M. François Patriat. Cet amendement tend à remplacer la notion de « local à usage économique » par celle de « local à usage commercial, agricole ou professionnel ». Celle-ci est en effet déjà connue de notre droit ; ce sont d’ailleurs les termes que le Sénat avait retenus dans le cadre de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés.
En outre, par l’ajout du terme « exploité », nous entendons également exclure du champ de la répression l’introduction et le maintien dans des locaux vides et désaffectés par certaines associations de défense du droit au logement.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. L’amendement n° 61, défendu par M. Savoldelli, vise à exclure les locaux à usage économique du champ d’application de l’article 1er A, qui concernerait dès lors les seuls locaux d’habitation.
Cette exclusion ne nous paraît pas justifiée. En effet, pour répondre à votre question, mon cher collègue, un artisan, un commerçant ou un petit chef d’entreprise peut voir ses locaux squattés et son activité économique entravée. Il n’est donc pas anormal, selon nous, que la loi protège aussi les locaux à usage professionnel ou commercial contre le squat.
L’avis de la commission sur cet amendement est donc défavorable.
Concernant l’amendement n° 15, je rappellerai d’abord que la proposition de loi introduit dans le code pénal un nouvel article 315-1 punissant l’occupation sans droit ni titre d’un local à usage d’habitation ou à usage économique.
L’amendement défendu par M. Patriat vise à remplacer la notion de local « à usage économique » par celle de « local à usage commercial, professionnel ou agricole exploité ». Il ne s’agit pas, à nos yeux, d’un simple changement sémantique : l’ajout du terme « exploité » implique en effet que l’infraction ne serait pas constituée si l’occupation sans droit ni titre concerne un local inexploité.
On peut certes se demander s’il est bien opportun de pénaliser l’occupation par des personnes à la rue de locaux désaffectés.
Toutefois, je vous rappelle que l’objectif du nouvel article 315-1 du code pénal est de protéger la propriété privée en tant que telle, que le local à usage économique soit exploité ou non. Prenons garde à ne pas donner l’impression que l’on tolérerait certaines formes de squat lorsqu’elles concernent des locaux inoccupés ! D’ailleurs, un entrepôt, un commerce peuvent être inoccupés pendant une période donnée, cela ne veut pas dire que le propriétaire n’a pas un projet pour l’avenir, projet que ce squat pourrait entraver.
C’est pourquoi la commission a également émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur Savoldelli, vous avez dit vouloir poser une question à l’auteur de ce texte. Je ne le suis pas – je rappelle qu’il s’agit d’une proposition de loi, déposée par M. le député Kasbarian – ; je peux simplement vous dire que, sur cette question précise, le Gouvernement s’en était remis à la sagesse de l’Assemblée nationale.
Cela étant dit, il ressort des débats parlementaires – si je puis m’en faire le porte-parole, avec la subjectivité qui est la mienne et pour ce que j’en ai compris – que l’objet de cette formule était de prendre en considération les cas où l’on s’introduirait dans une boutique, une échoppe, une boulangerie… Naturellement, il faut aussi protéger les artisans et les petits commerçants, cela a du sens.
Quant à l’amendement n° 15 défendu par M. Patriat, le Gouvernement lui est favorable pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, la notion de « local à usage économique », je pense que nous pouvons tous en convenir, n’a aucune résonance en droit. Il convient donc d’affiner les choses.
M. Patriat propose donc d’employer la notion de « local à usage commercial, agricole ou professionnel », à laquelle il accole l’adjectif « exploité ». Rappelons à ce propos que ce texte porte à l’origine sur le logement. Je tiens dans cet esprit à faire la différence entre un terrain, fût-il grillagé, et un domicile, ou une habitation. Je ne souhaite pas qu’on les mette au même niveau.
Il me semble donc que la nuance que M. Patriat propose d’introduire avec l’adjectif « exploité » mérite de retenir notre attention. Tout n’a pas la même gravité. Nous avons d’ailleurs, pour justifier de l’utilité de ce texte, pris argument de certains exemples médiatiques qui nous ont tous beaucoup émus. Eh bien, je vois mal un propriétaire de terrain, qui y dormirait dans sa caravane, se plaindre de ne pouvoir rentrer sur son terrain. Il ne s’agit pas d’une violation de domicile, avec tout ce que cela comporte d’effraction dans l’intimité, dans le logement d’une famille. Ces actes n’ont pas tous la même dimension.
C’est pourquoi je salue la nuance proposée par M. Patriat et je souhaite que le Sénat l’inscrive dans ce texte en adoptant l’amendement n° 15.
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je désapprouve cet article, mais je voterai l’amendement de M. Patriat.
Jusqu’à présent, les gouvernements successifs n’ont pas voulu sanctionner systématiquement tous les squats, en dehors de la violation d’un domicile occupé, qui est punissable. Depuis 1945, le droit de propriété est mis en regard de l’intérêt général, au vu de la crise du logement. On a institué à la Libération un principe de réquisition de logements ou de locaux vides, de manière à loger des gens qui ne l’étaient pas. Depuis lors, l’intérêt général, ou l’ordre public, a toujours contrebalancé le droit de propriété.
La plupart du temps, l’État et les collectivités ne veulent pas faire prévaloir ce droit au logement, à tort, puisque dans de telles procédures de réquisition le propriétaire est indemnisé, alors que dans le cas d’un squat il ne touche rien du tout. Comme personne ne voulait y avoir recours, puisque cela coûte de l’argent, on a laissé faire les squats de logements ou de locaux vides, d’usines désaffectées, etc. En général, cela pose plus de problèmes de cohabitation avec les voisins que de problèmes avec les propriétaires. (Mme Valérie Boyer proteste.)
Il me semble que la pénalisation supplémentaire proposée dans ce texte pour de tels cas va faire ressortir de nombreux problèmes qui ne seront jamais résolus, pour les raisons que j’ai déjà développées : il n’y aura pas d’offre !
J’estime donc que la proposition minimaliste, si je puis dire, de M. Patriat limite la casse. Pour ma part, je voterai cet amendement.
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je trouve ce débat très intéressant. M. le rapporteur nous a bien expliqué que, s’il voulait mettre sous la même enseigne la totalité des locaux, d’habitation ou économiques, vides ou occupés, meublés ou non, commerciaux ou agricoles, friches industrielles et terrains à bâtir, c’était bien parce que ce qui doit primer, selon lui, de manière claire et absolue, c’est le droit à la propriété immobilière !
C’est d’ailleurs bien ce que nous reprochons à ce texte : cet amalgame constant, au nom de la priorité absolue donnée à la propriété immobilière sur toutes les autres considérations. C’est pourquoi notre position sur ce texte est extrêmement négative.
Je suis en revanche totalement d’accord avec la démonstration de M. le ministre, qui a bien expliqué qu’il existait des possibilités d’utilisation de locaux ou de terrains qui restaient inexploités depuis des années, pour les raisons qu’a exposées Marie-Noëlle Lienemann, alors qu’on pourrait y loger des gens au nom de l’intérêt public et de l’incapacité de l’État, de l’administration, à leur fournir des logements décents.
Mme Valérie Boyer. Ils sont peut-être inexploités, mais les propriétaires payent des taxes !
M. Guy Benarroche. Dans ce contexte, nous voterons bien entendu en faveur des deux amendements en discussion ; nous soutiendrons celui de M. Patriat parce qu’il nous paraît absolument inadapté d’aggraver la pénalisation de squats de locaux ou de terrains non exploités depuis des années, ou encore de punir de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait, pour une association œuvrant pour le droit au logement qui ne cause aucun trouble à l’ordre public, d’occuper des locaux vides et inexploités.
Mme le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour explication de vote.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Je ne partage pas l’analyse que vient de nous exposer M. le garde des sceaux au sujet de l’amendement de M. Patriat.
Qu’il soit question d’un local à usage d’habitation ou d’un local à usage économique, il s’agit bien, que je sache, d’une propriété privée ! Je ne vois pas pourquoi on excuserait plus facilement l’occupation illégale de locaux à usage professionnel que celle de locaux à usage d’habitation.
M. François Patriat. Parce que ce n’est pas un logement !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Je rappelle également que, si nous défendons ces mesures pénales, c’est aussi parce que nous voulons donner toute sa force au dispositif du logement intérimaire, qui permet à des sociétés privées agréées par l’État, ou à des associations, d’offrir à des gens la possibilité d’occuper temporairement des locaux vacants – généralement des bureaux, des locaux à usage professionnel – de manière à leur offrir un logement le temps de la convention d’occupation, en contrepartie de quoi ces sociétés ou associations doivent évidemment entretenir lesdits locaux. Nous avons voulu pérenniser ce dispositif, qui apporte des réponses réelles aux besoins de logement de personnes en mobilité géographique ou professionnelle, mais aussi en situation de fragilité.
Pour ma part, je place sur le même plan les locaux à usage d’habitation et les locaux à usage professionnel : je n’excuse l’occupation illégale ni des uns ni des autres !
Mme le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.
Mme Valérie Boyer. Je partage les propos de Mme Estrosi Sassone. Permettez-moi, monsieur le ministre, d’exprimer ma surprise : vous donnez un avis de sagesse, mais est-il vraiment sage de considérer ces locaux comme squattables ? (M. le garde des sceaux fait un geste de dénégation.)
C’est bien de cela qu’il est question. Si on peut les occuper, c’est que le propriétaire est en quelque sorte dépossédé. En outre, si ces locaux sont inoccupés, leurs propriétaires payent des taxes, de même que l’entretien et les assurances. Pourquoi leurs biens seraient-ils moins protégés par la loi que les autres ? En vertu de quoi ? (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Ce n’est pas comme s’il n’existait pas de loi sur le logement et que notre pays ne faisait aucun effort pour aider les personnes qui rencontrent des difficultés pour se loger ! Je ne comprends donc pas l’amendement de M. Patriat…
Mme Valérie Boyer. … et je ne le voterai pas. Non seulement je ne partage pas son esprit, mais j’estime qu’il encourage un trouble déjà très important, que nous essayons de combattre au travers de ce texte sur les occupations illicites.
Il s’agit d’une forme d’encouragement ou, tout du moins, de permission des violations de la propriété, qui doivent continuer d’être considérées comme telles. Il n’y a ni « sous-propriétés » ni « surpropriétés », faute de quoi le fisc aurait catégorisé les logements squattables et non squattables. Les propriétaires dont les logements sont squattés et qui sont donc victimes de spoliation continuent malheureusement à payer les taxes, les assurances et à être responsables de leur bien.
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. L’expression « locaux économiques » ne me semble pas satisfaisante. S’agissant des activités professionnelles, des procédures d’expulsions sans jugement du domicile occupé illicitement sont déjà en vigueur. Cela vaut pour les locaux professionnels – il n’y a pas de spécificité à trouver.
Par ailleurs, vous comprenez bien que des salariés, qui ne sont ni propriétaires ni actionnaires, peuvent éprouver le besoin d’être rassurés sur le fait qu’ils puissent exercer les droits qui leur sont ouverts par le code du travail. Il faut nous préoccuper de cette question.
S’agissant de l’amendement de M. Patriat, notre groupe compte le voter, afin qu’il soit discuté lors de la navette parlementaire. Franchement, ne lui faisons pas dire plus que ce qu’il dit : il a pour objet « d’exclure du champ de la répression l’introduction et le maintien dans les locaux vides et désaffectés ».
Mme Valérie Boyer. C’est exactement ce que je dis, on incite à squatter !
M. Pascal Savoldelli. Nous connaissons tous des locaux vides et désaffectés, dont le propriétaire est endetté, ne paye pas d’assurance, fait des deals pour organiser des rave parties… Nous ne ferons pas loi en prenant tous les cas particuliers.
Nous voterons donc cet amendement, car, s’il est moins-disant, il a le mérite d’ouvrir une porte à l’utilisation de locaux qui sont, je le répète, vides et désaffectés. Je ne vois pas quel serait l’intérêt de les maintenir ainsi pendant longtemps, que ce soit pour l’économie ou pour le professionnel. Autant en avoir un usage d’intérêt général, par exemple associatif.
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. André Reichardt, rapporteur. Nous visons des locaux à usage d’habitation ou à usage économique. Monsieur le ministre, vous avez pris pour exemple des terrains qui pouvaient être squattés, or nous parlons bien de locaux, et non de terrains – ce n’est pas du tout la même chose.
Vous aurez compris, chers collègues, que le terme « exploité » pose problème. Par ailleurs, monsieur Patriat, si vous aviez substitué à l’expression « à usage économique » celle de « à usage commercial, agricole ou professionnel », nous aurions formulé un avis favorable, ces termes figurant d’ores et déjà dans notre législation. Nous aurons toutefois l’occasion de corriger cela lors de la navette parlementaire.
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice Boyer, j’espère que vous ne regrettez pas notre bref moment de communion. (Sourires. – Mme Valérie Boyer proteste.) La sagesse que j’évoquais n’est pas celle, autoproclamée, du ministre. Lorsque celui-ci donne un avis de sagesse, cela signifie qu’il s’en remet à la sagesse… des parlementaires ! Il n’est pas question de ma propre sagesse : je n’ai pas prétendu à la sagesse, j’aspire à la vôtre, c’est singulièrement différent. (Nouveaux sourires.)
Pour le reste, bien sûr qu’il faut maintenir des interdictions, mais on peut interdire sans texte répressif, sans réponse pénale. Je fais le distinguo entre un logement, un garage exploité et un garage inexploité. Madame Estrosi Sassone, je distingue entre trois catégories : logement, local non plus « économique », mais disons artisanal exploité, et local inexploité. J’estime que le code pénal n’est pas utile dans le troisième cas.
Pour autant, ce n’est pas un appel à l’occupation. Nous parlons d’une loi relative au logement, mais le mot que nous avons le plus employé est celui d’équilibre. Votre commission a enrichi le texte ; veillons toutefois à ce qu’on ne dise pas que l’on criminalise les pauvres,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. On le dira !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … car c’est, naturellement, à des années-lumière de ce que nous voulons faire. Nous souhaitons simplement rétablir une forme de justice – point n’est besoin de crier au loup, si j’ose dire.
De nombreux exemples ont été cités et nous ont émus. Mais si la présence d’une famille dans un hangar suscite une telle émotion, cela doit-il pour autant nous conduire à une solution de judiciarisation, de pénalisation ? Je pense que non – voilà ce que j’ai tenté d’exprimer en appelant à votre sagesse.
Mme le président. Mes chers collègues, je vais lever la séance.
Je vous rappelle que la suite de l’examen de la proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite est inscrite à l’ordre du jour de ce jeudi 2 février 2023, à l’issue de l’espace réservé au groupe GEST et, éventuellement, le soir.
11
Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 1er février 2023 :
À quatorze heures trente :
Allocution de M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l’Ukraine.
À quinze heures quinze :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quarante-cinq :
Désignation des vingt et un membres de la mission d’information sur le thème « Gestion durable de l’eau : l’urgence d’agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement » ;
Désignation des vingt-trois membres de la mission d’information sur le thème « Le bâti scolaire à l’épreuve de la transition écologique » ;
Désignation des trente-sept membres de la commission spéciale sur la proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie ;
Désignation des trente-sept membres de la commission spéciale sur la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires.
De seize heures quarante-cinq à vingt heures quarante-cinq :
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
Proposition de loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, présentée par M. Bernard Jomier et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 282, 2022-2023) ;
Proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse (texte n° 143, 2022-2023).
Le soir :
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses (texte de la commission n° 277, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 1er février 2023, à une heure vingt.)
nomination d’un membre d’une commission d’enquête
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Laurence Muller-Bronn est proclamée membre de la commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française, en remplacement de M. Jacques Grosperrin, démissionnaire.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER