Mme Agnès Canayer. Par ailleurs, l’offre d’études qu’elle propose n’est, souvent, pas suivie des financements nécessaires pour mener à bien les projets – il faut y remédier.
En conclusion, et pour revenir au titre de notre débat, l’État territorial a longtemps été une réalité structurante. Pour ne pas en être réduit à devenir un mirage, il doit être guidé par une vision claire et être alimenté par les recommandations de notre rapport dont j’espère, madame la ministre, que vous saurez vous inspirer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Canayer, en ce qui concerne la nécessité de proximité, je ne renouvellerai pas mes propos sur la façon dont le Gouvernement renforce les moyens de l’État territorial, pour reprendre votre intitulé.
J’apporterai quelques précisions sur l’ANCT, qui a pour objectif d’instituer une logique de guichet unique, au plus proche des territoires. Du fait de sa jeunesse, elle fait l’objet de certaines critiques, notamment au sein de l’excellent rapport du Sénat. Pourtant, l’ANCT a connu de nombreuses réussites, notamment dans l’accompagnement des collectivités dans leur besoin en ingénierie.
Ainsi, dans le cadre du programme Petites Villes de demain, 1 600 petites centralités de moins de 20 000 habitants sont accompagnées et 906 postes de chef de projet sont subventionnés.
Pour ce qui est du programme Action cœur de ville, quelque 5 milliards d’euros sont mobilisés sur cinq ans, pour accompagner 234 communes sur 222 territoires métropolitains et ultramarins. Au 15 octobre 2022, 312 opérations de revitalisation de territoire (ORT) avaient été signées.
Par ailleurs, la Première ministre m’a permis d’aller voir, depuis le mois de juillet, ce qui se passe réellement sur le terrain en matière d’ingénierie afin de procéder à une évaluation. J’ai autant que vous, mesdames, messieurs les sénateurs, l’intime conviction que nous devons accentuer l’évaluation de l’efficacité de nos politiques publiques avant d’embrayer sur de nouvelles lois, de nouveaux textes ou programmes.
C’est ce que j’ai fait pendant six mois et j’espère qu’il en ressortira quelque chose d’efficace. Le premier bilan sera dressé à la fin de l’année afin de réorienter certaines actions si nous constatons qu’elles ne sont pas aussi efficaces que nous le souhaitions dans les ruralités.
Vous appelez de vos vœux plus de subsidiarité. Bien sûr, on peut toujours faire plus et mieux, mais, en mettant fin aux appels à projets et en confiant le fonds vert aux préfets, nous envoyons un fort signal dans le sens d’une déconcentration telle que nous la voulons et telle que les préfets la mettent en œuvre.
Pour ce qui est de la différenciation, je voudrais vous dire à quel point je suis fière de vous soumettre, en janvier 2024, un projet de loi qui constituera un acte II pour les zones de revitalisation rurales (ZRR). Cette loi portera en son sein la différenciation de nos territoires.
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.
Mme Agnès Canayer. Madame la ministre, l’ANCT constitue effectivement un progrès, mais elle est largement perfectible. En revanche, en ce qui concerne l’offre d’ingénierie, elle est un peu à l’image de l’État, qui est dispersé dans ses réponses et ses actions. Pour lui donner de la lisibilité et de la clarté de manière que les élus locaux soient véritablement accompagnés, nous devons améliorer la coordination de cette offre sur les territoires.
Quant à l’évaluation, il est vrai qu’il s’agit d’un sujet fort et récurrent. Il est important, avant d’introduire toute nouvelle politique publique, de ne pas reproduire les erreurs du passé, en l’occurrence celle d’additionner les réformes sans évaluation préalable jusqu’à en faire une sorte de millefeuille.
Toutefois, madame la ministre, le baromètre ne peut en aucun cas être un outil d’évaluation. On ne peut pas évaluer uniquement par les chiffres et par la quantité : il faut également tenir compte de la qualité de l’action qui est menée. (M. Mathieu Darnaud applaudit.)
Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation. Absolument !
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en entendant mon collègue de la majorité gouvernementale M. Buis, je me disais qu’il devait être confortable de vivre dans un monde de Oui-Oui territorial. (Sourires. – Mme la ministre déléguée s’indigne.)
Madame la ministre, nous pouvons légitimement nous demander si l’État a encore les moyens de ses ambitions dans nos territoires. Il peut paraître étonnant de se poser cette question dans un pays qui, depuis la loi du 28 pluviôse an VIII, a donné une place particulière à l’État territorial. Pourtant, celui-ci suscite des doutes et des critiques.
La mission d’information que nous avons conduite, Agnès Canayer et moi-même, pointe de nombreux enjeux, mais je me contenterai d’évoquer ceux qui sont relatifs aux moyens et à l’organisation.
Rares sont les champs de l’action publique qui ont connu autant de réformes que celui dont nous parlons. Mais cette spécificité est trompeuse : loin d’être un signe de vitalité et de bonne santé, elle traduit surtout un malaise profond et des objectifs qui n’ont pas été atteints, d’où des remises en chantier répétées à un rythme qui va s’accélérant.
À chaque fois, la réforme de l’État territorial est pourtant sous-tendue par une ambition louable et clairement affichée : améliorer le fonctionnement des services et répondre au mieux à la demande d’État dans les territoires. La réalité est très différente, puisque nous constatons une baisse continue des moyens de l’État.
Les élus ne s’y trompent d’ailleurs pas : deux élus sur trois estiment que le service public s’est dégradé sur leur territoire, et près de 60 % d’entre eux considèrent que les moyens des services déconcentrés sont insuffisants. Je vous rappelle également – et c’est révélateur – que 70 % des membres du corps préfectoral que nous avons interrogés estiment, eux aussi, que les moyens humains qui sont mis à leur disposition sont insuffisants.
Il est très difficile de chiffrer les effectifs de l’État dans nos territoires : les changements de périmètres, les suppressions de directions – avant qu’elles ne soient recréées – ou encore les rattachements à différents ministères tendent à brouiller les cartes. Aussi le ministère de l’intérieur doit-il impérativement se doter d’outils de suivi de l’ensemble des personnels déconcentrés qui lui ont été rattachés ces dernières années, au travers notamment des directions départementales interministérielles (DDI).
Malgré tout, les chiffres sont parlants : les effectifs des DDI ont été amputés de 15 000 fonctionnaires entre 2011 et 2022, soit une baisse de 36 %. La plupart du temps, ces coupes dans les effectifs sont supposées avoir été compensées par une organisation plus efficiente, par des gains de productivité et par la diffusion de nouveaux outils technologiques. Au reste, nous ne pouvons ni confirmer ni infirmer ces suppositions, car rien n’est évalué ex post.
À l’inverse, les exemples de dégradation des services rendus aux collectivités territoriales abondent.
Cette politique, dictée par une perspective purement comptable, montre ses limites. Le contrôle de légalité en est un bon exemple. Nous devons nous interroger sur la façon dont est rendu ce service. Les préfectures contrôlent, depuis bien longtemps, non plus la totalité des actes des collectivités locales, mais un nombre restreint d’actes dits « à enjeu » – la commande publique, les actes budgétaires, la gestion des ressources humaines. Or, même dans ce cadre, l’État n’atteint que 90 % de ses objectifs.
Dans notre pays, tout se passe comme si l’État territorial était resté figé dans une réalité qui ne correspond absolument plus à celle des collectivités locales. L’effet d’inertie est considérable : dans certains départements ou régions, les effectifs des services de l’État correspondent non plus à la réalité du terrain, mais à un héritage du passé. Un récent rapport de la Cour des comptes a d’ailleurs appuyé ce constat que nous avions dressé dans notre rapport.
Il faut sortir de ce carcan pour adapter l’État territorial aux besoins contemporains. Vous avez évoqué, madame la ministre, les sous-préfectures, qui ont été touchées de plein fouet par la RGPP. S’il est très bien d’en rouvrir six, c’est sans commune mesure avec la réalité des besoins de l’ensemble des territoires.
Je vous rappelle que la carte des sous-préfectures n’a pas été revue en profondeur depuis la réforme Poincaré de 1926, alors que les périmètres ont été modifiés, y compris ceux des collectivités territoriales. Il conviendrait de tenir compte de ces modifications, tout en garantissant l’autonomie et les moyens des sous-préfectures. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Kerrouche, j’ai beaucoup apprécié ce débat, et j’épargnerai aux sénateurs présents la poursuite de ce qui tourne, dans certains échanges, au dialogue de sourds. Moyens insuffisants, difficulté à compter les agents de l’État, brouillage de cartes, aucune évaluation ex post, politique comptable, etc. Mon intime conviction est totalement orthogonale avec vos propos.
J’essaye simplement de travailler. Peut-être le fais-je avec des « Oui-Oui territoriaux », comme vous les appelez, car j’ai beaucoup de mal à travailler avec des « ouin-ouin territoriaux ».
M. Roger Karoutchi. Ça, c’est sûr…
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. En France, le verre est toujours à moitié vide. S’il était plein, nos concitoyens seraient heureux, la France ne serait pas si clivée, elle ne compterait pas tant de citoyens et de parlementaires révoltés… Non, rien n’est parfait, cher monsieur. Oui, tout peut être amélioré. À cet égard, mon bureau vous est ouvert.
Seulement, je préfère travailler avec des personnes constructives, pour essayer de faire évoluer les choses, qu’avec d’autres qui ne font que pointer tout ce qui va mal, même si cela comporte des réalités que nous devons améliorer.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour la réplique.
M. Éric Kerrouche. Il est sûr qu’il est plus simple de ne travailler qu’avec des gens qui sont d’accord avec vous – c’est d’ailleurs ce que vous faites depuis longtemps –, mais cela peut être problématique. (M. Mathieu Darnaud s’amuse.)
J’entends ce que vous dites, madame la ministre, mais je me permettrai de reprendre les propos, très importants dans la méthodologie en sciences sociales, du sociologue Émile Durkheim, selon lequel les faits sont têtus. Ces faits, nous les avons pointés, Mme Canayer et moi-même, dans le rapport que nous avons rendu. Vous pouvez les contester et sélectionner les critères qui, a priori, vous satisfont, mais je ne pense pas que ce soit une bonne chose.
Par ailleurs, la question est non pas de savoir si nous sommes d’accord ou pas, mais de fixer un niveau d’exigence vis-à-vis de l’État territorial qui soit à la hauteur du rôle que celui-ci devrait remplir dans les territoires.
Vous affirmez avoir freiné les baisses d’effectifs depuis deux ans. Je vous rappelle qu’il s’agit d’un second quinquennat…
Notre objet est non pas de dire que tout va mal, madame la ministre, mais de regarder la vérité en face pour essayer de tracer un chemin à partir de celle-ci – et ce avec tout le monde, pas seulement ceux qui vous font plaisir politiquement.
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il faut feindre que tout change pour que rien ne change : je me permets d’emprunter cette fameuse réplique du Guépard, car elle me semble de circonstance, madame la ministre. En effet, j’ai le sentiment, au cours de nos débats sur la constitution de l’ANCT, les maisons France Services, la déconcentration de l’État, d’entendre toujours les mêmes intentions de la part du Gouvernement.
Pour couper court à une éventuelle réplique par laquelle vous m’opposeriez un manque d’objectivité, permettez-moi de prendre quelques exemples concrets, m’adossant en cela aux propos d’Éric Kerrouche selon lesquels les faits sont têtus.
Vous avez évoqué la réussite des maisons France Services. Nous ne la contestons pas. Je m’empresse simplement de vous dire, madame la ministre, que celles-ci remplacent des services de l’État que nous avons vus disparaître, notamment les trésoreries, parmi tant d’autres. Il s’agit donc non pas d’une offre nouvelle, mais d’une offre de substitution à des services qui existaient auparavant.
Vous avez également évoqué un réarmement de l’État territorial. Je vous invite, puisque vous êtes encline à vous déplacer – ce que je salue –, à venir dans mon beau département de l’Ardèche, où vous pourrez constater si les annonces faites par le Gouvernement ont été suivies d’effets. Le centre des impôts de Tournon-sur-Rhône devait accueillir 50 cadres de la DGFiP ; nous attendons toujours de voir arriver le premier d’entre eux.
Je vous invite donc à venir dans les sous-préfectures de Largentière ou de Tournon-sur-Rhône, où vous verrez que le réarmement dont l’État territorial a besoin, ce sont des moyens humains supplémentaires. Voilà ce que nous attendons de pied ferme.
Par ailleurs, vous affirmez œuvrer pour que l’ANCT nourrisse un lien de proximité avec les élus. Là encore, nous attendons ce rapprochement. Dans cet hémicycle, nous avons toujours fait preuve du plus grand pragmatisme. Lorsqu’il s’est agi de débattre sur la création de l’ANCT, nous avons appelé de nos vœux un état des lieux de l’ingénierie réelle sur les territoires. Pardon de vous dire que cela aussi, nous l’attendons toujours.
De même, nous attendons des actions qui sont mises en œuvre sur nos territoires, telles que Petites Villes de demain, que vous avez citée, qu’elles puissent apporter non seulement des moyens d’ingénierie, mais aussi des moyens financiers, faute de quoi les projets issus de cette ingénierie ne pourront pas être réalisés.
Enfin, et c’est le nœud du problème – le nœud gordien –, nous ne pourrons parler d’État territorial qu’en donnant aux préfets de département les moyens de coordonner l’action de l’État.
Permettez-moi, madame la ministre, de m’opposer sur deux points à vos propos.
Tout d’abord, je cherche encore le pouvoir dérogatoire des préfets auquel vous avez fait référence. Pour qu’il puisse voir le jour, il faudrait réformer la Constitution, et plus particulièrement son article 72. Vous affirmez que le préfet a pu coordonner l’action de l’État pendant la crise de la covid-19. Je prends à témoin les 35 000 maires de France, qui ont dû lire minutieusement les protocoles scolaires et sanitaires pour ouvrir ou fermer les écoles. Les préfets ont eu les plus grandes difficultés à agir pour interpeller les services de l’éducation nationale. Voilà la réalité, voilà le vécu des maires ! (Mme Agnès Canayer et M. Sébastien Meurant approuvent.)
Vous nous invitez à être pragmatiques ? Chiche ! Être pragmatique, c’est demander au Gouvernement de mettre en application ce qu’il nous promet. Lors de l’examen de la loi 3DS, dont nous étions rapporteurs, Françoise Gatel et moi-même, que n’avons-nous pas entendu de la part du Gouvernement qui s’engageait à déconcentrer, à réarmer, à renforcer les pouvoirs de coordination des préfets… Or les seules propositions à avoir connu une traduction pratique et législative sont celles qu’a faites le Sénat.
M. Mathieu Darnaud. Faire du préfet le délégué de l’office français de la biodiversité, c’est ici que cela a été décidé ! Mettre en place un pouvoir dérogatoire des préfets, c’est ici que nous l’avons voulu, même si nous l’attendons malheureusement encore. Voilà des mesures claires et pragmatiques, qui montrent que nous sommes prêts à avancer.
L’intitulé du débat nous invite à déterminer si l’État territorial est un mirage ou une réalité. Je suis un défenseur de l’État territorial, je pense donc que c’est une réalité ; en revanche, vos engagements sont souvent des mirages. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Sébastien Meurant. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Darnaud, je viendrai en Ardèche avant la fin du mois d’avril.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Mathieu Darnaud. Avec plaisir !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Voilà une première réponse positive. (Sourires à droite.)
Pour ce qui est de réarmer nos territoires, cela revient simplement à poursuivre ce que nous faisons. Ne pointons pas nos différences. Je vous ai donné des chiffres objectifs, que vous jugez insuffisants : nous y travaillerons ! Nous sommes tous convaincus que les services de l’État dans les régions peuvent être renforcés de manière à mieux travailler localement avec les élus.
J’ai rappelé ce que nous faisons en matière d’ingénierie : l’argent qui a été injecté et continue de l’être, les améliorations que nous allons apporter à l’ANCT sur la recommandation du Sénat, le programme en ingénierie dans les petits villages, etc. Je pense vous avoir rassuré sur le fait que nous sommes en train d’améliorer notre offre d’ingénierie.
En ce qui concerne le lien que vous faites avec l’investissement, peut-être vous projetez-vous déjà en 2024, auquel cas nous aurons le temps d’y travailler. Car, pour ce qui concerne l’année 2023, la DETR et la DSIL ont été abondées de 2 milliards d’euros de manière structurelle. À la DETR, qui a doublé ces dix dernières années, s’ajoutent les 2 milliards d’euros du fonds vert, ce qui revient à doubler encore cette dotation. Le fonds vert est certes orienté en priorité sur l’écologie et la transition énergétique, mais nous injectons tout de même 4 milliards d’euros pour donner suite aux travaux d’ingénierie que les maires conduiront avec le soutien de l’ANCT, que nous finançons en très grande partie.
Enfin, j’entends vos remarques sur le pouvoir dérogatoire des préfets, mais ceux-ci y ont tout de même recouru 350 fois depuis qu’ils en disposent. Vous considérez que c’est insuffisant ; pour ma part, je suis incapable de vous dire s’il faudrait qu’ils dérogent plus ou moins.
Par ailleurs, je partage vos propos sur les sujets éducatifs. Nous devons adapter aux territoires la politique publique que nous conduisons à l’échelle nationale, sous la houlette de Pap Ndiaye, avec qui je dois m’entretenir demain.
En conclusion, le pouvoir dérogatoire existe ; nous pouvons simplement appeler à ce qu’il soit quelque peu amplifié.
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour la réplique.
M. Mathieu Darnaud. Madame la ministre, je vous accueillerai avec plaisir dans le beau département de l’Ardèche et nous aurons l’occasion de poursuivre nos réflexions, notamment sur la DETR. Trop souvent, en effet, celle-ci vient compenser ce qu’un département comme le mien perd par exemple en matière d’accompagnement sur l’eau du fait du désengagement progressif des agences de l’eau – je ne doute d’ailleurs pas qu’il en sera de même pour le fonds vert.
Je tiens à concentrer mon propos sur la question des préfets et vous inviter, madame la ministre, comme vous l’avez fait à l’occasion de l’examen de la loi 3DS, à vous inspirer des travaux du Sénat, en particulier de l’excellent rapport d’information d’Agnès Canayer et d’Éric Kerrouche. Le tableau qui y est brossé correspond à une réalité et est le reflet des attentes de l’État territorial sur le territoire, mais plus encore des élus locaux qui attendent beaucoup de vous et, surtout, du concret.
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, mes premiers mots seront pour remercier Françoise Gatel, la très dynamique présidente de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. (Sourires.) Madame la sénatrice, c’est un vrai plaisir de travailler avec vous, vous êtes un véritable aiguillon, qui plus est un aiguillon constructif, à l’instar de la délégation dans son entier.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec beaucoup de sincérité que je vous remercie d’avoir inscrit ce débat sur le thème : « L’État territorial, entre mirage et réalité » à l’ordre du jour de vos travaux. Comme M. Jean-Claude Requier, je me suis moi aussi beaucoup intéressée à « l’esprit de la formule ». L’intitulé du débat qui a été retenu était riche de sens.
Certes, les discussions peuvent toujours être plus approfondies, encore plus nourries et ambitieuses, mais je me suis pliée avec beaucoup de plaisir à cet exercice, qui était une première pour moi.
J’ai pris beaucoup de notes, que je transmettrai à mon cabinet, et je vous confirme que nous travaillerons sur les axes d’amélioration que j’ai mentionnés.
Je vis comme un honneur d’avoir été invitée à ce débat autour de l’État territorial organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Vous connaissez ou, peut-être, découvrez mon attachement aux collectivités territoriales, à la ruralité, aux élus locaux, à l’initiative territoriale, mais aussi au débat parlementaire. Ce débat, j’espère que nous pourrons le renouveler à de nombreuses occasions dans les semaines et mois à venir, convaincue que c’est ainsi que nous trouverons les solutions les plus adaptées aux difficultés que rencontrent nos concitoyens.
Ce débat était aussi pour moi l’occasion de rappeler certains points de l’action du Gouvernement à destination des collectivités territoriales, auxquelles je suis tout particulièrement attachée. Il m’a également été permis de rappeler combien le travail accompli par les préfets, les sous-préfets, les services de l’État en région était efficace.
Notre pays, en raison du contexte international, est confronté à une inflation importante qui touche directement les collectivités, notamment dans leurs coûts de fonctionnement. Les mesures que nous avons prises dans le cadre de l’examen de la loi de finances pour 2023 visent à résoudre ces difficultés.
La prolongation du bouclier tarifaire, qui limite l’augmentation des coûts de l’énergie à 15 % dans les petites communes, la mise en place d’un amortisseur électrique grâce auquel l’État prend en charge 50 % des surcoûts au-delà d’un prix de référence de 325 euros par mégawattheure, la reconduction d’un filet de sécurité étendu à toutes les collectivités ou encore l’augmentation de la dotation globale de fonctionnement de 320 millions d’euros pour la première fois depuis treize ans sont autant de mesures qu’il était urgent et indispensable de prendre.
Pour moi, c’est peut-être ici même que résident les fondements de l’État territorial, dans sa capacité à accompagner chaque collectivité, à ne laisser aucun maire sur le bord de la route, en période de crise.
Cette présence bienveillante doit être en permanence renforcée et se mettre toujours plus au service des collectivités territoriales, qui sont, elles-mêmes, au service du bien commun et de nos concitoyens. Sur ce point, la volonté du Président de la République et du Gouvernement a été clairement affirmée et réaffirmée.
La réouverture de cinq sous-préfectures, la création d’une nouvelle sous-préfecture, le déploiement de 2 538 maisons France Services sur tout le territoire ou encore les mesures présentes dans la Lopmi, avec le déploiement de plus de 200 brigades de gendarmerie supplémentaires dans les territoires ruraux et périurbains, démontrent notre volonté de réimplanter l’État dans nos territoires.
La création de l’ANCT, voilà maintenant trois ans, marquait aussi la volonté forte du gouvernement précédent de rapprocher les moyens de l’État des collectivités territoriales. J’ai pris connaissance, avec attention, du rapport d’information du Sénat que vous m’avez remis hier : même s’il ne faut pas nier que des axes d’amélioration demeurent, l’existence même de cette jeune administration va dans le bon sens.
C’est pour cette raison que l’ANCT verra ses moyens en ingénierie doubler dans les territoires. Dès 2024, le marché de l’ingénierie sera par ailleurs déconcentré afin de rapprocher le processus décisionnel des territoires et les élus. Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, cette agence évolue, grandit et se rapproche des territoires.
Je conclus en ajoutant que l’État n’oublie pas le volet investissement pour les collectivités territoriales, notamment avec le fonds vert : 2 milliards d’euros supplémentaires seront à la main des préfets dès 2023.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, la réalité de l’État territorial, c’est un État qui accompagne, soutient et aide les collectivités territoriales au quotidien. Ne voyez pas dans mes propos un élan d’autosatisfaction : j’ai conscience des leviers qui restent à mobiliser, mais je voulais aussi souligner ce qui avait été fait – et bien fait.
Aussi, je mesure le chemin qu’il nous reste à parcourir ensemble, les difficultés que rencontrent nos collectivités et les défis qui se présentent à nous. Ce n’est qu’ensemble que nous parviendrons à progresser. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Je tiens à remercier l’ensemble de nos collègues présents aujourd’hui à l’occasion de ce débat : les questions étaient toutes extrêmement pertinentes. J’en profite pour adresser des remerciements particuliers aux membres de la délégation. Monsieur le président Requier, j’ai apprécié votre volonté de définir ce qu’était un débat et ce qui en constituait le sujet.
Madame la ministre, je vous le dis en toute amabilité et avec beaucoup de gentillesse, mais aussi avec ma franchise habituelle : un débat est un espace de discussion pour construire une réflexion sur un sujet et trouver des solutions. Ce n’est ni un grand oral ni un espace de justification. Il n’est en effet pas dans notre idée de faire un procès au Gouvernement ; notre souhait, c’est que la France marche et que les maires, qui portent de grandes responsabilités, puissent être accompagnés par l’État.
Madame la ministre, cela ne va peut-être pas vous plaire, mais, là encore, je vous le dis avec aménité. Certains ont parlé d’un après-midi de Oui-Oui ; pour ma part, ce n’est pas ce que j’ai ressenti. À certains moments, cela m’a plutôt fait penser à cette séquence que les jeunes ne connaissent pas où Georges Marchais, à un journaliste qui lui faisait remarquer : « Ce n’est pas la question qui vous a été posée », répondait : « Ce n’était peut-être pas votre question, mais c’est ma réponse ! »
Vous l’avez d’ailleurs souligné, madame la ministre, le rapport d’information d’Agnès Canayer et d’Éric Kerrouche va à l’essentiel. C’est un travail de fond, qui doit être considéré comme une contribution positive et rigoureuse à la réflexion que le Gouvernement mène – je ne doute pas de votre intention – et qui anime le Président de la République. Puissions-nous faire œuvre utile et avoir pour perspective de trouver des solutions. Je sais que c’est votre état d’esprit, madame la ministre, mais ce n’est pas ce que nous avons ressenti cet après-midi.
Il faut une exigence d’évaluation, cela a été rappelé. Il faut évaluer ce que l’on fait et il faut encourager les expérimentations. Je rejoins la position d’Agnès Canayer : un comptage ou un baromètre ne sont pas une évaluation. Peut-on avoir des évaluations qualitatives ?
Madame la ministre, nous l’avons dit d’emblée, et vous le savez : l’évaluation qui a été faite ou la mesure de la satisfaction ne doit pas concerner que les élus ; elle doit être élargie au corps préfectoral, qui est constitué de gens absolument remarquables.
Madame la ministre, je vous invite à participer aux états généraux de la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales, qui se tiendront le 16 mars prochain. Nous voulons travailler ensemble avec des engagements clairs, y compris du Gouvernement, sur une fabrique de la loi qui soit efficace et efficiente.
La différenciation, vous y croyez, madame la ministre. Moi aussi, j’y crois ! Le pouvoir réglementaire local appartient au préfet. Même si cela agace tout le monde, j’y reviens, car c’est un véritable problème : l’eau et l’assainissement ! Si nous en parlons encore, c’est bien que tout n’est pas réglé. Nous savons bien que l’eau n’a jamais coulé dans un périmètre administratif et nous ne disons pas que les communes doivent rester seules. Faisons en sorte de travailler à des solutions efficaces, car les Hautes-Alpes ne sont pas la Bretagne.
Madame la ministre, vous n’avez pas répondu à l’excellente recommandation du rattachement du préfet au Premier ministre. Pourtant, cela permettrait une unité de la voix de l’État : nous disposerions d’une chaîne de commandement et d’un chef d’orchestre, dont on a vu l’efficacité pendant la crise sanitaire.
Madame la ministre, je suis heureuse de ce temps de discussion. Pour autant, et ce n’est pas un grief personnel, car je sais votre volonté d’écouter et de comprendre, il faudrait que l’on reconnaisse que, lorsque les sénateurs s’expriment, ce n’est ni pour embêter le monde ni pour passer un après-midi récréatif.