Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, M. Loïc Hervé.
3. Modification de l’ordre du jour
4. Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Adoption, par scrutin public solennel n° 113, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard
5. PLUi de la Communauté de communes du Bas-Chablais. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Cyril Pellevat, auteur de la proposition de loi
Mme Martine Berthet, rapporteure de la commission des affaires économiques
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de M. Daniel Salmon. – Rejet par scrutin public n° 114.
Adoption de l’article.
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 2 de M. Daniel Salmon. – Rejet.
Adoption, par scrutin public n° 115, de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
6. Protection des épargnants. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Albéric de Montgolfier, auteur de la proposition de loi
M. Jean-François Husson, rapporteur de la commission des finances
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 35 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Amendement n° 34 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Amendement n° 48 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 19 de M. Pascal Savoldelli. – Devenu sans objet.
Amendement n° 30 du Gouvernement. – Devenu sans objet.
Amendement n° 31 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 45 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 32 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 24 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 49 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 33 rectifié de M. Hervé Maurey. – Adoption.
Amendement n° 50 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 51 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 20 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article 5 bis (nouveau) – Adoption.
Amendement n° 52 de la commission. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 21 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Amendement n° 4 rectifié de Mme Christine Lavarde. – Retrait.
Amendement n° 12 de M. Michel Canévet. – Retrait.
Amendement n° 6 rectifié bis de Mme Vanina Paoli-Gagin. – Retrait.
Amendement n° 3 rectifié de Mme Christine Lavarde. – Retrait.
Amendement n° 29 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 18 de Mme Catherine Procaccia. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article 7 bis (nouveau) – Adoption.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
7. Candidature à une commission d’enquête
8. Mises au point au sujet de votes
9. Protection des épargnants. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Amendement n° 27 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 7 rectifié de Mme Vanina Paoli-Gagin. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 42 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 54 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 8 rectifié de Mme Vanina Paoli-Gagin. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 15 rectifié de M. Michel Canévet. – Non soutenu.
Amendement n° 13 de M. Michel Canévet. – Rejet.
Amendement n° 14 de M. Michel Canévet. – Rejet.
Amendement n° 9 rectifié ter de Mme Vanina Paoli-Gagin. – Rejet.
Amendement n° 55 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles 14 à 17 (nouveaux) – Adoption.
Amendement n° 25 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
10. Protéger les logements contre l’occupation illicite. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 61 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 15 de M. François Patriat. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
11. Ordre du jour
Nomination d’un membre d’une commission d’enquête
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
M. Loïc Hervé.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 25 janvier 2023 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Hommage à Jacques Bloch
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, avant d’aborder notre ordre du jour, je souhaite saluer la mémoire d’un grand résistant, qui fut aussi un fonctionnaire exemplaire de notre institution : Jacques Bloch, directeur honoraire du service des commissions du Sénat, nous a quittés le 28 janvier dernier. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques, se lèvent.)
Né dans une famille qui avait quitté l’Alsace-Lorraine pour rester française, il était entré dans la Résistance à l’âge de 20 ans, jouant un rôle de premier plan dans la libération, notamment, de Guéret. Grièvement blessé, il fut capturé, livré à la Gestapo et torturé, avant d’être déporté à Buchenwald.
Parvenant à s’échapper, il put rejoindre les forces armées américaines et revenir en France.
Intégré au Conseil de la République dès 1946, il servit l’administration sénatoriale pendant plus de quarante ans, jusqu’en 1990, recueillant les éloges unanimes de nos prédécesseurs et de ses collègues pour son dévouement et la qualité de son travail.
Pour ses actes d’héroïsme, Jacques Bloch fut nommé commandeur de l’ordre de la Légion d’honneur par décret du général de Gaulle.
Je le revois, à la cérémonie aux plaques du 11 novembre, à laquelle il prit part jusqu’en 2020. Petite silhouette avec un bras en partie amputé à la suite des séances de torture qu’il avait subies, il se faisait un point d’honneur de participer fidèlement à cette commémoration.
Au nom du Sénat tout entier, je rends hommage à la mémoire d’un homme qui incarnera à tout jamais le courage et l’abnégation au service de la France et des valeurs que nous portons ensemble, dans notre diversité. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques, observent un moment de recueillement.)
3
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, au regard du nombre d’amendements déposés sur les textes inscrits à l’ordre du jour de cet après-midi, et en accord avec le Gouvernement et les commissions concernées, nous pourrions, d’une part, reporter à demain soir, mercredi 1er février, l’examen de la proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses, initialement prévu en dernier point de notre ordre du jour de la journée, et, d’autre part, ouvrir la nuit de notre séance d’aujourd’hui et prévoir une suite éventuelle de l’examen de la proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite le jeudi 2 février après-midi, à l’issue de l’espace réservé au groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, et éventuellement le soir.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
4
Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (projet n° 220, texte de la commission n° 249, rapport n° 248, avis nos 246 et 247).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. En cas de difficulté, vous pouvez demander de l’aide aux huissiers.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote. Le temps de parole imparti est de sept minutes pour chaque groupe et de trois minutes pour un sénateur n’appartenant à aucun groupe.
Vote sur l’ensemble
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 26 juillet 2024, la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques et Paralympiques marquera le début d’une grande fête populaire célébrée dans tous les territoires, ruraux comme urbains. Tous les Français seront au rendez-vous et ils ne seront pas les seuls. Plus de 4 000 athlètes paralympiques et 10 500 athlètes olympiques s’affronteront devant 4 milliards de téléspectateurs.
Au-delà de son ampleur et de l’attente qu’il suscite, cet événement est inédit à plus d’un titre.
Inédit, il l’est d’abord par l’immense défi que représente une cérémonie d’ouverture en plein air.
Il l’est ensuite par son exemplarité écologique, puisque nous accueillerons les premiers jeux alignés avec les objectifs de l’accord de Paris.
Il l’est enfin par son exemplarité en matière de parité et d’inclusion. Déjà, en 1924, les jeux Olympiques de Paris marquaient l’Histoire en ouvrant pour la première fois leurs portes aux athlètes féminines. Cent ans plus tard, la France se démarque encore en organisant les premiers Jeux strictement paritaires.
Je souhaite également adresser un clin d’œil aux Phryges, nos deux mascottes. Pour la première fois, les mascottes olympiques et paralympiques sont identiques, avec une prothèse visible pour la seconde. Cela n’a rien d’anodin.
Nous aurons beaucoup de joie et d’émotion à accueillir pour la première fois en France ces jeux Paralympiques, et à admirer les athlètes concourir au Grand Palais pour l’escrime-fauteuil, au château de Versailles pour les épreuves de para-équitation, ou encore au Champ-de-Mars pour le rugby-fauteuil.
En amont des Jeux, ce texte propose de nouvelles dispositions en matière de lutte contre le dopage, de sécurité, d’adaptation à l’outre-mer, ainsi que des mesures sanitaires. Par ces ajustements techniques, nous rendons notre droit conforme aux exigences du Comité international olympique (CIO). Les ajouts du Sénat vont dans le bon sens et permettent d’apporter quelques précisions nécessaires. Nous pouvons nous en féliciter.
Dans le cadre de la lutte contre le dopage, le Sénat a favorisé la collaboration entre l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) et la cellule de renseignement financier nationale (Tracfin).
Nous avons aussi pérennisé la possibilité de procéder à des tests génétiques. C’est une bonne chose, car nous devons adapter nos méthodes de détection aux pratiques dopantes, qui rivalisent d’innovation. Ainsi, nous identifierons plus facilement ceux qui oseraient briser le serment olympique.
Le Sénat a voté plusieurs mesures de simplification.
Parmi elles, citons la facilitation de l’accès aux autorisations de stationnement spécifiques pour les taxis accessibles aux personnes à mobilité réduite. Il est essentiel d’être particulièrement exigeant sur cette question de l’accessibilité des équipements et des épreuves.
Le Sénat a également simplifié la procédure permettant de déroger au repos dominical. Cette adaptation temporaire du droit du travail permettra aux commerces concernés de bénéficier pleinement de l’afflux de visiteurs.
Durant les prochains mois, la France va accueillir plusieurs événements de grande ampleur. Les jeux Olympiques et Paralympiques seront parmi les plus regardés. Pour l’image de notre pays, mais aussi et surtout pour nos concitoyens et les visiteurs, nous devons nous assurer qu’ils se déroulent en toute sécurité.
Nos forces de l’ordre sont pleinement mobilisées dans la préparation des Jeux. Elles auront besoin de renforts. La sécurité privée constituera à cet égard un atout précieux.
Au-delà de la mise en place d’effectifs suffisants, il nous semble nécessaire que ceux qui nous protègent puissent utiliser les meilleurs outils. Le traitement algorithmique de la vidéoprotection a suscité beaucoup de débats. Nous pensons qu’il constitue une avancée majeure pour la détection des troubles à l’ordre public, que ce soient des mouvements de foules ou des menaces terroristes.
Comme toute technologie, il est néanmoins nécessaire d’encadrer strictement son utilisation pour protéger au mieux les libertés individuelles de nos concitoyens. Nous nous félicitons ainsi que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) soit étroitement associée à son développement.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Dany Wattebled. Par ailleurs, le texte renforce également les sanctions concernant les intrusions dans les stades.
Nous saluons ces mesures : il faut cesser d’instrumentaliser le sport à des fins politiques. C’est un espace de rassemblement où il faut mettre en avant ce qui nous rapproche plutôt que ce qui nous divise.
La modification au Sénat de l’intitulé du texte, désormais plus ouvert, permet de rendre compte de la diversité des dispositions prévues pour permettre aux Jeux de se dérouler dans de très bonnes conditions.
Enfin, si les Jeux en eux-mêmes représentent un événement majeur que nous sommes fiers d’accueillir, il est essentiel de préparer la suite. La politique d’héritage et sa durabilité dans le temps sont essentielles. Quelle meilleure occasion que ces Jeux pour faire de la France une nation sportive ?
Madame la ministre, l’activité physique et sportive a été érigée grande cause nationale en 2024. J’en suis heureux pour nos jeunes, pour qui l’augmentation du temps dédié au sport dans les écoles primaires et les collèges, mais aussi la reconduction du Pass’Sport, sont d’excellentes nouvelles.
J’en suis également heureux pour les moins jeunes, si j’ose dire, car nous connaissons les vertus de la pratique sportive pour la santé. En 1924, la France avait remporté trente-huit médailles, dont treize en or. En 2024, nous sommes certains que nos athlètes olympiques et paralympiques représenteront fièrement nos couleurs. C’est avec confiance que nous pouvons leur adresser nos encouragements pour les derniers mois de préparation.
Les jeux Olympiques ne sont pas seulement des compétitions sportives. Ce sont aussi des temps de fraternité, d’échanges et de découverte, ainsi que d’émerveillement. Nous devons relever ce grand défi ensemble. Aussi, le groupe Les Indépendants votera ce texte et appelle à la mobilisation de tous pour célébrer ensemble le sport, ses valeurs et ses adeptes dans les meilleures conditions. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Emmanuel Capus. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les semaines, les mois passent, sans que jamais retombe l’envolée sécuritaire de ce gouvernement.
L’examen en séance du texte a mis au jour les réelles motivations derrière ce véhicule législatif, dont le but n’est pas tant l’adaptation de certaines de nos règles pour un déroulement serein des épreuves des jeux Olympiques que, essentiellement, la mise en œuvre de nouveaux outils sécuritaires confirmant la dérive de ce gouvernement vers une société de surveillance.
Notre groupe, par la voix, notamment, de mon collègue Thomas Dossus, s’est interrogé avec cohérence et sincérité : quel est le cœur de ce projet de loi ?
S’agit-il d’une mise en concordance du droit de la santé pour la lutte contre le dopage ? S’agit-il d’une réécriture du code de l’urbanisme pour le développement futur du sport dans nos territoires, et ce dès les Jeux ?
Non, il n’en est rien.
Nous aurions pu être à vos côtés, madame la ministre, pour soutenir les fédérations et le sport, amateur comme professionnel, qui voient dans les JO l’occasion d’accélérer la pratique sportive dans toute sa diversité.
Nous aurions aussi aimé débattre sérieusement de l’impact de cet événement sur notre tissu de festivals et de manifestations culturelles, des surcoûts et des difficultés pour les organisateurs ou les collectivités, de l’utilisation culturelle, sportive, environnementale de l’exposition offerte à notre Nation par cette vitrine ouverte sur le monde.
En fait de vitrine, nous aurons plutôt une France sous cloche, comme le craint ma collègue Monique de Marco. Les autres activités continueront pendant ces Jeux et la sécurisation des autres manifestations souffrira de risques liés à la précipitation et aux formations insuffisantes, ainsi que d’un surcoût pour les organisateurs.
Qu’il est étrange ce texte centré sur les jeux Olympiques et Paralympiques, mais qui compte plus de 80 % de mesures pérennes ! En effet, l’un des aspects les plus remarquables des articles votés, c’est la mise en œuvre sur un temps long de mesures censées n’être nécessaires que pour le bon déroulement des Jeux.
Ce texte va en effet bien plus loin que l’organisation des Jeux. Qu’en est-il donc de ce cheval de Troie sécuritaire ?
Notre groupe regrette une nouvelle fois une vision débridée et si éloignée des valeurs de l’olympisme.
Le caractère disproportionné des mesures pour la sécurité cache de réelles atteintes aux droits des personnes, qui s’inscrivent bien au-delà de la période olympique.
J’ai évoqué cette vision sécuritaire. Le recours massif et presque indifférencié à la vidéosurveillance augmentée soulève de nombreuses questions : durée et finalité de cette expérimentation ; avenir des apprentissages de ces machines ; contrôle des mécanismes algorithmiques dangereux ; potentielle mise à disposition pour d’autres opérateurs non nationaux, plus ou moins respectueux des droits de leurs citoyens.
La Cnil, dans une analyse plus que prudente de ces technologies, précise que celles-ci sont susceptibles d’affecter les garanties fondamentales apportées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques.
C’est bien une vision sécuritaire technologique qui se dévoile. Nous la jugeons d’autant plus néfaste et inefficace qu’elle ne tient pas compte des contraintes du terrain. Ainsi, le recrutement et la formation des agents de sécurité n’ont pas été anticipés. Nous allons manquer de personnels, publics et privés. Le recours à l’armée, madame la ministre, ne va pas tarder à être annoncé.
La Cour des comptes estime qu’il faudrait employer de 22 000 à 33 000 agents de sécurité privée par jour pour véritablement sécuriser l’ensemble des épreuves. Ces chiffres dépassent largement les capacités disponibles dans les entreprises de la région et du pays.
Les craintes de voir sur le terrain des gens peu formés faire face à des événements d’une telle ampleur laissent inévitablement ressurgir le spectre du fiasco du Stade de France. En même temps, il est difficile de retenir des leçons d’un événement que le Gouvernement a toujours considéré comme bien préparé et bien géré. Ce déni coupable ne doit pas occulter le besoin de questionner et de faire progresser les techniques du maintien de l’ordre et de la gestion des flux de population dans notre pays.
Au-delà des craintes que nous inspire la mise en place de mesures de sécurité disproportionnées, ce texte laisse planer le doute quant à une explosion des coûts comparable à celle de Londres.
Le Gouvernement ne souhaite pas s’attarder sur le triste héritage financier et budgétaire que pourraient laisser les jeux Olympiques et Paralympiques. Le dernier rapport de la Cour des comptes lance pourtant clairement l’alerte sur un budget qui n’est toujours pas précisément établi et connu. On nous dit que c’est pour bientôt…
Par ailleurs, rien ne rassure vraiment les collectivités hôtes d’événements sur les garanties financières que devrait leur apporter l’État.
Il est également regrettable que les collectivités qui se sont engagées pleinement dans le projet olympique soient mises de côté sur des sujets pratiques. Nous avions ainsi proposé qu’elles se voient confier l’exercice temporaire de pouvoirs de police de la circulation et du stationnement, ce qui permettrait de limiter l’impact environnemental des Jeux.
Ce dernier point avait d’ailleurs été annoncé comme étant le cheval de bataille de ce gouvernement, mais nous ne comptons plus les engagements pris en la matière depuis six ans par Emmanuel Macron et ses gouvernements qui n’ont pas été suivis d’effets. Ces enjeux sont pourtant vitaux.
Il y aura aussi un impact sur la qualité de vie des riverains des Jeux, qui ne sont même pas sûrs de pouvoir participer à cette fête, et qui devront subir l’invasion de la publicité dans un cadre anormalement dérogatoire aux règles de droit commun en vigueur.
Les entreprises partenaires sont ainsi autorisées à afficher leur communication sur les monuments historiques, les espaces naturels et à peu près tous les éléments qui leur conviennent dans un périmètre de 500 mètres autour de chaque site olympique. Certains de ces partenaires pourront faire feu de tout bois, alors qu’ils sont notoirement connus pour leurs activités néfastes à l’environnement et concourant au dérèglement climatique.
Dans ces conditions, aurons-nous vraiment des Jeux pour l’environnement ?
Ces affichages, qui participent d’une incitation à un consumérisme débridé, ont des conséquences environnementales que nous n’acceptons pas en temps normal. Alors que nous avons enfin réussi à limiter la pollution visuelle des panneaux lumineux, ces dérogations, prises au moment même où l’État incite à la sobriété énergétique, n’ont pas de sens. À croire que nous pouvons mettre tout cela entre parenthèses le temps des Jeux. Quelle hérésie !
Nous avons tenté, au travers de plusieurs amendements, de recentrer la loi sur ce qu’elle devrait être, l’encadrement des JO, et non pas sur ce qu’elle est devenue, une dérive sécuritaire pérenne au détriment des droits des citoyens.
Certaines positions ont été prises en compte par la commission et par le Gouvernement. Très peu ! Trop peu ! La plupart ne l’ont pas été et l’équilibre du texte n’a pas été modifié. Nous maintenons notre analyse d’un texte trop dangereux pour les libertés individuelles, dont les objectifs réels auraient nécessité une concertation et une confrontation sereine de visions différentes sur la sécurité globale de notre société, bref, sur notre modèle de société.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le compte à rebours est lancé !
Dans 542 jours, 4 heures et 9 minutes, une fête unique débutera dans notre pays : les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Une aventure sportive incomparable qui fera la fierté des Françaises et des Français, et plus encore si elle est conforme à notre ambition d’en faire une fête sportive populaire dont l’héritage deviendrait le symbole d’un nouveau modèle de Jeux sobres, durables et inclusifs.
Les Jeux n’étant pas un événement sportif comme les autres, de nombreuses questions se posent quant à leur organisation. C’est la raison pour laquelle nous devons prendre toutes les précautions pour assurer leur bon déroulement. Tel est, je crois, l’esprit de ce projet de loi.
Ce texte répond à de multiples enjeux et ne mérite donc pas l’appellation de « texte sécuritaire ». Une fois encore, les arguments avancés par le groupe écologiste sont tout à fait contestables.
Exprimer des inquiétudes ou des désaccords quant à la vidéoprotection et à ses usages, c’est une chose, mais qualifier ce texte de « copie techno-sécuritaire » en est une autre !
On ne peut pas résumer ce projet de loi à ses seules dispositions sur la sécurité. D’une certaine manière, c’est même injuste. Oui, ce projet de loi vient renforcer nos dispositifs de sécurité avec l’expérimentation d’un système de vidéoprotection ayant recours à l’intelligence artificielle. Non, la ligne rouge de la reconnaissance faciale n’a pas été franchie.
Exigence du recours au contrôle humain ; système de gestion des risques ; accompagnement et contrôle de la Cnil dans le développement et l’application des traitements : autant de garanties supplémentaires adoptées par notre assemblée qui permettront d’éviter les dérives liberticides, que vous craignez tout autant que nous.
Oui, le projet de loi permettra de mettre en place des scanners corporels à l’entrée des enceintes qui accueilleront plus de 300 spectateurs, à l’instar de ce qui se fait déjà dans les aéroports. Parce que c’est une mesure intrusive, là encore, nous avons apporté des garanties supplémentaires, par exemple avec l’amendement porté par mon collègue Dominique Théophile, qui vise à recueillir obligatoirement le consentement exprès des personnes contrôlées par ces scanners. L’adoption de cet amendement apporte une garantie non négligeable, mais elle n’est pas la seule : je pense à l’impossibilité matérielle de reconnaître un visage ou encore à l’interdiction du stockage et de l’enregistrement des images.
Oui, le projet de loi tend à renforcer notre arsenal juridique pour assurer la sécurité de tous et la tranquillité des épreuves olympiques et paralympiques. Nous devons tirer les enseignements des incidents passés afin d’éviter qu’ils ne se reproduisent. À cet égard, l’obligation de présenter un titre d’accès pour entrer dans une enceinte sportive et l’obligation pour les organisateurs des manifestations les plus importantes de recourir à des billets nominatifs, dématérialisés et infalsifiables sont, à mes yeux, des mesures justifiées et proportionnées.
Par conséquent, non, nous ne sommes pas dans la surenchère sécuritaire ! Il s’agit d’apporter des précisions juridiques utiles aux juges qui appliqueront et respecteront les principes d’individualisation et de proportionnalité des peines.
Oui, ce projet de loi vise à mettre en œuvre les moyens nécessaires afin d’assurer la sécurité des Jeux, des participants et du public. Rappelons également que ce texte traduit certaines des recommandations figurant dans le rapport d’information du Sénat sur les incidents survenus au Stade de France en mai dernier.
Ce texte répond à des enjeux liés à la santé, au sport et à l’organisation de ces Jeux.
Sur le plan sanitaire, d’abord, il est proposé une adaptation de l’offre de soins et de premiers secours.
Je pense à la création de la polyclinique olympique et paralympique, centre de santé unique au cœur du village olympique. Je pense également aux professionnels de santé étrangers qui pourront bénéficier d’une autorisation d’exercice dans le cadre des Jeux ou encore à la possibilité, pour d’autres acteurs que les associations agréées de la sécurité civile, de délivrer des formations aux premiers secours.
Ce texte a en outre pour objet de protéger les valeurs de l’olympisme à travers la lutte contre le dopage en autorisant le recours aux tests génétiques. Ces tests seront réalisés par le laboratoire antidopage français de l’université de Paris-Saclay et ils seront utilisés par l’International Testing Agency (ITA), à qui le CIO a confié la mission de contrôle antidopage.
Mes chers collègues, le projet de loi apporte aussi des réponses aux enjeux liés à l’organisation des Jeux.
Il en est ainsi de la dérogation au repos dominical, qui sera, je le rappelle, subordonné au respect du volontariat des salariés, ainsi qu’à l’octroi des contreparties légales prévues dans le code du travail.
Les communes situées à proximité des sites de compétition ont été intégrées, à juste titre, pour éviter tout risque de rupture d’égalité entre les entreprises. C’est le cas des communes, qui, sans être limitrophes, pourraient bénéficier d’une affluence de touristes.
Citons également la mutualisation des moyens de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) avec ceux du Grand Paris Aménagement, ou l’attribution de nouvelles autorisations de stationnement pour les taxis accessibles aux personnes utilisatrices de fauteuils roulants.
Alors oui, mes chers collègues, il est bel et bien question de sécurité dans ce projet de loi, mais n’oublions pas de préciser qu’il est aussi question de sport, de santé et d’organisation. En témoignent les modifications bienvenues qui ont été adoptées par notre assemblée, en commission comme en séance.
Parmi les apports du Sénat, soulignons la clarification du statut dérogatoire de la polyclinique olympique et paralympique, ainsi que la possibilité, pour les volontaires olympiques et paralympiques, de participer aux missions du centre de santé.
Je pense également à l’autorisation des échanges d’informations entre l’Agence française de lutte contre le dopage et Tracfin, la cellule de renseignement financier française.
Je pense aussi au droit pour les personnels affectés à des missions de maintien ou de renforcement de la sécurité pendant les Jeux de retrouver leur affectation antérieure une fois l’événement achevé.
Notre assemblée a par ailleurs voté des mesures significatives en matière de lutte contre le dopage, comme la pérennisation des tests génétiques aux fins de lutte contre celui-ci, ce qui permet de mettre en conformité notre code du sport avec le code mondial antidopage. Cette lutte sera renforcée en Polynésie française grâce à l’extension de certaines mesures d’enquête.
Saluons enfin la demande de rapport à la Cour des comptes sur l’organisation, le coût et l’héritage des Jeux, qui permettra de mettre en lumière le travail colossal qui est mené en la matière et de suivre son évolution.
En définitive, mes chers collègues, nos débats ont permis de préserver l’équilibre de ce texte, tout en l’enrichissant sur de nombreux aspects.
Loin de toute polémique,…
M. Michel Savin. Et Versailles ?
M. Didier Rambaud. … le groupe RDPI votera donc pour ce projet de loi, qui nous rassemblera sans doute sur un point : l’impatience d’assister à ces jeux Olympiques et Paralympiques, qui s’annoncent d’ores et déjà historiques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Durain. En novembre 2017, le Parlement était saisi d’un projet de loi relatif à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques 2024. Le Sénat s’était prononcé, à l’unanimité, en faveur de l’adoption de ce premier texte. Cette unanimité témoignait de la volonté, quelles que soient les travées, de réussir Paris 2024.
Cinq années plus tard, et un an et demi avant les Jeux de Paris, voici le Parlement de nouveau saisi d’un projet de loi. Si ce dernier était à l’origine affublé du même titre, le Sénat a accepté notre demande, en ajoutant à l’intitulé la précision suivante : « portant diverses autres dispositions » – le changement n’est pas anodin.
Nous souhaitons toujours, comme l’ensemble des sénateurs et sénatrices, la réussite des Jeux. Cette réussite passera-t-elle par l’adoption de ce nouveau texte ?
Bon nombre de mesures très utiles sont présentes dans ses vingt-quatre articles. Ainsi, les adaptations nécessaires en matière d’offre de soins et de formation aux premiers secours sont compréhensibles. On perçoit bien la nécessité d’avoir un centre de santé au sein du village olympique, tout comme celle de former davantage de personnes aux premiers secours.
Le chapitre II consacré à la lutte contre le dopage est d’importance. L’autorisation donnée à l’examen des caractéristiques génétiques ou à la comparaison des empreintes génétiques pour les analyses antidopage a provoqué de vifs débats dans l’hémicycle. Nous nous félicitions de l’adoption de l’amendement de notre collègue Jean-Jacques Lozach, qui a pour objet un échange d’information entre l’Agence française de lutte contre le dopage et Tracfin.
Le chapitre V, tel que modifié par le Sénat, permet d’éviter le recours aux ordonnances pour l’application du texte en outre-mer. Cela devient une habitude légistique sénatoriale, et c’est un progrès indéniable.
La sécurité de ces jeux Olympiques est l’un des enjeux principaux mis en avant par le Gouvernement. Alors que notre pays reste confronté à des menaces d’envergure, nous comprenons que l’exécutif y consacre d’importantes ressources, nous comprenons la recherche d’efficacité derrière le fait d’accorder plus de pouvoirs au préfet, nous comprenons la mise en conformité du régime de la vidéoprotection avec le droit européen de la protection des données.
Nous sommes donc prêts à comprendre beaucoup de choses, mais cela ne veut pas dire que nous soyons prêts à tout accepter !
Dans ce texte, les jeux Olympiques et Paralympiques sont ce qui nous intéresse. Or plusieurs mesures présentées comme des expérimentations temporaires sont amenées à être pérennisées au-delà de l’échéance des Jeux.
Cela résulte de la volonté du Gouvernement, mais aussi de plusieurs évolutions défendues par la majorité sénatoriale.
Par exemple, le Sénat a retiré tout caractère expérimental à la possibilité pour le laboratoire antidopage français de procéder à des tests génétiques sur les échantillons prélevés sur les sportifs. Pourtant, la mise en œuvre d’une telle mesure qui déroge aux dispositions du code civil issues des lois relatives à la bioéthique aurait mérité un débat approfondi et une expertise pluraliste – ce n’est pas l’unique rapport d’évaluation envisagé par la majorité sénatoriale qui suffira à combler ce manque.
Au sujet de la vidéosurveillance automatisée, la position de la majorité sénatoriale aboutit à préjuger de la pérennisation de cette technique de contrôle, laquelle constitue pourtant un véritable tournant en matière de sécurité publique. En allongeant la durée de l’expérimentation bien au-delà de la période des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, en anticipant d’ores et déjà sa reconduction, voire son application définitive, ce texte définit un nouveau standard de sécurité pour notre pays.
Même rendu plus précis par nos travaux, même en comprenant un droit d’information du public renforcé, ce texte n’est pas, selon nous, le bon véhicule législatif pour porter des choix aussi lourds.
Par ailleurs, l’organisation des jeux Olympiques de 2024 constitue un prétexte pour apporter une solution sécuritaire à certains problèmes de maintien de l’ordre au sein des stades et pour renforcer démesurément les peines applicables, alors même qu’un groupe de concertation entre représentants des supporters et des ministères concernés est à l’œuvre.
Des associations de supporters, que l’on peut considérer comme des amies du monde sportif, ont ainsi exprimé leurs plus vives inquiétudes quant au contenu de ce texte. Les articles 12 et 12 bis, sur l’initiative de la droite sénatoriale, sont d’autant plus malvenus que l’exécutif souhaitait ces dernières années restaurer le dialogue avec les supporters.
En outre, faut-il vraiment prévoir des peines de prison, si des militants envahissent le Stade de France pour porter un message politique ? (Oui ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. C’est dissuasif !
M. Jérôme Durain. Au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous sommes conscients, à l’inverse du président Macron, que, parfois, la politique s’invite dans le sport. Nous ne pouvons donc pas accepter les dispositifs proposés, qui nous paraissent inutilement durcis.
Quant au chapitre IV consacré aux dispositions diverses, reconnaissons qu’il a abouti à des discussions parfois cavalières, alors même que plusieurs de nos amendements, qui étaient pour leur part en lien direct avec la réussite des jeux Olympiques, ont été jugés irrecevables. Les transports en commun parisiens, la taxe de séjour dans les hôtels de luxe des villes hôtes, le travail le dimanche dans les communes concernées par les Jeux, l’affectation de renforts humains pour assurer la sécurité sont autant de sujets dont nous n’avons pas pu débattre, alors qu’ils auraient enrichi utilement nos débats.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est entré dans la discussion parlementaire de manière constructive, souhaitant, je le répète, la réussite des Jeux ; nous la souhaitons toujours. Cependant, tant le texte déposé par le Gouvernement que la discussion, en commission et dans l’hémicycle, n’ont pas levé tous nos doutes. Des inquiétudes légitimes, notamment autour de l’article 7, ont suscité énormément de crispations.
Le bilan est donc mitigé. Face à l’accumulation d’expérimentations que nous jugeons mal encadrées et pas assez restreintes, nous faisons le choix, à ce stade de l’examen du texte, de l’abstention, mais il s’agit d’une abstention exigeante.
La réussite de Paris 2024 ne justifie pas d’accepter les reculs présents ici et là dans ce texte. Nous suivrons avec vigilance la suite des travaux parlementaires, en espérant notamment être rassurés sur les moyens mis à disposition de ces Jeux et sur la préservation de l’agenda culturel de 2024. Nous souhaitons surtout que les expérimentations envisagées dans ce texte soient davantage encadrées. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’occasion de l’examen de ce projet de loi, nous avons exprimé de fortes réserves sur un texte qui a davantage pour objet la sécurité que le sport.
Face à des enjeux réels de sécurité, mais aussi de rayonnement international, vous avez subrepticement introduit un florilège de dispositions attentatoires aux libertés et aux droits fondamentaux.
Le problème est bien que ces dispositions sont vouées à être pérennisées. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a tiré la sonnette d’alarme ; pourtant, le Gouvernement a décidé de rester sourd. Nous rappelons que l’exception doit demeurer temporaire ; nous regrettons qu’elle soit, au travers de ce projet de loi, banalisée, entrant finalement dans le droit commun.
Nous refusons d’adhérer à la vision que vous nous proposez des JOP. Sous prétexte de sécuriser l’événement, ce texte ouvre une boîte de Pandore, en portant atteinte aux droits les plus fondamentaux. Avec les nouvelles technologies que vous proposez d’utiliser, l’heure est au détricotage du règlement général sur la protection des données (RGPD) ; nous passons un cap !
Nous sommes devant un laboratoire juridique et sécuritaire que nous rejetons fermement. La question « jusqu’où pouvons-nous aller dans l’atteinte aux libertés individuelles ? » semble être le moteur des expérimentations que vous nous proposez. Les droits fondamentaux sont niés par la vidéosurveillance algorithmique. Nos fortes réserves n’ont pas été prises en considération.
Cela est bien regrettable. La France était jusqu’ici à la pointe dans les domaines couverts par le RGPD. Les droits fondamentaux ne doivent pas s’effacer au profit d’expérimentations sécuritaires.
N’oublions pas que l’utilisation de l’intelligence artificielle est pour l’heure dépourvue de cadre légal, même si un règlement européen est en cours d’élaboration.
N’oublions pas non plus que l’expérimentation ne nous garantit aucun résultat. Comme son nom l’indique, elle revient à tester, à faire des essais, sans connaître l’efficacité du dispositif.
Le droit au respect de la vie privée est ici balayé d’un simple revers de la main. Je suis au regret de vous dire qu’on ne balaie pas ainsi les droits fondamentaux ! En procédant de la sorte, vous entachez la popularité des jeux Olympiques de 2024, cette magnifique compétition porteuse de valeurs universelles.
C’est pourquoi nous nous sommes opposés à votre durcissement sécuritaire tous azimuts, y compris dans le cadre des manifestations sportives. Nous vous avons proposé de mieux proportionner certaines mesures, comme le pointage ; nous vous avons aussi montré méthodiquement comment le tout répressif, notamment en matière d’engins pyrotechniques, en plus d’être inopérant va finalement à l’encontre du but poursuivi, à savoir la sécurité des supporters.
Pour nous, le sport et ses manifestations constituent des moments festifs et de joie spontanée, une communion populaire à l’état pur.
Or votre penchant sécuritaire dans l’encadrement des manifestations sportives, directement inspiré de la gestion des coupes du monde en Russie ou au Qatar, ne fera que saper un élan populaire spontané pour un événement sportif majeur.
De plus, comme nous l’avions dénoncé dans notre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, le recours aux agents de sécurité privée pour encadrer ces JO ne sera pas à la hauteur des enjeux. La sécurité privée ne doit pas être confondue avec la sécurité étatique, au risque de se solder par un cuisant échec tel que celui essuyé par les JO de Londres en 2012. Une telle délégation n’honorera ni l’événement ni les professions de la sécurité publique.
Par ailleurs, ce texte aurait dû traduire un engagement du Gouvernement pour une politique volontariste en faveur du sport. La question de l’héritage économique et social des Jeux fut, au mieux, survolée durant les débats, pour ne pas dire totalement évacuée.
Et pourtant, quel meilleur moment que les Jeux pour casser les barrières sociales et territoriales, ainsi que celles liées aux handicaps !
Le sport, madame la ministre, tant au niveau professionnel qu’amateur, représente un enjeu culturel. Si les Jeux mettent à l’honneur nos athlètes de haut niveau et à travers eux nos fédérations sportives, ne pas réfléchir à l’après en matière d’accessibilité de la pratique sportive pour tous et toutes est du gâchis.
Enfin, au sujet de l’accueil des Jeux, notre groupe a soulevé la question de l’anticipation des besoins en matière d’accès aux soins hospitaliers du fait de la présence de milliers de supporters du monde entier.
L’État doit anticiper l’afflux de patients que nous connaîtrons dans les hôpitaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, dont 15 % des lits sont actuellement fermés par manque de personnel paramédical. Les besoins supplémentaires en lits d’hôpitaux et en personnel doivent immédiatement donner lieu à des mesures, notamment des recrutements, pour garantir un niveau d’accès aux soins satisfaisant pour les patients franciliens.
Si ces besoins ne sont pas suffisamment anticipés, l’agence régionale de santé devra déclencher le plan blanc pour mobiliser l’ensemble des personnels hospitaliers. Cela entraînera de facto la suspension de leurs congés, comme cela est d’ailleurs prévu pour les forces de l’ordre.
N’oublions pas que l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques va également avoir de fortes répercussions sur la vie des fonctionnaires, mais également sur celle des salariés, auxquels il sera demandé de travailler les dimanches autour des sites de compétition.
Pourtant, l’évaluation de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, ayant déréglementé le travail le dimanche dans les zones commerciales, les zones touristiques, les zones touristiques internationales et les gares, a démontré que l’ouverture du travail le dimanche n’a entraîné aucune hausse de l’emploi ou de l’activité. La remise en cause du repos dominical des salariés est un geste d’antijeu pour les droits sociaux !
Pour conclure, le groupe CRCE considère que ce projet de loi, libéral et sécuritaire, ne respecte pas le juste équilibre entre sécurité et protection des libertés et droits fondamentaux. Il n’honore pas les jeux Olympiques et leur esprit de fraternité en ce qu’il contient de graves atteintes aux libertés publiques.
Ainsi, vous ne serez pas surprise, madame la ministre : le groupe CRCE votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Raymonde Poncet Monge et Martine Filleul applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Catherine Deroche applaudit également.)
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un premier projet de loi relatif à l’organisation des jeux Olympiques avait été adopté en 2018. Il comprenait déjà des mesures visant à répondre aux contraintes de l’organisation d’un événement d’une telle ampleur. À moins de deux ans des Jeux, il était nécessaire d’adopter plusieurs mesures complémentaires, notamment en matière de dopage, de sécurité et de santé.
Le groupe Union Centriste est favorable à l’adoption de ce texte qui a été perfectionné, d’une part, par le travail de la commission des lois et des deux commissions saisies pour avis, à savoir celles des affaires sociales et de la culture, et, d’autre part, par celui mené dans cet hémicycle.
À l’article 4, la rapporteure Agnès Canayer a eu la subtilité de nous proposer un compromis prenant en compte la nécessité d’une mise en conformité pérenne du droit français avec le code mondial antidopage, tout en conservant la prudence nécessaire en matière d’examen des caractéristiques génétiques.
Le Sénat a fait œuvre constructive concernant l’article 7 sur la vidéoprotection qualifiée d’« augmentée ». Le dispositif a été consolidé en commission par l’introduction de garanties supplémentaires à tous les moments du développement et du déploiement de ces dispositifs, puis dans l’hémicycle grâce à l’adoption de deux amendements de nos collègues Jérôme Durain et Philippe Tabarot qui visent à plus de transparence, en exigeant des fournisseurs une déclaration d’intérêts et en élargissant le champ des personnes concernées par une enquête au moment du recrutement.
Lors de la discussion générale, je me suis réjoui que le Gouvernement et la commission des lois aient eu l’intelligence de ne prévoir le recours à l’intelligence artificielle qu’à titre expérimental, de manière limitée dans le temps et l’espace et dans un cadre restreint, sans utilisation de données biométriques. Cela ne porte aucune atteinte aux droits fondamentaux : les données personnelles sont protégées, puisqu’elles ne sont ni traitées, ni stockées, ni collectées.
Néanmoins, conformément à la proposition n° 22 du rapport d’information La reconnaissance biométrique dans l’espace public : 30 propositions pour écarter le risque d’une société de surveillance que Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse et moi-même avons élaboré conjointement, cela ne nous dispense pas de créer, au-delà des jeux Olympiques, un cadre juridique expérimental pour recourir à la reconnaissance biométrique sur la voie publique en temps réel sur la base d’une menace préalablement identifiée.
Il nous faudra déposer une proposition de loi afin de permettre un débat serein, démocratique et apaisé – enfin ! – sur ces questions d’avenir. Il est nécessaire de nous protéger face au développement d’usages qui sont, pour l’instant, non régulés.
Je tiens également à saluer le travail du rapporteur pour avis Claude Kern. Il a permis d’intégrer au texte le principe de l’obligation de recourir à des titres d’accès infalsifiables afin de mieux lutter contre les fraudes liées à la diffusion de faux billets. Désormais, les billets devront être nominatifs, dématérialisés et infalsifiables pour les manifestations sportives de grande ampleur, dont la jauge sera fixée par décret en Conseil d’État.
Une autre avancée apportée sur l’initiative de la commission de la culture, qu’il me semble important de signaler, est la remise d’un rapport par la Cour des comptes à l’issue des jeux Olympiques et Paralympiques. Ce rapport, qui devra être remis au Parlement dès le mois d’octobre 2025, portera sur l’organisation, le coût et l’héritage de cet événement ; il devra également retracer l’ensemble des dépenses engagées par l’État et les collectivités – nous devons cette transparence à nos concitoyens.
Pour conclure, je salue l’amendement proposé par la rapporteure Agnès Canayer, adopté en séance, qui a pour objet l’application expresse du projet de loi dans les territoires ultramarins, sans renvoyer à une ordonnance. Je sais notre collègue de Polynésie Lana Tetuanui particulièrement attentive sur ces sujets.
Pour toutes ces raisons qui ont permis d’améliorer sensiblement la qualité de votre projet de loi, madame la ministre, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Parfait !
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après un premier texte sur l’organisation des jeux Olympiques que nous avions examiné il y a quelques années, nous débattons aujourd’hui d’un second. J’espère que ce projet de loi sera le dernier et que les choses seront ainsi bouclées.
Ce texte n’est pas fondamental, mais, par ses ajouts, il introduit dans le droit un certain nombre de dispositions à caractère plus ou moins expérimental relatives aux problèmes posés spécifiquement par les jeux Olympiques. Ces mesures supplémentaires viennent compléter l’arsenal juridique existant.
Je voudrais insister simplement sur la question de la sécurité. Si nous estimons que certaines dispositions à caractère sécuritaire doivent être prises pour les jeux Olympiques, j’estime qu’il est cohérent qu’elles ne s’appliquent pas seulement pour cet événement. Personnellement, je ne vois aucun inconvénient à ce qu’elles aient un caractère un peu plus large que les Jeux stricto sensu.
C’est particulièrement le cas de la vidéosurveillance. Ce texte apporte un petit complément pour renforcer la sécurité. Pourtant, il n’a pas été nécessaire d’attendre l’organisation des jeux Olympiques pour s’apercevoir des problèmes récurrents dans les stades…
Cela étant, un aspect est trop souvent oublié : les jeux Olympiques ne se passeront pas seulement à Paris. Une sorte de décentralisation dans d’autres villes aura lieu, soit pour l’entraînement soit pour la tenue de certaines épreuves.
Un problème se pose pour ces villes, qui sont parfois petites, tout en se situant en bordure d’une agglomération. Il est question d’installer de la vidéosurveillance, de réaliser à cette fin des investissements, mais il est évident que l’enjeu pour Paris et sa région n’est pas forcément le même que pour les petites et moyennes communes de province. Ces dernières peuvent être confrontées à des difficultés pour installer ce genre d’équipement.
Il est important d’examiner la question du financement de ces équipements de vidéosurveillance. À un moment donné, leur installation va représenter des dépenses pour les communes. Ces dépenses étant réalisées pour les jeux Olympiques, et présentant ainsi un caractère national, il est important…
M. le président. Il faut conclure.
M. Jean Louis Masson. … que les régions puissent les subventionner. (Marques d’impatience sur différentes travées.) Malheureusement, ces dernières n’en ont pas, à l’heure actuelle, le droit.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, contrairement à mon collègue Bernard Fialaire intervenu au nom de notre groupe lors la discussion générale, je ne suis plus un grand sportif… (Applaudissements et sourires.)
M. Roger Karoutchi. Mais si !
M. Jean-Claude Requier. … même si je l’ai été quelque peu naguère !
Mais je continue à suivre avec assiduité les performances des sportifs français et je profite de cette occasion pour saluer le parcours de nos handballeurs durant le championnat du monde qui s’achevait ce week-end à Stockholm, un parcours suivant de près l’épopée de nos footballeurs en décembre dernier.
Malheureusement, nous prenons trop l’habitude de perdre les finales ! Espérons donc qu’Antoine Dupont et ses coéquipiers du XV de France sortiront vainqueurs à l’automne prochain (Applaudissements.) et qu’une pluie de médailles s’abattra pour les jeux Olympiques !
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je me réjouis que notre pays accueille les jeux Olympiques et Paralympiques, même si, d’un point de vue strictement sportif, j’ai quelques regrets en ce qui concerne les choix opérés par le Comité international olympique (CIO), notamment au sujet des nouvelles disciplines. Le skateboard plutôt que le karaté ? Le breakdance plutôt que la pétanque ? (Applaudissements et sourires.) Je n’aurais pas caché ma satisfaction si cela avait été l’inverse, mais sans doute est-ce une question de génération (Nouveaux sourires.), l’actuelle étant plutôt banlieue que ruralité !
Toujours est-il que chacun a conscience du défi que représente l’organisation d’un tel événement pour notre pays. Il est impératif que Paris et la France l’accueillent sans accroc.
L’accueil doit d’abord être sans accroc sportif. C’est une nécessité qui vaut sur le plan des soins, avec l’installation d’un centre de santé dans le village olympique et paralympique, mais également du point de vue de la lutte contre le dopage.
De nouvelles techniques d’analyse seraient donc autorisées à l’occasion des Jeux – c’est une bonne chose. Nous considérons que les dispositifs proposés sont relativement équilibrés et que leur pérennisation, visée par le texte du Sénat, n’a pas à être redoutée.
L’accueil doit également être sans accroc pour la sécurité des personnes. Je ne vais pas relancer les débats relatifs aux articles de ce projet de loi ; toutefois, l’un d’eux attire particulièrement l’attention. Comme bon nombre de sénateurs dans cet hémicycle, les membres de mon groupe ont des craintes quant aux dispositions de l’article 7.
La peur d’une société sous surveillance automatisée, à la mode orwellienne, est souvent agitée de manière excessive, mais parfois l’épouvantail se justifie. C’est le cas ici : en même temps que les algorithmes et autres intelligences artificielles s’affirment, représentant un espoir de plus de sécurité, l’humain s’efface et son discernement avec lui.
Le projet présenté est mesuré. Il apporte même une satisfaction : il n’y est pas question de reconnaissance faciale. Toutefois, nous ne connaissons que trop bien cette méthode des petits pas. Nous savons comment les choses progressent par paliers. L’introduction de cette intelligence artificielle risque d’être une première marche jusqu’au jour où, sous couvert d’un nouvel événement que les algorithmes seuls n’auraient pas pu prévoir, il faudra aller au-delà.
Seulement, je ne crois pas que ces dispositifs auraient permis d’éviter les drames qui ont eu lieu dans notre pays. Je pense à l’assassinat de Samuel Paty, aux attentats de Charlie Hebdo ou à la nuit du 13 novembre 2015. Un algorithme n’aurait pas plus empêché, au mois de mai dernier lors du match au Stade de France, l’« enchaînement de causes imprévisibles », pour reprendre les mots de la préfecture de police.
Plus encore, j’ai le sentiment profond que le fait de présenter l’innovation technologique comme une solution évidente demeure une chimère potentiellement dangereuse. On me rétorquera peut-être que, comme pour le choix entre le breakdance et la pétanque, ce n’est qu’affaire de générations, auquel cas j’espère sincèrement que vous aurez raison. Accordez-moi toutefois le privilège de douter.
Vous comprendrez donc, mes chers collègues, que même si nous voterons en faveur de ce texte, nous le ferons avec une certaine retenue. Le groupe du RDSE rappelle souvent son attachement aux libertés ; nous savons quelles sont nos limites !
Nous avons d’ailleurs déposé une série d’amendements visant à durcir les conditions d’usage par l’administration du mécanisme de surveillance algorithmique. Nous regrettons que ces amendements n’aient pas rencontré d’accueil favorable.
Néanmoins, nous ne sommes pas obtus. Si nos amendements n’ont pas convaincu, d’autres ont été retenus et participeront à mieux garantir les droits et libertés de nos concitoyens.
Au regard de tous ces éléments, cet article 7 remodelé offre davantage de satisfaction que sa rédaction initiale, malgré les réserves que je viens d’évoquer.
Pour changer de sujet, ce projet de loi introduit la possibilité de mettre en place des scanners corporels à l’entrée des enceintes dans lesquelles est organisée une manifestation sportive, récréative ou culturelle. Nous sommes satisfaits du travail du Sénat qui a su, là aussi, améliorer le dispositif initial, notamment avec l’adoption en commission de l’amendement de notre collègue Maryse Carrère.
Je dirai également un mot du volet pénal de ce projet. Le texte initial qui nous était soumis renforçait les sanctions contre les violences commises à l’occasion des manifestations sportives. Notre assemblée s’est positionnée en faveur de davantage de fermeté. J’y trouve mon compte ! Je ne crois pas qu’il faille admettre de souplesse particulière, notamment au regard de la nature médiatique et systémique des violences dans le sport, en particulier dans les stades.
Enfin, pour achever mon propos, je veux dire notre satisfaction quant à l’adoption de l’amendement de notre collègue Nathalie Delattre, que le groupe du RDSE soutenait largement. Elle a partagé sa crainte de voir disparaître des plages, à l’issue des jeux Olympiques, le corps des maîtres-nageurs sauveteurs qui appartiennent aux compagnies républicaines de sécurité (CRS). La position du Gouvernement sur cette question nous rassure : nous retrouverons les CRS maîtres-nageurs sur les plages en 2025.
Ainsi, pour toutes ces raisons, vous comprendrez que la grande majorité du groupe du RDSE votera en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Claude Kern, rapporteur pour avis de la commission de la culture, et Bruno Retailleau et Mme Nathalie Goulet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour le groupe Les Républicains.
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rapporteur de ce texte, je m’exprimerai aujourd’hui en tant que membre de mon groupe.
L’organisation des Jeux présentera des défis considérables, tant sur le plan de la sécurité ou de l’organisation des compétitions que de la lutte contre le dopage.
Les Jeux de Paris 2024, après plus d’un siècle d’attente, devraient rassembler près de 13,5 millions de spectateurs et 4 milliards de téléspectateurs. Ils se tiendront sur trente-sept sites à travers la France, des berges de la Seine aux rivages du Pacifique en Polynésie française.
Ce projet de loi nous parvient quelques mois à peine après les événements de la finale de la Ligue des champions au Stade de France, le 28 mai 2022. Ces événements avaient conduit les commissions des lois et de la culture à y consacrer une série d’auditions, sous l’égide de leurs présidents François-Noël Buffet et Laurent Lafon. Le rapport qu’ils rédigèrent alors comprenait un ensemble de réflexions et de préconisations utiles, qui ont grandement contribué à guider nos travaux actuels.
C’est donc avec une conscience des enjeux et un esprit de responsabilité que nous avons abordé le texte déposé par le Gouvernement.
Ce texte comprenait trois pans principaux : le premier concernait les problématiques de santé et de dopage ; le second, les questions de sécurité ; et le dernier, un certain nombre d’autres ajustements variés.
Premièrement, sur la question du dopage, il nous fut initialement proposé de déroger à la législation française pendant la durée des Jeux, afin de nous conformer aux exigences du CIO en matière de lutte contre le dopage, c’est-à-dire de nous aligner sur le code mondial antidopage.
Après avoir soigneusement étudié la question, nous avons privilégié une mise en conformité plus durable du droit français aux normes internationales, entourée des garanties appropriées à la nature des examens des caractéristiques génétiques dont il est ici question.
Grâce à cela, la France sera en conformité avec le droit international pour de futurs événements sportifs. Après tout, ces Jeux n’ont pas vocation à être la dernière compétition internationale à se tenir dans notre pays, sans même penser à d’éventuels Jeux au siècle prochain…
Toujours dans le domaine du dopage, nous avons également fait en sorte de conforter les dispositions spécifiques à la Polynésie française, en bonne intelligence sénatoriale avec la collectivité de Polynésie et le Gouvernement.
Le deuxième pan du texte, qui fut plus discuté, est consacré à la question de la sécurité. Il s’agit d’un enjeu majeur, d’autant que certains événements, tels que la cérémonie d’ouverture organisée le long de la Seine, nécessiteront un déploiement inédit de nos forces de police et de gendarmerie afin d’en garantir le bon déroulement.
Or l’expérience récente du Stade de France doit nous servir de piqûre de rappel, pour prévenir toute menace. Il nous faut être exigeants et au rendez-vous. C’est pour cette raison que nous avons retenu l’utilisation de traitements algorithmiques pour les images des caméras.
L’expérimentation de ce dispositif de vidéoprotection « intelligente » pourrait constituer un atout indéniable dans l’identification et la neutralisation rapide de risques, liés aussi bien au terrorisme qu’aux mouvements de foule inopinés.
Naturellement, comme nos débats tout au long des travaux autour de ce texte l’ont montré, l’emploi de telles technologies a pu engendrer des inquiétudes que nous comprenons. Dans leur rapport, nos collègues Marc-Philippe Daubresse, Arnaud de Belenet et Jérôme Durain s’étaient d’ailleurs abondamment penchés sur les tenants et aboutissants de ces technologies.
Pour cette raison, nous avons perfectionné le dispositif, en affinant son objet, en améliorant l’information du public et en entourant de garanties supplémentaires l’usage des données collectées. Dans ces conditions, l’expérimentation de la vidéoprotection « intelligente » devrait simultanément permettre de contribuer à la sécurité des Jeux, tout en évaluant en situation réelle les mérites de cette technologie.
Notre démarche fut similaire pour d’autres dispositifs, tels que le recours aux scanners à ondes millimétriques ou la mise en conformité avec le droit européen de la protection des données personnelles.
Par ailleurs, les travaux menés avec la commission de la culture sur les outils de lutte contre les entrées frauduleuses ou les violences avec récidive dans les enceintes sportives ont également permis un renforcement considérable du texte initial.
Une question importante a également retenu notre attention dès les auditions, même si elle demeurait nécessairement peu présente dans le texte lui-même, celle des coûts et de l’héritage. La candidature parisienne se voulait l’une des plus sobres et des plus écologiques de l’histoire récente, grâce à l’usage d’infrastructures existantes et à la mise en place d’un héritage « durable et utile », selon les mots de Mme la ministre des sports.
Il s’agit effectivement d’un impératif, si nous souhaitons conserver l’adhésion des Français à l’organisation des Jeux.
C’est pour assurer la transparence démocratique que nous avons prévu la remise par la Cour des comptes d’un rapport sur le coût et l’héritage des Jeux.
En outre, et cela relevait presque autant de la rigueur juridique que de l’esprit olympique et paralympique, nous avons souhaité élargir la possibilité d’obtenir de nouvelles autorisations de stationnement pour les taxis accessibles aux personnes à mobilité réduite.
Nos travaux ont donc permis de grandement consolider le texte initial, en le rendant juridiquement plus solide et plus cohérent, mais aussi plus protecteur sur le plan des libertés individuelles.
Si cette tâche est effectivement ardue, nous ne pouvons qu’encourager tous les acteurs des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, en leur rappelant les paroles du baron Pierre de Coubertin : « Chaque difficulté rencontrée doit être l’occasion d’un nouveau progrès. »
542 : c’est le nombre de jours qui nous séparent de la grande fête universelle du sport. Soyons au rendez-vous ! Vous l’aurez compris, notre groupe votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe INDEP.)
M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi dont le Sénat a rédigé ainsi l’intitulé : projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 113 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 273 |
Pour l’adoption | 245 |
Contre | 28 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Je vous remercie, monsieur le président, de l’attention personnelle que vous portez à ce chantier olympique et paralympique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avec mon collègue Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports, je voudrais, au nom du Gouvernement, et tout particulièrement de Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, saluer l’adoption de ce texte, qui constitue bien évidemment un jalon indispensable de notre préparation aux jeux Olympiques et Paralympiques.
Je remercie l’ensemble des membres des commissions saisies, qui ont été à la manœuvre en vue d’améliorer ce texte. Merci, Agnès Canayer, Claude Kern et Florence Lassarade, de la minutie avec laquelle vous avez travaillé, de votre engagement et de la richesse de nos échanges.
Les apports du Sénat ont été importants. Je pense notamment à la mise en place de la billetterie infalsifiable dématérialisée, aux équilibres trouvés s’agissant de la prévention de toutes les formes de violence dans nos stades, ainsi qu’au renforcement de notre dispositif de lutte contre le dopage.
Certes, je n’ai pas réussi à vous convaincre tous, mais je sais que chacun d’entre vous est engagé pour la réussite de ces jeux Olympiques et Paralympiques. J’ai été très attentive à vos interventions, qui visaient aussi à renforcer, au-delà des Jeux, la place du sport dans notre société, y compris le rugby, monsieur le sénateur Requier ! (Applaudissements.)
M. le président. Et la pétanque ! (Sourires.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures cinquante, sous la présidence de M. Alain Richard.)
PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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PLUi de la Communauté de communes du Bas-Chablais
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi visant à régulariser le PLUi de la communauté de communes du Bas-Chablais, présentée par M. Cyril Pellevat et Mme Sylviane Noël (proposition n° 28, texte de la commission n° 271, rapport n° 270).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Cyril Pellevat, auteur de la proposition de loi.
M. Cyril Pellevat, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour l’inscription à l’ordre du jour du Sénat de cette proposition de loi déposée avec ma collègue Sylviane Noël, ainsi que pour l’avis favorable émis par la commission des affaires économiques sur ce texte. Je remercie également Martine Berthet pour le travail qu’elle a réalisé au nom de la commission.
Si j’admets qu’il est inhabituel, ce texte est d’une importance capitale pour le département de la Haute-Savoie, tout particulièrement pour le territoire du Chablais, en ce qu’il permettra la réalisation d’une autoroute reliant Machilly à Thonon, projet structurant et attendu depuis des années par les Chablaisiens.
Pour évoquer le contexte de cette proposition de loi, il faut rappeler que le Chablais est très attractif, à la fois du fait de sa proximité avec la Suisse, de son dynamisme économique et de son potentiel touristique. Cette attractivité entraîne logiquement d’importants flux de véhicules, et ce malgré les efforts faits pour développer le ferroviaire et les modes de circulation alternatifs.
Je pense au Léman Express, inauguré en 2019, dont l’objectif de 50 000 usagers par jour a été largement dépassé, puisqu’il transporte désormais plus de 65 000 personnes quotidiennement, ou aux projets du RER Sud-Léman et de la véloroute des cinq lacs, dont je préside les comités de pilotage (Copil) et qui sont en cours d’études. J’espère d’ailleurs, monsieur le ministre, que vous soutiendrez le RER Sud-Léman dans le cadre de son inscription au contrat de plan interrégional État-régions (CPIER).
M. Loïc Hervé. Je l’espère !
M. Cyril Pellevat. Il ne peut donc pas nous être reproché de privilégier la route au détriment du train. À cet égard, je tiens à souligner la pleine mobilisation des élus du Chablais en faveur de l’intermodalité.
Le report modal est évidemment un objectif louable et nécessaire qu’il faut encourager. Toutefois, il convient de ne pas tomber dans la caricature : ce report ne doit pas conduire à empêcher des projets routiers absolument nécessaires. Restons réalistes : certains automobilistes n’ont tout simplement pas la possibilité de prendre les transports en commun, si ceux-ci ne sont pas accessibles ou si leurs horaires ne correspondent pas aux besoins.
Par ailleurs, la liaison Machilly-Thonon est exemplaire d’un point de vue environnemental. Son impact sur la consommation de terrains sera compensé et il est prévu d’intégrer des innovations permettant de réduire les émissions de CO2, telles que le développement de mobilités en flux libre, de mobilités électriques ou du covoiturage.
Ce projet d’autoroute est nécessaire et même urgent, car le Chablais n’est relié que par des routes départementales. Le réseau routier n’est donc pas à la hauteur des enjeux. Il en résulte un enclavement très important du territoire, qui entraîne le passage d’un nombre excessif de voitures et de poids lourds dans les centres-villes, bourgs et hameaux, ce qui conduit à des embouteillages très importants.
Ces passages et engorgements incessants posent de graves problèmes de sécurité et de tranquillité publiques et engendrent une forte pollution. Rendez-vous compte ! Certaines communes du Chablais comptant de 4 000 à 5 000 habitants voient chaque jour passer jusqu’à 22 000 véhicules à proximité des écoles, des commerces et des habitations. Quelques-unes, à l’image de Brenthonne, sont tout bonnement coupées en deux par la départementale, tandis que dans d’autres on s’inquiète du risque d’accident à leurs passages à niveau.
En heure de pointe, un trajet qui devrait durer 40 minutes en prend le double, soit près d’une heure et demie, et consomme bien plus de carburant que dans le cadre d’une circulation fluide.
Dans ce contexte, l’État, les collectivités, mais aussi et surtout les habitants du Chablais, qui soutiennent massivement le projet d’autoroute, ont de longue date souhaité remédier à la situation. C’est ce qui a conduit, dès la fin des années 1980, à étudier la création du tronçon autoroutier qui nous occupe, dans le but de désenclaver le territoire.
Le projet a cependant été perturbé à maintes reprises et ce n’est qu’à partir de 2015 qu’a pu avoir lieu un développement significatif avec la publication du projet.
Chacune des étapes de procédure prescrites par la loi a par la suite été remplie avec diligence, qu’il s’agisse des consultations et enquêtes publiques ou des études environnementales, et ce jusqu’à la déclaration d’utilité publique intervenue fin 2019, mettant en compatibilité les plans locaux d’urbanisme (PLU) des communes concernées par le tracé.
Pourquoi, dès lors, suis-je aujourd’hui devant vous, avec ma collègue Sylviane Noël, pour vous demander d’adopter cette proposition de loi visant à sauver ce projet structurant pour notre département, alors même que l’ensemble des prescriptions ont été suivies à la lettre ?
Concomitamment à la procédure de déclaration d’utilité publique, la communauté de communes du Bas-Chablais a prescrit en 2015 l’élaboration d’un premier PLU intercommunal. Le contenu de ce PLUi a été arrêté définitivement en juillet 2019, soit avant l’intervention de la déclaration d’intérêt public (DUP) qui a eu lieu le 24 décembre de la même année.
De ce fait, même si la future autoroute est prise en compte dans d’autres composantes du PLUi, telles que la stratégie de mobilité et les enjeux environnementaux, les zonages retenus ne font pas apparaître l’emplacement réservé au projet et le règlement ne comporte pas les règles écrites nécessaires à la réalisation des travaux, puisqu’il n’était pas possible d’inclure un projet non encore définitivement arrêté par le biais d’une DUP.
Il en résulte que, malgré le fait que la déclaration d’utilité publique visait justement à mettre en conformité les documents d’urbanisme, l’adoption du PLUi après la publication de la DUP a entraîné une primauté du PLUi, empêchant la réalisation du projet d’autoroute, faute d’y avoir fait figurer les éléments requis.
Il était impossible pour l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de corriger le tir une fois la DUP publiée, car le droit de l’urbanisme n’autorise aucune modification du projet de document une fois celui-ci arrêté. Il n’y avait donc pas de moyen d’inclure le projet sans que la communauté de communes commette un vice de forme entachant la procédure d’illégalité.
En l’état, le projet autoroutier est donc irréalisable, alors même que toutes les études et procédures nécessaires ont été mises en œuvre, que les collectivités concernées y sont toutes favorables et ont d’ores et déjà investi pour sa réalisation, que l’ensemble des autres documents d’urbanisme, tels que le schéma de cohérence territoriale (Scot) et le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), prennent en compte le projet et ont mis en œuvre les coûteuses études nécessaires, que tous les documents sont purgés de recours et que 90 % des habitants du territoire sont en faveur de la création de cette autoroute.
Cette situation résulte d’un véritable casse-tête juridique, combiné à un concours de circonstances, et il est tout bonnement impossible de trouver une solution autre que législative sans mettre en danger l’intégralité du projet.
En effet, un nouveau décret portant déclaration d’utilité publique serait considéré comme un détournement de procédure. Une révision du PLUi ou l’adoption du nouveau PLUi de la communauté d’agglomération prendrait environ trois ans. Or une telle échéance n’est pas compatible avec les délais requis pour l’appel d’offres et entraînerait une remise en cause du projet dans sa totalité.
C’est pourquoi la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise tout simplement à appliquer la mise en compatibilité prévue par le décret au PLUi du Bas-Chablais. Elle s’inspire du mécanisme de validation législative, mais elle n’a pas d’effet rétroactif, ce qui la rend bien moins susceptible de porter atteinte à la sécurité juridique. Elle respecte par ailleurs en tout point la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de validation législative, comme je vous le démontrerai par la suite.
Auparavant, je souhaite ouvrir une parenthèse. La problématique rencontrée par les élus du Chablais doit nous conduire plus largement à nous interroger sur la complexité du droit de l’urbanisme et les obligations contradictoires que celui-ci fait peser sur les collectivités. Car si des lois telles que celle que nous étudions aujourd’hui peuvent être admises exceptionnellement, je suis bien évidemment conscient qu’elles ne doivent pas se multiplier. Or c’est ce qui nous attend si nous ne faisons pas en sorte de réduire l’amas de textes législatifs et réglementaires ayant trait à l’urbanisme.
Je referme la parenthèse et reviens sur les raisons pour lesquelles notre proposition de loi respecte la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui prévoit plusieurs critères cumulatifs : la loi doit poursuivre un objectif d’intérêt général ; elle ne doit pas méconnaître de principe à valeur constitutionnelle à moins que l’objectif d’intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle ; elle doit respecter les décisions de justice ; enfin, la portée de la validation doit être strictement définie.
Premièrement, ce texte répond à des objectifs d’intérêt général, d’abord de préservation de l’ordre public, lequel est lui-même un objectif de valeur constitutionnelle. En effet, la réalisation de l’autoroute permettra de remédier à un problème de sécurité et de tranquillité publiques.
L’objectif d’intérêt général est aussi économique, puisque l’adoption de cette proposition de loi évitera aux collectivités et à l’État d’engager de coûteuses études, qui ont déjà été faites. En outre, un retard dans la réalisation du projet entraînera une forte hausse des coûts.
Enfin, l’objectif est également environnemental et de santé publique, puisque cette liaison permettra de réduire la pollution due aux bouchons et au passage incessant des véhicules. Il n’est en effet pas prévu d’augmentation du trafic, seulement un report hors des centres-villes.
De même, le droit au recours est respecté, puisque tous les recours ont été purgés.
Quant à la portée du texte, elle est strictement définie : la proposition de loi effectue de manière très précise la mise en compatibilité du PLUi sans laisser aucune porte ouverte.
Enfin, aucun objectif de valeur constitutionnel n’est méconnu. D’aucuns argueront que c’est le cas de l’objectif de protection de l’environnement ; or le projet d’autoroute vise au contraire à atteindre cet objectif et la consommation d’espace sera compensée.
Je pense sincèrement que, sur le long terme, il sera plus bénéfique pour l’environnement de réaliser ce projet que de laisser les choses en l’état et je vous prie, mes chers collègues, de ne pas vous y opposer par principe au seul motif qu’il s’agit d’une autoroute.
Je ferai une dernière remarque : mis à part une poignée de locaux – c’est le jeu : on ne peut pas mettre tout le monde absolument d’accord –, je ne vois que des personnes étrangères au Chablais se positionner contre le projet.
Plusieurs sénateurs du groupe GEST. Et les écologistes ?
M. Cyril Pellevat. Les contempteurs du projet ne sont pas du Chablais : ils sont principalement du secteur d’Annecy ou d’autres départements, de Toulouse, de Bordeaux, de Lyon… Les associations écologistes chablaisiennes, en revanche, n’ont pas pris position contre.
Et je ne crois pas avoir entendu l’un des opposants au projet autoroutier prendre publiquement la parole en faveur du projet ferroviaire RER Sud-Léman ou du projet de la véloroute des cinq lacs, dont je préside les comités de pilotage – deux poids, deux mesures ! Je vous encourage, mes chers collègues, à soutenir ces projets.
Résumant l’enjeu, les élus de Thonon Agglomération ont plaidé pour ne pas être « laissés de côté dans le développement de la région » et mis en garde contre la création d’un « territoire à deux vitesses ».
Pour toutes ces raisons, et au regard de l’insigne nécessité qui s’attache à la réalisation de cette autoroute pour mon territoire, je vous invite, mes chers collègues, à voter en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Martine Berthet, rapporteure de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun des textes qu’il nous est donné d’examiner dans cet hémicycle est différent des précédents : c’est ce qui fait la beauté et l’intérêt du travail du Parlement. La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, présentée par nos collègues Cyril Pellevat et Sylviane Noël, se distingue peut-être par son caractère particulièrement atypique.
De prime abord d’aspect assez technique, ce texte nous adresse en réalité à nous, représentants des territoires français, une question très concrète : souhaitons-nous qu’un projet d’infrastructure d’intérêt général, déjà passé par l’ensemble des étapes administratives nécessaires à sa réalisation, soit mis en échec du simple fait de l’enchevêtrement de procédures d’urbanisme parallèles les unes aux autres ?
Parlementaires comme élus locaux savent que le cadre juridique du droit de l’urbanisme a été considérablement modifié et, j’ose le dire, complexifié au cours des deux dernières décennies.
Les documents d’urbanisme locaux se sont multipliés ; les procédures formelles qui président à leur élaboration se sont rigidifiées et allongées ; l’insécurité juridique qui les entoure s’est fortement accrue. Il faut désormais entre quatre et six ans pour élaborer un plan local d’urbanisme et peu de maires et présidents d’EPCI sont à l’heure actuelle en mesure de le faire sans recourir à des prestataires externes.
Le fait intercommunal, s’il a accentué les solidarités et le dialogue territorial, s’est révélé lui aussi source de complexités nouvelles au fur et à mesure des créations d’EPCI, puis des fusions, et des divers transferts de compétences. L’écriture d’un PLU couvrant une commune, comme auparavant, est sans comparaison avec celle d’un PLUi couvrant vingt, cinquante, voire cent communes.
Si je rappelle aujourd’hui ce contexte de complexité et d’instabilité juridique, c’est qu’il est essentiel d’en tenir compte pour appréhender pleinement la démarche de la proposition de loi qui nous est soumise. Dans ce cas concret, l’ensemble des collectivités territoriales du Bas-Chablais travaille depuis plusieurs décennies à la réalisation d’une liaison à 2x2 voies entre Machilly et Thonon-les-Bains, qui mènerait à bien le désenclavement du bassin, répondrait aux exigences de son développement rapide et assurerait la sécurité des riverains.
En 2017, ces collectivités, accompagnées de l’État, ont donné une nouvelle impulsion au projet de liaison routière, avec le lancement d’une concertation publique et la conduite d’une évaluation environnementale, puis en 2019 la prise d’une déclaration d’utilité publique (DUP).
Afin de prendre en compte le projet dans sa globalité et de faciliter sa réalisation, cette déclaration d’utilité publique a prévu, comme le permet le droit, la mise en compatibilité simultanée des plans locaux d’urbanisme des dix communes concernées par le tracé. Cette DUP a ainsi ouvert la voie à la réalisation du projet, très attendue par les parties prenantes.
Ici intervient le contexte particulier que j’évoquais voilà un instant : la communauté de commune du Bas-Chablais avait engagé l’élaboration d’un PLU intercommunal en 2015, c’est-à-dire avant la relance du projet de liaison à 2x2 voies. Entre-temps devenue communauté d’agglomération, elle a finalisé ce PLUi début 2020. Si la déclaration d’utilité publique du projet routier avait bien prévu la modification des anciens plans locaux d’urbanisme, elle n’avait pas prévu que l’adoption du nouveau PLUi viendrait peu après « écraser » ces modifications.
Comble de la difficulté, une fois ces problèmes identifiés, il s’est avéré à la fois impossible pour la communauté d’agglomération de modifier son PLUi avant approbation, puisque celui-ci avait déjà été soumis à concertation et enquête publique, et impossible pour l’État de prendre une DUP modificative, puisque la jurisprudence du Conseil d’État ne le permet pas à projet constant. Qui plus est, toute modification du PLUi à peine adopté devrait passer par la procédure la plus contraignante, qui reprendrait une à une toutes les étapes d’évaluation, de concertation et d’enquête publique déjà effectuées.
La démarche de la proposition de loi, bien qu’atypique, est donc très simple : elle vise à étendre les effets de la mise en compatibilité prévue par la déclaration d’utilité publique au nouveau plan local d’urbanisme, afin de permettre au projet de se poursuivre sans délai injustifié.
Eu égard à son caractère atypique, notre commission a souhaité examiner ce texte avec une exigence toute particulière, en le passant au « filtre » de plusieurs critères concrets.
Premièrement, nous avons vérifié que ce texte ne vise aucunement à faire échec à des décisions déjà prises, à aller à l’encontre des compétences des collectivités ou encore à restreindre des droits acquis, notamment en matière de droit de recours.
Nous avons pu constater qu’il s’agit bien d’un texte aidant, et non d’un texte censeur. Les collectivités territoriales du Bas-Chablais m’ont confirmé que la situation actuelle ne relevait pas d’une volonté locale de freiner le projet, mais bien d’une erreur dans la conception simultanée de la DUP et du PLUi, le tout dans un contexte juridique complexe.
Le projet est anticipé et soutenu de longue date par tout le territoire. L’ensemble des autres documents d’urbanisme, Scot et Sraddet notamment, le prennent déjà en compte et le qualifient de « projet structurant » pour la région.
Surtout, le projet a fait l’objet de la totalité des modalités de concertation, de participation du public, d’accord des collectivités et de droit de recours prévues par la loi ; une concertation publique a notamment eu lieu sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP).
La déclaration d’utilité publique est aujourd’hui purgée de tout recours, et les quelques contentieux ont été rejetés par la justice.
L’examen de cette proposition de loi n’est donc pas l’occasion de revenir sur le fond du projet autoroutier, qui a déjà fait l’objet de décisions administratives et de décisions de justice.
Deuxièmement, notre commission a vérifié qu’il n’était pas possible de parvenir au même objectif par le biais d’une autre méthode que la loi.
J’ai notamment exploré trois pistes : une nouvelle DUP, un nouveau PLUi, une révision du PLUi. Comme évoqué tout à l’heure, ces trois options n’offrent pas de solution viable, soit par impossibilité juridique soit par impossibilité pratique. En particulier, elles impliqueraient des délais intenables : d’une part, la DUP existante arrivera à son terme en 2029 ; d’autre part, la situation actuelle d’engorgement du Bas-Chablais est source de nuisances et de risques réels.
Troisièmement, nous avons souhaité mieux comprendre l’objectif d’intérêt général de ce texte, en ce qu’il permet la réalisation d’un projet d’infrastructure essentiel pour la région, dans lequel les collectivités et l’État sont déjà très engagés.
Nous avons pu mesurer l’urgence et l’importance que revêt le désenclavement du Bas-Chablais, qui s’inscrit dans la droite ligne des objectifs de réduction des inégalités territoriales et de développement équilibré des territoires.
L’absence d’infrastructure à la hauteur des enjeux est perçue par la population et par les collectivités territoriales comme une condamnation, comme une relégation. Les accidents, la pollution, les nuisances sonores touchent directement le cœur des villages et des hameaux.
Aussi avons-nous pu observer que, pour toutes ces raisons, l’ensemble des collectivités territoriales et la grande majorité de la population soutiennent ce projet d’intérêt général.
La CNDP a confirmé que seuls 10 % des participants à la concertation s’y étaient déclarés défavorables, ce qui témoigne d’un réel consensus local. Les communes concernées ont toutes rendu un avis favorable sur la déclaration d’utilité publique et nous ont récemment confirmé cet avis. Enfin, aucun des recours en justice déposés contre le projet n’a abouti.
À l’issue de ses travaux, la commission des affaires économiques a donc estimé que, compte tenu de son objectif, cette proposition de loi, en dépit de sa démarche atypique, méritait d’être soutenue.
Elle vise à remédier à des difficultés concrètes d’application du droit de l’urbanisme, lesquelles mettent en danger un projet d’intérêt général soutenu par les parties prenantes, et ce à défaut d’autre solution satisfaisante que cette voie législative.
En commission, nous avons par conséquent adopté sans modification la présente proposition de loi et nous défendons dans l’hémicycle la même position.
Il serait dramatique, dans un pays comme la France, où l’on appelle chaque jour, et surtout dans cette assemblée, à la résorption des inégalités territoriales, à la réindustrialisation ou encore à la simplification du fardeau administratif, que nous sacrifiions sur l’autel de la complexité juridique un projet unanimement reconnu d’intérêt général, alors même qu’une solution existe.
Le projet qui est en question a franchi avec succès toutes les étapes prescrites par la loi : il faut maintenant qu’il puisse être mené à bien, car il est extrêmement attendu. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est présenté aujourd’hui vise – cela a été dit – à permettre la réalisation d’une liaison autoroutière entre les communes de Machilly et de Thonon-les-Bains dans le département de la Haute-Savoie.
Le Bas-Chablais et, plus largement, le département de la Haute-Savoie attendent depuis longtemps la réalisation de cette liaison ; il convient, en la matière, de se donner les moyens d’avancer.
Bien que reconnue d’utilité publique en 2019, la construction de cette liaison nouvelle est actuellement à l’arrêt, car les dispositions du plan local d’urbanisme intercommunal de la communauté de communes du Bas-Chablais adopté en février 2020 s’avèrent incompatibles avec le projet d’infrastructure.
Or – je serai bref, car cela a été bien expliqué – il semble que cette incompatibilité entre le PLUi du Bas-Chablais et le projet autoroutier ne résulte pas d’une décision délibérée des collectivités, mais plutôt d’une erreur de traduction, au sein du document d’urbanisme, d’un projet par ailleurs anticipé, longuement débattu et très attendu.
Il convient donc de corriger cette erreur. L’intervention législative proposée est évidemment exceptionnelle et a vocation à le rester, mais il est important qu’une solution concrète soit rapidement apportée.
Vous l’avez dit, madame la rapporteure, il serait juridiquement possible, en théorie, de faire évoluer le PLUi du Bas-Chablais par les procédures classiques, voire d’attendre qu’un nouveau PLUi soit élaboré par la collectivité.
Mais les délais qu’impliquent ces procédures seraient extrêmement longs, vu le nombre des étapes à franchir, s’agissant d’un projet pour lequel les garanties demandées se trouvent avoir déjà été apportées, toutes les procédures requises ayant été suivies.
Ce choix relève désormais, de manière exceptionnelle et spécifique, d’une décision parlementaire, donc démocratique, assortie en tant que telle de nouvelles garanties. Bien entendu, j’en laisse juge le Sénat, que M. Pellevat et Mme Berthet ont parfaitement éclairé.
J’entends par ailleurs les arguments d’opposants au projet – je me dois de les évoquer – qui, sur le terrain comme peut-être dans cet hémicycle, le refusent en tant que projet routier.
Vous le savez, je partage très clairement la volonté de réduire toujours davantage l’impact environnemental de nos infrastructures de transport et de décarboner au maximum et le plus rapidement possible nos mobilités. C’est ce à quoi je m’attache en prônant la mobilisation des crédits de soutien en faveur du réseau ferroviaire, du report modal et de la transformation de nos infrastructures, ainsi que le montreront les arbitrages qui seront soumis au Parlement dans le sillage de la remise prochaine du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures à Mme la Première ministre.
Toutefois, il faut aussi être clair, réaliste et pragmatique : tous les villages de France ne seront pas demain, en un clin d’œil, accessibles par le train ou par les mobilités douces.
L’usage de la voiture est évidemment complémentaire des modes de transport que je viens de citer ; il reste indispensable dans de nombreux territoires, tout particulièrement en zone rurale et de montagne.
Disons-le, si nous avons besoin de moins de transport routier, nous avons aussi besoin d’un transport routier adapté et plus durable : il faut davantage de transports partagés – covoiturage, autopartage, etc. – et d’électrification, à chaque fois que cela est possible – nous encourageons ces évolutions.
L’ennemi de l’environnement n’est pas la voiture en elle-même, ou la route en elle-même : c’est l’usage individuel et polluant des véhicules. C’est en ce domaine que nous devons agir et accélérer, sur ces transformations que nous devons travailler.
En outre, et c’est heureux, les standards environnementaux applicables à nos infrastructures les plus « traditionnelles », comme la route, vont en s’améliorant ; bien qu’une infrastructure sans impact n’existe pas, nous avons fait beaucoup de progrès, collectivement, en matière de traitement de l’eau ou de protection de la biodiversité.
À cet égard, j’y insiste, le projet en question répond à toutes les garanties environnementales en vigueur, légales comme réglementaires. Le Conseil d’État a d’ailleurs écarté, par une décision du 30 décembre 2021, l’ensemble des contentieux qui demeuraient pendants.
Rappelons enfin que la route qui existe aujourd’hui entre Machilly et Thonon souffre de congestion et n’offre pas les garanties de sécurité élémentaires et suffisantes, l’engorgement du trafic ainsi engendré posant non seulement un problème de sécurité, mais aussi un problème environnemental.
L’État soutient depuis l’origine ce projet de liaison autoroutière qui est très largement et très ardemment souhaité par les collectivités locales et par nombre de sénatrices et de sénateurs ; je tiens en particulier à saluer Cyril Pellevat et Sylviane Noël, ainsi que Loïc Hervé, lui aussi impliqué dans ce projet utile au développement du territoire et conforme à l’ensemble des exigences réglementaires.
Si le recours à la loi pour modifier un PLUi doit rester exceptionnel, il appartient au législateur et, en l’espèce, aux sénatrices et sénateurs aujourd’hui rassemblés, d’en apprécier l’opportunité – j’en ai, pour ma part, indiqué l’importance. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, élu de cette assemblée depuis septembre 2020, je dois avouer que je ne pensais pas, en tant que sénateur, avoir à m’exprimer sur un texte de cette nature.
Élu en Bretagne, dans le département d’Ille-et-Vilaine, il me revient en effet de me prononcer sur le document d’urbanisme d’une communauté de communes située en Savoie…
M. Loïc Hervé. Haute-Savoie !
M. Daniel Salmon. Pardonnez-moi, en Haute-Savoie. Voyez comme je suis déconcerté…
Comme beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, je suis également élu local ; les règles d’urbanisme auxquelles sont soumises les collectivités territoriales sont les mêmes sur l’ensemble du territoire.
Nous avons toutes et tous déjà été confrontés à la révision ou à la mise en conformité d’un PLU visant à permettre la réalisation d’un projet, quel qu’il soit.
Certes, ces règles sont parfois complexes, fastidieuses, longues et coûteuses, mais elles sont la garantie d’un aménagement du territoire respectueux des principes du développement durable, d’une gestion économe de l’espace et des besoins du développement local, tenant compte des politiques nationales et territoriales d’aménagement autant que des spécificités de chaque territoire.
J’ajoute que ces règles sont aussi la garantie, via les enquêtes publiques, qu’une information éclairée est bien fournie aux citoyens quant aux projets d’aménagement d’un territoire – cela n’est pas négligeable.
Il est d’autant plus difficile de se forger un avis sur ce qui a conduit à la présentation de cette proposition de loi que, d’un côté, les auteurs du texte plaident pour une négligence des élus et que, de l’autre, j’ai été destinataire de plusieurs contre-argumentaires selon lesquels les collectivités concernées étaient pleinement informées des risques encourus.
En m’y penchant de plus près, j’ai découvert un véritable serpent de mer, revenant régulièrement dans l’actualité : ce projet de liaison autoroutière entre Machilly et Thonon-les-Bains fait l’objet d’un combat acharné entre ses opposants et ses partisans depuis plus de trente ans.
Je vais m’attacher à m’interroger sur la forme et sur la procédure. Si l’on nous demande aujourd’hui de faire prévaloir la DUP de ce projet autoroutier sur le PLUi, c’est uniquement parce que le nouveau PLUi créé pour le Bas-Chablais ne mentionne pas ce projet d’autoroute, malgré les demandes formulées par l’autorité environnementale et par la sous-préfecture, demandes dont la satisfaction aurait nécessité la réalisation d’une évaluation environnementale, donc un allongement des délais.
La loi est ainsi faite. On peut se demander pourquoi tout cela n’a pas été pris en compte.
Si nous sommes amenés à étudier cette proposition de loi, c’est donc pour réparer ce qui serait, selon les auteurs du texte, un oubli involontaire de la part des élus locaux…
Vous m’excuserez par avance, mes chers collègues, de penser que le Sénat n’est pas le lieu propice pour s’émanciper des garanties spécifiques prévues par nos règles d’urbanisme, alors même que la présente situation aurait pu être évitée maintes fois, dès 2020 par une intégration du projet d’autoroute au PLUi ou en 2021 lors de sa modification simplifiée.
Si ce texte est nécessaire, indiquent de surcroît ses auteurs, c’est parce que ce projet d’autoroute serait lui-même nécessaire, faute d’alternative. À cet égard, je souhaite vous rappeler l’avis émis dans son dernier rapport par le Conseil d’orientation des infrastructures, qu’évoquait M. le ministre : « ce projet local n’a pas de caractère prioritaire pour le système de transport national » et la desserte du Chablais pourrait être améliorée, en renforçant notamment le service ferroviaire du Léman Express, réseau qui a prouvé son efficacité en transportant plus de 50 000 voyageurs par jour.
Je conclurai mon propos, en soulignant le risque constitutionnel qui pèse sur le présent texte. En effet, la seule justification avancée pour une telle loi de validation est le retard pris dans la conclusion du contrat de concession, donc dans la réalisation du projet. Or la jurisprudence du Conseil constitutionnel est claire : un tel retard ne constitue pas un motif d’intérêt général.
En adoptant ce texte, nous créerions un fâcheux précédent, qui n’honorerait pas le Sénat ni ne rendrait justice à sa conception de ce que sont la loi et l’intérêt général.
Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste votera contre ce texte qui lui semble fort incongru. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la lecture des conclusions de la conférence des présidents publiées le 13 décembre dernier, comme un certain nombre d’entre nous, j’ai été quelque peu surpris, pour ne pas dire désarçonné, d’apprendre que le Sénat allait examiner une telle proposition de loi.
Peut-être s’agissait-il d’une erreur d’impression, d’une publication involontaire de l’ordre du jour d’une réunion du conseil communautaire de Thonon-les-Bains ?
Non, j’avais bien lu ! Il nous revenait bien à nous, parlementaires, de régulariser le plan local d’urbanisme intercommunal de la communauté de communes du Bas-Chablais. Notre rapporteure, que je remercie pour son travail expertisé et documenté, nous l’a bien confirmé en commission : « Ce texte est inhabituel et concerne un cas spécifique. »
Dans un contexte d’inflation législative, qu’a regretté le président de notre assemblée lors de la présentation de ses vœux, nous pourrions considérer que le signal envoyé par l’examen de ce texte n’est pas positif. Mes chers collègues, quel message souhaitons-nous envoyer aux élus locaux à l’heure où la décentralisation doit être confortée par une future loi sur les libertés locales ?
Et puis, passé l’étonnement, nous avons cherché à comprendre : pourquoi diable passer par le Sénat pour valider un projet d’aménagement local ?
L’objet du texte est un projet d’autoroute situé dans une zone à forte progression démographique. L’idée de construire un axe de 2x2 voies reliant Annemasse, en l’état initial du projet, puis Machilly, à Thonon-les-Bains, date des années 1980, période où des études furent lancées pour la première fois.
La motivation politique était forte autour de ce projet inscrit au schéma directeur routier national le 1er avril 1992 ; de grandes figures nationales se sont prononcées, à l’époque, pour soutenir ce projet – je pense à Bernard Bosson ou à Pierre Mazeaud.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Bernard Buis. Défendu par les milieux économiques du territoire au motif que sa réalisation favoriserait l’attractivité, le tourisme et la mobilité des habitants, le projet d’A400 fut déclaré d’utilité publique le 6 mai 1995. Mais, en raison d’un front uni d’opposants rassemblant maires et riverains, il fut rejeté par le Conseil d’État en mars 1997.
Après moult rebondissements dont je vous fais grâce, le projet est remis sur les rails vingt ans plus tard et une nouvelle déclaration d’utilité publique est signée en 2019 par le Premier ministre Édouard Philippe.
Nous aurions pu espérer qu’enfin ce dossier serait clos, mais la complexité des normes d’urbanisme et l’oubli concernant la mise en compatibilité du PLUi du Bas-Chablais en auront décidé autrement.
Dans ces conditions, malgré les réserves émises, ce projet doit aboutir. Et si, à titre exceptionnel, il faut passer par notre assemblée, alors nous soutiendrons la présente solution législative, qui permettra d’accélérer et d’achever le processus.
Sur le fond, en effet, ce projet a du sens : situé aux portes de l’agglomération genevoise et bordé par le lac Léman, le Chablais connaît depuis plus de cinquante ans un dynamisme démographique et économique. Sa population a plus que doublé entre 1960 et 2010, pour atteindre 130 000 habitants.
Au regard de la documentation que j’ai pu consulter, nous avons affaire à un territoire particulièrement enclavé, qui ne bénéficie d’aucune voie nationale, contrairement au reste du département.
Élu drômois, plus précisément du Diois, région montagneuse qui couvre le sud du massif du Vercors et le nord de la Drôme provençale, je sais ce que signifie l’enclavement : je connais ses conséquences pour les habitants du point de vue des temps de déplacement.
Plus du tiers des actifs du Chablais travaillent en dehors de ce territoire ; un quart d’entre eux travaillent en Suisse. Plus de 80 % de ces actifs utilisent leur véhicule pour aller travailler, ce qui conduit à un engorgement du réseau secondaire, lui-même cause de diverses nuisances.
Si ce projet, soutenu par la population locale et par une grande partie des élus du département, peut permettre de faciliter les déplacements en direction de pôles d’attractivité comme le Genevois, alors, oui, nous devons le soutenir.
Ainsi mettrons-nous un point final à ce serpent de mer ; le territoire dont il est question disposera enfin d’un projet structurant, facteur d’attractivité, qui permettra de désengorger les petits bourgs et de répondre aux besoins de l’économie locale.
Notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Yves Détraigne, Loïc Hervé et Cyril Pellevat applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’associe à mon propos mon collègue Christian Redon-Sarrazy, chef de file du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur ce texte.
Une fois n’est pas coutume, je vais formuler au nom de mon groupe des explications de « non-vote » sur cette proposition de loi visant à régulariser le PLUi de la communauté de communes du Bas-Chablais. C’est là un choix rare, mais qui s’impose.
Il va sans dire que l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de notre assemblée par la droite sénatoriale nous a grandement étonnés.
Comportant un seul article, cette proposition de loi prévoit que les dispositions du décret du 24 décembre 2019 déclarant d’utilité publique le projet de liaison autoroutière entre Machilly et Thonon-les-Bains et portant mise en compatibilité des documents d’urbanisme prévalent sur les dispositions contraires du PLUi du Bas-Chablais approuvé par le conseil communautaire de Thonon Agglomération le 25 février 2020.
L’objectif de cette manœuvre législative est de permettre la construction du dernier tronçon de 16,5 kilomètres de l’autoroute A400, qui désenclaverait les communes de ce territoire du Chablais.
Le PLUi du Bas-Chablais, en cours d’élaboration au moment de l’adoption du décret, n’a in fine pas pris en compte la réalisation de cette autoroute, son approbation annulant toutes les mises en conformité, ainsi que la réservation des espaces concernés par les travaux.
Thonon Agglomération a donc ouvert une demande de modification simplifiée du PLUi et saisi la mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) d’Auvergne-Rhône-Alpes d’une demande d’examen au cas par cas.
La MRAe a décidé, sans doute contre les attentes de Thonon Agglomération, de soumettre cette procédure à une évaluation environnementale. Pour engager ce projet d’autoroute, il faudrait donc réviser le PLUi dans le respect des procédures prévues, notamment en fournissant au public une information éclairée, quitte à engendrer un nouveau retard.
Parce que Thonon Agglomération souhaite éviter une telle éventualité et de nouveaux blocages, les deux sénateurs de Haute-Savoie membres du groupe Les Républicains ont sollicité le Sénat pour « régulariser » ce projet et forcer la révision de ce PLUi en invoquant un motif d’intérêt général.
Mes chers collègues, prenons un peu de recul sur une telle proposition de loi : nous avons tous, dans nos territoires respectifs, des cas particuliers ou difficiles à régler en matière d’urbanisme. Imaginons que chacun d’entre nous s’inspire de nos deux collègues et songeons à l’allure qu’aurait alors notre ordre du jour !
Plus sérieusement, cette proposition de loi porte atteinte à plusieurs principes constitutionnels et à la crédibilité de notre institution.
L’objectif allégué par les auteurs de cette proposition de loi, qui invoquent l’intérêt général, ne satisfait aucunement à la norme constitutionnelle, mais répond seulement à la volonté, d’ailleurs clairement affichée, d’accélérer la réalisation d’un projet en contournant les règles en vigueur relatives à l’évaluation environnementale.
Le texte qui nous est soumis ne respecte ni l’obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement, ni la procédure d’évaluation environnementale qui suppose la participation du public, ni le droit au recours.
Par ailleurs, requérir la procédure législative pour régler une situation strictement locale est invraisemblable. Le Sénat ne dispose d’aucun droit d’ingérence dans des projets territoriaux de cet ordre.
J’y insiste, comment peut-on valider un tel contournement des procédures habituelles, notamment en matière d’évaluation de l’impact environnemental et de consultation des citoyens ?
Comment peut-on demander au Sénat, chambre des territoires, de passer outre les prérogatives des collectivités quant à leurs documents d’urbanisme ?
Comment croyez-vous, mes chers collègues, que cette manœuvre sera perçue par les élus locaux, quel que soit leur département ? N’y a-t-il pas là une grave atteinte à la crédibilité de notre institution ?
Ce texte est naturellement soutenu par les deux sénateurs Les Républicains du département de la Haute-Savoie, par la majorité sénatoriale, mais aussi – on doit le souligner – par le Gouvernement. En dépit de ses irrégularités, il a donc de fortes chances d’être adopté à l’Assemblée nationale. Voilà un exemple supplémentaire du mépris du Gouvernement à l’égard du Parlement : des projets de loi essentiels y sont, sans vote, considérés comme adoptés, on y régularise des dossiers locaux… Bientôt, le Gouvernement ne s’embarrassera même plus de nous consulter sur quoi que ce soit !
Voter ce texte créera un dangereux précédent dans la régularisation des projets territoriaux, confirmant la négation des prérogatives des communes et le peu de cas qui est fait de l’opinion de nos concitoyens ou des procédures en matière de défense de l’environnement, quand nous ne pouvons plus nous permettre de les ignorer.
Enfin, cette manœuvre nie toute idée de participation collective à l’élaboration de projets qui concernent pourtant en premier lieu les usagers.
Voter contre ou s’abstenir sur ce texte reviendrait à cautionner la sollicitation du Sénat en la matière. Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, vous aurez compris qu’il nous était impossible, par respect pour notre institution, de le faire.
Dans un refus de décrédibiliser notre assemblée, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne prendra donc pas part au vote sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, cela a été dit, nous avons été plusieurs à nous interroger sur l’opportunité de légiférer pour régulariser le PLUi d’une communauté de communes précise – aujourd’hui celle du Bas-Chablais –, ce qui pourrait ouvrir la voie, demain, à l’examen par notre assemblée d’autres situations particulières.
Le Bas-Chablais se situe dans la région Auvergne-Rhône-Alpes et les différents élus que je connais m’ont fait part de la réalité de l’engorgement de ce territoire, notamment au niveau des dix communes concernées par la création de ce nouvel axe routier.
Ce projet est soutenu par la grande majorité des élus locaux et par les habitants, mais il a du mal à se concrétiser, comme cela a été relevé. Il était toutefois en bonne voie – les élus et les habitants y ont cru – avec une déclaration d’utilité publique et une enquête publique purgée de tout recours.
J’entends les réserves émises sur le besoin de soutenir des modes de transport alternatifs, notamment les transports en commun. C’est aussi ce que nous suggérons pour offrir la possibilité de voyager autrement et ce que nous portons dans les débats sur la mobilité.
Pour autant, ce territoire a des particularités géographiques, liées notamment à son relief, et la desserte ferroviaire, solution la moins polluante, ne saurait constituer la seule réponse. Il convient donc d’améliorer dès aujourd’hui la circulation par voie routière.
Au même titre que l’on peut considérer que ce n’est pas au Parlement d’intervenir sur une compétence pleinement décentralisée, nous n’avons pas non plus vocation à opposer un projet alternatif à celui retenu et choisi démocratiquement par les collectivités concernées.
Il nous est demandé de corriger ce qui s’apparente à une erreur, en espérant que la présentation de ce type de texte ne se répète pas, ce qui n’est pas sûr, puisque le cas du Bas-Chablais nous semble symptomatique.
En effet, de nombreuses compétences sont régulièrement transférées aux collectivités, récemment par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, et dernièrement par la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS. Si ces transferts permettent parfois de privilégier des politiques publiques conçues dans un souci de proximité, les moyens accordés aux collectivités sont malheureusement toujours en deçà de leurs besoins réels, ce qui contribue à aggraver les difficultés qu’elles rencontrent.
J’ajoute, monsieur le ministre – nous le répétons sur toutes les travées –, que, pour renforcer la décentralisation, il faut mettre en place une véritable déconcentration, avec des fonctionnaires d’État qui accompagnent les élus et sécurisent la prise de décision.
Quoi qu’il en soit, il ne serait pas juste de faire payer ce manque de moyens et l’erreur de mise en conformité qui en découle par un retard supplémentaire.
Nous entendons la demande formulée par les élus locaux et l’attente des habitants des dix communes concernées, qui ont entendu parler de ce projet depuis des décennies, mais demeurent relativement mal connectés au reste du département, et donc de la région. Cet axe routier est pour eux une véritable opportunité en matière de développement, de mobilité et de réduction de la pollution sonore qu’ils subissent au quotidien.
Nous ne nous opposerons pas à l’adoption de ce texte, mais nous ne l’encouragerons pas non plus. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste s’abstiendra.
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet après-midi, c’est l’avenir du Chablais qui nous réunit.
Le Chablais est l’une des six provinces de la Savoie historique. Situé sur la rive sud du Léman, entre lac et montagnes, il représente l’essentiel du territoire de l’arrondissement de Thonon-les-Bains. C’est un territoire dynamique de plus de 100 000 habitants, à la fois touristique, agricole et industriel. Ne buvez-vous pas régulièrement de l’eau d’Évian ou de Thonon ?
La géographie apparemment très favorable de ce territoire crée cependant des contraintes importantes en termes de desserte par les infrastructures, notamment routières. Ainsi, les Chablaisiens subissent-ils au quotidien les bouchons routiers, quand ils vont vers Genève, Annecy ou la vallée de l’Arve ou qu’ils en reviennent.
L’idée de la création d’une liaison routière et autoroutière entre l’A40 et Thonon-les-Bains n’est pas nouvelle : elle date d’une quarantaine d’années.
Alors que nous approchons de la mise en concession, après que toutes les étapes voulues par la loi ont été franchies avec succès, un écueil insurmontable, semble-t-il, risque de retarder durablement ce projet qui n’a que trop traîné.
Il est vrai que l’idée de régler cette situation par la loi est surprenante, inédite, presque innovante.
Si l’on se fonde sur la hiérarchie des normes, selon laquelle une loi prévaut sur un décret, qui lui-même prévaut sur un arrêté ministériel et sur les actes des collectivités territoriales, il faudrait passer par la loi pour rectifier le document graphique du PLUi de l’ex-communauté de communes du Bas-Chablais. Soit… Je mets donc mes interrogations de côté et vais faire confiance à Mme la rapporteure, ainsi qu’aux services de l’État et à leur analyse, en apportant mon suffrage à l’adoption de cette proposition de loi.
Si la liaison autoroutière mérite absolument d’être soutenue et réalisée, elle ne changera rien à elle seule et risque d’être saturée dès son ouverture dans quelques années. En effet, le désenclavement du Chablais sera multimodal ou ne sera pas ! Une véritable préservation de notre environnement passe bel et bien par là.
Le Président de la République a annoncé sa volonté de développer des réseaux RER dans dix métropoles. Dans l’agglomération franco-valdo-genevoise, nous avons déjà le onzième : le Léman Express. Il nous faut plus de trains, et aussi des trains qui vont plus vite, ainsi que des parkings relais bien positionnés qui permettent le transfert de l’automobile au train.
Je formule le vœu que l’étoile ferroviaire autour de Genève puisse bénéficier de travaux permettant au train de reprendre toute sa place, à l’ouest du Chablais entre Genève et Évian, via Annemasse et Thonon-les-Bains, mais également à l’est avec la réalisation du RER Sud-Léman, qui assurerait le bouclage du lac avec la remise en service de la voie ferrée dite « du Tonkin ».
Il n’y a pas que la route, l’autoroute et le train : il y a aussi le bateau ! En effet, la desserte des grandes villes du littoral du Léman, sur la rive nord comme sur la rive sud, doit être considérablement développée.
Tout comme doivent être développés les transports publics du quotidien, autour de la ligne de bus à haut niveau de service, corollaires indispensables du désenclavement routier et autoroutier du Chablais.
Enfin, je me ferais taper sur les doigts si j’oubliais le vélo, avec la ViaRhôna, et les mobilités douces, très adaptées à la topographie et au climat tempéré des rives du Léman.
Nous avons besoin d’un chef d’orchestre et d’un ensemblier pour mettre en œuvre cette vision stratégique, pour fédérer les initiatives des collectivités territoriales et des acteurs locaux et pour suivre les engagements politiques pris par les uns et les autres, souvent à grands coups de clairon médiatique.
J’en appelle à vous, monsieur le ministre, afin que l’État joue complètement son rôle de suivi des différents projets, en s’assurant qu’ils sont bien menés de conserve. J’espère que vous saisirez cette occasion pour garantir la mise en œuvre d’un désenclavement durable du Chablais et du nord de la Haute-Savoie.
Nous devons apporter aux Chablaisiens une accessibilité digne de leur territoire. (Mme Sylviane Noël et M. Michel Savin applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remplace au pied levé mon collègue Christian Bilhac, qui ne peut être présent parmi nous.
La présente proposition de loi vise à procéder par voie législative au déblocage du projet dit LMT de liaison autoroutière entre Machilly et Thonon-les-Bains en Haute-Savoie, projet déclaré d’utilité publique en décembre 2019, mais dont le tracé n’apparaît pas dans le PLUi du Bas-Chablais. En cause : une complexité procédurale due à une modification du PLUi concomitante à l’évolution du périmètre de la collectivité et à la procédure liée à la DUP.
L’enquête publique liée à cette DUP a été menée en 2018 et porte sur des opérations de réalisation d’une liaison nouvelle à 2x2 voies à caractéristique autoroutière sur un linéaire de 16,5 kilomètres entre la route départementale 1206 à Machilly et le diffuseur d’Anthy-sur-Léman pour le contournement de Thonon-les-Bains et l’accès à la zone industrielle de Perrignier, sur la suppression de deux passages à niveau de la route départementale 135 et sur la requalification de la route départementale 903 dans les traverses de Bons-en-Chablais et Perrignier, bien que cette dernière ne relève pas d’une DUP.
Afin de ne pas retarder davantage la réalisation du projet, il est ici proposé de recourir à la loi plutôt qu’à une procédure ordinaire de modification simplifiée du PLUi, que la communauté d’agglomération avait tenté de mener avant que la mission régionale d’autorité environnementale d’Auvergne-Rhône-Alpes n’exige, en décembre 2021, une évaluation environnementale du projet. En effet, le fuseau autoroutier n’a pas été intégré lors de l’élaboration du PLUi, alors que l’enquête publique sur la mise en compatibilité des documents d’urbanisme avait eu lieu dès 2018.
Mes chers collègues, permettez-moi de faire deux remarques.
La première est de principe. Si le législateur doit intervenir à chaque fois qu’un PLU, un PLUi, un Sraddet ou tout autre projet d’intérêt local ou régional connaîtra des difficultés de mise en œuvre, il conviendra désormais que le Parlement siège cinquante-deux semaines par an…
La deuxième remarque est inspirée de mon expérience d’élu de terrain.
J’ai bien noté que ce projet de liaison autoroutière s’inscrivait dans une démarche de transition écologique exemplaire du point de vue de son insertion environnementale.
Pour autant, j’ai connu le même type de projet dans mon département, l’Hérault : alors même qu’il n’y avait aucune incompatibilité entre les textes existants, les associations environnementales ont contesté le dossier sur le plan juridique, ce qui a entraîné un retard de plus de dix ans.
Loin de moi le souhait que le « LMT » subisse le même sort, si le PLUi devait faire l’objet d’un nouveau recours en raison de l’absence d’évaluation environnementale intégrant le projet. Mais il y a fort à parier que l’on redécouvre sur ce trajet nombre d’espèces rares, souvent inconnues du grand public.
Vous l’aurez compris, le groupe du RDSE, par respect pour notre rôle de législateur et exclusivement pour des raisons de forme, ne participera pas au vote de ce texte qui, pour être utile, n’en est pas moins incongru dans cet hémicycle. En l’absence de motif impérieux d’intérêt général, nous ne pouvons soutenir ce projet de loi de validation. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Sylviane Noël. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sylviane Noël. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le plaisir et l’honneur me reviennent de quasiment clôturer cette discussion générale relative à la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui et dont je suis coauteure avec Cyril Pellevat.
Je tiens tout d’abord à remercier vivement notre rapporteure Martine Berthet pour la qualité de son travail, le sérieux et la rigueur avec lesquels elle a abordé cette proposition de loi.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il me semble important en préambule de vous présenter le contexte particulier dans lequel s’inscrit cette demande de validation législative.
De quel territoire parlons-nous ?
Du Chablais, la région la plus septentrionale des Alpes françaises, un secteur de Haute-Savoie particulièrement dynamique d’un point de vue démographique – la population de Thonon Agglomération a crû de 16,5 % en onze ans –, regroupant des lieux touristiques de renommée internationale – Évian, Thonon-les-Bains, Morzine, Avoriaz, Châtel et bien d’autres stations, ce qui représente 207 000 lits touristiques –, et des activités économiques de premier plan, avec notamment les eaux minérales d’Évian. Cette usine d’embouteillage, qui est la plus importante de France et l’une des trois plus grandes du monde, compte 1 200 salariés ; 6 millions de bouteilles quittent chaque jour ce site : une partie est distribuée via le réseau ferroviaire, une autre par la route.
Ce territoire se caractérise également par des échanges internationaux de premier ordre, le Chablais se situant à l’interconnexion avec Genève, le canton de Vaud et le Valais.
Sur le plan politique, il fut l’un des derniers de France à être couvert par l’intercommunalité. Vous allez comprendre, mes chers collègues, que cette précision et la chronologie des événements ont toute leur importance dans le dépôt de ce texte et dans les raisons qui ont conduit à cette incohérence dans les documents d’urbanisme – le sujet qui nous occupe aujourd’hui.
Il s’agit en effet du dernier territoire de France à être couvert en totalité par un EPCI à fiscalité propre : une intercommunalité née sous la contrainte, au prix de nombreux débats, parfois violents, au sein de la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI).
La ville de Thonon-les-Bains est ainsi restée dépourvue de tout rattachement intercommunal jusqu’au 1er janvier 2017, date à laquelle est née Thonon Agglomération du regroupement des communautés de communes du Bas-Chablais et des Collines du Léman et de la ville de Thonon-les-Bains.
Avant l’avènement de cette communauté d’agglomération, la communauté de communes du Bas-Chablais, concernée par le tracé de l’autoroute, avait, le 17 décembre 2015, prescrit l’élaboration du PLUi sur l’intégralité de son territoire. En 2017, cette communauté de communes a disparu au profit de Thonon Agglomération, qui reprit alors la main sur cette procédure.
Le 22 octobre 2019, le conseil communautaire de Thonon Agglomération arrêta le projet de PLUi du Bas-Chablais avant de l’approuver définitivement le 25 février 2020.
Dans cet intervalle, deux mois auparavant – le 24 décembre 2019 – fut signé le décret du Premier ministre déclarant d’utilité publique le projet de voie nouvelle entre Machilly et Thonon, décret portant mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme des communes concernées.
Cette chronologie révèle parfaitement que l’absence du tracé de cette autoroute dans le PLUi du Bas-Chablais est incontestablement liée à un défaut de vigilance de l’ensemble des services, dans un contexte d’enchevêtrement de procédures complexes menées concomitamment et de construction d’intercommunalité. Or il s’agit d’une infrastructure absolument vitale pour désenclaver le territoire chablaisien, l’un des derniers barreaux autoroutiers manquants du département.
Il convient par ailleurs de souligner que des 2x2 voies existent déjà aux extrémités de ce projet autoroutier : en amont, la 2x2 voies entre Machilly et le Carrefour des Chasseurs, qui sera complétée très prochainement par une liaison « A40-Chasseurs » portée par le département de Haute-Savoie ; en aval, le contournement de Thonon-les-Bains, également en 2x2 voies.
Au milieu se trouve ce goulot d’étranglement, source de bouchons interminables aux heures de pointe, ces 16 kilomètres qui ne sont pas mis au gabarit et qui supportent un trafic routier très soutenu traversant plusieurs communes, y compris rurales – on a enregistré jusqu’à 22 000 véhicules traversant quotidiennement certaines d’entre elles.
Cette situation a conduit l’État à prendre la décision de transformer en 2x2 voies ce tronçon sous concession autoroutière.
Il est en effet inconcevable de laisser persister un tel trafic sur le réseau routier secondaire avec tous les risques que cela comporte. L’actualité de notre département l’a tristement rappelé il y a quelques jours seulement : l’explosion d’un camion-citerne circulant en zone agglomérée a causé deux blessés graves et des dégâts matériels très importants.
Il est de bon sens de terminer ce projet porté par l’État. Je rappelle que l’ensemble des procédures ont été validées et tous les recours purgés, le Conseil d’État ayant confirmé il y a un an le rejet des recours des opposants.
La procédure de validation législative, parfaitement encadrée, est incontestablement adaptée à ce type de situation, puisqu’elle vise à réparer une pure erreur matérielle de procédure, comme c’est le cas en l’espèce.
Notons qu’une vingtaine de procédures de ce type sont examinées en moyenne chaque année par le Parlement français, pour des cas spécifiques. Il nous est ainsi arrivé de légiférer sur des questions très particulières concernant la Clairette de Die, des règles spécifiques pour l’aménagement des jeux Olympiques et du Grand Paris ou encore des délais supplémentaires accordés pour l’élaboration de PLUi métropolitains.
Mes chers collègues, nous avons été, pour bon nombre d’entre nous, élus locaux avant d’être sénateurs et nous connaissons les lourdeurs administratives immenses liées à ces procédures d’élaboration des documents d’urbanisme, a fortiori au stade intercommunal, et à la conduite de ce type d’infrastructures structurantes.
En l’occurrence, ce projet est attendu depuis près de trente ans et fortement soutenu par l’immense majorité des collectivités locales, des entreprises et des citoyens souffrant de cet enclavement et des difficultés de circulation qui s’aggravent avec le temps.
Nous ne sommes jamais à l’abri d’une erreur ou d’un oubli, qui ne peut en aucun cas remettre en cause le bien-fondé et le sérieux d’un projet porté durant une dizaine d’années de concertations, d’études et de procédures parfaitement menées à bien et tout à fait transparentes : l’ensemble des documents de Thonon Agglomération prennent en compte, dans leurs équilibres et orientations, le projet de liaison autoroutière.
Les élus de nos territoires et nos concitoyens déplorent chaque jour notre complexité administrative, source d’erreurs et de contentieux. Dans sa grande sagesse, le législateur a permis par le biais de ces validations législatives une résolution rapide et efficace des erreurs et omissions dont nous pouvons tous être responsables un jour ou l’autre. Ne nous privons pas de cette solution et servons-nous de cet exemple pour tenter de simplifier davantage ce type de démarche, source de contentieux !
Le Sénat, chambre des territoires, doit faire montre de son pragmatisme, en permettant une résolution rapide de ce type de problématique. Les élus locaux n’attendent rien de moins de ceux qui ont le privilège et l’honneur de les représenter au sein de cet hémicycle.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter massivement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Bas-Chablais est un territoire particulièrement prospère et attractif, qui voit sa population augmenter considérablement. Il est situé entre lac, vallées et montagnes et ses habitants bénéficient de la beauté des rives du lac Léman.
Sa position géographique en fait également un lieu de passage stratégique pour les travailleurs transfrontaliers, toujours plus nombreux à faire chaque jour le trajet entre la France et la Suisse. Face à l’augmentation rapide des flux routiers et la tension sur les lignes ferroviaires, les élus locaux tirent la sonnette d’alarme depuis des années.
Défendue par les autorités publiques, souhaitée par les élus locaux et surtout attendue par les habitants, la construction d’une liaison autoroutière entre les villes de Machilly et de Thonon-les-Bains est annoncée depuis plusieurs années.
Une large concertation publique a été engagée et les recours déposés au Conseil d’État, en opposition au projet, ont été examinés. Le projet en est sorti renforcé et conforté dans son caractère d’intérêt général. La construction d’une liaison 2x2 voies répondrait efficacement à la congestion croissante des axes de circulation actuels.
Après diverses péripéties, ce projet a été déclaré d’utilité publique en 2019, comme cela a été rappelé. Le décret en question emporte mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme des communes concernées.
Pourtant, à la complexité administrative se sont ajoutés des aléas de calendrier, empêchant le projet de liaison autoroutière de figurer dans le PLUi de la communauté de communes.
Nous avons donc été saisis d’une requête à visée dérogatoire, ce qui est très inhabituel pour un cas particulier. Mais ce projet est important pour le Bas-Chablais au vu des difficultés présentes et des perspectives démographiques. Nous pouvons, dans ce cas, prendre en considération les spécificités des territoires et adapter le droit aux situations locales.
Aujourd’hui, nous soutenons ce projet d’intérêt général qui répond aux grandes difficultés de circulation et d’enclavement dont témoignent les habitants du Bas-Chablais. Parmi les différentes options, le recours à la loi paraît être la solution la moins imparfaite pour répondre aux impératifs de calendrier.
L’adoption de ce texte mettra un terme à cette situation de paralysie administrative et de joute procédurale entre les parties prenantes. Au nom du groupe Les Indépendants – République et Territoires, j’accueille donc favorablement cette proposition de loi, tout en soulignant que le recours à la loi pour régulariser un PLUi doit rester exceptionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à régulariser le plui de la communauté de communes du bas-chablais
Article unique
Les dispositions de l’article 6 du décret du 24 décembre 2019 déclarant d’utilité publique les travaux de création d’une liaison à 2 × 2 voies entre Machilly et Thonon-les-Bains, dans le département de la Haute-Savoie, conférant le statut autoroutier à la liaison nouvellement créée et portant mise en compatibilité des documents d’urbanisme des communes de Machilly, Bons-en-Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel et Thonon-les-Bains prévalent sur les dispositions contraires du Plan local d’urbanisme intercommunal du Bas-Chablais approuvé par le conseil communautaire de Thonon agglomération le 25 février 2020.
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par MM. Salmon, Labbé, Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, cette proposition de loi soulève de graves difficultés sur le plan constitutionnel.
Le but invoqué par les auteurs de ce texte est la volonté d’accélérer un projet, en s’émancipant des règles en vigueur relatives à l’évaluation environnementale, ce qui méconnaîtrait l’obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement, le principe de participation du public induit par la procédure d’évaluation environnementale et le droit au recours.
À l’heure de l’urgence climatique, qui n’aura échappé à personne, et du nécessaire respect de l’environnement, il n’est pas acceptable qu’un texte vienne s’affranchir de l’ensemble des garanties propres à l’évaluation environnementale.
Cette proposition de loi posant question sur la forme comme sur le fond, nous proposons de supprimer cet article. Accélérer la construction d’une autoroute en ce début d’année 2023 nous semble complètement anachronique ; c’est une négation de l’urgence climatique.
Il existe des procédures. Prenons notre temps ! Des projets qui étaient sans doute valides il y a quelques années s’avéreront complètement néfastes demain.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Berthet, rapporteure. Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, ce texte poursuit un objectif que nous pouvons tous partager. Il s’agit de permettre à un projet d’intérêt général, déjà validé et soutenu par les collectivités territoriales et la majorité de la population, de se poursuivre.
Il n’est aucunement question d’aller à l’encontre des compétences des collectivités territoriales, qui sont en attente de ce texte et qui ont déjà consenti en 2019 à la mise en compatibilité de leurs documents d’urbanisme. Au contraire, elles souhaitent pouvoir faire évoluer leurs documents dans les conditions qui sont d’ordinaire permises en cas de déclaration d’utilité publique.
Il n’est pas non plus question de réduire l’information du public : je rappelle que le projet a fait l’objet d’une concertation publique sous l’égide d’un garant désigné par la Commission nationale du débat public, de l’ensemble des consultations obligatoires – chambre d’agriculture, communes – et d’une enquête publique en bonne et due forme. Il s’agit plutôt d’éviter au projet de repasser inutilement par l’ensemble de ces étapes, alors qu’il n’a pas évolué d’un iota.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Clément Beaune, ministre délégué. Je rappelle que le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur l’ensemble de cette proposition de loi.
Il nous semble qu’il revient au Sénat d’exprimer sa position sur ce texte. C’est pourquoi le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 114 :
Nombre de votants | 265 |
Nombre de suffrages exprimés | 264 |
Pour l’adoption | 12 |
Contre | 252 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à régulariser le PLUi de la communauté de communes du Bas-Chablais.
(L’article unique est adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par MM. Salmon, Labbé, Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
Après les mots :
visant à
insérer les mots :
contourner le droit de l’urbanisme pour
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Essayons au moins d’être clairs sur le titre de cette proposition de loi, franchement atypique. Nous vous proposons d’en compléter l’intitulé afin de bien définir les moyens mis en place pour atteindre les objectifs recherchés.
Nous souhaitons ainsi préciser que cette proposition de loi vise à « contourner le droit de l’urbanisme » (Marques d’ironie sur les travées du groupe UC.)…
M. Loïc Hervé. Ce n’est pas très respectueux ! (Mme la rapporteure et Mme la présidente de la commission opinent.)
M. Daniel Salmon. … dans le but de régulariser le PLUi de la communauté de communes du Bas-Chablais. Cette expression aura le mérite de clarifier les choses !
Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter ce changement d’intitulé et vous remercie de votre confiance.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Berthet, rapporteure. La commission est bien évidemment défavorable à cet amendement.
Cette proposition de modification de l’intitulé de la proposition de loi ne reflète ni le contenu ni l’intention dudit texte. Le droit n’est en l’occurrence pas contourné, car il n’y a pas de volonté de faire échec aux compétences des collectivités ou de supprimer des garanties de participation. Toutes ces étapes ont déjà été franchies avec succès au cours des dernières années : il n’y a pas de recul et pas d’évolution a posteriori du projet.
C’est loin d’être la première fois que la loi traite de cas spécifiques pour lever des obstacles ou proposer des simplifications. S’il s’agit bien ici d’une mesure dérogatoire, qui élève au niveau législatif la déclaration d’utilité publique portant mise en compatibilité, cette dérogation se justifie par l’absence d’alternatives réalistes et par l’intérêt général du projet.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Les dispositions de cet amendement reflètent bien l’intention initiale des auteurs du texte. Comme l’ont souligné certains intervenants, nous sommes en train de créer un précédent assez dangereux en intervenant sur plusieurs documents qui ne seraient pas conformes à la loi.
De plus, j’ai entendu un des coauteurs du texte nous expliquer que nous n’avions pas à donner notre avis si nous ne venions pas du territoire concerné. Les membres de la représentation nationale, à laquelle il propose un texte, devraient donc avaler tout ce qu’on leur raconte sans réagir !
Certains propos tenus dans cet hémicycle m’inquiètent. Je suis assez perplexe quand on nous explique qu’une autoroute sera vertueuse pour l’environnement… Quant à la compensation, on sait qu’elle n’est qu’une vaste fumisterie, mais j’ai bien compris qu’elle faisait partie du socle qui rendrait « vertueux » ce ruban de bitume.
Ce projet a été imaginé dans les années 1980. Alors que le Président de la République nous dit que nous n’atteignons pas nos objectifs, que nous sommes même largement en deçà et qu’il faudra redoubler d’efforts, le ministre des transports veut faire du « en même temps » et développer les infrastructures et ferroviaires et routières. Tout cela n’est pas sérieux ; c’est même extrêmement inquiétant pour la suite, pour notre avenir et pour le climat.
J’y insiste, je suis très inquiet. Nous assistons à une forme de fuite en avant dans le domaine des projets routiers, qui représentent des milliards d’euros d’investissement et dont beaucoup sont encore dans les cartons. Il faut vite arrêter tout cela et se concentrer sur le report modal, afin d’apporter des solutions réelles aux problèmes réels des territoires.
Pour ces raisons, nous voterons contre ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Nous devons éviter les écueils sur ce texte. Nous ne pouvons pas dire qu’il faut décentraliser, renforcer les pouvoirs des élus locaux, et stigmatiser les projets qu’on nous présente ! (M. Thomas Dossus proteste.)
La question n’est pas tant de savoir de quel territoire nous venons, puisque les mêmes problèmes se posent sur l’ensemble du territoire national. Je fais partie de ceux qui défendent le train ; mais nous savons aussi qu’il ne pourra passer partout.
La problématique de ce territoire du Bas-Chablais est bien réelle : il est urgent de désengorger un certain nombre de communes traversées quotidiennement. Parallèlement, nous savons que les différents modes de transport se développent de manière complémentaire dans cette partie de la Haute-Savoie.
Que l’on soit ou non d’accord avec cette proposition de loi, faisons attention à ne pas prêter le flanc à la critique en laissant croire que le travail parlementaire n’a pas été mené sérieusement. Le sens initial du texte est non pas de déroger au code de l’urbanisme, mais d’essayer d’apporter une solution aux habitants d’un territoire.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur Dossus, je comprends que l’on ne soit pas d’accord avec cette proposition de loi qui, je le redis, ne porte pas sur l’intérêt du projet, mais sur la procédure suivie, laquelle a été mal conduite en raison de la complexité du droit de l’urbanisme.
En revanche, mon cher collègue, je ne peux accepter vos propos selon lesquels nous chercherions à faire avaler des couleuvres ou des mensonges ! J’aimerais que vous respectiez le travail de Mme la rapporteure, qui n’essaye pas de vous faire avaler quoi que ce soit ! Elle a mené des auditions et effectué un travail sérieux ! Par respect pour sa personne, je vous demande de vous excuser. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Madame la présidente, je veux bien présenter mes excuses si j’ai été mal compris : je visais les propos non pas de la rapporteure, mais du coauteur du texte selon lequel, si l’on ne venait pas du territoire du Bas-Chablais, on devait avaler tout ce qu’on nous racontait. Je suis désolé, mais je ne suis pas d’accord !
M. le président. Moins il y a de mises en cause personnelles, mieux on se porte !
La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Je veux revenir sur le fond de l’affaire : il ne s’agit pas de stigmatiser quelque territoire que ce soit ou les positions de certains élus, mais de regarder les choses comme elles sont.
Alors que les alertes se multiplient et que l’urgence est là, il faut prendre le temps d’analyser de nouveau les projets, même s’ils ont été validés voilà un certain temps. On doit les regarder avec un œil neuf. Je pense qu’il faut prévoir un moratoire sur de nombreux projets autoroutiers et se poser de vraies questions.
M. Loïc Hervé. Comme sur le nucléaire ?
M. Daniel Salmon. On sait bien ce qu’entraîne l’ouverture d’une nouvelle route : elle crée un appel d’air pour davantage de véhicules, il ne faut pas se voiler la face. Et ce n’est pas en faisant rouler des véhicules électriques que tous les problèmes seront réglés : on déplace les pollutions et on continue d’en créer… Notre planète n’en peut plus ! Ce genre de projet n’a plus lieu d’être en 2023.
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, de la commission des affaires économiques, l’autre, du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 115 :
Nombre de votants | 265 |
Nombre de suffrages exprimés | 246 |
Pour l’adoption | 234 |
Contre | 12 |
Le Sénat a adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures douze.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Protection des épargnants
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants, présentée par MM. Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier (proposition n° 586 [2021-2022], texte de la commission n° 273, rapport n° 272).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Albéric de Montgolfier, auteur de la proposition de loi.
M. Albéric de Montgolfier, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons n’a rien à voir avec un PLUi ! Portée par le rapporteur général Jean-François Husson et moi-même, elle est le résultat d’un long processus, engagé dès 2020, sur le thème de la protection des épargnants.
Ce « marathon », si je puis dire, au vu du nombre d’auditions qui ont été menées, je l’ai d’abord entrepris en tant que rapporteur général de la commission des finances dans un contexte de taux bas et de constitution d’une épargne forcée.
Depuis lors, le contexte a changé : l’épargne est certes toujours élevée, mais l’inflation est forte. Néanmoins, les recommandations que nous avions formulées, pour certaines dès le début de notre travail, sont toujours d’actualité.
La proposition de loi que Jean-François Husson et moi-même avons déposée en mars dernier s’inscrit dans le prolongement direct de notre rapport d’information, publié au mois d’octobre 2021, qui avait donné lieu à dix-sept recommandations de niveaux normatifs variés.
Les douze articles initiaux de la proposition de loi sont directement tirés des recommandations de nature législative de ce rapport. Au terme d’une quinzaine d’auditions, ils ont été modifiés, améliorés et complétés lors de nos travaux en commission par vingt amendements, dont huit portant articles additionnels.
Je salue ici, monsieur le ministre, les échanges constructifs que nous avons pu avoir avec votre cabinet, le ministère et les autorités de supervision, que ce soit l’Autorité des marchés financiers (AMF) ou l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Les constats que nous dressions voilà un an et demi dans notre rapport n’ont pas changé. Le marché de l’épargne français est certes dynamique, mais il se distingue aussi par la prédominance du modèle historique de la « bancassurance », ce qui nuit à la concurrence, et par des frais plus élevés que la moyenne européenne. Ces constats sont d’autant plus d’actualité que, vous le savez, l’inflation, qui a atteint 5,2 % en moyenne en 2022, devient un facteur supplémentaire d’érosion de l’épargne des Français.
J’évoquais à l’instant l’importance des frais : ceux-ci captent aujourd’hui plus de la moitié des résultats d’une épargne de plus de trente ans. Comment faire, dès lors, pour mieux protéger les épargnants ? La proposition de loi répond à cet objectif au travers de vingt articles, regroupés en quatre chapitres.
Le premier porte sur l’encadrement plus strict de certaines catégories de commissions et prévoit même la suppression des commissions de mouvement – une spécificité française. Le deuxième chapitre vise à permettre aux épargnants de faire un choix plus éclairé dans la sélection de leurs produits. Le troisième chapitre comprend des dispositions destinées à lever les contraintes sur les produits d’épargne et à stimuler la concurrence, tandis que le dernier chapitre regroupe les dispositifs de nature à mieux encadrer les acteurs du marché de l’épargne.
Je concentrerai mon intervention sur les premier et quatrième chapitres et laisserai au rapporteur général le soin de présenter les autres.
La part de la performance captée par les frais est de plus en plus élevée à long terme, au détriment des épargnants. Les articles 1er et 2 de la proposition de loi viennent soutenir un meilleur encadrement de ces frais.
L’article 1er interdit les commissions de mouvement. Les épargnants doivent en effet s’en acquitter en sus des frais de transaction. Ils subissent alors une double charge. Ces commissions comportent également un risque inhérent de conflit d’intérêts : les gestionnaires sont en effet incités à faire tourner les portefeuilles, avec davantage d’achats et de ventes, sans que cela se fasse au seul bénéfice de l’épargnant.
Elles sont surtout, je l’ai dit, une spécificité française, voire une incongruité, et nous nous félicitons que l’AMF ait modifié son règlement général pour les interdire, à compter du 1er janvier 2026, depuis le dépôt de notre texte, lequel a sans doute servi de levier de négociation supplémentaire. C’est parce que nous avons obtenu gain de cause sur ce sujet majeur que la commission vous proposera d’entériner cette modification du règlement général de l’AMF en supprimant l’article 1er.
L’article 2 prévoit, quant à lui, d’introduire une définition de l’arbitrage et du mandat d’arbitrage dans le code des assurances. Pourquoi un article d’apparence si technique ? Deux justifications simples : il faut, d’une part, opérer un rapprochement réglementaire entre les produits assurantiels et les produits financiers et, d’autre part, mettre fin à un certain nombre de pratiques hétérogènes.
Après l’examen du texte en commission, l’article est désormais pleinement conforme au droit européen, mais aussi plus tranchant en ce qu’il interdit la perception de commissions de mouvement par les mandataires.
Les chapitres II et III seront évoqués par Jean-François Husson. J’aborde donc maintenant le chapitre IV, qui contient les dispositions visant à mieux encadrer les acteurs et les intermédiaires sur le marché de l’épargne.
L’article 10 visait à confier à l’Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (Orias) le contrôle de l’honorabilité des dirigeants, des salariés et des intermédiaires. Les auditions que nous avons menées nous ont convaincus que l’Orias ne disposait pas des moyens nécessaires pour assurer sa mission.
Il n’en reste pas moins que le modèle actuel, basé sur un contrôle par les associations professionnelles et inspiré de la corégulation mise en place pour les conseillers en investissements financiers, n’est pas optimal et suscite des interrogations, notamment sur un risque de complaisance.
J’avais évoqué ces risques devant vous lors de l’examen de la proposition de loi relative à la réforme du courtage en assurance, dont j’étais le rapporteur. Je m’y tiens : pour que ce modèle de corégulation fonctionne, encore faut-il que les associations professionnelles soient contrôlées. C’est le rôle de l’ACPR ; or, jusqu’à présent, elle l’a très peu exercé.
Les travaux que nous avons menés sur l’article 11 nous ont permis d’aboutir à un compromis satisfaisant sur un sujet majeur, celui de l’encadrement des investissements défiscalisés dans le secteur du logement locatif.
Vous le savez, mes chers collègues, en France, on aime les impôts, et on en paye beaucoup, mais on aime également les réductions d’impôts – parfois un peu trop. Tous les ministres du logement, de droite comme de gauche, nous ont expliqué qu’ils allaient résoudre la question de la crise du logement en attachant leur nom à un dispositif fiscal. Aujourd’hui, c’est le Pinel, mais on peut citer le Périssol, le Censi-Bouvard…
Force est de constater qu’un certain nombre d’intermédiaires vendent ces produits d’épargne immobilière défiscalisée en oubliant parfois de rappeler aux investisseurs, aux épargnants, les risques qu’ils comportent. Les publicités vantent les réductions d’impôt, sans dire que l’investissement est de long terme, avec des charges de remboursement… On vous dit que le rendement est garanti et que les risques locatifs sont nuls : bien évidemment, tout cela n’existe pas. Aujourd’hui, ce secteur n’est pas encadré.
Vous avez sans doute vu sur internet des publicités pour investir dans des villes où il n’y a pas besoin de logements ou parfois dans des quartiers inconnus. Je me souviens de l’époque où la présidente de la commission des finances, qui était originaire d’Auvergne, nous avait parlé d’investissements dans les logements étudiants à Riom, qui avaient ensuite difficilement trouvé preneurs, avec des promesses de rendement extraordinaires…
Aujourd’hui, les investisseurs ne sont pas suffisamment avertis des risques et ne savent pas distinguer les offres frauduleuses, qui minorent les risques encourus ou qui en font abstraction. Les vendeurs se concentrent en effet sur l’avantage fiscal, sans mentionner ni le risque pour le patrimoine ni le risque fiscal. Je crois que nous pourrions, monsieur le ministre, ne plus laisser ces pratiques perdurer.
Nous proposons donc, à l’article 11, un encadrement plus strict de ces offres et du travail des intermédiaires. Les exigences en matière de publicité seront renforcées pour indiquer l’ensemble des risques de ces investissements. Une notice d’information devra obligatoirement être remise à l’épargnant. Tout manquement pourrait être sanctionné par les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui pourront infliger des amendes administratives.
Nous souhaitions aller plus loin et nous avons examiné avec l’AMF la possibilité d’accroître le contrôle. Je rappelle que le montant des plans d’épargne est en moyenne de 44 000 euros. En matière d’investissement immobilier, les sommes sont beaucoup plus importantes et les contrôles sont moindres !
Nous avons donc maintenu notre demande de rapport pour évaluer les moyens nécessaires à la mise en place d’un contrôle systématique des offres, des publicités et des documents précontractuels. Cela constituera, je l’espère, une première étape vers un contrôle a priori de ces offres.
Notre tâche est immense : mieux réguler ce secteur pour protéger les épargnants. C’est également le sens de l’article 12, qui vise à s’assurer que les acteurs du financement participatif sont bien soumis à des obligations déclaratives au titre de la lutte contre le blanchiment des capitaux.
Mon temps de parole étant écoulé, je laisse à Jean-François Husson le soin de vous présenter les autres aspects du texte.
J’espère, mes chers collègues, que vous souscrirez à cette proposition de loi, qui vise à mieux protéger les épargnants dans un contexte de hausse des taux et de recherche de rendement, notamment en diminuant les frais. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Husson, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, prenant le relais de mon collègue Albéric de Montgolfier, je veux également commencer par saluer la qualité de nos échanges avec le ministère et les autorités de supervision, ainsi que l’importance de nos travaux complémentaires sur cette proposition de loi. Nous avons entendu de nombreux acteurs, avec qui nous n’étions pas toujours en accord, même si nous poursuivions le même but : protéger davantage les épargnants.
Cet objectif est au cœur des chapitres II et III de la proposition de loi que je m’apprête à vous présenter.
Nous avons deux moyens d’agir sur les frais. Comme l’a souligné Albéric de Montgolfier, en évoquant l’article 1er, le premier consiste à interdire les frais qui nous paraissent inopportuns ou redondants. Le deuxième, indirect, mais aussi très efficace, consiste à garantir les conditions d’un choix éclairé pour les épargnants.
En assurant une transparence accrue sur la performance nette des produits, en tenant compte de tous les frais, les épargnants seront en mesure de choisir les produits les plus rentables et les mieux adaptés à leurs besoins. Quand nous parlons de ces informations, nous ne faisons pas référence à un document qui manquerait de lisibilité et que l’épargnant finirait, au mieux, par ranger dans un tiroir en rentrant chez lui. Au contraire, l’affichage du coût complet des produits doit conduire à entretenir et à stimuler la concurrence entre les acteurs et à exercer une pression à la baisse sur les frais.
L’article 3 impose tout d’abord aux distributeurs d’assurance vie et aux gestionnaires de plans d’épargne retraite (PER) de présenter, lors de la souscription d’un contrat ou d’un plan, les fonds indiciels cotés disponibles. Pourquoi ces produits en particulier ? Parce que ces fonds, le plus souvent en gestion passive, présentent un niveau de frais généralement inférieur aux fonds en gestion active, pour une performance nette en moyenne égale ou supérieure.
Or ces fonds ne sont quasiment jamais proposés à la souscription, trop peu rentables pour les distributeurs et les conseillers. Leur présentation pourrait donc entretenir une saine compétition et il est vraiment temps que les distributeurs se saisissent du sujet. À défaut, ils prennent le risque d’être dépassés par les nouveaux acteurs qui, eux, proposent des fonds indiciels cotés avec une souscription sur internet. Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment mieux pour les épargnants et je préférerais que les distributeurs « traditionnels », qui ont la confiance des épargnants, s’emparent pleinement du sujet.
L’article 4 permet, quant à lui, de remédier à un obstacle que nous connaissons de longue date, à savoir l’impossibilité de disposer d’une information claire sur les frais totaux des produits financiers.
Désormais, l’ensemble des épargnants pourront accéder à une information lisible, publiée sur les sites internet des établissements. Par ailleurs, les informations communiquées aux contractants ne seront plus seulement basées sur la performance annuelle, mais sur la performance pluriannuelle des produits.
Dans le même temps, le Comité consultatif du secteur financier (CCSF), dans un format rappelant celui de l’Observatoire des tarifs bancaires, sera chargé de suivre les pratiques tarifaires de l’assurance vie et des plans d’épargne en actions (PEA), ouvrant la voie à une comparabilité objective des produits.
Je crois que M. le ministre partagera cet avis : cet article est capital. Il constitue une véritable avancée au service de la transparence et de la bonne information des épargnants. Les unités de compte seront classées par performance nette : c’est plus lisible pour chacun, à charge ensuite au conseiller de faire son travail pour constituer le panier de produits le plus approprié.
Comme l’ont souligné nos collègues en commission, peu de personnes peuvent comprendre ce que l’on veut dire par « valeur brute en cas de rachat » ou « plus-value potentielle ». Ce sont des informations plus concrètes dont ont besoin les épargnants.
Le chapitre III de la proposition de loi est consacré au développement et à l’adaptation des produits d’épargne. Nous pouvons ici distinguer deux types d’articles : ceux qui lèvent les contraintes pesant sur certains produits d’épargne et ceux qui tendent à encourager une véritable concurrence sur le marché de l’épargne.
Concernant les premiers, l’article 5 propose un « droit à l’erreur » sur le PEA, avec la possibilité pour l’épargnant de ne pas perdre l’avantage fiscal s’il corrige son erreur – je pense, par exemple, à l’achat de titres non éligibles au PEA. En complément, l’article 5 bis vise à assouplir légèrement le champ des titres éligibles au PEA pour favoriser l’accessibilité des produits de capital-risque, encore trop méconnus.
En ce qui concerne le développement du capital-investissement, la commission a, sur notre proposition, supprimé l’article 6 relatif au dispositif Madelin, dont nous avons eu l’occasion de débattre très récemment dans le cadre du dernier projet de loi de finances.
Preuve de notre bonne foi, monsieur le ministre, nous sommes prêts à attendre les résultats de l’évaluation de ce même dispositif avant de proposer de nouvelles mesures.
S’agissant de l’encouragement de la concurrence sur le marché de l’épargne, j’en viens à un sujet qui nous est particulièrement cher et qui ne manquera pas, j’en suis sûr, de susciter quelques débats : l’article 7 et la transférabilité des contrats d’assurance vie. Il comporte deux volets relatifs à la transférabilité interne, d’une part, et à la transférabilité externe, d’autre part.
Il s’agit d’abord de lever les obstacles au développement de la transférabilité interne, que l’assuré pourra demander à tout moment à l’assureur ou à l’intermédiaire, lequel sera tenu de réaliser le transfert dans les deux mois.
Après son examen en commission, cet article consacre désormais un droit au transfert interne, sans possibilité pour les assureurs de s’y opposer, tout en limitant les frais pouvant être imposés lors de cette opération.
Faire du transfert interne un droit vraiment opposable est un progrès indéniable. Les dispositions que nous proposons donneront pleine portée à ce que nous avions voté dans le cadre de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte.
D’ailleurs, déjà à ce moment-là, on nous prédisait que le transfert interne allait conduire à l’écroulement du marché de l’assurance vie et à une forte instabilité financière. Tout le monde s’y était opposé ; or nous voilà unanimes, trois ans plus tard, pour renforcer la portée de ce dispositif.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Sans surprise, nous faisons face aux mêmes cris d’orfraie au sujet de la transférabilité externe.
Le second volet de l’article 7 autorise en effet le transfert externe des contrats d’assurance vie, avec portabilité de l’antériorité fiscale. À peine proposée, cette disposition a créé de vifs débats, avant même que nous ayons eu le temps de présenter les garde-fous prévus pour l’encadrer.
Il convient d’avoir une vision nuancée des conséquences attendues de cette mesure : elle ne porterait que sur les contrats d’une durée de plus de huit ans. Surtout, elle pourrait améliorer la qualité des conseils prodigués aux épargnants. Ces derniers auraient bien moins de raisons de quitter leur intermédiaire ou leur assureur si celui-ci venait à leur proposer des produits plus appropriés et plus rentables que ceux qu’ils avaient initialement souscrits.
Prenons un exemple des contraintes qui pèsent sur les épargnants en l’absence de transférabilité. Personne n’avait entendu parler des produits verts voilà dix ans ; aujourd’hui, de plus en plus d’épargnants veulent « verdir » leur épargne et soutenir la transition écologique. Monsieur le ministre, allons-nous leur dire qu’ils sont prisonniers d’un produit souscrit il y a des années et qu’ils ne peuvent réorienter leur épargne ? Si c’est votre position, vous êtes has been ! (Sourires.)
Notre objectif est donc simple : éviter aux épargnants d’être captifs et susciter une plus grande concurrence, ce qui encouragerait, en amont, des pratiques de conseil plus actives et plus adaptées aux besoins des assurés de la part des intermédiaires et des assureurs. Il est d’ailleurs précisé que l’assureur peut proposer, en cas de rachat du contrat, des options de transfert interne.
Pour conclure, sans renforcement de la transférabilité externe, nous n’aboutirions qu’à une transférabilité interne boiteuse. Et si vous me permettez de filer la métaphore, je dirais que seule leur conjonction permettra à la liberté de choix de l’épargnant de marcher sur ses deux jambes et de s’exercer pleinement.
Dans cette même optique, la commission a introduit dans le texte l’article 7 bis, qui institue un devoir de conseil dans la durée pour les intermédiaires et les assureurs. L’enjeu est, encore une fois, d’adapter à l’évolution du profil de l’épargnant l’offre qui lui est proposée. L’article 7 ter, quant à lui, vise à prévoir expressément une obligation de respect des engagements contractuels en cours d’exécution du contrat.
Avec les deux derniers articles du chapitre III, nous abordons le sujet des plans d’épargne retraite, sans que cela doive préempter le débat que nous aurons prochainement.
Ainsi, l’article 8 proroge jusqu’en 2026 l’incitation fiscale mise en place pour encourager le transfert de l’épargne investie dans un contrat d’assurance vie vers un PER.
L’article 9, pour sa part, confie à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) la gestion d’un fonds de fonds indiciels cotés, qui serait ensuite distribué dans les PER. Il s’agit tout simplement de proposer aux épargnants un produit peu chargé en frais.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie de votre attention et j’espère que vous serez unanimes dans votre soutien à notre démarche qui ne vise qu’à protéger les particuliers en améliorant, en développant, en encourageant et en soutenant le marché de l’épargne en France. Le chemin est ouvert ; ne perdons pas de temps et sachons tous être au rendez-vous de la responsabilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Hervé Maurey et Georges Patient applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi de MM. Husson et de Montgolfier, un texte visant à renforcer la protection des épargnants par une série de mesures articulées autour du triptyque « information, protection, répression ».
Je veux d’ores et déjà vous dire que ce texte contient, y compris après son examen en commission, plusieurs mesures que le Gouvernement salue.
À vrai dire, le Gouvernement accueille très favorablement cette proposition de loi, qui vient compléter un certain nombre d’évolutions récentes au bénéfice des épargnants, à l’exception notable de deux articles. Peut-être m’accuserez-vous, messieurs les rapporteurs, d’être quelque peu has been en la matière, (Sourires.) mais j’aurai l’occasion, tant à cette tribune que, plus tard, au cours du débat, de vous expliquer la position du Gouvernement sur ces articles.
En matière d’information sur le contenu et les frais des produits financiers, le Gouvernement partage pleinement les objectifs des auteurs de la proposition de loi, tels qu’ils s’expriment en particulier dans les articles 1er, 3 et 4.
L’article 1er supprime les commissions de mouvement : souvent peu transparentes et restreintes à un petit nombre de produits, elles altèrent la qualité globale de l’information sur les frais de gestion figurant dans la documentation commerciale.
L’article 3 crée une obligation de présentation des ETF, les exchange traded funds, produits simples et peu chargés, proposés sur le contrat d’assurance vie ou sur le PER, ce qui permettra de développer une classe d’actifs encore peu présente et incitera les gestionnaires d’actifs français à développer leur offre. Cette mesure est absolument fondamentale, tant les ETF sont un moyen, pour les épargnants français, d’accéder à des produits dont le coût est faible, mais dont la performance suit les grands indices, garantissant un rendement au moins égal à celui des marchés d’actions.
Avec l’article 4, on poursuit les efforts de la loi Pacte pour renforcer la transparence des frais des contrats d’assurance vie et des plans d’épargne retraite. Cette transparence accrue permettra de stimuler la concurrence au sein du secteur et d’exercer une pression à la baisse sur le niveau des frais pour stimuler le rendement de l’épargne.
Par ailleurs, nous saluons la création au même article d’un observatoire de l’épargne porté par le Comité consultatif du secteur financier.
Ces mesures sont de nature à permettre au consommateur de faire un choix mieux éclairé au moment de répartir son épargne entre différents supports d’investissement.
Le présent texte encadre également certaines pratiques de manière à renforcer la protection des épargnants.
Ainsi, la création d’un mandat d’arbitrage en assurance vie, à l’article 2, offre des garanties supplémentaires à l’épargnant dans un contexte de pratiques de marché hétérogènes. Le Gouvernement partage l’objectif de MM. les rapporteurs ; il proposera seulement d’apporter à cet article des modifications concernant son champ d’application, les obligations du mandataire et la place des prestataires de services d’investissement.
Il est également proposé de renforcer significativement le dispositif de contrôle des offres de vente de biens immobiliers dans le cadre de dispositifs fiscaux.
Le Gouvernement soutient cette proposition, à l’exception de la demande d’un rapport d’évaluation sur ces dispositions. En effet, un tel rapport ne semble pas utile au vu de la transparence dont fait montre la DGCCRF sur le bilan de ces enquêtes. Par ailleurs, des évaluations de ce type en matière d’effectifs sont très régulièrement demandées par le Parlement dans le cadre des travaux afférents aux projets de loi de finances. Le Parlement a ainsi toute latitude, à droit constant, pour solliciter ces informations le moment venu.
En matière répressive, le Gouvernement se félicite du renforcement des pouvoirs d’enquête de l’Autorité des marchés financiers par l’adaptation de ses compétences aux évolutions des offres de produits financiers et aux pratiques de marché. La crédibilité de l’AMF est essentielle pour maintenir l’intégrité du marché, socle de la confiance des épargnants, dont la contribution au financement de l’économie est indispensable.
Concernant la lutte contre le blanchiment, l’article 12 renforce les obligations déclaratives en matière de financement participatif pour une fraction des acteurs qui n’était pas encore couverte : il s’agit du financement de parts sociales. Votre proposition permet de combler cette lacune.
Je veux, au nom du Gouvernement, saluer les rapporteurs pour leur écoute et pour le travail préliminaire mené conjointement avec Bruno Le Maire, travail qui a permis d’enrichir le texte et d’en renforcer l’ambition sur certains aspects.
Je pense notamment au travail fructueux mené sur les dispositions concernant la transparence des frais. Ces travaux ont contribué à renforcer l’ambition du texte, notamment par la mise en place d’un observatoire de l’épargne chargé de suivre l’évolution des frais de l’épargne assurantielle, mais aussi de ceux des PEA et PEA-PME, les plans d’épargne en actions destinés au financement des PME et ETI.
Sur le régime de contrôle des offres immobilières, je remercie aussi les rapporteurs pour la qualité de leurs échanges avec le Gouvernement et je salue les avancées contenues dans le texte adopté en commission que ce travail conjoint a rendues possibles.
Enfin, je pense à la proposition des rapporteurs visant à renforcer la protection des assurés grâce à la clarification des obligations d’exécution des obligations contractuelles en cours de contrat.
Cependant, le Gouvernement conserve une divergence d’appréciation…
M. Jean-François Husson, rapporteur. Une petite divergence !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. … concernant l’article 7, qui vise, entre autres choses, à mettre en place un droit à la transférabilité externe des contrats d’assurance vie, étant entendu qu’il accueille favorablement le renforcement proposé par les rapporteurs de la transférabilité interne desdits contrats.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Il n’en voulait pas à l’époque de la loi Pacte !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. On a toujours raison trop tôt !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. La mise en place de la transférabilité externe constitue un risque significatif pour la stabilité financière et le financement de l’économie.
Dans une période de remontée des taux comme celle que nous vivons actuellement, ces transferts obligeraient les assureurs à réaliser les moins-values latentes en liquidant des obligations pour servir les demandes des assurés. La transférabilité externe créerait une situation de concurrence déloyale en bénéficiant à de nouvelles entreprises entrantes capables d’investir dans des obligations aux taux plus élevés ; ces entreprises pourraient ainsi capter les épargnants des assureurs établis et mettre en danger la situation prudentielle de ces derniers.
Les épargnants seraient les premiers perdants de la transférabilité externe. Le rendement de l’épargne serait mécaniquement réduit, car l’actif des assureurs s’orienterait vers des placements liquides et des obligations à maturité plus courtes pour faire face à la demande accrue de rachat des épargnants.
L’encadrement prévu à l’article 7 est insuffisant pour limiter ces risques. La limitation de la possibilité de transferts aux contrats de huit ans et plus est insuffisante, car ces contrats représentent 70 % du total des encours d’assurance vie.
Cette mesure est d’autant plus regrettable que le même article propose la mise en place d’un droit à la transférabilité interne. La loi Pacte avait ouvert cette possibilité ; la présente proposition de loi en fait un droit. Cette évolution constitue une piste prometteuse, qui irait au bout de la logique de la loi Pacte.
Quant à l’article 9, la création d’un fonds de fonds indiciels cotés dont la gestion serait confiée à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) n’apparaît pas opportune, car de tels produits sont proposés par des acteurs privés.
J’ai déjà rappelé combien il est important, à mon sens, que ces produits indiciels puissent se développer. Il est donc dans l’intérêt général que les initiatives de la CDC ne soient pas redondantes avec celles du secteur privé, afin que la Caisse garde des marges de manœuvre pour jouer un rôle contracyclique lorsque cela est nécessaire. Pour atteindre les objectifs des auteurs de ce texte, stimuler le développement d’une offre de PER aux frais contenus serait plus pertinent.
Vous l’aurez compris, ces deux articles 7 et 9 constitueront les principaux points de la discussion que le Gouvernement aura avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pendant le débat qui s’ouvre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les frais sont encore pointés du doigt. « L’accumulation de frais élevés peut dans certains cas amputer toute espérance de rendement » : ces mots, prononcés au début du mois de décembre par Jean-Paul Faugère, vice-président du collège de supervision de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, le gendarme des banques et assureurs, indiquent une fois de plus combien la question des frais reste problématique, notamment dans l’assurance vie.
M. Faugère précisait également que la mention des frais appliqués aux plans épargne retraite et assurances vie sur les sites internet des établissements, obligatoire depuis le 1er juin 2022, n’a pas contribué à leur baisse, bien au contraire, si bien qu’une nouvelle recommandation des autorités aux professionnels sur ce point est attendue courant 2023.
C’est dire si la proposition de loi présentée par Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier arrive à point nommé dans cette quête, comme une réponse à cet appel à une plus grande protection des épargnants.
On peut aisément concevoir qu’un consensus se formera autour de cette proposition de loi, qui traduit les principales recommandations législatives du rapport d’information de nos rapporteurs sur la protection des épargnants, d’autant qu’il s’agissait des conclusions d’une mission de contrôle sénatoriale transpartisane.
Les rapporteurs ont mis l’accent sur un certain nombre de problèmes qui pénalisent lourdement les épargnants français : « une concurrence entre acteurs limitée, un nombre élevé d’intermédiaires, ou encore un faible développement de la gestion passive. Cette structuration du marché de l’épargne se traduit ainsi par un niveau de frais élevé qui pèse sur la performance servie aux épargnants », concluent-ils.
Certains des acteurs auditionnés ont tenu un discours particulièrement radical sur l’état du marché de l’épargne. Je pense notamment à la pratique des commissions de mouvement, que l’article 1er vise à interdire, et qui a été vertement dénoncée par plusieurs acteurs. Les épargnants subissent une double facturation à chaque opération, avec les frais de courtage et les commissions de mouvement. Chaque année, 500 millions d’euros sont ainsi prélevés indûment par les sociétés de gestions et les intermédiaires, alors que ces pratiques sont interdites dans les autres juridictions européennes.
Les rapporteurs ont déposé en commission vingt amendements sur leur propre texte, dont tous ses articles ont été réécrits ; certains articles additionnels ont été ajoutés, signe que le dialogue des rapporteurs avec Bercy a été constructif.
Trois articles semblent néanmoins soulever des interrogations au sein de mon groupe.
La première porte sur le droit à l’erreur fiscale en cas de placement de titres non éligibles sur un PEA ou un PEA-PME, inscrit à l’article 5. Ne risque-t-on pas d’inciter l’épargnant à placer des titres non éligibles sur un PEA afin de bénéficier de ses avantages fiscaux, tout en rejetant la faute sur le gestionnaire ?
Notre deuxième interrogation porte sur l’article 7 et la transférabilité, à tout moment, de contrats d’assurance vie entre assureurs. Je doute qu’une telle mesure conduise à une réelle amélioration des tarifs des assurances vie pour les assurés. En revanche, elle pourrait s’avérer défavorable au financement de l’économie en contraignant les assureurs à préférer des placements de très court terme et sans risque afin de pouvoir clôturer à tout moment un contrat.
Enfin, est-il opportun de proposer un nouveau placement d’épargne retraite, à l’article 9, en plein débat sur la réforme des retraites, et ce même si la gestion confiée à la CDC devait être peu chargée en frais ?
Si nous saluons le travail des rapporteurs, qui dans l’ensemble va dans le sens d’une meilleure protection des épargnants, nous espérons que la qualité de nos débats permettra de lever les doutes qui subsistent sur les sujets que je viens d’évoquer.
Je ne saurais terminer mon propos sans faire mention des outre-mer. Tous leurs habitants doivent payer leurs produits financiers plus cher qu’en France métropolitaine. Une étude menée par l’association de consommateurs CLCV (Consommation, logement et cadre de vie) dévoile que le surcoût que nos compatriotes ultramarins doivent payer à leur banque en comparaison avec l’Hexagone s’élève à 10 % ! Contrairement aux tarifs bancaires, l’opacité des frais appliqués à l’épargne nous empêche encore d’avoir un état des lieux précis.
J’espère que le comparateur officiel des tarifs bancaires tenu par le Comité consultatif du secteur financier sera rapidement enrichi des données publiées pour les PER et assurances vie que je mentionnais au début de mon propos.
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud.
M. Rémi Féraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi la proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants, sur l’initiative d’Albéric de Montgolfier et de Jean-François Husson, que je veux remercier pour le travail qu’ils ont mené au nom de notre commission des finances.
Ce texte comprend de nombreuses mesures, souvent techniques, soutenues par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’adoption d’une définition harmonisée de l’arbitrage en assurance vie est une avancée, alors qu’aujourd’hui chacun des opérateurs dispose de la sienne, dans une grande opacité pour leurs clients.
Une autre avancée à relever est l’instauration d’un devoir de conseil dans la durée, pour les intermédiaires et les assureurs, ce qui permettra d’adapter les offres proposées à l’assuré en fonction de l’évolution de son profil et de ses besoins. Cette obligation, qui s’appliquerait à l’occasion de toute opération susceptible d’affecter le contrat de façon significative, renforce ainsi la protection des épargnants.
De manière similaire, l’article 7 ter impose aux prestataires de services bancaires ou financiers le respect de leurs engagements contractuels en cours d’exécution du contrat et l’article 13 renforce les pouvoirs du collège de l’Autorité des marchés financiers, en lui permettant d’assortir ses injonctions d’une astreinte. Nous avons toujours soutenu les mécanismes visant à assurer le bon fonctionnement des dispositions de contrôle ; celui-ci ne fera pas exception.
Il en est de même de la sécurisation du champ de compétence de l’AMF pour les offres au public de parts sociales, comme les banques mutualistes ou les sociétés coopératives.
Enfin, l’interdiction de la perception de commissions de mouvements sur le marché de l’épargne va dans le sens des mesures que nous avions défendues et fait adopter dans le cadre de notre proposition de loi sur le plafonnement des frais bancaires.
Je ne m’étendrai pas sur tous les articles du présent texte, mais je tiens à dire, au nom de mon groupe, que la plupart d’entre eux vont dans le bon sens, car ils renforcent a priori la régulation des marchés de l’épargne.
Cependant, nous avons déjà souligné en commission que nous regrettions la présence de deux mesures fiscales – en l’occurrence, des mécanismes de défiscalisation – qui changent la portée d’un texte à l’origine plus consensuel sur la protection des épargnants.
Je me félicite donc que les rapporteurs aient d’eux-mêmes proposé la suppression de l’article 6 en commission, même si c’est dans l’attente d’un rapport sur le sujet. Cela fait évoluer le regard que notre groupe porte sur l’ensemble du présent texte.
Restent néanmoins quelques éléments relevant, selon nous, non pas de la protection des épargnants, mais de la fiscalité.
Je pense à l’article 5, qui élargit l’avantage fiscal attaché aux plans d’épargne en actions. Avec le garde-fou introduit en commission, cette disposition est basée sur un mécanisme préventif et correctif qui ne devrait pas créer d’effet d’aubaine, ou très peu.
Mais c’est surtout le cas de l’article 8, qui proroge une disposition d’optimisation fiscale, introduite dans la loi Pacte, pour le transfert de sommes d’un contrat d’assurance vie vers un plan d’épargne retraite. Tandis que nous siégeons dans cet hémicycle, des manifestations se déroulent contre la réforme des retraites, avec une mobilisation très importante dans tout notre pays. Adopter un tel dispositif dans ce contexte ne nous paraît pas du tout opportun.
Nous défendrons donc un amendement de suppression de cet article. J’ai d’ailleurs bien noté l’avis favorable des auteurs du texte au retrait de ce dispositif, afin que cette proposition de loi reste centrée sur son objet : la protection des épargnants.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous ne sommes pas opposés à ce texte qui va dans le sens des mesures déjà défendues par notre groupe sur les frais bancaires ou la capacité d’emprunt des personnes fragiles. Son adoption contribuera à faire bénéficier les Français d’un peu plus de concurrence et de transparence en matière d’assurance vie.
Nous avons bien entendu les résistances exprimées par les assureurs, notamment en matière de transférabilité externe ; cet argument a été repris, comme souvent d’ailleurs, presque mot pour mot par le Gouvernement. Cela montre bien qu’en la matière nous ne pouvons pas tout attendre de la bonne volonté des banques et des assurances ou de leur volonté de s’autoréguler. Il est donc nécessaire de légiférer pour rétablir un équilibre entre les épargnants, d’une part, et le système bancaire et assurantiel, de l’autre.
Sous réserve de la discussion des articles et des amendements, la position du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur l’ensemble de cette proposition de loi devrait être favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout à l’heure, en commission, notre collègue Albéric de Montgolfier, auteur de cette proposition de loi, me questionnait, avec humeur et humour, sur ma présence parmi nous aujourd’hui : n’étais-je pas gréviste ? (Sourires.)
Je vais le rassurer : j’apporte mon soutien total aux grévistes et aux manifestations qui se déroulent dans tout le pays, signe que la démocratie sociale se mobilise massivement lorsque ses intérêts fondamentaux sont menacés.
Les retraites sont au cœur de notre modèle social. Or il est difficile de ne pas voir dans cette proposition de loi un agenda pour le moins troublant : ce texte encourage tout de même, par défaut, la retraite par capitalisation. C’est un projet politique cohérent que d’affaiblir la retraite par répartition, ici par des exonérations de cotisations, là par des incitations à l’épargne retraite individuelle.
Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais outre votre complicité, certes chaotique et encore en construction, avec le Gouvernement sur la réforme des retraites, on trouve dans ce texte-ci des preuves supplémentaires d’une visée commune !
Vous vous proposez de protéger les épargnants. Vous avez raison : « épargnant » sonne mieux que « rentier » ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je vous rappelle une étude du Crédit Mutuel, citée par l’Observatoire des inégalités, qui démystifie l’explosion de l’épargne durant la crise sanitaire : entre la fin de 2019 et la fin de 2020, les 5 % les mieux dotés en patrimoine ont augmenté de 21 000 euros leurs dépôts bancaires – comptes courants, livrets d’épargne, comptes en action, assurances vie… – tandis que les 50 % au patrimoine financier le plus modeste n’ont économisé que 800 euros la même année. Un grand nombre d’entre eux n’ont ni bas de laine ni billets sous le matelas : ils se sont tout simplement endettés.
Que ceux qui n’ont pas d’épargne, ou qui n’ont pas d’épargne financiarisée, cessent de suivre nos débats : ils ne sont pas concernés ! La suppression, par les auteurs eux-mêmes, de la seule mesure de suppression de frais, les commissions de mouvement, à l’article 1er, est un recul important. C’était le seul article qui tendait à lutter contre les gabegies des produits d’épargnes financiarisés : pardonnez-moi, mais comme vous l’avez reconnu cet après-midi encore, vous légiférez sous l’autorité des marchés financiers !
En revanche, cette proposition de loi tente bel et bien de protéger les épargnants qui privilégient les plans d’épargne retraite et autres assurances vie pour se mettre à l’abri des aléas de leurs vieux jours ou, plus certainement, pour mettre à l’abri de l’administration fiscale des sommes colossales. « Colossales », vous dis-je : l’encours de l’assurance vie s’élève à 2 237 milliards d’euros en 2022 ; celui des PER, à 280 milliards d’euros !
Bruno Le Maire, qui, une fois de plus, n’a pu nous rejoindre cet après-midi, (Sourires.) se félicite et la droite sénatoriale l’encourage.
Quand M. Le Maire n’est pas là, on est obligé de parler à sa place ; je me permets donc de le citer : « Le déploiement du PER est un succès majeur ! Ce produit d’épargne retraite permet aux Français de disposer d’un produit d’épargne avantageux pour préparer leur retraite. » Quelle ironie !
Le succès est tel que l’encours de 70 milliards d’euros du nouveau PER créé par la loi Pacte provient pour 79 % des anciens produits des plans d’épargne retraite… La loi Pacte aura au moins eu le mérite de remplacer le plan d’épargne retraite « populaire » créé par François Fillon par un plan d’épargne individuel qui dit mieux son nom.
Le rapporteur général de la commission des finances et son prédécesseur, tous deux rapporteurs de ce texte, ont décidé de supprimer l’article 8 ; c’était également notre volonté. Pas de prolongation du double avantage fiscal sur la conversion des produits d’assurance vie en plan d’épargne retraite : vous évitez ainsi de mettre de l’huile sur le feu, mais tout de même…
Que tous ceux qui se mobilisent en ce moment même, partout en France, prennent le temps d’écouter un instant. Je me lance dans le conseil fiscal, en citant Mariem Karoui, ingénieure patrimoniale au cabinet Haussmann Patrimoine : « nous recommandons principalement le PER à des personnes imposées à 41 % ». Vous m’avez bien entendu : 41 %, c’est-à-dire la tranche d’imposition marginale de ceux qui ont près de 80 000 euros de revenu fiscal de référence – une paille !
Je reprends donc une question du média spécialisé Option Finance pour vous la poser, mes chers collègues : « Même si elle se développe, l’épargne retraite restera-t-elle, en conséquence, un marché de niche, réservé à une petite minorité de la population, en mesure d’épargner fortement ? ». J’ai une petite idée de la réponse, vous l’aurez compris, mais vous me direz si je me trompe !
L’article 9 traduit la même finalité : favoriser les retraites par capitalisation, par l’entremise de la Caisse des dépôts et consignations. Or la retraite par capitalisation, c’est déjà le chacun pour soi, alors même que la solidarité intergénérationnelle doit être sanctuarisée, alors même que l’épargne la plus sûre et la plus juste est la socialisation des salaires par les cotisations sociales, alors même que, depuis 1990, les peurs alimentées – de manière effroyable ! – par des discours et des réformes alarmistes font croire aux travailleurs de ce pays qu’ils n’auront pas de retraites ! C’est pour cela qu’ils s’adonnent à des placements financiarisés dont ils ne connaissent pas les finalités sociales et écologiques.
Mes chers collègues, nous voterons près de la moitié des dispositions de ce texte, mais nous ne le voterons pas dans son ensemble, parce qu’il évacue le rendement social et écologique des 5 727 milliards d’euros d’épargne populaire qui ne sont nullement, à nos yeux, traités dans cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Canévet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà peu de temps, on entendait souvent la formule bien connue : « travailler plus pour gagner plus ». Nos rapporteurs en ont trouvé une autre : « payer moins pour gagner plus » !
M. Roger Karoutchi. C’est pas mal aussi !
M. Michel Canévet. C’est en effet ainsi qu’ils ont résumé les conclusions de leur rapport d’information de 2021 sur la protection des épargnants, où ils formulaient dix-sept recommandations.
Le groupe Union Centriste tient donc, bien sûr, à féliciter Albéric de Montgolfier et Jean-François Husson pour le travail important qu’ils ont ainsi mené et qui aboutit aujourd’hui à l’examen de la présente proposition de loi.
Pascal Savoldelli vient de citer les chiffres : l’épargne des ménages mobilise, dans notre pays, un peu moins de 6 000 milliards d’euros. Le ministre de l’économie et des finances évoquait, le week-end dernier, ses préoccupations quant à la dette de la France, qui avoisine 3 000 milliards d’euros : notre épargne représente donc à peu près le double de la dette de notre pays. C’est dire combien la somme est considérable. Si notre groupe partage les préoccupations de M. Le Maire pour trouver les moyens de réduire cette dette, il n’en reste pas moins que notre épargne est abondante.
En réponse aux propos qui viennent d’être tenus, je voudrais aussi souligner que le verbe « épargner » n’est pas un gros mot.
C’est la volonté de beaucoup de nos concitoyens que d’épargner. Ils le font sur différents supports, au premier rang desquels figure l’assurance vie. En effet, près d’un Français sur trois a souscrit un contrat d’assurance vie, pour un montant total d’environ 2 000 milliards d’euros – c’est dire l’importance des enjeux financiers.
En lisant les conclusions des rapports présentés par nos collègues, nous avons pris la mesure de l’opacité qui régnait sur les frais réels dus au titre de cette épargne. Pour le groupe Union Centriste, cette situation n’est pas acceptable. En effet, il est légitime que tous les épargnants sachent combien leur coûte leur épargne dès lors que celle-ci est confiée à des acteurs de marché, qui sont autant d’interlocuteurs.
Il était donc nécessaire d’apporter de la transparence sur cette question, comme cela fut d’ailleurs fait pour les comptes bancaires courants de nos concitoyens, qui disposent d’une information annuelle sur l’état des frais qu’ils ont à payer. Il est pour le moins logique de faire la même chose pour ce qui concerne la part de l’épargne. Je ne doute pas que les propositions formulées par les rapporteurs seront enrichies par celles de mon groupe – Hervé Maurey et moi-même avons d’ailleurs déposé des amendements en ce sens.
S’agissant de ces frais, il est regrettable de devoir attendre 2026 pour la suppression des commissions de mouvement qui sont, comme l’a souligné Albéric de Montgolfier, une spécificité française. À notre sens, elles ne se justifient plus, et nous aurions pu les supprimer plus rapidement. Nous nous en remettrons toutefois à la position des rapporteurs.
La discussion de cette proposition de loi est également l’occasion d’évoquer les frais sur succession, pour lesquels nous constatons des pratiques disparates, souvent opaques, qui doivent être mieux cadrées. (Mme Nathalie Goulet marque son approbation.) Il n’est pas légitime de profiter de situations difficiles pour prélever une part des ressources des ménages, en particulier des plus modestes. Je remercie donc Hervé Maurey d’avoir formulé des propositions en ce sens.
Par ailleurs, la transférabilité des contrats d’assurance vie est une question importante pour notre groupe. Si la loi Pacte avait consacré la transférabilité interne, il n’y a pas de raison de ne pas aller plus loin en encourageant la transférabilité externe. C’est une question de respect et de la concurrence et du choix des épargnants : c’est une chose de considérer que ces derniers payent trop de frais ; c’en est une autre de leur permettre de changer de support pour y remédier.
J’entends, monsieur le ministre, qu’il faille prendre quelques précautions et je souscris totalement aux propositions du rapporteur général en ce sens – pourquoi ne pas mettre des garde-fous sur les sommes susceptibles d’être transférées ? Toutefois, il me semble impératif d’avancer sur cette question.
Comme l’a rappelé Jean-François Husson, alors que la transférabilité interne avait été largement décriée lors de l’examen de la loi Pacte, la situation actuelle montre combien les inquiétudes étaient infondées. Nous pouvons aller beaucoup plus loin dans la transparence et la latitude laissée à nos concitoyens.
Autre sujet important, celui de l’orientation de l’épargne. Il est souhaitable qu’un maximum d’épargne soit orienté vers l’économie. Nous devons y travailler.
Il est tout aussi important de prendre en compte les préoccupations du moment, notamment la transition écologique, qui réclame des moyens importants. Dès lors, pourquoi ne pas orienter l’épargne, autant que faire se peut, vers ces investissements essentiels pour l’avenir de notre pays ?
Je vous invite, messieurs les rapporteurs, à reconsidérer votre position sur nos amendements visant à réorienter l’épargne vers la finance verte, car l’accélération de la transition écologique constitue un enjeu d’avenir.
Je conclurai mon propos en remerciant le rapporteur Albéric de Montgolfier d’avoir introduit dans le texte plus de transparence sur les produits de défiscalisation dans l’immobilier, car nombre de nos concitoyens se fourvoient sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Vanina Paoli-Gagin et M. Jean-Yves Roux applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois la période budgétaire passée, la commission des finances retrouve du temps pour se pencher sur des sujets plus spécifiques. C’est le cas avec cette proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants.
Alors que l’inflation a fait son grand retour dans l’actualité économique, atteignant environ 6 % en 2022, après des années d’inflation faible, voire nulle, l’épargne des Français est entrée dans une nouvelle zone de risque. L’inflation, conjuguée à l’évolution parfois erratique des valeurs boursières et à des taux d’intérêt encore bas, malgré la nette remontée amorcée voilà un an, tend à éroder la valeur des fonds placés en produits d’épargne.
Rappelons que le taux d’épargne moyen des Français est l’un des plus élevés des pays développés. Est-ce le signe d’une inquiétude collective face à l’avenir, du pessimisme que l’on attribue souvent à notre peuple, ou simplement d’une plus grande prévoyance, ancrée dans la culture nationale ? Toujours est-il que nos concitoyens sont loin d’avoir le comportement de cigale qu’on leur prête souvent…
Voilà encore un peu plus d’un siècle, la France était considérée comme le banquier du monde. Grâce à une population encore majoritairement rurale, habituée à économiser, l’État, qui n’avait plus fait défaut sur sa dette depuis la Révolution, jouissait d’une puissance financière exceptionnelle – malgré quelques déconvenues historiques, comme l’affaire des emprunts russes pendant la Première Guerre mondiale ou les nombreux scandales financiers qui ont émaillé l’histoire de la IIIe République…
Revenons au présent : en 2021, le taux d’épargne des ménages français était égal à 18,7 % du revenu disponible brut, après avoir bondi en 2020 du fait de l’épargne contrainte induite par les restrictions sanitaires. Sur longue période, il est d’une assez grande stabilité, autour de 15 %. En comparaison, le taux d’épargne sur le long terme est de 6 % seulement aux États-Unis et de 10 % environ en Allemagne. Seule la Suisse affiche un taux d’épargne supérieur à la France.
Au-delà de la conjoncture, les auteurs de la proposition de loi considèrent que le marché français de l’épargne souffre de défauts structurels, dont pâtissent les épargnants. La majorité de l’épargne des Français est placée sur des comptes bancaires ou sur des livrets réglementés, dont l’archétype est le livret A, dont le taux remonte actuellement.
Or si ces placements sont peu risqués, ils sont également assez peu rémunérateurs, bien que peu ou pas imposés. Faut-il pour autant se diriger vers une gestion de l’épargne à l’américaine avec les risques que celle-ci comporte ? Gageons que ce n’est pas l’objectif des auteurs de cette proposition de loi.
Par ailleurs, les différents frais liés à la gestion de l’épargne représentent des montants non négligeables pour les épargnants et sont souvent assez mal connus. Je reprendrai les propos de mon collègue Christian Bilhac, en commission, la semaine dernière : les clients doivent se voir proposer une information claire et surtout personnalisée et adaptée à leurs besoins. Ainsi, ils doivent être informés sur la valeur nette et non brute des placements, de même que sur les frais potentiels et non sur les seules plus-values.
Pour autant, je m’étonne du chiffre avancé par les auteurs de la proposition de loi, selon lesquels un particulier faisant le choix de commencer à épargner très tôt pour sa retraite pourrait voir la performance de ses placements à 40 ans captée à plus de 55 % par les frais. Confirmez-vous ce chiffre ? Comment s’explique-t-il ?
Les chapitres consacrés à l’encadrement des frais et aux conditions d’une meilleure transparence comportent de bonnes mesures, applicables à des opérations dont l’épargnant n’a souvent même pas connaissance.
Toutefois, je m’interroge sur le bien-fondé de l’article 5 bis qui assouplit l’éligibilité en PEA des fonds de placement à risque.
De même, j’émets des réserves sur l’article 16, introduit en commission, qui supprime le délit d’entrave aux enquêtes et contrôles de l’Autorité des marchés financiers au profit d’une simple sanction administrative.
Prolongeant une mesure de la loi Pacte, l’article 7 assure une transférabilité complète de l’assurance vie. Son adoption constituerait un réel progrès en ce qu’elle offrirait à l’épargnant une liberté bien supérieure dans la gestion de ses placements.
Les membres du RDSE saluent la qualité du travail accompli par les auteurs de ce texte et se prononceront, à moins que des modifications importantes ne soient apportées au cours de la séance, pour son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans surprise, mon propos se concentrera sur l’article 7.
Voilà quatre ans, jour pour jour, j’ai défendu dans cet hémicycle un amendement visant à autoriser la transférabilité externe des contrats d’assurance vie. Le ministre Le Maire s’y était opposé, me proposant de travailler avec lui sur la concurrence entre les produits d’assurance vie…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. C’est ce qu’on dit toujours !
Mme Christine Lavarde. Quatre ans plus tard, j’attends toujours l’invitation… Heureusement, le Sénat a continué de travailler.
J’aborderai tout d’abord la transférabilité interne, au sein d’une même entreprise d’assurance vie, sorte de pis-aller qu’on nous avait accordé à l’issue de la commission mixte paritaire sur la loi Pacte.
J’ai bien entendu que le Gouvernement soutenait pleinement les démarches visant à conforter ce principe. Or les acteurs sont encore confrontés, au quotidien, à divers freins et difficultés.
En effet, les assureurs et les courtiers y sont toujours réticents et exploitent donc la moindre faille ou imprécision législative pour refuser d’accéder à la demande de leurs clients. Si les deux amendements adoptés en commission sur l’initiative des rapporteurs vont dans le bon sens, des précisions doivent encore être apportées – j’ai déposé deux amendements à cet effet.
J’ai surtout entendu le Gouvernement, par la voix du ministre Barrot, s’opposer à la transférabilité externe en s’appuyant sur deux arguments.
Selon vous, la transférabilité externe, par les sorties qu’elle entraîne, empêcherait le bon financement de l’économie. Permettez-moi de vous rappeler, monsieur le ministre, que les compagnies d’assurances sont obligées de respecter des ratios fixés par le code des assurances et par la directive européenne Solvency II.
Cette réglementation imposant la proportion d’actifs que doivent détenir les compagnies d’assurances, la transférabilité externe n’aura absolument aucune conséquence sur les ratios et ne limitera donc pas les investissements en actions.
Ensuite, monsieur le ministre, vous avez argué que la transférabilité externe, parce qu’elle déclencherait des sorties et des entrées, placerait les assureurs dans des conditions de marché parfois défavorables.
Je vous rappellerai simplement l’ordre de grandeur des mouvements déjà à l’œuvre : en 2021, les versements en assurance vie s’élevaient à 148,6 milliards d’euros, pour 126,2 milliards d’euros de rachats. Il s’agit bien là de mouvements emportant des conséquences sur la gestion de portefeuille des assureurs.
Selon France Assureurs, 657 000 contrats ont été transférés en 2020 et 2021, pour un montant de 21,9 milliards d’euros. Au premier semestre 2022, le mouvement se poursuit : 128 000 transferts de contrats pour 4,5 milliards d’euros. Tout cela doit bien évidemment être rapporté au volume d’encours de l’assurance vie, qui s’élève à 1 874 milliards d’euros.
Je précise que, dans le cadre de la transférabilité interne, les fonds du contrat A sont vendus et réinvestis dans le contrat B, fonds euro compris. Or je n’entends pas les assureurs se plaindre de ces problèmes de transférabilité ni de devoir gérer des mouvements de rachat pour leurs clients.
Pourquoi le Gouvernement craint-il tant la transférabilité externe, qui ne va pourtant pas entraîner du jour au lendemain des mouvements de déstabilisation considérables compte tenu de l’encours total ? Redoutez-vous que des compagnies d’assurances soient dans une difficulté telle qu’elles risquent d’être mises à mal par des clients apeurés ? Mais alors pourquoi devrait-on sauver ces compagnies d’assurances zombies ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Jean-François Husson, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 146 milliards d’euros, soit le montant de la surépargne des Français depuis le début de la crise sanitaire. Ce chiffre, relevé fin juillet dernier par la Banque de France, est supérieur au montant du plan de relance et à celui des mesures de soutien au pouvoir d’achat.
Le phénomène est désormais bien connu : les mesures de restriction sanitaire ont fait chuter la consommation, alors que les mesures de soutien au pouvoir d’achat ont préservé les revenus des ménages. En conséquence, l’épargne a explosé, atteignant des sommets sans précédent.
L’étude de la Banque de France, parue en septembre dernier, montre que le phénomène perdure malgré la levée des restrictions sanitaires. Cette surépargne « covid » nous rappelle que l’épargne constitue d’abord un moyen de se protéger, surtout quand des incertitudes assombrissent l’avenir. Mais ce qui a changé, depuis mars 2020, c’est que notre pays a renoué avec l’inflation, alors que la plupart des économistes pensaient que ce phénomène ne nous concernait plus.
L’inflation constitue désormais la principale menace pour l’épargne des Français, car elle l’enserre dans un étau : d’une part, comme les prix augmentent, la fraction de la consommation du revenu des ménages fait de même, ce qui diminue mécaniquement la fraction affectée à l’épargne ; d’autre part, la hausse des taux d’intérêt, qui accompagne l’inflation, ne suffit pas à compenser l’augmentation des prix. En témoigne le rehaussement de 3 % du taux du Livret A, bien en deçà de l’inflation. En conséquence, l’épargne des Français tend à s’éroder.
Je salue donc la proposition de loi présentée par nos collègues Albéric de Montgolfier et Jean-François Husson visant à protéger les épargnants. Ils ont engagé leurs travaux bien avant l’envolée de l’inflation, notamment au travers d’un rapport d’information publié en octobre 2021, dont la proposition de loi reprend les recommandations d’ordre législatif. Il ne s’agit pas d’un texte de circonstance, mais les circonstances le rendent plus pertinent encore.
La plupart des articles, y compris ceux – nombreux – qui ont été ajoutés en commission, peuvent sembler techniques, mais ils apportent des mesures bienvenues pour les épargnants.
C’est notamment le cas de l’article 7, qui garantit une réelle transférabilité des contrats d’assurance vie. Une telle mesure devrait rendre le marché plus concurrentiel et donc améliorer les prestations de gestion de ces produits. Elle donne également davantage de liberté aux épargnants en leur permettant de choisir l’option qui leur convient le mieux.
Lorsque nous avons ouvert la possibilité de résilier à tout moment les contrats d’assurance-crédit, les Français se sont emparés de cette nouvelle liberté. Ils font désormais jouer la concurrence à leur avantage ; ils feront de même avec les contrats d’assurance vie.
Dans le même esprit, je salue également l’assouplissement des critères d’éligibilité au PEA des quotas des fonds communs de placement à risque (FCPR). Cela favorise le financement en capital-risque, notamment pour les jeunes entreprises innovantes. Or toute mesure permettant de financer notre économie doit être encouragée, a fortiori par les temps qui courent.
Par ailleurs, cette proposition de loi comporte des mesures d’encadrement et de régulation visant à protéger les épargnants contre des pratiques qui pourraient les induire en erreur. Si elles sont bienvenues, certaines de ces mesures risquent de manquer d’efficacité, car les opérateurs, et notamment les banques, trouvent toujours des chemins détournés.
C’est un cycle bien connu s’agissant de la régulation bancaire : certaines pratiques soulèvent des indignations, le législateur légifère et les banques finissent par contourner ces interdictions, soulevant de nouvelles indignations… Je crains que la régulation des pratiques bancaires ne soit une tâche de Sisyphe : jamais achevée, toujours à recommencer.
Dans le registre des pratiques bancaires peu recommandables, il en est une qui a soulevé l’indignation du public, grâce à une récente publication de l’UFC-Que Choisir : le prélèvement de frais bancaires sur les comptes de défunts. Or, voilà près d’un an, j’avais déposé une proposition de loi sur cette même question. J’en reprendrai donc en partie les dispositions dans un amendement visant à encadrer strictement ces pratiques.
J’espère que le Sénat saura envoyer un message fort pour mettre un terme à ces pratiques qui ajoutent de l’indignation à la peine des familles et écornent la confiance des Français envers les institutions bancaires.
Vous l’aurez compris, notre groupe soutiendra cette proposition de loi, qui va dans le bon sens. Je vous engage également, mes chers collègues, à voter pour les amendements que nous défendrons.
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Breuiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer les travaux de contrôle du Sénat et de sa commission des finances, sous l’impulsion de nos collègues Albéric de Montgolfier et Jean-François Husson.
Le groupe écologiste soutient les mesures visant à accroître la transparence, dans tous les domaines, et singulièrement dans le domaine bancaire, et à amoindrir les frais d’épargne. La double charge pour les épargnants est particulièrement inique ; votre proposition de loi, en interdisant notamment la perception de commissions de mouvement, tend à y remédier. De même, ce texte renforce la transparence sur les investissements immobiliers, qui est absolument nécessaire.
Toutefois, nous ne partageons pas votre vision ni vos propositions sur les contraintes du marché, formulées au chapitre III, visant à encourager les épargnants à mobiliser leur épargne au profit des entreprises. Nous ne souscrivons pas à cette thèse néoclassique selon laquelle la hausse de l’épargne bénéficierait toujours à l’économie : pour être réellement efficace, il faudrait que l’épargne soit orientée vers la transition écologique et vers l’économie sociale et solidaire – c’est l’objet de plusieurs de nos amendements –, plutôt que sur des produits financiers.
La période d’inflation que nous traversons frappe de plein fouet les petits épargnants. Je pense bien sûr aux 55 millions de détenteurs d’un livret A et plus particulièrement aux foyers modestes ayant un encours inférieur à 1 500 euros. Il convient de protéger ces derniers, qui sont nombreux à avoir d’ores et déjà renoncé à une partie de leur épargne pendant les confinements. Alors que les plus aisés d’entre nous augmentaient considérablement leur épargne, les plus modestes étaient souvent contraints de la consommer.
La limitation des frais et la transparence sont donc nécessaires pour ces personnes modestes, car la réduction des inégalités doit toujours demeurer la priorité. Nous touchons au cœur du problème : il est indispensable de rétablir une fiscalité juste sur les revenus des épargnes accumulées. En effet, ce patrimoine ne dort pas ; il engendre des revenus supplémentaires pour les ménages les plus aisés et davantage encore pour les établissements financiers.
Or, depuis la mise en place en 2018 d’une flat tax à 30 %, ces revenus sont moins taxés que ceux du travail ! Je profite donc de l’examen de ce texte pour dire de nouveau l’opposition de mon groupe à cette mesure et notre volonté de taxer les revenus financiers à la même hauteur que ceux du travail.
Enfin, j’évoquerai les conséquences sociales et environnementales des comptes bancaires et l’importance de réguler les activités des banques – objet de la proposition de loi. En 2020, Oxfam France a démontré comment notre argent mis en banque finançait potentiellement des projets polluants, en France comme à l’international, et a mis au jour l’empreinte carbone colossale des banques françaises. Les activités de financement et d’investissement des six principales banques françaises représentent ainsi près de huit fois les émissions de gaz à effet de serre de la France entière !
Il est donc urgent de réguler les banques françaises. À cet effet, Oxfam France recommande de créer un label « en transition » définissant le degré d’alignement d’un portefeuille avec l’accord de Paris. Nous soutenons bien évidemment cette initiative.
Cette proposition de loi est bienvenue en ce qu’elle permet de répondre au souci de protection des épargnants et à l’exigence de plus de transparence, mais elle ne répond peut-être pas suffisamment aux enjeux de justice fiscale, sociale et environnementale que nous défendons.
Nous nourrissons un doute sur la question de la transférabilité externe des contrats d’assurance vie, mais nous écouterons avec intérêt les débats sur ce sujet.
En outre, l’article 8 introduit une disposition que nous ne pouvons soutenir en cette période de contestation de réforme des retraites. À cet égard, je salue l’avis favorable que la commission a d’ores et déjà émis sur notre amendement de suppression.
Chers collègues, le débat sur ce texte m’a contrarié, non pour son contenu, mais parce qu’il m’a contraint à rentrer trop rapidement de la manifestation de cet après-midi contre une réforme des retraites que je juge injuste, inefficace et inutile ! (Sourires.)
Malgré cela, nous serons attentifs aux argumentaires de nos collègues et déterminerons notre vote selon le sort qui sera réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Segouin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’assurance vie est actuellement le placement préféré des Français : quelque 45 % des ménages ont souscrit un contrat en assurance vie, ce qui représente presque 50 millions de contrats individuels pour un total de près de 2 000 milliards d’euros d’encours.
La durée moyenne de détention d’un contrat en assurance vie est de douze ans, ce qui permet aux gestionnaires du secteur bancaire et assurantiel d’accompagner la dette des États et le développement des entreprises sur le long terme.
Toutefois, la chute des taux d’intérêt a eu de lourdes conséquences sur la rémunération des fonds euro, passée de 5,3 % en 2000 à 0,8 % en 2022, poussant les gestionnaires à orienter les épargnants vers les unités de compte, dont la rémunération est plus attractive, mais aussi plus risquée.
Ces unités de compte sont des investissements confiés à des gestionnaires de fonds portant des orientations ciblées sur les actions ou les obligations nationales, européennes ou internationales, comme les fonds verts, par exemple. La rémunération des épargnants est donc aujourd’hui plus aléatoire, moins sûre et moins linéaire, car plus risquée, mais plus favorable sur le temps long.
De même, s’il apparaît plus éthique d’investir sur de la valeur d’entreprise que sur la dette des États, les frais de gestion peuvent amoindrir sérieusement les rémunérations.
La proposition de loi de mes collègues Husson et de Montgolfier met en évidence une opacité des frais qui pénalise les épargnants. Un premier rapport, publié en 2021, a permis certaines avancées de la part des gestionnaires et de l’AMF sur la transparence des frais, notamment la mise en place de nouvelles obligations au 1er janvier 2026. Nous en prenons acte.
En sus de l’encadrement des frais, prévu au chapitre I, la proposition de loi vise à instaurer une plus grande transparence de la performance des produits, condition clef pour assurer aux épargnants un choix éclairé et pour stimuler la concurrence.
Les quatre premiers articles sont ainsi particulièrement dirigés vers les épargnants afin de leur garantir une information claire et transparente et guider au mieux leur choix.
Je m’interroge cependant sur l’ensemble des obligations imposées aux gestionnaires dans les lettres annuelles. Je reste convaincu qu’on ne remplacera pas le conseil et la confiance par des obligations et des devoirs qui rendent l’information trop lourde et de moins en moins lisible pour les épargnants.
L’article de cette proposition de loi qui m’apparaît le plus important et dont la mise en place pose question à l’ensemble des acteurs est sans aucun doute l’article 7. Il a pour objet de permettre une véritable transférabilité interne et externe des contrats d’assurance vie au-delà de huit ans.
La transférabilité externe est impossible pour le moment. Les épargnants doivent racheter leur contrat, au risque de perdre l’avantage fiscal acquis au-delà de huit ans. La transférabilité interne est également compliquée en ce qu’elle dépend du bon vouloir du gestionnaire. En cas de refus, l’épargnant rachète trop souvent son contrat sans replacer les sommes sur son assurance vie, pourtant censée le suivre tout au long de son existence.
Prenons l’exemple d’une personne ayant souscrit un contrat d’assurance vie voilà huit ans chez un gestionnaire de patrimoine, lequel a placé dans une compagnie. Le gestionnaire de patrimoine n’est plus en activité et la compagnie a été rachetée par une autre, qui ne souhaite plus avoir de réseau physique. La situation du souscripteur change et ce dernier souhaite faire le point, mais ne trouve plus d’interlocuteur. Il s’adresse donc à un nouveau conseiller, qui lui avise de renforcer ses versements sur l’assurance vie, pour préparer les prochaines étapes de son existence, à l’intérieur du contrat existant, qui bénéficie de l’antériorité fiscale de huit ans.
Cette obligation, voulue par l’Autorité de contrôle et le législateur, entrave dorénavant le choix des épargnants. Certes, le législateur a souhaité rendre répréhensibles des actes commerciaux qui désavantagent des clients, mais faisons attention aux limites de ces dispositions.
L’absence de transférabilité empêche l’épargnant de faire les bons choix et d’opter pour les conditions qui correspondent le mieux à sa situation personnelle et à ses objectifs. C’est pourquoi je suis favorable à la transférabilité, à la condition que la durée minimum de huit ans soit respectée.
J’entends cependant la crainte des gestionnaires, qui s’inquiètent du nombre de rachats comme de l’obligation de garder une réserve pour répondre à ces demandes. J’entends aussi leurs réticences quant à la part d’épargne qu’ils ne pourront plus placer pour répondre aux demandes de rachat.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Vincent Segouin. Reste que je ne crois pas aux risques majeurs que cette situation pourrait entraîner, par exemple une diminution de la performance des contrats. La transférabilité apportera plus de confiance aux épargnants, qui pourront changer de gestionnaire ou d’intermédiaire.
Comme l’ensemble des membres du groupe Les Républicains, je suis favorable à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de la concrétisation législative du long travail qu’ont accompli Albéric de Montgolfier et Jean-François Husson, respectivement ancien et actuel rapporteurs généraux de la commission des finances, sur un sujet structurant tant pour le pouvoir d’achat des Français que pour le financement de l’économie. Je leur adresse à tous deux mes remerciements pour cette belle opportunité.
Mon intervention portera sur deux points.
Le premier concerne le modèle de rémunération des produits d’épargne, qui fait l’objet de débats au sein tant de l’Union européenne que de la commission des finances dans le cadre de ses travaux de contrôle ayant abouti à l’élaboration de cette proposition de loi.
Selon moi, le conseil financier doit demeurer accessible au plus grand nombre d’épargnants et ne doit pas être réservé aux seuls ménages qui peuvent s’acquitter d’honoraires. C’est cela qui constitue le cœur de la protection des épargnants. Le modèle de commissionnement actuel doit être préservé. Les risques sont contrôlés par les régulateurs nationaux. Aujourd’hui, un épargnant trouve normal d’être conseillé par un salarié de la banque ou de l’assureur qui lui vend le produit, puisqu’il l’a choisi.
À l’inverse, celui qui ne peut se payer une prestation de conseil réalisera ses investissements seul devant son écran, sur des plateformes plus ou moins encadrées, qui l’orienteront vers des produits à la mode, comme certains cryptoactifs, pour ne citer que cet exemple.
Mon second point porte sur l’assurance vie.
Depuis dix-huit ans, le Sénat a beaucoup fait progresser le placement préféré des Français : sur la déshérence des contrats, d’abord ; sur l’information des assurés, ensuite. J’y ai modestement contribué. Nous avons réussi à faire évoluer ce placement au bénéfice des assurés malgré la frilosité des assureurs et sans jamais fragiliser ce secteur clef de l’économie française, quoi qu’en disaient les assureurs à l’origine.
Je crains que la transférabilité totale prévue dans la proposition de loi n’entraîne des conséquences sur le financement à long terme de nos entreprises, même avec les garde-fous proposés. La transférabilité réduira forcément l’horizon des investissements et orientera l’épargne vers des actifs de plus court terme et moins risqués pour pouvoir faire face à des sorties facilitées, donc importantes.
C’est la raison pour laquelle j’ai proposé une voie médiane qui dynamisera l’assurance vie sans la dynamiter. J’ai ainsi déposé un amendement visant à porter à douze ans la transférabilité externe, un tiers seulement des contrats d’assurance étant concernés.
Je conclus en me réjouissant de la richesse des travaux menés en commission sur le renforcement de la transférabilité interne, qui ouvrira de nouvelles opportunités pour l’assuré. Je ne vois pas comment les assureurs pourraient s’y opposer ni pourquoi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’épargne des Français atteint aujourd’hui des sommets et, plus que jamais, il nous faut veiller à leur protection.
Cette épargne se heurte pourtant à un manque de transparence, notamment sur les frais et les produits disponibles. Le nombre élevé d’intermédiaires participe également à une forme d’opacité entretenue par une concurrence insuffisante.
Tout cela tire vers le bas les performances servies aux épargnants, qui financent pourtant, ne l’oublions pas, l’économie réelle de notre pays.
Nous avons donc besoin d’eux comme ils ont besoin de nous. Notre responsabilité est aussi de protéger le pouvoir d’achat des ménages, surtout en ce moment, en sécurisant les revenus complémentaires issus des placements de nos concitoyens.
L’interdiction des commissions de mouvement, le référencement des produits indiciels à bas coût, l’amélioration de l’information disponible sur les frais de l’assurance vie ou encore une réelle transférabilité de celle-ci constituent autant de pistes évoquées par nos éminents collègues Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier, voilà quelques mois, dans leur rapport d’information qui pourrait s’intituler La Protection des épargnants : payer moins et gagner plus. Voilà un véritable objectif !
La proposition de loi qu’ils ont déposée à l’issue de ce travail en profondeur traduit dans le domaine législatif les justes recommandations qu’ils ont formulées.
À cet égard, la transférabilité externe des contrats d’assurance vie fait l’objet du plus important débat. Pour s’y opposer – évidemment ! –, les banques et assurances mettent en avant un risque prudentiel et systémique, ce qui n’a rien d’étonnant venant d’elles… Pour autant, comme l’ont précisé les rapporteurs, elles n’ont rien pu prouver avec des simulations ou des chiffres.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, la représentation nationale demande d’ailleurs à connaître ces chiffres : si Bercy pouvait les fournir, nous en serions bien heureux. Monsieur le ministre, vos services sont-ils en mesure d’éclairer le débat sur ce point ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants
Chapitre Ier
Poursuivre le plus strict encadrement de certaines catégories de commissions
Avant l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 35, présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 221-13 du code monétaire et financier est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les établissements de crédits proposent l’ouverture du compte sur livret d’épargne populaire aux clients en situation de difficulté financière mentionnés à l’article L. 312-1-3-1 dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … tendant à renforcer la protection des épargnants qui satisfont aux conditions définies à l’article L. 221-15. »
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, avec votre autorisation, je présenterai conjointement les amendements nos 35 et 34.
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 34, présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article L. 221-15 du code monétaire et financier, le chiffre : « 1,8 » est remplacé par le chiffre : « 2,2 ».
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Pascal Savoldelli. Messieurs les rapporteurs, vous nourrissez l’ambition de « renforcer la protection des épargnants », mais aucune disposition de ce texte ne concerne les livrets réglementés. Pourtant, 87 millions de livrets de ce type sont ouverts, pour un encours total de 846 milliards d’euros – Livret A, livret de développement durable et solidaire (LDDS), livret d’épargne populaire(LEP)…
Pour vous en convaincre, je vous lis un extrait des observations de la Cour des comptes : « L’épargne réglementée constitue une particularité française qui a peu d’équivalents en Europe et qui s’explique par l’histoire financière et par l’importance des dispositifs réglementaires visant à encourager et protéger l’épargne des ménages. Elle offre à ces derniers des produits simples […], bénéficiant de la part de l’État d’une garantie sur le capital et d’une rémunération évoluant en fonction de l’inflation ; pour le système financier, elle constitue une ressource stable et contribue à transformer les dépôts des épargnants en emplois d’intérêt général de long terme. »
Ces deux amendements ont pour objet d’élargir les bénéficiaires du livret d’épargne populaire et de rendre sa présentation obligatoire aux épargnants éligibles. Il est emblématique de ce qu’est un produit d’épargne protecteur : rémunérateur, car indexé sur l’inflation, sécurisant au travers de dépôts garantis, liquide, et disposant d’une fiscalité avantageuse.
Alors que les clients les plus aisés bénéficient de remises commerciales, les « extoumes », et de supports défiscalisés, les clients les plus modestes subissent la double peine : plus de frais et une épargne moins rémunératrice.
Pourtant, comme pour les aides sociales, le non-recours au livret d’épargne populaire est massif ! Dans son rapport annuel, l’Observatoire de l’épargne réglementée a établi que seulement « 21 % des individus éligibles détiennent un LEP, alors que, parmi les personnes éligibles non détentrices de LEP, la moitié détient un livret A », pourtant moins rémunérateur.
Notre ambition devrait viser à populariser les produits d’épargne réellement populaires et utiles à l’intérêt général !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Une fois n’est pas coutume, je partage totalement l’idée de Pascal Savoldelli de mieux diffuser le livret d’épargne populaire.
M. Pascal Savoldelli. Voilà qui commence bien ! (Sourires.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je précise d’emblée que l’épargne populaire ne s’arrête pas au livret d’épargne populaire.
Tout à l’heure, on a donné les chiffres globaux, mais il faut aussi rappeler ce que cela représente par personne. L’encours moyen de l’assurance vie est estimé à 30 000 euros – ce produit concerne donc des millions de Français, et pas uniquement les plus riches –, et celui des PER à 12 000 euros. Tels sont les enjeux.
Cette proposition de loi concerne donc l’épargne de l’ensemble des Français, et pas seulement celle des plus aisés.
L’amendement n° 35 vise à élargir la diffusion du livret d’épargne populaire. Aujourd’hui, seulement 8,5 millions de Français en détiennent un, alors que 18 millions y sont éligibles. Il y a là une véritable difficulté.
Plutôt que d’en augmenter le plafond, comme le prévoit la rédaction de l’amendement n° 34, il serait préférable de mieux diffuser le livret d’épargne populaire.
Chaque année, la direction générale des finances publiques (DGFiP) délivre une information qui gagnerait à être mieux diffusée, par exemple en figurant sur l’avis d’imposition, indiquant si l’on est éligible à l’épargne populaire, notamment au livret d’épargne populaire. L’administration fiscale est censée informer le contribuable de son éligibilité à l’épargne populaire.
Faut-il aller au-delà, comme il est proposé à l’amendement n° 35 ? À mon sens, cela soulève des difficultés et pose notamment la question de la confidentialité des informations, voire du secret, puisque c’est la banque qui consulterait le montant des prestations sociales et des revenus.
M. Pascal Savoldelli. Eh oui !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. À mon sens, il vaut mieux en rester au dispositif existant. C’est à l’administration fiscale d’informer les contribuables de leur éligibilité et non aux banques.
Par conséquent, la commission demande de retrait de l’amendement n° 35.
Peut-être le ministre nous donnera-t-il d’autres pistes pour mieux informer les contribuables, notamment par le biais de l’avis d’imposition.
Élargir le champ des bénéficiaires du livret d’épargne populaire, puisque tel est l’objet de l’amendement n° 34, ne me semble pas répondre à l’enjeu. Il s’agit bien de faire en sorte que les épargnants aient davantage recours au livret d’épargne populaire plutôt que d’élargir les conditions d’accès de celui-ci. Par conséquent, la commission demande également le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Je n’ai pas de meilleurs arguments que ceux de M. le rapporteur. (Sourires.)
J’indique toutefois que la troisième campagne d’information sera lancée dans les prochaines semaines, à la suite de l’augmentation du taux d’intérêt. Les précédentes campagnes ont porté leurs fruits : celle de l’année dernière a ainsi conduit 1,3 million de Français éligibles à ouvrir un LEP, permettant de réduire un peu l’écart entre les personnes éligibles et les personnes détentrices de ce produit destiné aux Français les plus modestes.
Le Gouvernement demande donc également le retrait de ces amendements ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. J’ai presque senti un embarras au banc de la commission au point que je me suis dit que vous alliez émettre un avis de sagesse, monsieur le rapporteur (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.), car, sur cette question, nous présentons beaucoup de convergences. Puis est venue la chute : c’est non. (Nouveaux sourires.)
Ces amendements ne seront peut-être pas adoptés, mais ils n’avaient qu’une vocation : favoriser l’épargne populaire et l’intérêt général.
Monsieur le rapporteur, vous parlez des banques. Je pense que tout le monde a fait la même expérience : des retraités sont appelés par leur banquier, qui leur indique qu’ils ont atteint le plafond et qu’il leur faut souscrire d’autres produits, alors que ce sont les intérêts cumulés qui leur ont fait dépasser le plafond. Beaucoup, dans les banques, ont recours à ce mensonge pour pousser les épargnants vers d’autres placements.
C’est pourquoi, sur cette question, le législateur a une responsabilité et un rôle à jouer, sans être intrusif, pour encourager l’épargne populaire.
Au final, ne pas voter ces amendements revient à ne pas vouloir encourager l’épargne populaire.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 34.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
I. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa de l’article L. 214-9, sont insérés quatre alinéas ainsi rédigés :
« Aucune commission de mouvement ne peut être perçue par la société de gestion de portefeuille à l’occasion des opérations portant sur le portefeuille géré. Cette interdiction s’applique également à la société ayant reçu la délégation de la gestion financière du portefeuille et, pour leur activité de gestion d’un OPCVM, aux sociétés liées exerçant exclusivement l’activité de gestion d’un OPCVM, les services de réception et de transmission d’ordres et d’exécution d’ordres principalement pour le compte des OPCVM gérés par la société de gestion de portefeuille ou par une société liée pour son activité de gestion d’un OPCVM.
« Par dérogation au deuxième alinéa, ces personnes peuvent continuer à bénéficier de commissions de mouvement à l’occasion d’opérations portant sur :
« 1° Des immeubles ainsi que des meubles meublants, biens d’équipement ou biens meubles affectés à ces immeubles et nécessaires au fonctionnement, à l’usage ou à l’exploitation de ces derniers, des droits réels portant sur de tels biens et des droits détenus en qualité de crédit-preneur afférents à des contrats de crédit-bail portant sur de tels biens ;
« 2° Les parts ou actions d’entités qui ne sont pas admises aux négociations sur un marché mentionné aux articles L. 421-1, L. 422-1 et L. 423-1 et dont l’actif est principalement constitué soit des biens mentionnés au 1°, soit de participations directes ou indirectes dans des entités répondant elles-mêmes aux conditions du présent alinéa ou d’avances en compte courant consenties à de telles entités. » ;
2° L’article L. 214-24-3 est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Aucune commission de mouvement ne peut être perçue par la société de gestion de portefeuille à l’occasion des opérations portant sur le portefeuille géré. Cette interdiction s’applique également à la société ayant reçu la délégation de la gestion financière du portefeuille et, pour leur activité de gestion de FIA, aux sociétés liées exerçant exclusivement l’activité de gestion de FIA, les services de réception et de transmission d’ordres et d’exécution d’ordres principalement pour le compte des FIA gérés par la société de gestion de portefeuille ou par une société liée pour son activité de gestion de FIA.
« Par dérogation au deuxième alinéa, ces personnes peuvent continuer à bénéficier de commissions de mouvement à l’occasion d’opérations portant sur :
« 1° Des immeubles ainsi que des meubles meublants, biens d’équipement ou biens meubles affectés à ces immeubles et nécessaires au fonctionnement, à l’usage ou à l’exploitation de ces derniers, des droits réels portant sur de tels biens et des droits détenus en qualité de crédit-preneur afférents à des contrats de crédit-bail portant sur de tels biens ;
« 2° Les parts ou actions d’entités qui ne sont pas admises aux négociations sur un marché mentionné aux articles L. 421-1, L. 422-1 et L. 423-1 et dont l’actif est principalement constitué soit des biens mentionnés au 1°, soit de participations directes ou indirectes dans des entités répondant elles-mêmes aux conditions du présent alinéa ou d’avances en compte courant consenties à de telles entités. »
II. – Le présent article entre en vigueur le 1er janvier 2026.
M. le président. L’amendement n° 48, présenté par MM. de Montgolfier et Husson, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Comme les orateurs de l’ensemble des groupes l’ont souligné, et je les en remercie, nous avons, je crois, accompli un travail utile depuis 2020 en insistant sur le caractère spécifique et un peu incongru des commissions de mouvement.
Je rappelle qu’il s’agit des commissions que les gestionnaires perçoivent en vendant et en achetant des actions. Évidemment, plus on fait tourner un portefeuille, plus on touche de commissions de mouvement. C’est parfois dans l’intérêt de l’épargnant, mais pas toujours ; on peut comprendre qu’un certain nombre de gestionnaires soient tentés de multiplier ces mouvements, qui entraînent des commissions.
Si ce mode de rémunération n’est pas scandaleux en soi – tout travail mérite salaire –, en revanche, ces commissions ne sont pas forcément justifiées par l’intérêt de l’épargnant. C’est la raison pour laquelle, dès le début, nous avons insisté pour les supprimer. Notre insistance a porté ses fruits, puisque le règlement général de l’AMF a été modifié et prévoit l’interdiction totale des commissions de mouvement à partir du 1er janvier 2026, un temps d’adaptation étant nécessaire.
Dans ces conditions, il est inutile d’ajouter dans le texte une disposition qui semble satisfaite et, dans un souci de simplification et afin d’éviter que la loi ne soit trop bavarde, nous proposons la suppression de l’article 1er.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement et salue l’esprit constructif des rapporteurs.
M. le président. En conséquence, l’article 1er est supprimé, et les amendements nos 19 et 30 n’ont plus d’objet.
Après l’article 1er
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 1 rectifié bis est présenté par MM. Maurey et Canévet, Mme Vermeillet, MM. J.M. Arnaud, Mizzon, Sautarel, Cigolotti, de Belenet, Henno, Paccaud et de Nicolaÿ, Mmes Muller-Bronn et M. Mercier, M. Anglars, Mme Demas, MM. Pointereau, Meurant, J.P. Vogel et Hingray, Mme Guidez, MM. Guerriau, Calvet, Bonneau et Menonville, Mme Férat, MM. Courtial, Belin, Daubresse, Wattebled et Pellevat, Mme Thomas, MM. Kern, Perrin et Rietmann, Mmes Jacquemet et Billon et MM. Houpert, Duffourg et Chatillon.
L’amendement n° 5 rectifié quater est présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Capus, Malhuret, Chasseing, Decool, Grand et Lagourgue, Mme Mélot et MM. A. Marc et Verzelen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 312-1-4 du code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Au quatrième alinéa, les mots : « et le versement des sommes y figurant » sont remplacés par les mots : « et le versement de l’intégralité des sommes y figurant, sur lesquelles aucun frais d’aucune nature ne peut être prélevé » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Dès lors que le montant total des sommes détenues par l’établissement est supérieur au montant fixé par arrêté mentionné au 2°, la clôture des comptes du défunt et le versement des sommes y figurant ne peuvent donner lieu au prélèvement de frais d’un niveau supérieur à 1 % du montant total des sommes détenues par l’établissement dans la limite d’un plafond fixé par arrêté du ministre chargé de l’économie. »
La parole est à M. Hervé Maurey, pour présenter l’amendement n° 1er rectifié bis.
M. Hervé Maurey. Comme Michel Canévet en a déjà fait la promotion, je présenterai rapidement cet amendement qui vise à encadrer enfin les frais sur les comptes bancaires de personnes décédées.
En effet, ces frais sont souvent très élevés, quand bien même les opérations équivalentes pour les personnes vivantes sont gratuites. Qui plus est, ils sont opaques et très hétérogènes.
J’ai déjà interpellé le Gouvernement sur ce sujet. Le ministre de l’économie m’a répondu voilà deux ans, dans le cadre d’une question écrite, que tout allait se régler et que des mesures allaient être prises. Malheureusement, on en est toujours au même point.
C’est la raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement, qui reprend en grande partie les dispositions de la proposition de loi que j’ai présentée l’année dernière. Il a pour objet la gratuité des frais bancaires pour les comptes dont le montant est inférieur à 5 000 euros et un plafonnement de ces derniers à 1 % du montant total des sommes détenues par l’établissement dans la limite d’un plafond fixé par arrêté ministériel.
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié quater.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Dans la discussion générale, beaucoup ont souligné l’étude de l’UFC-Que Choisir, qui montrait une très grande hétérogénéité de frais, certains atteignant des niveaux assez élevés, notamment pour les successions les plus modestes.
On parlera beaucoup de concurrence au cours de la discussion de ce texte, notamment au travers de la transférabilité externe. Malheureusement, lorsque survient un décès, il n’y a pas de mise en concurrence possible : la banque impose unilatéralement des frais qui peuvent être très élevés pour des petites successions.
Ce dispositif d’encadrement permet de remédier à des situations parfois difficiles, surtout lorsque les frais représentent un montant élevé au regard de l’importance de l’actif.
La commission émet par conséquent un avis favorable sur ces amendements identiques.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Le Gouvernement partage l’intérêt légitime face au sentiment d’injustice que les frais bancaires de succession peuvent faire naître chez nos concitoyens à l’occasion de ce moment particulier et profondément intime de leur vie.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, ayant été interpellé sur ce sujet, a souhaité trouver la solution la plus efficace possible : une démarche de négociation, en d’autres termes un accord de place engageant pleinement les banques au-delà des exigences légales, est en cours.
Cette même démarche a été engagée en 2019 pour plafonner les frais bancaires des publics fragiles : elle a porté ses fruits et s’est montrée efficace en s’appuyant sur un engagement volontaire de chaque banque. Cette méthode a pu prévenir tout risque de contournement du cadre législatif que nous aurions pu mettre en œuvre à l’époque.
Dans cet esprit, le Gouvernement réunira les banques au mois de février prochain afin de finaliser les travaux, auxquels nous vous invitons à participer, monsieur Maurey, avant le passage de cette proposition de loi en séance publique. C’est la raison pour laquelle je demande de retrait de ces amendements identiques.
Nous espérons parvenir à un accord de place prévoyant que le plafonnement des frais soit inférieur à 1 % des sommes du compte, car cela pourrait très vite représenter des frais bien plus importants que ceux qui sont aujourd’hui pratiqués.
M. Hervé Maurey. Je maintiens mon amendement !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Pour notre part, nous voterons ces amendements de bon sens, ce qui vous aidera à négocier, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, vous nous dites : nous partageons, nous sommes d’accord avec tout, mais nous vous demandons de retirer ces amendements ! À un moment, il faut que le débat ait du sens. (Marques d’approbation.)
Puisque vous voyez les banques au mois de février prochain, vous avez le soutien du Sénat pour vous aider dans vos négociations. Vous devriez dire au contraire que, non content d’être favorable à ces amendements, vous regrettez de ne pas les avoir vous-même présentés ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe SER. – Mme Cécile Cukierman rit.)
M. Loïc Hervé. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.
M. Hervé Maurey. Je pensais que M. Roger Karoutchi allait conclure son intervention en disant que le ministre aurait même dû me remercier ! (Sourires.) Je n’en attendais pas autant, mais je ne pensais tout de même pas que le Gouvernement aurait cette position.
« Attendez, cela va se régler tout seul » : c’est ce que l’on me dit et m’écrit depuis maintenant deux ans !
Au mois de février 2021, à la question écrite que j’ai posée au Gouvernement, il m’a été répondu ceci : « Le Gouvernement demeure à ce titre déterminé à ce qu’une solution soit rapidement dégagée. » J’ai ensuite reçu, au cours de ce même mois, un courrier de Bruno Le Maire m’indiquant que tout serait réglé d’ici au début de l’automne 2022.
M. Jean-François Husson, rapporteur. On ne va pas attendre la fin de l’hiver !
M. Hervé Maurey. Permettez-moi de penser, monsieur le ministre, qu’il nous faut légiférer. Comme l’ont souligné mes collègues, cela ne pourra qu’être utile au Gouvernement s’il veut arriver à un accord encore meilleur que ce que nous proposons aujourd’hui.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roger Karoutchi. Sagesse du Gouvernement ! (Sourires.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Non, monsieur Karoutchi…
Nous avons réussi à obtenir des avancées considérables de la part de la profession bancaire, sur la base d’un accord de place. Si, aujourd’hui, 4 millions de Français peuvent bénéficier d’une offre limitant les frais d’incident bancaire à 25 euros par mois, et pour certains d’entre eux à 20 euros par mois et à 200 euros par an, c’est sur le fondement d’un accord de place, sans qu’aucun amendement ait été adopté auparavant.
C’est vous dire notre détermination à faire converger les choses et à obtenir que, dans ce type de situation, un plafonnement puisse se trouver, dont nous espérons qu’il sera inférieur à 1 %.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Notre groupe votera ces amendements identiques, car ils sont responsables.
Pas de démesure : on parle ici de frais bancaires liés à la clôture d’un compte de moins de 5 000 euros en cas de succession. Quelle est la valeur de ces frais ? On en a souligné les écarts voilà quelques instants. (Marques d’approbation.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Monsieur le sénateur, je vous rappelle que ce plafonnement concernera également les très hauts patrimoines que vous dénonciez tout à l’heure à la tribune. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) C’est votre droit que de défendre le plafonnement des frais pour ce type de public, mais vous aurez à l’assumer. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié bis et 5 rectifié quater.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.
Article 2
I. – Après la section 1 du chapitre II du titre III du livre Ier du code des assurances, est insérée une section 1 bis ainsi rédigée :
« Section 1 bis
« Le mandat d’arbitrage de contrats d’assurance vie et de capitalisation
« Art. L. 132-27-3. – I. – En matière d’assurance sur la vie ou d’opération de capitalisation, l’arbitrage en assurance vie est l’opération consistant à modifier la répartition des droits exprimés en euros, des droits exprimés en unités de compte et des droits exprimés en parts de provision de diversification, au cours de la durée d’un contrat ou d’une adhésion, à la demande du souscripteur ou de l’adhérent et dès lors que cette faculté est prévue par ce contrat.
« II. – Le mandat d’arbitrage en assurance vie est la convention par laquelle le souscripteur ou l’adhérent à un contrat d’assurance sur la vie ou de capitalisation, agissant en qualité de mandant, confie à une personne physique ou morale, agissant en qualité de mandataire, la faculté d’exercer des arbitrages.
« II bis (nouveau). – Le mandataire exécute les opérations d’arbitrage définies au I du présent article conformément aux termes de la convention de mandat, y compris l’orientation de gestion telle que définie dans la convention.
« III. – Seuls peuvent exercer l’activité de mandataire mentionnée au II, contre rémunération de toute nature, les distributeurs d’assurance mentionnés à l’article L. 511-1. Les mandataires auxquels sont confiés un ou plusieurs mandats d’arbitrage en assurance vie appliquent les principes généraux ainsi que les règles d’information et de conduite mentionnés au titre II du livre V. Les mandataires ne doivent pas se trouver dans une situation susceptible de porter atteinte aux intérêts du souscripteur ou de l’adhérent, en acceptant et en conservant une rémunération différenciée selon les supports proposés dans le cadre du mandat. Les mandataires ne doivent pas non plus accepter de commissions de mouvement, perçues à l’occasion de l’investissement, du désinvestissement ou de l’exécution d’arbitrages entre les supports proposés.
« IV et V. – (Supprimés)
« Art. L. 132-27-4. – I. – Sans préjudice de l’article L. 224-3 du code monétaire et financier, le mandat d’arbitrage en assurance vie fait l’objet d’une convention écrite, établie sur un support papier ou sur tout autre support durable au sens de l’article L. 111-9 du présent code, signée par le mandant et le mandataire. Cette convention détermine les droits et obligations des parties et précise l’orientation de gestion choisie ainsi que les différents supports d’investissement correspondant à cette orientation. Un décret définit les informations devant figurer dans cette convention.
« I bis (nouveau). – Le mandataire s’assure de la cohérence de l’orientation de gestion choisie au regard des exigences et besoins du mandant et précise par écrit les raisons qui motivent ce choix d’orientation.
« II. – Le mandataire communique le mandat d’arbitrage en assurance vie à l’organisme d’assurance avec lequel le contrat d’assurance sur la vie ou de capitalisation a été conclu, au plus tard à la date de prise d’effet de celui-ci. Le cas échéant, il informe celle-ci de la résiliation du mandat. Ces dispositions ne s’appliquent pas lorsque le mandataire est l’entreprise d’assurance.
« III. – (Supprimé)
« IV. – Le mandataire informe le mandant, sur un support durable au sens de l’article L. 111-9, des arbitrages réalisés au moins une fois par an et en cas de résiliation du mandat d’arbitrage en assurance vie par l’une ou l’autre des parties. Les informations transmises à cette occasion au mandant et les modalités de résiliation du mandat d’arbitrage en assurance vie sont définies par décret.
« Art. L. 132-27-5. – Lorsque le mandataire est un intermédiaire d’assurance, il souscrit un contrat d’assurance le couvrant contre les conséquences pécuniaires de sa responsabilité civile professionnelle au titre de cette activité, sauf si cette assurance ou une garantie équivalente lui est déjà fournie par une entreprise d’assurance ou de réassurance ou par un intermédiaire d’assurance ou de réassurance ou par une autre entreprise pour le compte desquels il agit ou par lequel il est mandaté ou si cette entreprise ou cet intermédiaire assume l’entière responsabilité des actes du mandataire.
« Art. L. 132-27-6. – (Supprimé) ».
II. – Le I entre en vigueur douze mois à compter de la publication de la présente loi, à l’exception de l’interdiction visant les commissions de mouvement mentionnée au IV de l’article L. 132-27-3 du code des assurances qui entre en vigueur le 1er janvier 2026.
M. le président. L’amendement n° 31, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5
1° Après les mots :
morale, agissant
insérer les mots :
dans le cadre de ses activités commerciales ou professionnelles et
2° Remplacer les mots :
d’exercer
par les mots :
de décider
II. – Alinéa 7, première phrase
Remplacer les mots :
contre rémunération de toute nature, les distributeurs d’assurance mentionnés à
par les mots :
les entreprises d’assurance et les intermédiaires d’assurance mentionnés au III de
III. – Alinéa 9
1° Supprimer les mots :
Sans préjudice de l’article L. 224-3 du code monétaire et financier,
et les mots :
du présent code
IV. – Après l’alinéa 13
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« V. – Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux contrats d’assurance de groupe en cas de vie ouverts sous la forme d’un plan d’épargne retraite mentionné à l’article L. 224-1 du code monétaire et financier, dont les versements et allocations sont effectués conformément aux troisième et quatrième alinéas de l’article L. 224-3 du même code.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Cet amendement vise à apporter plusieurs modifications pour clarifier le champ d’application de l’article.
En premier lieu, la gestion pilotée par horizon du plan d’épargne retraite est exclue d’une partie du champ d’application du dispositif, dans la mesure où ce mode de gestion, défini par voie législative et réglementaire, prévoit déjà une sécurisation progressive de l’épargne à l’approche de la date de liquidation du contrat.
En deuxième lieu, afin de préserver le cas des mandats dits « familiaux », où la gestion de l’épargne est confiée à un proche, il est précisé que cet encadrement ne concerne que les mandataires agissant dans le cadre de leurs activités commerciales ou professionnelles.
En dernier lieu, les opérations ponctuelles déterminées lors de la souscription ou de l’adhésion qui ne s’apparentent pas à un mode de gestion habituel du contrat sont exclues du champ d’application de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Favorable, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 45, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 7, troisième et dernière phrases
Remplacer ces phrases par une phrase ainsi rédigée :
L’exécution d’arbitrages au titre d’un mandat ne peut donner lieu à aucune commission ou rémunération versée à l’occasion d’opérations d’investissement ou de désinvestissement entre les supports proposés.
II. – Alinéa 16
Remplacer les mots :
de mouvement mentionnée au IV
par les mots :
ou rémunérations versées à l’occasion d’opérations d’investissement ou de désinvestissement mentionné au III
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Cet amendement tend à préciser le champ des obligations du mandataire en excluant l’interdiction des commissions de rétrocession et à rendre opérationnelle l’interdiction de l’équivalent des commissions de mouvement dans l’univers assurantiel.
L’interdiction des rémunérations différenciées en fonction des supports, dans le cadre du mandat d’arbitrage, se traduirait par une interdiction des rétrocessions telles qu’elles sont conçues aujourd’hui.
Si un plus grand encadrement de certaines rétrocessions peut être nécessaire, celui-ci doit faire l’objet d’un examen approfondi et d’une étude d’impact exhaustive au regard des implications potentielles sur le modèle de distribution français, qui offre une gratuité du conseil et une accessibilité des ménages à l’épargne financière depuis un large réseau d’agences territoriales.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 32, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :
« IV. – Le mandataire peut déléguer à un prestataire de services d’investissement mentionné à l’article L. 531-1 du code monétaire et financier et autorisé à fournir le service d’investissement mentionné au 4° de l’article L. 321-1 du même code l’exécution des opérations relevant du mandat d’arbitrage qui lui a été confié, sous réserve du respect des conditions suivantes :
« 1° La possibilité de délégation est expressément prévue dans la convention de mandat ;
« 2° Ces opérations sont réalisées conformément aux termes et limites prévus par la convention de mandat sous la responsabilité du mandataire ;
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Cet amendement vise à introduire une possibilité de délégation aux prestataires de services d’investissement d’opérations relevant du mandat sous le contrôle du mandataire.
Les prestataires de services d’investissement pourront ainsi plus aisément faire bénéficier les épargnants de leur expertise en matière d’allocation de portefeuille, tout en encadrant les pratiques de délégation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Il s’agit là d’une matière extrêmement technique, j’en conviens.
Dans nos différents échanges avec le Gouvernement et les autorités, nous avions compris qu’il fallait s’assurer de la compatibilité du dispositif avec le droit européen.
Par conséquent, sur cet amendement, la commission s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Je précise que cette évolution est pleinement compatible avec le droit de l’Union européenne. Elle permet simplement de limiter les effets de l’encadrement des mandats sur les pratiques d’un marché où les prestataires de services d’investissement interviennent déjà.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je maintiens l’avis de sagesse.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Chapitre II
Permettre à l’épargnant de faire un choix plus éclairé
Article 3
I. – L’article L. 522-3 du code des assurances est ainsi rédigé :
1° Après le 2°, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :
« 2° bis La liste des fonds indiciels cotés dont les parts peuvent constituer les unités de compte du contrat. Un arrêté du ministre chargé de l’économie détermine les types de fonds concernés ; »
2° (Supprimé)
II. – Après le premier alinéa de l’article L. 224-29 du code monétaire et financier, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le gestionnaire du plan d’épargne retraite ou le prestataire habilité pour la distribution du plan d’épargne retraite présente également au titulaire éventuel le fonds mentionné à l’article L. 518-24-2 et les fonds indiciels cotés dont les parts peuvent être acquises par l’intermédiaire des versements prévus au premier alinéa de l’article L. 224-3 ou des versements affectés à l’acquisition de droits exprimés en unités de compte prévus au deuxième alinéa du même article L. 224-3. Un arrêté du ministre chargé de l’économie détermine les types de fonds concernés. »
III. – Le présent article entre en vigueur le 1er janvier 2025.
M. le président. L’amendement n° 24, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 6, première phrase
Supprimer les mots :
le fonds mentionné à l’article L. 518-24-2 et
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Cet amendement tend à supprimer la référence au fonds de fonds indiciels de la Caisse des dépôts et consignations, qui est prévu à l’article 9 de ce texte et auquel le Gouvernement est opposé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. Cet amendement est contraire à la position de la commission. Avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4
I. – L’article L. 132-22 du code des assurances est ainsi modifié :
1° (nouveau) Le onzième alinéa est ainsi modifié :
a) Les mots : « annuelle à compter de la souscription du contrat » sont supprimés ;
b) Les mots : « du dernier exercice connu » sont supprimés ;
c) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Un arrêté du ministre chargé de l’économie précise la période de référence pour chaque information mentionnée au présent alinéa » ;
2° Avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les contrats dont les garanties sont exprimées en unités de compte, l’entreprise d’assurance publie annuellement sur son site internet l’information détaillée mentionnée à l’article L. 522-5. Cette publication reste disponible pendant une durée minimale de cinq ans. Le support de communication mentionné au premier alinéa du présent article indique explicitement le chemin d’accès de cette publication sur le site internet. »
II. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° (nouveau) L’article L. 224-29 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le gestionnaire du plan d’épargne retraite individuel publie annuellement sur son site internet l’information détaillée fournie avant l’ouverture du plan mentionnée à l’article L. 224-7. Cette publication reste disponible pendant une durée minimale de cinq ans. Le support de communication mentionné au premier alinéa du même article L. 224-7 indique explicitement le chemin d’accès de cette publication sur le site internet. » ;
2° Avant le dernier alinéa de l’article L. 614-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le comité suit également l’évolution des frais et de la performance des contrats d’assurance sur la vie et des opérations de capitalisation, des compte-titres mentionnés à l’article L. 211-4, des plans d’épargne retraite individuels mentionnés à l’article L. 224-28, des plans d’épargne en actions mentionnés à l’article L. 221-30 et des plans d’épargne en action destinés au financement des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire mentionnés à l’article L. 221-32-1. »
III (nouveau). – L’article L. 223-21 du code de la mutualité est ainsi modifié :
1° Le sixième alinéa est ainsi rédigé :
« – et, pour les règlements dont les garanties sont exprimées en unités de compte dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la mutualité, les valeurs de ces unités de compte, leur évolution, les frais prélevés par la mutuelle ou l’union au titre de chaque unité de compte, les frais supportés par l’actif en représentation de l’engagement en unités de compte et, le cas échéant, les rétrocessions de commission perçues au titre de la gestion financière des actifs représentatifs des engagements exprimés en unités de compte par la mutuelle ou l’union, par ses gestionnaires délégués, y compris sous la forme d’un organisme de placement collectif, ou par le dépositaire des actifs du contrat, ainsi que les modifications significatives affectant chaque unité de compte. » ;
2° Après le même sixième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les contrats dont les garanties sont exprimées en unités de compte ou pour les engagements mentionnés à l’article L. 134-1 du code des assurances, la mutuelle ou l’union met à disposition du contractant par tout support durable, à une fréquence au moins trimestrielle, les informations prévues aux deuxième et sixième alinéas du présent article, ainsi que l’évolution de la valeur de rachat des engagements mentionnés à l’article L. 134-1 du code des assurances. » ;
3° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« La mutuelle ou l’union publie annuellement sur son site internet le rendement garanti moyen et le taux moyen de la participation aux excédents attribué pour chacun de ses contrats d’assurance vie ou de capitalisation. Cette publication intervient dans un délai de 90 jours ouvrables à compter du 31 décembre de l’année au titre de laquelle ces revalorisations sont réalisées. Cette publication reste disponible pendant une durée minimale de cinq ans. Le support de communication mentionné au premier alinéa du présent article indique explicitement le chemin d’accès de cette publication sur le site internet.
« Pour les règlements dont les garanties sont exprimées en unités de compte, la mutuelle ou l’union publie annuellement sur son site internet l’information détaillée mentionnée à l’article L. 522-5 du code des assurances. Cette publication reste disponible pendant une durée minimale de cinq ans. Le support de communication mentionné au premier alinéa du présent article indique explicitement le chemin d’accès de cette publication sur le site internet. »
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 4, qui fait partie du chapitre II, vise à renforcer la transparence sur les frais attachés aux produits d’assurance vie et d’épargne retraite.
Comme l’ont indiqué dans leur rapport du mois d’octobre 2021 Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier, dont je salue le travail, l’encours des placements des ménages en valeur de marché s’élevait à 5 727 milliards d’euros au deuxième trimestre de l’année 2022. L’enjeu pour les ménages et le financement de l’économie est particulièrement important.
L’article 4 renforce les exigences en termes de transparence sur les frais, qui avaient déjà été accrues dans la loi Pacte. Il confie en outre au Comité consultatif du secteur financier (CCSF) le suivi des pratiques tarifaires des assurances et de plusieurs produits financiers. Il prévoit enfin d’améliorer l’information accessible aux épargnants sur les frais à toutes les étapes, ainsi que d’étendre l’obligation d’information aux contrats conclus avec une mutuelle ou une union.
Je soutiendrai cet article.
M. le président. L’amendement n° 49, présenté par MM. de Montgolfier et Husson, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Avant le mot :
du
insérer les mots :
au cours
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 33 rectifié, présenté par MM. Maurey et Canévet, Mme Vermeillet, MM. Mizzon, J.M. Arnaud, Henno, Cigolotti, P. Martin, de Belenet et Sautarel, Mme M. Mercier, M. Pointereau, Mme Demas, MM. Paccaud et de Nicolaÿ, Mme Muller-Bronn, MM. Anglars, Meurant, J.P. Vogel et Hingray, Mme Guidez, MM. Guerriau, Calvet, Bonneau et Menonville, Mme Férat, MM. Courtial, Daubresse, Wattebled et Pellevat, Mme Thomas, MM. Kern, Perrin, Rietmann et Belin, Mmes Jacquemet et Billon et MM. Houpert, Duffourg et Chatillon, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 5
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° L’avant-dernier alinéa est ainsi modifié :
La première phrase est ainsi rédigée : « Dans des conditions précisées par arrêté du ministre chargé de l’économie, l’entreprise d’assurance publie annuellement sur son site internet le rendement garanti moyen, le taux moyen de frais prélevé par l’entreprise, le rendement net moyen servi à l’assuré, le taux des taxes et prélèvements sociaux, et le taux moyen de la participation aux bénéfices attribué pour chacun de ses contrats d’assurance vie ou de capitalisation, ainsi que l’éligibilité de ces contrats aux affaires nouvelles. » ;
II. – Alinéa 19, première phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Dans des conditions précisées par arrêté du ministre chargé de l’économie, l’entreprise d’assurance publie annuellement sur son site internet le rendement garanti moyen, le taux moyen de frais prélevé par l’entreprise, le rendement net moyen servi à l’assuré, le taux des taxes et prélèvements sociaux, et le taux moyen de la participation aux bénéfices attribué pour chacun de ses contrats d’assurance vie ou de capitalisation, ainsi que l’éligibilité de ces contrats aux affaires nouvelles.
La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Cet amendement vise à améliorer l’information et la transparence sur les produits d’assurance vie et de capitalisation.
La loi Pacte prévoit déjà la publication d’un certain nombre d’informations. Mais cela n’est de toute évidence pas suffisant. Nous proposons donc prévoir la communication d’informations complémentaires et la publication d’un arrêté du ministre de l’économie sur les modalités de leur publication. Il s’agit de normaliser et d’homogénéiser les informations.
Aujourd’hui – je vous invite à faire l’expérience pour le vérifier, mes chers collègues –, il est impossible d’établir des comparaisons entre différents produits sur les sites internet, car les données sont soit introuvables, soit présentées de manière extrêmement différente selon les produits. Par notre amendement, nous souhaitons donc remédier à cette situation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement, faute de quoi l’avis serait défavorable.
L’équilibre trouvé en commission nous paraît satisfaisant. Comme l’a souligné le sénateur Segouin, il convient de ne pas noyer l’épargnant sous une masse d’informations, sous peine de perdre le bénéficie de la transparence.
Le Gouvernement juge donc préférable de s’en tenir à la rédaction proposée la commission.
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.
M. Hervé Maurey. Monsieur le ministre, à l’instar de M. Savoldelli, je vais finir par penser, et ce n’est pas tout à fait une boutade, que vous êtes là uniquement pour défendre les sociétés d’assurances et les établissements bancaires.
Selon vous, renforcer la lisibilité et la transparence, comme je le propose dans mon amendement, ce n’est pas bien. C’est assez surprenant !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Monsieur le sénateur, ni Bruno Le Maire ni moi-même ne pouvons être soupçonnés d’être au service des intérêts des assureurs !
M. Pascal Savoldelli. Mais bien sûr que non ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. La loi Pacte, dont vous venez de renforcer les dispositions, a été adoptée voilà quatre ans. Bruno Le Maire en a été l’artisan ; j’ai été le rapporteur de son volet financier à l’Assemblée nationale. Nous nous sommes alors posé les mêmes questions que vous, et nous sommes parvenus à la conclusion qu’il convenait, certes, de rendre l’information transparente, afin de permettre à l’épargnant de naviguer et de faire un choix en toute connaissance de cause, mais également de ne pas donner trop d’informations en même temps, afin de ne pas perdre le bénéfice de la transparence.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Monsieur le ministre, je ne vous comprends pas. Lorsque vous nous dites qu’en donnant trop d’informations et en renforçant trop la transparence, on perd le bénéfice, les bras m’en tombent !
M. Pascal Savoldelli. Ah oui !
M. Jean-François Husson, rapporteur. La question n’est pas de savoir qui, de vous-même, de Bruno Le Maire ou d’un autre, est à l’origine du dispositif. Nous nous sommes tous mobilisés lors de la discussion du projet de loi Pacte pour rendre l’information transparente, afin de mieux protéger les épargnants.
Nous sommes ici un certain nombre à penser que plus les Français gagneront en compréhension des mécanismes de l’épargne et de l’économie, plus ils y adhéreront et épargneront. C’est notre seul objectif : comprenez-le.
Il vous faut, me semble-t-il, sortir d’une certaine forme de posture qui vous met en décalage en ce début de débat. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour explication de vote.
M. Vincent Segouin. Monsieur le rapporteur, je vous avoue que – une fois n’est pas coutume – je bloque un peu.
Nous avons tous ou presque un contrat d’assurance vie avec des unités de compte. Nous venons de recevoir le rapport annuel, qui comprend douze pages d’informations. Selon un test qui a été effectué, environ 12 % des assurés lisent ces douze pages.
Franchement, on en arrive à un niveau d’informations très lourd. Je suis d’accord pour renforcer la transparence, mais ne donnons pas des informations qui ne servent à rien. Il est temps de faire un audit sur le sujet.
M. le président. L’amendement n° 50, présenté par MM. de Montgolfier et Husson, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 12
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
3° L’avant-dernière ligne du tableau constituant le second alinéa du I des articles L. 783-5, L. 784-5 et L. 785-4 est ainsi rédigée :
«
L. 614-1 et L. 614-2 |
la loi n° … du … tendant à renforcer la protection des épargnants |
».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Cet amendement vise à prévoir que les dispositions relatives aux compétences du CCSF s’appliquent en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 51, présenté par MM. de Montgolfier et Husson, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 17
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Au septième alinéa, les mots : « Ces montants » sont remplacés par les mots : « Les montants mentionnés aux deuxième à sixième alinéas du présent article » ;
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 11 rectifié bis, présenté par M. Canévet, Mmes Sollogoub, Férat et Gatel, MM. P. Martin et Longeot, Mme Vermeillet, M. Delcros, Mmes Loisier et Saint-Pé, MM. Duffourg, Kern et Henno, Mmes N. Goulet et Jacquemet, M. Le Nay, Mme Billon, M. Bonneau, Mme Doineau et M. Maurey, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 1° de l’article L. 612-47 du code monétaire et financier, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° De vérifier que l’établissement teneur du compte d’épargne fournisse, une fois par an, une information personnalisée retraçant l’ensemble des frais supportés par les détenteurs des comptes. Un décret précise le contenu de cette information ; ».
La parole est à M. Michel Canévet.
M. Michel Canévet. Nous venons d’évoquer assez largement l’opacité qui règne sur les frais attachés aux contrats.
Cet amendement a pour objet de prévoir une information personnalisée retraçant chaque année l’ensemble des frais réellement supportés par l’épargnant. Il faut fournir une information simple et brève.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement.
Le pôle commun institué par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et l’Autorité des marchés financiers – M. Canévet y fait référence dans l’exposé des motifs de son amendement – est une instance de coordination de deux autorités. Il n’a pas la capacité de contrôler les obligations pesant sur les entreprises. Ses compétences iraient bien au-delà de ce pour quoi il a été pensé si un tel amendement venait à être adopté.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 4.
Chapitre III
Développer et adapter les produits existants aux nouvelles contraintes du marché
Article 5
I. – Après le premier alinéa de l’article 1765 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, le plan d’épargne en actions n’est pas clos si dans un délai maximal de deux mois à compter de l’acquisition de titres inéligibles, ces derniers ont, soit été cédés par le détenteur du plan, le compte espèces du plan étant alors crédité d’un montant égal à la valeur des titres appréciée à la date d’acquisition, soit été retirés du plan, auquel cas le détenteur du plan effectue également un versement compensatoire en numéraire d’un montant égal à la valeur des titres appréciée à la date de l’acquisition. »
II. – Le I du présent article entre en vigueur le 1er janvier 2024.
M. le président. L’amendement n° 20, présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. L’article 5 s’inscrit dans une série de mesures de dévoiement de l’avantage fiscal lié au plan d’épargne en actions (PEA).
D’ailleurs, messieurs les rapporteurs, vous avez vous-mêmes écrit dans votre rapport : « Jusqu’au début des années 2000, le PEA et son avantage fiscal étaient quasi intégralement réservés au financement de l’économie française, soit à l’achat d’actions cotées de France ».
Aujourd’hui, 75 % des titres doivent provenir non plus d’entreprises françaises, mais d’entreprises de l’Union européenne ou d’un État de l’Espace économique européen. Il peut ainsi s’agir – au hasard ! – du Liechtenstein, que le juge Renaud Van Ruymbeke considère comme un parfait exemple de pays au cœur de l’Europe favorisant l’évasion fiscale. Ce petit État est particulièrement friand de sociétés offshore. Je pense que tous nos collègues le savent parfaitement.
En 1992, lors de la création du PEA, les seules actions cotées admises étaient celles qui étaient émises par les établissements de crédit appartenant au secteur mutualiste et coopératif : Crédit Mutuel, Banque populaire et caisses régionales du Crédit Agricole, etc.
Aujourd’hui, il s’agit d’un produit d’épargne capté par les grandes entreprises cotées. D’après les données collectées par l’institut CSA pour l’Autorité des marchés financiers, plus de 60 % des supports détenus au sein d’un PEA ou d’un compte titre seraient des actions des 120 plus grandes entreprises françaises.
Il conviendrait dès lors de créer un droit à l’erreur, qui s’apparente à un droit à la fraude pour les titres inéligibles intégrés au portefeuille, alors que les possibilités d’investissement sont extrêmement larges.
Tel qu’il résulte des travaux de la commission, l’article 5 nous semble exonérer de toute responsabilité le gestionnaire du plan. Le PEA cible les revenus déjà élevés et « procède donc d’un ciblage très étroit en termes de définition des bénéficiaires potentiels, qui n’exclut pas les comportements spéculatifs. » Ces mots sont ceux d’un membre de votre famille politique ; ils datent de 1992, mais nous semblent toujours d’actualité.
Au total, 77 % des PEA ouverts ont fait l’objet de versements de moins de 15 000 euros, soit un montant dix fois inférieur au plafond.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. Avis défavorable, mais le sénateur Savoldelli n’en sera pas surpris, puisque son amendement est contraire à la position de la commission.
Il est possible d’améliorer le dispositif du PEA. Nous en avons parlé en commission. Ce sera l’objet de la navette parlementaire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Avis favorable. Même si le travail visant à améliorer le fonctionnement du PEA et du PEA-PME doit continuer, la mesure proposée à l’article 5 n’est pas souhaitable en l’état.
M. le président. Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 est adopté.)
Article 5 bis (nouveau)
Le 2° du I de l’article L. 221-31 du code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Au a, après les mots : « à capital variable », sont insérés les mots : « , autres que celles visées au d, » ;
2° Au b, après les mots : « de placement », sont insérés les mots : « , autres que ceux visés au d, » ;
3° Il est ajouté un d ainsi rédigé :
« d) De parts de fonds communs de placement à risques mentionnés aux articles L. 214-28, L. 214-30 et L. 214-31, qui s’engagent à constituer d’ici le cinquième exercice du fonds au moins 75 % de leur actif en titres mentionnés au I de l’article L. 214-28. » – (Adopté.)
Après l’article 5 bis
M. le président. L’amendement n° 52, présenté par MM. de Montgolfier et Husson, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’article 5 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 214-28 du code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Le VII est ainsi modifié :
a) Après la première phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, pour les fonds destinés à investir dans des secteurs où dès l’origine le cycle économique ne permet pas une rentabilité de l’investissement dans un délai de dix ans, le rachat des parts ne peut être demandé par leurs porteurs avant l’expiration d’une période qui ne peut excéder quinze ans. » ;
b) À la seconde phrase, les mots : « ce délai » sont remplacés par les mots : « ces délais maximum de dix ans ou quinze ans » ;
c) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Les conditions d’application du présent VII sont précisées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers. » ;
2° Après le VII, il est inséré un paragraphe ainsi rédigé :
« …. – Le règlement d’un fonds commun de placement à risques prévoit qu’il doit entrer en période de préliquidation dans les conditions fixées par décret. La société de gestion du fonds commun de placement à risques doit prendre les mesures nécessaires pour préparer la cession à venir des actifs du fonds en prenant en compte la nature des titres détenus tout en respectant leur maturité. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Le présent amendement vise à porter à quinze ans, contre dix ans aujourd’hui, la fin de vie des fonds de capital-investissement. Dans certains cas, comme celui des entreprises de biotechnologies, il faut plus de temps pour retrouver de la rentabilité.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 5 bis.
Article 6
(Supprimé)
Après l’article 6
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 40 rectifié bis est présenté par MM. Bascher, Bazin, Paccaud, Perrin, Rietmann, Sautarel, Pellevat, Calvet, Houpert et Cadec, Mme Lopez, MM. Charon, Savary, Bonnus, Hugonet, Bouchet, J.M. Boyer et Burgoa, Mme Ventalon, MM. Reichardt, Courtial, Genet et C. Vial, Mmes M. Mercier, Delmont-Koropoulis, Gosselin, Lassarade et Malet, MM. Panunzi, Gremillet et Pointereau, Mme Imbert, M. Anglars, Mme Berthet, MM. Cuypers, Lefèvre, Frassa, Belin et Klinger, Mmes Joseph et Borchio Fontimp et M. Brisson.
L’amendement n° 43 rectifié est présenté par M. Éblé.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - L’article 2 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« … ° Elles ont pour objectif de concourir à la préservation et à la mise en valeur des monuments et des sites, parcs et jardins protégés. »
II. - Le 1° de l’article 199 terdecies -0 AA est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« 1° Les exclusions prévues au c du 1 bis du I de l’article 885-0 V bis, dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2017, relatives à l’exercice d’une activité financière, de construction d’immeubles ou immobilière, ne sont pas applicables aux entreprises solidaires. Toutefois, les exclusions relatives à l’exercice d’une activité immobilière ou de construction d’immeubles sont applicables aux entreprises solidaires, à l’exception :
« a) des entreprises solidaires qui exercent une activité de gestion immobilière à vocation sociale ;
« b) des entreprises solidaires agréées par le ministère chargé de la culture et ayant pour mission de contribuer à la préservation et à la mise en valeur des monuments historiques et des sites, parcs et jardins protégés. »
La parole est à M. Alain Cadec, pour présenter l’amendement n° 40 rectifié bis.
M. Alain Cadec. Le répertoire actuel des activités susceptibles d’être reconnues d’utilité sociale ne mentionne pas explicitement la préservation du patrimoine naturel et historique, dont chacun sait pourtant le rôle dans l’attractivité de la France, en particulier pour le tourisme. La valeur historique et culturelle de ce patrimoine, ainsi que son impact économique ne sont plus à démontrer.
Les sites naturels et historiques constituent également des espaces protégés propices à la préservation de la biodiversité. Largement répartis dans toute la France, ils jouent un rôle important dans l’attractivité des territoires ruraux.
Faute de rentabilité, la préservation du patrimoine est peu propice au développement d’une activité de marché. Son insertion dans l’économie sociale et solidaire permettrait l’émergence d’acteurs qui la prendraient en charge dans le cadre de la lucrativité limitée des entreprises solidaires d’utilité sociale (Esus).
C’est pourquoi il convient d’ajouter la préservation du patrimoine à l’énumération de l’article 2 de la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, qui est également reprise à l’article L. 3332-17-1 du code du travail.
M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé, pour présenter l’amendement n° 43 rectifié.
M. Vincent Éblé. Cet amendement est défendu.
Il faut à l’évidence considérer les activités immobilières des foncières patrimoniales comme des activités d’utilité sociale. C’est pourquoi nous souhaitons leur étendre la dérogation dont bénéficient les Esus en matière d’activités immobilières. Il faut soutenir ces foncières, qui s’intègrent assez mal dans l’économie de marché, compte tenu de leur utilité culturelle et patrimoniale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. Avis favorable.
Il s’agit de prévoir une ouverture en direction d’entreprises qui, je le rappelle, sont agréées par le ministère de la culture et ont pour objet la mise en valeur du patrimoine bâti, mais aussi du patrimoine naturel.
Étendre la dérogation à des sociétés à but non lucratif est intéressant, dans la droite ligne d’un certain nombre d’avancées que nous avons soutenues lors de précédents débats budgétaires.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Le Gouvernement partage l’objectif de soutenir la restauration et l’entretien du patrimoine culturel. Il soutient l’idée qu’il convient de dresser un bilan des Esus, dix ans après leur création, et peut-être de faire évoluer le dispositif. C’est la raison pour laquelle il remettra, comme le Parlement le lui a demandé, un rapport sur le sujet au mois de septembre 2023.
Il est sans doute trop tôt pour légiférer, sachant qu’il existe d’autres dispositifs identifiés de soutien à la restauration du patrimoine, comme le dispositif Malraux. Avant de réformer le dispositif des Esus, il est préférable d’attendre l’évaluation qui va en être faite. Avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 40 rectifié bis et 43 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 6.
Article 7
I. – Le code des assurances est ainsi modifié :
1° A (nouveau) Le troisième alinéa de l’article L. 132-21 est complété par les mots : « et au cours duquel l’entreprise d’assurance ou de capitalisation peut proposer au contractant la transformation mentionnée au I de l’article L. 132-21-2, dans les conditions prévues à l’article L. 522-5 » ;
1° Après l’article L. 132-21-1, il est inséré un article L. 132-21-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 132-21-2. – I. – L’assuré ou le souscripteur d’un bon ou d’un contrat mentionné au 1° du I de l’article 125-0 A du code général des impôts peut, à tout moment, en demander la transformation partielle ou totale en un bon ou un contrat mentionné au même 1° permettant qu’une part ou l’intégralité des primes versées soit affectée à l’acquisition de droits exprimés en unités de comptes mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 131-1 du présent code ou de droits donnant lieu à la constitution d’une provision de diversification.
« II. – La transformation mentionnée au I du présent article s’effectue, au choix de l’assuré ou du souscripteur, soit par avenant au bon ou au contrat, soit par la souscription d’un nouveau bon ou d’un nouveau contrat auprès de la même entreprise d’assurance.
« L’entreprise d’assurance ou l’intermédiaire d’assurance défini au III de l’article L. 511-1 est tenu de réaliser la transformation dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande de l’assuré ou du souscripteur. L’intermédiaire d’assurance est tenu de transmettre la demande de transfert à l’entreprise d’assurance concernée qui ne peut s’y opposer. Les frais encourus à l’occasion d’un tel transfert ne peuvent excéder 1 % des droits acquis. Ils sont nuls à l’issue d’une période de huit ans à compter du premier versement dans le bon ou le contrat. » ;
2° La seconde phrase du quatorzième alinéa de l’article L. 132-22 est ainsi modifiée :
a) Au début, les mots : « Une fois par an, » sont supprimés ;
b) Les mots : « est tenue de communiquer » sont remplacés par les mots : « communique également » ;
c) Après le mot : « informations », la fin de la phrase est ainsi rédigée : « relatives au droit de celui-ci de transformer son contrat et aux modalités de sa transformation tels que définis à l’article L. 132-21-2 ainsi que celles relatives au rachat total dans les conditions définies au 3° du I de l’article 125-0 A du code général des impôts. »
II. – Le I de l’article 125-0 A du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le 2° est ainsi modifié :
a) Après la première occurrence du mot : « contrat », la fin de la première phrase est ainsi rédigée : « telle que définie au II de l’article L. 132-21-2 du code des assurances n’entraîne pas les conséquences fiscales d’un dénouement. » ;
b) La seconde phrase est supprimée ;
2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« 3° Le rachat total d’un bon ou d’un contrat, effectué à compter du 1er janvier 2025, dès lors que le bon ou le contrat remplit la condition de durée mentionnée au quatrième alinéa du 1° du présent I et que l’intégralité des sommes reçues au titre de ce rachat est versée dans un bon ou contrat souscrit moins de six mois avant la date dudit rachat, n’entraîne pas les conséquences fiscales d’un dénouement.
« Un décret en Conseil d’État définit les obligations déclaratives incombant à l’assuré. »
III. – La perte de recettes résultant pour l’État de l’élargissement des possibilités de transfert du contrat d’assurance vie sans perte de l’antériorité fiscale est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
IV. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale de l’élargissement des possibilités de transfert du contrat d’assurance vie sans perte de l’antériorité fiscale est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
M. le président. L’amendement n° 21, présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Selon nous, l’article 7 est une fausse bonne idée.
Il s’agit de permettre à l’épargnant de renforcer sa capacité à choisir, sur le fondement d’informations rationnelles et transparentes, un distributeur d’assurance vie. Sur la base de ces informations, il pourrait privilégier un autre assureur en conservant le bénéfice fiscal à durée de conservation. Il pourrait également être rattrapé par une offre alléchante de sa compagnie d’assurances actuelle.
Vous allez me dire que je ne peux pas être contre une concurrence saine dans un marché sain. Or, avec cet article, vous considérez que l’épargne est un marché comme les autres, ce qui pose problème.
Je songe à une citation de Paul Valéry : « Quand on dit que les mêmes causes produisent les mêmes effets, on ne dit rien. Car les mêmes choses ne se reproduisent jamais – et d’ailleurs, on ne peut jamais connaître toutes les causes. »
Quel que soit le texte, qu’il s’agisse de la loi Pacte, de la proposition pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur, dans une certaine mesure, ou de la proposition de loi relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement, l’objectif est toujours le même : libérer le marché de ses entraves en octroyant des droits au consommateur, que l’on suppose « éclairé ».
Il y a un angle mort dans cette proposition de loi strictement focalisée sur l’épargnant – il s’agit évidemment de l’épargnant assez aisé ! –, car l’on n’y considère jamais à quoi sert l’épargne. À quoi sert-elle ? Elle ne peut pas être considérée uniquement comme un avantage fiscal. Elle doit être un support et servir à atteindre des objectifs sociaux, économiques et écologiques. Compte tenu des enjeux et des problèmes de financement auxquels nous faisons face, il faut traiter cette question.
La captivité des épargnants n’étant pas liée à un objectif d’émancipation, nous demandons la suppression de l’article 7.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. L’article 7 a pour objet non pas l’épargne, mais la transférabilité d’une forme d’épargne, l’épargne assurantielle, ce qui est différent.
Monsieur Savoldelli, alors qu’un certain nombre de Français manifestent dans la rue aujourd’hui – certains d’entre eux partagent d’ailleurs vos idées –, vous êtes main dans la main avec France Assureurs ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Savoldelli. Ça, il faut le prouver !
M. Jean-François Husson, rapporteur. Vous avez les mêmes objectifs !
M. Pascal Savoldelli. Il faut argumenter !
M. Jean-François Husson, rapporteur. Il est important de permettre à l’épargnant de recouvrer une liberté de transférabilité interne à sa compagnie au cours de la vie du contrat, mais surtout de choisir, au-delà de huit ans, d’autres solutions.
J’ai évoqué précédemment l’exemple d’une épargne assurantielle verdie. Vous vous en souvenez, on nous avait promis voilà une dizaine d’années le paradis avec les fonds eurocroissance. Or ils furent un échec. Quatre ans plus tard, on nous a dit que ce serait magique. Nouvel échec.
Heureusement qu’il y a eu d’autres solutions. Sinon, l’épargnant se serait retrouvé complètement prisonnier d’une formule.
Il s’agit aujourd’hui de redonner de la capacité, de la fluidité et de libérer un peu le marché.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Christine Lavarde a rappelé à juste titre le faible montant de l’épargne ayant fait l’objet de transférabilité interne. Soyez rassuré, monsieur le ministre, nous n’avons pas vocation ici à déstabiliser le marché ou l’économie française. Notre objectif est de faciliter la capacité des Français à épargner et à changer de modèle et, éventuellement, de support. Pour nous, le plus important est de financer l’économie.
La commission émet donc un avis défavorable sur l’amendement de M. Savoldelli.
M. Hervé Maurey. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Le Gouvernement émet, lui, un avis favorable sur cet amendement !
M. Roger Karoutchi. Cela fait deux fois, Savoldelli ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Segouin. Ils sont de plus en plus proches ! (Mêmes mouvements.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Pourquoi les Français font-ils confiance à l’assurance vie ? Pourquoi en ont-ils fait leur produit d’épargne préféré ? Pourquoi investissent-ils dans l’assurance vie plutôt que dans des fonds d’investissement classiques ou dans la détention directe d’actions ? Pour deux raisons principales.
Premièrement, l’assurance vie leur garantit un capital.
Deuxièmement, contrairement aux fonds d’investissement – M. Savoldelli n’a pas tout à fait tort –, l’assurance vie offre une mutualisation dans le temps.
Imaginons ainsi que M. Husson ait souscrit un contrat d’assurance vie en 2010, à un moment où les taux d’intérêt étaient assez élevés, et que M. de Montgolfier en ait souscrit un en 2020, quand les taux d’intérêt étaient à zéro. Le principe de mutualisation et de partage de l’assurance vie va permettre à celui qui est entré sur le marché au moment où les taux étaient les plus bas de bénéficier d’une moyenne entre les taux élevés et les taux à zéro. Tous ceux qui investissent dans le même contrat d’assurance vie auprès du même assureur bénéficient donc du même taux, quel que soit le moment où ils ont souscrit leur contrat.
De ce fait, les taux de rendement des assurances vie ne varient pas aussi brutalement que les taux d’intérêt. Les épargnants ont ainsi l’assurance de bénéficier d’un rendement à peu près décent.
La transférabilité externe de l’assurance vie est mauvaise pour les épargnants.
Mme Christine Lavarde. Démontrez-le !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Elle est mauvaise pour l’économie française. Surtout, elle est injuste.
Elle est mauvaise pour l’économie, parce que, si la transférabilité fonctionne, les épargnants, et c’est normal, changeront plus souvent d’assureur. La durée d’investissement – la duration, dans le jargon – va diminuer pour l’assureur, dont les capacités à investir dans la transition écologique ou dans le capital des entreprises seront moins grandes.
La transférabilité externe signifie donc un moindre financement de l’économie française et un moindre rendement en moyenne pour les assurés.
La transférabilité externe est surtout injuste. Si vous permettez à M. Husson et à M. de Montgolfier de sortir de leur contrat d’assurance vie, qui va le faire en premier et souscrire un contrat nouvellement offert par un autre assureur, parce que la période est plus favorable, avec des taux d’intérêt plus élevés ? Celui des deux qui a les meilleures connaissances financières, qui est probablement le plus sophistiqué et donc le plus aisé. Qui conservera le contrat d’assurance vie moins favorable plutôt que de souscrire au contrat qui vient d’être créé sur le marché ? Celui des deux qui est un peu moins sophistiqué – vous voyez que je ne nomme personne ! (Sourires.) – et qui a sans doute une épargne moins importante.
Enfin, la transférabilité existe déjà. Grâce à cette proposition de loi, la transférabilité interne sera désormais de droit. C’est une bonne chose, car certains contrats d’assurance vie offrent désormais des unités de compte vertes. Certes, la loi Pacte permettait déjà de solliciter son assureur en ce sens, mais celui-ci pouvait refuser. Avec ce texte, le transfert sera de droit.
Il restera possible de transférer un contrat d’assurance vie vers un autre assureur. Il suffira d’en sortir et d’acheter un nouveau contrat, en y accumulant progressivement l’avantage fiscal. Ce dernier, je le rappelle, est la condition de la mutualisation à travers le temps, qui fait que les épargnants au sein des contrats d’assurance vie s’assurent les uns les autres.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Je ne vais pas faire de vente à domicile ou en agence, mais je souligne que vous vous êtes mis en porte-à-faux, monsieur le ministre. France Assureurs, Pascal Savoldelli et M. le ministre : voilà une alliance improbable !
Vous soutenez un amendement dont l’adoption aurait pour effet de supprimer la possibilité de la transférabilité interne. Je n’y comprends plus rien : je croyais que le Gouvernement était favorable à la transférabilité interne… Je pense que vous ne savez plus où vous habitez ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour explication de vote.
Mme Christine Lavarde. Ayant écouté attentivement les explications magistrales de M. le ministre, je voudrais l’interroger.
Actuellement, la loi ne m’interdit pas de détenir deux contrats d’assurance vie. Si l’un des contrats est mauvais, rien ne m’interdit d’en sortir mon argent pour l’investir dans un autre contrat. C’est comme si je faisais de la transférabilité… Encore faut-il pour cela avoir eu la possibilité d’ouvrir deux contrats d’assurance vie. Tous les Français l’ont-ils ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. Non !
Mme Christine Lavarde. Seuls ceux qui l’ont eue ont ensuite les moyens d’obtenir une meilleure rentabilité en allant vers un assureur peut-être plus novateur. Les autres demeurent pieds et poings liés avec leur assureur initial.
Vous supposez que les contrats sont majoritairement investis en fonds euros et marginalement en unités de compte. Quid pour quelqu’un dont le contrat serait investi entièrement en unités de compte ? Dans ce cas, ce que vous nous avez démontré sur la mutualisation des taux ne tient pas. Pourquoi, dès lors, ne pas autoriser la transférabilité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Je précise que l’avis du Gouvernement sur l’amendement de M. Savoldelli est défavorable. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson, rapporteur. Salto arrière !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. En effet, comme je l’ai indiqué à la tribune, le Gouvernement souhaite le renforcement de la transférabilité interne.
Madame Lavarde, la transférabilité existe déjà. L’avantage fiscal encourage l’épargnant à rester un peu plus longtemps dans le contrat d’assurance vie. Cela sert à réaliser une mutualisation au travers du temps, grâce à laquelle on peut servir à l’épargnant une moyenne des taux : la rentabilité que vous tirez de votre contrat d’assurance vie ne dépend pas du niveau des taux au moment où vous y êtes entrée.
Certes, les unités de compte sont moins concernées par la démonstration que j’ai faite. Pour autant, même si les flux ont évolué ces dernières années, la plus grosse partie du stock de l’assurance vie est constituée de fonds euros, qui bénéficient de la mutualisation.
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour explication de vote.
M. Vincent Segouin. Monsieur le ministre, nous parlons de transférabilité au-delà des huit ans. L’avantage fiscal que vous évoquez, celui qui a pour objet de prolonger les contrats sur le long terme, est donc maintenu. Les compagnies d’assurances s’opposaient à la transférabilité des plans d’épargne retraite (PER) en invoquant un risque systémique, entre autres. Or le PER se vend très bien aujourd’hui, notamment parce qu’on peut le liquider sous forme de capital. Il y a donc intérêt à transformer les anciens contrats en nouveaux contrats. On constate d’ailleurs que seuls 10 % des contrats et de l’épargne ont été transférés sur de nouveaux supports. Nous sommes loin d’un risque systémique !
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Nous avons des débats passionnés, et je ne suis pas celui qui a le moins de convictions. Mais je débats sur des idées, sans m’attaquer aux personnes ; je ne traite pas les ministres de has been. Cela n’empêche pas d’avoir des échanges vifs, mais il faut toujours rester courtois et respectueux, et ne pas faire d’amalgames quand il n’y a pas lieu d’en faire.
Laissez-moi donc vous redire très simplement sur quoi vous allez voter. J’ai souhaité attirer votre attention sur la captivité des épargnants et souligner que l’avantage fiscal est lié à la durée longue de détention, qui permet à l’assureur de placer les montants collectés.
Faut-il continuer à inciter à tout moment le client à renforcer ses investissements en unités de compte, sans garantie de capital et au détriment de la dette publique française ? Je suis peut-être has been, puisque je n’ai pas d’assurance vie…
Mon amendement, que l’on peut, certes, ne pas approuver, est un amendement responsable. Il doit être débattu avec respect, par une contre-argumentation.
Je ne souhaite pas un exode des épargnants français. Des fonds internationaux énormes comme BlackRock peuvent capter les investissements des Français et des Françaises, les empêchant d’être injectés dans l’économie française.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Monsieur Segouin, je précise que 70 % des contrats ont plus de huit ans. Pour le PER, l’incitation fiscale est beaucoup plus forte que pour l’assurance vie, puisqu’elle intervient dès l’année du premier versement. En contrepartie, la durée d’investissement exigée est encore plus longue que pour l’assurance vie : on peut sortir en capital, certes, mais au moment de la retraite, sauf cas particulier.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Monsieur Savoldelli, à qui appartient l’épargne sur l’assurance vie ? Pas à l’assureur ! Elle appartient à l’assuré. Son argent lui appartient. Ce serait l’un des rares domaines où, après un engagement initial de huit ans, on serait captif de son assureur.
Je prendrai un exemple évoqué lors de l’examen du projet de loi de finances qui m’a un peu choqué : la vente d’ING à Boursorama. L’assuré pouvait ne pas être d’accord avec les orientations du nouvel assureur. Mais, même dans ce cas-là, il n’avait pas le droit de changer de compagnie d’assurances.
Dans les autres types d’assurances, nous avons voulu donner la possibilité de changer de contrat. Celui-ci resterait le seul où, après huit ans, on resterait captif. Cela donne l’impression que l’argent appartient non pas à l’assuré, à l’épargnant, mais à la compagnie d’assurances.
Nous avons parlé de finance verte. Certaines compagnies n’en proposeront pas. Si l’assuré souhaite aller vers d’autres produits, il doit pouvoir le faire ! C’est un minimum de liberté qu’on lui doit, car c’est à lui, et non à la compagnie, que l’argent appartient.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mme Lavarde, MM. Anglars, Bas, Bascher, Bazin et Belin, Mmes Belrhiti et Berthet, MM. J.B. Blanc, Bonnus, Bouchet, Brisson, Burgoa, Chaize, Chatillon et Daubresse, Mme Di Folco, MM. B. Fournier, Frassa, Genet et Gremillet, Mme Gruny, M. Hugonet, Mme Imbert, MM. Karoutchi, Klinger, Laménie, D. Laurent, Lefèvre, Meignen, Mouiller, Pellevat, Perrin et Piednoir, Mmes Procaccia et Puissat et MM. Rietmann, Sautarel, C. Vial et J.P. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par les mots :
que cette opération soit réalisée au sein du même intermédiaire d’assurance ou entre différents intermédiaires de la même entreprise d’assurance
La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Depuis la promulgation de la loi Pacte, trois situations se présentent lors d’une demande de transfert interne : l’accord de l’assureur est automatique pour un transfert au sein du même courtier, notamment depuis l’engagement déontologique pris par les assureurs au mois de juillet 2021 ; le refus de certains assureurs est systématique pour un transfert entre deux courtiers ; certains assureurs acceptent si et seulement si le courtier d’origine est d’accord.
Tout cela est curieux et donne le sentiment que la loi Pacte n’est pas vraiment appliquée, en tout cas pas comme l’a voulu le législateur. Le dernier rapport du comité de suivi et d’évaluation de la loi Pacte indique d’ailleurs en sa page 73, en se fondant sur le rapport de Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier, que les demandes de transfert « se heurtent à la séparation entre les assureurs, qui gèrent le contrat, et les courtiers, qui en assurent la distribution » et qu’en pratique, les transferts de contrats avec un changement de distributeur « ont pu se révéler complexes pour les assurés ».
Mon amendement vise à mettre tous les épargnants sur un pied d’égalité, conformément à ce que souhaitait, me semble-t-il, le législateur en 2019.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. La commission demande le retrait de cet amendement, qui est déjà satisfait.
Au demeurant, l’adoption d’une telle disposition pourrait créer de la confusion, puisque le cas où la transformation est réalisée directement auprès de l’assureur, sans intermédiaire, n’est pas pris en compte.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Lavarde, l’amendement n° 4 rectifié est-il maintenu ?
Mme Christine Lavarde. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié est retiré.
L’amendement n° 12, présenté par M. Canévet, Mmes Sollogoub, Férat et Gatel, M. Longeot, Mme Vermeillet, MM. P. Martin et Delcros, Mmes Loisier et Saint-Pé, MM. Duffourg, Kern et Henno, Mmes N. Goulet et Jacquemet, M. Le Nay, Mme Billon, MM. Bonneau et Hingray et Mme Doineau, est ainsi libellé :
Alinéa 6, première phrase
Remplacer les mots :
de deux
par les mots :
d’un
La parole est à M. Michel Canévet.
M. Michel Canévet. Les assureurs mettent du temps à effectuer les transferts de compte. Il est prévu dans le texte de leur laisser deux mois pour cela. Je propose de ramener ce délai à un mois.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. La commission demande de retrait de cet amendement. Le délai de deux mois nous paraît incompressible.
Si la demande arrive au mois de mai, compte tenu des différents ponts, il reste une dizaine de jours pour répondre. En plus, la compagnie a la faculté de formuler une contre-proposition. Un délai de deux mois se justifie donc. Cela laisse du temps pour une éventuelle négociation.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Canévet. Je retire l’amendement n° 12.
M. le président. L’amendement n° 12 est retiré.
L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Capus, Malhuret, Chasseing, Decool, Guerriau, Grand et Lagourgue, Mme Mélot et MM. Menonville, A. Marc et Wattebled, est ainsi libellé :
Alinéa 6
1° Deuxième phrase
Après le mot :
transmettre
insérer les mots :
sans délai
2° Troisième phrase
Après le mot :
encourus
insérer les mots :
par l’assuré
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Cet amendement vise à préciser, d’une part, qu’un intermédiaire d’assurances impliqué dans un transfert est tenu de transmettre sans délai la demande à l’entreprise d’assurances, afin de clarifier le régime de responsabilité, et, d’autre part, que les frais encourus ne peuvent pas être supérieurs à 1 % pour l’assuré, afin d’éviter des frais composés liés au transfert.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. Avis défavorable.
La précision selon laquelle l’intermédiaire est tenu de transmettre sans délai la demande de l’assuré à l’entreprise d’assurance pourrait faire naître une insécurité juridique, voire des contentieux fréquents sur le délai.
Et celle selon laquelle les frais encourus à l’occasion de ce transfert ne concerneraient que l’assuré paraît superfétatoire, puisque le texte évoque justement des droits acquis. Quand bien même il y aurait un doute quant à la rédaction, il ne pourrait que profiter à l’assuré. En effet, si les frais totaux encourus lors du transfert sont inférieurs à 1 % des droits acquis, la part supportée par l’assuré sera forcément inférieure ou égale à ce total.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Paoli-Gagin, l’amendement n° 6 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme Lavarde, MM. Anglars, Bas, Bascher, Bazin et Belin, Mmes Belrhiti et Berthet, MM. J.B. Blanc, Bonnus, Bouchet, Brisson, Burgoa, Chaize, Chatillon et Daubresse, Mme Di Folco, MM. B. Fournier, Frassa, Genet et Gremillet, Mme Gruny, M. Hugonet, Mme Imbert, MM. Karoutchi, Klinger, Laménie, D. Laurent, Lefèvre, Meignen, Mouiller, Pellevat, Perrin et Piednoir, Mmes Procaccia et Puissat et MM. Rietmann, Sautarel, C. Vial et J.P. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la transformation est réalisée entre différents intermédiaires de la même compagnie d’assurances, aucune indemnité compensatrice n’est due à l’intermédiaire du contrat d’origine, quelle que soit la date de souscription de celui-ci. » ;
La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Cet amendement concerne le troisième usage du courtage, fréquemment invoqué par les assureurs ou les courtiers pour freiner les transferts prévus par la loi Pacte.
Le courtier d’origine a droit à une commission tant que dure le contrat, même en cas de changement de courtier. L’assiette des commissions repose sur les primes qui ont été apportées durant la gestion du courtier apporteur.
Une directive sur la distribution d’assurances qui s’applique depuis le 1er octobre 2018 remet en cause le troisième usage du courtage pour tous les contrats postérieurs à cette date.
La question se pose donc pour tous les contrats antérieurs au 1er octobre 2018. On se retrouve alors dans les cas de figure que j’évoquais précédemment. Dans certains d’entre eux, il y a un frein, lié notamment au troisième usage du courtage.
Nous avons adopté en commission un amendement visant à aligner le fonctionnement de l’assurance vie sur celui du PER, avec une grille de frais.
Cet amendement a un peu le même objet, puisqu’il tend à aligner le fonctionnement de l’assurance vie sur celui du PER s’agissant du troisième usage du courtage.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. Je ne suis pas sûr qu’il faille passer par la loi pour régler un tel sujet. Pour certains contrats, il y a une indemnité compensatrice, dont le montant correspond en général à une année de commissions. Cette question, je crois, relève plutôt des pratiques des compagnies, des règles de bon fonctionnement ou de leur règlement intérieur. Mieux vaut prévoir des consignes et un accord entre assureurs.
Dès lors qu’une demande est formulée, cela doit ouvrir un délai de deux mois. Et en fonction de la date de souscription du contrat, ce qui est dû à l’intermédiaire qui perd le contrat à la demande de son assuré doit faire l’objet d’une indemnité, sans qu’il soit nécessaire de l’inscrire dans la loi. Ce sont plutôt des règles de bonnes pratiques, à défaut d’un accord de place, mais nous n’allons pas aller jusque-là.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Nous avons bien pris bonne note de la question qui est soulevée, et nous saisirons le CCSF.
Le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. Madame Lavarde, l’amendement n° 3 rectifié est-il maintenu ?
Mme Christine Lavarde. Non, je le retire, monsieur le président, mais je resterai vigilante. J’entends bien que cela ne relève pas de la loi, mais je ne comprends pas que de telles pratiques perdurent.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié est retiré.
Je suis saisi de quatre amendements et de deux sous-amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 29, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 10
Supprimer les mots :
ainsi que celles relatives au rachat total dans les conditions définies au 3° du I de l’article 125-0 A du code général des impôts
II. – Alinéas 15 à 17
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Cet amendement a pour objet de supprimer la possibilité, ouverte par l’article 7, de permettre la transférabilité externe, tout en préservant la transférabilité interne de l’assurance vie.
M. le président. L’amendement n° 16, présenté par Mme Procaccia, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 16
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 3° Lorsqu’un bon ou contrat mentionné au 1° du présent I est géré par une entreprise d’assurance différente que celle où le bon ou le contrat a été originellement souscrit, le transfert total du bon ou contrat vers une autre entreprise d’assurance définie à l’article L. 134-1 du code des assurances n’entraîne pas les conséquences fiscales du dénouement. Ce transfert ne peut être réalisé qu’une seule fois. Une fois réalisé, les règles et conditions de transformation du bon ou contrat transféré sont celles prévues au 2° du présent I.
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Je me réjouis de voir que l’attention de M. le rapporteur de Montgolfier a été attirée par l’amendement que j’avais présenté lors de l’examen du projet de loi de finances. Il s’agissait simplement d’accepter la transférabilité dans certains cas très précis.
Lorsqu’une banque qui fournissait de l’assurance vie clôture tous ses comptes en France les transfère vers un autre opérateur et transfère en même temps l’assurance vie, on s’aperçoit qu’on a le droit de ne pas transférer ses comptes de dépôt et d’épargne, mais qu’on est dans l’obligation d’accepter le transfert de l’assurance vie.
On me dit que l’assurance vie serait déstabilisée si l’on permettait le transfert dans des cas exceptionnels. Mais combien se sont produits en dix ans ? Certes, HSBC sera bientôt concernée.
En tout cas, le nouvel opérateur, qui s’appelle Boursorama, communique en se disant le gestionnaire des contrats d’assurance vie. L’opérateur réel est Generali.
Mon amendement d’alors visait donc à autoriser la transférabilité dans ces cas précis. Le ministre des finances, au banc du Gouvernement, m’avait réclamé des informations complémentaires. Je les lui ai transmises.
L’adoption de mon amendement irait dans le sens de ce que voulait le ministre.
M. le président. Le sous-amendement n° 46, présenté par Mme Lavarde, est ainsi libellé :
Amendement n° 16, alinéa 3
Remplacer les mots :
une entreprise d’assurance différente que celle où
par les mots :
un intermédiaire d’assurance différent de celui auprès duquel
La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Ce sous-amendement et celui que je présenterai dans quelques instants visent à rendre parfaitement opérationnels les amendements nos 16 et 17.
Je souscris totalement aux propos de Mme Procaccia. J’entends que le Gouvernement est opposé à la transférabilité externe, mais il faudra bien prendre en compte les clients liés, qui n’ont pas choisi la situation.
Mes sous-amendements visent à apporter une correction sémantique, en substituant les termes « intermédiaire d’assurance » aux termes « entreprise d’assurance ».
M. le président. L’amendement n° 18, présenté par Mme Procaccia, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 16
Remplacer les mots :
de durée mentionnée au quatrième alinéa du 1° du présent I
par les mots :
d’une durée égale ou supérieure à douze ans
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, je m’interroge sur la transférabilité après huit ans. La plupart des contrats d’assurance ont une durée de huit ans.
Je propose donc, sans doute contre l’avis de la commission des finances, de rendre possible la transférabilité après douze ans. Seuls 15 % à 20 % des contrats d’assurance vie atteignent cette durée.
M. le président. L’amendement n° 17, présenté par Mme Procaccia, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 16
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le non-respect de la condition de durée mentionnée au quatrième alinéa du 1° du présent I n’entraîne pas les conséquences fiscales du dénouement uniquement si le bon ou le contrat racheté est géré par une entreprise d’assurance différente que celle où il a été originellement souscrit.
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Cet amendement de repli a pour objet d’adapter la transférabilité externe à des situations où l’assuré voit son contrat se transférer vers un autre opérateur. Il vise à créer une exception à la condition de durée prévue pour la transférabilité externe, afin d’apporter de la souplesse. Dans le cas que j’ai évoqué, le gestionnaire ne change théoriquement pas, mais le client doit tout de même gérer son contrat. En suspendant la condition de durée, nous rendrions la transférabilité plus aisée.
M. le président. Le sous-amendement n° 47, présenté par Mme Lavarde, est ainsi libellé :
Amendement n° 17, alinéa 3
Remplacer les mots :
une entreprise d’assurance différente que celle où
par les mots :
un intermédiaire d’assurance différent de celui auprès duquel
La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Ce sous-amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. La commission émet, sans surprise, un avis défavorable sur l’amendement n° 29.
L’amendement n° 18 vise à faire passer la durée de l’assurance vie de huit ans à douze ans. Cela irait à l’encontre de l’objectif visé, qui est plutôt de donner de la souplesse à l’épargne, de la fluidifier. Dans certains réseaux, la duration moyenne est de douze ans. Parfois, elle atteint même dix-neuf ans. Il s’agit de réseaux avec intermédiaire. Cela démontre que le conseil a une utilité, et ce avant les éventuelles améliorations qu’envisage cette proposition de loi. Attention aux moyennes, qui peuvent camoufler des réalités disparates.
Les amendements nos 16 et 17 renvoient au cas de la vente d’ING. Il y a eu, en fait, un changement de distributeur, mais la compagnie d’assurances est restée la même. Je soutiens donc toujours la possibilité d’une transférabilité externe au-delà des huit ans.
Si nous adoptions l’un de ces deux amendements, la durée ne vaudrait que lorsque l’assurance vie est gérée par une entreprise d’assurance que le client n’a pas forcément choisie. Cela priverait le client de liberté et écraserait le texte de la commission.
La commission émet donc un avis défavorable sur les quatre amendements en discussion commune et sollicite le retrait des sous-amendements nos 46 et 47.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Les auteurs des différents amendements tiennent compte des réserves que suscite la transférabilité externe de l’assurance vie.
Il est donc difficile de s’y opposer, même si le Gouvernement est favorable au renforcement de la transférabilité interne, prévu par la proposition de loi, sans ouverture à la transférabilité externe, y compris dans le cas qui a été cité ; en l’occurrence, l’assureur n’avait pas changé.
Le Gouvernement émet donc un avis de sagesse sur ces différents amendements et sous-amendements, qui visent à restreindre la transférabilité externe.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 46.
Mme Catherine Procaccia. Je remercie Mme Lavarde d’avoir déposé ce sous-amendement, dont l’adoption permettrait d’apporter une précision utile.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Je rappelle simplement que l’adoption de l’amendement n° 16, éventuellement modifié par le sous-amendement n° 46, aurait pour effet d’écraser totalement le dispositif. (M. Vincent Segouin acquiesce.)
Mme Christine Lavarde. Nous sommes d’accord : mes sous-amendements visent seulement à rendre les amendements de Mme Procaccia opérants.
M. le président. Je mets aux voix l’article 7.
(L’article 7 est adopté.)
Article 7 bis (nouveau)
L’article L. 522-5 du code des assurances est ainsi modifié :
1° Au II, les mots : « avant la souscription ou l’adhésion à un contrat mentionné à l’article L. 522-1, et » sont supprimés ;
2° Il est ajouté un III ainsi rédigé :
« III. – Après la souscription ou l’adhésion à un contrat mentionné à l’article L. 522-1, les obligations concernant l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation prévues au I du présent article ou, selon le cas, au II s’appliquent également à l’occasion de toute opération susceptible d’affecter le contrat de façon significative.
« L’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation conseille une opération qui est cohérente avec les exigences et besoins du souscripteur ou de l’adhérent.
« Un arrêté du ministre chargé de l’économie précise la liste des opérations susceptibles d’affecter le contrat de façon significative. » – (Adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-présidente
Mme le président. La séance est reprise.
7
Candidature à une commission d’enquête
Mme le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
8
Mises au point au sujet de votes
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour une mise au point au sujet d’un vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Lors du scrutin public n° 113, je souhaitais voter contre.
Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour une mise au point au sujet d’un vote.
M. Laurent Burgoa. Lors de ce même scrutin n° 113, mes collègues Jean-Noël Cardoux, Laurence Garnier, Olivier Paccaud, Stéphane Piednoir et Anne Chain-Larché souhaitaient voter pour.
Mme le président. Acte est donné de vos mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin concerné.
9
Protection des épargnants
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 7 ter.
Article 7 ter (nouveau)
I. – L’article L. 113-5 du code des assurances est ainsi rédigé :
« Art. L. 113-5. – L’assureur doit exécuter ses contrats conformément à ses engagements à l’égard des assurés, souscripteurs, adhérents ou bénéficiaires. Il ne peut être tenu au-delà. »
II. – L’article L. 221-17-1 du code de la mutualité est ainsi rédigé :
« Art. L. 221-17-1. – La mutuelle ou l’union doit exécuter ses règlements mutualistes et contrats collectifs conformément à ses engagements à l’égard des membres participants, de leurs ayants droit et des bénéficiaires. Elle ne peut être tenue au-delà. »
III. – L’article L. 932-13-5 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigé :
« Art. L. 932-13-5. – L’institution de prévoyance ou l’union doit exécuter ses règlements et contrats collectifs conformément à ses engagements à l’égard des membres participants ou bénéficiaires. Elle ne peut être tenue au-delà. »
IV. – Après l’article L. 500-1 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 500-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 500-2. – Les prestataires de services respectent à tout moment leurs engagements contractuels à l’égard de leur clientèle. »
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 27, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
II. – Alinéa 4
1° Première phrase
Après le mot :
participants
insérer les mots :
et honoraires
2° Seconde phrase
Supprimer cette phrase.
III. – Alinéa 6
1° Première phrase
Après le mot :
membres
insérer les mots :
adhérents et
2° Seconde phrase
Supprimer cette phrase.
IV. – Alinéas 7 et 8
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. Jean-François Husson, rapporteur de la commission des finances. Pas tout à fait !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Les dispositions prévues aux paragraphes I à III, auxquelles le Gouvernement est favorable sur le fond, permettront à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de contrôler la bonne exécution des contrats par les assureurs et d’éviter une interprétation a contrario des dispositions en vigueur.
Mme le président. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Capus, Malhuret, Chasseing, Decool, Guerriau, Grand et Lagourgue, Mme Mélot et MM. Menonville et A. Marc, est ainsi libellé :
Alinéas 7 et 8
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. L’article 7 ter précise que les prestataires de services doivent remplir leurs obligations contractuelles tout au long de la durée du contrat. Dès lors que cet engagement est convenu dans le contrat qui lie les parties, il ne paraît pas nécessaire de l’inscrire dans la loi. L’amendement vise à supprimer cette précision superfétatoire, afin d’éviter une dérive normative.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur de la commission des finances. La commission sollicite le retrait de ces deux amendements.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Je mets aux voix l’article 7 ter.
(L’article 7 ter est adopté.)
Après l’article 7 ter
Mme le président. L’amendement n° 42, présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 7 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le chapitre 5 bis du titre III du livre I du code la sécurité sociale, il est inséré un chapitre ainsi rédigé :
« Chapitre …
« Contribution des produits de placement à la sauvegarde du régime par répartition
« Art. L. 135-…. – I. – Les redevables de la contribution des produits de placement à la sauvegarde du régime par répartition sont les mêmes que ceux mentionnés à l’article L. 136-7 du présent code.
« II. – Sont assujettis les revenus, plus-values, rentes ou capital mentionnés à l’article L. 136-7 du présent code, à l’exclusion de ceux mentionnés au 2° du I, au I bis, aux 1°, 2°, 2° bis et 8° ter du II du même article et dans les conditions prévues au III dudit article.
« III. - 1. La contribution prévue au I du présent article est due par les établissements payeurs au titre des mois de décembre et janvier sur les revenus de placement exigible au II, à l’exception de celle due sur les revenus et plus-values mentionnés aux 1° du I de l’article L. 137-7 du présent code, fait l’objet d’un versement déterminé sur la base du montant des revenus de placement soumis l’année précédente à la contribution sociale généralisée au titre des mois de décembre et janvier.
« Ce versement est égal à 90 % du produit de l’assiette de référence, déterminée pour le calcul de la contribution sociale sur les produits de placement, par le taux de 7,8 %. Son paiement intervient le 15 octobre au plus tard. Il est reversé dans un délai de dix jours francs après cette date par l’État aux organismes affectataires.
« 2. Lorsque l’établissement payeur estime que le versement dû en application du 1 est supérieur à la contribution dont il sera redevable au titre des mois de décembre et janvier, il peut réduire ce versement à concurrence de l’excédent estimé.
« 3. Lors du dépôt en janvier et février des déclarations, l’établissement payeur procède à la liquidation de la contribution. Lorsque le versement effectué en application des 1 et 2 est supérieur à la contribution réellement due, le surplus est imputé sur la contribution sociale généralisée due à raison des autres produits de placement et, le cas échéant, sur les autres prélèvements ; l’excédent éventuel est restitué.
« 4. Lorsque la contribution sociale généralisée réellement due au titre des mois de décembre et janvier est supérieure au versement réduit par l’établissement payeur en application du 2, la majoration prévue au 1 de l’article 1731 du code général des impôts s’applique à cette différence. L’assiette de cette majoration est toutefois limitée à la différence entre le montant du versement calculé dans les conditions du 1 du présent III et celui réduit dans les conditions du 2.
« IV. - La contribution ci-dessus est assise, contrôlée et recouvrée selon les mêmes règles et sous les mêmes sûretés, privilèges et sanctions que le prélèvement mentionné à l’article 125 A du code général des impôts.
« La contribution visée au 1° du I de l’article L. 136-7 est assise, contrôlée et recouvrée selon les mêmes règles et sous les mêmes sûretés, privilèges et sanctions que le prélèvement mentionné à l’article 117 quater du code général des impôts.
« V. - Le produit de la contribution ainsi générée est attribué au Fonds de réserve pour les retraites visé au chapitre 5 bis du présent titre. »
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Cet amendement porte sur la question, que j’ai évoquée lors de la discussion générale, de l’utilité de l’épargne retraite.
Il est normal que chacun puisse, durant sa vie de travailleur ou de rentier, épargner selon ses capacités financières, éventuellement dans une perspective complémentaire, afin de se garantir un niveau de retraite et de vie convenable.
En août 2022, l’encours de l’assurance vie s’élevait à 1 826 milliards d’euros. Il faut y ajouter les sommes investies dans les plans d’épargne en actions, les plans d’épargne retraite, les plans d’épargne logement et les plans individuels que vous ne connaissez pas – ils ne sont pas encore distribués –, mais qui sont déjà dans la tête des gens.
Or cette épargne massive – c’est le cas en particulier des revenus qu’elle produit – est soumise à un taux de cotisation de 17,2 % seulement, même lorsque les rentes qui en sont issues sont exonérées d’impôt sur le revenu.
Dans le même temps, et selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), dont je privilégie les chiffres à ceux d’un think tank ultralibéral comme l’Institut économique Molinari, le déficit du régime de retraite pourrait atteindre, à conditions de financement équivalentes, 7,5 milliards d’euros à 10 milliards d’euros en 2027, soit 0,3 à 0,4 point de PIB, et se situer à l’horizon 2032 entre 12,5 milliards d’euros et 20 milliards d’euros, soit 0,5 à 0,8 point de PIB.
Les déficits persisteraient donc dans les vingt-cinq prochaines années, même si la situation s’améliorait sur le long terme.
Aux voix dissonantes qui affirment qu’il faudrait travailler plus longtemps, nous rétorquons que les travailleurs produisent des richesses qu’il convient de socialiser.
Notre amendement s’inscrit dans une telle philosophie. Il tend à créer une contribution de 7,8 %, éventuellement temporaire – une quarantaine d’années ? –, en attendant que l’ajustement démographique intervienne sur les placements financiers. (M. le rapporteur Jean-François Husson s’esclaffe.)
Si cet amendement responsable était adopté, le produit escompté serait de 650 millions d’euros.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. Avec Albéric de Montgolfier, nous avions intitulé notre rapport sur cette proposition de loi Payer moins et gagner plus. Vous, vous considérez qu’il faut taxer plus pour gagner moins ! Vous êtes aux antipodes de notre objectif.
De plus, il est dommage que vous préemptiez ainsi le débat que la commission souhaite avoir autour de la répartition et de la capitalisation.
Vous ne serez donc pas surpris que votre amendement reçoive un avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. L’adoption de cet amendement comblerait un dixième du déficit du système de retraite. La fiscalité totale resterait par ailleurs élevée, à 37,8 centimes pour un euro de plus-value produit par ces placements.
Toutes les sources de financement disponibles ne seraient donc pas épuisées, tant s’en faut. En ce sens, l’amendement est raisonnable.
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 42.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 8
I. – À la première phrase du dernier alinéa du 1 du I de l’article 125-0 A du code général des impôts, l’année : « 2023 » est remplacée par l’année : « 2026 ».
II. – La perte de recettes résultant pour l’État de la prorogation de l’avantage fiscal associé au transfert de l’assurance vie vers un plan d’épargne retraite est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale de la prorogation de l’avantage fiscal associé au transfert de l’assurance vie vers un plan d’épargne retraite est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
Mme le président. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 2 est présenté par MM. Féraud, Kanner et Raynal, Mme Briquet, MM. Cozic et Éblé, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, P. Joly, Lurel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 22 est présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 53 est présenté par MM. de Montgolfier et Husson, au nom de la commission.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Rémi Féraud, pour présenter l’amendement n° 2.
M. Rémi Féraud. Je me réjouis que la commission ait également présenté un amendement de suppression de l’article 8. Je trouve que c’est sage.
La proposition de loi dont nous sommes saisis vise à protéger les épargnants, et notamment à rééquilibrer le rapport qu’ils entretiennent avec les banques et les assurances en matière d’information, de transparence et de concurrence.
Bien que de portée limitée, l’article 8 visait d’abord à proroger une incitation fiscale permettant d’investir dans un plan d’épargne retraite.
Comme le disait Daniel Breuiller, le grand défaut de cette proposition de loi est de nous avoir empêchés de manifester plus d’un quart d’heure. (Sourires.)
Si nous supprimions l’article 8, qui ne semble d’ailleurs pas essentiel au texte, la proposition de loi ne contiendrait aucun article favorisant la retraite par capitalisation.
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 22.
M. Pascal Savoldelli. Rémi Féraud a oublié de m’associer au dépôt de son amendement. (Sourires.) Faisons la chaîne : je m’associe aux propos de Daniel Breuiller et de Rémi Féraud, ainsi qu’à la demande de suppression de l’article 8. Cet article était, par défaut, une petite porte ouverte à la retraite par capitalisation.
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 53.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Cet amendement est défendu.
Albéric de Montgolfier a rappelé que la commission travaillait sur ce texte depuis 2020. Convenez que nous n’avons pas choisi la date d’examen de la proposition de loi en fonction de celle de la manifestation ! (Sourires.)
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Le Gouvernement émet un avis favorable sur ces amendements.
Je suis pourtant moi-même à l’origine du dispositif, imaginé voilà trois ans pour durer jusqu’en 2023.
L’esprit était non pas de fragiliser le système de retraite par répartition, mais de tirer les leçons de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, qui avait harmonisé les produits d’épargne retraite, en facilitant le passage de l’épargne en assurance vie, utilisée par beaucoup de Français pour préparer leur retraite, vers un produit conçu à cet effet, le plan d’épargne retraite (PER).
La phase d’acclimatation au nouveau PER étant sans doute désormais terminée, il paraît opportun de mettre fin au dispositif.
Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2, 22 et 53.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme le président. En conséquence, l’article 8 est supprimé.
Article 9
I. – Le paragraphe 4 de la sous-section 4 de la section 2 du chapitre VIII du titre Ier du livre V du code monétaire et financier est complété par un article L. 518-24-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 518-24-2. – La Caisse des dépôts et consignations assure la gestion administrative et financière d’un fonds de fonds indiciels cotés qu’elle met en place et dont les parts sont acquises par l’affectation de versements dans un plan d’épargne retraite prévus aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 224-3. »
II (nouveau). – Le présent article entre en vigueur le 1er janvier 2025.
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 23 est présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 26 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 23.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le rapporteur, l’intersyndicale prévoit des mouvements les 7 et 11 février prochains. Essayons de coordonner nos agendas ! (Sourires.)
M. Jean-François Husson, rapporteur. Nous ne serons pas au même endroit ! (Nouveaux sourires.)
M. Pascal Savoldelli. Par cet amendement, nous abordons la question de l’opportunité, pour la Caisse des dépôts et consignations, d’administrer un fonds indiciel qui serait distribué dans des plans d’épargne retraite.
Le Gouvernement a déposé un amendement identique, pour des raisons que j’imagine différentes. Sans interpréter des propos qui n’ont pas été formulés, je crois savoir qu’à ses yeux, le marché est suffisamment concurrentiel et la logique du chacun pour soi y prévalant en fait un marché suffisamment porteur pour qu’un établissement public ne s’y intéresse pas. Vous me le confirmerez, monsieur le ministre… (M. le ministre délégué acquiesce.)
Si la question est de savoir comment la Caisse des dépôts et consignations peut contribuer davantage encore à la mobilisation de l’épargne populaire, la solution pourrait être d’augmenter le taux de centralisation.
Pour un euro déposé sur un livret A ou sur un livret de développement durable et solidaire, ce taux devrait être non pas de 65 % comme aujourd’hui, mais de 100 %, comme c’était le cas avant 1999.
Dans un rapport publié en 2010 dont tout le monde se souvient, la Cour des comptes préconisait de passer le taux de centralisation à 70 %. Il est aujourd’hui de 65 %, ce qui revient à démanteler des fonds d’épargne qui servent à des financements d’intérêt général.
Il y a là une vraie question. Les fonds d’épargne sont-ils fortement sollicités par l’État, non seulement pour le financement du logement social, mais aussi pour d’autres investissements d’intérêt général ?
Souvenons-nous : à la fin 2009, 11 milliards d’euros, soit 10 % du total disponible, étaient consacrés à des investissements dans des secteurs variés qui nous importent aujourd’hui : transport, hôpital, assainissement des eaux, universités.
Ce n’est pas, de notre point de vue, la mission de la Caisse des dépôts et consignations, même lorsqu’elle se voit privée des ressources lui permettant d’assumer ses prérogatives.
Mme le président. Il faut conclure !
M. Pascal Savoldelli. Le véritable sujet, c’est l’arrivée de BlackRock.
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué, pour présenter l’amendement n° 26.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Il s’agit également d’un amendement de suppression de l’article 9.
Selon nous, il n’est pas nécessaire que la Caisse des dépôts et consignations crée un fonds de fonds indiciels, car il existe d’ores et déjà des offres de marché.
D’ailleurs, avec l’article 3, que vous avez adopté tout à l’heure, nous leur donnons de la visibilité dans les contrats d’assurance vie et dans les plans d’épargne retraite. C’est une très bonne chose, car ils entraînent très peu de frais et sont moins coûteux à produire pour les gestionnaires d’actifs. Il s’agit maintenant de faire en sorte que ce marché se développe, l’article 3 étant un encouragement.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. Je dois une fois de plus vous avouer ma surprise de constater une convergence entre M. Savoldelli et le Gouvernement.
Ce qui m’inquiète le plus, monsieur le ministre, c’est l’argument que vous venez d’avancer sur une prétendue ouverture du marché. Non ! Le marché est légèrement émergent. Il a principalement un opérateur, et nous avons besoin de l’ouvrir. Nous proposons la Caisse des dépôts comme opérateur de fonds indiciels coté à bas coût, car elle a une taille suffisante et peut se mesurer à la concurrence.
Je m’étonne de voir nos collègues du groupe communiste défendre une situation de monopole au bénéfice d’opérateurs privés là où, à mon sens, il y a besoin de mettre de la concurrence. L’objectif est de favoriser l’épargne des Français au bénéfice de l’économie avec ce type de produits tout en évitant d’ouvrir grand les portes à des opérateurs étrangers.
C’est pourquoi nous sommes défavorables à ces amendements de suppression.
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Peut-être me suis-je mal exprimé…
Je ne suis pas en train de chercher à rivaliser avec un BlackRock à la française. Tout le monde sait ici qu’il s’agit du principal acteur en matière d’investissements passifs. C’est un vautour ! Je n’ai pas peur de le dire.
D’ailleurs, il se présente ainsi : « La société américaine, spécialiste de la gestion passive, veut démocratiser » – c’est beau comme l’antique ! – « auprès du grand public les fonds indiciels cotés, qui restent l’apanage des institutionnels, et prouver qu’on ne doit pas sacrifier la rentabilité financière pour faire du bien à la planète. » C’est cela que je dénonce !
Ne me parlez pas de collusion avec le Gouvernement. Je défends nos institutions, l’investissement public, l’intéressement public et l’intérêt général, alors que, pour eux, la rentabilité financière est plus importante que le bien de la planète. C’est ce que nous voulons éviter. Voilà un élément de clarification, s’il en fallait un.
Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 23 et 26.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme le président. Je mets aux voix l’article 9.
(L’article 9 est adopté.)
Chapitre IV
Accentuer le contrôle des acteurs du marché de l’épargne
Article 10
(Supprimé)
Article 11
I. – (Supprimé)
I bis (nouveau). – Le code de la consommation est ainsi modifié :
1° L’article L. 122-23 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après les mots : « des dispositions prévues aux articles », sont insérées les références : « 199 undecies A, 199 undecies C, » ;
b) Le 1° est complété par les mots : « , dont, le cas échéant, ceux résultant de la non-obtention, du non-renouvellement, du retrait ou du transfert de l’autorisation administrative d’exploitation de l’établissement dans lequel se situe le logement concerné ou de tout acte administratif conditionnant une activité prévue dans cet établissement » ;
c) Les sixième et septième alinéas sont ainsi rédigés :
« Avant toute conclusion d’une vente d’un logement tel que mentionné au premier alinéa, une notice d’information est notifiée par le vendeur à l’acquéreur. Elle est annexée à la promesse de vente, au contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation, ou à l’acte authentique de vente lorsque cet acte n’est pas précédé d’une promesse ou d’un contrat préliminaire. Elle donne toute information utile sur l’opération proposée et sur la personne qui en a pris l’initiative, dans des conditions déterminées par décret.
« Lorsque la notice d’information n’est pas jointe à la promesse de vente, au contrat préliminaire ou à l’acte authentique de vente précités, le délai de rétractation de l’acquéreur non professionnel mentionné à l’article L. 271-1 du même code ne court qu’à compter du lendemain de la première présentation de la lettre notifiant cette notice à l’acquéreur, selon les modalités prévues à ce même article. » ;
2° La section 2 du chapitre II du titre III du livre Ier est complétée par une sous-section 4 ainsi rédigée :
« Sous-section 4 : Investissement locatif ouvrant droit à une réduction d’impôt
« Art. L. 132-29. – Tout manquement aux obligations mentionnées à l’article L. 122-23 est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale.
« Les amendes sont prononcées dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V. » ;
3° Au 2° de l’article L. 511-5, après les mots : « les sous-sections 1, 2, 3 », est insérée la référence : « , 6 ».
II. – Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, une évaluation des moyens financiers, juridiques et humains nécessaires au contrôle systématique du respect des communications à caractère promotionnel de toute personne qui, directement ou indirectement, propose d’acquérir un logement dans les conditions prévues aux articles 199 novovicies, 199 undecies A et 199 undecies C du code général des impôts, ainsi qu’au contrôle, avant toute communication à caractère promotionnel, des projets de documents d’information et de contrat type relatifs aux opérations d’acquisition précitées.
III. – (Supprimé)
Mme le président. L’amendement n° 54, présenté par MM. de Montgolfier et Husson, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 14
Remplacer le mot :
six
par le mot :
douze
La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, auteur de la proposition de loi, rapporteur de la commission des finances. Les investissements immobiliers défiscalisés, que j’ai évoqués tout à l’heure, sont aujourd’hui peu contrôlés.
Par cet amendement, je souhaite rendre l’information systématique. Dans un monde idéal, nous avions même envisagé de mettre en place un contrôle de l’Autorité des marchés financiers, ce qui sort un peu de sa mission traditionnelle. L’idée est de se donner un peu de temps pour avoir un contrôle a priori de cette information à destination des épargnants.
Vous le savez, le Sénat n’est, par principe, pas très favorable aux rapports. Néanmoins, il s’agit d’un un sujet technique, et nous souhaitons porter le délai de six mois à un an pour que le Gouvernement nous remette un rapport avec des propositions permettant d’avoir un contrôle a priori efficace de cette information en matière d’investissements défiscalisés.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Le rapporteur a bien pointé la difficulté. Avis défavorable, en raison du délai.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Mais nous l’allongeons !
Mme le président. Je mets aux voix l’article 11, modifié.
(L’article 11 est adopté.)
Article 12
I. – (Supprimé)
I bis (nouveau). – L’article L. 547-4 du code monétaire et financier est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ces projets font l’objet de la communication des informations prévues à l’article 16 du règlement (UE) précité. »
II. – Le présent article s’applique aux projets pour lesquels les prestataires de services de financement participatif ont mis en relation les porteurs de ces projets et les personnes les finançant à compter du 1er janvier 2023.
Mme le président. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Capus, Malhuret, Chasseing, Decool, Guerriau, Grand et Lagourgue, Mme Mélot et MM. Menonville et A. Marc, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer l’année :
2023
par l’année :
2024
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. La nouvelle rédaction de cet article prévoit une obligation d’information pour tous les porteurs de projets ayant bénéficié de services de financement participatif à compter du 1er janvier 2023. Cette disposition aurait donc un effet rétroactif pour les plateformes de mise en relation qui auront déjà commencé à collecter des fonds et à les affecter à des projets d’investissement.
Il est proposé de supprimer ce caractère rétroactif en repoussant d’un an la date d’entrée en vigueur, afin de permettre aux acteurs du secteur de se mettre en conformité avec les nouvelles obligations.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Les obligations en matière de blanchiment et de lutte contre le terrorisme s’imposent à tous, notamment aux intermédiaires. L’amendement vise simplement à harmoniser les règles.
Il ne s’agit pas à proprement parler de rétroactivité. Nous espérons que les acteurs concernés auront tout de même conservé la traçabilité de l’ensemble des dons et des collectes. Avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 15 rectifié n’est pas soutenu.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 13, présenté par M. Canévet, Mmes Sollogoub, Férat et Gatel, MM. Longeot et Delcros, Mmes Loisier et Saint-Pé, MM. Duffourg, Kern et Henno, Mmes N. Goulet et Jacquemet, M. Le Nay, Mme Billon, MM. Bonneau et Hingray et Mme Doineau, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l’article L. 131-1 du code des assurances, après le mot : « investie », sont insérés les mots : «, correspondant à hauteur de 50 % au critère du 2° de l’article L. 131-1-2 ».
La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Cet amendement vise à orienter les épargnants en contrats d’assurance vie vers des investissements verts. Les préoccupations environnementales sont aujourd’hui prioritaires dans nos sociétés.
En 2022, 45 % des Français estimaient qu’ils pouvaient avoir un impact réel sur l’environnement à travers leurs décisions de placement d’épargne. Les épargnants ont désormais des comportements de citoyens guidés par le développement durable. Les investissements verts apparaissent comme un remède pour faire face à la crise écologique.
Mme le président. L’amendement n° 14, présenté par M. Canévet, Mmes Sollogoub, Férat et Gatel, MM. Longeot et Delcros, Mmes Loisier et Saint-Pé, MM. Duffourg, Kern et Henno, Mmes N. Goulet et Jacquemet, M. Le Nay, Mme Billon, MM. Bonneau et Hingray et Mme Doineau, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l’article L. 131-1 du code des assurances, après le mot : « investie », sont insérés les mots : « correspondant à hauteur de 25 % au critère du 2° de l’article L. 131-1-2 ».
La parole est à M. Michel Canévet.
M. Michel Canévet. Cet amendement vise aussi à orienter l’épargne vers des investissements verts. La transition écologique est aujourd’hui une priorité de l’action publique. Nous devons prendre des mesures en ce sens.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Nous partageons bien évidemment les objectifs de nos collègues. Néanmoins, nous nous interrogeons sur le caractère opérationnel de tels amendements.
Le Gouvernement pourra peut-être nous le confirmer, mais, d’après l’analyse de la commission, un seul label, Greenfin, serait concerné. Et encore : seules seraient visées les unités de compte partiellement investies en vert.
Pour imposer une obligation générale, avec des pourcentages extrêmement contraignants, encore faudrait-il qu’il y ait des produits éligibles.
Je suis plutôt enclin à demander le retrait de ces amendements.
Au-delà, de telles propositions posent la question de la liberté des investisseurs, qui ont actuellement le choix entre unités de compte et euros. Doit-on aller jusqu’à leur imposer des types d’investissements ? La commission n’y est pas favorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.
La loi Pacte a introduit une obligation nouvelle, pour les distributeurs de contrats d’assurance vie et les compagnies d’assurances, de présenter au moins une option sociale et une option environnementale. Désormais, tous les catalogues d’unités de compte présentés aux clients, qui sont très étendus, incluent ce type d’offres.
Les auteurs de ces amendements sont particulièrement ambitieux, en imposant que soit 25 %, soit 50 % des offres respectent le label Greenfin, même s’il n’est pas exclu que l’on y arrive dans les années à venir.
Mme le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.
M. Michel Canévet. Je pense qu’il faut être ambitieux dans la vie… (Sourires.) C’est particulièrement vrai en matière de transition énergétique et écologique. Nous devons avancer sur ces sujets. C’est l’objet de ces amendements.
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 14.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 13 (nouveau)
Après le II de l’article L. 621-14 du code monétaire et financier, il est inséré un II bis ainsi rédigé :
« II bis – Dans les cas mentionnés au II, le collège peut assortir son injonction d’une astreinte dont il fixe le montant et la date d’effet.
« L’astreinte est recouvrée par le comptable public et versée au budget de l’État.
« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent article, en particulier le montant journalier maximum et les modalités de liquidation de l’astreinte en cas d’inexécution totale ou partielle ou de retard d’exécution. »
Mme le président. L’amendement n° 9 rectifié ter, présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Capus, Malhuret, Chasseing, Decool, Guerriau, Grand et Lagourgue, Mme Mélot et MM. Menonville, A. Marc et Wattebled, est ainsi libellé :
Au début
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
… ° À la première phrase du II de l’article L. 621-14 du code monétaire et financier, après les mots : « de présenter ses explications » sont insérés les mots : « et conduit une procédure contradictoire avec elle » ;
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. L’article 13 instaure un pouvoir d’astreinte au bénéfice de l’Autorité des marchés financiers. Cela donnerait davantage d’effectivité à son pouvoir d’injonction, mais renforcerait également le caractère unilatéral de la décision qui fonde l’injonction, en assortissant celle-ci d’un effet de sanction immédiat.
Aussi, cet amendement vise, sans encadrer ce pouvoir d’astreinte, à préciser que le collège de l’AMF est tenu de mener une procédure contradictoire avant de déterminer une injonction.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Peut-être que le Gouvernement pourra nous éclairer, mais il me semble qu’en l’état actuel de la législation, l’article L. 621-14 du code monétaire et financier prévoit qu’aucune sanction ne peut être prononcée par le collège si la personne concernée n’est pas en mesure de présenter ses explications.
En l’occurrence, il s’agit non pas d’une sanction, mais d’une astreinte. Faut-il aller jusqu’au contradictoire ? Je sollicite sur ce point l’éclairage du Gouvernement. Mais, en l’état, l’amendement me paraît satisfait.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. En effet, c’est déjà prévu. Le Gouvernement émet donc le même avis que la commission.
Mme le président. L’amendement n° 55, présenté par MM. de Montgolfier et Husson, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Après le II de l’article L. 621-14, il est inséré un II bis ainsi rédigé :
II. – Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
…° L’avant-dernière ligne du tableau constituant le second alinéa du I des articles L. 783-8, L. 784-8 et L. 785-7 est ainsi rédigée :
«
L. 621-14 |
la loi n° … du … tendant à renforcer la protection des épargnants |
».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Amendement de coordination pour l’application du texte outre-mer.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Je mets aux vois l’article 13, modifié.
(L’article 13 est adopté.)
Article 14 (nouveau)
Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Au 2° du I de l’article L. 621-9, les mots : « de parts sociales mentionnées au quatrième alinéa de l’article L. 512-1 du présent code ou à l’article 11 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération » sont remplacés par les mots : « au sens du règlement n° 2017/1129 du 14 juin 2017 concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé, et abrogeant la directive 2003/71/CE, de parts sociales de sociétés commerciales au sens du second alinéa de l’article L. 210-1 du code de commerce ou de parts sociales de sociétés coopératives au sens de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, les offres au public de parts sociales mentionnées au quatrième alinéa de l’article L. 512-1 du présent code » ;
2° Au h du II de l’article L. 621-15, les mots : « de parts sociales mentionnées au quatrième alinéa de l’article L. 512-1 ou à l’article 11 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération » sont remplacés par les mots : « au sens du règlement n° 2017/1129 du 14 juin 2017 concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé, et abrogeant la directive 2003/71/CE, de parts sociales de sociétés commerciales au sens du second alinéa de l’article L. 210-1 du code de commerce ou de parts sociales de sociétés coopératives au sens de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, aux offres au public de parts sociales mentionnées au quatrième alinéa de l’article L. 512-1 du présent code ». – (Adopté.)
Article 15 (nouveau)
Le troisième alinéa de l’article L. 621-12 du code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° La deuxième phrase est ainsi rédigée : « Il mentionne le chef de service territorialement compétent pour désigner un ou plusieurs officiers de police judiciaire chargés d’assister à ces opérations, d’apporter leur concours en procédant le cas échéant aux réquisitions nécessaires et de le tenir informé de leur déroulement. » ;
2° La dernière phrase est complétée par les mots : « ou peut délivrer une commission rogatoire au juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel s’effectue la visite pour en exercer le contrôle ». – (Adopté.)
Article 16 (nouveau)
Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Au f du II de l’article L. 621-15, la troisième occurrence du mot : « ou » est remplacée par les mots : « , communique des renseignements qu’elle sait inexacts, refuse » ;
2° L’article L. 642-2 est abrogé. – (Adopté.)
Article 17 (nouveau)
Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Après les mots : « l’émission de réserves », la fin du 3° de l’article L. 214-14, du 3° de l’article L. 214-24-47, du c de l’article L. 214-133 et du 3 de l’article L. 621-23 est ainsi rédigée : « , le refus de la certification des comptes ou l’impossibilité de les certifier. » ;
2° À l’article L. 214-78, les mots : « de l’article L. 214-24-40 » sont remplacés par les mots : « des articles L. 214-24-40 et L. 214-24-47 ». – (Adopté.)
Après l’article 17
Mme le président. L’amendement n° 25, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 17
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa du III de l’article L. 621-14 du code monétaire et financier est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le montant de ces astreintes recouvré par le comptable public est versé au budget de l’État. »
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Par cet amendement, nous souhaitons préciser la rédaction de l’article L. 621-14 du code monétaire et financier sur les modalités de recouvrement du montant des astreintes prononcées par le président de la cour d’appel de Paris.
L’impossibilité de recouvrer ces sommes diminue la portée du pouvoir d’injonction de l’AMF. Il est nécessaire d’assurer l’effectivité des décisions du superviseur pour préserver sa crédibilité et assurer la pleine intégrité des marchés.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Avis favorable.
Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 17.
Vote sur l’ensemble
Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais vous parler non pas du 49.3 ou du 47-1, mais de l’article 45, qui a été utilisé pour déclarer hors sujet un certain nombre de nos amendements.
Plafonner les frais de tenue de compte à 12 euros par an ? Hors sujet !
Supprimer les frais d’incident pour 4,1 millions de clients en situation de fragilité financière, comme les allocataires du revenu de solidarité active, des aides personnalisées au logement, de l’allocation aux adultes handicapés ou les étudiants boursiers ? Hors sujet !
Supprimer les frais bancaires pour les saisies administratives à tiers détenteur pour les personnes qui auraient des dettes fiscales ou des arrêtés de facture de cantine ou d’hôpital ? Hors sujet !
Plafonner les frais d’incidence pour les comptes des professionnels, des autoentrepreneurs, des travailleurs des plateformes numériques, comme Uber, Deliveroo et autres ? Hors sujet !
Il faut le savoir, chez Uber, le salaire mensuel moyen est de 1 617 euros pour 45,3 heures par semaine en moyenne. Avec la ponction de 25 %, ces travailleurs et travailleuses, qui ne roulent pas sur l’or – c’est le cas de le dire –, devraient subir la ponction des banques via des commissions d’intervention.
Tout cela pour vous dire que ce texte protège, certes, en partie les épargnants – nous avons d’ailleurs émis des votes positifs et constructifs –, mais ne cible pas et n’oriente absolument pas l’épargne financiarisée. Il navigue à l’aveugle ! C’est de la valeur pour de la valeur. Ce n’est pas forcément inutile, mais on ne peut pas s’en tenir à cela. Il faut tenir compte de l’économie, de l’emploi, des défis climatiques et sociaux devant nous.
Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, nous voterons contre ce texte.
Mme le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants.
(La proposition de loi est adoptée.)
10
Protéger les logements contre l’occupation illicite
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger les logements contre l’occupation illicite (proposition n° 174, texte de la commission n° 279, rapport n° 278, avis n° 269).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le ministre, cher Olivier, monsieur le président de la commission des lois, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous examinez aujourd’hui, dans l’espace réservé au groupe RDPI, vise à apporter une réponse indispensable à des situations individuelles auxquelles je suis particulièrement sensible. Elles concernent la vie quotidienne de femmes et d’hommes, que nous essayons, chacun à notre niveau, d’améliorer chaque jour.
Je veux ainsi tout d’abord remercier le président Patriat et ses collègues, qui nous permettent de poursuivre les travaux de l’Assemblée nationale au Sénat dans des délais extrêmement brefs.
Au cours des derniers mois, nous avons été nombreux à être saisis par de petits propriétaires, qui, ayant économisé toute leur vie pour acquérir un bien, se retrouvent dans l’impossibilité de récupérer le fruit de leur travail et de leurs économies.
M. François Bonhomme. Eh oui !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je pense en particulier à l’exemple frappant d’une vieille dame vivant dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) qui s’est retrouvée dans l’incapacité de reprendre possession de son appartement, squatté, qu’elle souhaitait vendre pour payer les mensualités de son établissement et assurer ainsi sa fin de vie. Impossible de récupérer son bien, car l’appartement était occupé de façon illégale. Cette situation est évidemment intolérable et porte gravement atteinte à notre pacte social et républicain, en vertu duquel les citoyens s’en remettent aux autorités pour faire respecter la loi.
Il est inacceptable qu’une dame âgée angoisse à l’idée de ne plus pouvoir payer ses traites parce qu’elle ne peut pas récupérer un bien acquis après des années de labeur.
Je le dis tout net : la lutte contre les squats est nécessaire et reste une priorité de ce gouvernement, en particulier de mon ministère. Dans cette lutte, force doit rester à la loi, qui doit protéger les honnêtes gens.
M. François Bonhomme. À la bonne heure !
Mme Valérie Boyer. Révélation tardive !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je dois d’abord rappeler que la protection du droit de propriété figure au nombre des droits de l’homme consacrés par la Déclaration de 1789.
Toutefois, c’est non pas le droit de propriété que protège aujourd’hui le délit de l’article 226-4 du code pénal, mais le domicile, comme cadre du droit au respect de la vie privée, un droit constitutionnellement et conventionnellement garanti. C’est l’objet du délit de violation de domicile. Depuis 2015, l’article 226-4 distingue expressément deux infractions, dont celle de maintien dans le domicile d’autrui, qui présente la particularité d’être une infraction continue, et non une infraction instantanée, comme l’est l’introduction dans le domicile d’autrui.
Cette particularité fait que les forces de l’ordre peuvent, tout au long de l’occupation, intervenir et interpeller les squatteurs, quel que soit le délai écoulé, quarante-huit heures ou plus, depuis leur introduction dans le domicile.
Cette infraction est donc un outil juridique efficace et puissant pour faire cesser les situations de squats caractérisées. J’y insiste, car il est trop souvent fait état dans la presse de cas de Français partis en vacances et qui ne peuvent pas récupérer leur domicile, plus de quarante-huit heures s’étant écoulées.
Concernant spécifiquement ce délit de violation de domicile, la proposition de loi apporte deux améliorations.
En premier lieu, elle tend à aligner les peines sur celles qui sont encourues par le propriétaire expulsant le squatteur occupant son domicile. Un tel alignement dans l’échelle des peines me semble absolument nécessaire et permettrait de répondre à une situation que nous pouvons qualifier de totalement injuste.
En second lieu, elle vise à clarifier la notion de domicile en précisant que celle-ci recouvre tout local d’habitation contenant des biens meubles, qu’une personne y habite ou non, et qu’il s’agisse de sa résidence principale ou non.
Cette clarification est bienvenue, puisqu’elle permettra, je l’espère, de faire cesser les fausses informations sur l’étendue de ce délit.
Ainsi, contrairement à ce qu’affirment certains médias, le squat d’une résidence secondaire est bien constitutif du délit de violation de domicile. Et, comme je l’ai déjà expliqué, s’agissant d’une infraction continue, l’intervention des forces de police pour faire cesser cette situation est possible à tout moment.
M. François Bonhomme. Mais compliquée !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Cela va s’arranger, monsieur le sénateur. C’est précisément l’objet de ce texte.
La proposition de loi entend aller au-delà de la protection du domicile, en protégeant également la propriété en tant que telle. Cette évolution est indispensable pour mettre fin aux situations injustes que j’évoquais précédemment. Il nous faut toutefois nous assurer que ces infractions sont suffisamment ciblées et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire.
Il s’agit ainsi non pas de faire primer le droit de propriété sur tout autre droit social, mais de répondre de manière proportionnée et adaptée à des situations individuelles profondément injustes.
À cet égard, je tiens à souligner l’important travail des commissions des lois et des affaires économiques, dont je veux ici saluer les rapporteurs, le sénateur Reichardt et la sénatrice Estrosi Sassone, engagés de longue date sur ces sujets. Leurs travaux ont permis de resserrer le champ du délit d’introduction ou de maintien dans un local autre que le domicile et d’aboutir à un texte qui me semble satisfaisant à plusieurs égards.
Il restreint le champ de la répression aux seuls actes frauduleux en prévoyant, s’agissant des locaux autres que le domicile, que seule l’introduction, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, ou le maintien après une telle introduction sont réprimés. Cette restriction permet de répondre aux inquiétudes exprimées par certains et aux réserves que j’avais émises lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, en excluant de la répression les locataires défaillants qui ne font l’objet d’aucune mesure d’expulsion.
Nos débats, à n’en point douter, permettront d’améliorer le texte en précisant le terme « local à usage économique », qui ne correspond à aucune notion connue dans notre droit. Il me semble également opportun de réserver la protection aux seuls locaux effectivement exploités.
Dans la lutte contre les squats, la commission des lois a également procédé à une gradation dans l’échelle des peines qui me semble tout à fait bienvenue.
Sur l’aspect pénal du texte, il m’apparaît donc que les travaux de vos commissions ont permis d’aboutir à un équilibre entre la défense de la propriété immobilière, qui concerne aussi les petits propriétaires, et le droit au logement, dans le respect de nos principes constitutionnels.
En complément des outils offerts par notre procédure pénale, nous disposons de deux voies pour expulser le squatteur du logement d’autrui : une voie civile et une voie administrative.
La voie civile permet de saisir le juge des référés. Celui-ci, lorsqu’il constate l’existence d’un trouble manifestement illicite, c’est-à-dire l’occupation du bien, peut ordonner les mesures conservatoires qui s’imposent, dont l’expulsion. Le délai moyen de cette procédure est de cinq mois.
Nous disposons également, depuis la loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite loi Dalo, d’une procédure administrative d’évacuation forcée. Son article 38 permet aux préfets, lorsqu’une plainte a été déposée pour violation de domicile, d’ordonner l’évacuation des squatteurs sans attendre qu’une décision judiciaire ait été rendue.
À la suite de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi Asap, qui est venue compléter la loi Dalo, nous avons pris l’initiative, avec mes collègues des ministères de l’intérieur et du logement, d’adresser, le 22 janvier 2021, une instruction aux préfets pour détailler la mise en œuvre de cette procédure et leur enjoindre d’assurer la rapidité de son exécution. Plus que jamais, l’exécutif est donc mobilisé pour lutter contre les squats.
Tout en conservant l’esprit de la proposition de loi du président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, M. Kasbarian, votre commission a recentré son application aux squatteurs.
Je m’en félicite, car la procédure de l’article 38 n’est pas adaptée à l’évacuation des autres types d’occupants – les locataires, les concubins… – en raison de son caractère expéditif et non contradictoire.
Je pense notamment à la situation dans laquelle se serait trouvée une femme victime de violences conjugales dont le compagnon violent serait parti sur ordre de la justice, mais aurait quand même pu exiger du préfet une évacuation forcée de sa victime.
La nouvelle rédaction de l’article 2 de la proposition de loi a également clarifié l’extension du périmètre de cette procédure : elle sera mobilisable pour la libération des domiciles, mais également pour celle des logements vacants.
La question des expulsions pour impayés de loyers est, quant à elle, bien distincte de celle du squat. Il faut garder à l’esprit que notre droit civil protège les locataires qui cessent temporairement de payer leur loyer. La difficulté à régler une échéance de loyer, en raison d’un accident de la vie ou de factures imprévues, ne doit pas compromettre définitivement le logement familial.
Le texte adopté en commission rétablit sur ce point le pouvoir du juge d’accorder d’office des délais avant d’en arriver à l’expulsion. Il faut toutefois que le locataire soit en situation de régler ses dettes à l’égard du propriétaire et qu’il ait au minimum repris le paiement du loyer courant.
En cela, la condition ajoutée par la commission des lois à l’octroi de délais par le juge s’inscrit, me semble-t-il, dans l’équilibre que nous recherchons entre droit au logement et droit de propriété. Pour autant, cet équilibre est fragile, car on sait que 40 % de locataires en impayés de loyer ne se présentent pas à l’audience et ignorent leur droit de demander des délais.
Dès lors que l’expulsion est ordonnée, le juge peut encore octroyer de façon exceptionnelle des délais supplémentaires, afin de permettre à des familles en situation de précarité de se reloger dans des conditions dignes.
Le droit civil fait également obstacle aux expulsions durant la trêve hivernale. C’est là un acquis non négligeable – j’insiste sur ce point –, car la loi veille ainsi à répondre à des situations individuelles qui peuvent se révéler dramatiques.
Il ne paraît pas souhaitable que la légitime lutte contre les abus de locataires de mauvaise foi conduise à modifier ces équilibres.
La proposition de loi tend à réduire certains délais de procédure, afin d’accélérer le traitement de ces affaires. Si j’étais favorable à la réduction des délais à deux mois, je considère comme trop court, et difficile à calculer, celui de six semaines adopté en commission.
Enfin, s’agissant des propriétaires, il est important de sécuriser leur situation face aux occupations illicites de leur bien, et donc de les décharger, dans certaines circonstances, de leur responsabilité. C’est l’objet de l’article 2 bis de la proposition de loi.
Néanmoins, les décharger totalement de l’obligation d’entretenir leur bien nuirait de manière injustifiée aux tiers subissant un dommage. Ces tiers doivent pouvoir être indemnisés sans supporter les conséquences d’une occupation illicite. Une nécessaire adaptation de ce texte devra être envisagée. C’est le sens de certains amendements, dont un sur l’initiative du Gouvernement, qui seront proposés à votre vote.
Dans la lutte contre les squats et la préservation du droit de la propriété, ce texte est une nouvelle étape intéressante. Faisons en sorte, tous ensemble, qu’il apporte des solutions efficaces, concrètes, dans le respect de nos grands principes constitutionnels. (M. Ludovic Haye applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Klein, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez aujourd’hui à examiner un texte relatif à des situations humaines souvent complexes, situations qu’en tant qu’élus nous connaissons.
De cette expérience d’élu, vous savez la différence entre les situations inacceptables de squat et les situations relatives à des impayés de loyers. Forts de ces expériences, vous examinez ce soir un texte équilibré (Mme Nathalie Goulet acquiesce.), qui ne confond pas ces deux cas dissemblables.
M. Olivier Klein, ministre délégué. Vous examinez un texte équilibré, et même amélioré.
À ce titre, je salue tout particulièrement, à mon tour, le travail des rapporteurs, qui ont été attentifs aux inquiétudes que pouvait susciter ce texte, sans renoncer à l’ambition initiale d’apporter des réponses à certains cas insupportables.
J’espère que notre discussion permettra de continuer à mieux distinguer la situation du squatteur, qui doit être sanctionné à la mesure de sa faute, de celle du locataire défaillant, qui doit pouvoir être accompagné lorsqu’il est de bonne foi.
En effet, s’il est nécessaire de rééquilibrer et de sécuriser les rapports locatifs ainsi que d’entendre les problématiques des propriétaires, il faut aussi répondre aux locataires qui rencontrent des difficultés, en les accompagnant le plus en amont possible.
Il est donc primordial de bien distinguer le squatteur, qui entre illégalement dans un domicile, du locataire, qui rencontre des difficultés pour payer son loyer.
Par exemple, grâce à un amendement de M. Patriat – je le remercie et, à travers lui, l’ensemble du groupe RDPI pour nos échanges fructueux –, une gradation est introduite entre la peine encourue pour le squat de domicile et celle prévue pour le squat de locaux économiques.
Comme cela vient d’être rappelé, j’espère que l’examen de la proposition de loi permettra de préciser la notion de locaux économiques, de sorte que, demain, un squatteur soit sanctionné s’il occupe un local exploité, et que toutes les entreprises dont les bureaux sont vacants utilisent le beau dispositif d’occupation temporaire que nous avons pérennisé à l’Assemblée nationale, et que vous avez sécurisé en commission.
En utilisant un dispositif légèrement différent de la version initiale, je suis très heureux, connaissant bien le problème dans ma ville, que le texte maintienne et renforce les sanctions contre les marchands de sommeil, contre ceux qui, indûment, organisent des squats en faisant croire qu’ils sont propriétaires des logements, en toute illégalité et au détriment des plus faibles.
C’est inacceptable, et le Gouvernement est pleinement mobilisé contre ce phénomène. Cela s’inscrit d’ailleurs dans la lutte du Gouvernement contre l’habitat indigne, dont les procédures ont été renforcées et simplifiées par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Élan, adoptée lors de la précédente législature.
Concernant le traitement des locataires en impayés de loyer, je me satisfais vraiment que la commission ait maintenu les pouvoirs d’office du juge pour définir un plan d’apurement de la dette locative et pour vérifier les éléments constitutifs de cette dette. Le Gouvernement avait déjà soutenu à l’Assemblée nationale ce maintien, dans une version un peu plus large, pour tous les locataires de bonne foi.
La navette permettra d’évoquer cette disposition, mais je tiens à rappeler que le Gouvernement soutient cette évolution positive pour les locataires et pour les bailleurs, l’intérêt de ces derniers étant que leur locataire paye rapidement son loyer et rembourse ses dettes, dès après l’audience.
La proposition de loi vise aussi à accélérer les procédures. À propos du délai légal entre le commandement de payer et l’assignation en justice, le Gouvernement salue le travail de la commission des lois faisant passer ce délai d’un mois à six semaines. Toutefois, comme vient de le rappeler M. le garde des sceaux, nous souhaitons maintenir ce délai à deux mois, à la fois pour éviter l’engorgement des tribunaux et pour plus de lisibilité, car les paiements des loyers sont la plupart du temps mensuels.
Enfin, je tiens à souligner le travail de la commission des affaires économiques. Elle a permis d’instituer des dispositions nouvelles afin d’accorder un meilleur accompagnement social aux locataires défaillants, en renforçant les pouvoirs et l’information des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex).
C’est un vrai renforcement qu’apporte désormais le texte : institutionnalisation de la gouvernance des Ccapex, intervention de ces dernières plus en amont, délai de trois mois, au lieu de deux actuellement, pour le diagnostic social et financier, ou encore renforcement des pouvoirs du juge pour maintenir les aides personnelles au logement (APL) ou pour demander le versement des aides directement au bailleur.
En parallèle de ce texte, je veux rappeler dans cet hémicycle que le Gouvernement continue à être pleinement mobilisé pour prévenir les expulsions locatives.
Je souhaite d’ailleurs que la prévention constitue un axe du deuxième plan quinquennal Logement d’abord. Des outils de prévention sont déjà déployés dans le cadre du plan d’actions interministériel de prévention des expulsions locatives, par exemple le déploiement d’équipes mobiles financées par l’État, représentant plus de 70 équivalents temps plein (ETP). Les fonds de solidarité pour le logement (FSL) accompagnent également les locataires, en particulier dans la période actuelle de hausse des charges, au-delà des boucliers tarifaires et de l’accompagnement mis en place par le Gouvernement – je pense notamment au chèque énergie.
C’est aussi pour cela que je crois très important de maintenir tous les efforts faits dans la prévention des expulsions locatives. Il faut laisser le temps au travail social, il faut laisser au juge le pouvoir d’analyser chaque situation, d’être au plus proche des réalités difficiles d’une expulsion, laquelle est toujours un échec.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est toujours une injustice !
M. Olivier Klein, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que vous avez à examiner est globalement équilibré. L’équilibre apaise le marché, évite des cautions toujours plus importantes, des assurances toujours plus chères, des cautions locatives apportées par des garants qui sont discriminantes et inégalitaires. Toutefois, cet équilibre ne doit pas être trouvé en ignorant les situations humaines des locataires, les ruptures, les heurts.
J’ai confiance dans l’esprit de discernement du Sénat pour préserver l’équilibre de ce texte, sur lequel le Gouvernement émettra un avis favorable. (MM. François Patriat et Ludovic Haye applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite nous donne l’occasion de revenir sur deux sujets auxquels le Sénat est depuis longtemps attentif : la lutte contre le squat et la sécurisation des rapports locatifs.
Il y a deux ans, à quelques jours près, le Sénat débattait, sur le rapport d’Henri Leroy, de la proposition de loi de notre collègue Dominique Estrosi Sassone tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat. Plusieurs dispositions que le Sénat avait alors adoptées sont reprises dans le texte qui nous est transmis, et c’est tant mieux.
Nous sommes nombreux à regretter, monsieur le garde des sceaux, que le Gouvernement n’ait pas été plus tôt à l’écoute des propositions du Sénat, ce qui nous aurait permis de gagner un temps précieux pour lutter contre le phénomène du squat. Ce dernier affecte régulièrement de petits propriétaires, lesquels – je reprends un exemple que vous avez vous-même mentionné – découvrent en rentrant de vacances que leur résidence principale est occupée.
La première partie du texte qui nous est soumis vise à prévenir et à réprimer plus efficacement le squat. La commission des lois ainsi que la commission des affaires économiques saisie pour avis ont veillé à mieux distinguer la situation du squatteur de celle du locataire défaillant, dont le bail a été résilié, mais qui s’était introduit régulièrement dans les locaux.
Le texte contient d’abord une série de dispositions en matière pénale. Certaines, d’ailleurs, avaient déjà été adoptées par le Sénat en janvier 2021, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques ; je pense, notamment, à l’alourdissement de la peine encourue en cas de squat d’un domicile, ainsi qu’à la création d’une infraction pour punir d’une amende la propagande ou la publicité en faveur de méthodes tendant à inciter ou à faciliter le squat.
Vous savez comme moi que l’on peut trouver sur internet de véritables guides du squat, visant à donner des conseils sur la manière de s’introduire illégalement dans un logement et d’échapper à l’expulsion. Ce type de pratiques serait désormais pénalisé.
Actuellement, vous le savez également, le code pénal sanctionne seulement le squat du domicile, sur le fondement du droit à la protection de la vie privée. Afin de mieux garantir le droit de propriété, qui est aussi un principe fondamental de notre République, le texte résultant des travaux de la commission crée une nouvelle infraction pour sanctionner le squat de locaux qui ne constituent pas un domicile.
Le texte tend également à rendre passibles d’une peine les locataires du parc privé qui se maintiennent sans droit ni titre dans leur logement, alors qu’ils sont sous le coup d’une décision définitive d’expulsion et qu’ils ont épuisé tous les délais accordés par le juge.
Je sais que cette dernière mesure est contestée, mais je pense qu’elle peut envoyer un signal à l’encontre de certains locataires d’une particulière mauvaise foi. Je sais pouvoir faire confiance à la justice pour l’appliquer avec discernement.
Le texte revient ensuite sur la procédure d’évacuation forcée des squatteurs, sous l’égide du préfet, prévue à l’article 38 de la loi Dalo. Cette procédure permet à celui dont le domicile est squatté de saisir le préfet afin que ce dernier mette en demeure, dans un délai de quarante-huit heures, le squatteur de quitter les lieux. Cette procédure dérogatoire, qui ne fait pas intervenir une décision de justice, a été utilisée, nous dit-on, environ 170 fois au cours de l’année écoulée.
Sur ce point, la commission a décidé de réintroduire des dispositions que nous avions adoptées il y a deux ans et qui n’avaient pas été reprises.
L’objectif est d’abord d’élargir le champ d’application de cette procédure à l’hypothèse du squat de logements qui ne constituent pas un domicile, ce qui est cohérent avec les mesures envisagées en matière pénale. Ainsi, un logement qui est squatté alors qu’il est vide entre deux locations pourra être libéré rapidement.
Il s’agit ensuite de permettre à la préfecture de solliciter l’administration fiscale afin d’établir les droits du propriétaire dont le bien est squatté lorsque l’occupation illicite empêche ce dernier d’accéder aux documents lui permettant de prouver que le bien lui appartient.
Enfin, le texte ramène de quarante-huit heures à vingt-quatre heures le délai prévu pour procéder à la mise en demeure.
Dans un autre registre, mes chers collègues, la commission a approuvé le régime dérogatoire de responsabilité civile applicable au propriétaire d’un logement occupé sans droit ni titre en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien, en prévoyant néanmoins une exception pour les marchands de sommeil. Il ne nous paraît pas normal, en effet, qu’un propriétaire qui ne peut plus accéder à son bien soit condamné en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien.
La commission s’est également prononcée en faveur de la pérennisation du dispositif expérimental, créé en 2009, de mise à disposition temporaire de locaux vacants, même si nous regrettons, messieurs les ministres, que l’évaluation que le Gouvernement devait produire n’ait jamais été réalisée.
Les auditions auxquelles Mme Dominique Estrosi Sassone et moi-même avons procédé montrent que ce dispositif joue un rôle utile : quelque 10 000 personnes – ce n’est pas rien ! – en ont bénéficié jusqu’à présent. Les auditions ont également montré que ce dispositif contribue, indirectement, à la lutte contre le squat en favorisant l’utilisation de locaux provisoirement inoccupés.
La seconde partie du texte vise à sécuriser les rapports locatifs en améliorant la procédure contentieuse.
À l’heure actuelle, le contentieux locatif est soumis à une procédure complexe, qui dure parfois des années, dont les objectifs premiers sont, dans l’intérêt du propriétaire comme du locataire, le maintien des rapports locatifs et l’apurement de la dette. L’expulsion reste, à nos yeux, la solution de dernier recours, a fortiori si le locataire en difficulté est de bonne foi.
Il s’agit d’un contentieux de masse, qui entraîne chaque année la délivrance – tenez-vous bien – de 500 000 commandements de payer et de 150 000 assignations en justice, pour 70 000 décisions d’expulsion ferme, dont 16 000 nécessitent le concours de la force publique.
La réforme contribuera, nous l’espérons, à redonner confiance aux propriétaires, qui hésitent parfois à mettre leur bien en location de peur de ne pas pouvoir le récupérer en cas d’impayés de loyers. Ce rétablissement de la confiance est indispensable, alors que des millions de nos concitoyens sont mal logés. Les locataires n’ont pas non plus intérêt à ce que les procédures judiciaires s’éternisent s’ils veulent éviter d’accumuler une dette locative qu’ils ne parviendront certainement plus à rembourser.
Dans un souci de sécurité juridique, il est d’abord proposé de généraliser les clauses résolutoires de plein droit dans les baux locatifs. En cas d’inexécution du contrat, la présence d’une clause résolutoire permettra au propriétaire de saisir rapidement le juge pour qu’il en constate la résiliation.
L’Assemblée nationale avait, par ailleurs, souhaité réduire certains délais. Elle avait subordonné certaines facultés reconnues au juge à une demande expresse du locataire, dans le but affiché de le responsabiliser.
La commission des lois a retouché ces dispositions : beaucoup de locataires connaissent mal leurs droits et ne sont pas familiers de la procédure, comme cela nous a été régulièrement répété au cours de nos auditions. Il nous a donc paru important que le juge puisse, de sa propre initiative, leur accorder un délai avant la résiliation du bail, pour qu’il puisse, d’une part, vérifier les éléments constitutifs de la dette locative, d’autre part, s’assurer de la décence du logement.
Nous avons également décidé de relever d’un mois à six semaines le délai entre le commandement de payer et l’assignation devant le tribunal, car ce délai est mis à profit pour régler à l’amiable les litiges locatifs dans plus des deux tiers des cas. Lors de l’examen d’amendements tendant à aller en sens inverse, j’expliquerai les raisons motivant ce délai de six semaines.
Sur proposition de la commission des affaires économiques, nous avons enfin introduit dans le texte un nouveau chapitre destiné, là encore, à améliorer l’accompagnement social des locataires en difficulté, notamment en renforçant les prérogatives des Ccapex, lesquelles existent dans chaque département. Il est important que ces commissions puissent travailler plus en amont si l’on veut que leurs efforts de prévention des expulsions produisent vraiment leurs effets.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Elles ne le peuvent pas !
M. André Reichardt, rapporteur. Dominique Estrosi Sassone aura l’occasion de revenir plus en détail sur ces mesures dans quelques instants.
Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, en somme, vous le voyez, nous nous sommes efforcés d’aboutir à un texte qui réponde aux attentes des propriétaires sans fragiliser la position des locataires qui peuvent connaître un accident de la vie et qui ont alors besoin d’être soutenus.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est faux !
M. André Reichardt, rapporteur. Nous avons cherché à concilier le respect de la propriété privée et le droit au logement, ce dernier étant un objectif de valeur constitutionnelle. Pour ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à soutenir le texte, que je qualifierai, comme ont pu précédemment le faire les ministres, d’équilibré, tel qu’il est issu des travaux de notre commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il n’est pas équilibré !
Mme le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la commission des affaires économiques s’est saisie pour avis de l’intégralité du texte de cette proposition de loi, car, en même temps que des dispositions relevant du droit pénal et de la procédure civile d’exécution, elle contient des dispositions qui auront d’importantes conséquences sur la politique du logement, sur la lutte contre les squats, sur le règlement des impayés de loyers et, in fine, sur la prévention des expulsions.
En effet, si, d’un côté, force doit rester à la loi face à la violence des squatteurs et des occupations illicites, le domicile et la propriété devant être mieux respectés, d’un autre, ce constat ne peut et ne doit pas conduire à mettre à la rue des familles victimes d’un accident de la vie, qui ont besoin d’un accompagnement précoce et adapté.
André Reichardt et moi-même avons pu travailler de manière très constructive : nous avons voulu trouver cet équilibre en étant plus stricts contre les squatteurs et les locataires de mauvaise foi tout en assurant une meilleure prévention des expulsions, sans en faire porter le poids aux propriétaires.
Le squat, comme vous l’indiquiez, monsieur le garde des sceaux, est un véritable viol de l’intimité. La commission veut qu’il soit réprimé sans faiblesse. Au-delà des squatteurs, nous devons nous attaquer aux réseaux organisés qui promeuvent et organisent le squat, y compris en abusant de la bonne foi de certains locataires.
Il faut protéger non seulement les domiciles, mais aussi les futurs domiciles. Une personne réalisant son rêve d’accéder à la propriété et qui vient d’acheter son logement ou un ménage qui se voit enfin attribuer un logement social peuvent être privés de la jouissance de leur habitation par des squatteurs. Ils méritent eux aussi d’être protégés, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Je crois aussi qu’il nous faut sortir d’une vision dans laquelle on excuse le squat, eu égard soit à la supposée richesse des propriétaires soit à la crise du logement. La réalité est qu’à Paris environ un quart des victimes de squat sont des locataires. La réalité est que deux tiers des propriétaires n’ont qu’un bien en location, bien souvent pour compléter une retraite.
Arrêtons également d’excuser l’occupation illégale de locaux vacants, alors même qu’existe un dispositif légal de logement temporaire, que nous pérennisons et sécurisons dans ce texte, permettant à des entreprises agréées ou à des associations d’insertion d’organiser un hébergement à destination de personnes en mobilité ou en grande fragilité !
Arrêtons enfin de faire porter aux propriétaires le poids d’une politique du logement défaillante,… (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. Guy Benarroche. Vous en portez la responsabilité ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. … car, si les constructions et les possibilités d’attributions ne sont pas assez nombreuses, ce n’est pas leur faute,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ni celle des locataires !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. … c’est celle du Gouvernement !
En matière de squat, que de temps perdu ! Il y a deux ans, presque jour pour jour, le Sénat adoptait la proposition de loi que j’avais présentée pour mieux réprimer ce phénomène. Plusieurs problèmes seraient d’ores et déjà résolus si elle avait été adoptée par l’Assemblée nationale, alors que plusieurs de ses dispositions sont reprises dans ce nouveau texte.
M. François Bonhomme. Tout à fait !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Concernant l’accélération des procédures d’impayés et d’expulsion, nous approuvons l’objectif général, car la longueur des procédures décourage les propriétaires d’investir et de proposer des logements en location de longue durée pour préférer louer des meublés de tourisme. Cette protection exagérée se retourne donc contre les locataires et se traduit par une pénurie de logements à louer. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Pour autant, nous avons décidé de proposer des modifications importantes au texte. Nous avons voulu distinguer strictement les squatteurs des locataires en difficulté, et ainsi écarter tout amalgame.
Nous pensons également qu’il est contraire à l’intérêt des propriétaires comme des locataires d’affaiblir les possibilités d’un accord amiable et d’un règlement de la dette locative sous l’égide du juge, lequel doit pouvoir vérifier le montant de la dette, la décence du logement, et établir un échéancier de paiement sur la base d’un diagnostic social et financier.
Nous pensons enfin que la véritable responsabilisation des locataires résultera d’un accompagnement et d’une prévention précoce des impayés et des expulsions. C’est pourquoi j’ai voulu introduire un nouveau chapitre consacré à ce sujet dans la proposition de loi. En m’appuyant sur les acteurs du secteur, j’ai proposé d’avancer à deux mois d’impayés le seuil de saisine des Ccapex, de doubler le temps disponible pour la réalisation d’un diagnostic social et financier, mais aussi de débloquer de nombreux points techniques pour donner aux Ccapex les moyens d’agir.
Mme le président. Il faut conclure.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Ainsi, tout en renforçant le volet contre le squat et en luttant contre l’usage dilatoire des procédures par des locataires de mauvaise foi, André Reichardt et moi-même avons voulu donner un équilibre significativement différent au texte et être fidèles à nos principes en matière de respect de la propriété privée et des fruits du travail, mais aussi de justice et d’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
Mme le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
Mme le président. Je suis saisie, par MM. Benarroche, Gontard, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite (n° 279, 2022-2023).
La parole est à M. Guy Benarroche, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. « Certaines lois marquent une époque du sceau de la grandeur ou de l’abandon ». Cette phrase que j’emprunte à une tribune publiée par Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité, pour nous alerter sur les conséquences de la loi qui nous est présentée.
L’abandon, chers collègues, est celui de la solidarité. Ce texte se trompe de cible selon Pascal Brice. C’est également ce qu’écrit Christophe Robert, le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, dans un courrier adressé il y a quelques jours à Gérard Larcher, le président du Sénat.
Ce sont les causes du mal-logement qu’il faut combattre, et non ceux qui en sont victimes. C’est une arme atomique,…
M. François Bonhomme. Carrément ! (Sourires.)
M. Guy Benarroche. … qui ne va pas résoudre le problème visé, mais qui va créer des dégâts collatéraux dont toute la société française subira les conséquences.
Cet abandon de la solidarité est camouflé de manière plus ou moins habile, mais en tout cas avec une grande violence, derrière l’érection du droit de propriété en valeur absolue.
Afin d’éviter tout raccourci dans lequel certains souhaitent parfois nous enfermer, je vais le dire d’emblée et sans ambages : nous ne remettons pas en cause le droit de propriété ni sa portée constitutionnelle.
M. François Bonhomme. Nous sommes rassurés !
M. Guy Benarroche. La propriété locative doit être et est protégée, d’autant qu’on peut, comme nous le voyons dans nos communes populaires, être propriétaire et fragilisé par l’âge, la santé ou le niveau de revenus.
Dans nos rangs, nous savons aussi que les principes constitutionnels doivent se concilier de manière équilibrée, à l’inverse de ce texte, qui, tel qu’il a été voté par l’Assemblée nationale, ne recherche pas cet équilibre.
C’est donc à nous, dans cet hémicycle, de faire le travail qui a été commencé par les rapporteurs. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 19 janvier 1995 a élevé au rang d’objectif de valeur constitutionnelle la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent. Le présent texte, bien que modifié par notre commission pour éviter les amalgames iniques entre protection de la propriété et protection des domiciles, est un danger. C’est une fausse solution inefficace et antisociale. Il s’agit d’une criminalisation insupportable de la précarité et de la pauvreté.
Étudions d’abord le dogme du droit de propriété sans limite. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Qui a dit cela ?
M. Guy Benarroche. Je ne ferai offense à personne en rappelant combien de parlementaires, dans cet hémicycle, attachés à un droit de propriété absolue, ont estimé, dans un passé récent, que l’absolu ne l’était finalement pas tant que ça !
Lors de l’examen du texte sur l’expropriation des biens manifestement à l’abandon, nous avons bien noté que le droit de ne rien faire de son bien resterait sacro-saint quand il s’agit de biens construits, finis et entretenus susceptibles de participer à l’hébergement des mal-logés, mais ne saurait être toléré quand une collectivité peut y voir une opportunité de développement. Il s’agit donc d’un droit absolu à géométrie variable.
La volonté de mélanger domicile, local d’habitation et local ayant d’autres destinations nous pousse sur une pente dangereuse. Elle aboutit à un texte qui n’a que faire de l’équilibre entre les propriétaires, les bailleurs et les locataires, équilibre mis en place en 1989, constamment amélioré depuis lors et protégé par tous les acteurs institutionnels et professionnels du secteur. Cet équilibre sera mis à mal, voire détruit, par ce texte.
L’autre hypocrisie des auteurs de ce texte est la tentative très maladroite et fragile constitutionnellement, d’après l’aveu même du garde des sceaux, de confondre protection de la propriété et protection du domicile.
Le domicile et la propriété sont protégés de manière différenciée. Pour tous les cas affreusement tristes et scandaleux de propriétaires ne pouvant intégrer leur domicile, c’est non pas le manque de protection dans notre droit qui est en jeu, mais une méconnaissance des mécanismes de protection, comme le rappelle le président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, dans un courrier adressé aux membres du Sénat : « Il semble la plupart du temps que les propriétaires, en particulier les plus modestes, souffrent d’un manque de moyens de la justice et d’accès aux dispositifs de prévention des expulsions plutôt que d’un droit inefficace. »
Venons-en à la criminalisation des locataires en difficulté. Elle est non seulement totalement indécente, mais aussi inutilement indécente, car elle ne peut pas apporter une solution à ce problème. Faire endosser une responsabilité pénale aux personnes en difficulté, qui n’ont pas été aidées par l’État, est d’un cynisme rare !
Les mesures d’aide sociale relatives à l’hébergement des familles en graves difficultés économiques ou de logement relèvent de la responsabilité de l’État, qui est parfois trop défaillant. Les collectivités ne peuvent se substituer à la puissance publique nationale.
Une décision récente du Conseil d’État a rappelé que la carence avérée et prolongée de l’État est caractérisée. En tant que chambre des territoires, nous savons combien les collectivités tentent, si elles le peuvent et si l’État les laisse faire, de pallier les nombreux manquements de l’État, particulièrement pour ce qui concerne les mises à l’abri.
Mais où est ce gouvernement ? Où est la politique du logement, maintes fois annoncée et toujours reportée ? Supprimée du projet de loi confortant le respect des principes de la République, dit aussi projet de loi Séparatisme, c’est l’Arlésienne du président Macron. En 2018, celui-ci avait déclaré : « Je veux que nous puissions apporter un toit toutes celles et ceux qui sont aujourd’hui sans abri. » En 2022, le ministre délégué chargé de la ville et du logement, M. Olivier Klein, a réduit cet objectif aux seuls enfants. Depuis, toujours rien, monsieur le ministre.
« Le locataire reste parce que l’État est incapable de respecter ses propres obligations en matière de droit au logement ou à l’hébergement », observe Claire Hédon, la Défenseure des droits,…
M. François Bonhomme. On peut en parler !
M. Guy Benarroche. … qui s’inquiète des conséquences d’une adoption de ce texte, pour des milliers de personnes déjà sur le fil.
J’ai entendu et apprécié les discussions en commission, mes chers collègues, qui ont mis en évidence le besoin de prise en charge des locataires en difficulté via l’établissement d’un bilan social des locataires. Mais qui pourra effectuer ces bilans ? Quels sont les moyens des préfectures pour accompagner ces personnes en difficulté ?
Les débats de l’Assemblée nationale ont permis de rappeler le manque de moyens des travailleurs sociaux du 115 et le manque de places d’hébergement d’urgence. Chaque soir, en France, 5 000 personnes appellent en vain le 115, dans l’espoir d’une place en hôtel ou en foyer d’urgence. À Marseille, où 25 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, à peine un appel sur trois aboutit. Où est l’État ?
Toutes les histoires, aussi tristes les unes que les autres, de petits propriétaires dans l’impossibilité de récupérer leurs domiciles occupés illégalement sont souvent le reflet d’une méconnaissance du droit ou de l’inaction des services de l’État. Médiatiques et insupportables, toutes ces situations ont été résolues, sans nécessité de modifier la loi.
Mme Catherine Procaccia. Pas toutes !
M. Guy Benarroche. Si ! Sommes-nous capables de trouver un chemin pour protéger à la fois les propriétaires, les locataires, les personnes mal logées ou à la rue ? Les moyens de protéger les petits propriétaires existent. Des mesures de protection équilibrées pour les propriétaires et les locataires pourraient être renforcées, comme la garantie des loyers. Mais rien dans l’écriture du texte, ni même dans sa réécriture moins délirante par la commission de notre assemblée, ne montre que l’objet de cette loi est la protection de ces petits bailleurs parfois démunis face aux démarches.
Le but affiché est punitif. La conséquence est la punition de familles en difficulté. Il s’agit d’une criminalisation de ceux qui subissent la précarité, de ceux qui souffrent du mal-logement et qui se voient offrir peu de solutions. Plus de 4,1 millions de personnes sont mal logées ; 300 000 personnes sont sans abri, dont 42 000 enfants. Les chiffres sont édifiants.
Les causes sont multiples et complexes, mais la crise actuelle, inédite, entraîne une accélération de la paupérisation des populations fragiles. Les solutions à cette détresse, qui pousse les personnes dans la rue ou dans des situations d’impayés, que la proposition de loi nomme des « occupations frauduleuses », sont absentes du texte.
La notion de pénalisation et de prison pour des problèmes d’impayés est insupportable. Vous ne pouvez plus payer votre loyer, votre bail est résilié. Pourtant, vous occupez encore votre logement, faute de solutions autres que la rue ou la prison. La prison pour dettes est de retour dans notre République ! Serions-nous prêts à considérer cette dette comme la plus criminelle au sein de notre société ?
Au-delà d’une réflexion insensée plaçant l’insolvabilité de loyer dans un champ différent des autres insolvabilités, quelle est la finalité de cette pénalisation sous la forme d’une peine d’emprisonnement ? Toute sanction financière sous forme d’amende aura aussi pour conséquence de créer un cercle vicieux maintenant les occupants illégaux dans la précarité.
Hormis la valeur symbolique de la punition, qui sera gagnant ? Le propriétaire aura encore moins de chance de recouvrer sa créance.
Le président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées l’a rappelé : « En privilégiant l’expulsion, les propriétaires auront bien moins de possibilités pour recouvrer leurs dettes. Et les locataires rejoindront les rangs des sans domicile fixe ou des sans-abri. »
La précarité est le problème de base, dans un contexte incertain alliant inflation, accroissement des contrats précaires, augmentation des factures énergétiques et diminution des indemnités de chômage. Les situations de défaut de paiement se multiplieront. Les dispositifs de mise à l’abri et d’hébergement d’urgence issus du droit au logement opposable (Dalo) ne sont pas suffisamment mis en œuvre. Ils constituent pourtant les solutions qu’un vrai texte sur le sujet aurait dû prendre en compte.
Les dispositions de ce texte vont dans le sens inverse ! D’après la Fondation Abbé Pierre, elles provoqueront jusqu’à 30 000 décisions d’expulsion supplémentaires, soit autant de personnes qui risquent de se retrouver à la rue.
Mes chers collègues, c’est avec une certaine fascination que j’observe une tentation quelque peu démagogique en matière de positionnement sur le droit de propriété, que personne, je le répète, ne remet en cause. Ce positionnement, fortement affirmé et défendu par certains dans cet hémicycle est pourtant variable, comme je l’ai rappelé pour ce qui concerne l’expropriation des biens en état d’abandon manifeste. Un jour, le droit de propriété est absolu, le lendemain, il ne l’est pas.
C’est notre devoir de garantir les droits et la protection des plus vulnérables. La loi telle qu’elle nous est arrivée de l’Assemblée nationale est une caricature de surenchère, de déséquilibre et de pénalisation à outrance, qui établit un amalgame coupable entre protection de la propriété, protection du domicile, squat et incapacité de payer.
Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Guy Benarroche. Si je remercie les rapporteurs d’avoir perçu certains risques et de les avoir réduits en adoptant certains amendements, la ligne rouge de la criminalisation de la pauvreté, qui n’aura aucun impact sur les préjudices subis par les propriétaires, a été franchie. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Procaccia. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous célébrons ce soir un anniversaire. Je pense en effet à la nuit du 31 janvier 2007, voilà seize ans jour pour jour. J’étais bien seule dans cet hémicycle pour parler des squatteurs et des sites internet délivrant un mode d’emploi du squat. J’expliquais à mes collègues qu’il fallait aussi penser à la personne, locataire ou propriétaire, qui se retrouvait à la rue grâce à un squatteur.
Dans la nuit, j’avais reçu une délégation du DAL (Droit au logement) et du collectif Jeudi noir. Ils avaient convenu avec moi que l’amendement que j’avais déposé, qui est devenu l’article 38 de la loi Dalo était acceptable s’il se limitait au squat de l’habitation principale. Telle est l’histoire de cet article.
Hélas, celui-ci, que vous avez évoqué de nombreuses fois, monsieur le garde des sceaux, a rarement été mis en œuvre par les préfets.
Onze ans plus tard, nouveau petit pas. Grâce au soutien de la rapporteure de la loi Élan, le Sénat puis la commission mixte paritaire ont adopté un amendement que j’avais déposé visant à prévoir que la trêve hivernale ne s’applique pas aux squatteurs. Pour le garde des sceaux de l’époque, qui y était opposé, « cela tombait sous le sens ». Cependant, une fois que la disposition a été adoptée, les choses se sont éclaircies.
Comme j’ai pu le dire en 2021 à Dominique Estrosi Sassone et Henri Leroy, j’ai eu le bonheur de voir la relève enfin assurée. Je n’étais plus seule à souligner les iniquités du droit pour cet acte. D’ailleurs, si le texte de 2021 avait été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, nous n’aurions pas, aujourd’hui, à examiner ce nouveau texte.
Ne l’oublions pas, la notion de squat a été étendue aux résidences secondaires depuis la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap). Depuis un an, l’intervention des commissaires de justice devrait faciliter la procédure.
Quel plaisir, monsieur le garde des sceaux, de vous entendre reconnaître que le squat est un délit ! Au Sénat, les différents gardes des sceaux ne se sont pas toujours exprimés ainsi.
À mes collègues écologistes, qui remettent en cause cette proposition de loi, j’affirme que, amendée avec beaucoup de circonspection par nos deux rapporteurs, elle établit bien la distinction entre squatteurs et locataires. Je vous le demande : avez-vous été un jour en face d’une personne n’ayant pu rentrer chez elle à son retour d’un séjour à l’hôpital ou d’un voyage ?
M. Daniel Breuiller. Oui !
Mme Catherine Procaccia. Et on lui demande de justifier qu’il s’agit bien de son domicile, alors que l’on ne demande rien aux squatteurs et que ses documents ont peut-être été détruits à l’intérieur de son domicile !
Je remercie à cette occasion la commission, qui a repris l’un de mes amendements récurrents, adopté en 2021 par le Sénat et prévoyant que le préfet sollicite l’administration fiscale pour les titres de propriété ou d’occupation légale du logement. En effet, les propriétaires ne sont pas les seuls concernés. Les locataires, parfois, ne peuvent pas non plus rentrer chez eux.
Mes collègues qui défendent la motion d’irrecevabilité arguent qu’on ne pénètre pas dans le domicile d’autrui par plaisir et que chacun doit disposer d’un domicile décent. C’est un argument que nous sommes nombreux à comprendre. Toutefois, est-il normal, dans ce cas, que les serrures soient changées, tout comme le nom du titulaire de la quittance d’électricité, et que les squatteurs refusent de partir lorsque les propriétaires ou les locataires légitimes le leur demandent, y compris après un jugement de justice ? Et je ne parle pas de la dégradation des lieux !
Est-il normal que les décisions de justice rendues à la faveur des propriétaires du logement, parfois après plusieurs années, ne soient pas appliquées ?
M. Guy Benarroche. Non !
Mme Catherine Procaccia. Ce laxisme ne fait qu’entretenir les squatteurs dans leur sentiment d’impunité.
Non, monsieur Benarroche, tous les cas ne sont pas réglés. Ceux dont nous entendons parler à la télévision ou à la radio ne représentent pas tous les cas. Par ailleurs, ceux-ci ne sont pas aussi exceptionnels que vous le prétendez.
Le droit au logement existe, je l’affirme, mais il doit s’appliquer à tous, y compris aux titulaires du logement. C’est mon intime conviction.
J’estime également que les propriétaires évincés par les squatteurs devraient pouvoir être relogés et réellement indemnisés, si le préfet décide de ne pas exécuter une décision de justice.
Voter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, ce serait aussi rayer des avancées attendues depuis longtemps, comme l’accélération de la procédure contentieuse locative, ou celles qui ont été apportées par la commission, qui distinguent bien squatteurs et locataires qui ne payent plus et libèrent les propriétaires de leur responsabilité pour l’entretien de biens auxquels ils n’ont plus accès.
S’il y a, nous le savons, des propriétaires indélicats, il y a aussi des locataires indélicats. Rééquilibrer les droits permettra, je l’espère, de remettre sur le marché de la location de nombreux logements.
Toutes ces raisons font que le groupe Les Républicains, que je remercie de m’avoir permis de défendre ce texte, votera contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. Nos collègues souhaitent opposer l’exception d’irrecevabilité, considérant que la proposition de loi contrevient à nos grands principes, et notamment à l’objectif à valeur constitutionnelle de l’accès au logement.
La commission ne partage pas cette analyse. Le texte issu de ses travaux contient plusieurs dispositions qui viennent justement prévenir les expulsions et améliorer l’accompagnement social des locataires en difficulté.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cette motion.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce soir, après la séance, j’irai m’installer chez M. Guy Benarroche, avec toute mon équipe ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Ludovic Haye applaudit également.)
M. François Bonhomme. Ça va faire du bruit !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Immédiatement, je ferai en sorte de changer les serrures. Comme le font certains squatteurs, je mettrai une affichette à la fenêtre, pour vous dire que si, par effraction, vous voulez récupérer votre bien, je vous ferai poursuivre.
On marche sur la tête !
Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas la question !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il y a des gens qui ont bossé toute leur vie pour acheter un logement ! Je prenais tout à l’heure l’exemple de cette femme, qui part en l’Ehpad.
Vous savez, il existe des professionnels du squat : sur internet, on trouve des guides. Ainsi, on place un petit morceau de papier sur la porte et si l’on constate qu’il n’a pas bougé, cela veut dire que le logement est inoccupé. La propriétaire peut être en Ehpad ou partie en vacances…
Oui, c’est une infraction et cela doit être une infraction ! Je vous ai peut-être fait plaisir en le disant, madame la sénatrice Catherine Procaccia, mais cela correspond à ce que je pense, même si ce n’est pas ce qui a pu être dit par certains de mes prédécesseurs. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
M. Guillaume Gontard. C’est déjà le cas !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Sinon, il suffirait, parce que vous n’avez plus le respect de rien, d’entrer chez les gens pour que cela devienne votre domicile.
Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas cela, la proposition de loi !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Attendez deux secondes !
Au nom du dogmatisme et de l’idéologie, vous trouvez cela normal !
Mme Cécile Cukierman. Non, on ne trouve pas cela normal ! On ne parle pas de la même chose !
Mme le président. C’est M. le ministre qui a la parole, madame Cukierman. Vous aurez votre temps de parole.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je n’irai donc pas chez M. Guy Benarroche, mais chez vous, madame la sénatrice. On marche sur la tête ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Cécile Cukierman. On n’est pas au café du commerce !
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Sur ce sujet, ce sont les convictions et les passions des uns et des autres qui s’expriment. Je ne vous demande pas de venir chez moi, monsieur le garde des sceaux !
M. Pascal Savoldelli. Vous le voyez, vous n’êtes pas calme ! Vous avez plus d’assurance quand vous parlez tout seul ! Ici, vous êtes dans un hémicycle où une diversité d’opinions s’exprime.
Imaginer un récit dans lequel vous viendriez squatter le domicile d’un parlementaire… Franchement, le sujet est trop important !
M. Pascal Savoldelli. Certes, il existe une argumentation opposable à ce que je m’apprête à dire. Mais je ne m’appuierai pas sur un récit ou je ne sais quelle histoire. Je vous le dis, mais vous pouvez le contester, que nous voterons très certainement cette motion. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi, de manière calme et extrêmement respectueuse.
Aux yeux de notre groupe – peut-être avons-nous tort –, il y a un problème de déséquilibre entre deux droits : les droits à la liberté et les droits fondamentaux garantis par la Constitution, en particulier le droit au logement. Nous pensons – excusez-nous de penser ! – qu’il existe un déséquilibre dans la façon dont est abordée la question des squats et des impayés, avec un mélange des genres n’ayant pas lieu d’être et un déséquilibre entre le propriétaire et le locataire, opposant libertés et droits fondamentaux.
C’est un point de vue qui peut s’entendre ! Par conséquent, notre groupe soutiendra tranquillement la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité présentée par nos collègues écologistes. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour explication de vote.
Mme Viviane Artigalas. Comme nos collègues du groupe écologiste, nous estimons cette proposition de loi irrecevable.
C’est à juste titre que cette motion rappelle dans son objet la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 1995 élevant au rang d’objectif de valeur constitutionnelle la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent.
Ceux qui prendront la peine de relire cette décision verront que les sages citent des passages du préambule de la Constitution de 1946, qu’il paraît essentiel de rappeler ici ce soir : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. […] Elle garantit à tous […] le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence », y compris lorsqu’une personne se trouve dans l’incapacité de travailler en raison de son état physique ou de la situation économique.
Dès lors, notre groupe s’interroge sur un point particulier : les rédacteurs de cette proposition de loi estiment-ils que le fait de prévoir une peine d’emprisonnement pour punir quelqu’un demeurant encore dans son logement après avoir dû faire face à l’impossibilité de payer son loyer est la manière la plus adéquate pour notre nation d’assurer à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement et des moyens convenables d’existence ?
Parce que nous estimons que cette proposition de loi n’est ni recevable, ni acceptable, ni soutenable pour toutes les Françaises et tous les Français, notre groupe votera cette motion. Cette proposition de loi introduit un déséquilibre. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. L’objet de la motion me paraît d’une grande violence. En effet, parler d’« atteintes graves aux libertés individuelles » et d’une primauté prétendument absolue du droit de propriété, en invoquant le logement décent, comme s’il s’agissait d’un sauf-conduit pour bafouer les conditions les plus élémentaires de l’exercice du droit de propriété, me semble relever d’une drôle d’interprétation !
Monsieur Benarroche, vous qui ne manquez pas de références, je vous rappelle que le droit de propriété est le premier des droits affirmés en 1789. Ce n’est pas rien ! Il figure dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen au même titre que la sûreté, l’égalité, la liberté et la résistance à l’oppression.
Vous invoquez le droit au logement, qui est tout à fait admissible. Il existe toutefois une primauté que vous niez totalement. En invoquant à tout propos la crise du logement, qui est une réalité, vous niez le droit naturel qu’est le droit de propriété. Je le rappelle, les députés de l’Assemblée constituante en ont fait leur premier article. Il a ensuite été inséré à l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
À ce stade de la discussion, ce rappel me paraît nécessaire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je veux répondre très brièvement, madame la présidente, à l’interpellation de M. Pascal Savoldelli.
Je n’ai pas voulu vous offenser qui que ce soit. Ce que j’ai dit sur un ton peut-être un peu badin – peut-être n’aurais-je pas dû – correspond exactement à ce qui se passe. Le droit au logement dont vous vous faites le fervent défenseur existe, mais il ne revient pas à dire : « Pousse-toi de là que je m’y mette ! » Je suis désolé, cela ne peut pas être cela !
Je l’ai dit tout à l’heure, sous la forme d’un trait d’humour, à l’adresse de M. Guy Benarroche. Vous l’avez interprété comme quelque chose d’offensant. Si tel est le cas, je vous présente mes excuses.
Toutefois, c’est cela, le squat : je trouve un logement vide qui n’est pas à moi et, au nom du droit au logement, je m’y installe. J’interdis ensuite au propriétaire de récupérer son bien.
La propriété n’est ni sale ni moche. Elle est consacrée aussi par notre Constitution, il faut le rappeler. À mes yeux, ce texte a le mérite d’être équilibré, entre le droit au logement et le droit constitutionnel à la propriété privée.
Les situations que nous avons pu découvrir ces derniers temps au travers d’un certain nombre de reportages sont, à proprement parler, inacceptables.
M. François Bonhomme. Révoltantes !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Certaines personnes dorment, sur leur terrain, dans leur caravane, parce que leur appartement, pour lequel elles ont bossé toute leur vie, est occupé par des gens qui ont décidé que le droit au logement surpasse tous les autres droits. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) Pardon, mais je ne peux pas être sur une telle position ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et Les Républicains.)
Mme le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Mme le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme le président. Je suis saisie, par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 6.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger les logements contre l’occupation illicite (n° 279, 2022-2023).
La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la motion.
M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai en évoquant M. le Président de la République.
M. François Bonhomme. Il est locataire ! (Rires.)
M. Pascal Savoldelli. En 2017, Emmanuel Macron déclarait : « La première bataille, c’est de loger tout le monde dignement. […] Je ne veux plus, d’ici à la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois ou perdus. C’est une question de dignité. C’est une question d’humanité et d’efficacité là aussi. »
Ma question est la suivante : quelle est la place accordée, dans cette proposition de loi, à la dignité des plus vulnérables ? Depuis la création du droit au logement, inscrit dans la Constitution, qui permet l’expulsion sans jugement du domicile occupé illicitement, les textes successifs en matière d’expulsions sans jugement du domicile occupé illicitement se sont renforcés.
Ces réformes ont été alimentées par des faits divers souvent, veuillez m’excuser, surmédiatisés, donnant l’impression que les phénomènes du squat et des impayés de loyer, d’ailleurs injustement assimilés,…
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Mais non !
M. Pascal Savoldelli. … avaient pris une ampleur considérable. Nous serions face à un tsunami ! À vous croire, on serait dans un régime d’occupation !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Ce n’est pas ce que nous avons dit !
M. Pascal Savoldelli. Pourtant, mes chers collègues, nous sommes loin d’être laxistes en la matière. Ces phénomènes restent très rares. Certains ne veulent pas le reconnaître, mais le squat est loin d’être la première issue voulue par les personnes. C’est une solution forcée, qui découle de l’incapacité de l’État – je sais qu’il ne faut pas en parler ! – à permettre la mise à l’abri et l’accès au logement de tous.
Dites-moi si je me trompe, monsieur le ministre du logement : sur l’exercice 2022, vous avez construit 84 000 logements sociaux. (M. le ministre acquiesce.) Nous disons donc la même chose. Mais, au vu de la situation, il faudrait en construire 150 000 tous les ans, pendant dix ans.
Vous venez d’ailleurs d’envoyer aux préfets une missive évoquant la question du froid. J’évoquerai tout à l’heure la durée nécessaire pour obtenir un hébergement d’urgence au 115, mais vous connaissez la situation.
Nous ne pouvons pas ignorer l’insuffisance de la réponse de l’État, si on ne veut pas de gens à la rue et privés de leur droit au logement.
Il convient de le souligner, juridiquement, l’occupation illicite d’un bien immobilier porte le plus souvent une atteinte réparable au droit de propriété. Le propriétaire peut déjà obtenir une indemnisation satisfaisante des loyers impayés ou des dégâts causés par les occupants sans droit ni titre. Pourquoi cette loi fait-elle l’impasse sur ces dispositifs déjà existants ?
En fin de compte, l’enjeu de cette proposition de loi est d’élever le droit de propriété à finalité lucrative au rang de valeur suprême. Telle est la question, dont il est normal que nous débattions.
Cette valeur, aux yeux des auteurs de ce texte, doit primer sur tous les autres principes, y compris celui de la sauvegarde de la dignité humaine, car, oui, le but avoué de cette proposition de loi est d’aggraver le déséquilibre de la relation entre le bailleur et le locataire au détriment de ce dernier. La tendance est ainsi – le mot est dur, mais nous y viendrons – à criminaliser les locataires qui rencontrent le plus de difficultés.
Face aux intentions qui ont présidé à la rédaction de cette proposition de loi, qui ne sont pas ou sont peu en adéquation avec les réalités économiques et sociales de notre pays, une piqûre de rappel s’impose. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste dénonce d’ailleurs l’incapacité de l’État à respecter ses obligations en matière de droit au logement. Aujourd’hui, l’urgence est d’éviter que davantage de personnes et de familles en situation de précarité ne se retrouvent à la rue ! N’oublions pas que, en France, par le 115, on n’obtient qu’une fois tous les cinq jours une place d’hébergement. (M. le ministre délégué le conteste.)
Mme Valérie Boyer. Quel est le rapport ?
M. Pascal Savoldelli. C’est bien cela, monsieur le ministre ?
M. Pascal Savoldelli. Je vérifierai ce qu’il en est dans mon beau département, le Val-de-Marne…
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste en est convaincu, pour prévenir les drames humains tout en protégeant le droit des propriétaires – n’opposons pas ces deux principes : regardons ce qu’on appelle l’intérêt général –, il faut remettre sur pied la garantie universelle des loyers (M. Daniel Breuiller et Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudissent.), renforcer les moyens d’hébergement et relancer la construction de logements sociaux, soit tout l’inverse de ce qui est proposé dans ce texte. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Ce n’est pas une loi sur le logement !
M. Pascal Savoldelli. Mes chers collègues, nous devons nous rendre compte de la gravité de cette proposition de loi. Si nous la votons, des locataires en situation d’impayés de loyer se verront appliquer pour la première fois…
Mme Valérie Boyer. Ce sont les spoliations qui sont visées !
M. Pascal Savoldelli. … des dispositions habituellement réservées aux occupations illicites résultant d’une intrusion, avec, à la clé, une peine de prison !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Non !
M. Pascal Savoldelli. C’est écrit noir sur blanc !
Nos prisons – j’espère que vous serez d’accord avec moi, monsieur le garde des sceaux – sont plus que surpeuplées. (Mme Valérie Boyer mime la brasse coulée.) J’apprends par exemple que, dans la plupart des prisons, on atteint des taux de surpeuplement allant de 140 % à 160 % ! Ce chiffre est authentique, personne ne me contredira : cela fait pas mal de vérités exprimées, tout compte fait !
M. Pascal Savoldelli. Sous le prétexte détourné de protéger les petits propriétaires face au squat de leur domicile, pourtant déjà puni par la loi d’un an de prison et de 30 000 euros d’amende, ainsi que d’une expulsion sans jugement en quarante-huit heures, la présente proposition de loi s’attaque en réalité à toute personne en situation de pauvreté ou de mal-logement ou confrontée à un accident de la vie. En plus d’être incohérent avec les intentions affichées par le Gouvernement en matière de prévention des expulsions, de « logement d’abord » et de lutte contre les marchands de sommeil – à la trappe, tout ça ! –, ce texte promet un accroissement considérable du mal-logement, sachant que, selon la Fondation Abbé Pierre, le besoin de construction est de 150 000 logements sociaux par an pendant dix ans.
L’absence de politique gouvernementale est au cœur du débat que nous avons ce soir. Excusez-moi de soulever ce problème, mes chers collègues – d’aucuns y verront une forme de cavalier législatif –, mais la question du logement est inséparable de celle de l’autonomie financière…
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Ce n’est pas le sujet !
M. Pascal Savoldelli. C’est ainsi la question des salaires qui s’invite dans cette discussion sur les impayés. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Cécile Cukierman. Eh oui !
M. François Bonhomme. Et le réchauffement climatique ?
Mme Valérie Boyer. Et la fin du monde ?
M. Pascal Savoldelli. Quid, par exemple, d’une revalorisation du point d’indice de la fonction publique à hauteur de l’inflation ? (M. le garde des sceaux fait la moue.)
Monsieur le garde des sceaux, vous voulez aller chez l’habitant – je vous invite volontiers à la maison –, mais, nous sommes bien d’accord, vous n’avez, vous, aucun problème financier pour vous loger ?
Il est indiscutable que, faute d’efforts dans ce domaine – je songe à la réforme des aides au logement –, les retards de paiement des loyers exploseront. J’étais récemment avec des gens de ma ville, dans une cité : ils ont acheté des radiateurs, leur facture d’énergie a explosé. De quoi parle-t-on ? Les problèmes d’impayés vont très rapidement se multiplier !
D’ailleurs, monsieur le ministre du logement, une proposition constructive aurait été d’intégrer le montant des charges dans le calcul des APL : ainsi aiderait-on les gens les plus modestes à honorer le paiement de leur loyer, car vous savez le poids des charges dans le coût du logement.
On voit s’accumuler les coupures d’énergie ou d’eau, ou les baisses de débit… Ce n’est vraiment pas le moment d’adopter pareil texte, alors que tant de gens vont se retrouver par définition exclus du marché du logement, parce que, de toute façon, ils ne pourront pas payer leurs factures ! On risque de se retrouver dans une situation que je considère comme assez explosive.
Je vais maintenant faire un peu de sociologie, même si je sais que les sciences humaines n’ont pas toujours bonne presse chez certains de mes collègues…
M. Pascal Savoldelli. Vous êtes bien cavalier, pour un ministre…
La privation de domicile, monsieur le garde des sceaux, peut être la première étape d’un processus de désaffiliation sociale conduisant aux formes les plus graves d’exclusion.
M. Pascal Savoldelli. Comme le souligne la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Winterstein et autres contre France du 17 octobre 2013, la perte d’un domicile entraîne souvent des atteintes à d’autres droits cruciaux « pour l’identité de la personne, l’autodétermination de celle-ci, son intégrité physique et morale, le maintien de ses relations sociales ainsi que la stabilité et la sécurité de sa position au sein de la société ».
Ce sujet, on le mesure, est d’une extrême importance.
Si la procédure pénale visant à réprimer le comportement des occupants en cas de violation de domicile ou de dégradation de biens peut entraîner des interpellations, elle ne peut en aucun cas constituer un mode d’expulsion. Pourtant, l’article 1er A de la proposition de loi, en prévoyant que le délit de violation du domicile puisse être constitué lorsqu’une personne pénètre légalement dans un logement mais s’y maintient illicitement, autorise un recours plus large, et sur une durée presque illimitée, à la procédure de flagrance. On a là une procédure pénale qui n’est autre qu’un mode d’expulsion ! Cette disposition n’est ni nécessaire ni proportionnée.
Notre groupe dénonce ainsi un texte définitivement dangereux pour de multiples droits fondamentaux. Comme le rappelle le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, M. Jean-Marie Burguburu, cette proposition de loi fait peser sur les associations qui travaillent auprès des personnes mal logées ou sans abri la menace de se voir appliquer le nouveau délit de propagande ou de publicité en faveur de méthodes visant à inciter à l’occupation sans titre. Nous craignons pour leur liberté d’expression. Les associations risquent de se trouver sous le joug d’une condamnation délictuelle en raison des récits, reportages ou dénonciations qu’elles relaient…
Mme le président. Votre temps de parole est écoulé, mon cher collègue ; vous aurez d’autres occasions de vous exprimer.
M. Pascal Savoldelli. Je n’y manquerai pas. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est clair : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »
Bien que le droit de propriété ait une valeur constitutionnelle, nous continuons de faire face à des violations de domicile et à des occupations de biens immobiliers par des squatteurs. Pourquoi vouloir revenir sur ces acquis de la Révolution française ? C’est paradoxal…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Parce que, depuis, la République est devenue sociale !
Mme Valérie Boyer. Et, une fois de plus, alors que nous tentons d’obtenir davantage de justice – lutter contre la spoliation de la propriété, c’est bel et bien lutter pour la justice – et de fermeté, on nous oppose l’« humanité », comme si ces deux notions étaient incompatibles, alors qu’elles sont complémentaires, comme si nous ne devions faire preuve que d’humanité envers ceux qui ne respectent pas la loi, au détriment du droit des propriétaires. Où est l’humanité quand on spolie les personnes ?
En effet, de quoi parlons-nous ? Vous l’avez dit, monsieur le ministre, et j’ai été ébahie de constater que, pour une fois, nous étions d’accord : nous parlons de retraités qui ont économisé toute leur vie ; de jeunes propriétaires qui se sont endettés pour s’offrir un toit et y fonder une famille ; de souvenirs volés et de rêves brisés par des individus qui se pensent au-dessus des lois. Le droit au logement n’est pas le droit de voler ou de détruire ! (MM. Guy Benarroche et Daniel Breuiller protestent.)
Ces individus connaissent et utilisent les failles du droit. Et je veux remercier la presse, qui se fait l’écho des situations dramatiques qui ont été évoquées.
N’en déplaise à certains, nous parlons de propriétaires qui sont souvent bien modestes. J’en donne quelques exemples.
En 2020, après un tour du monde écourté pour des raisons de santé, Maryse et Pierre avaient voulu retourner vivre dans leur maison, mise en location le temps du voyage. Mais la nouvelle habitante a refusé de quitter les lieux ; elle a ensuite cessé de payer le loyer et les charges.
Voilà quelques jours, à Pamiers, dans l’Ariège, Georgette, 75 ans, qui pensait vivre une retraite heureuse dans la petite maison qu’elle s’était achetée en centre-ville plus de vingt ans auparavant, expliquait dans la presse que l’homme qui y avait mené des travaux de rénovation refuse de quitter les lieux.
À Mazingarbe, dans le Pas-de-Calais, juste après les fêtes de Noël, une maison a été squattée et saccagée et, pis encore, son propriétaire séquestré pendant plusieurs jours… Les squatteurs sont revenus à deux reprises, par la suite, pour voler de la nourriture dans le réfrigérateur de la victime. (MM. Guy Benarroche et Guillaume Gontard lèvent les yeux au ciel.)
De telles situations sont humainement dramatiques.
Mégane, qui avait hérité d’une maison squattée à Fressenneville, dans la Somme, a ému les Français, en octobre 2022, en évoquant son combat pour la récupérer. Contrainte d’installer une tente et d’accrocher des banderoles et des pancartes devant sa maison pour dénoncer l’absurdité de la situation – une propriétaire de 24 ans à la rue, un squatteur à l’abri ! –, elle espérait faire évoluer les choses avant la fin de la trêve hivernale, le 1er avril 2023. Elle dénonçait la lenteur de la procédure administrative d’expulsion. En ce début d’année, son constat est amer : « Pour la maison, malheureusement, il n’y a aucun changement, puisqu’il n’est pas expulsable avant la fin de la trêve hivernale », explique-t-elle.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Qu’a fait le préfet ?
Mme Valérie Boyer. Où est l’humanité ?
Malheureusement, ces cas médiatisés ne sont pas les seuls : il en existe de nombreux autres. Militer pour un logement digne est compréhensible ; excuser la destruction ou la spoliation du bien d’autrui ne l’est pas, bien au contraire : c’est à la fois incongru et injuste.
Ces atteintes manifestes au droit de propriété sont inacceptables, alors que la France n’est pas, hélas ! un cas isolé : nos voisins européens connaissent des situations similaires. Les propriétaires victimes de pareilles occupations illicites, qui font pourtant valoir leur bon droit, se trouvent dans des situations d’impuissance qu’il est de notre devoir de régler, sachant que les maires aussi, en la matière, sont démunis.
Au choc s’ajoutent les frais de justice, le coût des réparations et les délais inacceptables.
Eu égard aux différentes situations dont nous sommes saisis, dans nos circonscriptions, concernant de telles occupations illicites, il est logique que nous, représentants du peuple français, représentants des communes, nous fassions ce qui est en notre pouvoir pour mieux protéger nos concitoyens.
Nous ne sommes pas seulement face à des faits divers : nous sommes face à de véritables drames. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) Surtout, nous sommes face à une réalité : le droit n’est pas respecté. Les propriétaires se sentent souvent démunis, voire abandonnés par les pouvoirs publics. Pis, ils estiment que le droit n’est pas de leur côté et qu’à l’inverse il protège ceux qui occupent une maison en toute illégalité.
Ces situations anormales sont un défi lancé au grand jour à l’autorité de l’État et à sa capacité de garantir l’ordre public. Elles sont inadmissibles dans notre État de droit.
Si l’État ne remplit pas ses obligations les plus élémentaires, comme celle de faire cesser les atteintes au droit de propriété, alors notre contrat social est en péril. C’est pourquoi il est de notre devoir de parlementaires d’agir. Je ne peux donc que regretter que le Gouvernement perde autant de temps s’agissant d’une question si grave.
Mme Valérie Boyer. Voilà des années que, avec ma famille politique, Les Républicains, nous formulons des propositions qui sont systématiquement rejetées ou archivées – il a pu leur arriver d’être reprises, mais tardivement, par la majorité présidentielle. Je salue en particulier notre ancien collègue député Julien Aubert et notre collègue sénatrice Dominique Estrosi Sassone, qui ont travaillé sur cette question et dont les recommandations furent rejetées en 2020.
En mars 2019, Julien Aubert et moi-même avions déposé une proposition de loi visant à porter à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende le quantum de la peine applicable à l’appropriation du bien d’autrui sans motif légitime ainsi qu’à accroître la capacité des pouvoirs publics à évincer les squatteurs dans des délais rapides, mais aussi à qualifier ce délit.
Ces dispositions, présentées au moment de l’examen du projet de loi Asap – devenu loi Wargon –, ont presque toutes été rejetées. Je le regrette : depuis, que de temps perdu, que d’injustices !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pourquoi n’avez-vous pas agi quand vous étiez en position de le faire ?
Mme Valérie Boyer. Le 1er décembre dernier, les députés du groupe Les Républicains devaient inscrire à l’ordre du jour un texte sur ce sujet. Malheureusement, la majorité présidentielle, comme souvent, a souhaité reprendre une grande partie de nos recommandations et les insérer dans son propre texte au lieu d’engager un travail commun sur la base de nos réflexions.
M. François Bonhomme. Et les droits d’auteur ? (Sourires.)
Mme Valérie Boyer. Ce qui compte, néanmoins, c’est bien sûr l’intérêt des Français. Je déplore, mes chers collègues, sur ce sujet comme sur d’autres, que la majorité présidentielle perde son temps en stratégies et en récupérations politiciennes. Dans l’intervalle, les injustices courent et les situations de détresse prospèrent, au grand dam des Français : tant de temps perdu pour revenir en définitive, avec ô combien de retard, à ce que nous avions déjà proposé…
Quant à nous, nous sommes constants sur cette question. Nous soutenons donc ce texte assorti des modifications apportées par la commission des lois – et je remercie notre collègue rapporteur André Reichardt. Je vous invite par conséquent, mes chers collègues, à vous rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable.
Notre souci est de protéger davantage les Français, les propriétaires, mais aussi de lutter contre le recours à une justice privée, qui est la conséquence regrettable de l’impuissance d’une action publique considérée comme injuste.
Comment ne pas être révolté devant ces reportages montrant des familles dont le bien est occupé, dégradé, saccagé pendant des années, et qui doivent de surcroît s’acquitter de frais de justice ? Une telle situation s’est produite à Marseille, dans le XIIe arrondissement : je me souviens très bien avoir reçu les propriétaires de la maison concernée ; lorsque l’évacuation a enfin eu lieu, eux qui avaient été si seuls pendant toutes ces années ont vu les services sociaux voler au secours des personnes qui les avaient spoliés, qui avaient volé tous leurs souvenirs et dégradé la maison de leur enfance quand toutes les voies de recours semblaient épuisées.
M. François Bonhomme. Bravo !
Mme Valérie Boyer. Autant il est tout à fait normal de prendre en compte des situations de mal-logement, autant il y a dans les cas que je vous ai présentés l’expression d’une injustice et d’un aveu d’impuissance, et comme une prime aux personnes qui trichent et qui volent, spoliant les honnêtes gens.
Derrière ce texte, il y a des décennies de souffrance pour des citoyens honnêtes qui ont été broyés par les travers du droit, et il y a même une économie (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.) : il arrive que des personnes sollicitent ces pauvres Français spoliés, leur proposant de racheter leur maison à vil prix avant, armées de gros bras, de faire pression sur les squatteurs pour qu’ils partent !
M. Guy Benarroche. C’est digne de Cendrillon…
Mme Valérie Boyer. Tout cela est particulièrement injuste. Il faut protéger nos concitoyens qui respectent le droit ! Les personnes qui connaissent de telles difficultés nous regardent aujourd’hui ; soyons leurs porte-parole. Espérons, surtout, qu’en leur redonnant confiance dans la propriété, nous encouragerons ces personnes à remettre leur bien en location ; ainsi contribuerons-nous à atténuer la crise du logement plutôt que de l’aggraver en laissant perdurer les incertitudes qui pèsent sur les propriétaires. (Soupirs sur les travées du groupe GEST.)
C’est sur des mesures simples que je vous demande, mes chers collègues, de vous engager ; si nous sommes ici, c’est pour œuvrer en faveur des Français et de l’intérêt général.
Si vous me le permettez, je conclurai en citant Jaurès : « Le premier des droits de l’homme… (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pas vous !
Mme le président. Votre temps de parole est épuisé, ma chère collègue.
Des sénateurs des groupes CRCE et GEST. On l’a échappé belle !
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. Nos collègues du groupe CRCE rappellent l’ampleur de la crise du logement. Ils évoquent à juste titre les chiffres de 300 000 personnes sans abri et de 3 millions de logements vacants.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et cela ne vous émeut pas ?
M. André Reichardt, rapporteur. Ces données démontrent, s’il en était besoin, la nécessité de réformer le marché du logement. Mais beaucoup de propriétaires hésitent à mettre leur bien en location parce qu’ils craignent d’avoir toutes les peines du monde à le récupérer en cas d’impayés de loyer.
La présente proposition de loi vise précisément à rétablir la confiance pour ramener des logements sur le marché de la location.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’importe quoi !
M. André Reichardt, rapporteur. Elle a également pour objet de lutter avec davantage de fermeté contre un phénomène distinct de celui que je viens d’évoquer, à savoir le phénomène du squat.
J’ajoute, cher Pascal Savoldelli, que nous avons 80 amendements à examiner sur ce texte, dont certains émanent du groupe CRCE ; or je m’apprête précisément à aller dans le sens que vous souhaitez en émettant un certain nombre d’avis favorables… Pourquoi voudriez-vous que nous arrêtions là notre discussion alors qu’il est sans doute possible d’avancer, pour le bien-être des locataires comme des propriétaires de ce pays ?
Je vous demande donc, mon cher collègue, de bien vouloir retirer votre motion tendant à opposer la question préalable ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Klein, ministre délégué. Avis défavorable également.
Nous l’avons dit, ce texte est équilibré. À aucun moment, j’y insiste, il ne mélange les squatteurs et les personnes en situation d’impayés de loyer.
M. Olivier Klein, ministre délégué. Le texte sera encore amélioré ; il l’a déjà très largement grâce au travail de la commission, notamment sur la question de la bonne foi. Soyez vous-mêmes de bonne foi ! Vous savez bien – la lecture du texte suffit à s’en convaincre – qu’aucun locataire de bonne foi ne finira en prison pour impayés de loyer.
Je vous livre maintenant quelques chiffres, mesdames, messieurs les sénateurs, sur la situation actuelle : 203 000 places d’hébergement sont ouvertes dans ce pays ; ce chiffre n’a jamais été atteint, par le passé, par aucun des gouvernements précédents. Autre chiffre extrêmement important : 5,7 millions d’euros sont dépensés chaque soir par l’État pour mettre des personnes à l’abri. Je puis vous assurer que nous menons, avec toutes les associations, un travail quotidien, certes difficile à percevoir, pour obtenir de tels résultats…
Le plan Logement d’abord, lancé par le gouvernement précédent, a déjà permis à 440 000 personnes de quitter la rue et de trouver un logement. Aucun gouvernement n’avait agi dans cette proportion en ce domaine ; nous honorons là un engagement fort. Demain, lors du conseil des ministres, je ferai une communication sur l’acte II du plan Logement d’abord. Et j’irai, comme tous les ans, à la présentation du rapport de la Fondation Abbé Pierre pour dire que le mal-logement est un mal insupportable, que nous travaillons à combattre depuis des années.
Comme ancien maire de Clichy-sous-Bois, largement confronté aux squatteurs, je suis bien placé pour le savoir : si les copropriétés dégradées sont dans un tel état, si, par exemple, le chantier de la démolition du Chêne Pointu a près d’un an de retard, c’est parce que nous n’avons pas toujours eu tous les moyens de lutter contre les squatteurs.
Vous le savez aussi bien que moi, monsieur Savoldelli : en tant qu’élu du Val-de-Marne, vous connaissez ces situations. Quant à vous, madame Lienemann, en tant qu’actrice du logement social, vous ne tolérez pas le squat, et vous avez raison, car ce phénomène est insupportable.
Comme vous, nous protégeons les gens qui sont en situation d’impayés de loyer. Comme vous – j’y suis très attentif –, nous luttons contre les expulsions locatives et continuerons de le faire, car chaque expulsion est un échec. J’ai présidé, depuis que je suis ministre, toutes les Ccapex. Et j’ai réuni dernièrement l’ensemble des énergéticiens pour qu’ils accroissent encore leur contribution au pot des fonds de solidarité pour le logement (FSL), car tel est leur devoir.
Pour ma part, je ne suis pas sûr d’avoir beaucoup de leçons à recevoir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. On nous décrit encore et encore, à juste titre, quelques cas dramatiques : une personne voit son domicile habituel occupé par des squatteurs. Normalement, la loi protège déjà les citoyens contre ce genre d’occupations. Je ne sais par quelle incurie du système on échoue à faire appliquer le droit en vigueur, car il est évidemment interdit d’aller s’installer dans le logement d’autrui !
J’aurais été tout à fait disposée, si l’on nous avait expliqué pourquoi la loi est mal foutue, à ce qu’elle soit durcie sur ce point ! D’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, je vous enverrai la liste des bailleurs sociaux qui, dans un passé récent, ont saisi le procureur de la République d’une demande relative à des squats illicites de leurs logements ; ces demandes sont systématiquement classées sans suite – il m’est arrivé d’interpeller le préfet à ce propos.
Par ailleurs, tous les squats ne relèvent pas de ce genre de cas. Certains squatteurs occupent des locaux vides depuis des lustres ; ce n’est pas bien, c’est sûr. Mais où iront-ils, avec leurs gamins, s’ils sont délogés ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Et les services sociaux ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est précisément la question que vous ne posez pas. Je ne parle pas là de ceux qui occupent le domicile d’autrui, dont le nombre est infime.
Ceux dont je parle maintenant, où iront-ils ? Ceux-là, vous ne pleurez pas sur leurs gosses ! Il n’y a pas assez de logements pour loger toutes les personnes concernées, vous le savez bien – tous les maires le savent.
M. Guy Benarroche. Exactement !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. On aurait donc pu être beaucoup plus pragmatique ; j’ai d’ailleurs en mémoire que Mme Procaccia, lors d’un débat précédent, avait clairement dit que l’enjeu était celui de l’occupation illicite de domiciles.
Mme le président. Il est temps de conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Une seule solution : la garantie universelle des loyers ; j’en ferai la proposition.
Mme le président. Je vous remercie, mes chers collègues, de respecter le temps de parole qui vous est imparti.
La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour explication de vote.
Mme Viviane Artigalas. Comme ma collègue, je considère qu’il n’y a pas lieu de légiférer de nouveau sur la question du squat. Nous sommes évidemment tous ici contre l’occupation illicite de logements par des squatteurs. En application de la loi Asap de 2020, le délai d’évacuation d’un squatteur est désormais de soixante-douze heures ; cela permet en principe de mettre fin rapidement aux occupations illicites de logements. Pourquoi la loi ne s’applique-t-elle pas comme elle le devrait ? Je ne le sais pas plus que ma collègue…
En outre, depuis le 1er février 2022, un accompagnement est proposé aux propriétaires victimes de squat jusqu’à la restitution de leur logement. Il n’y a pas lieu de légiférer pour prendre des mesures toujours plus répressives sans gain d’efficacité – les petits propriétaires ne seront pas davantage protégés.
Concernant le deuxième volet de la proposition de loi, qui est une atteinte aux procédures de prévention des impayés et des expulsions locatives, il n’y a pas lieu de délibérer non plus, dans un pays qui compte 15 millions de familles fragilisées par la crise du logement, dans un pays où le logement pourrait être la bombe sociale de demain, comme vous l’avez si bien rappelé, monsieur le ministre du logement.
Ce texte n’est pas un texte de justice sociale, contrairement à la présentation qui en est faite par la majorité présidentielle.
Il n’est pas équilibré, car il accroît la pression sur les plus vulnérables de nos concitoyens, contrairement à ce que vous soutenez, monsieur le ministre du logement.
Il n’est pas du tout consensuel : les instances de défense des droits de l’homme y sont fortement opposées, tout comme l’ensemble des acteurs de la solidarité et les services sociaux. En conséquence, notre groupe votera la motion tendant à opposer la question préalable déposée par nos collègues du groupe CRCE. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt notre collègue Savoldelli. Son propos me semble l’illustration d’une certaine inversion des valeurs et de la logique. En effet, je ne vois pas en quoi le risque d’exclusion – et je ne parle pas du risque d’atteinte à la vie privée – justifierait tout, y compris les violations caractérisées de domicile, en totale négation du droit de propriété.
À mon tour de faire une piqûre de rappel en évoquant non pas la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais la Constitution de 1793, qui a été validée, vous le savez, par un certain Robespierre,…
Mme Cécile Cukierman. C’est quand ça vous arrange, Robespierre !
M. François Bonhomme. … bien connu pour son sens de la mesure et son humanisme. (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Figurez-vous, mes chers collègues, que l’article 2 de ce texte réaffirme le caractère sacré et inaliénable du droit de propriété ; et, si cela n’était pas suffisant, son article 19 dispose que « nul ne peut être privé de la moindre portion de sa propriété sans son consentement ». Cela vaut tous les discours…
Mme Cécile Cukierman. C’est la différence entre vous et moi, monsieur Bonhomme : je n’ai jamais, pour ma part, cité Robespierre !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. La Constitution de 1793 reconnaît aussi le droit d’expropriation pour cause d’utilité publique…
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Je veux donner raison à Mme Boyer : je suis d’accord avec vous, ma chère collègue, il faut tout faire pour protéger nos concitoyens.
Je rappellerai donc un certain nombre de chiffres déjà cités ; derrière ces chiffres, il y a, précisément, des femmes et des hommes qu’il faut protéger.
Le nombre de personnes sans domicile fixe a été multiplié par deux en dix ans, pour atteindre 330 000 aujourd’hui. Selon la Fondation Abbé Pierre, 85 000 foyers sont reconnus comme étant en attente de logement au titre du droit au logement opposable ; il y a 2 millions de demandeurs de logement social, 4 millions de mal logés, 3,1 millions de logements vacants. En 2021, la rue a tué 623 personnes.
Oui, en effet, nous devons protéger nos concitoyens et nos concitoyennes. Le 115, cela a été dit, refuse un hébergement à plus de 6 000 personnes, dont 1 700 enfants ; 42 000 enfants, en France, sont à la rue et sans abri. Peut-on s’en satisfaire ? Un logement sur dix est vacant – la hausse est de 55 % en vingt ans.
Quant aux squats, qui sont l’objet de notre discussion, ils représentent 0,05 % des logements recensés. Gardons le sens des réalités !
J’aurais aimé que le ministre du logement, qui a dit qu’il n’avait pas de leçons à recevoir, nous invite à débattre ce soir, plutôt que d’actes qui sont déjà punis par la loi – certes, la question de son application mérite d’être posée –, de garantie universelle des loyers, d’encadrement des loyers, de revalorisation des APL (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),…
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Ce n’est pas le sujet !
M. Guillaume Gontard. … de respect de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), autant de réelles solutions susceptibles de protéger nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° 6 tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 116 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 91 |
Contre | 253 |
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Denis Bouad. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Denis Bouad. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, bien souvent, pour être pertinente et efficace, une mesure politique doit s’inscrire dans un bon timing et porter un juste équilibre. Le texte dont notre assemblée doit débattre aujourd’hui ne satisfait pas ces deux exigences. À mes yeux, il n’est ni équilibré ni dans la bonne temporalité. Sur un sujet comme celui-ci, la complexité relève de l’arbitrage entre le droit à la propriété et le droit au logement.
Concrètement, il s’agit de concilier la protection des locataires et celle des bailleurs.
Nous nous devons de faire la différence entre certains faits divers médiatisés et la réalité des chiffres qui nous démontrent que, fort heureusement, ces situations restent exceptionnelles. Dans son rapport, la Défenseure des droits indique d’ailleurs que le squat reste un phénomène très marginal.
En 2021, sur l’ensemble du pays, seulement 160 squats de domicile ont été signalés. Et, selon les chiffres communiqués par Mme la rapporteure pour avis, il n’y aurait eu qu’environ 40 cas d’intervention effective de la force publique. Dans une grande majorité des cas, les propriétaires ont pu retrouver leur logement sans recourir à la justice. La loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique a également permis d’accélérer les procédures liées à l’occupation illégale d’un logement. Cela témoigne que l’arsenal législatif en vigueur nous permet déjà d’apporter des réponses à ces situations.
Aussi, sur ce point, nous nous retrouvons assez bien dans la position du président de notre assemblée qui, lors de ses vœux, appelait à une certaine forme de sobriété législative. Plutôt que de légiférer une nouvelle fois sur ce sujet, veillons à l’application du droit existant !
Au-delà de la simple question du squat, la protection des propriétaires contre des situations abusives est une préoccupation plus que légitime… Nous devons traiter ce problème, tout en conservant l’ambition de faire des expulsions une solution de dernier recours. Si celles-ci sont parfois nécessaires pour libérer le bien d’un propriétaire, il n’en demeure pas moins qu’elles créent des situations humaines compliquées.
La réduction des délais de traitement des contentieux telle qu’elle est prévue dans cette proposition de loi remet en cause l’ensemble du travail d’accompagnement social et de relogement. Cela pose d’abord la question de l’efficacité : dans des délais aussi contraints, comment mobiliser les aides nécessaires à une régularisation de la dette ? Comment, le cas échéant, chercher une solution de relogement ?
Toutes les associations du secteur nous le disent : le délai de deux mois entre le commandement de payer et l’assignation en justice n’est pas de trop ! Le texte adopté par l’Assemblée nationale prévoyait de limiter ce délai à un mois…
Madame, monsieur les rapporteurs, vous avez reconnu le caractère contre-productif d’une réduction de la période au cours de laquelle la majeure partie des impayés se résolvent. Vous avez ainsi ramené ce délai à six semaines.
Si quinze jours de plus ou de moins ne bouleversent pas fondamentalement l’intérêt du propriétaire bailleur – cela peut même aller à l’encontre de son intérêt –, le même délai en plus ou en moins risque d’avoir des conséquences fort dommageables sur le travail d’accompagnement social qui doit être effectué auprès des locataires en difficulté.
Concrètement, mes chers collègues, ce texte nous conduit à légiférer pour réduire de deux semaines les délais de procédure de prévention des expulsions ! On y revient : c’est parfait… Au-delà de l’efficacité de cette mesure, dont on peut douter, s’agit-il pour nous, collectivement, d’une urgence et d’une priorité, alors même que les difficultés d’accès au logement et de maintien dans celui-ci persistent dans notre pays, voire s’aggravent ?
Mon groupe demande le maintien des délais actuels, nécessaires pour prévenir les expulsions, pour trouver les solutions d’une reprise des paiements et, au besoin, pour mettre en place un accompagnement social. Il s’agit là d’une demande forte de l’ensemble des acteurs de la solidarité.
Je tiens néanmoins à saluer le travail de Mme le rapporteur pour avis, lequel a permis de supprimer certaines dispositions totalement déraisonnables qui étaient inscrites dans le texte transmis par l’Assemblée nationale.
Je pense ici à l’amalgame qui était fait entre « squatteurs » et « locataires en défaut de paiement ».
Je pense aussi à la suppression de certaines prérogatives que le juge peut exercer d’office, et qu’il était question de conditionner à une demande des locataires.
Cela traduit l’ambition des auteurs de ce texte qui est de déséquilibrer le système existant, en fragilisant des locataires en difficulté et souvent de bonne foi.
Je salue également la proposition visant à renforcer le rôle des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex). Mais qu’en sera-t-il des moyens concrets pour agir ? Y aura-t-il davantage de personnel pour accompagner cette évolution ?
Si le contenu de cette proposition de loi nous pose question, pour les raisons que je viens d’évoquer, nous nous interrogeons également sur sa temporalité.
Dans cet hémicycle, nous avons eu régulièrement l’occasion de débattre de la crise du logement que traverse notre pays. Il y a seulement quelques semaines, lors de l’examen du projet de loi de finances, nous étions nombreux, sur les travées de cette assemblée, à partager cette préoccupation.
Aujourd’hui, en France, quelque 14,6 millions de personnes sont fragilisées par la crise du logement ; plus de 4 millions sont mal logées, dont 300 000 sont dépourvues de domicile ; 12 % des foyers sont en situation de précarité énergétique ; 2,2 millions de ménages sont dans l’attente d’un logement social.
Face à cette crise du logement, cette proposition de loi est à contre-emploi et à contresens.
Nous savons que des propriétaires peuvent se retrouver eux-mêmes dans une situation difficile, car ils subissent des impayés de loyers de la part de leurs locataires. Ces situations ne sont pas acceptables. Nous devons les regarder en face et, bien sûr, y répondre.
Ce texte, qui arrive après cinq ans d’une politique consistant à faire des économies sur le logement des ménages les plus modestes, est-il réellement de nature à sécuriser les petits propriétaires bailleurs ? Est-il de nature à inciter les investissements locatifs ? Est-il de nature à alléger les procédures de sélection appliquées au moment de la mise en location ?
Les rapports entre propriétaires et locataires sont certes importants, mais la réalité, aujourd’hui, qu’il s’agisse de location ou d’achat, c’est que les logements sont de plus en plus inaccessibles pour une grande partie de nos concitoyens. C’est l’un des principaux facteurs d’inégalité dans notre pays. Face à un tel défi, ce sont des politiques structurelles et ambitieuses qui doivent être mises en place.
En réponse à l’explosion des dépenses de logement, nous devons réfléchir à une revalorisation des aides au logement, et notamment à une réévaluation du forfait « charges » des APL.
Nous devons agir sur le prix du foncier en mettant en œuvre une réelle stratégie de mobilisation du foncier public.
Nous devons également permettre une réappropriation du bâti existant au travers d’un grand plan de rénovation afin de lutter contre la vacance qui impacte, en premier lieu, les territoires ruraux. Je rappelle, à ce titre, que plus de 3 millions de logements sont actuellement vacants.
Bien sûr, nous devons également accroître nos efforts en matière de rénovation thermique afin de favoriser les rénovations globales qui ont une réelle incidence sur la facture énergétique.
Enfin, nous devons construire davantage de logements sociaux. Ces dernières années, la fragilisation financière des acteurs a enrayé la dynamique de construction. Nous devons impérativement trouver un nouvel élan.
Monsieur le ministre, vous évoquiez l’objectif de construction de 125 000 logements, et de 250 000 sur deux ans. Nous en sommes à peine à 85 000 !
Alors qu’il était député, Victor Hugo, qui par la suite siégea dans cet hémicycle, interrogeait le législateur : « Comment veut-on guérir le mal si l’on ne sonde pas les plaies ? » Messieurs les ministres, mes chers collègues, je reprendrai cette logique : comment sécuriser les propriétaires bailleurs sans se préoccuper des locataires en difficulté ?
Des politiques volontaristes visant à diminuer le poids des dépenses de logement dans le reste à vivre des Français ne sont-elles pas la meilleure garantie que l’on puisse apporter aux petits propriétaires ?
Le groupe des sénateurs socialistes pense que nos politiques ont tout à gagner en termes d’efficacité lorsqu’elles s’attaquent aux causes plutôt que de traiter les symptômes.
Mme le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, mon cher collègue !
M. Denis Bouad. Si certains des amendements qui seront débattus vont dans le bon sens,… (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rassure, je ne convoquerai ici ni Robespierre ni Jean Jaurès, mais plutôt, parce que l’urgence est là, les 400 millions de mal logés ainsi que les 170 propriétaires spoliés, pour rappeler que cette proposition de loi ne règle rien et ne répond pas au problème crucial qui se pose dans notre pays : avoir un logement digne.
Les récentes périodes de confinement ont démontré l’importance d’un logement de qualité pour bien vivre.
La présente proposition de loi porte un coup violent au progrès collectif visant à prévenir les expulsions locatives et les mises à la rue. De fait, elle fait fi des plus précaires. Sous couvert de rééquilibrage des rapports entre locataires et propriétaires, vous nous proposez, mes chers collègues, de criminaliser la précarité.
Dans cette proposition de loi, tout est mélangé et mis au même niveau. Rappelons que 170 foyers sont concernés par ce que l’on qualifie de « squat habité ». Leur situation est inacceptable, et le droit en vigueur permet d’ailleurs d’y répondre.
Pour autant, l’objet de cette proposition de loi n’est pas de résoudre cette situation. Au contraire, elle stigmatise les plus pauvres, ces femmes et ces hommes qui sont locataires et n’ont pas les moyens de payer leur quittance, dans des zones où la spéculation et le profit rendent les loyers de plus en plus chers, où les locataires sont, de fait, précarisés, et où le nombre de personnes sans domicile fixe (SDF) ne cesse d’augmenter.
Nous réaffirmons, à l’inverse, que l’urgence est aujourd’hui de défendre le droit au logement, le droit de chacun à une vie digne, quelles que soient ses difficultés.
L’urgence est d’éviter que davantage de personnes et de familles en situation de précarité ne se retrouvent demain à la rue.
Criminaliser la précarité sans même un mot contre les bailleurs spéculateurs et autres marchands de sommeil qui empêchent l’accès des plus pauvres à un logement abordable, stable et décent est inacceptable dans une République qui arbore avec raison sa devise, « Liberté, Égalité, Fraternité », sur les frontons des mairies.
Concrètement, ce texte prévoit une accélération considérable de l’expulsion des locataires en cas d’impayés de loyers, empêchant tout travail sérieux d’accompagnement et retirant à la justice son pouvoir d’appréciation. Environ 300 000 personnes sont actuellement sans domicile et plusieurs millions de nos concitoyens sont mal, voire très mal, logés, dans un pays qui compte plus de 3,1 millions de logements vides.
La plupart de ces personnes occupent pourtant un emploi, souvent précaire, qui ne leur permet pas d’assumer l’ensemble de leurs dépenses. Aucune d’entre elles ne s’invite chez quelqu’un pour y passer une nuit tranquille !
À l’heure de voter ce texte, ayons conscience qu’une personne expulsée ne pourra pas trouver d’hébergement après sa mise à la rue, et encore moins un logement. Elle est condamnée à vivre dehors, éventuellement avec sa famille.
Messieurs les ministres, en tant que représentants de la majorité présidentielle, vous pourriez me répondre que j’ai certes décrit une réalité, mais qu’il ne revient pas aux propriétaires de faire les frais de la pauvreté qui touche un nombre de plus en plus important de nos concitoyens. Je vous rétorquerais alors : « Que font le Gouvernement et la majorité présidentielle pour résorber cette situation ? »
Où sont les nombreuses propositions de loi qui permettraient de s’attaquer résolument à la spéculation foncière et immobilière, laquelle rend de plus en plus difficile l’accès au logement dans les grandes métropoles, là même où le travail précaire se concentre ?
Que fait la majorité présidentielle pour assurer des salaires et des pensions dignes permettant de se loger sans avoir à arbitrer, le 1er ou le 15 du mois, entre plusieurs postes de dépenses – payer le loyer, les factures d’énergie, remplir le frigo, s’acquitter des frais liés à l’éducation des enfants ?
La facilité consistant à stigmatiser les plus démunis n’est pas acceptable, et notre groupe l’a toujours refusée. Nous préconisons un tout autre projet pour notre pays !
Nous ne pouvons donc que dénoncer cette proposition de loi, laquelle ne sert in fine, au vu des premiers débats quelque peu chaotiques que nous avons eus au Sénat, ni les intérêts des propriétaires ni ceux des locataires.
En l’état, vous l’aurez compris, notre groupe votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, à cette heure tardive, beaucoup a été dit, notamment lors de la défense des motions. J’éprouve un certain malaise au moment de la présentation de ce texte, du fait du manichéisme qui ressort de nos débats : il y aurait les gentils qui voudraient protéger les mal-logés, et les méchants défenseurs des propriétaires… Or l’un ne justifie pas l’autre.
Vous l’avez dit, madame Cukierman, le fait d’être mal logé ne justifie pas que l’on squatte l’appartement de quelqu’un d’autre… Ce débat laisse donc un goût un peu douceâtre, celui d’un manichéisme mal adapté.
Le présent texte, je le rappelle, porte sur l’occupation illicite des logements et non sur l’ensemble de la politique du logement.
Cela a été dit, 500 000 commandements de payer sont notifiés, 160 squats ont été recensés et 15 000 expulsions sont ordonnées. Des propriétaires sont lésés, notamment des retraités dans l’impossibilité de percevoir les loyers qui leur permettraient d’améliorer leur retraite. Par ailleurs, des propriétaires d’appartements hésitent à les mettre en location de peur de ne pas être payés.
À cet égard, je tiens à rendre hommage aux rapporteurs André Reichardt et Dominique Estrosi Sassone, virtuoses de ce sujet, ainsi qu’à Valérie Létard et Marie-Noëlle Lienemann qui sont au Sénat les grandes spécialistes du logement. Les uns et les autres, lors des travaux de la commission des lois, ont complètement rééquilibré la proposition de loi.
Le texte de la commission fait clairement la différence entre des locataires qui ne payent pas leur loyer et des squatteurs sans droit ni titre, et je ne crois pas qu’un quelconque amalgame soit établi entre les deux situations.
Le groupe Union Centriste soutiendra le texte tel qu’il ressort des travaux de la commission. Le cap est fixé : cette loi doit être utile et équilibrée.
Elle doit être utile, d’abord, en envoyant un signal clair aux squatteurs et aux locataires abusifs, et se traduire par des effets visibles sur le terrain. La rédaction a été améliorée de ce point de vue via plusieurs amendements adoptés en commission.
Elle doit être équilibrée, ensuite, dans l’objectif de mieux sécuriser les rapports locatifs en distinguant clairement – j’y insiste – la situation du squatteur et celle du locataire qui accumule les loyers impayés.
Nous avons, en commission, souhaité conserver la possibilité pour le juge d’accorder un délai à un locataire faisant l’objet d’une décision d’expulsion ; des amendements en ce sens seront présentés en séance. En effet, il convient d’accorder au locataire en difficulté la possibilité de régler ses loyers impayés sans pour autant qu’il soit entraîné dans la spirale de l’exclusion, dont nous savons tous qu’elle est mortifère.
Notre objectif est clairement de lutter contre la violation du droit de propriété que constitue le squat. Nous ne souhaitons pas mettre en difficulté les locataires de bonne foi. C’est en alliant ces considérations d’efficacité et de justice que nous parviendrons à rétablir la confiance des Français dans la propriété et celle des propriétaires dans la location.
Au bénéfice de ces observations, mon groupe votera ce texte. (M. Vincent Capo-Canellas et Mme Valérie Létard applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est aujourd’hui une aberration et une injustice dans notre droit, qui rend moins condamnable un squatteur pénétrant dans un logement qui ne lui appartient pas que le propriétaire l’en expulsant par ses propres moyens : là où le squatteur encourt un an de prison et 15 000 euros d’amende, le propriétaire encourt trois ans de prison et 45 000 euros d’amende !
Il y a un problème dans notre pays avec le droit de propriété, qui est pourtant quasiment le premier droit constitutionnel, après la liberté. Il serait temps d’y mettre fin !
Déjà en 2019, Jean-Luc Lagleize, alors député, avait remis, à la demande d’Édouard Philippe, un rapport indiquant que « le foncier, même propriété privée, demeure un bien public fini et d’intérêt général » : une véritable remise en cause des fondements de notre contrat social par la majorité macroniste au pouvoir !
De son côté, la gauche, trente-trois ans après la chute du mur de Berlin, promeut encore la collectivisation des propriétés privées – sauf des siennes, bien sûr… – et entretient une anachronique lutte des classes entre locataires et propriétaires, quitte à faire de l’électoralisme sur l’anarchie ambiante.
Mes chers collègues, vous avez grand cœur, mais vous oubliez que la majorité des propriétaires sont en fait de petits propriétaires et que leur bien est le fruit d’une vie de labeur, qu’ils souhaitent légitimement protéger pour obtenir un complément de retraite et pour le transmettre à leurs enfants, plutôt que de le voir occupé et saccagé par des marginaux et des migrants. (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. Stéphane Ravier. Vous avez grand cœur, mais vous oubliez que la plupart des squats sont le fait de clandestins ou de mafias étrangères, problème que vous avez largement contribué à importer.
Vous avez grand cœur, mais pas assez grand pour y accueillir ce couple de retraités marseillais condamnés, après avoir travaillé toute leur existence, à vivre sur un parking pendant deux ans et demi, dans un camping-car, en raison du squat de leur appartement.
Vous en appelez à la solidarité, mais à une solidarité sélective qui est toujours du côté des squatteurs et jamais de celui des propriétaires lésés. Que se lèvent dans cet hémicycle, en particulier à sa gauche, les volontaires qui accepteraient de subir, au nom de la solidarité, le squat de leur logement ou de leur résidence secondaire !
S’il faut choisir entre le camp de l’incitation au squat et celui de la sanction, je m’inscris dans le second. J’ajoute, tout de même, que l’on ne fait aucune bonne politique en s’attaquant aux seules conséquences d’un problème, surtout quand on en chérit les causes.
Le 10 mai 2022, ce sont 104 migrants qui ont été évacués de 34 logements, dans 3 bâtiments différents de la cité du parc Kalliste, à Marseille.
Toujours à Marseille, les squats de Roms se multiplient, avec le soutien de la municipalité d’extrême gauche plurielle, qui envisage même de créer un « village rom » !
M. Guy Benarroche. C’est faux !
M. Stéphane Ravier. L’immigration anarchique participe activement à la hausse de ce fléau grandissant.
La propriété est une ZAD, une « zone à défendre ». J’en serai ici, au nom de la justice et des droits des honnêtes gens, l’un des défenseurs !
Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, lorsque nous examinons les textes à l’ordre du jour de notre chambre haute, nous pouvons difficilement faire abstraction des contextes économiques et sociaux que nous traversons.
En effet, cela a été maintes fois évoqué, depuis la fin de l’année 2021 et encore plus depuis le début de la guerre en Ukraine, les particuliers subissent de plein fouet l’envol de l’indice des prix à la consommation, en particulier sur les dépenses énergétiques.
Malgré un bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité, la remise à la pompe pour le carburant et le chèque inflation, les difficultés en termes de pouvoir d’achat perdurent, impactant de fait la répartition et le niveau des dépenses de consommation des ménages français. Cette progression de la précarité financière s’observe au quotidien, notamment à travers l’intensité des actions sur le terrain des associations de solidarité.
Ces données centrales nous ont laissé penser, dans un premier temps, que cette « proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite » était quelque peu anachronique, en miroir avec l’urgence sociale. Nous n’étions pas pleinement en phase avec l’identification de la cause, pour traiter le problème à sa source.
Pour autant, les quelques rares affaires de squats qui ont été médiatisées ne nous laissent pas indifférents. Nous sommes parfaitement conscients du trouble que cela représente pour le propriétaire, car la détention d’un bien suscite la plupart du temps un sentiment de fierté et d’accomplissement. Ainsi, l’émoi d’un propriétaire face à une occupation illicite est compréhensible, surtout lorsqu’il est alimenté par une impression d’impuissance.
Par conséquent, pour éviter de glisser dangereusement vers des situations où les propriétaires se feraient justice eux-mêmes, avec les pires scénarios que l’on puisse imaginer, légiférer semble une voie rationnelle, de surcroît lorsqu’il existe une volonté politique partagée de légiférer en vue d’améliorer le cadre juridique dans ce domaine. En effet, on dénombre pas moins de vingt propositions de loi sur ce sujet déposées à l’Assemblée nationale et au Sénat depuis 2020.
Vous l’aurez compris, nous ne minorons pas ces sujets de contentieux locatifs, mais nous restons vigilants pour que cela ne donne pas lieu à des reculs significatifs en matière de droit au logement. Notre groupe a donc rédigé des amendements visant à infléchir un texte qui déséquilibre peu ou prou les rapports entre propriétaires et locataires.
Nous souhaitons notamment que l’information selon laquelle les locataires ont seuls la faculté de demander au juge de leur accorder des délais de paiement soit bien connue des locataires concernés. Par ailleurs, nous nous opposons à la réduction des délais entre le commandement de payer et la résiliation automatique de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement. Les tensions sur le marché locatif et les difficultés à trouver une solution de relogement pour les locataires rencontrant des difficultés financières sont trop fortes pour mettre à mal l’accompagnement social pratiqué dans l’intervalle.
Nous faisons aussi le pari d’un dialogue et d’une négociation amiable entre le locataire et le bailleur, sous la surveillance d’un commissaire de justice.
Ces contributions aux articles 4 et 5 du présent texte sont de nature à compenser les asymétries d’information auxquelles les locataires sont susceptibles de faire face en cas de contentieux.
Nous partageons, en revanche, l’inquiétude des associations de solidarité – Croix-Rouge française, Secours catholique, Fondation Abbé Pierre – sur la question de la pénalisation des locataires qui se maintiennent dans leur logement après une décision définitive de justice. Le propriétaire bailleur ne doit pas se substituer à l’État ; rappelons que l’accès au logement est garanti par l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
Enfin, toujours dans un souci de compenser la rigidité de cette proposition de loi, il serait opportun de renforcer le budget consacré à l’hébergement d’urgence ainsi qu’aux moyens des équipes mobiles et des accueils de jour.
En conclusion, le groupe RDSE est pleinement mobilisé pour avancer sur ces sujets et regrette l’aspect équivoque d’une proposition de loi qui fait l’amalgame entre l’occupation illicite et les impayés de loyer. Par respect pour notre tradition et la diversité de nos opinions, nous appliquerons notre principe de liberté de vote sur ce texte, en nous partageant entre l’approbation et l’abstention.
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, la situation de Maryse et Pierre – un exemple parmi tant d’autres – a été évoquée : ils ont récupéré voilà quelques semaines, après plus de deux ans de combat, leur logement occupé illégalement par une personne qui a, enfin, quitté les lieux après l’intervention des forces de l’ordre.
Des cas comme celui de Maryse et Pierre, il en existe des centaines dans notre pays. J’aurais pu citer également celui de Marie-Thérèse et Henri, des retraités de Théoule-sur-Mer désespérés par le saccage de leur domicile, après trente années de dur labeur et d’économies pour devenir propriétaires.
Car il s’agit bien de cela : d’honnêtes citoyens sont privés de leur maison ou de leur appartement par des squatteurs et contraints de dormir ailleurs, parfois dans leur voiture, voire dans la rue.
Ne nous y trompons pas ! Les personnes qui s’approprient des propriétés privées par effraction ne sont pas des Robin des Bois des temps modernes… Il n’y a aucun romantisme dans le vol.
N’ayons pas peur des mots : ces squatteurs sont des délinquants qui volent le bien le plus intime d’une famille, à savoir son foyer.
Pour faire un parallèle, le squat, c’est en quelque sorte un cambriolage à l’issue duquel le voleur s’installerait dans votre salon et y vivrait les pieds sur la table.
Aujourd’hui, cela a été dit par plusieurs intervenants, c’est un véritable système organisé de squats qui se met en place, profitant des failles de notre droit. M. le ministre l’a rappelé, il existe même sur internet des guides qui expliquent comment repérer le bon logement et le bon propriétaire, comment maintenir la police à distance ou encore comment pirater un circuit, savoir si l’eau et l’électricité sont coupées.
Pour lutter contre les squats, les dispositifs existants, notamment la loi Dalo, ne sont ni suffisamment dissuasifs pour les squatteurs ni suffisamment connus des préfectures et des forces de police ou de gendarmerie, voire des propriétaires eux-mêmes. Le résultat, nous le connaissons : c’est l’incompréhension, l’impuissance et le désarroi de propriétaires privés de leur bien pendant des mois, voire des années, qui ont véritablement l’impression que l’État respecte davantage les squatteurs que le droit de propriété.
Or la République doit toujours être du côté de la justice, et donc des propriétaires qui sont les victimes de ces situations indignes. Et en disant cela, il n’est pas question pour nous d’ignorer certaines situations désespérées de locataires qui n’arrivent plus à honorer leur loyer : c’est une situation totalement différente.
En ce sens, le texte issu de la commission est très équilibré : il appelle à la fermeté et à l’action contre le squat, mais également à une certaine forme d’humanité, notamment par une sécurisation accrue des rapports locatifs, avec un meilleur accompagnement des locataires en difficulté, en particulier financière.
Mes chers collègues, comme l’a dit François Bonhomme, la nuit du 4 août 1789, après la prise de la Bastille, symbolise la fin de l’Ancien Régime, avec l’abolition de la féodalité. L’Assemblée nationale constituante, cette nuit-là, a posé les fondements de notre conception contemporaine de la propriété : individuelle et privée, forcément privée.
Cette proposition de loi vise à préserver le droit au logement. Nous devons avant tout garantir le droit à la protection de la propriété immobilière. C’est tout l’objet de ce texte ! Alors, durcissons les peines pour ceux qui violent le domicile d’autrui, sanctionnons tout acte de propagande ou de publicité en faveur de méthodes visant à faciliter ou à inciter au squat, et donnons les moyens aux maires et à l’État d’agir rapidement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’avais préparé une intervention, mais, de nombreuses choses ayant déjà été dites, j’essaierai d’éviter les répétitions. J’ai pris des notes au fur et à mesure de la discussion, et j’espère que mon propos sera clair !
Qu’il existe des tensions très fortes sur le logement social dans les territoires, qu’il faille lutter contre le logement vacant – comme chacun de nous l’a fait quand il était maire ou qu’il avait des responsabilités locales –, que le mal-logement existe et qu’il faille se battre contre les marchands de sommeil – nous en avons tous connu dans nos communes : ils louent un bien qui n’est pas aux normes, touchent directement les APL versées par la caisse d’allocations familiales (CAF) sur leur compte, sans se soucier du propriétaire – : tout cela est vrai ! Mais tel n’est pas l’objet de ce texte.
Cette proposition de loi vise à « protéger les logements contre l’occupation illicite ». Les bailleurs professionnels sont concernés, mais, cela a été dit, l’immense majorité des propriétaires ont seulement un bien, et quelquefois deux ou trois – il ne faut pas en faire un drame, c’est cela la propriété privée, le capital, la constitution d’un patrimoine… –, qui peuvent venir d’un héritage ou être le fruit du travail d’une vie. C’est la raison pour laquelle nous saluons l’initiative qui a été prise, et les dispositions équilibrées de ce texte.
La proposition de loi sanctionne plus durement les intrusions et les occupations illégales de domicile. Face au développement de ces pratiques, il était nécessaire d’envoyer un message de fermeté. Le droit de propriété doit être respecté. Cela ne vaut pas seulement pour les domiciles, mais plus généralement pour tous les immeubles, qu’ils soient à usage économique ou à usage d’habitation. Nous nous félicitons donc de l’aggravation des peines assorties aux infractions concernées.
De nombreux orateurs ont abordé le sujet des squats. Sans même parler du squat du domicile de personnes qui y habitent, qui est totalement inacceptable, je veux évoquer le squat d’un logement temporairement laissé vacant par son propriétaire. Il est choquant de voir des représentants d’associations jusqu’au-boutistes, voire des élus – je n’en ai pas entendu dans cet hémicycle, mais je pense à la maire de Nantes –, soutenir ce type de comportement. J’aimerais voir leur réaction s’ils étaient propriétaires de logements vides qui viendraient à être occupés, et comment ils passeraient de la théorie à la pratique…
Madame Lienemann, quand vous vous êtes exprimée, vous nous avez demandé de réfléchir aux raisons pour lesquelles certains vont vivre dans des squats. Mais avec ce type d’arguments, comment peut-on bâtir une société ? Si vous commencez à excuser des gens qui occupent illégalement un logement, vous mettez le doigt dans un engrenage dont vous ne sortirez plus ! Une société se construit sur des règles et avec un cadre, en se donnant les moyens de les faire respecter.
Ce texte, et c’est une bonne chose, raccourcit les délais de la procédure d’expulsion. Il n’est pas normal que les propriétaires, hors période de trêve hivernale, doivent en plus faire face à d’importants délais.
Tout au long de l’examen de la proposition de loi, la commission des affaires économiques a souhaité, à juste titre, différencier le squatteur du locataire mauvais payeur : l’un est entré par effraction, et pas l’autre. Elle a également utilement enrichi le texte en améliorant le traitement des impayés locatifs, avec une prévention accrue et un meilleur accompagnement.
Ces dispositions bénéficieront tant aux locataires qu’aux propriétaires. Le groupe Les Indépendants votera en faveur de ce texte, qu’il juge utile et équilibré.
Comme il me reste un peu de temps, je dirai un mot de l’objectif de « zéro artificialisation nette » des sols, le fameux ZAN. Le sujet n’est peut-être pas directement lié au thème de la proposition de loi, mais si nous posons nous-mêmes des entraves à la construction dans les territoires, alors il y aura moins de logements construits et davantage de tensions dans ce secteur. M. de La Palice n’aurait pas dit mieux ! En tout cas, c’est un sujet dont nous devrons débattre dans les semaines et les mois qui viennent. (M. le rapporteur applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, cette proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite constitue un grave recul pour le droit au logement.
Sous couvert d’une volonté de protection des petits propriétaires, le texte initial stigmatisait une population socialement précaire au lieu de créer les protections qui seraient nécessaires aussi bien pour les locataires que pour les bailleurs. Le texte issu de la commission n’est, à vrai dire, guère meilleur : s’il limite quelques attaques contre les locataires en situation d’impayés, il aggrave certains pans répressifs du texte.
C’est une loi d’affichage, qui vise à monter en épingle quelques rares affaires de squats récemment médiatisées. L’Observatoire des squats n’a dénombré que 170 cas en 2021 – on me dira que c’est déjà beaucoup –, et la majorité de ces cas ont été résolus.
M. André Reichardt, rapporteur. Mais au bout de combien de temps ?
M. Daniel Salmon. La propriété locative doit être protégée, et – j’insiste sur ce point – les violations de domicile sont des situations graves qui doivent être punies. Mais, encore une fois, elles sont exceptionnelles, et l’arsenal juridique permettant d’y mettre fin existe. Ce n’est pas par la stigmatisation et la criminalisation des locataires les plus précaires que nous pourrons mieux protéger ceux que vous prétendez défendre.
Face à la crise du logement et à la crise sociale, qui s’aggrave de jour en jour, vous n’avez donc rien trouvé de mieux que de faciliter les expulsions pour impayés de loyer, et de criminaliser encore davantage les occupants sans droit ni titre. Comment imaginer un tel retour en arrière, au moment où de plus en plus de familles sont précarisées par la hausse des prix des loyers et de l’énergie, et par l’inflation ?
D’un bout à l’autre, ce texte est inique, inutile et dangereux. Le groupe écologiste s’opposera fermement à ces mesures, notamment celle qui prévoit une peine totalement disproportionnée à l’encontre des occupants de logements vacants et celle qui qualifie de vol l’occupation sans droit ni titre de tout local à usage d’habitation ou à usage économique. Cet article fait primer de manière absolue la propriété immobilière sur la nécessité pour une personne de disposer d’un logement.
Si la commission a mis fin à l’amalgame entre « squatteurs » et « locataires défaillants », le texte conserve le délit consistant à ne pas s’autoexpulser de son logement. Dans les faits, cela signifie qu’une mère de famille avec ses enfants, en situation de pauvreté et ne pouvant plus payer son loyer, devrait les emmener dormir sous les ponts pour éviter la prison. Non, un locataire en difficulté, un mal logé, n’est pas un délinquant !
Nous nous opposerons à la criminalisation des associations et des groupes militants dont l’action essentielle aide à garantir les droits et les libertés des personnes en situation de précarité, ou sans logis.
Nous dénonçons également l’extension de la notion de domicile à toutes les propriétés privées. Étendre à tout type d’habitation les dispositions applicables au domicile est une conception absolutiste du droit de propriété, et met de côté le principe de la dignité humaine, ainsi que l’objectif à valeur constitutionnelle qu’est le droit au logement.
L’article 5, enfin, qui réduit les délais durant lesquels les locataires en difficulté peuvent régulariser leurs impayés, est une mesure particulièrement contre-productive, le délai entre l’assignation et l’audience servant à mettre en mouvement le processus de prévention de l’expulsion, et donc du sans-abrisme. Ces délais protègent les intérêts des locataires et des propriétaires.
Alors que la rue affecte gravement la santé physique et mentale, et a tué 623 personnes en 2021, alors que le 115 refuse chaque soir un hébergement à plus de 6 000 personnes, dont 1 700 enfants, faut-il vraiment punir d’une peine de prison ceux qui s’abritent, eux et leur famille, dans un immeuble entièrement vide depuis des années ?
Cette proposition de loi ne répond aucunement aux vrais enjeux du logement aujourd’hui. Vous prétendez sécuriser les rapports entre les propriétaires, les bailleurs et les locataires, mais vous n’attaquez pas le problème à la racine.
Messieurs les ministres, le bilan du Gouvernement en la matière ne plaide pas en sa faveur. Vous avez fait du logement social le parent pauvre des politiques publiques et mis grandement à mal les offices HLM. Vous avez baissé les aides au logement et économisé plus de 1,5 milliard d’euros par an sur le dos des allocataires. Et vous menacez maintenant des milliers de locataires en situation d’impayé, du fait de la hausse constante des loyers et du coût de la vie, de la baisse des APL, ou encore de l’insuffisance de logements sociaux…
Il existe pourtant des alternatives pour concilier le droit au logement avec le droit de propriété.
Il est temps de mettre en place la garantie universelle des loyers, qui permet un accès plus facile au logement pour les locataires, sécurise les propriétaires et prévient les expulsions.
Instituez l’encadrement des loyers, qui réduit la vacance de logement, et permet aux propriétaires de trouver plus rapidement un locataire !
Attaquez-vous enfin à cette crise historique du logement plutôt qu’à ses victimes, ainsi qu’aux 3,1 millions de logements vacants. Opposez-vous à cette proposition de loi qui est une terrible régression sociale et démocratique ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le groupe RDPI a souhaité inscrire à l’ordre du jour l’examen de la proposition de loi de notre collègue député Guillaume Kasbarian visant à protéger les logements contre l’occupation illicite.
Elle est examinée dans le prolongement de la loi Asap de 2020 et du texte proposé par notre rapporteure pour avis en 2021. Elle permet de sanctionner davantage le squat, qui n’est plus un phénomène marginal, mais aussi de répondre aux problèmes que posent les contentieux locatifs de long terme.
Ce texte est également le fruit de plusieurs compromis à l’Assemblée nationale. Nous avons souhaité l’inscrire à l’ordre du jour du Sénat pour l’enrichir, l’améliorer, l’équilibrer, et pour mettre en avant ce sujet d’une extrême importance.
En tant qu’élus locaux, nous avons quasiment tous été confrontés à cette situation : un administré, petit propriétaire qui aurait acheté un appartement à la sueur de son front ou hérité d’une petite maison familiale, qui retrouve son bien squatté.
Face à des procédures longues qui peuvent durer jusqu’à trois ans, à des pseudo-connaisseurs du droit au logement, n’hésitant pas à narguer leurs victimes, les propriétaires se retrouvent souvent démunis, en grande précarité et dans une profonde détresse psychologique, que ce soit en Île-de-France, dans les Hauts-de-France ou en Guyane.
Nos collègues députés ont d’ailleurs reçu deux cents témoignages et ont pu auditionner dix victimes, dont les récits sont insupportables.
Mes chers collègues, le droit au logement n’est pas le droit au squat ! Et c’est que nous affirmons clairement au sein du premier chapitre de cette proposition de loi : le squat doit être sévèrement puni.
Les articles 1er A et 1er en témoignent, avec notamment un alourdissement de la peine encourue en cas de violation du domicile, tout en évitant l’amalgame entre squatteurs et locataires défaillants.
Je tiens ici à remercier les rapporteurs qui, sans tomber dans des travers idéologiques ou dogmatiques, ont mené un travail de rééquilibrage du texte pour distinguer le squatteur qui entre illégalement dans un domicile du locataire qui rencontre des difficultés pour payer son loyer.
Quant à l’incitation au squat, cette propagande sera dorénavant sanctionnée d’une amende de 3 750 euros, quel que soit le mode de diffusion employé.
Le texte que nous examinons vise aussi à sanctionner les abus et escroqueries des faux propriétaires : ils ne resteront plus impunis, car nous relevons le quantum de la peine prévue dans le code pénal en prévoyant la condamnation à une peine de trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende.
Par ailleurs, j’entends les critiques, souvent caricaturales, faites à l’encontre de ce texte sur l’atteinte qu’il porterait au droit au logement. À cela, j’oppose notamment l’article 2 ter, qui pérennise un dispositif expérimental, issu de la loi Élan, pour lutter simultanément contre la vacance des locaux et leur occupation illicite. Depuis sa création en 2009, près de 10 000 personnes ont été hébergées.
Avec ce texte de bon sens, nous cherchons à rééquilibrer les forces, en renforçant l’arsenal juridique contre les squats, mais en prenant également mieux en compte les parcours de vie parfois difficiles auxquels sont confrontés certains locataires de bonne foi – je retiens d’ailleurs que la proposition de loi tient bien compte de la bonne foi.
C’est l’objet du chapitre II : rassurer les propriétaires sur les risques d’impayés, en réduisant les délais des procédures, tout en assurant l’accompagnement social des locataires défaillants sans en faire payer le prix par les propriétaires.
Je me réjouis à ce titre que la commission rétablisse les pouvoirs d’office du juge pour définir le plan d’apurement de la dette locative, ainsi que le renforcement des pouvoirs des Ccapex au bénéfice d’un meilleur accompagnement social des locataires.
Aujourd’hui, nous poursuivons ce travail d’accompagnement des locataires en proposant d’autres modifications, qui visent : à supprimer la réduction du délai de deux mois à six semaines du commandement, afin d’éviter le recours à la procédure judiciaire en permettant au locataire de rembourser sa dette locative – un point sur lequel des amendements pourraient être adoptés – ; et à clarifier le rôle respectif de la CAF et de la Ccapex en cas d’impayés d’un allocataire.
Mes chers collègues, nous soutenons cette proposition de loi, et je vous invite à en faire de même pour trois raisons : il faut sanctionner plus sévèrement les cas de squat, favoriser le traitement à l’amiable des litiges entre propriétaires et locataires défaillants, et renforcer la prise en charge sociale de ces mêmes locataires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui vise à rééquilibrer les rapports locatifs, alourdis par des procédures trop longues et complexes, et à garantir un renforcement des moyens d’action face à l’occupation illicite des logements.
Ce texte, qui a été examiné d’abord par l’Assemblée nationale, a été durci par la mise en place de sanctions qui logeaient à la même enseigne squatteurs et locataires défaillants. Il était donc primordial de distinguer, comme les rapporteurs l’ont fait, les squats, pour lesquels la législation doit être renforcée, des situations d’impayés de loyers souvent liées à des accidents de la vie des locataires, qui requièrent un accompagnement précoce et adapté.
À ce titre, je tiens à saluer le travail mené par nos rapporteurs, Dominique Estrosi Sassone et André Reichardt, qui ont nettement rééquilibré l’organisation du dispositif et la gradation des peines. Ils ont su se saisir du sujet complexe des impayés de loyer auquel je m’attacherai particulièrement dans mon intervention.
En effet, à l’aune des échanges que j’ai eus avec les professionnels de mon département, j’ai déposé des amendements allant dans le sens de la position défendue par les rapporteurs et qui visent à en préciser ou modifier certains aspects.
J’exposerai rapidement mes propositions.
Tout d’abord, il me paraît nécessaire de rétablir le délai initial de deux mois entre la délivrance du commandement de payer et l’assignation en justice. Tous les acteurs de terrain nous le disent, dans ce laps de temps, plus de deux tiers des problèmes d’impayés sont résolus à l’amiable. Une réduction du délai mettrait à mal la capacité déjà contrainte des services sociaux à se coordonner et à se saisir des situations, ce qui pourrait produire un effet inverse à celui escompté.
Concernant la procédure contentieuse du litige locatif, pour une meilleure réactivité et pour pouvoir entrer en contact avec la personne concernée par un autre moyen que l’envoi d’un courrier, il apparaît indispensable de communiquer les coordonnées téléphoniques et les adresses électroniques. Je propose donc que cette transmission soit prévue dès la rédaction du bail.
Afin de préserver un climat de confiance, le partage d’informations doit être le plus lisible possible pour les personnes défaillantes. Je souhaiterais que les informations communiquées par les travailleurs sociaux et médico-sociaux, éléments strictement nécessaires à l’évaluation de la situation des ménages au regard de la menace d’expulsion, le soient avec l’accord du locataire, en respect des règles de déontologie.
Enfin, s’il apparaît nécessaire de durcir les sanctions s’appliquant à toute occupation frauduleuse d’un logement d’autrui, il est tout aussi nécessaire de garder le sens de la gradation : une peine de prison de six mois pour un locataire défaillant en violation d’une décision de justice définitive et exécutoire ayant abouti à un commandement de quitter les lieux ne me paraît pas être la bonne réponse. Je propose de maintenir comme seule sanction les 7 500 euros d’amende.
Plusieurs autres aspects du texte méritent aussi notre attention.
La prévention des impayés de loyers restera toujours la meilleure politique, qu’il faut privilégier pour éviter les situations trop souvent vécues comme des traumatismes par les familles et comme des injustices par les propriétaires. Nous le savons, une part importante des impayés a pour origine le conflit locatif. À défaut d’information et de relais à mobiliser, les locataires n’ont souvent comme seul outil de défense de leurs droits de locataire que la suspension du versement du loyer.
Il faut absolument assurer une meilleure identification des acteurs compétents pour agir en faveur de la réduction des conflits locatifs. Relevant de la compétence du pouvoir réglementaire, cette action se doit d’être renforcée pour mieux prévenir les situations d’impayés.
Concernant le rôle de la Ccapex, cela a été dit à plusieurs reprises, la coordination des acteurs est essentielle pour agir efficacement dans la prévention des expulsions. Je suis convaincue qu’il faut conforter la Ccapex dans ses actions et en faire le pilier central de la prévention de l’expulsion tout au long de la procédure. Je salue le travail de la rapporteure Dominique Estrosi Sassone sur ce point.
Nous voterons donc cette proposition de loi.
Mme le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous occupe ce soir vise à mieux protéger les propriétaires de logement contre les squats.
Rien de plus traumatisant, en effet, pour les propriétaires que de découvrir qu’ils ne peuvent plus rentrer chez eux, car leur domicile est occupé illégalement, et ce alors même qu’ils sont tenus d’entretenir leur logement. Ils finissent par se retrouver engagés dans une procédure lourde, qui implique des frais d’avocats. Nous avons tous en tête des situations profondément injustes, notamment pour les propriétaires modestes qui ont acquis un logement grâce au fruit d’années de travail.
L’actualité récente, dont la presse s’est fait largement l’écho, a été ponctuée de situations dramatiques de squats qui ont indigné à juste titre tous les Français.
Voilà la raison d’être de ce texte, qui est équilibré. Je veux saluer ici le travail de notre commission des lois et de son rapporteur, soucieux d’assurer un équilibre entre la nécessité de lutter plus fermement contre les squats et l’indispensable sécurisation des rapports locatifs. La commission a repris une partie des travaux qu’elle avait menés en vue de l’adoption par le Sénat en 2021 de la proposition de loi de Dominique Estrosi Sassone tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat, dont plusieurs dispositions figurent dans le texte de l’Assemblée nationale.
Sur le plan pénal, la distinction est faite entre la situation du squatteur, entré dans les lieux illégalement, et celle du locataire qui rencontre des difficultés pour régler son loyer. Pour mieux garantir le droit de propriété, la commission a créé une nouvelle infraction sanctionnant le squat de locaux qui ne constituent pas un domicile et a élargi aux logements qui ne constituent pas un domicile le champ d’application de la procédure d’évacuation forcée prévue par la loi Dalo.
Notre texte vise donc seulement les comportements malhonnêtes, et non les locataires défaillants qui sont dans une situation économique difficile.
Naturellement, il est important d’accompagner parallèlement au mieux les personnes qui ont du mal à payer leur loyer, et de favoriser les conditions permettant de prévenir cette situation. Mais c’est précisément parce que des mesures d’accompagnement existent que nous devons également renforcer fortement les moyens de lutter contre les squats.
Rappelons que le droit de propriété est un droit fondamental consacré par l’Assemblée constituante de 1789 dans l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ce droit est un des fondements de notre société. C’est pour cette raison que le Sénat avait souhaité par le passé sanctionner l’incitation au squat. Le nouvel article introduit en séance publique à l’Assemblée nationale vise à punir la propagande ou la publicité en faveur de méthodes visant à faciliter ou à inciter au squat par une amende de 3 750 euros. Il est en effet légitime que ceux qui font de la publicité pour encourager et faciliter le squat sachent à quoi s’en tenir.
On a vu ces dernières années fleurir des guides ou des manuels du parfait squatteur expliquant méthodiquement comment procéder pour préparer son occupation illicite sans risque et s’y maintenir au mépris des droits du propriétaire. Il s’agit là d’une insulte pour ceux qui voient leur droit fondamental de propriété bafoué et nié. Le pacte social républicain est rompu.
De manière plus insidieuse ou sournoise, la mal nommée Ligue des droits de l’homme considère que ce texte, et alors même que nous avons pris la précaution de distinguer les situations, vise à « criminaliser les victimes de la crise du logement » et affirme qu’il « s’attaque […] à toutes les personnes en situation de pauvreté ou de mal-logement » : il y a là une volonté de tronquer les choses et d’ignorer le travail minutieux du législateur, par pur dogmatisme.
Quant à la Défenseure des droits, elle n’a aucune considération pour les propriétaires victimes : à aucun moment, elle ne s’est autosaisie pour faire valoir leurs droits. Quand elle nous dit que ces mesures n’auront aucun effet, je m’interroge : y aurait-il deux poids, deux mesures ? Il y a là une lecture hémiplégique et sélective de la défense des intérêts fondamentaux des propriétaires victimes. Parler « d’acharnement contre les squatteurs, de discriminations, de criminalisation » est hors de propos. Je veux voir un déni de réalité dans le fait de ne pas prendre en compte ces situations d’occupations délibérées et caractérisées par des squatteurs professionnels et de se contenter de noyer tout cela sous le problème de la « crise du logement ».
Quand je vois qu’on minimise la situation en ramenant les squats à un phénomène marginal, je m’interroge.
Oui, le contentieux locatif n’a cessé de s’aggraver ces dernières années et essayer de traiter les cas les plus lourds d’occupations illicites est une nécessité pour rétablir la confiance des propriétaires, qui se sentent floués après avoir vécu ce genre de situation traumatisante.
Oui, nous assumons de renforcer les droits des propriétaires victimes de procédures interminables.
Telles sont les raisons pour lesquelles cette proposition de loi, enrichie par le Sénat, relève d’une impérieuse nécessité pour rétablir un début d’équilibre en faveur des propriétaires floués.
Mme le président. La parole est à Mme Else Joseph. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Else Joseph. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, si nous examinons ce texte adopté par nos collègues de l’Assemblée nationale, c’est parce que les problèmes subis par les propriétaires, confrontés à des occupations qu’ils n’ont pas voulues, persistent.
Non, le squat n’est pas une opération festive, un acte de justice sociale ou une transgression qu’on pourrait comprendre ! C’est l’occupation illicite d’un bien immobilier qui porte préjudice aux droits légitimes d’un propriétaire. Un propriétaire privé des différentes facultés qui constituent classiquement le droit de propriété ; un propriétaire découragé parce qu’il se heurte à des difficultés juridiques et judiciaires ; un propriétaire qui, enfin, doit subir un maquis de procédures et des délais souvent trop longs.
Le terme « squat » peut contribuer à brouiller les consciences par l’emploi d’un mot anodin ou connoté. Il y a deux ans, ma collègue Dominique Estrosi Sassone et plusieurs sénateurs avaient déposé et fait adopter une proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière. Nos collègues députés ont fait le choix de déposer un texte différent, mais il reprend des dispositions de notre texte qui mettaient le doigt sur des problèmes réels. Je veux saluer cette avancée. Plusieurs points de notre droit pénal méritaient d’être complétés. Notre assemblée a été source de propositions.
Nous nous réjouissons d’abord de la création d’un délit spécifique d’occupation frauduleuse d’un logement appartenant à un tiers. L’exécution des décisions de justice est également un thème important : ces dernières ne suffisent pas à mettre fin à une occupation devenue doublement illicite, avec la violation d’une décision du juge. Le maintien sans droit ni titre dans un local à usage d’habitation en violation d’une décision de justice définitive et exécutoire qui a donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux depuis plus de deux mois sera donc aussi puni.
Ces deux dispositions n’affecteront pas les locataires bénéficiant de la trêve hivernale ou d’une décision de sursis à expulsion.
D’autres clarifications sont bienvenues.
La peine encourue par l’auteur du délit de violation de domicile est portée à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. C’est ce que prévoyait la proposition de loi de Mme Estrosi Sassone. Sur ce point, il fallait aussi clarifier les choses par une peine dissuasive, identique à celle qui punit le délit de maintien sans droit ni titre.
Dans cette même optique de clarification du délit de violation de domicile, le délit sera tout aussi bien caractérisé lorsque le logement est inoccupé et qu’il contient des meubles, peu importe qu’il constitue ou non la résidence principale de la personne y ayant son domicile. Le délit de violation de domicile sera également caractérisé, même si l’électricité et l’eau ont été coupées. Ces précisions mettent fin aux failles de la jurisprudence actuelle, qui est habilement exploitée par des personnes mal intentionnées.
Autre dispositif bienvenu : le constat de cette occupation pourra être fait par des huissiers et par le maire, qui devrait être davantage associé à la procédure.
Mais la lutte contre ces occupations illicites suppose que d’autres comportements soient également incriminés. Ainsi, se faire passer pour le propriétaire d’un bien en vue de sa location sera aussi puni, tout comme l’incitation au squat ou la publicité en ligne de méthodes visant à le faciliter. De telles dispositions figuraient aussi dans notre proposition de loi.
Enfin et surtout, le propriétaire doit être appuyé. Ainsi, alors qu’il est lésé dans l’exercice de son droit de propriété, il serait paradoxal que la législation n’en tienne pas compte, faisant comme si de rien n’était. Le régime de responsabilité de l’occupant sans droit ni titre devait être clarifié : le propriétaire doit donc être libéré de son obligation d’entretien du fait de l’occupation illicite.
Le propriétaire doit être appuyé en amont aussi, et non pas seulement pendant l’occupation illicite. Le bailleur doit être protégé dans l’exécution du contrat de bail. Le travail du juge ne doit pas seulement s’intéresser à une occupation illicite et à ses conséquences, mais aussi à l’exécution du contrat, qui peut être problématique.
Ainsi, l’inclusion systématique dans le contrat de bail d’une clause de résiliation de plein droit est bienvenue.
Mes chers collègues, je voterai donc pour ce texte, tel qu’il sera modifié par les amendements approuvés par la commission des lois. Il s’agit d’aider les Français dans leur vie quotidienne ; pour ce faire, je me réjouis que la voix du Sénat soit écoutée ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite
Chapitre Ier
Mieux réprimer le squat du logement
Article 1er A
Le titre Ier du livre III du code pénal est complété par un chapitre V ainsi rédigé :
« CHAPITRE V
« De l’occupation frauduleuse d’un local à usage d’habitation ou à usage économique
« Art. 315-1. – L’introduction dans un local à usage d’habitation ou à usage économique à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
« Le maintien dans le local à la suite de l’introduction mentionnée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines.
« Art. 315-2. – Le maintien sans droit ni titre dans un local à usage d’habitation en violation d’une décision de justice définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux depuis plus de deux mois est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
« Le présent article n’est pas applicable lorsque l’occupant bénéficie des dispositions prévues à l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution, lorsque le juge de l’exécution est saisi sur le fondement de l’article L. 412-3 du même code, jusqu’à la décision rejetant la demande ou jusqu’à l’expiration des délais accordés par le juge à l’occupant, ou lorsque le logement appartient à un bailleur social ou à une personne morale de droit public. »
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 36 est présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
L’amendement n° 58 est présenté par Mme Cukierman, M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 36.
M. Guy Benarroche. Par cet amendement de suppression de l’article 1er A, notre groupe entend affirmer que les personnes qui n’arrivent plus à payer leur loyer ne sont pas des délinquants.
Cet article reflète de façon singulière les priorités de l’auteur de ce texte. En instaurant un nouveau délit pénalisant l’occupation sans droit ni titre de tout local à usage d’habitation ou à usage économique, fût-ce une résidence secondaire, un appartement dépourvu de meuble ou un local commercial désaffecté, on fait primer de manière absolue la propriété immobilière sur la nécessité pour une personne de disposer d’un logement.
Par ailleurs, en visant également les locataires défaillants, cette disposition fait des personnes ayant du mal à payer leur loyer de véritables délinquants. Condamner des personnes en grande difficulté financière à une amende pouvant atteindre jusqu’à quinze fois le montant du revenu de solidarité active, le RSA, est aussi absurde qu’injuste : cela ne les aidera en aucun cas à régulariser leur situation, mais aggravera certainement leur précarité financière.
Notre groupe s’inquiète également des nouveaux pouvoirs conférés par cette disposition aux marchands de sommeil : des locataires liés par un bail verbal et victimes d’un propriétaire indélicat ou d’un faux bailleur pourraient être pénalement sanctionnés.
Nous ne cesserons de le rappeler au cours de l’examen de ce texte : ce n’est pas par choix, mais bien par nécessité que l’énorme majorité des personnes concernées choisissent de se maintenir dans leur logement lors des procédures d’expulsion, notamment en raison de l’absence totale de solution de relogement, alors que les pouvoirs publics peinent à résoudre la crise du logement et que la hausse générale des prix aggrave les situations de précarité.
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 58.
Mme Cécile Cukierman. Je ne reprendrai évidemment pas tous les arguments exposés par notre collègue Guy Benarroche en faveur de la suppression de cet article. Nous sommes là au cœur de ce texte, où deux projets s’opposent, voire s’affrontent, dans le respect du débat démocratique.
Le débat est pourtant biaisé, preuve s’il en est besoin que cette proposition de loi n’est pas à la hauteur des enjeux du moment. Elle oppose le droit de propriété à un autre droit fondamental, celui de disposer d’un logement pour vivre dignement. La façon dont nous sommes logés a un impact sur les femmes et les hommes que nous sommes, sur les citoyens qui, ensemble, font société.
Pour notre part, nous sommes viscéralement convaincus que la qualité du logement est intrinsèquement liée à la qualité de vie, comme les récentes périodes de confinement l’ont démontré. Or que se passe-t-il aujourd’hui ? Les hébergements d’urgence sont saturés ; l’effort de construction n’est pas à la hauteur des besoins en logements sociaux.
Monsieur le ministre du logement, j’ai entendu votre plaidoyer en faveur de ce qui a été fait ces dernières années. Je pourrais vous rétorquer que c’est au cours de ce même premier quinquennat Macron que l’on a baissé les APL et fragilisé la capacité des bailleurs sociaux à construire davantage pour mieux répondre aux besoins. En tout état de cause, comme vient de le rappeler M. Benarroche, la réponse que vous apportez in fine – criminaliser les locataires en difficulté – n’est pas à la hauteur des besoins.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. Comme vous l’avez vu, mes chers collègues, la commission a retouché l’article 1er A afin de mieux délimiter le champ des infractions et d’instaurer une meilleure gradation de l’échelle des peines. Elle ne souhaite pas pour autant supprimer entièrement cet article, considérant qu’il est important de garantir le respect du droit de propriété. Aujourd’hui, le code pénal sanctionne seulement le squat du domicile, au nom du respect de la vie privée, ce qui ne nous paraît pas suffisant pour couvrir toutes les situations.
La commission a donc émis un avis défavorable sur ces deux amendements de suppression de l’article.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce que vient de dire M. le rapporteur est parfaitement juste. L’état actuel du droit ne couvre pas toutes les réalités. C’est bien pourquoi il est nécessaire de légiférer ; nous ne le faisons pas pour le plaisir !
Madame Cukierman, monsieur Benarroche, vous accusez ce texte de criminaliser les pauvres : vous ne le dites pas, mais c’est présent dans votre esprit. Ces mots sont excessifs, je vais vous expliquer pourquoi.
Le procureur de la République a toujours la possibilité de classer l’affaire sous condition ; en l’occurrence, sous condition de quitter le logement, par exemple. Le tribunal pourrait aussi retenir, dans certains cas extrêmes, l’état de nécessité.
Quant à l’amende prévue, monsieur Benarroche, vous dites qu’elle pourrait atteindre quinze fois le montant du RSA. Mais vous n’ignorez pas qu’on demande systématiquement à un prévenu, quand il comparaît devant une juridiction pénale, de justifier de ses revenus, car le juge a l’obligation, quand il prononce une amende, de la moduler en fonction des facultés contributives du condamné, de sorte que vos propos ne sont pas tout à fait justes ni exacts.
Alors, sortons de ces postures idéologiques ! Personne ici, me semble-t-il, n’a envie de criminaliser quiconque ; nous voulons simplement couvrir toutes les situations de notre actualité, de notre réalité, afin qu’il ne soit plus possible à quiconque de squatter des locaux qui ne lui appartiennent pas. Les choses me semblent plus justes ainsi.
Le Gouvernement est donc défavorable à ces deux amendements de suppression de l’article.
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je ne veux pas parler d’idéologie, encore que ce ne soit pas un gros mot ! Il me semble simplement important de savoir quelle lecture chacun d’entre nous fait de la République, comment chacun l’imagine.
Concernant les locataires qui n’ont pas pu payer leur loyer, si le Gouvernement considérait de nouveau ce sujet comme très important, même si les chiffres semblent montrer que, jusqu’à ce jour – croisons les doigts ! –, il n’y a pas eu d’augmentation du nombre d’impayés, il aurait dû consulter les acteurs du secteur et les élus locaux.
Il aurait surtout dû reprendre le débat sur la garantie universelle des loyers, mécanisme qui a été voté, je le rappelle, par les deux assemblées. Cette solution a été défendue par notre ancien collègue Jacques Mézard, que personne ne pourrait taxer de bolchevisme, en tant que rapporteur du groupe du travail qui lui était consacré.
La garantie universelle des loyers n’aurait pas ruiné le pays. En effet, au bout de deux ans, 80 % des impayés sont résolus. Elle avait l’immense avantage d’obliger les propriétaires voulant en bénéficier à signaler dès le deuxième mois – d’ailleurs, la rapporteure pour avis reprend ce délai – la situation auprès des comités compétents, afin qu’ils puissent déterminer si le locataire a besoin d’une aide sociale ou s’il est potentiellement de mauvaise foi. Dans tous les cas de figure, le propriétaire était payé et l’État pouvait se retourner contre les locataires de mauvaise foi.
On aurait pu reprendre ce débat, plutôt que de le mélanger avec le cas des squats. À ce propos, on pourrait se demander pourquoi tant de laxisme du temps de M. Sarkozy, ou de M. Chirac…
Mme le président. Merci, ma chère collègue ; je ne puis vous laisser dépasser votre temps de parole.
La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. À entendre le débat sur ce texte, on pourrait croire que l’on part de rien. M. le ministre a pourtant rappelé que la violation de domicile est déjà un délit, puni d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. Je ne vois donc pas vraiment ce qu’apportera le fait de passer à trois ans de prison et 30 000 euros d’amende, puisque vous-même, monsieur le ministre, avez très bien expliqué que la difficulté essentielle est l’application de la peine. La vraie responsabilité consisterait déjà à appliquer les peines prévues.
Je le répète : au travers de ce texte, on procède à une vraie criminalisation de la précarité, tout en se montrant incapable de répondre à la question du relogement, en l’absence d’une politique satisfaisante du logement. C’est là qu’est le problème !
Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 36 et 58.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 61, présenté par Mme Cukierman, M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
ou à usage économique
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Je voudrais d’abord dire un petit mot de la proportion de petits propriétaires parmi les détenteurs du parc immobilier locatif : 3 % des propriétaires possèdent 50 % de ce parc.
Après avoir apporté ce point de repère, je voudrais poser une question aux auteurs de ce texte…
Mme Dominique Estrosi Sassone. Ils ne sont pas ici !
M. Pascal Savoldelli. Pourquoi avez-vous, à cet article, ajouté aux logements les locaux « à usage économique » ? Je ne voudrais pas voir un loup se cacher là où il n’y en a pas ; simplement, alors que nous vivons actuellement un important mouvement social, je me rappelle que certains mouvements sociaux, à un moment donné, conduisent à l’occupation par les salariés des locaux de certaines entreprises. Alors, quelle réalité d’une ampleur considérable représente selon vous un tel problème qu’il faille inscrire à cet article les locaux à usage économique ? Que se passe-t-il, en matière de squats de tels locaux, qui nous ait échappé ?
Nous déterminerons notre position en fonction de l’explication qui nous sera fournie.
Mme le président. L’amendement n° 15, présenté par MM. Patriat, Richard, Théophile, Mohamed Soilihi, Buis et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéas 3 et 4
Remplacer le mot :
économique
par les mots :
commercial, agricole ou professionnel exploité
La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Cet amendement tend à remplacer la notion de « local à usage économique » par celle de « local à usage commercial, agricole ou professionnel ». Celle-ci est en effet déjà connue de notre droit ; ce sont d’ailleurs les termes que le Sénat avait retenus dans le cadre de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés.
En outre, par l’ajout du terme « exploité », nous entendons également exclure du champ de la répression l’introduction et le maintien dans des locaux vides et désaffectés par certaines associations de défense du droit au logement.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. L’amendement n° 61, défendu par M. Savoldelli, vise à exclure les locaux à usage économique du champ d’application de l’article 1er A, qui concernerait dès lors les seuls locaux d’habitation.
Cette exclusion ne nous paraît pas justifiée. En effet, pour répondre à votre question, mon cher collègue, un artisan, un commerçant ou un petit chef d’entreprise peut voir ses locaux squattés et son activité économique entravée. Il n’est donc pas anormal, selon nous, que la loi protège aussi les locaux à usage professionnel ou commercial contre le squat.
L’avis de la commission sur cet amendement est donc défavorable.
Concernant l’amendement n° 15, je rappellerai d’abord que la proposition de loi introduit dans le code pénal un nouvel article 315-1 punissant l’occupation sans droit ni titre d’un local à usage d’habitation ou à usage économique.
L’amendement défendu par M. Patriat vise à remplacer la notion de local « à usage économique » par celle de « local à usage commercial, professionnel ou agricole exploité ». Il ne s’agit pas, à nos yeux, d’un simple changement sémantique : l’ajout du terme « exploité » implique en effet que l’infraction ne serait pas constituée si l’occupation sans droit ni titre concerne un local inexploité.
On peut certes se demander s’il est bien opportun de pénaliser l’occupation par des personnes à la rue de locaux désaffectés.
Toutefois, je vous rappelle que l’objectif du nouvel article 315-1 du code pénal est de protéger la propriété privée en tant que telle, que le local à usage économique soit exploité ou non. Prenons garde à ne pas donner l’impression que l’on tolérerait certaines formes de squat lorsqu’elles concernent des locaux inoccupés ! D’ailleurs, un entrepôt, un commerce peuvent être inoccupés pendant une période donnée, cela ne veut pas dire que le propriétaire n’a pas un projet pour l’avenir, projet que ce squat pourrait entraver.
C’est pourquoi la commission a également émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur Savoldelli, vous avez dit vouloir poser une question à l’auteur de ce texte. Je ne le suis pas – je rappelle qu’il s’agit d’une proposition de loi, déposée par M. le député Kasbarian – ; je peux simplement vous dire que, sur cette question précise, le Gouvernement s’en était remis à la sagesse de l’Assemblée nationale.
Cela étant dit, il ressort des débats parlementaires – si je puis m’en faire le porte-parole, avec la subjectivité qui est la mienne et pour ce que j’en ai compris – que l’objet de cette formule était de prendre en considération les cas où l’on s’introduirait dans une boutique, une échoppe, une boulangerie… Naturellement, il faut aussi protéger les artisans et les petits commerçants, cela a du sens.
Quant à l’amendement n° 15 défendu par M. Patriat, le Gouvernement lui est favorable pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, la notion de « local à usage économique », je pense que nous pouvons tous en convenir, n’a aucune résonance en droit. Il convient donc d’affiner les choses.
M. Patriat propose donc d’employer la notion de « local à usage commercial, agricole ou professionnel », à laquelle il accole l’adjectif « exploité ». Rappelons à ce propos que ce texte porte à l’origine sur le logement. Je tiens dans cet esprit à faire la différence entre un terrain, fût-il grillagé, et un domicile, ou une habitation. Je ne souhaite pas qu’on les mette au même niveau.
Il me semble donc que la nuance que M. Patriat propose d’introduire avec l’adjectif « exploité » mérite de retenir notre attention. Tout n’a pas la même gravité. Nous avons d’ailleurs, pour justifier de l’utilité de ce texte, pris argument de certains exemples médiatiques qui nous ont tous beaucoup émus. Eh bien, je vois mal un propriétaire de terrain, qui y dormirait dans sa caravane, se plaindre de ne pouvoir rentrer sur son terrain. Il ne s’agit pas d’une violation de domicile, avec tout ce que cela comporte d’effraction dans l’intimité, dans le logement d’une famille. Ces actes n’ont pas tous la même dimension.
C’est pourquoi je salue la nuance proposée par M. Patriat et je souhaite que le Sénat l’inscrive dans ce texte en adoptant l’amendement n° 15.
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je désapprouve cet article, mais je voterai l’amendement de M. Patriat.
Jusqu’à présent, les gouvernements successifs n’ont pas voulu sanctionner systématiquement tous les squats, en dehors de la violation d’un domicile occupé, qui est punissable. Depuis 1945, le droit de propriété est mis en regard de l’intérêt général, au vu de la crise du logement. On a institué à la Libération un principe de réquisition de logements ou de locaux vides, de manière à loger des gens qui ne l’étaient pas. Depuis lors, l’intérêt général, ou l’ordre public, a toujours contrebalancé le droit de propriété.
La plupart du temps, l’État et les collectivités ne veulent pas faire prévaloir ce droit au logement, à tort, puisque dans de telles procédures de réquisition le propriétaire est indemnisé, alors que dans le cas d’un squat il ne touche rien du tout. Comme personne ne voulait y avoir recours, puisque cela coûte de l’argent, on a laissé faire les squats de logements ou de locaux vides, d’usines désaffectées, etc. En général, cela pose plus de problèmes de cohabitation avec les voisins que de problèmes avec les propriétaires. (Mme Valérie Boyer proteste.)
Il me semble que la pénalisation supplémentaire proposée dans ce texte pour de tels cas va faire ressortir de nombreux problèmes qui ne seront jamais résolus, pour les raisons que j’ai déjà développées : il n’y aura pas d’offre !
J’estime donc que la proposition minimaliste, si je puis dire, de M. Patriat limite la casse. Pour ma part, je voterai cet amendement.
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je trouve ce débat très intéressant. M. le rapporteur nous a bien expliqué que, s’il voulait mettre sous la même enseigne la totalité des locaux, d’habitation ou économiques, vides ou occupés, meublés ou non, commerciaux ou agricoles, friches industrielles et terrains à bâtir, c’était bien parce que ce qui doit primer, selon lui, de manière claire et absolue, c’est le droit à la propriété immobilière !
C’est d’ailleurs bien ce que nous reprochons à ce texte : cet amalgame constant, au nom de la priorité absolue donnée à la propriété immobilière sur toutes les autres considérations. C’est pourquoi notre position sur ce texte est extrêmement négative.
Je suis en revanche totalement d’accord avec la démonstration de M. le ministre, qui a bien expliqué qu’il existait des possibilités d’utilisation de locaux ou de terrains qui restaient inexploités depuis des années, pour les raisons qu’a exposées Marie-Noëlle Lienemann, alors qu’on pourrait y loger des gens au nom de l’intérêt public et de l’incapacité de l’État, de l’administration, à leur fournir des logements décents.
Mme Valérie Boyer. Ils sont peut-être inexploités, mais les propriétaires payent des taxes !
M. Guy Benarroche. Dans ce contexte, nous voterons bien entendu en faveur des deux amendements en discussion ; nous soutiendrons celui de M. Patriat parce qu’il nous paraît absolument inadapté d’aggraver la pénalisation de squats de locaux ou de terrains non exploités depuis des années, ou encore de punir de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait, pour une association œuvrant pour le droit au logement qui ne cause aucun trouble à l’ordre public, d’occuper des locaux vides et inexploités.
Mme le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour explication de vote.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Je ne partage pas l’analyse que vient de nous exposer M. le garde des sceaux au sujet de l’amendement de M. Patriat.
Qu’il soit question d’un local à usage d’habitation ou d’un local à usage économique, il s’agit bien, que je sache, d’une propriété privée ! Je ne vois pas pourquoi on excuserait plus facilement l’occupation illégale de locaux à usage professionnel que celle de locaux à usage d’habitation.
M. François Patriat. Parce que ce n’est pas un logement !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Je rappelle également que, si nous défendons ces mesures pénales, c’est aussi parce que nous voulons donner toute sa force au dispositif du logement intérimaire, qui permet à des sociétés privées agréées par l’État, ou à des associations, d’offrir à des gens la possibilité d’occuper temporairement des locaux vacants – généralement des bureaux, des locaux à usage professionnel – de manière à leur offrir un logement le temps de la convention d’occupation, en contrepartie de quoi ces sociétés ou associations doivent évidemment entretenir lesdits locaux. Nous avons voulu pérenniser ce dispositif, qui apporte des réponses réelles aux besoins de logement de personnes en mobilité géographique ou professionnelle, mais aussi en situation de fragilité.
Pour ma part, je place sur le même plan les locaux à usage d’habitation et les locaux à usage professionnel : je n’excuse l’occupation illégale ni des uns ni des autres !
Mme le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.
Mme Valérie Boyer. Je partage les propos de Mme Estrosi Sassone. Permettez-moi, monsieur le ministre, d’exprimer ma surprise : vous donnez un avis de sagesse, mais est-il vraiment sage de considérer ces locaux comme squattables ? (M. le garde des sceaux fait un geste de dénégation.)
C’est bien de cela qu’il est question. Si on peut les occuper, c’est que le propriétaire est en quelque sorte dépossédé. En outre, si ces locaux sont inoccupés, leurs propriétaires payent des taxes, de même que l’entretien et les assurances. Pourquoi leurs biens seraient-ils moins protégés par la loi que les autres ? En vertu de quoi ? (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Ce n’est pas comme s’il n’existait pas de loi sur le logement et que notre pays ne faisait aucun effort pour aider les personnes qui rencontrent des difficultés pour se loger ! Je ne comprends donc pas l’amendement de M. Patriat…
Mme Valérie Boyer. … et je ne le voterai pas. Non seulement je ne partage pas son esprit, mais j’estime qu’il encourage un trouble déjà très important, que nous essayons de combattre au travers de ce texte sur les occupations illicites.
Il s’agit d’une forme d’encouragement ou, tout du moins, de permission des violations de la propriété, qui doivent continuer d’être considérées comme telles. Il n’y a ni « sous-propriétés » ni « surpropriétés », faute de quoi le fisc aurait catégorisé les logements squattables et non squattables. Les propriétaires dont les logements sont squattés et qui sont donc victimes de spoliation continuent malheureusement à payer les taxes, les assurances et à être responsables de leur bien.
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. L’expression « locaux économiques » ne me semble pas satisfaisante. S’agissant des activités professionnelles, des procédures d’expulsions sans jugement du domicile occupé illicitement sont déjà en vigueur. Cela vaut pour les locaux professionnels – il n’y a pas de spécificité à trouver.
Par ailleurs, vous comprenez bien que des salariés, qui ne sont ni propriétaires ni actionnaires, peuvent éprouver le besoin d’être rassurés sur le fait qu’ils puissent exercer les droits qui leur sont ouverts par le code du travail. Il faut nous préoccuper de cette question.
S’agissant de l’amendement de M. Patriat, notre groupe compte le voter, afin qu’il soit discuté lors de la navette parlementaire. Franchement, ne lui faisons pas dire plus que ce qu’il dit : il a pour objet « d’exclure du champ de la répression l’introduction et le maintien dans les locaux vides et désaffectés ».
Mme Valérie Boyer. C’est exactement ce que je dis, on incite à squatter !
M. Pascal Savoldelli. Nous connaissons tous des locaux vides et désaffectés, dont le propriétaire est endetté, ne paye pas d’assurance, fait des deals pour organiser des rave parties… Nous ne ferons pas loi en prenant tous les cas particuliers.
Nous voterons donc cet amendement, car, s’il est moins-disant, il a le mérite d’ouvrir une porte à l’utilisation de locaux qui sont, je le répète, vides et désaffectés. Je ne vois pas quel serait l’intérêt de les maintenir ainsi pendant longtemps, que ce soit pour l’économie ou pour le professionnel. Autant en avoir un usage d’intérêt général, par exemple associatif.
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. André Reichardt, rapporteur. Nous visons des locaux à usage d’habitation ou à usage économique. Monsieur le ministre, vous avez pris pour exemple des terrains qui pouvaient être squattés, or nous parlons bien de locaux, et non de terrains – ce n’est pas du tout la même chose.
Vous aurez compris, chers collègues, que le terme « exploité » pose problème. Par ailleurs, monsieur Patriat, si vous aviez substitué à l’expression « à usage économique » celle de « à usage commercial, agricole ou professionnel », nous aurions formulé un avis favorable, ces termes figurant d’ores et déjà dans notre législation. Nous aurons toutefois l’occasion de corriger cela lors de la navette parlementaire.
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice Boyer, j’espère que vous ne regrettez pas notre bref moment de communion. (Sourires. – Mme Valérie Boyer proteste.) La sagesse que j’évoquais n’est pas celle, autoproclamée, du ministre. Lorsque celui-ci donne un avis de sagesse, cela signifie qu’il s’en remet à la sagesse… des parlementaires ! Il n’est pas question de ma propre sagesse : je n’ai pas prétendu à la sagesse, j’aspire à la vôtre, c’est singulièrement différent. (Nouveaux sourires.)
Pour le reste, bien sûr qu’il faut maintenir des interdictions, mais on peut interdire sans texte répressif, sans réponse pénale. Je fais le distinguo entre un logement, un garage exploité et un garage inexploité. Madame Estrosi Sassone, je distingue entre trois catégories : logement, local non plus « économique », mais disons artisanal exploité, et local inexploité. J’estime que le code pénal n’est pas utile dans le troisième cas.
Pour autant, ce n’est pas un appel à l’occupation. Nous parlons d’une loi relative au logement, mais le mot que nous avons le plus employé est celui d’équilibre. Votre commission a enrichi le texte ; veillons toutefois à ce qu’on ne dise pas que l’on criminalise les pauvres,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. On le dira !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … car c’est, naturellement, à des années-lumière de ce que nous voulons faire. Nous souhaitons simplement rétablir une forme de justice – point n’est besoin de crier au loup, si j’ose dire.
De nombreux exemples ont été cités et nous ont émus. Mais si la présence d’une famille dans un hangar suscite une telle émotion, cela doit-il pour autant nous conduire à une solution de judiciarisation, de pénalisation ? Je pense que non – voilà ce que j’ai tenté d’exprimer en appelant à votre sagesse.
Mme le président. Mes chers collègues, je vais lever la séance.
Je vous rappelle que la suite de l’examen de la proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite est inscrite à l’ordre du jour de ce jeudi 2 février 2023, à l’issue de l’espace réservé au groupe GEST et, éventuellement, le soir.
11
Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 1er février 2023 :
À quatorze heures trente :
Allocution de M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l’Ukraine.
À quinze heures quinze :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quarante-cinq :
Désignation des vingt et un membres de la mission d’information sur le thème « Gestion durable de l’eau : l’urgence d’agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement » ;
Désignation des vingt-trois membres de la mission d’information sur le thème « Le bâti scolaire à l’épreuve de la transition écologique » ;
Désignation des trente-sept membres de la commission spéciale sur la proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie ;
Désignation des trente-sept membres de la commission spéciale sur la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires.
De seize heures quarante-cinq à vingt heures quarante-cinq :
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
Proposition de loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, présentée par M. Bernard Jomier et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 282, 2022-2023) ;
Proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse (texte n° 143, 2022-2023).
Le soir :
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses (texte de la commission n° 277, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 1er février 2023, à une heure vingt.)
nomination d’un membre d’une commission d’enquête
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Laurence Muller-Bronn est proclamée membre de la commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française, en remplacement de M. Jacques Grosperrin, démissionnaire.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER