Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. Cela ne vaut pas pour le SRP !
M. Marc Fesneau, ministre. Je me garde bien d’expliquer le mécanisme SRP+10 à mes homologues canadiens ! (Sourires.)
En tout état de cause, la philosophie générale de la construction du prix et la nécessité de rééquilibrer les rapports entre les acteurs existent dans tous les pays du monde.
Monsieur Menonville, au sujet du SRP, vous avez évoqué, comme M. Labbé d’ailleurs, à la fois la question du texte et du projet de loi d’orientation. Vous avez raison de dire qu’il s’agit d’un élément parmi d’autres et que l’essentiel doit être ailleurs.
Vous avez fait référence, comme vos collègues socialistes, à une grande loi fondatrice. Pour ma part, j’essaye d’avancer sur les sujets importants. Nous essaierons de travailler ensemble sur un projet de loi d’orientation et d’avenir.
Toutefois, je n’entre pas dans la présente discussion avec le Parlement avec la prétention de penser qu’une seule loi résoudra les problèmes.
Monsieur Labbé, vous avez évoqué la loi Le Foll. Ce n’est pas faire grief à Stéphane Le Foll, qui s’est montré très actif sur un certain nombre de sujets, que de dire que son texte n’a pas profondément transformé la situation et que ses objectifs n’ont pas tous été atteints.
C’est plus compliqué : il faut ajuster les mesures, avoir des éléments normatifs. Nous devons à la fois éviter de créer ce que j’appellerai des « clauses de distorsion », tout en veillant à ne pas contrecarrer les objectifs que nous assignons à telle ou telle loi. Dans une loi d’orientation, nous avons besoin de construire un pacte avec la société. Je vous rejoins sur ce point, monsieur Duplomb.
Reste un grand impensé : qu’attend-on de notre agriculture ? C’est sans doute la grande ambiguïté dont souffre notamment le titre II de la loi Égalim 1.
À l’époque, la question se posait moins sous l’angle de la souveraineté. Peut-être étiez-vous plus avant-gardistes que moi…
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. On peut le dire ! (Sourires.)
M. Marc Fesneau, ministre. Reconnaissons-le : la question de la souveraineté est bien plus prégnante en 2023 qu’elle ne l’était en 2018. Il en est ainsi, et pour tout le monde.
À vrai dire, avant 2017, il y a eu 2012, 2007 et 2002, autant d’épisodes électoraux, et il ne me semble pas quelqu’un se soit saisi en profondeur de cette question de la souveraineté.
Le rapport d’information que vous avez produit avec vos collègues Serge Mérillou et Pierre Louault montre très bien que la perte de souveraineté française est le fruit d’un effort collectif, ou plutôt d’un non-effort collectif.
En la matière, nous devons tous faire preuve de modestie. La thématique de la souveraineté reste, je le redis, l’un des impensés du titre II.
J’étais moi-même dans l’hémicycle à l’époque et je me désespérais – moins que vous, sans doute – d’un certain nombre de choses que je trouvais « originales ».
Le pacte avec la société doit répondre non seulement à la question : « Quelle agriculture voulons-nous ? », mais aussi à la question : « Quelle souveraineté voulons-nous ? »
Voilà l’intention générale, qui doit à présent se décliner dans les textes.
Monsieur Pla, nous avons tenté d’atteindre, à l’article 3, un bon équilibre. Nous essayons de faire notre part du chemin qui consiste à retrouver notre souveraineté. La tâche est difficile, dans notre pays comme dans beaucoup d’autres. Sachons rester modestes. Le préalable est la prise de conscience. Nous essaierons ensuite d’y travailler, étape par étape.
Monsieur Duplomb, je vous ai déjà répondu sur plusieurs points. Il me semble que ce texte s’inscrit plutôt dans la philosophie générale du titre I des lois Égalim 1 et Égalim 2.
Il est vrai qu’on a vu parfois les opérateurs – entreprises de logistique, centrales d’achat – se jouer des dispositifs législatifs ou réglementaires.
Si nous avons besoin d’évaluer la loi en continu et de la faire évoluer, nous avons aussi besoin stabiliser un certain nombre de dispositifs.
C’est ce qui explique notre position sur le SRP, y compris pour les fruits et légumes.
Nous avons besoin de dispositifs qui dépassent le pas de temps de l’année. Je rappelle que la loi Égalim 2 a été promulguée en octobre 2021 pour une première mise en application au printemps 2022, c’est-à-dire voilà moins d’un an.
Entre-temps, nous avons vécu un grave épisode inflationniste, lié en particulier à la guerre en Ukraine. Même si nous devons évaluer la loi, nous devons aussi penser notre système dans la durée.
Certes, certaines adaptations semblent évidentes. C’est pourquoi, s’agissant du SRP, nous ne proposons pas de pérenniser la mesure, mais, pour l’heure, de prolonger l’expérimentation.
En effet, nous pensons modestement que nous ne sommes pas encore en mesure de juger les effets du dispositif. Nous souhaitons donc poursuivre l’expérimentation. (Mme la rapporteure acquiesce.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs
Article 1er
Le titre IV du livre IV du code de commerce est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :
« CHAPITRE IV
« Dispositions générales
« Art. L. 443-9. – Les chapitres Ier, II et III du présent titre s’appliquent à toute convention entre un fournisseur et un acheteur lorsque les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français. Ces dispositions sont d’ordre public. Tout litige portant sur l’application de ces dispositions relève de la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve du respect du droit de l’Union européenne et des traités internationaux ratifiés ou approuvés par la France et sans exclure l’arbitrage. »
Mme la présidente. L’amendement n° 28, présenté par MM. Labbé, Salmon, Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 1 du III de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime est complété par les mots et une phrase ainsi rédigée : « , tenant compte du fait que ce prix ne peut pas être inférieur au coût de production. Celui-ci peut être déterminé à l’appui des indicateurs de référence de coûts pertinents de production en agriculture tels que mentionnés au quinzième alinéa du présent III ; »
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Par cet amendement, que nous avions déjà présenté lors de la discussion de la loi Égalim 2, nous proposons que, dans le cadre de la contractualisation obligatoire prévue par cette loi, le prix défini ne puisse être inférieur au coût de production.
Il n’est pas acceptable en effet qu’un agriculteur puisse vendre en dessous de son prix de revient. C’est pourtant ce qui continue de se passer pour bon nombre de producteurs, malgré l’obligation de prise en compte des indicateurs des coûts de production dans les contrats prévus par la loi.
Ainsi, la filière bio connaît des difficultés économiques : à la nouvelle baisse, cette année encore, des prix payés se sont ajoutés les aléas climatiques ainsi que l’augmentation des coûts de l’énergie et des matières premières.
C’est la preuve qu’Égalim 2 n’a pas porté ses fruits. Certes, cette mesure est complexe à mettre en œuvre, car le coût de production varie, mais la définition des indicateurs prévus par la loi Égalim 2 devrait permettre de fixer ce prix de revient, tout en respectant la liberté contractuelle des deux parties et en s’adaptant à la diversité des situations et des filières.
Il s’agit d’affirmer un principe fort : permettre un revenu minimal agricole, en s’assurant qu’un contrat ne puisse imposer à un agriculteur de vendre à perte.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. Mon cher collègue, votre amendement revient à fixer un prix plancher dans tous les contrats de vente de produits agricoles.
Vous le savez, cette mesure serait contraire au droit européen, en ce qu’elle reviendrait à administrer les prix à l’échelle nationale.
Je rappelle que le Conseil d’État s’était prononcé à l’occasion de la loi Égalim 1. Il indiquait que les dispositifs des coûts de production n’étaient constitutionnels et conformes au droit de l’Union européenne qu’à la condition que les parties soient libres de déterminer des indicateurs, sans que ces derniers créent un prix minimal.
Au-delà, votre amendement risque de fixer un prix plancher, qui demain deviendrait un prix plafond.
La commission émet un avis plutôt défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Monsieur le sénateur, je comprends votre intention.
Il faut distinguer deux sujets.
En premier lieu, vous l’avez dit vous-même, le risque est grand – pardonnez-moi cette expression – de créer une usine à gaz.
En effet, nous ne savons pas différencier les situations d’un territoire à l’autre. Par rapport à quelles contraintes de quel territoire le prix plancher serait-il fixé ?
En second lieu, votre proposition vise à faire en sorte que tout le monde s’aligne sur le prix plancher. Ce sera la facilité pour un certain nombre d’acteurs.
Avis défavorable.
Mme la présidente. L’amendement n° 29, présenté par MM. Labbé, Salmon, Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la deuxième phrase du quinzième alinéa du III de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime, après le mot : « agriculture », sont insérés les mots : « , intégrant la rémunération de la main-d’œuvre agricole salariée et non salariée, ».
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Cet amendement vise à préciser la définition du coût de production pris en compte dans les contrats prévus par la loi Égalim 2.
À défaut d’une interdiction de conclure un contrat rémunérant l’agriculteur au minimum au prix de revient, il convient de s’assurer que le coût de production pris en considération dans les contrats tienne compte d’une rémunération équitable de la main-d’œuvre agricole, salariée et non salariée.
Comme nous l’avons souligné, aujourd’hui encore, de nombreux contrats sont conclus sans garantir une couverture de l’ensemble des coûts de production, en particulier les coûts de main-d’œuvre.
Dans ce contexte, préciser la définition du coût de production semble utile, pour pousser à une contractualisation plus juste, permettant aux producteurs de vivre dignement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. Là encore, pour être conformes au droit européen, les indicateurs de coûts de production doivent être librement déterminés par les parties au contrat.
Il n’est pas possible, au regard du droit européen, de fixer directement dans la loi ce que doit comporter ou pas un indicateur de coûts de production.
Par ailleurs, si nous le faisions, nous rencontrerions d’autres obstacles. D’une part, les situations sont très différentes d’une filière à l’autre et d’une exploitation à l’autre. D’autre part, la loi Égalim 2 précise que le contrat doit prendre en compte « des indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture ».
Si le coût de la main-d’œuvre, par exemple, est considéré comme pertinent par une filière, l’interprofession l’intégrera dans l’indicateur de référence qu’elle élabore.
La commission émet un avis plutôt défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Même avis.
Outre les raisons relatives au droit européen qui ont été invoquées, il est déjà possible d’intégrer les coûts de main-d’œuvre dans le coût de production.
Vous conviendrez néanmoins que, d’un secteur l’autre, d’une filière l’autre, les paramètres sont différents. Il faut donc laisser les parties juger et jauger quels sont les meilleurs indicateurs, si vous me permettez cette expression.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Il est possible d’intégrer les coûts de main-d’œuvre, mais cela n’est pas obligatoire.
Vous parlez de pertinence. Dans tous les domaines, le coût salarial doit forcément être pris en compte, puisqu’il constitue la base du coût de production.
Notre objectif était d’aboutir à une prise en compte obligatoire, même si j’entends bien ce que vous me dites.
Mme la présidente. L’amendement n° 26, présenté par MM. Labbé, Salmon, Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le quinzième alinéa du III de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime est complété par une phrase ainsi rédigée : « Pour déterminer les indicateurs utilisés au titre du présent III, les parties doivent également s’appuyer sur les modalités de fixation du prix des systèmes de garantie et des labels de commerce équitable définis à l’article 60 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises. »
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 26.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 2
I. – L’article 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique est ainsi modifié :
1° Le I ter est ainsi rédigé :
« I ter. – Le I du présent article n’est pas applicable aux produits mentionnés aux parties IX et XI de l’annexe 1 au règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil.
« Par dérogation, un arrêté du ministre chargé de l’agriculture peut fixer la liste de certains de ces produits pour lesquels le I du présent article est applicable, sur demande motivée par l’interprofession représentative des produits concernés ou, lorsqu’il n’existe pas d’interprofession pour ce type de produits, par une organisation professionnelle représentant des producteurs. » ;
2° Le premier alinéa du IV est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« IV. – Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er novembre 2025, un rapport évaluant les effets, sur les périodes du 1er janvier 2019 au 1er mars 2023 et du 1er janvier 2025 au 31 août 2026, de la majoration du seuil de revente à perte prévue au I du présent article sur la construction des prix de vente des denrées alimentaires et des produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie revendus en l’état au consommateur. Le rapport analyse notamment l’usage qui a été fait par les distributeurs, sur ces périodes, du surplus de chiffre d’affaires enregistré à la suite de la mise en œuvre du I ; il détaille, d’une part, la part de ce chiffre d’affaires supplémentaire qui s’est traduite par une revalorisation des prix convenus entre les distributeurs et leurs fournisseurs de produits alimentaires et de produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie et, d’autre part, celle qui s’est traduite par une baisse des prix de vente à la consommation ou par un reversement au consommateur sous la forme de promotions ou de crédits récompensant leur fidélité. Il analyse la part de ce chiffre d’affaires supplémentaire qui s’est traduite, le cas échéant, par une diminution des prix de vente des produits alimentaires vendus sous marque de distributeur. Ce rapport précise également, le cas échéant, la part de l’augmentation de chiffre d’affaires enregistrée par les fournisseurs de produits alimentaires et de produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie qui a donné lieu à une revalorisation des prix d’achat des produits agricoles. Le rapport évalue, enfin, les effets de la dérogation prévue au I ter sur le revenu des producteurs concernés.
« Ce rapport est établi après consultation de l’ensemble des acteurs économiques concernés de la filière alimentaire. L’observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, mentionné à l’article L. 682-1 du code rural et de la pêche maritime, est associé à l’élaboration de ce rapport d’évaluation. » ;
3° Après le même IV, il est inséré un IV bis ainsi rédigé :
« IV bis (nouveau). – Chaque distributeur de produits de grande consommation transmet au ministre en charge de l’économie et au ministre en charge de l’agriculture, avant le 31 décembre 2025, un document présentant la part du surplus de chiffre d’affaires enregistré à la suite de la mise en œuvre du I qui s’est traduite par une revalorisation des prix d’achat des produits alimentaires et agricoles auprès de leurs fournisseurs, sans que les secrets légalement protégés ne puissent lui être opposés. Le Gouvernement transmet aux présidents des commissions chargées des affaires économiques de chaque assemblée ce document, qui ne peut être rendu public. » ;
4° Le VIII est ainsi rédigé :
« VIII. – À l’exception du IX, les dispositions du présent article sont applicables jusqu’au 15 avril 2026. Par dérogation, les dispositions des I, I bis et I ter sont applicables du 1er janvier 2025 au 15 avril 2026. »
II. – La perte de recettes pour l’État résultant du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, sur l’article.
M. Jean-François Longeot. Je suis satisfait de constater que l’amendement que mes collègues Sylvie Vermeillet, Annick Jacquemet et moi-même avons déposé et qui a déjà recueilli en quelques jours le soutien d’une quarantaine de sénateurs, ait, semble-t-il, permis d’enclencher un débat fondamental sur la pérennité du dispositif SRP+10.
Il aurait été pour moi inconcevable, comme cela a été un temps envisagé, de suspendre un mécanisme demandé par les agriculteurs, et ce au nom de la lutte contre l’inflation.
Chacun sait qu’il nous faut lutter contre la vie chère, qui pénalise nos concitoyens, mais l’idée que cette lutte se fasse au détriment de la rémunération des agriculteurs m’est extrêmement désagréable.
L’image que nous avons donnée lors de l’examen du texte me semble dommageable pour notre assemblée.
D’une certaine manière, nous avons pu donner l’impression que négocier les fins de mois des agriculteurs pour gagner quelques dixièmes de points d’inflation était une idée moralement acceptable.
Je ne peux m’y résoudre. Il n’est pas imaginable de troquer le fruit du travail effectué par nos agriculteurs pour la poursuite d’un objectif de réduction des prix qui, nous le savons, ne sera pas rempli par la suppression du dispositif SRP+10.
Dans l’un de ses rapports, l’inspection générale des finances chiffre l’impact du mécanisme SRP+10 à 0,17 % d’inflation, soit une infime partie de la hausse des prix constatée dans les rayons aujourd’hui.
Ce n’est pas rendre honneur au labeur des agriculteurs que d’avoir proposé une telle suspension du SRP+10.
La valeur travail, que le Sénat a toujours défendue, doit rester pour nous un véritable totem.
Ainsi, vous l’aurez compris, mes chers collègues, je suis ravi que notre rapporteure ait accepté de rejoindre les positions exprimées par la quasi-intégralité des groupes politiques visant à maintenir ce dispositif essentiel pour les agriculteurs.
Cette issue honore le Sénat et le confortera comme la chambre de l’agriculture française.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb, sur l’article.
M. Laurent Duplomb. Permettez-moi d’abord de déplorer un certain manque de fair-play vis-à-vis de Mme la rapporteure.
En effet, Anne-Catherine Loisier a mis en avant un principe consistant à se montrer le plus logique possible au regard des déclarations qu’elle a faites pendant quatre ans.
Pendant quatre ans, Anne-Catherine Loisier et Daniel Gremillet ont travaillé sur le suivi des lois Égalim 1 et Égalim 2. On ne peut pas dire que nous ne les avons pas entendus nous dire que le SRP+10, qui constitue une manne comprise entre 600 millions et 800 millions d’euros, chiffre sur lequel tout le monde s’accorde, ne ruisselle pas et ne permet pas d’améliorer les revenus des agriculteurs.
Il aurait été totalement illogique que, en tant que rapporteure de cette loi Égalim 3 ou de cette proposition de loi « approvisionnement des Français en produits de grande consommation », Anne-Catherine Loisier ne réaffirme pas les positions qu’elle a tenues pendant quatre ans.
Personnellement, j’appelle cela de la constance en politique. Si certains en sont dépourvus, permettez-moi de saluer au moins celle de Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. Chacun a la conception qu’il veut de son rôle de législateur.
Pour notre part, au sein de la commission, ce dernier consiste à contrôler la bonne application des mesures que nous avons votées.
Quand, au bout de trois ans d’expérimentation, on constate que le dispositif ne produit pas les effets attendus, il est de notre responsabilité de le souligner.
Le débat sur l’efficacité du SRP n’a pas véritablement eu lieu à l’Assemblée nationale, où s’est dégagé un accord plutôt global. Nous tenions à ce qu’il ait lieu au Sénat, afin de respecter l’esprit dans lequel le dispositif a été voté.
Un certain nombre d’entre vous l’ont compris : nous tenions également à mettre la pression sur les distributeurs pour qu’ils utilisent le SRP à bon escient et qu’ils rémunèrent au plus juste nos agriculteurs, plutôt que d’en tirer profit – nous l’avons vu ces derniers mois – au travers de systèmes de « cagnottage » ou de cartes de fidélité.
Le dispositif SRP suppose un engagement, qui doit être respecté.
Ce qui est ici remis en cause est non pas le principe même du SRP+10, mais son efficacité réelle pour atteindre l’objectif que le législateur lui a assigné.
L’amendement n° 38 que je présenterai dans un instant au nom de la commission vise à prolonger le SRP jusqu’en 2025, ce qui portera la durée de l’expérimentation à six ans. Nous espérons que nous disposerons alors d’éléments probants.
Il est également proposé d’exclure du SRP+10 les filières des fruits et légumes, qui sont fortement affectées par ce dispositif.
Enfin, l’amendement vise à exiger plus de transparence de la part de la grande distribution sur l’utilisation du SRP+10 en l’obligeant à remettre chaque année aux ministres chargés de l’agriculture et de l’économie un rapport à ce sujet, rapport transmis au président de chacune des commissions chargées des affaires économiques au sein de nos deux assemblées, afin, une fois encore, de contrôler la bonne application de la loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet, sur l’article.
M. Michel Canévet. Avec mes collègues Françoise Gatel, Jacques Le Nay et Nadège Havet, nous sommes particulièrement préoccupés, en Bretagne, par la situation de l’agriculture et, singulièrement, par celle de l’agroalimentaire.
La Bretagne est en effet une grande région agroalimentaire de notre pays, constituée majoritairement d’un tissu de petites et moyennes entreprises.
Or ces dernières nous ont alertés sur la nécessité d’être prudents dans les évolutions de la législation en vigueur.
Selon nous, la législation a fait ses preuves, en ce qu’elle a permis une légère amélioration du revenu des agriculteurs. Cette amélioration doit se poursuivre.
Il est important de s’assurer, par des contrôles, que la volonté du législateur en la matière est respectée, mais il est également important de nous montrer prudents.
Je le répète : nombre d’acteurs agricoles et industriels de Bretagne, qui vivent concrètement les négociations commerciales et les relations avec la grande distribution, nous ont appelés à faire preuve d’une grande prudence dans notre volonté de faire évoluer la législation.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault, sur l’article.
M. Pierre Louault. J’ai pris le temps – trois ou quatre jours – de consulter de nombreux acteurs, entreprises agroalimentaires et syndicats.
La suppression du SRP+10 aurait été, il est vrai, un signal catastrophique.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Eh oui !
M. Pierre Louault. C’est précisément ce signal qu’attendent les grandes surfaces pour mettre à bas Égalim !
Lorsque l’on parle des 800 millions d’euros qui sont imposés, on parle de 800 millions d’euros de marge. En réalité, les grandes surfaces en font beaucoup plus.
En outre, il ne s’agit pas de 800 millions d’euros de simples profits. Nous souhaitons simplement imposer à la grande distribution de contribuer à maintenir des prix bas, alors que, jusqu’ici, cette dernière demandait aux agriculteurs et aux producteurs de brader leurs prix pour faire des promotions.
Je remercie Mme la rapporteure d’avoir pris le temps de la réflexion, mais également – cela me convient parfaitement – d’avoir déposé un amendement excluant les fruits et légumes du dispositif.
Cette position de consensus me semble raisonnable.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, sur l’article.
M. Daniel Gremillet. Le sujet est complexe et je remercie notre groupe de suivi pour tout le travail effectué.
Il était en effet stratégique de le mettre sur la table. Nous l’avons vu, le système actuel ne bénéficie ni aux producteurs ni aux consommateurs.
Mais il y a pire. Notre défi est de faire en sorte qu’Égalim apporte une réponse aux agriculteurs sur la MPA, que le SRP+10 ne remet nullement en cause.
Tous nos travaux ont été confortés, y compris par l’UFC-Que Choisir. L’association, qui pourtant n’a pas été tendre avec Égalim, a repris ainsi, chiffres à la clé et mot pour mot, les conclusions de notre groupe de suivi.
Il était indispensable que notre rapporteure pose le débat. Elle a aussi fait preuve de courage en disant sans plus attendre – personne, en dehors du rapport que nous avons produit, ne s’y était risqué – qu’il fallait sortir les fruits et légumes du dispositif.
Madame la rapporteure, je vous tire mon chapeau ! Le travail parlementaire en sort grandi.