M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Dossus, j’ai déjà en partie répondu à vos interrogations dans mes premières interventions.
Je ne partage évidemment pas votre point de vue sur le mirage que serait l’État territorial. Comme vous le savez, je me suis beaucoup rendue sur le terrain pendant six mois. En tant que secrétaire d’État à la ruralité, j’ai rencontré une quarantaine de préfets de département. Dire de ceux-ci et de leurs équipes qu’ils sont un mirage… Ils ne le prendraient pas très bien, alors qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes !
Je suis allée également à la rencontre des élus locaux – environ une soixantaine par département – à chacune de mes visites officielles. Je me suis jetée dans cette arène en sachant combien les élus locaux demandent plus de proximité et veulent être rassurés. Cette exigence me paraît totalement légitime – j’étais maire jusqu’au 7 juillet 2022.
Néanmoins, je ne puis pas vous laisser dire que l’État territorial est un mirage, parce que beaucoup de choses ont déjà été faites pour améliorer le dialogue et la proximité.
Aujourd’hui, la quasi-totalité du corps préfectoral et des services de l’État dans les régions sont aux côtés des élus locaux. Je vous le dis franchement, la première phrase – si ce n’est pas la première, c’est la deuxième ou la troisième ! – que tous les élus locaux me disent quand je les rencontre, c’est : « Je veux vous dire à quel point le préfet, ses services et le sous-préfet sont efficaces ».
S’il y a des territoires dans lesquels les services de l’État ne donnent pas satisfaction à nos élus, j’en suis extrêmement surprise. Cela peut toujours arriver de-ci de-là, mais on a globalement l’impression que les services de l’État sont aux côtés des élus, tout comme je le suis en tant que représentante du Gouvernement, même si j’évoque lors de mes déplacements des sujets contraignants, comme le zéro artificialisation nette (ZAN). Selon moi, l’État territorial n’est donc pas un mirage.
Vous appelez de vos vœux une meilleure prise en compte de la différenciation, qui nous tient à cœur et sur laquelle nous travaillons. Je pense à des lois passées, comme la loi Montagne, ou au pouvoir dérogatoire du préfet pour s’adapter à une situation sur le terrain.
De même, les caractéristiques de Lyon ont justifié la mise en place d’une organisation spécifique. Le Gouvernement, sous l’autorité de la Première ministre et du Président de la République, veut davantage de différenciation. Nous répondons donc favorablement à votre appel.
Pour conclure, vous avez évoqué les réformes. Oui, vous avez raison, il y en a eu beaucoup par le passé, mais elles se sont arrêtées. Nous sommes en phase de stabilisation.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il me semble que, en 2023, l’État territorial en France relève davantage de la réalité que du mirage. En effet, ces dernières années, nous avons assisté au réarmement de l’État dans les territoires, un réarmement concret et financier.
Sur le plan concret, tout d’abord, comment débattre de l’État territorial sans évoquer les 2 538 maisons France Services ? Elles représentent à mes yeux le symbole d’une proximité retrouvée, dans nos territoires ruraux, entre l’État et nos concitoyens.
Comme l’a souligné le récent rapport de notre collègue Bernard Delcros, l’intérêt du programme France Services est désormais indéniable. Il réside essentiellement dans la proximité et la dimension humaine de l’accompagnement apporté aux usagers, grâce aussi au déploiement de 4 000 conseillers numériques, à l’heure où le numérique exclut encore parfois une partie de la population de l’accès aux services publics.
Force est de constater que le réseau France Services est aujourd’hui salué par une majorité d’usagers et d’élus locaux. Pas moins de 93,4 % des usagers sont satisfaits de leur démarche dans ces espaces. Quant aux 520 élus locaux interrogés par la plateforme de consultation du Sénat, seuls 6,5 % d’entre eux considèrent que le dispositif n’est pas pertinent. Même certaines communautés de communes, pourtant réticentes en 2019 lorsque le réseau fut créé, ont pu constater que les espaces France Services répondaient aux besoins et aux attentes de la population.
Mes chers collègues, lors du lancement de l’agenda rural, le programme France Services était une priorité. Aujourd’hui, ses maisons sont une réalité et, surtout, le programme est un franc succès, à l’image de l’espace France Services de Die, dans mon département de la Drôme, qui enregistre 5 580 demandes annuelles, justifiant ainsi la demande d’une nouvelle labellisation dans le territoire du Diois.
Le renforcement de l’État territorial s’illustre également depuis ces dernières semaines dans certains territoires. Nantua dans l’Ain, Rochechouart en Haute-Vienne, Château-Gontier en Mayenne, Clamecy dans la Nièvre, Montdidier dans la Somme, Saint-Georges-de-l’Oyapock en Guyane : fin 2022, nous avons été témoins de la réouverture ou de la création de sous-préfectures en France.
Quand je parle du réarmement de l’État territorial, je pense également à la création de 200 brigades de gendarmerie prévue dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) promulguée en janvier 2023. La cartographie des implantations réalisée en lien avec les préfets et les collectivités sera d’ailleurs publiée très prochainement.
Je pense enfin à la relocalisation des services de la direction générale des finances publiques (DGFiP) dans 50 villes médianes sélectionnées depuis 2021. Nous avons pu en bénéficier dans la Drôme et en Ardèche – je salue au passage notre collègue Mathieu Darnaud. Autant d’exemples concrets qui montrent que l’État territorial est non plus un mirage, mais bel et bien une réalité perceptible et saluée.
Toutefois, comme chacune et chacun d’entre nous le sait, le réarmement de l’État territorial ne peut être complet que s’il est financé. Cette question est d’ailleurs un marronnier dans cet hémicycle !
Ainsi, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, la mission « Administration générale et territoriale de l’État », qui porte notamment les moyens du réseau préfectoral, des services placés sous l’autorité des préfets de région et des directions départementales interministérielles, a connu une hausse de crédits de 13,3 % par rapport à 2022. Une telle augmentation viendra renforcer de manière inédite les moyens et les effectifs de l’administration territoriale de l’État, à hauteur de 2,79 milliards d’euros.
Cette évolution met fin à plus de vingt années de réduction systématique des effectifs départementaux et – nous le souhaitons – à la lente érosion des liens entre l’État et ses citoyens.
Autre motif de satisfaction de ce budget : le nombre d’apprentis dans le réseau de l’administration territoriale devrait continuer à croître en 2023. Rappelons que 622 apprentis étaient présents dans ce réseau au 31 décembre 2021 ; ils étaient deux fois moins nombreux en 2020.
Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous avons assisté au rejet des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État » par le Sénat… Toujours est-il que l’État territorial dispose aujourd’hui de moyens financiers supplémentaires non négligeables. Et c’est ce choix budgétaire qui permet le déploiement concret du réarmement sur tous les territoires !
Cela étant, il reste encore beaucoup à faire, et de nombreux progrès peuvent être réalisés pour renforcer l’État territorial dans notre pays.
Que pourrions-nous améliorer ? Nous avons des marges de manœuvre en matière d’ingénierie de l’État. L’ANCT doit, je le crois, renforcer ses liens avec les élus.
En réponse à la remise du rapport d’évaluation de notre délégation, hier, vous avez, madame la ministre, souhaité un nouveau souffle pour l’ingénierie des collectivités, afin de faire de l’ANCT un interlocuteur de proximité et du quotidien pour les élus locaux. Comment ce nouveau souffle pourrait-il se concrétiser ?
Par ailleurs, l’efficacité est bien évidemment au cœur de la perception en matière de service public. Le baromètre de l’action publique a été une formidable création. Mais dans quelle mesure les citoyens se saisissent-ils de cet outil ? Comment pourrions-nous le développer ?
J’envisage enfin l’État territorial, qui est un vecteur de cohésion sociale, comme un État facilitateur, travaillant de manière complémentaire avec tous les acteurs locaux au service premier de nos administrés. Dans quelle mesure l’État territorial pourrait-il aller davantage vers ces derniers ?
Ce sont autant de réflexions que je souhaitais partager avec vous à l’occasion de ce débat, mes chers collègues, et qui rappellent que l’État territorial n’est ni un mirage ni une chimère : il est bel et bien une réalité, dont nous devons renforcer l’existence. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Buis, vous avez abordé plusieurs sujets.
Je serai très rapide s’agissant de l’ANCT, que j’ai déjà évoquée et sur laquelle je reviendrai encore. Je ferai seulement un zoom sur la question de l’ingénierie.
L’ANCT est un outil d’ingénierie dans les territoires. Afin de compléter son dispositif, nous travaillons à l’heure actuelle sur un programme qui permettrait d’accompagner les petites communes, citées par M. Dossus comme des collectivités requérant une grande attention.
Par ailleurs, vous avez souligné combien les maisons France Services sont utiles et à quel point elles permettent de descendre par capillarité dans nos territoires, avec les 2 600 espaces France Services. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous devez faire savoir qu’il reste 200 maisons France Services à déployer, si possible avec des véhicules. Car un véhicule permet de couvrir une dizaine de villages, ce qui est extrêmement précieux.
Monsieur Buis, vous l’avez dit, le renforcement et le réarmement de l’État territorial passent par des moyens humains ; j’ai largement développé ce point. Mais il passe aussi par des budgets, qui ont été votés, comme vous l’avez rappelé, en augmentation pour la première fois de plus de 13 %.
Je conclurai mon propos avec le baromètre des résultats de l’action publique, que vous avez évoqué. Le Président de la République a souhaité mettre en place dès 2021 cet outil, qui porte en son sein des objectifs et une évaluation que vous appelez tous de vos vœux et qui sont pour nous extrêmement importants.
Ce baromètre présente aux Français pour chaque politique des indicateurs chiffrés, précis, déclinés pour les 101 départements de métropole et d’outre-mer, qui portent sur la situation initiale, en 2017 ou à la date de lancement d’une réforme, sur le niveau d’avancement et sur l’objectif que nous visons pour 2022.
Depuis sa mise en ligne, il a reçu 2,12 millions de visites, avec en moyenne 90 000 visites par mois : c’est dire à quel point il est utile.
Vous me demandez s’il sera pérennisé, comme vous le souhaitez. La réponse est oui, monsieur le sénateur, et nous le renforçons même en l’étendant à 60 politiques prioritaires du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour la réplique.
M. Bernard Buis. Je vous remercie, madame la ministre, des précisions que vous avez apportées sur le baromètre de l’action publique et sur le développement de l’ANCT dans les petites collectivités.
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au travers de la loi relative à l’administration territoriale de la République, dite loi ATR, on retrouve le lien de l’État territorial, entre l’État et ses services déconcentrés, d’une part, et les collectivités territoriales, d’autre part. Mais comment définir cet État territorial ?
Nous pourrions évoquer les services rendus par l’État au travers de ses missions, les services publics et les services au public.
Les réformes de l’État territorial résultent de la sédimentation de phases de la décentralisation. Elles se sont enchaînées ces dernières années, en dépit de l’intention louable d’améliorer le fonctionnement des services pour répondre au mieux à la demande d’État dans les territoires.
Force est de constater que le compte n’y est pas et que le résultat est perfectible. C’est notamment le cas au regard de la baisse des moyens de l’État dans les territoires, trop souvent prélude d’une dégradation à bas bruit de l’offre de services publics. S’y ajoute l’extrême difficulté qu’éprouvent les élus locaux à identifier le bon interlocuteur dans les méandres de l’administration territoriale.
Les conséquences de ces réformes, systématiquement dépourvues d’évaluation, ont ainsi fini par jeter le trouble, tant chez les élus locaux que chez les agents de l’État eux-mêmes.
Nous avons perdu le lien entre les élus et les services déconcentrés de l’État, qui ne s’y retrouvent plus.
À la faveur, si je puis dire, de la crise de la covid-19, le couple maire-préfet a été remis en lumière, mais il n’est pas superfétatoire de s’interroger sur son efficacité.
Tous deux représentants de l’État et dotés de la compétence générale, ils incarnent la République dans les territoires. Le maire et le préfet coproduisent l’action publique au quotidien. Le préfet est le représentant à la fois du Gouvernement, de l’État et du territoire qu’il administre. C’est dans le savant dosage entre ces trois fonctions qu’il doit être jugé. De fait, une étroite collaboration entre élus et préfet est nécessaire, mais à quel prix ?
Les communes gèrent de plus en plus de compétences pour lesquelles elles ne disposent pas de moyens affectés. Malheureusement, ces charges nouvelles sont loin d’être compensées par un État qui, tout en déléguant de plus en plus ses pouvoirs, continue à vouloir les contrôler à distance.
Par ailleurs, le processus d’érosion de la fiscalité locale se poursuit.
À la suite de la suppression de la taxe professionnelle et de la taxe d’habitation, couplée à une baisse des impôts de production, les collectivités semblent frappées par une recentralisation rampante de leurs ressources.
Symbole des relations orageuses entre le président Macron et les maires, la suppression de la taxe d’habitation a été vécue comme injuste et inique par la plupart de nos élus locaux. Je rappelle que cette suppression aura eu pour effet de faire passer de 54 % à 35 % le taux d’autonomie financière des intercommunalités.
Cette réforme ne trahissait que trop bien la vision du candidat Macron, qui n’a jamais caché le peu d’intérêt qu’il portait à l’autonomie fiscale. Selon lui, il s’agissait d’un combat d’arrière-garde au regard de plusieurs exemples européens où l’absence de fiscalité propre n’empêche pas les collectivités d’être puissantes.
Pour ma part, je crois sincèrement qu’il n’y a pas de pouvoir politique sans pouvoir fiscal. Avec les réformes mises en œuvre ces dernières années, le Gouvernement considère les collectivités territoriales comme des sous-traitants de l’État. J’en veux pour preuve le basculement systématique de leurs ressources vers des dotations dont une partie est indexée sur le produit d’impôts nationaux.
De fait, nos collectivités sont placées à la merci du Gouvernement, qui peut modifier comme bon lui semble les dotations et compensations en loi de finances.
Soyons honnêtes : dans cette affaire, en réalité, c’est la pensée dominante de Bercy qui l’a emporté, cette vieille idée tenace qui anime souvent la haute administration française et selon laquelle l’autonomie fiscale locale ne serait pas souhaitable, car les élus locaux ne sauraient pas gérer les finances publiques.
Aussi, madame la ministre, comment penser un État territorial qui ne soit pas un mirage ? On ne peut parler d’État territorial sans lui octroyer les leviers financiers autonomes qui lui permettraient d’administrer ce même territoire !
Sans changement de doctrine de la part du Gouvernement, pensez-vous, madame la ministre, que l’idée d’État territorial ait encore un sens girondin ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Cozic, vous abordez le sujet de l’autonomie des collectivités.
Je ne partage évidemment pas votre analyse de la situation : je pense au contraire qu’il faut tordre le cou à l’idée d’une perte d’autonomie financière des collectivités. En effet, celle-ci a augmenté en vingt ans. (Marques d’étonnement sur les travées du groupe SER.)
Ainsi, le taux d’autonomie financière s’est accru de dix points pour le bloc communal ; entre 2003 et 2020, il est passé de 59 % à 75 % pour les départements et de 41,7 % à 73,9 % pour les régions. Ce n’est pas le lieu de développer ces chiffres, mais je me tiens très sincèrement à votre disposition, monsieur le sénateur, pour approfondir ce sujet et partager nos analyses.
Ensuite, il y a eu des suppressions d’impôt. Il faut s’en réjouir, et le Gouvernement les assume pleinement : la suppression de la taxe d’habitation, c’est plus de pouvoir d’achat pour les Français ; la fin de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), c’est plus de compétitivité pour nos entreprises. Oui, ce sont des marqueurs de notre gouvernement !
Je ne puis donc pas partager votre sentiment quand vous dénoncez le peu d’intérêt que le président Macron accorderait à l’autonomie des collectivités locales. Sur ce point, je ne suis pas d’accord !
En revanche, je veux souligner l’intensité de son intérêt pour la suppression des impôts.
M. Éric Kerrouche. Ah, ça !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. La compensation de ces suppressions d’impôts est un sujet qui nous préoccupe tous, notamment les élus locaux parmi nous.
Vous estimez que l’autonomie des collectivités est compromise ; je comprends parfaitement votre analyse, mais nous pensons pour notre part qu’elle a été prise en compte et préservée grâce à la compensation des suppressions d’impôts locaux, car les recettes fiscales perdues ont été remplacées par d’autres recettes fiscales du même montant et de même nature.
M. Éric Kerrouche. Pas de même nature !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Je vous propose donc, monsieur le sénateur, pour ne pas être trop longue, d’approfondir avec vous ce sujet un peu technique, à votre convenance.
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour la réplique.
M. Thierry Cozic. Madame la ministre, vous l’avez dit : nous ne pouvons pas être d’accord.
J’entends bien toutes les données que vous avez présentées, notamment sur l’autonomie du bloc communal, des départements et des régions ; pour ma part, je vous ai cité la perte d’autonomie subie par le bloc intercommunal. Il faudra donc que nous croisions nos chiffres, parce que nous n’avons pas les mêmes résultats.
En ce qui concerne la suppression de la taxe d’habitation, certes, je ne conteste pas la volonté du Gouvernement de supprimer les impôts pour donner du pouvoir d’achat… Pourquoi pas, si tel est votre souhait, mais il faut aussi considérer comment nos enfants et nos petits-enfants devront assumer la gestion de la dette qui s’accumule aujourd’hui ; il faut savoir comment on finance tout cela.
En outre, j’ai le sentiment que cette réforme se fait, aujourd’hui, au profit d’une classe très aisée, plutôt qu’en faveur des gens qui ont un peu moins de moyens.
Enfin, madame la ministre, supprimer ce lien entre le citoyen et la commune était selon moi une erreur.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation n’a cessé de travailler et d’auditionner des acteurs et des associations pour trouver des réponses à ses questions, qui ne datent pas d’aujourd’hui, sur la place de l’État territorial, sur sa présence et sur son action au sein de notre République.
Cet État territorial est encore trop absent, trop observateur, trop loin des réalités de nos collectivités et des demandes de nos habitants.
Madame la ministre, l’État doit s’appuyer sur ses services déconcentrés en leur donnant les moyens d’agir ; c’est uniquement de cette manière que l’administration territoriale de la République pourra assurer sa mission de service public auprès de celles et ceux qui en ont besoin au quotidien.
Or, à coups de réformes successives, vous avez éloigné l’État de nos territoires, de nos collectivités territoriales. Cela fait plus de dix ans que l’État se désengage, à coups de fermetures de services préfectoraux et de baisses budgétaires qui ont des conséquences drastiques sur la gestion quotidienne au sein des services déconcentrés de l’État.
Alors, oui, la réalité est celle-ci : l’égalité républicaine promise par l’État est une illusion, un mirage. Pourquoi un désengagement si fort de l’État ?
Ce sont, comme trop souvent, les collectivités territoriales qui subissent cet entassement des réformes, souvent sans les ressources ni l’ingénierie nécessaire.
Il y a quelques mois encore, nous étions interpellés par les maires de nos départements concernant les demandes de passeport et de carte d’identité nationale : les administrations ne disposaient pas des moyens humains et financiers requis pour assurer ce service public, sans compter les délais de traitement allongés en préfecture pour les mêmes raisons.
Je ne vous parle même pas de celles et ceux qui ont besoin de renouveler leur titre de séjour pour continuer de travailler, pour obtenir un emploi ou pour se loger dignement. Les files d’attente, dès six heures du matin, n’en finissent pas dans les préfectures ; voilà la réalité de l’État territorial !
J’aimerais m’arrêter, mais la réalité nous rattrape. Aussi, pour compenser le manque de moyens, on privilégie la déshumanisation, avec la forte dématérialisation qui affecte le service public.
Prenons l’exemple des maisons France Services, qui ont été créées pour accompagner cette dématérialisation, mais qui sont confrontées à des obstacles : les liens sont rompus avec l’administration, les agents n’ont pas la formation adéquate et, de ce fait, ne peuvent garantir aux usagers un service public à la hauteur. Un maire sur deux d’une commune de moins de 1 000 habitants estime que l’offre de services publics sur son territoire est défaillante.
La crise sanitaire a témoigné de l’importance, voire de la nécessité, d’associer les élus locaux aux décisions qui affectent les collectivités territoriales. De ce fait, le lien avec les représentants de l’État, les préfets, est plus que jamais nécessaire. La place du préfet de département et du sous-préfet d’arrondissement est importante. Le couple maire-préfet doit vraiment exister.
Or, aujourd’hui, quatre élus locaux sur cinq estiment ne pas avoir été suffisamment associés aux différentes réformes des services déconcentrés de l’État. Celui-ci doit mettre à la disposition des élus locaux une ingénierie efficace et efficiente, afin de les accompagner au quotidien, notamment pour les grands projets.
Durant l’examen du projet de loi de finances pour 2023, nous avons défendu cette volonté de transparence, notamment dans l’attribution de subventions de l’État au travers de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et de la DSIL.
Il faut rendre visibles les critères, instaurer des commissions qui expliqueraient chaque projet et motiveraient les refus. Pour bénéficier du fonds vert, les élus locaux doivent pouvoir compter sur le préfet, qui jugera si le projet s’inscrit bien dans une démarche écologique. Encore une fois, un travail en amont d’échanges et de concertation entre les élus locaux et le préfet sera indispensable.
Madame la ministre, les politiques et les réformes imposées par le haut ne permettront pas à l’État territorial d’exister et de jouer le rôle qu’on lui demande, à savoir assurer une mission de service public auprès de nos territoires et de leurs habitants.
Il faut que le préfet soit identifié et à l’écoute de celles et de ceux qui occupent le terrain au quotidien. Il faut que les moyens alloués soient à la hauteur des besoins. Il faut aussi de l’horizontalité dans la pratique, pour que nos territoires soient réellement « réarmés », comme le souhaitait l’ancien Premier ministre Jean Castex.
Aussi, madame la ministre, je vous interroge : comment comptez-vous renouer ce lien rompu entre l’État et ses territoires ? Prendrez-vous en considération les réflexions menées au sein de notre délégation ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Gréaume, vous employez des termes forts, comme « désengagement » ou « déshumanisation ». Bien sûr, je ne les partage pas. J’espère que ce n’est qu’une perception et que les actions que nous conduisons la dissiperont.
Je veux vous apporter quelques éléments de réponse et vous offrir des éclairages complémentaires de ceux que j’ai déjà donnés.
Les maisons France Services, accompagnées des conseillers numériques, sont tout sauf de la déshumanisation. De tels lieux n’avaient jamais existé au cours des cinquante dernières années, voire dans toute l’histoire de la République : il y a 2 600 MFS, dans lesquelles des conseillers numériques renseignent les citoyens et les accompagnent pour neuf services d’État. Le dispositif est mis en place avec les collectivités territoriales, pour être au plus près du citoyen ; l’État en finance entre la moitié et les deux tiers.
En revanche, vous avez raison concernant les services aux étrangers : c’est pourquoi l’État entreprend, depuis plusieurs mois déjà, un effort continu pour réarmer ces services.
Le nombre d’agents qui leur sont affectés a augmenté de 63 % en douze ans, pour répondre à l’urgence et favoriser un service de qualité à l’usager. Mais, vous le savez comme moi, le contexte de crise géopolitique et migratoire que nous connaissons ces dernières années a entraîné une augmentation significative de la charge qui pèse sur ces services, notamment en matière de séjour et d’asile.
On pourrait donc encore mieux faire, comme je le rappelle toujours, mais je suis là pour vous rappeler ce qui est déjà fait et saluer le travail remarquable accompli dans nos départements par nos préfets, nos sous-préfets et nos secrétaires généraux de préfecture.
Parallèlement, la dématérialisation des démarches administratives des étrangers, au travers de l’administration numérique pour les étrangers en France (Anef), devrait permettre, à terme, d’alléger la charge des services préfectoraux qui leur sont dédiés et de gagner en efficacité et en qualité de service vis-à-vis de ces étrangers.