M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Paccaud, vous ne m’entendrez pas déprécier l’importance de l’effort, du travail et du mérite.
Telle est la raison pour laquelle, par exemple, j’ai choisi de réintroduire les mathématiques en classe de première, dans la filière générale, en dépit des efforts supplémentaires que cela demande aux élèves n’ayant pas d’appétence pour cette discipline ou en ayant peu. De même, nous nous sommes attelés à faire du cours moyen et de la sixième des moments essentiels.
Pour autant, en tant qu’historien, permettez-moi d’exprimer mon scepticisme quant à la nostalgie de l’école de jadis que vous semblez entretenir.
Si l’école de jadis peut avoir un charme particulier en 2023, n’oublions pas que, pour l’immense majorité des enfants, ceux qui étaient issus des couches populaires, elle s’arrêtait au certificat d’études, et que très peu nombreux étaient les élèves qui poursuivaient au lycée jusqu’au baccalauréat. Vers 1960, le pourcentage d’élèves reçus au bac était de 10 %. Je ne regrette pas particulièrement cette époque.
La trajectoire historique du XXe siècle fut celle de la massification de l’école – je suis certain que vous ne le regrettez pas, monsieur le sénateur –, c’est-à-dire de l’entrée au collège, au lycée et à l’université du plus grand nombre des élèves.
L’enjeu aujourd’hui est donc non plus la massification, mais la démocratisation, c’est-à-dire l’accès égal et méritocratique de tous les élèves à toutes les filières, en particulier aux filières d’excellence professionnelles, comme universitaires.
Nous ne réussirons à répondre à cette question centrale qu’en relevant le niveau général, ce qui suppose notamment d’insister sur les matières fondamentales, en particulier le français et les mathématiques, mais aussi en relevant le défi de la mixité sociale et scolaire.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le constatons depuis plusieurs décennies, notre système scolaire demeure profondément ségrégué.
La corrélation entre le milieu socioéconomique et la performance scolaire dans notre pays est l’une des plus fortes de l’ensemble des pays de l’OCDE selon l’enquête Pisa, et elle s’aggrave chaque année sans que nous sachions remédier à cette difficulté.
Qu’elle soit spatiale, budgétaire, résidentielle ou culturelle, cette segmentation sociale renforce les inégalités d’éducation et d’apprentissage, nourrit un sentiment de fatalisme et freine l’interaction entre élèves de différents niveaux. Les effets produits, sévères et durables, participent de la fracturation de notre modèle républicain.
Le code de l’éducation dispose que « la scolarité obligatoire doit garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l’ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité ».
Notre responsabilité, et celle de votre ministère en particulier, est de permettre la réussite de tous les élèves, objectif fixé par la loi, en améliorant partout les conditions de scolarisation, en premier lieu celles des plus fragiles.
Aussi, monsieur le ministre, par quels moyens envisagez-vous de lutter plus efficacement contre le séparatisme scolaire et de contrer les stratégies d’évitement des familles ? Comment développer une véritable culture de l’hétérogénéité dans les établissements ?
Sur des problématiques plus locales, qui affectent le fonctionnement de nos écoles et creusent encore davantage les inégalités scolaires, qu’entendez-vous opposer à la crise structurelle du non-remplacement des enseignants dans nos départements, qui dégrade les conditions d’apprentissage et qui est à l’origine de fermetures de classes uniques ou de sites isolés ?
Concrètement, vous fermez des classes pour créer des postes de remplaçants, par exemple en Creuse.
Dans un contexte national de suppressions de postes pour 2023 – moins 1 117 postes – comment envisagez-vous de garantir une présence enseignante au quotidien dans chaque classe ?
Par ailleurs, la prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers vous paraît-elle satisfaisante ? Nous constatons sur le terrain de grandes difficultés dans la structuration de nos réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) et la persistance de zones blanches.
Enfin, « l’école du futur » prônée par l’exécutif permettra-t-elle de réduire les inégalités territoriales, telles que nous les subissons dans l’hyperruralité ? Ce dispositif vous paraît-il adapté à nos réalités ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Lozach, remédier aux difficultés relatives à l’évitement et au séparatisme scolaire que vous évoquez requiert, d’une part, de rendre plus attractifs les établissements publics qui le sont peu – nous avons déjà abordé ce point – et, d’autre part, d’accroître le nombre d’élèves défavorisés scolarisés dans les établissements attractifs et favorisés, qu’ils soient publics ou privés. Telles sont les propositions que j’ai formulées ce soir.
Par ailleurs, la perte d’attractivité du métier d’enseignant est un sujet grave. Le rendement des concours d’enseignant est relativement faible, puisqu’il s’établit aujourd’hui à 83 %, si bien que, pour 100 postes mis au concours, seuls 83 professeurs sont recrutés.
Le nombre de postes et la baisse des moyens doivent d’ailleurs s’apprécier à l’aune des difficultés à pourvoir les postes qui résultent de cette situation. Avant d’augmenter le nombre de postes, encore faut-il s’assurer que nous aurons suffisamment de professeurs.
À cet égard, la question de l’attractivité du métier est essentielle. Nos professeurs ne sont pas suffisamment rémunérés. Des négociations sont en cours avec les organisations syndicales, auxquelles nous avons proposé une part d’augmentation non conditionnelle de la rémunération de tous les enseignants, des néo-titulaires jusqu’à ceux qui sont proches de la retraite, et une part d’augmentation conditionnelle, liée à de nouvelles missions. L’ensemble permettrait des augmentations substantielles.
Je reconnais toutefois que la perte d’attractivité du métier ne tient pas seulement à la rémunération et que d’autres facteurs, tels que le déroulement des carrières, l’entrée dans le métier, les mutations ou les affectations doivent être pris en compte.
Nous y travaillons, et nous formulerons des propositions dans les mois à venir pour faire en sorte que les postes soient pourvus, y compris dans les zones rurales.
M. le président. La parole est à Mme Toine Bourrat.
Mme Toine Bourrat. Monsieur le ministre, la mixité sociale est à l’école publique ce que les droits de l’homme sont à la France : une part de son être, le résultat d’une histoire et d’une politique de longue haleine.
La première égalité est celle de l’accès au savoir. C’est le droit fondamental et inaliénable à une instruction que notre école publique n’est malheureusement plus en mesure de fournir à tous les enfants de notre pays.
La crise de confiance est telle que de plus en en plus de parents se tournent vers le privé, moins par conviction que pour échapper aux failles de l’école publique.
Le constat et les chiffres sont, hélas, bien connus, de la dégradation du climat scolaire identifiée dans un rapport du Sénat pointant le phénomène du « pas de vague » à l’étiolement de l’autorité dû à une politique du laisser-faire. Ajoutez à cela l’absence de reconnaissance d’un statut qui perd en attractivité, et vous obtenez logiquement une crise des vocations dans l’enseignement.
Tel est le cocktail explosif qui empêche vraiment la mixité sociale.
Laisser l’école publique se dégrader conduit mécaniquement à un déport vers le privé. Pour assurer une mixité sociale dans l’école de la République, encore faut-il que le niveau général de l’instruction prodiguée aux élèves soit redressé partout, pour tous et dans la durée.
Vous proposez de colmater un bateau dont il faut redresser le gouvernail par des binômes d’établissements et un charcutage de la carte scolaire indignes des enjeux.
Ne nous trompons pas de débat, et encore moins de solutions, monsieur le ministre. Le sociologue Jean-Pierre Terrail rappelait en 2006 que les enfants de toutes les classes sociales peuvent mener une scolarité égale dès lors que le savoir transmis est le même partout.
La maîtrise des acquisitions élémentaires neutralise le poids de l’origine sociale dans les parcours scolaires. Telle est donc la clé si l’on veut vraiment et durablement gommer le poids des inégalités sociales.
Comme l’indiquait votre illustre prédécesseur Jules Ferry, « avec l’inégalité d’éducation, je vous défie d’avoir jamais l’égalité des droits ».
Monsieur le ministre, comment comptez-vous agir pour garantir à nouveau cette égalité et rétablir la mission essentielle et première de l’école publique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Bourrat, loin de moi l’idée de mettre en accusation qui que ce soit.
En l’occurrence, nous avons engagé plusieurs chantiers importants, afin de favoriser la mixité sociale et scolaire.
Le premier – je vous rejoins sur ce point, madame la sénatrice – vise à redresser certains aspects de l’école publique.
Nous poursuivons ainsi les efforts engagés ces dernières années pour le dédoublement des classes de grande section, de CP et de CE1 en zone d’éducation prioritaire. Ce chantier est presque achevé pour les grandes sections des écoles maternelles.
Nous poursuivons également les plans Français et Mathématiques. À l’école primaire, la réforme du cours moyen a permis de mettre l’accent sur l’écriture, tandis qu’au collègue, nous avons dégagé une heure d’enseignement consacrée à l’approfondissement et au soutien en français et en mathématiques en classe de sixième. Ce sont là des points importants.
Nous allons par ailleurs créer un grand nombre de clubs des mathématiques dans les collèges et dans les lycées avec Hugo Duminil-Copin, notre médaille Fields.
Au lycée, nous avons réintroduit l’heure de mathématiques en classe de première et instauré des modules de renforcement en mathématiques en classe de seconde.
Ces différents éléments, auxquels s’ajoutent les programmes spécifiques et les filières d’excellence que nous avons évoqués, visent à renforcer l’école publique.
En revanche, madame la sénatrice, la sectorisation n’est pas une forme de charcutage. Elle se pratique depuis toujours, et il est normal qu’elle soit élaborée de manière à produire les meilleurs résultats possible, c’est-à-dire de bons résultats pour les enfants favorisés, mais aussi pour les enfants défavorisés. Or c’est au sein des établissements mixtes que ces derniers sont tirés en avant.
Nous travaillons donc à la fois sur le public, sur la sectorisation et sur la participation de l’enseignement privé sous contrat. Soyez assurée, madame la sénatrice, que nous faisons feu de tout bois pour améliorer les résultats scolaires de tous nos élèves.
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Monsieur le ministre, l’un des objectifs de l’école est de transmettre et de faire partager les valeurs de la République. La mixité sociale, qui favorise l’équité et optimise les performances des élèves, doit y concourir.
Pour autant, toute la question tient aux conditions dans lesquelles nous mettrons en œuvre cet objectif. Le lien entre l’origine familiale et sociale et la composition sociale de l’établissement fréquenté est la source d’une tension majeure. L’objectif susvisé se heurte aux résistances de tous les acteurs.
Les indicateurs sont insuffisants et l’évaluation difficile, car il est illusoire de prétendre analyser l’effet d’une seule variable dans l’ensemble d’un processus complexe, les effets des inégalités étant toujours cumulatifs.
Le besoin exprimé est fort. Il participe de la démocratisation de l’enseignement public et de l’émancipation républicaine. L’État a le devoir d’assurer l’intégration réussie de toutes les composantes de la Nation.
La sectorisation scolaire et la ségrégation spatiale sont des outils essentiels, quitte à entrer en conflit avec l’intérêt des familles, auxquelles, en démocratie, l’on ne peut reprocher de s’efforcer d’obtenir les meilleures chances d’une scolarisation réussie pour leurs enfants.
Tout est question d’équilibre dans l’action de l’État.
La politique d’éducation prioritaire a eu le mérite de pointer du doigt les inégalités sociales et culturelles. Elle a reconnu le besoin d’homogénéiser les caractéristiques sociales des élèves de certains établissements. Il faudra néanmoins un courage quotidien pour défendre la laïcité.
Des objectifs et des actions sont annoncés, notamment avec les collectivités locales, pour agir sur les affectations scolaires, ainsi qu’avec l’enseignement privé sous contrat.
Pouvez-vous nous préciser les modalités de ces actions, monsieur le ministre ? Vous affirmez que chacun devra apporter sa contribution à l’effort de refonte de la carte de l’éducation prioritaire, mais à quelle forme d’effort pensez-vous ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Grosperrin, je partage votre point de vue, lequel est confirmé par de nombreuses études, selon lequel les inégalités de naissance sont mal ou insuffisamment corrigées par l’école dans notre pays.
La situation de la France est à ce titre particulière : si dans nombre de domaines les familles défavorisées y sont mieux aidées que dans de très nombreux autres pays de l’OCDE, notre école est moins performante pour corriger les inégalités.
Les pays qui ont les meilleurs résultats et dont les sociétés sont moins inégalitaires que la nôtre, notamment en Europe du Nord ou bien au-delà de l’Europe, sont ceux où les résultats scolaires des élèves sont les plus homogènes. Il nous faut donc nous atteler à cette difficulté.
J’ai indiqué que notre méthode était celle de la concertation avec les collectivités, parce qu’il n’y a pas de recette unique à appliquer.
En revanche, nous nous fixons des objectifs, notamment chiffrés. Cela concerne aussi l’enseignement privé sous contrat. À cet égard, nos partenaires ne se borneront pas à prendre un vague engagement – je me réjouis qu’ils soient tout à fait disposés à s’engager sur des objectifs chiffrés.
Des progrès doivent également être réalisés, j’y insiste, par les établissements publics favorisés, sur lesquels nous avons davantage la main, en particulier grâce à la sectorisation.
Il ne s’agit pas de procéder de manière violente. Nous devons bien entendu agir en concertation avec les associations de parents d’élèves et avec les familles, mais il nous faut progresser à un rythme mesurable, de manière à obtenir des résultats significatifs dès la rentrée de 2024.
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour la réplique.
M. Jacques Grosperrin. Vous évoquiez les comparaisons avec les autres pays, monsieur le ministre. Dans un rapport publié en 2007 sur les clés du succès des systèmes scolaires les plus performants, le cabinet McKinsey, qui s’est penché sur 25 pays de l’OCDE, montre que, indépendamment du contexte culturel dans lequel ils se déploient, les meilleurs systèmes scolaires remplissent trois critères – je n’en citerai que deux.
Premièrement, ils incitent les personnes les plus compétentes à devenir enseignants.
Deuxièmement, seule l’amélioration de l’enseignement dans les classes produit des résultats. Max Brisson évoquait tout à l’heure la question de la formation. Il faudrait s’interroger sur ce qui se passe véritablement en classe et avoir le courage de l’évaluer et de le rendre public.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre. Monsieur le sénateur Grosperrin, la question de la formation des enseignants est absolument décisive.
Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, la formation au métier est objectivement trop courte. C’est pourquoi j’ai proposé de recruter les professeurs des écoles non plus à bac+5, mais à bac+3, en assurant ensuite deux années de formation, qui seraient en quelque sorte deux années d’élève-professorat.
Mme Émilienne Poumirol. Vous recréez l’école normale !
M. Pap Ndiaye, ministre. Cette proposition, qui doit être étudiée et évaluée dans toutes ses dimensions, s’inspire effectivement des écoles normales de jadis, qui formaient véritablement des praticiens.
M. Max Brisson. Très bien !
M. Pap Ndiaye, ministre. Cela permettrait également de promouvoir le rôle d’ascenseur social du professorat des écoles, l’accès à bac+3 étant socialement plus juste que l’accès à bac+5.
Vous le constatez, monsieur le sénateur, je plaide pour une transformation assez profonde du recrutement des professeurs des écoles.
M. Pierre Ouzoulias. Votons ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. De même que Max Brisson, qui vous a adressé ses encouragements – j’espère que vous y êtes sensible, monsieur le ministre (Sourires.) –, j’estime que cette proposition est bienvenue.
Permettez-moi de rebondir sur un autre point. Depuis de nombreuses années, tous les ministres qui se sont succédé n’ont ménagé ni leurs efforts ni les moyens consentis à l’amélioration des enseignements. Les différentes enquêtes – Pisa, Timss ou autres – montrent pourtant que nos mauvais élèves ont toujours du mal à progresser, tandis que les meilleurs sont toujours les meilleurs.
Nous avons là une véritable difficulté, et j’estime que, au-delà de la proposition dont vous venez de nous faire part et qui peut effectivement contribuer à une amélioration du niveau des élèves, il faudra s’interroger sur l’évaluation des enseignants.
La formation est certes fondamentale, mais, en tant que professeur agrégé, j’aurai le courage de dire que ce ne sont sans doute pas les professeurs agrégés qui travaillent le plus. Et en tant que politique, j’estime que c’est un point qu’il faudrait améliorer dans le cadre de la formation continue.
Il faut examiner ce qu’il se passe dans les classes et encourager ceux qui travaillent davantage que d’autres, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons, l’absence de mixité sociale à l’école est l’un des nombreux éléments préjudiciables à l’unité d’une nation.
Si la question semble simple, les réponses à apporter sont bien plus complexes, opposant souvent égalitarisme intransigeant et libertés individuelles.
Monsieur le ministre, je n’aborderai pas la question de la mixité sociale à l’école comme vous pourriez vous y attendre. En effet, ce sujet appelle nécessairement celui du mérite, qui se définit par ce qui rend une personne digne d’estime et de récompense.
L’histoire de l’école républicaine est celle d’une école qui permet à ses meilleurs éléments de s’élever dans la société à force de travail et d’abnégation. Or ces dernières années ont malheureusement été marquées par l’importation de débats venus d’outre-Atlantique : fini l’universalisme républicain, place à l’assignation perpétuelle dérivée du wokisme.
Le mérite n’existe plus, car le monde se divise désormais entre oppresseurs et opprimés, des catégories orchestrées en fonction du genre, de la couleur de peau, du statut social et de l’orientation sexuelle de chacun.
Aux yeux des théoriciens du wokisme, le seul mérite – nous ne partageons pas la même acception de ce terme – est d’être dans le camp des victimes de l’oppression.
Ma question est donc simple, monsieur le ministre : à quoi bon louer certaines formes de mixité quand, en même temps, on ferme les yeux sur l’apparition au sommet de l’éducation nationale de mouvements essentialistes et racialistes, qui, sous couvert de lutter contre toutes les formes de discrimination, enferment les individus dans des stéréotypes compromettant l’équilibre même de notre pacte républicain ?
M. Olivier Paccaud. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Imbert, si je souscris pleinement à la notion de mérite, j’ai précédemment indiqué mes réserves quant à l’idée que l’école de jadis aurait été celle du mérite pour tous.
L’école de Jules Ferry était en effet une école inégalitaire, puisqu’elle était pensée pour éduquer les enfants du peuple, ceux de la paysannerie comme du monde ouvrier, mais seulement jusqu’au certificat d’études, et cela quels que soient les mérites des enfants concernés.
Le pourcentage d’élèves qui avaient le bac au début du XXe siècle était de l’ordre de 1 % de la population. Dans ce monde inégalitaire, où les possibilités d’un élève étaient fortement liées aux positions sociales des familles, les lycées étaient réservés à une minorité bourgeoise.
Je rappelle à cet égard que les instituteurs du début du XXe siècle n’allaient pas au lycée et qu’ils n’obtenaient pas le baccalauréat. Les écoles normales étaient précisément conçues pour « élever » les enfants du peuple jusqu’au métier d’instituteur. Vous comprendrez donc que je n’aie pas de nostalgie particulière pour cette époque très inégalitaire.
Par ailleurs, vous semblez considérer que l’école d’aujourd’hui serait wokiste. Je ne suis pas certain de saisir ce que vous entendez par là. Je ne reconnais le tableau que vous dépeignez ni dans les programmes d’histoire, de géographie, de SVT ou de français ni dans les instructions pédagogiques données aux enseignants ni dans les enseignements eux-mêmes.
M. Jean-Jacques Lozach. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour la réplique.
Mme Corinne Imbert. Il y a au moins une chose qui réunit, monsieur le ministre, c’est la notion de mérite, à laquelle vous avez indiqué que vous étiez attaché.
Si je ne regrette pas l’école d’autrefois, je ne comparerais pas le bac d’aujourd’hui et le certificat d’études de jadis. On peut n’avoir que son certificat d’études et être très intelligent – vous l’avez dit vous-même –, et on peut exercer le métier d’instituteur sans avoir le baccalauréat tout en étant bien éduqué, digne, capable de transmettre et très attaché à son métier.
Je tenais à introduire la question du wokisme, car même si celui-ci relève effectivement d’un autre débat, il participe également de la fracture sociale. Alors que nous débattons de la mixité scolaire, en laquelle je crois, car elle est source de plus d’égalité, je souhaitais également vous renvoyer à des déclarations où, dans d’autres domaines, vous prôniez des réunions non mixtes, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin.
Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, toutes les enquêtes le montrent : la France est l’un des pays où le milieu social de l’élève conditionne le plus sa réussite scolaire. Cette situation n’évolue pas, malgré les réformes successives.
Pour assurer l’égalité des chances, monsieur le ministre, vous comptez agir sur la mixité sociale, principalement au collège et au lycée. Mais le sort de l’élève se joue bien avant !
Selon les données de l’Institut national d’études démographiques (Ined), en début de classe préparatoire (CP), seuls 42 % des élèves inscrits dans les écoles en REP+ ont une bonne compréhension de la langue à l’oral, contre 75 % des élèves des écoles situées de ces zones. De même, 46 % des premiers ont un niveau satisfaisant en résolution de problèmes mathématiques, contre 70 % des seconds.
L’Observatoire des inégalités signale que, déjà à la maternelle, les tout-petits ont une maîtrise inégale du vocabulaire. Les enfants issus de l’immigration, notamment, ne peuvent progresser au même rythme que ceux d’une famille aisée. Or c’est pendant les premières aimées de son existence que l’enfant dispose des meilleures capacités cognitives pour l’acquisition du langage et du raisonnement.
Ma question porte donc sur la nécessité d’intervenir le plus tôt possible dans l’éducation des jeunes élèves issus d’un milieu modeste.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé un plan pour les maternelles, sans préciser quelles mesures concrètes seront prises ni décrire les moyens que vous y affecterez. Je rappelle que de nombreuses classes de maternelle sont en sureffectif et que le nombre de postes d’agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) et d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) est toujours insuffisant.
Pourriez-vous nous apporter des précisions sur vos projets pour cette période déterminante ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Gosselin, si la question de la mixité sociale se pose surtout au collège et au lycée, cela ne signifie pas, en effet, qu’il ne faut pas s’y intéresser dans le primaire ou au sein des écoles maternelles.
Nous avons effectué des efforts ces dernières années, avec le dédoublement, dans les zones d’éducation prioritaire, des classes de grandes sections, CP et CE1. Les premières cohortes ayant bénéficié de ces dédoublements sont désormais en sixième.
Or les évaluations montrent des progrès intéressants, surtout pour les enfants de REP+, même si la crise sanitaire a entravé le processus, avec le confinement, dont nous n’avons pas fini de payer les conséquences, sur la santé psychique et physique des enfants comme sur leur niveau scolaire. Nous poursuivons le dédoublement, qui sera bientôt achevé, puisque nous en sommes à 75 %. L’objectif est d’atteindre les 100 % à la rentrée de 2024.
Nous sommes favorables, dans les zones d’éducation prioritaire, à la scolarisation des enfants de moins de 3 ans dans de très petites sections. Cela donne de bons résultats, notamment dans l’acquisition du vocabulaire. J’ai visité de telles sections dans des écoles maternelles de quartiers prioritaires dans le Sud-Ouest.
Le plan maternelle a plusieurs volets. L’un d’eux concerne la formation des enseignants. Les professeurs des écoles, en effet, sont tous formés de la même manière, qu’ils doivent enseigner en petite section ou en CM2. La comparaison avec d’autres pays montre qu’il serait utile, sinon de spécialiser les enseignants des écoles maternelles, du moins de leur apporter des compléments de formation. Tel est l’objet du plan maternelle.
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour la réplique.