M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Robert, avec les membres de votre groupe, vous avez souhaité inscrire à l’ordre du jour du Sénat un débat sur la mixité sociale au sein des établissements scolaires. Je vous en remercie, puisque j’ai érigé ce sujet, dès mon arrivée au ministère, en priorité de mon action.
Ce sujet nécessite la mobilisation, l’engagement et la persévérance de tous, en particulier des collectivités locales que vous représentez au sein de cette assemblée. En effet, la mixité sociale et scolaire dans les écoles et les établissements est une des conditions de la réussite de chaque élève. La diversité des parcours familiaux, la multiplicité des origines sociales, leurs mélanges et leurs interactions sont une force et non une faiblesse pour l’école.
L’école doit porter – tel est son rôle – une vision émancipatrice de son action auprès des élèves ; elle doit lutter contre les déterminismes de naissance, d’origine ou de genre. Elle doit permettre à chaque enfant d’étendre ses ambitions au-delà de ce à quoi son environnement le restreint, voire le contraint.
Malgré les efforts engagés depuis plusieurs années, la France est l’un des pays de l’OCDE où les déterminismes sociaux pèsent le plus sur la réussite scolaire des élèves. Au-delà même de la réussite scolaire, les phénomènes ségrégatifs privent la société de talents, brident les ambitions, découragent les efforts et participent aux replis identitaires.
Venons-en brièvement aux constats : la situation sociale est en partie polarisée dans les établissements publics.
À la rentrée scolaire de 2021, la proportion d’élèves issus de milieux défavorisés était en moyenne de 37,4 % au collège. Toutefois, si nous examinons la situation en détail, on retrouve ces élèves les plus défavorisés à hauteur de 61 % dans un dixième des collèges les plus défavorisés, alors que les établissements les plus favorisés n’en accueillent que 14,6 %. En miroir, les 23,9 % d’enfants issus de milieux très favorisés ne sont présents qu’à hauteur de 6,6 % dans les collèges les plus défavorisés, alors qu’ils sont près de 45 % dans quelque 10 % des établissements les plus favorisés.
La différenciation sociale est encore plus marquée entre le public et le privé. La proportion moyenne des élèves de milieux défavorisés est de 42,6 % dans le public, mais seulement de quelque 18 % dans le privé. Et les écarts se creusent depuis le début des années 2000. L’IPS, l’indice de position sociale moyen, est de 106 dans le public hors réseaux d’éducation prioritaire (REP), alors qu’il est de 121 dans le privé sous contrat.
Ces constats implacables s’observent particulièrement au collège et concernent à la fois l’enseignement privé sous contrat et l’enseignement public, dans un contexte où l’écart entre les deux n’a cessé de s’accroître depuis plusieurs décennies.
Afin de faire de l’égalité des chances et de la réussite de tous les élèves une priorité, j’ai entamé un cycle de concertations et de consultations avec l’ensemble des acteurs concernés par le champ de la mixité sociale et scolaire : les organisations syndicales représentatives de la communauté éducative de l’enseignement public et privé sous contrat, les collectivités locales, les élus et les ministères partenaires.
Jouant un rôle essentiel, les concertations avec les collectivités locales s’inscrivent dans le cadre de l’instance de dialogue entre le ministère et les collectivités locales que j’ai souhaité instaurer en septembre 2022. Je situe résolument ce cycle de consultations et de concertations dans une démarche collective.
Il nous faudra passer des bonnes intentions à des solutions pragmatiques, compréhensibles et acceptables par tous.
Pour cela, il n’existe pas, c’est évident, de « modèle clés en main ». Les expériences menées, même les plus réussies, n’ont pas vocation à être dupliquées sans adaptation, quels que soient le territoire, ses ressources ou ses particularités. Il est de mon rôle et de mon devoir de donner une impulsion et de proposer des leviers d’actions variés. Ils existent. Je ne doute pas que les acteurs sauront s’en emparer, voire en inventer d’autres.
Le plus évident de tous ces leviers est, bien évidemment, la détermination de la sectorisation au moyen de la carte scolaire.
Peut-être, d’ailleurs, faut-il s’interroger avant même cette étape sur le rôle joué par les politiques d’habitat et sur le choix géographique d’implantation des établissements scolaires. Le département de la Haute-Garonne – vous l’avez cité, madame la sénatrice –, qui a mené un travail résolu et réussi pour créer les conditions d’une mixité scolaire, n’a par exemple pas hésité à détruire des établissements enclavés et connotés de longue date pour les reconstruire ailleurs.
Si la prise en compte de l’objectif de mixité dans l’affectation des élèves avec des secteurs multicollèges est une solution qui porte ses fruits et qui, moyennant des explications aux familles et la prise en compte des temps de trajets ou des moyens de transport, produit assez vite des effets mesurables, la fusion d’établissements, voire la création de binômes de collèges peu éloignés géographiquement, avec des configurations variées ou des jumelages d’établissements, permet également d’améliorer l’hétérogénéité sociale des élèves – nous avons identifié quelque deux cents binômes potentiels.
L’implantation d’offres de formation attractives dans les établissements défavorisés reste aussi un outil extrêmement efficace. Concernant les sections internationales, par exemple, on assiste en une année scolaire à une hausse de trois à huit points de l’IPS moyen dans les établissements où elles sont créées. Quarante-trois sections internationales nouvelles ont donc été ouvertes dans des collèges d’éducation prioritaire en 2022 ; seize autres le seront en 2023.
L’absence de mixité existe aussi en milieu rural. Il faut trouver des moyens particuliers d’action. Je pense par exemple au rapprochement d’établissements isolés avec ceux des bourgs plus importants par des projets communs ou des échanges pédagogiques.
En parallèle, parce que l’argent public finance l’enseignement privé sous contrat, il est normal d’exiger de ce dernier qu’il favorise aussi la mixité des élèves en s’engageant dans une démarche volontaire et contractualisée.
C’est d’ailleurs ce que recommande le rapport du président Laurent Lafon et du sénateur Jean-Yves Roux, rendu en 2019, sur les nouveaux territoires d’éducation. J’ai donc entamé une discussion constructive avec l’enseignement catholique pour établir un protocole d’engagements, qui, je l’espère, sera signé dans quelques semaines. Je mène aussi ce travail auprès des autres confessions, ainsi qu’avec des établissements privés laïques.
Même si, bien sûr, il existe des a priori, des préjugés, des volontés d’entre-soi et des représentations négatives et stigmatisantes contre lesquels nous devons lutter, et même s’il faut dire et redire que la mixité sociale ne fait pas baisser le niveau des élèves, il faut aussi entendre le souhait des parents d’offrir le meilleur à leurs enfants. La seule réponse, c’est de renforcer l’attractivité des établissements publics, pour permettre aux parents un choix rassurant.
J’ai conscience des enjeux et je ne nie pas les raisons qui poussent certaines familles à choisir soit de contourner la sectorisation, soit de recourir à l’enseignement privé, parfois pour certains au prix de sacrifices importants.
Comme vous l’avez compris, faire de la mixité sociale une réalité, ce n’est pas remettre en cause la liberté scolaire. Ce n’est pas non plus faire gagner un camp contre un autre ou une catégorie contre une autre. C’est au contraire permettre l’enrichissement de tous, offrir un socle commun pour tous, assurer les conditions de l’altérité et continuer à faire de la France une nation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais pouvoir compter sur le soutien de tous ceux qui veulent faire vivre en actes la belle devise de notre République. (Applaudissements sur les travées des groupes RPDI, SER et GEST.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le ministre, chacune et chacun d’entre nous a conscience de l’importance de faire vivre la mixité dans nos écoles de France.
La mixité permet de se confronter à la différence, quelle que soit sa forme ; elle permet d’apprendre à comprendre l’autre et elle participe à la formation du citoyen.
Toutefois, le sujet de la mixité ne se pose pas avec la même intensité selon les territoires. Chacun a son expérience. La mienne est celle d’un ancien maire d’une commune rurale dans l’Aisne, et j’imagine que l’enjeu n’est pas le même quand on est le maire d’une ville-centre ou d’une ville de banlieue.
Des décrochages, des problèmes et des difficultés liés à la mixité, il y en a partout – il ne s’agit évidemment pas de les classer. Néanmoins, quand on est dans un territoire métropolitain, grâce aux offres de mobilité – le RER, le métro ou le bus –, on a accès à des lieux culturels. Pour dire les choses simplement, le monde est devant soi et on peut le voir.
En revanche, dans les territoires ruraux, soit on vit dans une famille qui a les moyens et l’organisation permettant de se rendre dans de tels lieux, soit on connaît des difficultés, et c’est alors la double peine. Il y a des familles où personne n’a le permis de conduire ou qui n’ont pas les moyens de partir quelques jours dans une grande ville pour s’ouvrir l’esprit.
Cet éloignement, ces difficultés et ce manque de mixité ne sont pas toujours pris en compte dans la mise en œuvre des politiques scolaires ; ils pourraient pourtant faire la différence dans certains cas. Il s’agit de donner les mêmes conditions, les mêmes chances et les mêmes possibilités à chacun. Telle est la vocation de l’école républicaine.
Aussi, monsieur le ministre, quelles sont vos ambitions pour favoriser la mixité sociale dans les territoires ruraux et lutter contre les inégalités territoriales ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Verzelen, vous avez raison, la question de la mixité sociale se pose non seulement dans les territoires urbains, mais également dans les régions rurales.
Cependant, les problématiques scolaires qui se posent dans les régions rurales sont quelque peu différentes de celles des territoires urbains.
Globalement, les résultats scolaires dans les régions rurales – il existe des variations, il faut le reconnaître – sont corrects, voire bons dans certains départements très ruraux. En Mayenne, par exemple, les résultats scolaires sont bons. Néanmoins nous constatons un manque d’ambition ou plutôt des difficultés à projeter ces résultats scolaires vers des études post-bac qui impliquent un éloignement géographique de la région d’origine.
La question de l’éloignement, comme le montre cet exemple, est absolument centrale pour les territoires ruraux. Voilà pourquoi j’ai mentionné dans mon intervention liminaire la possibilité d’organiser des rapprochements entre des établissements scolaires qui sont moyennement éloignés, c’est-à-dire dont la distance qui les sépare peut être couverte par des modes de transport appropriés.
Je pense également à l’importance et à l’intérêt des cordées de la réussite. Comme vous le savez, quelque 168 000 élèves sont aujourd’hui concernés – nous visons l’objectif de 200 000 élèves « encordés » dans le supérieur, au lycée et au collège. Ce dispositif donne de bons résultats, notamment en matière d’ambitions et de perspectives scolaires et universitaires.
Je mentionnerai enfin le sujet de la refonte de la carte de l’éducation prioritaire, à laquelle nous nous sommes attelés avec le ministre délégué à la ville et au logement. Cette question impliquera aussi les territoires ruraux. Nous prendrons notre temps pour aboutir à une réforme en septembre 2024.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Je tiens tout d’abord à remercier mes collègues du groupe socialiste de l’inscription à notre ordre du jour de ce débat essentiel. Il y a beaucoup à dire sur la mixité sociale et, plus largement, sur les inégalités à l’école.
La France est l’un des pays de l’OCDE où l’origine sociale d’un élève pèse le plus sur son destin scolaire. Notre système éducatif est l’un de ceux qui reproduisent le plus les inégalités sociales, et cela depuis plus de dix ans. Le manque de mixité sociale à l’école est un facteur aggravant des inégalités ; sur ce point, la France est à la traîne.
On assiste au développement d’une école à deux vitesses. Les établissements privés sont devenus l’un des moteurs de la ségrégation scolaire en favorisant l’évitement de la carte scolaire pour les classes les plus favorisées. Selon une étude de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), à la rentrée scolaire de 2021, quelque 40,1 % des collégiens du secteur privé sous contrat étaient issus de milieux sociaux très favorisés, contre 19,5 % dans le public.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé que la mixité sociale à l’école était l’une de vos priorités, et nous nous en réjouissons, tant votre prédécesseur avait ignoré cette problématique.
Dans ce cadre, vous avez déclaré souhaiter mettre en place un accord avec les établissements privés sous contrat, et vous venez de le réaffirmer. Il est vrai que le taux de boursiers dans l’enseignement privé sous contrat est actuellement inférieur à 10 %. Cela a été rappelé, l’État et les collectivités territoriales subventionnent pourtant l’enseignement privé sous contrat à hauteur de 73 %.
Les enjeux des modalités de cet accord suscitent notre interrogation. Quels en seront les termes ? Allez-vous enfin pondérer les subventions publiques versées au privé en fonction d’un ratio de mixité sociale acceptable ?
Allez-vous, en d’autres termes, conditionner les aides attribuées aux établissements privés sous contrat à des taux de boursiers largement plus importants, afin de cesser de financer par des deniers publics la ségrégation sociale ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Dossus, je vous remercie de votre question importante relative à l’enseignement privé sous contrat.
J’ai en effet indiqué que l’enseignement privé sous contrat sera impliqué dans l’effort en faveur de la mixité. Tous les chercheurs qui ont travaillé sur cette question ont abouti à la même conclusion : si l’enseignement privé sous contrat n’est pas impliqué, les politiques de mixité sociale à l’école seront sinon vouées à l’échec, du moins très limitées.
Vous avez également rappelé que l’État finance aux trois quarts les établissements privés sous contrat. Nous sommes en négociation avec la principale organisation regroupant l’essentiel des établissements privés sous contrat, le secrétariat général de l’enseignement catholique, dont je me réjouis de la bonne volonté, ainsi qu’avec d’autres fédérations ou associations que j’ai pu consulter ces dernières semaines.
Selon moi, deux écueils sont à éviter. Le premier consisterait à ne rien demander aux établissements privés sous contrat en échange du financement dont nous parlons et à laisser l’enseignement privé sous contrat libre d’agir comme il le souhaite.
À l’inverse, le second écueil serait de faire passer sous les fourches caudines de l’enseignement public le secteur privé sous contrat ; nous nous heurterions à de très nombreuses difficultés et à de très importantes résistances politiques. Entre ces deux pôles, si je puis dire, il y a un espace, celui de la négociation.
Du reste, nous avons des moyens d’agir, notamment en modulant non pas la part fixe, mais la part variable de notre subvention aux établissements privés sous contrat. Les collectivités locales peuvent également procéder à une telle modulation, j’y insiste, à l’instar de ce qu’ont récemment fait le département de la Haute-Garonne et la Ville de Paris.
M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne.
Mme Samantha Cazebonne. Monsieur le ministre, si la mixité sociale à l’école est tellement importante, c’est parce qu’elle est un prérequis incontournable et incompressible du vivre ensemble. Or ce dernier ne se décrète pas : il s’apprend et il s’exerce.
En ce sens, l’école publique est évidemment le lieu privilégié de cet apprentissage. Dès le plus jeune âge, l’école, qui garantit l’émancipation par le savoir et la culture, bâtit également un projet démocratique fondé sur des principes communs partagés et respectés par tous.
Je fais partie de ceux qui pensent que l’école doit faire davantage pour la mixité sociale. À ce titre, l’expérimentation de secteurs multicollèges dans six établissements parisiens, dont les résultats sont positifs, va dans le bon sens.
Toutefois, la mixité sociale à l’école n’est pas le seul fait de l’école. Vous le savez, la carte scolaire des écoles maternelles et élémentaires est déterminée par les conseils municipaux et celle des collèges par les conseils départementaux.
Par ailleurs, nos écoles sont des réalités physiques et urbaines. Elles s’insèrent dans un environnement urbain, qui a des effets, lui aussi, sur la mixité sociale. Les politiques de l’urbanisme et de l’habitat ont donc également un rôle à jouer.
Monsieur le ministre, quel rôle les services de votre ministère pourraient-ils jouer dans la nécessaire coordination entre les différents acteurs qui, de près ou de loin, agissent sur la mixité sociale à l’école ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, vous faites référence à une question importante : le lien entre le travail de l’éducation nationale et celui des services d’autres ministères – je pense en particulier à celui de la ville et du logement.
Avec mon collègue Olivier Klein, je travaille dans la perspective que j’ai déjà indiquée, à savoir refondre ou, à tout le moins, retoucher la carte de l’éducation prioritaire, qui est établie sur des données remontant à 2011 – la carte elle-même est parue en 2015.
En effet, les changements sociologiques et urbains de la société française imposent certainement de repenser cette carte, en particulier pour les établissements de REP. Les environnements des établissements REP+ sont, d’une certaine façon, très immobiles, puisqu’ils sont situés dans des quartiers défavorisés qui, malheureusement, n’ont pas changé de façon importante depuis dix ans.
En revanche, les quartiers REP, un peu plus intermédiaires, ont connu des changements sociaux importants, sous l’effet, par exemple à Paris, de phénomènes de gentrification, qui ont profondément modifié ces quartiers. Par ailleurs, des régions ou des secteurs ont été quelque peu oubliés en 2015. En un mot, il faut repenser ce dispositif en lien avec les quartiers prioritaires de la ville, sur lesquels travaillent les services du ministère de la ville et du logement.
J’ajoute un point très important : en dépit des pesanteurs urbaines et sociales, nous pouvons prendre des initiatives pour aller au-delà des frontières sociales.
Je pense à ce qui a été fait à Toulouse, où les élèves des collèges du quartier du Mirail ont été déplacés et scolarisés dans des quartiers centraux. (Mme Émilienne Poumirol approuve.) Ainsi, en dépit de la pesanteur sociologique du quartier, il est possible d’obtenir des résultats scolaires indépendamment du bâti urbain et de données sociologiques existantes.
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Yan Chantrel. Monsieur le ministre, ainsi que plusieurs de mes collègues l’ont rappelé, dans notre pays, l’enseignement privé sous contrat est subventionné par l’État et les collectivités territoriales à hauteur de 73 %, soit près de 10 milliards d’euros qui, chaque année, sortent des caisses publiques pour financer le privé !
Alors que le public souffre d’un manque de moyens chronique, le privé continue de profiter de nouveaux effets d’aubaine, à la suite de la loi Carle de 2019 et de la loi Blanquer de 2019.
M. Jacques Grosperrin. Il faut arrêter avec ce discours !
M. Yan Chantrel. Or, cas unique au monde, ce financement public du privé se fait pratiquement sans aucune contrepartie. Ces établissements échappent à la carte scolaire et leur recrutement reste opaque : on ne sait pas quels critères sont retenus pour sélectionner les élèves !
M. Jacques Grosperrin. Bien sûr…
M. Yan Chantrel. Tout le monde finance le privé, mais tout le monde n’y a pas accès ! Car le privé pratique l’exclusion sociale de fait.
Monsieur le ministre, en juillet 2022, vos services ont souligné que l’écart entre la proportion d’élèves très favorisés dans le privé et dans le public s’était creusé de près de dix points en vingt ans.
La publication des IPS en janvier dernier a confirmé l’embourgeoisement de plus en plus marqué du privé. Deux chercheurs, MM. Julien Grenet et Youssef Souidi, ont montré que, à Paris, le privé ne compte que 3 % d’élèves défavorisés, contre 24 % dans le public. Voilà le véritable séparatisme contre lequel nous devons lutter avec acharnement !
Pis, une étude de 2014, menée par Loïc du Parquet, Thomas Brodaty et Pascale Petit au moyen d’une expérience contrôlée, inspirée de la méthode du testing, a montré qu’il existe à l’entrée des établissements scolaires privés une sélection ethnique.
Monsieur le ministre, en tant que chercheur, vous serez aussi sensible que moi à la pertinence de ces travaux. Vous partagez ce constat, je le sais. Nous connaissons vos convictions et nous sommes prêts à vous soutenir contre tous les conservatismes si vous prenez des mesures à la hauteur de l’urgence.
Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à introduire, à l’échelle nationale, un système de bonus-malus analogue à celui que le département de la Haute-Garonne a mis en place – vous n’avez pas été suffisamment précis sur ce point – pour moduler les crédits pédagogiques versés aux établissements, en fonction de leur niveau de mixité sociale ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Yan Chantrel. Cela reviendrait à prendre l’argent des établissements privés qui ne jouent pas le jeu de la mixité sociale pour le donner à ceux du public. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Quel vieux combat !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Chantrel, à la question du financement de l’enseignement privé sous contrat, que vous avez posée, je souhaite répondre par la concertation, afin d’aboutir à un protocole d’accord comportant des objectifs très précis.
À cet égard, je note la bonne disposition de nos interlocuteurs du privé sous contrat : les temps ont changé, la publication des IPS a joué son rôle, et nous disposons de quelques moyens de pression, si je puis dire.
J’ai indiqué que les collectivités locales pouvaient agir, comme l’ont fait, par exemple, le département de la Haute-Garonne et la ville de Paris. Nous le pouvons également, en jouant sur les moyens d’enseignement. Ainsi, les allocations de postes en réponse à des demandes exprimées peuvent être utilisées comme des moyens de pression sur les établissements, afin que ceux-ci s’engagent dans des politiques résolues de mixité sociale et scolaire.
J’évoque la mixité sociale et scolaire, parce qu’un objectif en termes de pourcentage de boursiers est certes intéressant, mais ne doit pas pour autant conduire les établissements privés sous contrat à chercher les meilleurs élèves boursiers dans les établissements publics, privant ces derniers de leurs têtes de classe.
Il nous faut veiller à favoriser une mixité scolaire qui combine une dimension purement sociale avec d’autres facteurs, concernant, par exemple, les élèves en situation de handicap, dont le taux est significativement plus bas dans l’enseignement privé sous contrat, ainsi que des élèves dont les résultats scolaires soient répartis sur l’ensemble du spectre.
Nous nous sommes attelés à ce travail, afin d’aboutir à un protocole aux alentours du 20 mars prochain.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. L’école française est l’une des plus inégalitaires des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Elle a donc besoin de mesures structurelles, et pas seulement cosmétiques.
Prenons l’exemple du lycée Claude-Monet, au Havre. Depuis 2018, celui-ci a perdu l’équivalent de 8 postes, alors qu’il a accueilli 35 élèves en plus. L’indice de position sociale (IPS) de cet établissement a baissé d’année en année, atteignant 92,9 aujourd’hui, alors que l’IPS du lycée privé Saint-Joseph, qui se trouve à 150 mètres, atteint presque 138.
Face à la dégradation de la situation sociale des élèves de l’établissement public, on ne saurait se contenter d’ouvrir des formations dites « attractives » ou d’inciter les parents d’élèves du lycée privé à y inscrire leurs enfants.
Monsieur le ministre, la communauté éducative vous demande non pas un énième artifice, mais bien l’attribution de moyens, pour pallier par un renforcement de l’action pédagogique et éducative les conséquences des inégalités socioéconomiques que subissent certains élèves.
Or ce souci ne semble pas guider les attributions de dotations horaires globales (DHG) dans le secondaire, qui sont actuellement examinées, non plus que les mesures de carte scolaire concernant le primaire. Les établissements en réseaux d’éducation prioritaire (REP), en REP+, ou dans le rural isolé – les difficultés sociales y sont également nombreuses – continuent ainsi à perdre des moyens d’enseignement.
Allez-vous mieux tenir compte de la réalité sociale dans l’allocation des postes, qui évoque encore trop souvent une gestion purement comptable ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Brulin, je ne connais pas la situation spécifique du lycée Claude-Monet du Havre.
Mme Céline Brulin. Je vous l’ai présentée !