M. Guillaume Gontard. C’est déjà le cas !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Sinon, il suffirait, parce que vous n’avez plus le respect de rien, d’entrer chez les gens pour que cela devienne votre domicile.
Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas cela, la proposition de loi !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Attendez deux secondes !
Au nom du dogmatisme et de l’idéologie, vous trouvez cela normal !
Mme Cécile Cukierman. Non, on ne trouve pas cela normal ! On ne parle pas de la même chose !
Mme le président. C’est M. le ministre qui a la parole, madame Cukierman. Vous aurez votre temps de parole.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je n’irai donc pas chez M. Guy Benarroche, mais chez vous, madame la sénatrice. On marche sur la tête ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Cécile Cukierman. On n’est pas au café du commerce !
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Sur ce sujet, ce sont les convictions et les passions des uns et des autres qui s’expriment. Je ne vous demande pas de venir chez moi, monsieur le garde des sceaux !
M. Pascal Savoldelli. Vous le voyez, vous n’êtes pas calme ! Vous avez plus d’assurance quand vous parlez tout seul ! Ici, vous êtes dans un hémicycle où une diversité d’opinions s’exprime.
Imaginer un récit dans lequel vous viendriez squatter le domicile d’un parlementaire… Franchement, le sujet est trop important !
M. Pascal Savoldelli. Certes, il existe une argumentation opposable à ce que je m’apprête à dire. Mais je ne m’appuierai pas sur un récit ou je ne sais quelle histoire. Je vous le dis, mais vous pouvez le contester, que nous voterons très certainement cette motion. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi, de manière calme et extrêmement respectueuse.
Aux yeux de notre groupe – peut-être avons-nous tort –, il y a un problème de déséquilibre entre deux droits : les droits à la liberté et les droits fondamentaux garantis par la Constitution, en particulier le droit au logement. Nous pensons – excusez-nous de penser ! – qu’il existe un déséquilibre dans la façon dont est abordée la question des squats et des impayés, avec un mélange des genres n’ayant pas lieu d’être et un déséquilibre entre le propriétaire et le locataire, opposant libertés et droits fondamentaux.
C’est un point de vue qui peut s’entendre ! Par conséquent, notre groupe soutiendra tranquillement la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité présentée par nos collègues écologistes. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour explication de vote.
Mme Viviane Artigalas. Comme nos collègues du groupe écologiste, nous estimons cette proposition de loi irrecevable.
C’est à juste titre que cette motion rappelle dans son objet la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 1995 élevant au rang d’objectif de valeur constitutionnelle la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent.
Ceux qui prendront la peine de relire cette décision verront que les sages citent des passages du préambule de la Constitution de 1946, qu’il paraît essentiel de rappeler ici ce soir : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. […] Elle garantit à tous […] le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence », y compris lorsqu’une personne se trouve dans l’incapacité de travailler en raison de son état physique ou de la situation économique.
Dès lors, notre groupe s’interroge sur un point particulier : les rédacteurs de cette proposition de loi estiment-ils que le fait de prévoir une peine d’emprisonnement pour punir quelqu’un demeurant encore dans son logement après avoir dû faire face à l’impossibilité de payer son loyer est la manière la plus adéquate pour notre nation d’assurer à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement et des moyens convenables d’existence ?
Parce que nous estimons que cette proposition de loi n’est ni recevable, ni acceptable, ni soutenable pour toutes les Françaises et tous les Français, notre groupe votera cette motion. Cette proposition de loi introduit un déséquilibre. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. L’objet de la motion me paraît d’une grande violence. En effet, parler d’« atteintes graves aux libertés individuelles » et d’une primauté prétendument absolue du droit de propriété, en invoquant le logement décent, comme s’il s’agissait d’un sauf-conduit pour bafouer les conditions les plus élémentaires de l’exercice du droit de propriété, me semble relever d’une drôle d’interprétation !
Monsieur Benarroche, vous qui ne manquez pas de références, je vous rappelle que le droit de propriété est le premier des droits affirmés en 1789. Ce n’est pas rien ! Il figure dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen au même titre que la sûreté, l’égalité, la liberté et la résistance à l’oppression.
Vous invoquez le droit au logement, qui est tout à fait admissible. Il existe toutefois une primauté que vous niez totalement. En invoquant à tout propos la crise du logement, qui est une réalité, vous niez le droit naturel qu’est le droit de propriété. Je le rappelle, les députés de l’Assemblée constituante en ont fait leur premier article. Il a ensuite été inséré à l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
À ce stade de la discussion, ce rappel me paraît nécessaire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je veux répondre très brièvement, madame la présidente, à l’interpellation de M. Pascal Savoldelli.
Je n’ai pas voulu vous offenser qui que ce soit. Ce que j’ai dit sur un ton peut-être un peu badin – peut-être n’aurais-je pas dû – correspond exactement à ce qui se passe. Le droit au logement dont vous vous faites le fervent défenseur existe, mais il ne revient pas à dire : « Pousse-toi de là que je m’y mette ! » Je suis désolé, cela ne peut pas être cela !
Je l’ai dit tout à l’heure, sous la forme d’un trait d’humour, à l’adresse de M. Guy Benarroche. Vous l’avez interprété comme quelque chose d’offensant. Si tel est le cas, je vous présente mes excuses.
Toutefois, c’est cela, le squat : je trouve un logement vide qui n’est pas à moi et, au nom du droit au logement, je m’y installe. J’interdis ensuite au propriétaire de récupérer son bien.
La propriété n’est ni sale ni moche. Elle est consacrée aussi par notre Constitution, il faut le rappeler. À mes yeux, ce texte a le mérite d’être équilibré, entre le droit au logement et le droit constitutionnel à la propriété privée.
Les situations que nous avons pu découvrir ces derniers temps au travers d’un certain nombre de reportages sont, à proprement parler, inacceptables.
M. François Bonhomme. Révoltantes !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Certaines personnes dorment, sur leur terrain, dans leur caravane, parce que leur appartement, pour lequel elles ont bossé toute leur vie, est occupé par des gens qui ont décidé que le droit au logement surpasse tous les autres droits. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) Pardon, mais je ne peux pas être sur une telle position ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et Les Républicains.)
Mme le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Mme le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme le président. Je suis saisie, par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 6.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger les logements contre l’occupation illicite (n° 279, 2022-2023).
La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la motion.
M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai en évoquant M. le Président de la République.
M. François Bonhomme. Il est locataire ! (Rires.)
M. Pascal Savoldelli. En 2017, Emmanuel Macron déclarait : « La première bataille, c’est de loger tout le monde dignement. […] Je ne veux plus, d’ici à la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois ou perdus. C’est une question de dignité. C’est une question d’humanité et d’efficacité là aussi. »
Ma question est la suivante : quelle est la place accordée, dans cette proposition de loi, à la dignité des plus vulnérables ? Depuis la création du droit au logement, inscrit dans la Constitution, qui permet l’expulsion sans jugement du domicile occupé illicitement, les textes successifs en matière d’expulsions sans jugement du domicile occupé illicitement se sont renforcés.
Ces réformes ont été alimentées par des faits divers souvent, veuillez m’excuser, surmédiatisés, donnant l’impression que les phénomènes du squat et des impayés de loyer, d’ailleurs injustement assimilés,…
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Mais non !
M. Pascal Savoldelli. … avaient pris une ampleur considérable. Nous serions face à un tsunami ! À vous croire, on serait dans un régime d’occupation !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Ce n’est pas ce que nous avons dit !
M. Pascal Savoldelli. Pourtant, mes chers collègues, nous sommes loin d’être laxistes en la matière. Ces phénomènes restent très rares. Certains ne veulent pas le reconnaître, mais le squat est loin d’être la première issue voulue par les personnes. C’est une solution forcée, qui découle de l’incapacité de l’État – je sais qu’il ne faut pas en parler ! – à permettre la mise à l’abri et l’accès au logement de tous.
Dites-moi si je me trompe, monsieur le ministre du logement : sur l’exercice 2022, vous avez construit 84 000 logements sociaux. (M. le ministre acquiesce.) Nous disons donc la même chose. Mais, au vu de la situation, il faudrait en construire 150 000 tous les ans, pendant dix ans.
Vous venez d’ailleurs d’envoyer aux préfets une missive évoquant la question du froid. J’évoquerai tout à l’heure la durée nécessaire pour obtenir un hébergement d’urgence au 115, mais vous connaissez la situation.
Nous ne pouvons pas ignorer l’insuffisance de la réponse de l’État, si on ne veut pas de gens à la rue et privés de leur droit au logement.
Il convient de le souligner, juridiquement, l’occupation illicite d’un bien immobilier porte le plus souvent une atteinte réparable au droit de propriété. Le propriétaire peut déjà obtenir une indemnisation satisfaisante des loyers impayés ou des dégâts causés par les occupants sans droit ni titre. Pourquoi cette loi fait-elle l’impasse sur ces dispositifs déjà existants ?
En fin de compte, l’enjeu de cette proposition de loi est d’élever le droit de propriété à finalité lucrative au rang de valeur suprême. Telle est la question, dont il est normal que nous débattions.
Cette valeur, aux yeux des auteurs de ce texte, doit primer sur tous les autres principes, y compris celui de la sauvegarde de la dignité humaine, car, oui, le but avoué de cette proposition de loi est d’aggraver le déséquilibre de la relation entre le bailleur et le locataire au détriment de ce dernier. La tendance est ainsi – le mot est dur, mais nous y viendrons – à criminaliser les locataires qui rencontrent le plus de difficultés.
Face aux intentions qui ont présidé à la rédaction de cette proposition de loi, qui ne sont pas ou sont peu en adéquation avec les réalités économiques et sociales de notre pays, une piqûre de rappel s’impose. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste dénonce d’ailleurs l’incapacité de l’État à respecter ses obligations en matière de droit au logement. Aujourd’hui, l’urgence est d’éviter que davantage de personnes et de familles en situation de précarité ne se retrouvent à la rue ! N’oublions pas que, en France, par le 115, on n’obtient qu’une fois tous les cinq jours une place d’hébergement. (M. le ministre délégué le conteste.)
Mme Valérie Boyer. Quel est le rapport ?
M. Pascal Savoldelli. C’est bien cela, monsieur le ministre ?
M. Pascal Savoldelli. Je vérifierai ce qu’il en est dans mon beau département, le Val-de-Marne…
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste en est convaincu, pour prévenir les drames humains tout en protégeant le droit des propriétaires – n’opposons pas ces deux principes : regardons ce qu’on appelle l’intérêt général –, il faut remettre sur pied la garantie universelle des loyers (M. Daniel Breuiller et Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudissent.), renforcer les moyens d’hébergement et relancer la construction de logements sociaux, soit tout l’inverse de ce qui est proposé dans ce texte. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Ce n’est pas une loi sur le logement !
M. Pascal Savoldelli. Mes chers collègues, nous devons nous rendre compte de la gravité de cette proposition de loi. Si nous la votons, des locataires en situation d’impayés de loyer se verront appliquer pour la première fois…
Mme Valérie Boyer. Ce sont les spoliations qui sont visées !
M. Pascal Savoldelli. … des dispositions habituellement réservées aux occupations illicites résultant d’une intrusion, avec, à la clé, une peine de prison !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Non !
M. Pascal Savoldelli. C’est écrit noir sur blanc !
Nos prisons – j’espère que vous serez d’accord avec moi, monsieur le garde des sceaux – sont plus que surpeuplées. (Mme Valérie Boyer mime la brasse coulée.) J’apprends par exemple que, dans la plupart des prisons, on atteint des taux de surpeuplement allant de 140 % à 160 % ! Ce chiffre est authentique, personne ne me contredira : cela fait pas mal de vérités exprimées, tout compte fait !
M. Pascal Savoldelli. Sous le prétexte détourné de protéger les petits propriétaires face au squat de leur domicile, pourtant déjà puni par la loi d’un an de prison et de 30 000 euros d’amende, ainsi que d’une expulsion sans jugement en quarante-huit heures, la présente proposition de loi s’attaque en réalité à toute personne en situation de pauvreté ou de mal-logement ou confrontée à un accident de la vie. En plus d’être incohérent avec les intentions affichées par le Gouvernement en matière de prévention des expulsions, de « logement d’abord » et de lutte contre les marchands de sommeil – à la trappe, tout ça ! –, ce texte promet un accroissement considérable du mal-logement, sachant que, selon la Fondation Abbé Pierre, le besoin de construction est de 150 000 logements sociaux par an pendant dix ans.
L’absence de politique gouvernementale est au cœur du débat que nous avons ce soir. Excusez-moi de soulever ce problème, mes chers collègues – d’aucuns y verront une forme de cavalier législatif –, mais la question du logement est inséparable de celle de l’autonomie financière…
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Ce n’est pas le sujet !
M. Pascal Savoldelli. C’est ainsi la question des salaires qui s’invite dans cette discussion sur les impayés. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Cécile Cukierman. Eh oui !
M. François Bonhomme. Et le réchauffement climatique ?
Mme Valérie Boyer. Et la fin du monde ?
M. Pascal Savoldelli. Quid, par exemple, d’une revalorisation du point d’indice de la fonction publique à hauteur de l’inflation ? (M. le garde des sceaux fait la moue.)
Monsieur le garde des sceaux, vous voulez aller chez l’habitant – je vous invite volontiers à la maison –, mais, nous sommes bien d’accord, vous n’avez, vous, aucun problème financier pour vous loger ?
Il est indiscutable que, faute d’efforts dans ce domaine – je songe à la réforme des aides au logement –, les retards de paiement des loyers exploseront. J’étais récemment avec des gens de ma ville, dans une cité : ils ont acheté des radiateurs, leur facture d’énergie a explosé. De quoi parle-t-on ? Les problèmes d’impayés vont très rapidement se multiplier !
D’ailleurs, monsieur le ministre du logement, une proposition constructive aurait été d’intégrer le montant des charges dans le calcul des APL : ainsi aiderait-on les gens les plus modestes à honorer le paiement de leur loyer, car vous savez le poids des charges dans le coût du logement.
On voit s’accumuler les coupures d’énergie ou d’eau, ou les baisses de débit… Ce n’est vraiment pas le moment d’adopter pareil texte, alors que tant de gens vont se retrouver par définition exclus du marché du logement, parce que, de toute façon, ils ne pourront pas payer leurs factures ! On risque de se retrouver dans une situation que je considère comme assez explosive.
Je vais maintenant faire un peu de sociologie, même si je sais que les sciences humaines n’ont pas toujours bonne presse chez certains de mes collègues…
M. Pascal Savoldelli. Vous êtes bien cavalier, pour un ministre…
La privation de domicile, monsieur le garde des sceaux, peut être la première étape d’un processus de désaffiliation sociale conduisant aux formes les plus graves d’exclusion.
M. Pascal Savoldelli. Comme le souligne la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Winterstein et autres contre France du 17 octobre 2013, la perte d’un domicile entraîne souvent des atteintes à d’autres droits cruciaux « pour l’identité de la personne, l’autodétermination de celle-ci, son intégrité physique et morale, le maintien de ses relations sociales ainsi que la stabilité et la sécurité de sa position au sein de la société ».
Ce sujet, on le mesure, est d’une extrême importance.
Si la procédure pénale visant à réprimer le comportement des occupants en cas de violation de domicile ou de dégradation de biens peut entraîner des interpellations, elle ne peut en aucun cas constituer un mode d’expulsion. Pourtant, l’article 1er A de la proposition de loi, en prévoyant que le délit de violation du domicile puisse être constitué lorsqu’une personne pénètre légalement dans un logement mais s’y maintient illicitement, autorise un recours plus large, et sur une durée presque illimitée, à la procédure de flagrance. On a là une procédure pénale qui n’est autre qu’un mode d’expulsion ! Cette disposition n’est ni nécessaire ni proportionnée.
Notre groupe dénonce ainsi un texte définitivement dangereux pour de multiples droits fondamentaux. Comme le rappelle le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, M. Jean-Marie Burguburu, cette proposition de loi fait peser sur les associations qui travaillent auprès des personnes mal logées ou sans abri la menace de se voir appliquer le nouveau délit de propagande ou de publicité en faveur de méthodes visant à inciter à l’occupation sans titre. Nous craignons pour leur liberté d’expression. Les associations risquent de se trouver sous le joug d’une condamnation délictuelle en raison des récits, reportages ou dénonciations qu’elles relaient…
Mme le président. Votre temps de parole est écoulé, mon cher collègue ; vous aurez d’autres occasions de vous exprimer.
M. Pascal Savoldelli. Je n’y manquerai pas. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est clair : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »
Bien que le droit de propriété ait une valeur constitutionnelle, nous continuons de faire face à des violations de domicile et à des occupations de biens immobiliers par des squatteurs. Pourquoi vouloir revenir sur ces acquis de la Révolution française ? C’est paradoxal…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Parce que, depuis, la République est devenue sociale !
Mme Valérie Boyer. Et, une fois de plus, alors que nous tentons d’obtenir davantage de justice – lutter contre la spoliation de la propriété, c’est bel et bien lutter pour la justice – et de fermeté, on nous oppose l’« humanité », comme si ces deux notions étaient incompatibles, alors qu’elles sont complémentaires, comme si nous ne devions faire preuve que d’humanité envers ceux qui ne respectent pas la loi, au détriment du droit des propriétaires. Où est l’humanité quand on spolie les personnes ?
En effet, de quoi parlons-nous ? Vous l’avez dit, monsieur le ministre, et j’ai été ébahie de constater que, pour une fois, nous étions d’accord : nous parlons de retraités qui ont économisé toute leur vie ; de jeunes propriétaires qui se sont endettés pour s’offrir un toit et y fonder une famille ; de souvenirs volés et de rêves brisés par des individus qui se pensent au-dessus des lois. Le droit au logement n’est pas le droit de voler ou de détruire ! (MM. Guy Benarroche et Daniel Breuiller protestent.)
Ces individus connaissent et utilisent les failles du droit. Et je veux remercier la presse, qui se fait l’écho des situations dramatiques qui ont été évoquées.
N’en déplaise à certains, nous parlons de propriétaires qui sont souvent bien modestes. J’en donne quelques exemples.
En 2020, après un tour du monde écourté pour des raisons de santé, Maryse et Pierre avaient voulu retourner vivre dans leur maison, mise en location le temps du voyage. Mais la nouvelle habitante a refusé de quitter les lieux ; elle a ensuite cessé de payer le loyer et les charges.
Voilà quelques jours, à Pamiers, dans l’Ariège, Georgette, 75 ans, qui pensait vivre une retraite heureuse dans la petite maison qu’elle s’était achetée en centre-ville plus de vingt ans auparavant, expliquait dans la presse que l’homme qui y avait mené des travaux de rénovation refuse de quitter les lieux.
À Mazingarbe, dans le Pas-de-Calais, juste après les fêtes de Noël, une maison a été squattée et saccagée et, pis encore, son propriétaire séquestré pendant plusieurs jours… Les squatteurs sont revenus à deux reprises, par la suite, pour voler de la nourriture dans le réfrigérateur de la victime. (MM. Guy Benarroche et Guillaume Gontard lèvent les yeux au ciel.)
De telles situations sont humainement dramatiques.
Mégane, qui avait hérité d’une maison squattée à Fressenneville, dans la Somme, a ému les Français, en octobre 2022, en évoquant son combat pour la récupérer. Contrainte d’installer une tente et d’accrocher des banderoles et des pancartes devant sa maison pour dénoncer l’absurdité de la situation – une propriétaire de 24 ans à la rue, un squatteur à l’abri ! –, elle espérait faire évoluer les choses avant la fin de la trêve hivernale, le 1er avril 2023. Elle dénonçait la lenteur de la procédure administrative d’expulsion. En ce début d’année, son constat est amer : « Pour la maison, malheureusement, il n’y a aucun changement, puisqu’il n’est pas expulsable avant la fin de la trêve hivernale », explique-t-elle.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Qu’a fait le préfet ?
Mme Valérie Boyer. Où est l’humanité ?
Malheureusement, ces cas médiatisés ne sont pas les seuls : il en existe de nombreux autres. Militer pour un logement digne est compréhensible ; excuser la destruction ou la spoliation du bien d’autrui ne l’est pas, bien au contraire : c’est à la fois incongru et injuste.
Ces atteintes manifestes au droit de propriété sont inacceptables, alors que la France n’est pas, hélas ! un cas isolé : nos voisins européens connaissent des situations similaires. Les propriétaires victimes de pareilles occupations illicites, qui font pourtant valoir leur bon droit, se trouvent dans des situations d’impuissance qu’il est de notre devoir de régler, sachant que les maires aussi, en la matière, sont démunis.
Au choc s’ajoutent les frais de justice, le coût des réparations et les délais inacceptables.
Eu égard aux différentes situations dont nous sommes saisis, dans nos circonscriptions, concernant de telles occupations illicites, il est logique que nous, représentants du peuple français, représentants des communes, nous fassions ce qui est en notre pouvoir pour mieux protéger nos concitoyens.
Nous ne sommes pas seulement face à des faits divers : nous sommes face à de véritables drames. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) Surtout, nous sommes face à une réalité : le droit n’est pas respecté. Les propriétaires se sentent souvent démunis, voire abandonnés par les pouvoirs publics. Pis, ils estiment que le droit n’est pas de leur côté et qu’à l’inverse il protège ceux qui occupent une maison en toute illégalité.
Ces situations anormales sont un défi lancé au grand jour à l’autorité de l’État et à sa capacité de garantir l’ordre public. Elles sont inadmissibles dans notre État de droit.
Si l’État ne remplit pas ses obligations les plus élémentaires, comme celle de faire cesser les atteintes au droit de propriété, alors notre contrat social est en péril. C’est pourquoi il est de notre devoir de parlementaires d’agir. Je ne peux donc que regretter que le Gouvernement perde autant de temps s’agissant d’une question si grave.
Mme Valérie Boyer. Voilà des années que, avec ma famille politique, Les Républicains, nous formulons des propositions qui sont systématiquement rejetées ou archivées – il a pu leur arriver d’être reprises, mais tardivement, par la majorité présidentielle. Je salue en particulier notre ancien collègue député Julien Aubert et notre collègue sénatrice Dominique Estrosi Sassone, qui ont travaillé sur cette question et dont les recommandations furent rejetées en 2020.
En mars 2019, Julien Aubert et moi-même avions déposé une proposition de loi visant à porter à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende le quantum de la peine applicable à l’appropriation du bien d’autrui sans motif légitime ainsi qu’à accroître la capacité des pouvoirs publics à évincer les squatteurs dans des délais rapides, mais aussi à qualifier ce délit.
Ces dispositions, présentées au moment de l’examen du projet de loi Asap – devenu loi Wargon –, ont presque toutes été rejetées. Je le regrette : depuis, que de temps perdu, que d’injustices !