante ?
Le Siaap lui-même, qui doit mieux assumer les conséquences directes et indirectes de ses activités, très utiles aux populations, aux effets parfois dramatiques sur le vivant et la biodiversité ? Il doit mieux informer et donc intégrer les représentants des collectivités dans sa gouvernance, ce qui aura pour effet – nous l’espérons – de mieux protéger et d’anticiper les retombées dans les territoires touchés.
Les élus concernés doivent avoir voix au chapitre. Pour toutes ces raisons – malgré des interrogations profondes –, le GEST votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Alain Richard, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Alain Richard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par un bref point d’histoire afin de rappeler pourquoi ce syndicat a été créé en 1970. À la lumière du passé, ce point d’histoire est plutôt rassurant. Au début du XXe siècle, la Ville de Paris disposait des ressources et du savoir-faire nécessaires au développement d’un système d’assainissement. Or, en raison de son statut, qui jusqu’à la réforme de 1975 ne lui permettait pas d’adhérer à un syndicat de communes, la Ville de Paris, à l’époque d’une certaine tendance politique, et les petites communes de banlieue, qui alors se développaient et qui relevaient en général d’une autre tendance politique, ont eu la sagesse de s’accorder pour considérer le département de la Seine comme leur outil commun pour organiser le transport et l’assainissement des eaux.
Ce projet remonte aux années 1920 et le premier projet de l’usine d’Achères date, quant à lui, de 1929. Or, comme j’ai pu en être directement le témoin, l’agglomération centrale de Paris n’a traité correctement ses eaux usées, sans les rejeter dans la Seine, qu’au cours des années 1990. Jusque-là, nous étions franchement défectueux.
Je veux ici rendre hommage au travail réalisé, pendant cette longue période, par le département de la Seine, puis par le Siaap et ses ingénieurs en particulier, mais aussi bien sûr par les élus qui en avaient la responsabilité. En effet, au travers de sérieuses difficultés et de financements considérables, le Siaap a développé une technologie et une gestion de qualité de ses installations d’épuration, lui permettant de remplir correctement sa mission dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Néanmoins, cela n’exclut pas la survenue d’incidents ou de difficultés de voisinage, comme le soulignait notre collègue Daniel Breuiller.
Dans la proposition de loi telle qu’élaborée par la commission, la liste des droits reconnus aux représentants des communes directement intéressées – documents qu’ils doivent recevoir, participations aux débats ou aux travaux du syndicat – me semble un point convaincant.
En revanche, deux défauts significatifs peuvent, à mon sens, être relevés.
Le premier est d’accorder, à des élus dont les communes ne font pas partie de la structure, alors qu’il s’agit d’un syndicat de collectivités territoriales, le droit de participer à une assemblée d’élus responsables. Ainsi, autant disposer d’une deuxième assemblée consultative dont les membres bénéficieraient de ces droits d’information serait parfaitement cohérent, autant faire siéger, au sein de la même assemblée, des élus responsables et d’autres qui seraient des témoins – la répartition des interventions entre ces différentes catégories d’élus ne serait alors pas très facile à réaliser pour le président de cette assemblée – est une première faiblesse du système.
Le second défaut, alors que des conséquences sur l’environnement et sur le voisinage existent, comme l’évoquait à l’instant notre collègue Daniel Breuiller, est le caractère trop réduit de la liste des bénéficiaires de ces droits de participation et d’information, qui concerne uniquement les communes d’implantation des usines, soit deux seules communes dans les Yvelines à ma connaissance, alors que le nombre de celles directement intéressées est bien plus important.
Si j’avais une suggestion à faire pour la suite de ce travail, ce serait tout simplement de se servir de l’accord conclu il y a quelques années créant le comité annuel d’information auprès du Siaap. Certes, c’est insuffisant en l’état, mais la liste des communes prévue à ce titre est plus complète et donc beaucoup plus logique. (Mme la rapporteure acquiesce.) D’ailleurs, pour avoir connaissance de ce dossier en tant que voisin, j’ai cru comprendre que cette liste n’avait pas été contestée depuis.
Un tel élargissement sera bel et bien nécessaire à l’avenir.
M. Alain Richard. Il s’agit d’une disposition légale : la liste des communes doit donc figurer dans le texte législatif. Il faut, d’une part, l’étendre et, de l’autre, prévoir une instance voisine et éventuellement concomitante du conseil d’administration. Il n’est pas logique de faire siéger dans la même assemblée des membres à titre consultatif et des membres responsables ; sauf erreur, personne ici ne l’a jamais proposé.
Répondant à l’appel de Mme la ministre, j’utiliserai le peu de sagesse dont je dispose pour m’abstenir au nom de notre groupe… (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, madame la ministre, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues non franciliens présents dans cet hémicycle.
M. Loïc Hervé. Paris, c’est la France ! (Sourires.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ces débats ne sont pas très poétiques, mais ils n’en sont pas moins importants pour notre région. Les précédents orateurs l’ont rappelé : le Siaap couvre 9 millions d’habitants. Son budget, qui n’a pas été évoqué, atteint 1,3 milliard d’euros et concerne 187 communes d’Île-de-France. Et son action est évidemment indispensable.
Néanmoins, pour reprendre une formule facile, le texte qui nous est proposé aujourd’hui est, finalement, une mauvaise réponse à une vraie question ; en tout cas, c’est une réponse qui n’est pas totalement satisfaisante à une question qui semble totalement pertinente.
Cette question, quelle est-elle ? Personne ne le conteste : les élus ne sont pas suffisamment informés quand survient ce que l’on appelle pudiquement un incident dans l’unique installation concernée à ce jour, qui est, semble-t-il, à cheval sur trois communes des Yvelines.
Lorsqu’un événement inhabituel se produit, de tels établissements classés Seveso inquiètent de manière totalement légitime les habitants et les élus. Il se trouve que, lorsque la gestion et la gouvernance du Siaap ont été conçues, ces derniers n’ont pas été associés de manière satisfaisante. Depuis lors, les élus des Yvelines, comme ceux du département voisin du Val-d’Oise manifestent à cet égard une mauvaise humeur caractérisée. Selon eux, la meilleure solution est de les laisser entrer au conseil d’administration.
Quand je parle d’une mauvaise réponse, ce n’est en aucun cas pour dénigrer la proposition de loi de notre collègue Marta de Cidrac.
La solution initiale consistait à faire entrer au conseil d’administration du Siaap non les représentants des communes où se situe la station d’épuration, mais ceux de toutes les communes potentiellement concernées, sans que l’on sache d’ailleurs en définir la liste exacte : cette assemblée, qui se réunit chaque mois, aurait dès lors pris une telle ampleur qu’elle n’aurait pu accomplir un travail sérieux.
Aussi, la commission a adopté un amendement visant à restreindre cet élargissement aux communes sièges d’une station : nous sommes donc en train de légiférer pour trois communes, que l’on propose de faire entrer au conseil d’administration avec voix consultative.
Alain Richard l’a dit : nous sommes face à une instance hybride. On nous propose d’associer aux travaux de ce syndicat interdépartemental des communes dont les représentants, sans avoir de pouvoir délibératif, pourront assister aux séances.
J’ajoute que la bonne information des élus ne sera pas assurée. Dieu merci, les incidents sont rares ! Mais, même s’il siège tous les mois, le conseil d’administration ne se réunit pas nécessairement le lendemain des incidents.
La question, c’est bel et bien l’amélioration de la gouvernance du Siaap.
Alain Richard l’a également rappelé, le préfet Gaudin avait proposé d’instaurer une conférence, appelée successivement conférence des territoires et conférence d’assainissement, rassemblant l’ensemble des communes concernées. C’était, selon nous, la meilleure solution.
Certes, cette conférence ne devait se réunir qu’une fois par an, ce qui était bien sûr insuffisant. Pour leur part, les membres de notre groupe avaient proposé non seulement qu’elle soit instituée par la loi, mais qu’elle se réunisse beaucoup plus fréquemment. À nos yeux, cette voie demeure la plus intéressante pour l’ensemble des élus. Je rappelle que 187 communes sont concernées.
Le présent texte a été modifié selon la procédure de législation en commission ; les voix délibératives sont devenues consultatives et le nombre de communes concernées a été restreint. De ce fait, il s’agit aujourd’hui de faire entrer trois communes, avec voix consultative, au conseil d’administration du Siaap.
Cela étant, mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et moi-même ferons, nous aussi, preuve d’une sagesse extrême : nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Marta de Cidrac pose une vraie question et entend répondre à un problème légitime.
Nous nous souvenons toutes et tous ici du manque d’information des élus, en particulier des élus locaux, face aux différents incidents qui ont touché les stations d’épuration du Siaap. Je pense notamment à la fuite de plusieurs tonnes de biogaz.
Il est tout à fait légitime que l’information, notamment lors d’incidents graves, soit directement transmise aux élus, afin qu’ils puissent gérer la crise comme il se doit et communiquer de leur côté si besoin est. Mais est-il pour autant nécessaire de modifier la gouvernance de ce syndicat ? Une amélioration du circuit de l’information suffirait peut-être.
Le Siaap organise une conférence d’information annuelle de l’assainissement de l’agglomération parisienne, qui regroupe, sans compétence délibérative, l’ensemble des élus des communes, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et syndicats des territoires qui y sont raccordés par voie statutaire ou conventionnelle. À ce titre, des améliorations pourraient également être apportées : on pourrait notamment prévoir des conférences plus nombreuses, par exemple une par trimestre.
De plus, l’adoption de cette proposition de loi entraînerait une sorte de rupture d’égalité entre les différents élus. Alors que le conseil d’administration est composé de conseillères et de conseillers départementaux de la petite couronne, on nous propose d’y faire entrer des conseillers municipaux triés sur le volet : n’y siégeraient que les conseillers municipaux de la grande couronne, plus précisément ceux des Yvelines, les départements de l’Essonne, de Seine-et-Marne et du Val-d’Oise ne possédant pas de station de traitement des eaux usées.
Nous considérons que cet élargissement entraînerait un déséquilibre affectant la gouvernance et la composition du Siaap. Voilà pourquoi il ne nous semble pas opportun.
Mme la rapporteure a modifié le présent texte pour permettre uniquement une voix consultative et non délibérative. Un tel choix nous paraît plus cohérent et, encore une fois, plus respectueux des équilibres actuels de gouvernance. Mais cela ne suffit pas.
Nous sommes convaincus de la nécessité de mieux associer les communes. Mais il nous semble tout aussi important de procéder de manière responsable, pour que chacune et chacun puisse s’y retrouver.
Les élus municipaux, qui représentent la strate de collectivités la plus décentralisée, doivent savoir ce qui se passe sur leur territoire. Ils doivent aussi être en mesure de comprendre et d’anticiper les décisions du Siaap, que ce soit dans la petite couronne ou dans la grande.
Il y a sans nul doute des améliorations à apporter à la gouvernance du Siaap. Par exemple, ce dernier a décidé d’augmenter, sans concertation aucune, la partie « assainissement » de la facture d’eau pour certaines villes du département de l’Essonne ; je le répète, ces villes ne sont pas représentées dans son conseil d’administration.
De tels manquements appellent bel et bien une réflexion. Mais, franchement, la réponse peut-elle consister à faire entrer quelques élus supplémentaires au conseil d’administration ? J’en doute profondément.
En l’état, cette proposition de loi ne semble pas du tout satisfaisante. Elle servira l’intérêt de quelques-uns sans prendre en compte globalement la réalité de chaque commune francilienne.
Comme beaucoup de leurs collègues, les membres de mon groupe ont, par sagesse, décidé de s’abstenir. La dépollution des eaux usées d’environ 9 millions de Franciliens et de Franciliennes, des eaux pluviales et des eaux industrielles de 400 entités n’en reste pas moins un véritable défi politique. Or cette proposition de loi n’est pas à la hauteur des enjeux et des ambitions que ces derniers exigent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour le groupe Union Centriste.
M. Laurent Lafon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Siaap est une vieille machine. Comme toutes les vieilles machines, elle dispose d’une mécanique solide et bien rodée, d’un outillage robuste et opérationnel. Elle n’est pas menacée par l’obsolescence programmée. Mais, comme pour toutes les vieilles machines, il est parfois nécessaire d’en huiler les rouages, faute de quoi ils s’encrassent et perdent de leur fiabilité.
Nous avons tous à l’esprit les incidents fâcheux causés par l’activité récente du Siaap. De nombreux orateurs les ont rappelés.
Ainsi, dans la nuit du 9 au 10 octobre 2022, plus de quatre tonnes de biogaz ont été accidentellement relâchées dans l’atmosphère des Yvelines par l’usine Seine aval, qui est la plus importante station d’épuration d’Europe, sans que la préfecture, les élus ou la population locale en soient immédiatement alertés.
À plusieurs autres reprises, le syndicat a tardé à informer les communes de ce qui se passait sur leur territoire. Ce défaut de communication répété est, sans conteste, un raté de la machine Siaap.
Je remercie à ce titre notre collègue Marta de Cidrac, auteure de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, d’avoir soulevé la grave question des défaillances du Siaap.
Je salue également le travail de notre rapporteure, Catherine Belrhiti, ainsi que les éléments apportés aux débats par l’ensemble des commissaires aux lois du Sénat.
Pour autant, avec mes collègues du groupe Union Centriste, je ne pense pas que la solution aux problèmes constatés réside dans un changement de machine. C’est bien de cela qu’il s’agit : cette proposition de loi crée un objet juridique non identifié, combinant départements et communes, au risque de créer un précédent hasardeux qui viendrait encombrer l’activité de nos assemblées.
On nous propose notamment de faire entrer les représentants des conseils municipaux des communes concernées par l’activité des stations d’épuration au conseil d’administration du Siaap, avec voix consultative. Mais si l’objectif est de renforcer le partage d’informations entre les élus locaux et le syndicat, notamment pour fluidifier la communication de crise, à quoi bon les convoquer à une réunion mensuelle qui, face à l’urgence et aux problèmes, arrivera systématiquement soit trop tôt, soit trop tard ?
Au fond, la situation la plus problématique est celle de l’usine Seine aval, dans les Yvelines. Les incidents successifs qu’elle a connus ont légitimement indigné les élus de ce territoire. Ces derniers n’ont pas été suffisamment considérés.
Il n’est pas normal que les représentants du conseil départemental des Yvelines ne siègent pas au conseil d’administration du Siaap. L’adhésion de ce département au syndicat est donc nécessaire. Mais une telle décision peut être prise par simple délibération du Siaap. Nul besoin d’une loi !
Mes chers collègues, ne nous trompons pas de véhicule. Veillons en outre à ce que la réponse apportée aux défaillances du Siaap soit bien calibrée. Aucune station de traitement des eaux usées n’est implantée à ce jour en Essonne, en Seine-et-Marne ou dans le Val-d’Oise. Pourtant, cette proposition de loi mentionne ces départements, qui, me semble-t-il, n’ont pas vocation à rejoindre le Siaap à court terme.
Je le répète : pour rassurer les élus et les habitants des territoires concernés par l’activité du syndicat, nous avons besoin d’une meilleure communication de crise et d’un élargissement ciblé du Siaap au département des Yvelines. Ni l’une ni l’autre de ces solutions n’est retenue par le texte que nous examinons aujourd’hui. Ainsi, avec la majorité de mes collègues du groupe Union Centriste, je m’abstiendrai.
Je reconnais toutefois à nos débats et à cette proposition de loi la vertu de mettre en lumière les dysfonctionnements réels du système d’assainissement des eaux en région parisienne,…
M. Laurent Lafon. … dont pâtissent nos concitoyens. Ces échanges auront, je l’espère, l’effet d’un électrochoc pour les responsables du Siaap. Même une vieille machine se doit de disposer, au XXIe siècle, de canaux de communication modernes et efficaces.
Puisse cette proposition de loi leur faire prendre conscience de la nécessité de s’ouvrir davantage.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les élus de notre groupe ont l’habitude de défendre les causes de la ruralité, qui souffre trop souvent d’une forme de décrochage et d’une inadaptation institutionnelle à l’heure de la métropolisation. Mais je constate, sans m’en réjouir, que les territoires les plus urbains de notre pays connaissent eux aussi des difficultés, notamment lorsqu’il est question de concertation dans la prise de décision.
Je vous le dis en toute transparence : j’ai découvert à l’occasion de cette proposition de loi l’ampleur des difficultés rencontrées par le service public de l’assainissement francilien.
Les incidents recensés en 2019 et en 2022 dans la station d’épuration d’Achères sont de nature à provoquer l’inquiétude, voire la colère, non seulement dans la population locale, mais aussi chez les élus. Il est légitime que ces derniers souhaitent participer davantage à la gestion du syndicat interdépartemental, d’autant plus que ces incidents, d’une importance majeure, touchent l’une des plus grandes usines d’Europe.
Je le souligne à mon tour : nous parlons tout de même de fuites de plusieurs tonnes de biogaz, aux conséquences très concrètes. Ainsi, en 2019, de nombreux poissons ont été retrouvés morts dans la Seine et sur ses rives, dans les Yvelines comme dans le Val-d’Oise.
Convenons-en : de telles images ne sont pas de nature à rassurer nos concitoyens, quand bien même on leur expliquerait que les produits ayant fuité sont sans danger pour eux. Au regard des circonstances, il est effectivement inquiétant que les élus locaux n’aient pas été informés comme il le faudrait de ces incidents, ou qu’ils l’aient été avec retard.
Je rejoins notre collègue Marta de Cidrac : l’absence d’un circuit efficace d’information des élus locaux crée nécessairement de l’inquiétude parmi les habitants des communes concernées.
Par principe, les élus de notre groupe sont favorables à toute disposition aidant à mieux associer et informer les élus des communes et, dans ce cas précis, à toute disposition permettant de mieux associer les communes accueillant des stations d’épuration des eaux usées gérées par le Siaap.
La gouvernance actuelle du syndicat a été critiquée, à juste titre. Plus spécifiquement, on a admis de manière assez consensuelle qu’elle n’avait pas permis la bonne information des élus des départements non membres du Siaap sur le territoire desquels des incidents graves s’étaient produits.
Nous saluons donc l’initiative de notre collègue, qui répond au souhait des élus de pouvoir prendre part à la gouvernance de cet établissement public.
Nous saluons également les travaux menés par notre rapporteure, qui a cherché à améliorer la proposition de loi en la rendant plus opérationnelle.
Dans le texte initial, les représentants des conseils municipaux des communes sur lesquelles sont implantées les stations d’épuration des eaux exploitées par le Siaap ou des communes situées à proximité de ces stations devaient siéger, avec voix délibérative, au conseil d’administration et au bureau du conseil d’administration du syndicat. Cette formule permettait de résoudre le déséquilibre observé au sein de la gouvernance et de limiter certaines difficultés en matière de communication des informations.
J’entends toutefois les craintes que cette modification statutaire du syndicat a inspirées. Personne ne peut prévoir les conséquences d’un tel changement. En outre, le nombre de sièges ajoutés et le caractère délibératif des voix des nouveaux représentants seraient sources d’imprévision, voire d’instabilité.
La commission des lois a opéré un ajustement, en limitant ce texte aux communes situées sur le territoire de départements non membres du Siaap et abritant une station de traitement des eaux usées exploitée par ce syndicat.
Je soutiens ce dispositif, qui adoucit nettement l’effet de la modification tout en nous permettant d’atteindre l’objectif initial.
De la même manière, je soutiens l’ajout d’un mécanisme améliorant l’information des conseillers municipaux des communes ainsi concernées par le traitement des eaux usées par le Siaap. C’est un apport essentiel à la transparence de la vie publique et administrative.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris : les membres du RDSE voteront cette proposition de loi. (Mme Marta de Cidrac et M. Franck Menonville applaudissent.)
Mme le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi visant à renforcer la voix des élus locaux au sein du service public de l’assainissement francilien.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 136 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 184 |
Pour l’adoption | 184 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
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Modifications de l’ordre du jour
Mme le président. Mes chers collègues, la conférence des présidents avait prévu que le Sénat siégerait « éventuellement » le dimanche 5 mars pour l’examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
Au vu du nombre d’amendements déposés sur ce texte, et en accord avec la commission des affaires sociales, je vous confirme que nous siégerons ce dimanche à neuf heures trente, à quatorze heures trente et le soir.
Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour du mardi 21 mars après-midi, sous réserve de leur dépôt, de la lecture des conclusions des commissions mixtes paritaires sur la proposition de loi visant à ouvrir le tiers-financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique, et sur la proposition de loi tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.
Il demande également l’inscription à l’ordre du jour du mercredi 22 mars, l’après-midi et, éventuellement, le soir, de la suite éventuelle de la proposition de loi portant fusion des filières à responsabilité élargie des producteurs d’emballages ménagers et des producteurs de papier et amplification des encarts publicitaires destinés à informer le public sur la transition écologique.
Acte est donné de ces demandes.
Le délai limite pour les inscriptions de parole sur les conclusions de ces commissions mixtes paritaires serait fixé au lundi 20 mars à quinze heures.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt et une heures quarante, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
11
Mixité sociale à l’école
Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur la mixité sociale à l’école.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sylvie Robert, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les établissements scolaires français sont touchés par un phénomène puissant de ségrégation sociale, qualifié de « bombe à retardement pour la société française » par Nathalie Mons, ancienne présidente du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco).
Ce constat, dressé en 2015, n’est malheureusement pas nouveau. Depuis près de vingt ans, les études successives soulignent que les indicateurs de mixité sociale à l’école ne s’améliorent pas. Pis, la dernière étude Pisa, à savoir celle de 2018, démontrait que, sous le poids des déterminismes sociaux, le système scolaire français devenait gravement inégalitaire.
Avec Israël et le Luxembourg, la France est le pays de l’OCDE où l’origine sociale des parents influence le plus le parcours scolaire. Or nous ne pouvons nous satisfaire d’une telle représentation, à moins d’estimer que le retour à une société de classes, figée, est un projet politique d’avenir.
La récente publication des indices de position sociale (IPS) des collèges et des lycées a jeté une lumière crue sur le déclin de la mixité sociale dans notre système scolaire. Ainsi, sur les 100 lycées de France présentant les IPS les plus élevés, 82 sont des établissements privés sous contrat.
Nous sommes face à une véritable saignée du secteur public, qui s’accompagne d’un double mouvement de fond.
Premièrement, l’on constate de terribles disparités au sein même du système scolaire, notamment entre, d’une part, la filière professionnelle et, de l’autre, les filières générales et technologiques ; la moyenne des IPS des lycées généraux et technologiques, public et privé confondus, s’élève à 114,21, quand celle des lycées professionnels n’est que de 87,5. L’écart atteint donc près de trente points.
Mes chers collègues, mesurons-nous bien ce que dévoilent ces chiffres ? Les sociologues de l’éducation ont une expression spécifique pour désigner cette dichotomie au sein du système scolaire : le « tri social ».
Deuxièmement, de très fortes inégalités territoriales sont à l’œuvre, certaines académies concentrant la plupart des établissements à faible ou fort IPS. Apparaît ainsi en filigrane l’importance des politiques de logement et d’aménagement du territoire – j’y reviendrai.
Désormais, la question qui nous est adressée en tant que décideurs politiques est la suivante : voulons-nous réellement renforcer la mixité sociale à l’école, facteur déterminant de réussite scolaire, singulièrement pour les élèves défavorisés ? Ou, à l’inverse, estimons-nous qu’il s’agit là d’un sujet mineur, voire d’une fatalité ?
Monsieur le ministre, si j’en crois vos propos, vous avez clairement opté pour la première hypothèse, et les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’en réjouissent.
En effet, nous sommes convaincus que l’absence de mixité sociale à l’école n’est ni acceptable ni soutenable. Elle n’est aucunement acceptable, car elle induit une conception séparatiste de notre société, ainsi qu’une indifférence généralisée aux inégalités qu’elle suscite. Elle n’est aucunement soutenable, car elle gangrène l’idéal cardinal d’égalité des chances, qui se trouve au fondement de notre pacte républicain.
Si l’école ne permet plus d’assurer la mobilité sociale, c’est l’ensemble de notre édifice sociétal et démocratique qui est en danger.
Pourtant, depuis l’adoption, en 2013, de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, la mixité sociale est un objectif du service public de l’éducation : ce dernier doit « veiller à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements », tout en « contribuant à l’égalité des chances » et à la lutte « contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative ».
Dès lors, comment combler l’écart entre la théorie et la pratique ou, si vous préférez, entre la loi et la réalité constatée ?
Le gouvernement socialiste, en collaboration avec les collectivités territoriales volontaires, s’est attelé à apporter une première réponse. En 2016, à la suite du plan pour la mixité sociale dans les collèges lancé par la ministre de l’éducation nationale de l’époque, dix-sept départements ont mené des expérimentations pour lutter contre la ségrégation sociale dans le secondaire.
À cet égard, le plan mis en œuvre par le département de la Haute-Garonne présente des résultats remarquables. Une conclusion incontestable peut en être tirée : la mixité sociale permet aux élèves défavorisés de mieux réussir scolairement, sans pour autant faire baisser la réussite des élèves plus favorisés. En pratique, elle établit donc un système gagnant-gagnant.
Aussi, le plan haut-garonnais témoigne que plusieurs ingrédients sont indispensables pour garantir le succès de telles initiatives.
Tout d’abord, le temps de la concertation, cher à notre collègue Émilienne Poumirol, en particulier avec les parents, est fondamental.
Ensuite, la coconstruction avec la communauté éducative fait évoluer positivement le projet et assure son acceptabilité globale.
Par ailleurs, il est impératif de disposer de moyens budgétaires, lesquels peuvent être utilisés pour des politiques publiques connexes, telles que la mobilité – je pense aux bus scolaires, par exemple.
Enfin, l’appui, y compris financier, du ministère de l’éducation nationale est primordial.
Monsieur le ministre, allez-vous par conséquent soutenir de façon plus massive ces expérimentations territoriales, qui ont des effets éducatifs et sociaux évidents ? Êtes-vous prêt à dégager des moyens substantiels pour accompagner les collectivités territoriales volontaires ?
Cette question est d’autant plus légitime que nous savons que vos chantiers sont nombreux – rémunération des professeurs, généralisation de « l’école du futur », même si je n’entends plus beaucoup cette expression…
Concrètement, de quel budget disposez-vous pour accroître la mixité sociale à l’école ? J’y insiste, car ce point est essentiel : au-delà des adaptations organisationnelles que vous proposerez, il déterminera la portée réelle de votre action. Sans ressources budgétaires adéquates, il n’est point de plan ambitieux en matière de mixité sociale !
Il y a une autre problématique que je souhaite aborder en préambule de mon intervention : la participation de l’enseignement privé sous contrat à l’objectif de mixité sociale.
Au regard de l’ampleur du phénomène de ségrégation sociale qui affecte le système scolaire, est-il encore possible de fermer les yeux et de laisser faire ? Telle est la question que je vous pose, monsieur le ministre, et que je nous pose collectivement, mes chers collègues : la liberté de recrutement du privé est-elle négociable aujourd’hui ?
J’ajouterai que, en France, sauf erreur de ma part, nulle liberté n’est absolue, si bien que, comme toute liberté, celle de recrutement peut être encadrée, dans la mesure où elle constitue un enjeu décisif pour améliorer la mixité sociale à l’école et la réussite de tous les élèves.
Ce sont l’efficacité et la crédibilité de notre politique publique éducative qui sont en jeu. En finançant les établissements privés sous contrat à hauteur de 73 %, sans contrepartie en matière de mixité sociale, l’État ne participe-t-il pas à l’éviction du public vers le privé ? L’État ne fragilise-t-il pas ses propres écoles publiques ?
Monsieur le ministre, allez-vous moduler les dotations des établissements privés sous contrat en fonction de leur action, ou plutôt de leur inaction, en matière de mixité sociale ? Du reste, êtes-vous favorable à cette conditionnalité ?
Comme vous le constatez, cette proposition ne vise nullement à punir les écoles privées, mais bien à faire en sorte qu’elles concourent à l’objectif de mixité sociale et scolaire. Plus globalement, que comprendra le protocole d’accord que vous envisagez, monsieur le ministre ?
La mixité sociale des établissements scolaires dépend des politiques de logement et d’aménagement du territoire. Aussi, avez-vous entrepris un travail interministériel avec vos collègues des ministères de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en lien avec les collectivités territoriales ? Si la réponse est positive, à quelles conclusions un tel travail pourrait-il aboutir ?
Mes chers collègues, après le combat en faveur de l’égal accès aux études, qui fut schématiquement celui du XXe siècle, celui qui est mené en faveur de l’égalité des chances est entier et probablement plus intense que dans les années 1980. Si l’école ne peut pas tout, la promesse méritocratique qui lui est attachée doit impérativement être rehaussée, ce qui implique de s’assurer que les conditions de sa réalisation pour tous soient réunies.
Passer de la partialité des chances à une réelle égalité des chances oblige le Gouvernement à un volontarisme politique très fort et affirmé, afin de briser les ghettos sociaux et scolaires, sous peine de basculer vers une société purement endogame ou de tomber dans un gouffre démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Robert, avec les membres de votre groupe, vous avez souhaité inscrire à l’ordre du jour du Sénat un débat sur la mixité sociale au sein des établissements scolaires. Je vous en remercie, puisque j’ai érigé ce sujet, dès mon arrivée au ministère, en priorité de mon action.
Ce sujet nécessite la mobilisation, l’engagement et la persévérance de tous, en particulier des collectivités locales que vous représentez au sein de cette assemblée. En effet, la mixité sociale et scolaire dans les écoles et les établissements est une des conditions de la réussite de chaque élève. La diversité des parcours familiaux, la multiplicité des origines sociales, leurs mélanges et leurs interactions sont une force et non une faiblesse pour l’école.
L’école doit porter – tel est son rôle – une vision émancipatrice de son action auprès des élèves ; elle doit lutter contre les déterminismes de naissance, d’origine ou de genre. Elle doit permettre à chaque enfant d’étendre ses ambitions au-delà de ce à quoi son environnement le restreint, voire le contraint.
Malgré les efforts engagés depuis plusieurs années, la France est l’un des pays de l’OCDE où les déterminismes sociaux pèsent le plus sur la réussite scolaire des élèves. Au-delà même de la réussite scolaire, les phénomènes ségrégatifs privent la société de talents, brident les ambitions, découragent les efforts et participent aux replis identitaires.
Venons-en brièvement aux constats : la situation sociale est en partie polarisée dans les établissements publics.
À la rentrée scolaire de 2021, la proportion d’élèves issus de milieux défavorisés était en moyenne de 37,4 % au collège. Toutefois, si nous examinons la situation en détail, on retrouve ces élèves les plus défavorisés à hauteur de 61 % dans un dixième des collèges les plus défavorisés, alors que les établissements les plus favorisés n’en accueillent que 14,6 %. En miroir, les 23,9 % d’enfants issus de milieux très favorisés ne sont présents qu’à hauteur de 6,6 % dans les collèges les plus défavorisés, alors qu’ils sont près de 45 % dans quelque 10 % des établissements les plus favorisés.
La différenciation sociale est encore plus marquée entre le public et le privé. La proportion moyenne des élèves de milieux défavorisés est de 42,6 % dans le public, mais seulement de quelque 18 % dans le privé. Et les écarts se creusent depuis le début des années 2000. L’IPS, l’indice de position sociale moyen, est de 106 dans le public hors réseaux d’éducation prioritaire (REP), alors qu’il est de 121 dans le privé sous contrat.
Ces constats implacables s’observent particulièrement au collège et concernent à la fois l’enseignement privé sous contrat et l’enseignement public, dans un contexte où l’écart entre les deux n’a cessé de s’accroître depuis plusieurs décennies.
Afin de faire de l’égalité des chances et de la réussite de tous les élèves une priorité, j’ai entamé un cycle de concertations et de consultations avec l’ensemble des acteurs concernés par le champ de la mixité sociale et scolaire : les organisations syndicales représentatives de la communauté éducative de l’enseignement public et privé sous contrat, les collectivités locales, les élus et les ministères partenaires.
Jouant un rôle essentiel, les concertations avec les collectivités locales s’inscrivent dans le cadre de l’instance de dialogue entre le ministère et les collectivités locales que j’ai souhaité instaurer en septembre 2022. Je situe résolument ce cycle de consultations et de concertations dans une démarche collective.
Il nous faudra passer des bonnes intentions à des solutions pragmatiques, compréhensibles et acceptables par tous.
Pour cela, il n’existe pas, c’est évident, de « modèle clés en main ». Les expériences menées, même les plus réussies, n’ont pas vocation à être dupliquées sans adaptation, quels que soient le territoire, ses ressources ou ses particularités. Il est de mon rôle et de mon devoir de donner une impulsion et de proposer des leviers d’actions variés. Ils existent. Je ne doute pas que les acteurs sauront s’en emparer, voire en inventer d’autres.
Le plus évident de tous ces leviers est, bien évidemment, la détermination de la sectorisation au moyen de la carte scolaire.
Peut-être, d’ailleurs, faut-il s’interroger avant même cette étape sur le rôle joué par les politiques d’habitat et sur le choix géographique d’implantation des établissements scolaires. Le département de la Haute-Garonne – vous l’avez cité, madame la sénatrice –, qui a mené un travail résolu et réussi pour créer les conditions d’une mixité scolaire, n’a par exemple pas hésité à détruire des établissements enclavés et connotés de longue date pour les reconstruire ailleurs.
Si la prise en compte de l’objectif de mixité dans l’affectation des élèves avec des secteurs multicollèges est une solution qui porte ses fruits et qui, moyennant des explications aux familles et la prise en compte des temps de trajets ou des moyens de transport, produit assez vite des effets mesurables, la fusion d’établissements, voire la création de binômes de collèges peu éloignés géographiquement, avec des configurations variées ou des jumelages d’établissements, permet également d’améliorer l’hétérogénéité sociale des élèves – nous avons identifié quelque deux cents binômes potentiels.
L’implantation d’offres de formation attractives dans les établissements défavorisés reste aussi un outil extrêmement efficace. Concernant les sections internationales, par exemple, on assiste en une année scolaire à une hausse de trois à huit points de l’IPS moyen dans les établissements où elles sont créées. Quarante-trois sections internationales nouvelles ont donc été ouvertes dans des collèges d’éducation prioritaire en 2022 ; seize autres le seront en 2023.
L’absence de mixité existe aussi en milieu rural. Il faut trouver des moyens particuliers d’action. Je pense par exemple au rapprochement d’établissements isolés avec ceux des bourgs plus importants par des projets communs ou des échanges pédagogiques.
En parallèle, parce que l’argent public finance l’enseignement privé sous contrat, il est normal d’exiger de ce dernier qu’il favorise aussi la mixité des élèves en s’engageant dans une démarche volontaire et contractualisée.
C’est d’ailleurs ce que recommande le rapport du président Laurent Lafon et du sénateur Jean-Yves Roux, rendu en 2019, sur les nouveaux territoires d’éducation. J’ai donc entamé une discussion constructive avec l’enseignement catholique pour établir un protocole d’engagements, qui, je l’espère, sera signé dans quelques semaines. Je mène aussi ce travail auprès des autres confessions, ainsi qu’avec des établissements privés laïques.
Même si, bien sûr, il existe des a priori, des préjugés, des volontés d’entre-soi et des représentations négatives et stigmatisantes contre lesquels nous devons lutter, et même s’il faut dire et redire que la mixité sociale ne fait pas baisser le niveau des élèves, il faut aussi entendre le souhait des parents d’offrir le meilleur à leurs enfants. La seule réponse, c’est de renforcer l’attractivité des établissements publics, pour permettre aux parents un choix rassurant.
J’ai conscience des enjeux et je ne nie pas les raisons qui poussent certaines familles à choisir soit de contourner la sectorisation, soit de recourir à l’enseignement privé, parfois pour certains au prix de sacrifices importants.
Comme vous l’avez compris, faire de la mixité sociale une réalité, ce n’est pas remettre en cause la liberté scolaire. Ce n’est pas non plus faire gagner un camp contre un autre ou une catégorie contre une autre. C’est au contraire permettre l’enrichissement de tous, offrir un socle commun pour tous, assurer les conditions de l’altérité et continuer à faire de la France une nation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais pouvoir compter sur le soutien de tous ceux qui veulent faire vivre en actes la belle devise de notre République. (Applaudissements sur les travées des groupes RPDI, SER et GEST.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le ministre, chacune et chacun d’entre nous a conscience de l’importance de faire vivre la mixité dans nos écoles de France.
La mixité permet de se confronter à la différence, quelle que soit sa forme ; elle permet d’apprendre à comprendre l’autre et elle participe à la formation du citoyen.
Toutefois, le sujet de la mixité ne se pose pas avec la même intensité selon les territoires. Chacun a son expérience. La mienne est celle d’un ancien maire d’une commune rurale dans l’Aisne, et j’imagine que l’enjeu n’est pas le même quand on est le maire d’une ville-centre ou d’une ville de banlieue.
Des décrochages, des problèmes et des difficultés liés à la mixité, il y en a partout – il ne s’agit évidemment pas de les classer. Néanmoins, quand on est dans un territoire métropolitain, grâce aux offres de mobilité – le RER, le métro ou le bus –, on a accès à des lieux culturels. Pour dire les choses simplement, le monde est devant soi et on peut le voir.
En revanche, dans les territoires ruraux, soit on vit dans une famille qui a les moyens et l’organisation permettant de se rendre dans de tels lieux, soit on connaît des difficultés, et c’est alors la double peine. Il y a des familles où personne n’a le permis de conduire ou qui n’ont pas les moyens de partir quelques jours dans une grande ville pour s’ouvrir l’esprit.
Cet éloignement, ces difficultés et ce manque de mixité ne sont pas toujours pris en compte dans la mise en œuvre des politiques scolaires ; ils pourraient pourtant faire la différence dans certains cas. Il s’agit de donner les mêmes conditions, les mêmes chances et les mêmes possibilités à chacun. Telle est la vocation de l’école républicaine.
Aussi, monsieur le ministre, quelles sont vos ambitions pour favoriser la mixité sociale dans les territoires ruraux et lutter contre les inégalités territoriales ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Verzelen, vous avez raison, la question de la mixité sociale se pose non seulement dans les territoires urbains, mais également dans les régions rurales.
Cependant, les problématiques scolaires qui se posent dans les régions rurales sont quelque peu différentes de celles des territoires urbains.
Globalement, les résultats scolaires dans les régions rurales – il existe des variations, il faut le reconnaître – sont corrects, voire bons dans certains départements très ruraux. En Mayenne, par exemple, les résultats scolaires sont bons. Néanmoins nous constatons un manque d’ambition ou plutôt des difficultés à projeter ces résultats scolaires vers des études post-bac qui impliquent un éloignement géographique de la région d’origine.
La question de l’éloignement, comme le montre cet exemple, est absolument centrale pour les territoires ruraux. Voilà pourquoi j’ai mentionné dans mon intervention liminaire la possibilité d’organiser des rapprochements entre des établissements scolaires qui sont moyennement éloignés, c’est-à-dire dont la distance qui les sépare peut être couverte par des modes de transport appropriés.
Je pense également à l’importance et à l’intérêt des cordées de la réussite. Comme vous le savez, quelque 168 000 élèves sont aujourd’hui concernés – nous visons l’objectif de 200 000 élèves « encordés » dans le supérieur, au lycée et au collège. Ce dispositif donne de bons résultats, notamment en matière d’ambitions et de perspectives scolaires et universitaires.
Je mentionnerai enfin le sujet de la refonte de la carte de l’éducation prioritaire, à laquelle nous nous sommes attelés avec le ministre délégué à la ville et au logement. Cette question impliquera aussi les territoires ruraux. Nous prendrons notre temps pour aboutir à une réforme en septembre 2024.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Je tiens tout d’abord à remercier mes collègues du groupe socialiste de l’inscription à notre ordre du jour de ce débat essentiel. Il y a beaucoup à dire sur la mixité sociale et, plus largement, sur les inégalités à l’école.
La France est l’un des pays de l’OCDE où l’origine sociale d’un élève pèse le plus sur son destin scolaire. Notre système éducatif est l’un de ceux qui reproduisent le plus les inégalités sociales, et cela depuis plus de dix ans. Le manque de mixité sociale à l’école est un facteur aggravant des inégalités ; sur ce point, la France est à la traîne.
On assiste au développement d’une école à deux vitesses. Les établissements privés sont devenus l’un des moteurs de la ségrégation scolaire en favorisant l’évitement de la carte scolaire pour les classes les plus favorisées. Selon une étude de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), à la rentrée scolaire de 2021, quelque 40,1 % des collégiens du secteur privé sous contrat étaient issus de milieux sociaux très favorisés, contre 19,5 % dans le public.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé que la mixité sociale à l’école était l’une de vos priorités, et nous nous en réjouissons, tant votre prédécesseur avait ignoré cette problématique.
Dans ce cadre, vous avez déclaré souhaiter mettre en place un accord avec les établissements privés sous contrat, et vous venez de le réaffirmer. Il est vrai que le taux de boursiers dans l’enseignement privé sous contrat est actuellement inférieur à 10 %. Cela a été rappelé, l’État et les collectivités territoriales subventionnent pourtant l’enseignement privé sous contrat à hauteur de 73 %.
Les enjeux des modalités de cet accord suscitent notre interrogation. Quels en seront les termes ? Allez-vous enfin pondérer les subventions publiques versées au privé en fonction d’un ratio de mixité sociale acceptable ?
Allez-vous, en d’autres termes, conditionner les aides attribuées aux établissements privés sous contrat à des taux de boursiers largement plus importants, afin de cesser de financer par des deniers publics la ségrégation sociale ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Dossus, je vous remercie de votre question importante relative à l’enseignement privé sous contrat.
J’ai en effet indiqué que l’enseignement privé sous contrat sera impliqué dans l’effort en faveur de la mixité. Tous les chercheurs qui ont travaillé sur cette question ont abouti à la même conclusion : si l’enseignement privé sous contrat n’est pas impliqué, les politiques de mixité sociale à l’école seront sinon vouées à l’échec, du moins très limitées.
Vous avez également rappelé que l’État finance aux trois quarts les établissements privés sous contrat. Nous sommes en négociation avec la principale organisation regroupant l’essentiel des établissements privés sous contrat, le secrétariat général de l’enseignement catholique, dont je me réjouis de la bonne volonté, ainsi qu’avec d’autres fédérations ou associations que j’ai pu consulter ces dernières semaines.
Selon moi, deux écueils sont à éviter. Le premier consisterait à ne rien demander aux établissements privés sous contrat en échange du financement dont nous parlons et à laisser l’enseignement privé sous contrat libre d’agir comme il le souhaite.
À l’inverse, le second écueil serait de faire passer sous les fourches caudines de l’enseignement public le secteur privé sous contrat ; nous nous heurterions à de très nombreuses difficultés et à de très importantes résistances politiques. Entre ces deux pôles, si je puis dire, il y a un espace, celui de la négociation.
Du reste, nous avons des moyens d’agir, notamment en modulant non pas la part fixe, mais la part variable de notre subvention aux établissements privés sous contrat. Les collectivités locales peuvent également procéder à une telle modulation, j’y insiste, à l’instar de ce qu’ont récemment fait le département de la Haute-Garonne et la Ville de Paris.
M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne.
Mme Samantha Cazebonne. Monsieur le ministre, si la mixité sociale à l’école est tellement importante, c’est parce qu’elle est un prérequis incontournable et incompressible du vivre ensemble. Or ce dernier ne se décrète pas : il s’apprend et il s’exerce.
En ce sens, l’école publique est évidemment le lieu privilégié de cet apprentissage. Dès le plus jeune âge, l’école, qui garantit l’émancipation par le savoir et la culture, bâtit également un projet démocratique fondé sur des principes communs partagés et respectés par tous.
Je fais partie de ceux qui pensent que l’école doit faire davantage pour la mixité sociale. À ce titre, l’expérimentation de secteurs multicollèges dans six établissements parisiens, dont les résultats sont positifs, va dans le bon sens.
Toutefois, la mixité sociale à l’école n’est pas le seul fait de l’école. Vous le savez, la carte scolaire des écoles maternelles et élémentaires est déterminée par les conseils municipaux et celle des collèges par les conseils départementaux.
Par ailleurs, nos écoles sont des réalités physiques et urbaines. Elles s’insèrent dans un environnement urbain, qui a des effets, lui aussi, sur la mixité sociale. Les politiques de l’urbanisme et de l’habitat ont donc également un rôle à jouer.
Monsieur le ministre, quel rôle les services de votre ministère pourraient-ils jouer dans la nécessaire coordination entre les différents acteurs qui, de près ou de loin, agissent sur la mixité sociale à l’école ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, vous faites référence à une question importante : le lien entre le travail de l’éducation nationale et celui des services d’autres ministères – je pense en particulier à celui de la ville et du logement.
Avec mon collègue Olivier Klein, je travaille dans la perspective que j’ai déjà indiquée, à savoir refondre ou, à tout le moins, retoucher la carte de l’éducation prioritaire, qui est établie sur des données remontant à 2011 – la carte elle-même est parue en 2015.
En effet, les changements sociologiques et urbains de la société française imposent certainement de repenser cette carte, en particulier pour les établissements de REP. Les environnements des établissements REP+ sont, d’une certaine façon, très immobiles, puisqu’ils sont situés dans des quartiers défavorisés qui, malheureusement, n’ont pas changé de façon importante depuis dix ans.
En revanche, les quartiers REP, un peu plus intermédiaires, ont connu des changements sociaux importants, sous l’effet, par exemple à Paris, de phénomènes de gentrification, qui ont profondément modifié ces quartiers. Par ailleurs, des régions ou des secteurs ont été quelque peu oubliés en 2015. En un mot, il faut repenser ce dispositif en lien avec les quartiers prioritaires de la ville, sur lesquels travaillent les services du ministère de la ville et du logement.
J’ajoute un point très important : en dépit des pesanteurs urbaines et sociales, nous pouvons prendre des initiatives pour aller au-delà des frontières sociales.
Je pense à ce qui a été fait à Toulouse, où les élèves des collèges du quartier du Mirail ont été déplacés et scolarisés dans des quartiers centraux. (Mme Émilienne Poumirol approuve.) Ainsi, en dépit de la pesanteur sociologique du quartier, il est possible d’obtenir des résultats scolaires indépendamment du bâti urbain et de données sociologiques existantes.
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Yan Chantrel. Monsieur le ministre, ainsi que plusieurs de mes collègues l’ont rappelé, dans notre pays, l’enseignement privé sous contrat est subventionné par l’État et les collectivités territoriales à hauteur de 73 %, soit près de 10 milliards d’euros qui, chaque année, sortent des caisses publiques pour financer le privé !
Alors que le public souffre d’un manque de moyens chronique, le privé continue de profiter de nouveaux effets d’aubaine, à la suite de la loi Carle de 2019 et de la loi Blanquer de 2019.
M. Jacques Grosperrin. Il faut arrêter avec ce discours !
M. Yan Chantrel. Or, cas unique au monde, ce financement public du privé se fait pratiquement sans aucune contrepartie. Ces établissements échappent à la carte scolaire et leur recrutement reste opaque : on ne sait pas quels critères sont retenus pour sélectionner les élèves !
M. Jacques Grosperrin. Bien sûr…
M. Yan Chantrel. Tout le monde finance le privé, mais tout le monde n’y a pas accès ! Car le privé pratique l’exclusion sociale de fait.
Monsieur le ministre, en juillet 2022, vos services ont souligné que l’écart entre la proportion d’élèves très favorisés dans le privé et dans le public s’était creusé de près de dix points en vingt ans.
La publication des IPS en janvier dernier a confirmé l’embourgeoisement de plus en plus marqué du privé. Deux chercheurs, MM. Julien Grenet et Youssef Souidi, ont montré que, à Paris, le privé ne compte que 3 % d’élèves défavorisés, contre 24 % dans le public. Voilà le véritable séparatisme contre lequel nous devons lutter avec acharnement !
Pis, une étude de 2014, menée par Loïc du Parquet, Thomas Brodaty et Pascale Petit au moyen d’une expérience contrôlée, inspirée de la méthode du testing, a montré qu’il existe à l’entrée des établissements scolaires privés une sélection ethnique.
Monsieur le ministre, en tant que chercheur, vous serez aussi sensible que moi à la pertinence de ces travaux. Vous partagez ce constat, je le sais. Nous connaissons vos convictions et nous sommes prêts à vous soutenir contre tous les conservatismes si vous prenez des mesures à la hauteur de l’urgence.
Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à introduire, à l’échelle nationale, un système de bonus-malus analogue à celui que le département de la Haute-Garonne a mis en place – vous n’avez pas été suffisamment précis sur ce point – pour moduler les crédits pédagogiques versés aux établissements, en fonction de leur niveau de mixité sociale ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Yan Chantrel. Cela reviendrait à prendre l’argent des établissements privés qui ne jouent pas le jeu de la mixité sociale pour le donner à ceux du public. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Quel vieux combat !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Chantrel, à la question du financement de l’enseignement privé sous contrat, que vous avez posée, je souhaite répondre par la concertation, afin d’aboutir à un protocole d’accord comportant des objectifs très précis.
À cet égard, je note la bonne disposition de nos interlocuteurs du privé sous contrat : les temps ont changé, la publication des IPS a joué son rôle, et nous disposons de quelques moyens de pression, si je puis dire.
J’ai indiqué que les collectivités locales pouvaient agir, comme l’ont fait, par exemple, le département de la Haute-Garonne et la ville de Paris. Nous le pouvons également, en jouant sur les moyens d’enseignement. Ainsi, les allocations de postes en réponse à des demandes exprimées peuvent être utilisées comme des moyens de pression sur les établissements, afin que ceux-ci s’engagent dans des politiques résolues de mixité sociale et scolaire.
J’évoque la mixité sociale et scolaire, parce qu’un objectif en termes de pourcentage de boursiers est certes intéressant, mais ne doit pas pour autant conduire les établissements privés sous contrat à chercher les meilleurs élèves boursiers dans les établissements publics, privant ces derniers de leurs têtes de classe.
Il nous faut veiller à favoriser une mixité scolaire qui combine une dimension purement sociale avec d’autres facteurs, concernant, par exemple, les élèves en situation de handicap, dont le taux est significativement plus bas dans l’enseignement privé sous contrat, ainsi que des élèves dont les résultats scolaires soient répartis sur l’ensemble du spectre.
Nous nous sommes attelés à ce travail, afin d’aboutir à un protocole aux alentours du 20 mars prochain.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. L’école française est l’une des plus inégalitaires des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Elle a donc besoin de mesures structurelles, et pas seulement cosmétiques.
Prenons l’exemple du lycée Claude-Monet, au Havre. Depuis 2018, celui-ci a perdu l’équivalent de 8 postes, alors qu’il a accueilli 35 élèves en plus. L’indice de position sociale (IPS) de cet établissement a baissé d’année en année, atteignant 92,9 aujourd’hui, alors que l’IPS du lycée privé Saint-Joseph, qui se trouve à 150 mètres, atteint presque 138.
Face à la dégradation de la situation sociale des élèves de l’établissement public, on ne saurait se contenter d’ouvrir des formations dites « attractives » ou d’inciter les parents d’élèves du lycée privé à y inscrire leurs enfants.
Monsieur le ministre, la communauté éducative vous demande non pas un énième artifice, mais bien l’attribution de moyens, pour pallier par un renforcement de l’action pédagogique et éducative les conséquences des inégalités socioéconomiques que subissent certains élèves.
Or ce souci ne semble pas guider les attributions de dotations horaires globales (DHG) dans le secondaire, qui sont actuellement examinées, non plus que les mesures de carte scolaire concernant le primaire. Les établissements en réseaux d’éducation prioritaire (REP), en REP+, ou dans le rural isolé – les difficultés sociales y sont également nombreuses – continuent ainsi à perdre des moyens d’enseignement.
Allez-vous mieux tenir compte de la réalité sociale dans l’allocation des postes, qui évoque encore trop souvent une gestion purement comptable ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Brulin, je ne connais pas la situation spécifique du lycée Claude-Monet du Havre.
Mme Céline Brulin. Je vous l’ai présentée !
M. Pap Ndiaye, ministre. Je l’examinerai. Croyez bien que les réponses que vous attendez ne relèvent pas simplement de la mise en place de formations attractives. Nous disposons d’un éventail de moyens d’action, dont fait partie la sectorisation, que j’évoquais précédemment. Si celle-ci ne concerne pas l’établissement privé auquel vous faites allusion, elle peut s’appliquer à un autre établissement public du voisinage, voire de la ville du Havre.
Pour répondre à votre question, les moyens d’enseignement doivent être pris en compte, mais il convient également de donner aux établissements publics défavorisés la capacité de garder des élèves susceptibles d’aller ailleurs, en particulier dans l’enseignement privé sous contrat.
Il est donc utile de réfléchir à la meilleure manière de conserver ces élèves. Des expériences intéressantes ont été menées un peu partout en France, qui montrent que des formations d’excellence peuvent offrir de bons résultats à ce titre. Il peut s’agir d’une classe de préparation aux études supérieures, au travers d’un conventionnement avec un institut d’études politiques, par exemple, ou encore d’une section internationale.
Les moyens d’enseignement sont, quant à eux, directement dépendants des effectifs scolaires. S’ils baissent dans certaines régions, nous veillons alors à améliorer le taux d’encadrement ; ce sera le cas dans le département de la Seine-Maritime.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.
Mme Céline Brulin. Monsieur le ministre, vous indiquez que l’allocation des moyens est presque exclusivement liée aux effectifs. Tel était bien le sens de ma question : j’entendais vous demander comment prendre en compte la situation sociale des établissements pour renforcer les moyens d’éducation.
Par ailleurs, dans la palette de propositions que vous avancez, il me semble que vous mettez beaucoup à contribution les collectivités pour garantir la mixité sociale. Nous connaissons pourtant tous, ici, la situation dans laquelle celles-ci se trouvent…
Enfin, je m’inquiète de vos propos qui semblent envisager des regroupements d’écoles dans les centres-bourgs,…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Céline Brulin. … alors que l’existence d’une école rurale, fruit d’un maillage très fin du territoire, est aussi un gage de réussite des élèves.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre. Madame la sénatrice Brulin, les moyens d’enseignement dépendent non pas seulement des effectifs, mais aussi de l’IPS et de l’éloignement. Les directions académiques font des calculs et mènent chaque année ce travail, en échangeant d’ailleurs avec les élus ; cela peut donc aboutir à des variations complètement indépendantes des effectifs stricto sensu.
Certes, le maillage a de l’intérêt. Mais, dans le secondaire tout au moins, les meilleurs résultats scolaires ne sont pas le fait des très petits établissements, et une taille réduite ne garantit pas des résultats scolaires convenables. Il nous faut réfléchir à une taille critique d’établissement en vue de la réussite de nos élèves.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. J’entends que vous prenez en compte les IPS dans l’allocation de moyens. Nous nous préparons dès lors à avancer nos arguments quant à certaines situations, avec l’espoir d’obtenir l’attribution de postes et de DHG supplémentaires pour les établissements concernés.
Quant au maillage scolaire en milieu rural, j’y insiste, car il favorise la réussite des élèves : dans les communes rurales se forme un vivier social autour de l’école, où se nouent des relations et où se créent des associations. Tout cela contribue à la réussite et me semble très important.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que le postulat de départ est clair – l’article 1er du code de l’éducation rend la mixité obligatoire dans l’enseignement primaire et secondaire –, force est de constater, près de cinquante ans plus tard, que cet objectif est loin d’être atteint, malheureusement.
Le rapport de la Cour des comptes de décembre 2021 relève, d’ailleurs, que la possibilité pour chaque enfant, quelles que soient ses origines, de bénéficier des mêmes conditions de scolarisation n’est pas garantie : il s’agit d’un frein à l’efficacité générale de l’école, qui reste segmentée, dont l’impact est négatif en termes d’accès au savoir et à la culture, ainsi que d’appartenance à la Nation.
Aussi, monsieur le ministre, quel plan comptez-vous mettre en œuvre pour rendre concret l’objectif de mixité sociale fixé dans le code de l’éducation ?
Par ailleurs, concernant l’enseignement privé sous contrat, vous avez récemment évoqué les efforts à envisager afin que ce secteur « participe à une plus grande mixité sociale ». À quoi pensez-vous et de quels leviers disposez-vous dans cette perspective, sachant que la loi reconnaît à ces établissements un caractère propre ?
Enfin, quels bilans et enseignements tirez-vous des réformes mises en place pour rendre l’école plus juste, au travers de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, ou s’agissant de la sectorisation dans le secondaire, dont l’assouplissement, en 2007, n’a pas modifié in fine la composition sociale des collèges à l’échelle nationale ?
Évaluer l’efficacité d’une politique publique et en corriger le cas échéant les faiblesses en proposant des solutions de rechange, cela exige du courage politique. Il faut un message clair et fort, massivement compris et soutenu, dont l’impulsion ne peut venir que de l’État, de manière transversale.
Quels sont vos objectifs en la matière ? Comment comptez-vous amorcer le changement nécessaire pour permettre à l’enseignement obligatoire de jouer pleinement son rôle intégrateur ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Kern, en matière de mixité scolaire, je le répète, il existe un ensemble de leviers, qui peuvent être utilisés différemment selon les territoires et les réalités locales.
Notre méthode consiste à proposer aux recteurs une palette d’actions que ceux-ci peuvent mettre en œuvre de manière souple en lien avec les collectivités. Ils ont également la possibilité d’inventer d’autres moyens, pour atteindre les objectifs que nous leur fixons, avec une progressivité annuelle.
Parmi ces leviers, j’ai mentionné la situation de l’enseignement privé sous contrat et j’ai indiqué que nous avions adopté une démarche de négociation pour aboutir à un protocole. Nous avons des moyens d’action : les postes, les bonus-malus que les collectivités peuvent appliquer, mais aussi, pour ce qui nous concerne, les allocations de fonds supplémentaires via le programme 139, au-delà des strictes exigences de la mission de service public qu’assure ce secteur.
La sectorisation a fait l’objet de nombre de travaux et de réflexions depuis plus de quinze ans. Je vous invite à examiner ce qui a été réalisé récemment à Paris dans le cadre d’Affelnet pour l’affectation des lycéens à l’entrée en seconde. Cet outil a donné des résultats tout à fait probants : des établissements, parfois très prestigieux, qui recevaient peu d’élèves boursiers en accueillent beaucoup plus ; à l’inverse, des établissements avec un très fort taux de boursiers retrouvent une population scolaire plus équilibrée.
Avec l’aide des chercheurs, grâce aux statistiques issues des travaux de la Depp, nous avons une connaissance bien plus fine de la carte scolaire qu’il y a une quinzaine d’années.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le ministre, « la principale injustice de notre pays demeure le déterminisme familial, la trop faible mobilité sociale. Et la réponse se trouve dans l’école, dans l’orientation ». Ces mots sont d’Emmanuel Macron, lors de ses vœux aux Français pour 2023.
Le secteur privé compte 40 % d’élèves très aisés, contre 20 % dans le public. Quelque 42 % des élèves du public sont issus de milieux sociaux défavorisés, contre 18 % dans le privé. Ces écarts se creusent à un rythme accéléré depuis les années 2010.
Vous avez indiqué vouloir impliquer l’enseignement privé sous contrat dans la poursuite de l’objectif de mixité sociale, consubstantiel à celui d’égalité des chances. Le taux de boursiers dans les écoles privées sous contrat est actuellement inférieur à 10 %, « un chiffre trop faible au regard de la composition sociale de nos effectifs scolaires », selon vos propres mots.
L’intégration, depuis la rentrée de 2022, des lycées Louis-le-Grand et Henri-IV dans le système d’affectation Affelnet semble prometteuse. Les candidats parisiens y sont recrutés non plus sur dossier, mais en fonction de leur proximité géographique et de caractéristiques sociales, et des quotas d’élèves boursiers sont désormais appliqués. Parmi les classes de seconde, la part d’élèves de catégories moyenne et défavorisée est ainsi passée de 13 % à 29 % à Louis-le-Grand et de 12 % à 22 % à Henri-IV.
L’entrée de ces deux établissements dans Affelnet semble avoir produit un effet incitatif sur les élèves parisiens, qui sont plus nombreux à avoir candidaté – plus 29 % – par rapport à l’an dernier, et qui proviennent de collèges plus divers.
Devant la délégation sénatoriale à la prospective, Jacques Attali a recommandé la présence de 20 % à 30 % d’élèves issus de familles défavorisées dans tous les établissements. Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à imposer ce niveau de mixité sociale dans le public et dans le privé sous contrat ? Si tel est le cas, comment comptez-vous y parvenir ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Fialaire, vous avez souligné l’écart entre les taux de boursiers dans le privé sous contrat et dans le public : il est inférieur à 10 % dans le premier, alors qu’il avoisine 29 % dans le second, soit un rapport d’un à trois.
Il faut le réduire, et c’est le sens du protocole que j’espère signer dans quelques semaines, avec des engagements précis de la part des établissements privés sous contrat. Je vous confirme l’intérêt de leurs organisations représentatives pour cette question. Il reste un certain nombre de points à régler, concernant, notamment, la restauration scolaire, mais nous avançons, avec l’aide des collectivités.
Vous avez très justement mentionné le cas des lycées Louis-le-Grand et Henri-IV. Dans la situation issue de la réforme d’Affelnet, des lycéens de Louis-le-Grand, par exemple, peuvent venir de zones distantes du lycée, parce que le quartier dans lequel celui-ci est situé ne garantit pas une mixité sociale très intense.
Nous utilisons les moyens de transport très denses de Paris, en particulier la ligne du RER B, pour acheminer vers ce lycée des élèves qui en sont géographiquement éloignés. Ceux qui habitent dans le nord de Paris peuvent ainsi s’y rendre en une demi-heure environ. La proximité géographique compte moins que le temps de transport, ce qui offre beaucoup de possibilités dans une ville comme Paris.
Cette réforme a donné d’excellents résultats ; sa mise en œuvre nécessite un travail très fin, avec des calculs impliquant les modes de transport, et aboutit à une carte à l’allure parfois baroque. Mais c’est à cette condition que nous avons pu obtenir des résultats probants pour des lycées qui étaient en quelque sorte hors normes par leur recrutement, mais également par leurs résultats scolaires.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Monsieur le ministre, je veux le rappeler, la France enregistre de mauvais résultats en matière de réussite scolaire pour tous ses élèves. Certes, cela touche particulièrement ceux qui sont issus des milieux défavorisés, mais cela concerne aussi les autres.
Notre groupe soutient donc toute initiative visant à assurer la performance scolaire et l’égalité des chances. Il ressort de vos premières annonces que vous souhaitez principalement revoir la sectorisation et ouvrir davantage l’enseignement privé à la mixité sociale. Pourquoi pas ?
Pour autant, le risque sera grand de renforcer l’incompréhension des parents et la mise en place de stratégies d’évitement, sans apporter de réponse globale et durable à la question de la réussite de tous les élèves.
En réalité, nous ne visons pas le même objectif : vous parlez de mixité sociale, nous parlons d’égalité des chances et de réussite scolaire. Pour y parvenir, ne faudrait-il pas plutôt nommer dans les établissements à besoins éducatifs particuliers des enseignants expérimentés ?
L’affectation quasi exclusive de professeurs fraîchement issus des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), voire des formations accélérées de quarante-huit heures proposées in extremis aux vacataires, n’est-elle pas l’un des points de faiblesse majeurs de ces établissements qui auraient tant besoin de stabilité et d’expérience ?
Ne pourrait-on pas leur donner davantage d’autonomie, afin de laisser aux acteurs de terrain les marges de manœuvre nécessaires et les moyens d’assurer l’égalité des chances ?
Ne faudrait-il pas, enfin, instaurer un véritable service public du soutien scolaire, épaulé par la création d’une réserve éducative ?
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
M. Max Brisson. Telles sont les propositions que je souhaitais formuler et dont nous reparlerons. Qu’en pensez-vous, monsieur le ministre ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Brisson, je ne vois pas de contradiction entre mixité sociale et réussite scolaire de tous les élèves.
Des études, comme les travaux de M. Grenet auxquels il a déjà été fait allusion, montrent que dans les établissements dans lesquels on crée de la mixité, comme à Paris ou à Toulouse, les résultats des élèves défavorisés s’améliorent, tandis que ceux des élèves favorisés ne baissent pas du tout. Si la progression des premiers n’est toutefois pas spectaculaire – il n’existe pas de baguette magique en la matière ! –, elle ne se fait pas au détriment des autres.
Deux autres points peuvent être relevés : d’une part, les élèves défavorisés voient leur ambition scolaire et post-bac décuplée, des perspectives s’ouvrent à eux et ils se projettent très différemment par rapport à leur situation précédente ; d’autre part, les réseaux d’amitié entre les élèves se reconfigurent. Autrement dit, les élèves se mélangent entre eux et ne forment pas des groupes séparés qui obéiraient aux logiques scolaires anciennes.
Ces évolutions sociales sont tout à fait intéressantes et invitent à penser la mixité comme un facteur de réussite, plutôt que comme un élément qui l’embarrasserait.
Je vous rejoins sur la question de la formation des enseignants, et nous aurons l’occasion d’en reparler : nous avons besoin d’enseignants mieux formés. En France, la formation académique est plus longue qu’ailleurs, alors que la formation au métier est courte. C’est paradoxal, alors que l’on attend des enseignants, dans leurs établissements, une compétence élevée dans leur métier.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Il ne me semble pas que ce soit en permettant à quelques élèves issus de milieux défavorisés de se retrouver à Pierre-de-Fermat ou à Louis-le-Grand que l’on réglera le problème de la mixité sociale et les difficultés des élèves issus de tels milieux…
Je le répète, ce n’est pas en tentant d’imposer la mixité sociale à tout prix, par la sectorisation rigide et les quotas, que nous ferons progresser le niveau scolaire des élèves les plus éloignés de la réussite. Nous le ferons par la différenciation de nos politiques éducatives sur le terrain, dans ces établissements, laquelle passe par une nouvelle approche contractualisée des ressources humaines et de l’affectation des moyens dans nos territoires.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre. Monsieur le sénateur Brisson, là encore, je ne vois pas de contradiction. Ce ne sont pas quelques élèves qui sont concernés et qui masqueraient le reste !
À Toulouse, par exemple, plusieurs centaines d’élèves du quartier du Mirail ont été envoyées dans sept collèges du centre-ville, mais aussi des bordures de la ville. Il s’agit non pas seulement des meilleurs élèves du Mirail, mais bien d’une cohorte dont la mixité scolaire est élevée. Cette expérience mérite d’être examinée de près.
Par ailleurs, j’insiste sur l’importance de valoriser des établissements défavorisés, problématiques ou délaissés, grâce à des filières d’excellence, ainsi qu’à des travaux menés sur le bâti scolaire.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Monsieur le ministre, je ne vous ennuierai pas davantage quant au caractère cosmétique de ce que vous évoquez.
En revanche, je vous pose de nouveau une question : quand cesserons-nous de nommer dans les établissements des quartiers les plus difficiles, où la population a des besoins éducatifs particuliers, les professeurs les plus jeunes et les moins expérimentés, sortant des Inspé, voire des vacataires n’ayant reçu que quelques heures de formation ?
Quand allons-nous réfléchir à une nouvelle politique de ressources humaines, conduisant à orienter vers ces établissements des professeurs chevronnés, expérimentés et capables de sortir le plus grand nombre de ces élèves des difficultés scolaires dans lesquelles ils se trouvent ?
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de la mixité scolaire se pose différemment dans les agglomérations et dans les territoires ruraux, où les établissements scolaires sont plus éloignés les uns des autres, limitant ainsi l’impact de la ségrégation résidentielle et les stratégies d’évitement des familles.
La mixité est une réalité bien plus tangible dans les écoles, les collèges et les lycées de nos communes rurales, où le vivre ensemble existe de fait. C’est une raison supplémentaire de leur accorder les moyens de fonctionner dans des conditions correctes et de maintenir leur ancrage territorial. Sur le terrain, on observe en effet une montée en puissance des écoles privées rurales, notamment hors contrat, qui pourrait remettre en cause ce fragile équilibre.
Nous payons aujourd’hui très cher les suppressions de postes actées lors du vote du budget pour 2023, en particulier dans le premier degré. Dans la Drôme, plus de 40 classes vont ainsi être fermées, essentiellement dans les communes rurales, victimes d’une logique comptable.
Monsieur le ministre, que prévoyez-vous pour maintenir des conditions d’enseignement à la hauteur des besoins dans ces territoires ?
La situation des lycées ruraux appelle également votre attention, car la réforme du lycée a mis à mal leur attractivité. Nous avions pointé ce problème dans le rapport Bilan des mesures éducatives du quinquennat, que j’ai signé avec mes collègues Annick Billon et Max Brisson : en raison de leur dotation globale horaire limitée, les lycées ruraux sont contraints d’opérer des choix entre les spécialités et les options proposées, ce qui incite des élèves à les quitter.
Le Gouvernement a-t-il prévu de renforcer les moyens qui leur sont consacrés, afin de garantir une offre éducative homogène et une égalité d’accès aux enseignements, qui sont des facteurs-clés de la mixité sociale ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Monier, selon les données dont nous disposons, la question du rural ne saurait être abordée en laissant entendre que les écoles rurales seraient sous-dotées par rapport aux écoles urbaines : c’est le contraire qui est vrai.
Le taux d’encadrement est souvent meilleur dans les écoles rurales : 18 % des élèves sont accueillis dans ces établissements, qui représentent 35 % des écoles. Il est vrai que les moyens d’enseignement diminuent pour la rentrée 2023, mais cela correspond malheureusement à une baisse des effectifs scolaires.
Pour autant, la diminution des moyens n’est pas proportionnelle à cette baisse, de sorte que le taux d’encadrement s’améliore. Par ailleurs, nous examinons au cas par cas les situations délicates et, d’ici au mois de juin prochain, nous allons procéder à certains ajustements dans les différentes académies.
S’agissant de la réforme des lycées, celle-ci n’a pas restreint le choix des élèves.
Actuellement, 93 % des établissements proposent au moins sept spécialités sur les douze possibles. Notre intention est d’accroître le nombre de spécialités proposées, en particulier les spécialisés « Numérique et sciences informatiques (NSI) » et « Sciences de l’ingénieur », puisque nous souhaitons augmenter le nombre d’élèves se dirigeant vers les voies technologiques.
Je tiens toutefois à souligner la variété des offres et à rappeler que la présence de ces sept spécialités au moins permet un choix très large comparé à la situation qui prévalait précédemment.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour la réplique.
Mme Marie-Pierre Monier. Nous avons pourtant bien le sentiment que les suppressions de postes sont proportionnelles au nombre des élèves…
La moyenne des élèves par classe en primaire est de 21,9 enfants en France, contre 19,4 dans l’Union européenne. Dans nos classes rurales, après fermeture, ce nombre monte souvent à 24, 25 ou 26. Cela rompt l’égalité et fragilise la mixité.
Vous avez indiqué que les directions académiques négociaient avec les élus, mais elles le font à partir de ce qui a été voté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, c’est-à-dire pas grand-chose ! À Grenoble, aucun poste n’est ainsi prévu ; la Drôme, quant à elle, a dû en rendre 11.
Je vous ai entendu évoquer la notion de trajet raisonnable et de regroupements, ce qui m’interpelle. Nous ne souhaitons pas un retour à l’article 6 quater de la loi pour une école de la confiance. Je vous rappelle que, dans les zones rurales, un trajet raisonnable se calcule en minutes, et non en kilomètres. Il importe d’y être attentif.
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier Sylvie Robert et son groupe, qui sont à l’initiative de ce débat sur l’école.
J’ai aussi à l’esprit, ce soir, la famille, les collègues et les élèves d’Agnès Lassalle, sauvagement assassinée dans son établissement scolaire.
Monsieur le ministre, 43 nouvelles sections internationales devaient être ouvertes à la rentrée de 2022 dans les collèges les plus défavorisés. Ce dispositif bilingue, qui propose d’accueillir des élèves français et étrangers dans une même section, est l’un des leviers à actionner pour améliorer la mixité sociale à l’école. Il permet aux élèves de bénéficier d’un total de 6 heures de cours supplémentaires par semaine – 2 heures d’histoire-géographie ou de mathématiques dans la langue de la section, ainsi que 4 heures de lettres étrangères.
Monsieur le ministre, mercredi dernier, vous avez affirmé votre volonté de multiplier les ouvertures de sections internationales dans les collèges et les lycées défavorisés. Pour assurer ces 6 heures de cours hebdomadaires, les professeurs en poste devront être mobilisés et de nouveaux professeurs embauchés dans certaines académies.
Or les enseignants n’ont jamais été aussi nombreux à quitter leurs fonctions. Les partants représentent ainsi près de 3,5 % des effectifs actuellement, contre 0,05 % en 2008.
S’y ajoutent les démissions qu’un certain nombre d’enseignants contractuels, recrutés à la rentrée de 2022 pour pallier les 4 000 vacances de poste de professeur titulaire, présentent après quelques semaines ou quelques mois d’exercice.
Monsieur le ministre, face aux difficultés de recrutement et à la crise d’attractivité du métier, comment entendez-vous garantir l’effectivité de ces sections internationales ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Billon, l’ouverture de sections internationales donne effectivement de bons résultats, puisque l’indice de positionnement social des établissements concernés progresse d’année en année, ce qui est bien sûr un très bon signe pour des établissements défavorisés.
Telle est la raison pour laquelle nous n’envisageons d’ouvrir de section internationale que dans des établissements défavorisés. Nous optimisons ainsi l’effet de ces ouvertures de sections tout en assurant une forme de rattrapage.
Ces ouvertures se font de manière progressive, la première année en classe de sixième, puis dans les classes de cinquième, quatrième et troisième. Le déploiement des moyens nécessaires est ainsi réparti sur quatre années, ce qui permet de l’envisager de manière graduelle, en prenant en compte les difficultés de recrutement que nous rencontrons dans le secondaire et que vous pointez à juste titre, madame la sénatrice.
Ces difficultés de recrutement sont inégales selon les disciplines. Si elles sont importantes pour le français et l’allemand, elles sont moins marquées pour les mathématiques, la physique-chimie ou la technologie.
En dépit de ces difficultés, nous avons décidé de consentir un effort particulier en faveur des établissements défavorisés. Dès la rentrée de 2023, nous ouvrirons donc 16 sections internationales supplémentaires. Je souhaiterais faire davantage, mais à ce stade nos calculs montrent que nous pourrons assurer ces ouvertures.
Le taux de démission des enseignants contractuels auquel vous faites allusion est effectivement préoccupant, madame la sénatrice. C’est pourquoi nous déployons un programme au long cours de formation des enseignants contractuels.
Je précise toutefois que 87 % des enseignants contractuels embauchés à la rentrée de 2022 avaient déjà enseigné l’année scolaire précédente. Dans leur grande majorité, ils n’ont donc pas été engagés à la dernière minute, et beaucoup avaient plusieurs années d’expérience.
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour la réplique.
Mme Annick Billon. Contrairement à vous, monsieur le ministre, je ne suis pas convaincue que le risque de précarisation soit faible.
Il sera intéressant d’évaluer l’efficacité des moyens que vous vous apprêtez à engager au regard des objectifs fixés. Pour ma part, je demeure sceptique à ce stade.
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud.
M. Olivier Paccaud. Monsieur le ministre, « il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs », écrivait Victor Hugo avant que Jules Ferry n’édifie l’école républicaine, comprenant que pour moissonner le bonheur public, il faut d’abord en semer les germes dans la jeunesse.
En rendant l’école laïque, gratuite et obligatoire pour tous, la IIIe République nourrissait l’ambition de façonner des citoyens libres, instruits et éclairés, unis par des valeurs partagées dans le grand creuset social scolaire.
Pendant des décennies, la République a fait de l’école sa pierre angulaire, y plaçant son essence, alors même que les divisions qui traversaient la France étaient peut-être plus vives qu’aujourd’hui.
L’école a donné une instruction solide à tous, distingué les plus méritants et offert à une République jeune et hésitante un corps social cohérent et soudé derrière elle. L’école, alors, cimentait la Nation. Aujourd’hui, cette dernière s’y lézarde.
Preuve de ce malaise, l’enseignement privé, dont on a beaucoup parlé, ne s’est jamais si bien porté, et certainement pas pour des raisons religieuses. Ce que recherchent les parents d’élèves dans le privé d’aujourd’hui, c’est l’école publique d’hier, où le travail, la discipline et l’autorité du maître étaient les points cardinaux.
Comment s’en étonner quand le niveau des élèves s’effondre, quant au temps des hussards noirs a succédé celui des contractuels recrutés en job dating, quand la carte de l’éducation prioritaire oublie les trois quarts du pays ?
L’enjeu de la mixité sociale à l’école est capital pour empêcher l’avènement d’une société-archipel, mosaïque de groupes antagonistes refusant de faire nation ensemble.
La non-mixité sociale couve les séparatismes de demain. La mixité, elle, forge le sentiment d’appartenance à une communauté de destin, liant de toute société.
Monsieur le ministre, la première pierre d’une vraie mixité sociale n’est-elle pas le retour à certains fondamentaux pédagogique : le travail, la discipline, le respect de l’enseignant ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Paccaud, vous ne m’entendrez pas déprécier l’importance de l’effort, du travail et du mérite.
Telle est la raison pour laquelle, par exemple, j’ai choisi de réintroduire les mathématiques en classe de première, dans la filière générale, en dépit des efforts supplémentaires que cela demande aux élèves n’ayant pas d’appétence pour cette discipline ou en ayant peu. De même, nous nous sommes attelés à faire du cours moyen et de la sixième des moments essentiels.
Pour autant, en tant qu’historien, permettez-moi d’exprimer mon scepticisme quant à la nostalgie de l’école de jadis que vous semblez entretenir.
Si l’école de jadis peut avoir un charme particulier en 2023, n’oublions pas que, pour l’immense majorité des enfants, ceux qui étaient issus des couches populaires, elle s’arrêtait au certificat d’études, et que très peu nombreux étaient les élèves qui poursuivaient au lycée jusqu’au baccalauréat. Vers 1960, le pourcentage d’élèves reçus au bac était de 10 %. Je ne regrette pas particulièrement cette époque.
La trajectoire historique du XXe siècle fut celle de la massification de l’école – je suis certain que vous ne le regrettez pas, monsieur le sénateur –, c’est-à-dire de l’entrée au collège, au lycée et à l’université du plus grand nombre des élèves.
L’enjeu aujourd’hui est donc non plus la massification, mais la démocratisation, c’est-à-dire l’accès égal et méritocratique de tous les élèves à toutes les filières, en particulier aux filières d’excellence professionnelles, comme universitaires.
Nous ne réussirons à répondre à cette question centrale qu’en relevant le niveau général, ce qui suppose notamment d’insister sur les matières fondamentales, en particulier le français et les mathématiques, mais aussi en relevant le défi de la mixité sociale et scolaire.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le constatons depuis plusieurs décennies, notre système scolaire demeure profondément ségrégué.
La corrélation entre le milieu socioéconomique et la performance scolaire dans notre pays est l’une des plus fortes de l’ensemble des pays de l’OCDE selon l’enquête Pisa, et elle s’aggrave chaque année sans que nous sachions remédier à cette difficulté.
Qu’elle soit spatiale, budgétaire, résidentielle ou culturelle, cette segmentation sociale renforce les inégalités d’éducation et d’apprentissage, nourrit un sentiment de fatalisme et freine l’interaction entre élèves de différents niveaux. Les effets produits, sévères et durables, participent de la fracturation de notre modèle républicain.
Le code de l’éducation dispose que « la scolarité obligatoire doit garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l’ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité ».
Notre responsabilité, et celle de votre ministère en particulier, est de permettre la réussite de tous les élèves, objectif fixé par la loi, en améliorant partout les conditions de scolarisation, en premier lieu celles des plus fragiles.
Aussi, monsieur le ministre, par quels moyens envisagez-vous de lutter plus efficacement contre le séparatisme scolaire et de contrer les stratégies d’évitement des familles ? Comment développer une véritable culture de l’hétérogénéité dans les établissements ?
Sur des problématiques plus locales, qui affectent le fonctionnement de nos écoles et creusent encore davantage les inégalités scolaires, qu’entendez-vous opposer à la crise structurelle du non-remplacement des enseignants dans nos départements, qui dégrade les conditions d’apprentissage et qui est à l’origine de fermetures de classes uniques ou de sites isolés ?
Concrètement, vous fermez des classes pour créer des postes de remplaçants, par exemple en Creuse.
Dans un contexte national de suppressions de postes pour 2023 – moins 1 117 postes – comment envisagez-vous de garantir une présence enseignante au quotidien dans chaque classe ?
Par ailleurs, la prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers vous paraît-elle satisfaisante ? Nous constatons sur le terrain de grandes difficultés dans la structuration de nos réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) et la persistance de zones blanches.
Enfin, « l’école du futur » prônée par l’exécutif permettra-t-elle de réduire les inégalités territoriales, telles que nous les subissons dans l’hyperruralité ? Ce dispositif vous paraît-il adapté à nos réalités ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Lozach, remédier aux difficultés relatives à l’évitement et au séparatisme scolaire que vous évoquez requiert, d’une part, de rendre plus attractifs les établissements publics qui le sont peu – nous avons déjà abordé ce point – et, d’autre part, d’accroître le nombre d’élèves défavorisés scolarisés dans les établissements attractifs et favorisés, qu’ils soient publics ou privés. Telles sont les propositions que j’ai formulées ce soir.
Par ailleurs, la perte d’attractivité du métier d’enseignant est un sujet grave. Le rendement des concours d’enseignant est relativement faible, puisqu’il s’établit aujourd’hui à 83 %, si bien que, pour 100 postes mis au concours, seuls 83 professeurs sont recrutés.
Le nombre de postes et la baisse des moyens doivent d’ailleurs s’apprécier à l’aune des difficultés à pourvoir les postes qui résultent de cette situation. Avant d’augmenter le nombre de postes, encore faut-il s’assurer que nous aurons suffisamment de professeurs.
À cet égard, la question de l’attractivité du métier est essentielle. Nos professeurs ne sont pas suffisamment rémunérés. Des négociations sont en cours avec les organisations syndicales, auxquelles nous avons proposé une part d’augmentation non conditionnelle de la rémunération de tous les enseignants, des néo-titulaires jusqu’à ceux qui sont proches de la retraite, et une part d’augmentation conditionnelle, liée à de nouvelles missions. L’ensemble permettrait des augmentations substantielles.
Je reconnais toutefois que la perte d’attractivité du métier ne tient pas seulement à la rémunération et que d’autres facteurs, tels que le déroulement des carrières, l’entrée dans le métier, les mutations ou les affectations doivent être pris en compte.
Nous y travaillons, et nous formulerons des propositions dans les mois à venir pour faire en sorte que les postes soient pourvus, y compris dans les zones rurales.
M. le président. La parole est à Mme Toine Bourrat.
Mme Toine Bourrat. Monsieur le ministre, la mixité sociale est à l’école publique ce que les droits de l’homme sont à la France : une part de son être, le résultat d’une histoire et d’une politique de longue haleine.
La première égalité est celle de l’accès au savoir. C’est le droit fondamental et inaliénable à une instruction que notre école publique n’est malheureusement plus en mesure de fournir à tous les enfants de notre pays.
La crise de confiance est telle que de plus en en plus de parents se tournent vers le privé, moins par conviction que pour échapper aux failles de l’école publique.
Le constat et les chiffres sont, hélas, bien connus, de la dégradation du climat scolaire identifiée dans un rapport du Sénat pointant le phénomène du « pas de vague » à l’étiolement de l’autorité dû à une politique du laisser-faire. Ajoutez à cela l’absence de reconnaissance d’un statut qui perd en attractivité, et vous obtenez logiquement une crise des vocations dans l’enseignement.
Tel est le cocktail explosif qui empêche vraiment la mixité sociale.
Laisser l’école publique se dégrader conduit mécaniquement à un déport vers le privé. Pour assurer une mixité sociale dans l’école de la République, encore faut-il que le niveau général de l’instruction prodiguée aux élèves soit redressé partout, pour tous et dans la durée.
Vous proposez de colmater un bateau dont il faut redresser le gouvernail par des binômes d’établissements et un charcutage de la carte scolaire indignes des enjeux.
Ne nous trompons pas de débat, et encore moins de solutions, monsieur le ministre. Le sociologue Jean-Pierre Terrail rappelait en 2006 que les enfants de toutes les classes sociales peuvent mener une scolarité égale dès lors que le savoir transmis est le même partout.
La maîtrise des acquisitions élémentaires neutralise le poids de l’origine sociale dans les parcours scolaires. Telle est donc la clé si l’on veut vraiment et durablement gommer le poids des inégalités sociales.
Comme l’indiquait votre illustre prédécesseur Jules Ferry, « avec l’inégalité d’éducation, je vous défie d’avoir jamais l’égalité des droits ».
Monsieur le ministre, comment comptez-vous agir pour garantir à nouveau cette égalité et rétablir la mission essentielle et première de l’école publique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Bourrat, loin de moi l’idée de mettre en accusation qui que ce soit.
En l’occurrence, nous avons engagé plusieurs chantiers importants, afin de favoriser la mixité sociale et scolaire.
Le premier – je vous rejoins sur ce point, madame la sénatrice – vise à redresser certains aspects de l’école publique.
Nous poursuivons ainsi les efforts engagés ces dernières années pour le dédoublement des classes de grande section, de CP et de CE1 en zone d’éducation prioritaire. Ce chantier est presque achevé pour les grandes sections des écoles maternelles.
Nous poursuivons également les plans Français et Mathématiques. À l’école primaire, la réforme du cours moyen a permis de mettre l’accent sur l’écriture, tandis qu’au collègue, nous avons dégagé une heure d’enseignement consacrée à l’approfondissement et au soutien en français et en mathématiques en classe de sixième. Ce sont là des points importants.
Nous allons par ailleurs créer un grand nombre de clubs des mathématiques dans les collèges et dans les lycées avec Hugo Duminil-Copin, notre médaille Fields.
Au lycée, nous avons réintroduit l’heure de mathématiques en classe de première et instauré des modules de renforcement en mathématiques en classe de seconde.
Ces différents éléments, auxquels s’ajoutent les programmes spécifiques et les filières d’excellence que nous avons évoqués, visent à renforcer l’école publique.
En revanche, madame la sénatrice, la sectorisation n’est pas une forme de charcutage. Elle se pratique depuis toujours, et il est normal qu’elle soit élaborée de manière à produire les meilleurs résultats possible, c’est-à-dire de bons résultats pour les enfants favorisés, mais aussi pour les enfants défavorisés. Or c’est au sein des établissements mixtes que ces derniers sont tirés en avant.
Nous travaillons donc à la fois sur le public, sur la sectorisation et sur la participation de l’enseignement privé sous contrat. Soyez assurée, madame la sénatrice, que nous faisons feu de tout bois pour améliorer les résultats scolaires de tous nos élèves.
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Monsieur le ministre, l’un des objectifs de l’école est de transmettre et de faire partager les valeurs de la République. La mixité sociale, qui favorise l’équité et optimise les performances des élèves, doit y concourir.
Pour autant, toute la question tient aux conditions dans lesquelles nous mettrons en œuvre cet objectif. Le lien entre l’origine familiale et sociale et la composition sociale de l’établissement fréquenté est la source d’une tension majeure. L’objectif susvisé se heurte aux résistances de tous les acteurs.
Les indicateurs sont insuffisants et l’évaluation difficile, car il est illusoire de prétendre analyser l’effet d’une seule variable dans l’ensemble d’un processus complexe, les effets des inégalités étant toujours cumulatifs.
Le besoin exprimé est fort. Il participe de la démocratisation de l’enseignement public et de l’émancipation républicaine. L’État a le devoir d’assurer l’intégration réussie de toutes les composantes de la Nation.
La sectorisation scolaire et la ségrégation spatiale sont des outils essentiels, quitte à entrer en conflit avec l’intérêt des familles, auxquelles, en démocratie, l’on ne peut reprocher de s’efforcer d’obtenir les meilleures chances d’une scolarisation réussie pour leurs enfants.
Tout est question d’équilibre dans l’action de l’État.
La politique d’éducation prioritaire a eu le mérite de pointer du doigt les inégalités sociales et culturelles. Elle a reconnu le besoin d’homogénéiser les caractéristiques sociales des élèves de certains établissements. Il faudra néanmoins un courage quotidien pour défendre la laïcité.
Des objectifs et des actions sont annoncés, notamment avec les collectivités locales, pour agir sur les affectations scolaires, ainsi qu’avec l’enseignement privé sous contrat.
Pouvez-vous nous préciser les modalités de ces actions, monsieur le ministre ? Vous affirmez que chacun devra apporter sa contribution à l’effort de refonte de la carte de l’éducation prioritaire, mais à quelle forme d’effort pensez-vous ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Grosperrin, je partage votre point de vue, lequel est confirmé par de nombreuses études, selon lequel les inégalités de naissance sont mal ou insuffisamment corrigées par l’école dans notre pays.
La situation de la France est à ce titre particulière : si dans nombre de domaines les familles défavorisées y sont mieux aidées que dans de très nombreux autres pays de l’OCDE, notre école est moins performante pour corriger les inégalités.
Les pays qui ont les meilleurs résultats et dont les sociétés sont moins inégalitaires que la nôtre, notamment en Europe du Nord ou bien au-delà de l’Europe, sont ceux où les résultats scolaires des élèves sont les plus homogènes. Il nous faut donc nous atteler à cette difficulté.
J’ai indiqué que notre méthode était celle de la concertation avec les collectivités, parce qu’il n’y a pas de recette unique à appliquer.
En revanche, nous nous fixons des objectifs, notamment chiffrés. Cela concerne aussi l’enseignement privé sous contrat. À cet égard, nos partenaires ne se borneront pas à prendre un vague engagement – je me réjouis qu’ils soient tout à fait disposés à s’engager sur des objectifs chiffrés.
Des progrès doivent également être réalisés, j’y insiste, par les établissements publics favorisés, sur lesquels nous avons davantage la main, en particulier grâce à la sectorisation.
Il ne s’agit pas de procéder de manière violente. Nous devons bien entendu agir en concertation avec les associations de parents d’élèves et avec les familles, mais il nous faut progresser à un rythme mesurable, de manière à obtenir des résultats significatifs dès la rentrée de 2024.
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour la réplique.
M. Jacques Grosperrin. Vous évoquiez les comparaisons avec les autres pays, monsieur le ministre. Dans un rapport publié en 2007 sur les clés du succès des systèmes scolaires les plus performants, le cabinet McKinsey, qui s’est penché sur 25 pays de l’OCDE, montre que, indépendamment du contexte culturel dans lequel ils se déploient, les meilleurs systèmes scolaires remplissent trois critères – je n’en citerai que deux.
Premièrement, ils incitent les personnes les plus compétentes à devenir enseignants.
Deuxièmement, seule l’amélioration de l’enseignement dans les classes produit des résultats. Max Brisson évoquait tout à l’heure la question de la formation. Il faudrait s’interroger sur ce qui se passe véritablement en classe et avoir le courage de l’évaluer et de le rendre public.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre. Monsieur le sénateur Grosperrin, la question de la formation des enseignants est absolument décisive.
Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, la formation au métier est objectivement trop courte. C’est pourquoi j’ai proposé de recruter les professeurs des écoles non plus à bac+5, mais à bac+3, en assurant ensuite deux années de formation, qui seraient en quelque sorte deux années d’élève-professorat.
Mme Émilienne Poumirol. Vous recréez l’école normale !
M. Pap Ndiaye, ministre. Cette proposition, qui doit être étudiée et évaluée dans toutes ses dimensions, s’inspire effectivement des écoles normales de jadis, qui formaient véritablement des praticiens.
M. Max Brisson. Très bien !
M. Pap Ndiaye, ministre. Cela permettrait également de promouvoir le rôle d’ascenseur social du professorat des écoles, l’accès à bac+3 étant socialement plus juste que l’accès à bac+5.
Vous le constatez, monsieur le sénateur, je plaide pour une transformation assez profonde du recrutement des professeurs des écoles.
M. Pierre Ouzoulias. Votons ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. De même que Max Brisson, qui vous a adressé ses encouragements – j’espère que vous y êtes sensible, monsieur le ministre (Sourires.) –, j’estime que cette proposition est bienvenue.
Permettez-moi de rebondir sur un autre point. Depuis de nombreuses années, tous les ministres qui se sont succédé n’ont ménagé ni leurs efforts ni les moyens consentis à l’amélioration des enseignements. Les différentes enquêtes – Pisa, Timss ou autres – montrent pourtant que nos mauvais élèves ont toujours du mal à progresser, tandis que les meilleurs sont toujours les meilleurs.
Nous avons là une véritable difficulté, et j’estime que, au-delà de la proposition dont vous venez de nous faire part et qui peut effectivement contribuer à une amélioration du niveau des élèves, il faudra s’interroger sur l’évaluation des enseignants.
La formation est certes fondamentale, mais, en tant que professeur agrégé, j’aurai le courage de dire que ce ne sont sans doute pas les professeurs agrégés qui travaillent le plus. Et en tant que politique, j’estime que c’est un point qu’il faudrait améliorer dans le cadre de la formation continue.
Il faut examiner ce qu’il se passe dans les classes et encourager ceux qui travaillent davantage que d’autres, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons, l’absence de mixité sociale à l’école est l’un des nombreux éléments préjudiciables à l’unité d’une nation.
Si la question semble simple, les réponses à apporter sont bien plus complexes, opposant souvent égalitarisme intransigeant et libertés individuelles.
Monsieur le ministre, je n’aborderai pas la question de la mixité sociale à l’école comme vous pourriez vous y attendre. En effet, ce sujet appelle nécessairement celui du mérite, qui se définit par ce qui rend une personne digne d’estime et de récompense.
L’histoire de l’école républicaine est celle d’une école qui permet à ses meilleurs éléments de s’élever dans la société à force de travail et d’abnégation. Or ces dernières années ont malheureusement été marquées par l’importation de débats venus d’outre-Atlantique : fini l’universalisme républicain, place à l’assignation perpétuelle dérivée du wokisme.
Le mérite n’existe plus, car le monde se divise désormais entre oppresseurs et opprimés, des catégories orchestrées en fonction du genre, de la couleur de peau, du statut social et de l’orientation sexuelle de chacun.
Aux yeux des théoriciens du wokisme, le seul mérite – nous ne partageons pas la même acception de ce terme – est d’être dans le camp des victimes de l’oppression.
Ma question est donc simple, monsieur le ministre : à quoi bon louer certaines formes de mixité quand, en même temps, on ferme les yeux sur l’apparition au sommet de l’éducation nationale de mouvements essentialistes et racialistes, qui, sous couvert de lutter contre toutes les formes de discrimination, enferment les individus dans des stéréotypes compromettant l’équilibre même de notre pacte républicain ?
M. Olivier Paccaud. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Imbert, si je souscris pleinement à la notion de mérite, j’ai précédemment indiqué mes réserves quant à l’idée que l’école de jadis aurait été celle du mérite pour tous.
L’école de Jules Ferry était en effet une école inégalitaire, puisqu’elle était pensée pour éduquer les enfants du peuple, ceux de la paysannerie comme du monde ouvrier, mais seulement jusqu’au certificat d’études, et cela quels que soient les mérites des enfants concernés.
Le pourcentage d’élèves qui avaient le bac au début du XXe siècle était de l’ordre de 1 % de la population. Dans ce monde inégalitaire, où les possibilités d’un élève étaient fortement liées aux positions sociales des familles, les lycées étaient réservés à une minorité bourgeoise.
Je rappelle à cet égard que les instituteurs du début du XXe siècle n’allaient pas au lycée et qu’ils n’obtenaient pas le baccalauréat. Les écoles normales étaient précisément conçues pour « élever » les enfants du peuple jusqu’au métier d’instituteur. Vous comprendrez donc que je n’aie pas de nostalgie particulière pour cette époque très inégalitaire.
Par ailleurs, vous semblez considérer que l’école d’aujourd’hui serait wokiste. Je ne suis pas certain de saisir ce que vous entendez par là. Je ne reconnais le tableau que vous dépeignez ni dans les programmes d’histoire, de géographie, de SVT ou de français ni dans les instructions pédagogiques données aux enseignants ni dans les enseignements eux-mêmes.
M. Jean-Jacques Lozach. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour la réplique.
Mme Corinne Imbert. Il y a au moins une chose qui réunit, monsieur le ministre, c’est la notion de mérite, à laquelle vous avez indiqué que vous étiez attaché.
Si je ne regrette pas l’école d’autrefois, je ne comparerais pas le bac d’aujourd’hui et le certificat d’études de jadis. On peut n’avoir que son certificat d’études et être très intelligent – vous l’avez dit vous-même –, et on peut exercer le métier d’instituteur sans avoir le baccalauréat tout en étant bien éduqué, digne, capable de transmettre et très attaché à son métier.
Je tenais à introduire la question du wokisme, car même si celui-ci relève effectivement d’un autre débat, il participe également de la fracture sociale. Alors que nous débattons de la mixité scolaire, en laquelle je crois, car elle est source de plus d’égalité, je souhaitais également vous renvoyer à des déclarations où, dans d’autres domaines, vous prôniez des réunions non mixtes, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin.
Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, toutes les enquêtes le montrent : la France est l’un des pays où le milieu social de l’élève conditionne le plus sa réussite scolaire. Cette situation n’évolue pas, malgré les réformes successives.
Pour assurer l’égalité des chances, monsieur le ministre, vous comptez agir sur la mixité sociale, principalement au collège et au lycée. Mais le sort de l’élève se joue bien avant !
Selon les données de l’Institut national d’études démographiques (Ined), en début de classe préparatoire (CP), seuls 42 % des élèves inscrits dans les écoles en REP+ ont une bonne compréhension de la langue à l’oral, contre 75 % des élèves des écoles situées de ces zones. De même, 46 % des premiers ont un niveau satisfaisant en résolution de problèmes mathématiques, contre 70 % des seconds.
L’Observatoire des inégalités signale que, déjà à la maternelle, les tout-petits ont une maîtrise inégale du vocabulaire. Les enfants issus de l’immigration, notamment, ne peuvent progresser au même rythme que ceux d’une famille aisée. Or c’est pendant les premières aimées de son existence que l’enfant dispose des meilleures capacités cognitives pour l’acquisition du langage et du raisonnement.
Ma question porte donc sur la nécessité d’intervenir le plus tôt possible dans l’éducation des jeunes élèves issus d’un milieu modeste.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé un plan pour les maternelles, sans préciser quelles mesures concrètes seront prises ni décrire les moyens que vous y affecterez. Je rappelle que de nombreuses classes de maternelle sont en sureffectif et que le nombre de postes d’agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) et d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) est toujours insuffisant.
Pourriez-vous nous apporter des précisions sur vos projets pour cette période déterminante ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Gosselin, si la question de la mixité sociale se pose surtout au collège et au lycée, cela ne signifie pas, en effet, qu’il ne faut pas s’y intéresser dans le primaire ou au sein des écoles maternelles.
Nous avons effectué des efforts ces dernières années, avec le dédoublement, dans les zones d’éducation prioritaire, des classes de grandes sections, CP et CE1. Les premières cohortes ayant bénéficié de ces dédoublements sont désormais en sixième.
Or les évaluations montrent des progrès intéressants, surtout pour les enfants de REP+, même si la crise sanitaire a entravé le processus, avec le confinement, dont nous n’avons pas fini de payer les conséquences, sur la santé psychique et physique des enfants comme sur leur niveau scolaire. Nous poursuivons le dédoublement, qui sera bientôt achevé, puisque nous en sommes à 75 %. L’objectif est d’atteindre les 100 % à la rentrée de 2024.
Nous sommes favorables, dans les zones d’éducation prioritaire, à la scolarisation des enfants de moins de 3 ans dans de très petites sections. Cela donne de bons résultats, notamment dans l’acquisition du vocabulaire. J’ai visité de telles sections dans des écoles maternelles de quartiers prioritaires dans le Sud-Ouest.
Le plan maternelle a plusieurs volets. L’un d’eux concerne la formation des enseignants. Les professeurs des écoles, en effet, sont tous formés de la même manière, qu’ils doivent enseigner en petite section ou en CM2. La comparaison avec d’autres pays montre qu’il serait utile, sinon de spécialiser les enseignants des écoles maternelles, du moins de leur apporter des compléments de formation. Tel est l’objet du plan maternelle.
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour la réplique.
Mme Béatrice Gosselin. Certes, monsieur le ministre, la covid-19 a fait des dégâts. Mais quand on observe le nombre des classes qui sont fermées cette année, on peut s’inquiéter quant au devenir de nos établissements et de nos enfants : dans la Manche, l’an dernier, 9 ont fermé, pour 380 élèves en moins ; cette année, on en ferme 29, pour 550 élèves en moins !
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Sylvie Robert, pour groupe auteur de la demande.
Mme Sylvie Robert, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Je veux tout d’abord remercier mes collègues, dont les interventions, reflétant des points de vue divers, ont toutes témoigné de leur intérêt pour la question de la mixité scolaire.
Je voudrais également remercier M. le ministre de ses réponses toujours étayées, mais aussi des quelques annonces qu’il a faites.
Je trouverais important, monsieur le ministre, que nous puissions suivre, au Sénat, ce qu’il adviendra de ces annonces dans les prochaines semaines, compte tenu bien sûr de la nécessaire négociation. En effet, la publication des IPS nous engage et nous incite à aller plus loin. C’est un enjeu démocratique.
Dans leurs interventions, au-delà de la question de la mixité scolaire, mes collègues, avec, en dernier lieu, Béatrice Gosselin, ont longuement évoqué la question des moyens. Mais les leviers sont multiples. Plusieurs ont été mentionnés : options, parrainages, sectorisation…
Il faut tenter de les actionner, à l’échelon interministériel, car ils engagent la politique de l’habitat, l’aménagement du territoire et la fabrique même de nos villes et de nos territoires, en milieu rural ou urbain, car la ruralité présente des spécificités qui ont été soulignées à juste titre. Le partenariat avec les collectivités territoriales est fondamental, tout comme la formation des enseignants. La palette, en somme, est extrêmement variée.
On a beaucoup parlé d’expérimentation en Haute-Garonne. Je vous encourage, mes chers collègues, à lire le rapport tiré de ces cinq ans d’expérimentation. Les résultats sont extrêmement positifs, et ce fut l’occasion d’actionner tous les leviers disponibles, ce qui a demandé des moyens. Diffuser ce rapport peut être l’occasion de travailler au plus près avec les collectivités territoriales sur leur volonté d’expérimenter d’autres projets de cette nature.
Vous nous avez parlé de la date du 20 mars prochain, monsieur le ministre. L’école privée sous contrat a été largement évoquée, elle est un élément de notre débat. Vous menez des négociations pour y améliorer la mixité scolaire et vous comptez aboutir à un protocole d’accord aux alentours du 20 mars. Nous sommes tout à fait impatients d’en découvrir la teneur, puisqu’il constituera une nouvelle étape dans le parcours de la mixité scolaire au XXIe siècle.
La mixité scolaire est un véritable enjeu démocratique et républicain. C’est une promesse que nous devons à tous les enfants de notre pays. Pour la tenir, il faut un puissant volontarisme politique. Nous comptons donc sur vous, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. le ministre acquiesce.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la mixité sociale à l’école.
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 2 mars 2023 :
À dix heures trente :
Vingt-trois questions orales.
À quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :
Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, dont le Sénat est saisi en application de l’article 47-1, alinéa 2, de la Constitution (texte n° 368, 2022-2023) : discussion générale.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.)
nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à ouvrir le tiers-financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : M. François-Noël Buffet, Mmes Jacqueline Eustache-Brinio, Catherine Di Folco, MM. Loïc Hervé, Hussein Bourgi, Jean-Yves Leconte et Alain Richard ;
Suppléants : Mme Catherine Belrhiti, M. Christophe-André Frassa, Mme Marie Mercier, MM. Hervé Marseille, Jérôme Durain, Mmes Maryse Carrère et Cécile Cukierman.
nomination d’un membre d’une commission
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Valérie Boyer est proclamée membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Laurent Duplomb, démissionnaire.
nomination de membres d’une commission d’enquête
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, la liste des candidatures préalablement publiée est ratifiée.
Commission d’enquête sur l’utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d’influence
M. Stéphane Artano, Mmes Annick Billon, Céline Boulay-Espéronnier, Toine Bourrat, Valérie Boyer, MM. Rémi Cardon, Thomas Dossus, André Gattolin, Daniel Gueret, Loïc Hervé, Mme Christine Lavarde, M. Claude Malhuret, Mmes Marie Mercier, Catherine Morin-Desailly, MM. Pierre Ouzoulias, Cédric Perrin, Mmes Sophie Primas, Laurence Rossignol et Mickaël Vallet.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER