M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice Jacquemet, merci de cette question, qui nous permet d’aborder un sujet de société essentiel, sur lequel je vous sais extrêmement mobilisée. Je peux vous assurer également de notre engagement extrêmement convaincu.
Il est vrai que l’obligation d’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes existe depuis 1972 et qu’elle n’est toujours pas devenue réalité : l’écart de salaire inexpliqué entre les femmes et les hommes à travail égal est encore de 9 %. C’est pourquoi le Gouvernement a fait du sujet une grande cause nationale du quinquennat précédent, et de l’actuel.
Il a mis en place l’index de l’égalité professionnelle, qui pose une obligation de résultat, et non plus uniquement de moyens. C’est un changement majeur. Les premiers résultats montrent que cet index modifie les comportements, même si certains ne sont toujours pas à la hauteur des exigences législatives. Je pense notamment à l’obligation d’augmenter la rémunération des femmes à leur retour de congé maternité.
L’inspection du travail est largement mobilisée pour accompagner les entreprises. Si l’approche se veut dans un premier temps pédagogique, le recours aux sanctions va également s’accroître pour faire appliquer les obligations légales.
L’adoption en fin d’année dernière de la directive sur la transparence des rémunérations m’a réjouie, car cela renforcera encore l’exigence de transparence et de réduction de l’écart salarial entre les femmes et les hommes dans les entreprises.
Je rappelle également d’autres engagements que nous avons pris et qui me paraissent extrêmement forts, autour du compte personnel de formation : nous avons les mêmes droits à temps partiel qu’à temps complet. Mais souvent, les contrats courts et le temps partiel s’associent à des conditions de travail précaires.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. Je rappelle enfin la mesure que nous avons prise sur les pensions alimentaires, et qui viendra en soutien du pouvoir d’achat. Nous partageons donc votre engagement.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Madame la ministre, depuis plusieurs années, l’économie française est à la peine, et beaucoup de nos concitoyens éprouvent des difficultés pour s’en sortir au quotidien. Déjà, en 2018, les « gilets jaunes » alertaient l’opinion sur la paupérisation des territoires et de franges entières de la population : fractures territoriales et fractures sociales.
Au cours de mes déplacements sur le terrain, j’entends fréquemment – comme, je suppose, mes collègues – des agriculteurs, des artisans, des employés, me dire que le travail ne paie plus. Pourtant, ces acteurs économiques du territoire font partie de cette France qui se lève tôt et qui ne compte pas toujours ses heures, souvent dans des métiers ou des filières difficiles.
Le poids des normes et des charges laisse peu de marges de manœuvre pour investir sur l’avenir et augmenter les salaires. Et nous devons aussi rester compétitifs. Des secteurs entiers qui ne manquent pas d’activité peinent à recruter, notamment en raison des niveaux de salaire. Je pense aux soignants et aux enseignants, pourtant si nécessaires, dont les métiers n’attirent plus les jeunes.
La crise sanitaire, la guerre en Ukraine ont conduit à des bouleversements supplémentaires qui ont des conséquences directes sur la vie quotidienne de nos concitoyens : pertes de revenus, hausse du prix des énergies et des matières premières, difficultés d’approvisionnement, hausse des taux d’intérêt et restrictions sur les prêts…
Tous ces effets délétères concourent à un appauvrissement général, en particulier dans les territoires éloignés des métropoles et de leur dynamisme. On comprend d’autant mieux les attentes des Français sur les salaires et leurs inquiétudes quant à la réforme des retraites.
Madame la ministre, quelles mesures sont prises par le Gouvernement pour redonner de l’espoir à tous ces actifs qui veulent pouvoir vivre dignement du fruit de leur travail et, plus largement, pour réduire ces fractures françaises ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur Allizard, vous attendez de l’État, bien au-delà des questions salariales, un engagement qui le dépasse.
Bien sûr, il s’agit d’agir sur les tensions de recrutement, avec les acteurs, notamment les branches et les entreprises, qui travailleront sur l’attractivité des métiers. Cela ne se limite pas aux questions de rémunération : l’ensemble des conditions de travail entrent en jeu.
Les périodes de confinement que nous avons connues ont accéléré une mutation des comportements et accru les mobilités dans l’économie française. Les attentes de nos concitoyens ont changé, aussi : ceux-ci ont eu le temps de prendre du recul et de chercher d’autres parcours de vie.
Beaucoup de branches ont engagé de grandes réflexions autour de l’attractivité de leurs métiers et des questions de rémunération. Le secteur des hôtels, cafés, restaurants (HCR), par exemple, a augmenté les salaires de plus de 16 %. Dans les transports routiers, la hausse est de 6 %. À ce travail sur l’attractivité de chaque filière s’ajoutent des efforts de recherche de nouveaux profils, d’accompagnement des compétences et d’aide à la construction de parcours de carrière plus sécurisés, ainsi qu’une meilleure attention portée à la santé au travail.
L’attractivité est donc un enjeu pluriel, tout comme le pouvoir d’achat, qui ne dépend pas que de la rémunération, mais qui peut aussi être renforcé par le niveau de l’emploi et les mesures prises par le Gouvernement, ainsi que par la revalorisation du Smic.
Au fond, votre question était très systémique. Au-delà des travaux du comité de suivi, des négociations régulières sont menées par les branches sur l’attractivité des métiers en tension.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.
M. Pascal Allizard. On peut aussi attendre du Gouvernement une vision stratégique et une politique d’aménagement du territoire. Cela s’est fait à une époque, avec succès.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme Corinne Féret. Madame la ministre, en France, les crises sanitaires et économiques se succèdent malheureusement, mettant en lumière une demande forte de reconnaissance, notamment par le salaire, de l’utilité économique et sociale de nombreux travailleurs précaires, à temps partiel et faiblement rémunérés.
Alors que l’inflation galope au rythme effréné de 6 % sur un an, un sentiment de déclassement accable des millions de Français, contraints de s’en remettre à des primes, des allocations ou des chèques pour simplement survivre.
Ces dernières années, le salaire des 10 % de travailleurs les mieux payés a augmenté trois fois plus vite que celui des 10 % les moins rémunérés. Légitimement, s’exprime le besoin d’un meilleur partage des richesses produites et la volonté de vivre dignement avec des salaires décents.
On voit bien qu’il y a urgence à engager la revalorisation du facteur travail par l’augmentation des salaires, et ce sans avoir pour seule réponse des primes aléatoires, la défiscalisation et la désocialisation d’heures supplémentaires, les rachats de RTT ou d’autres mesures qui, au final, n’impliquent que les salariés eux-mêmes.
Au mois de novembre dernier était organisée la première réunion nationale interprofessionnelle sur le partage de la valeur ajoutée. Le Gouvernement a clairement orienté le travail des partenaires sociaux vers les dispositifs de participation, d’intéressement, d’épargne salariale, d’actionnariat salarié et la prime de partage de la valeur ajoutée. Et quid des salaires ?
Madame la ministre, vous ne cessez de rappeler l’importance de la valeur du travail, souvent d’ailleurs pour stigmatiser ceux qui en sont privés. Nous avons parfaitement conscience qu’une augmentation générale des salaires ne se décide pas par la loi, mais relève du dialogue social, autrement dit d’échanges, d’écoute et de négociations.
Ce n’est pas par nostalgie que nous en appelons à un Grenelle sur les salaires. Madame la ministre, quand engagerez-vous enfin un vrai dialogue social sur la question des salaires en France ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice, votre question porte en fait, plus que sur le sujet du jour, sur le rapport au travail. Ce rapport évolue. Cette évolution s’est accélérée au cours des dernières années, notamment par les crises que nous avons rencontrées. De nouvelles aspirations sont exprimées par nombre de nos concitoyens.
Des organisations nouvelles du travail, comme le télétravail, se font jour, et d’autres réalités se transforment, avec l’accélération des transitions écologiques et numériques, sans parler d’un certain nombre d’évolutions sociétales. Cela crée de nouvelles attentes et de nouvelles aspirations.
Les assises du travail que nous avons lancées visent à accompagner ces évolutions sociétales et à réfléchir sur la place du travail et sur la manière dont il peut répondre à ces nouvelles attentes, et à un meilleur lien entre vie personnelle et professionnelle.
Trois thématiques y sont abordées : le rapport au travail, la santé et la qualité de vie au travail, et la démocratie au travail. Ces trois domaines ont connu de fortes évolutions ces dernières années, avec une accélération importante au cours des derniers mois. Ces assises réunissent des partenaires sociaux, mais aussi des universitaires, des personnalités qualifiées, des experts des ressources humaines. L’objectif est d’aboutir en mars prochain à des propositions devant nous permettre, avec l’ensemble des acteurs, de repenser l’attractivité du travail.
Il s’agit aussi d’accompagner les initiatives que nous prenons pour les métiers en tension, comme dans les métiers du soin, où, au-delà de la rémunération, les questions d’organisation sont fondamentales pour attirer les talents dans de nombreuses branches. C’est un enjeu systémique.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour la réplique.
Mme Corinne Féret. Avec plus de 6 % d’inflation, comment pouvez-vous rester ainsi figée dans votre refus d’organiser une grande concertation sur les salaires ? Les Français doivent pouvoir vivre dignement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti.
Mme Catherine Belrhiti. Madame la ministre, mieux rémunérer le travail nécessite avant toute chose de favoriser l’égale rémunération des femmes et des hommes. C’est sur ce point que je voudrais aujourd’hui appeler votre attention, car les inégalités dans ce domaine décroissent trop lentement. En 2020, l’Insee estimait que le revenu salarial des femmes était encore inférieur en moyenne de 28 % à celui des hommes. Un peu moins d’un tiers de cet écart s’explique par des différences de durée de travail. Et la maternité continue d’interrompre ou de réduire sensiblement plus l’activité des femmes que celle des hommes. Les postes les mieux payés demeurent enfin, toujours selon l’Insee, moins accessibles aux femmes qu’aux hommes. La meilleure rémunération des femmes reste l’objectif à atteindre en priorité pour songer, ensuite, à une amélioration générale des revenus liés au travail.
Il s’agit également d’une condition centrale pour de nombreuses priorités gouvernementales actuelles. Comment lutter, par exemple, contre les violences intrafamiliales sans que les femmes, majoritairement concernées, détiennent la même indépendance économique que leur conjoint ?
Comment assurer effectivement le plein emploi sans que cet objectif se réalise indistinctement pour les femmes et les hommes ?
Le Président de la République a déjà déclaré grande cause du quinquennat l’égalité entre les femmes et les hommes. Les indicateurs et les constats d’inégalité se sont multipliés depuis la création de l’index de l’égalité professionnelle en 2018. Il est temps d’agir et d’exiger des résultats à la hauteur des engagements.
Mieux rémunérer le travail en France ne peut pas s’accomplir sans justice sociale. L’égale rémunération des femmes et des hommes en constitue un pilier central. Quelles mesures concrètes le Gouvernement entend-il adopter afin de la favoriser ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice Belrhiti, permettez-moi de réaffirmer la profonde volonté du Gouvernement et notre conviction, partagée avec vous, que l’égalité de rémunération doit être effective, concrète, et devenir une réalité pour toutes les Françaises.
Les inégalités de traitement fondées sur le sexe d’une personne n’ont pas leur place dans notre société. Elles doivent appeler notre mobilisation collective.
L’engagement très fort du Gouvernement s’est traduit par la mise en place de l’index de l’égalité professionnelle, qui a permis de modifier les comportements d’entreprises non vertueuses en matière d’égalité salariale entre les femmes et les hommes, mais aussi, au travers des obligations de transparence, de donner à ces dernières plus de visibilité.
Cette mesure, ainsi que celles que prévoit la loi du 24 décembre 2021 sur l’égalité économique et professionnelle, dit notre engagement à faire avancer les choses. En fixant des objectifs de représentation équilibrée dans les instances dirigeantes des entreprises, ces évolutions législatives feront évoluer concrètement l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Nous avons vu les effets de la loi Copé-Zimmermann sur la composition des conseils d’administration. Je suis pleinement convaincue que nous verrons demain sur ces instances dirigeantes les effets de la législation récente.
L’objectif est que d’ici à huit ans, les entreprises de plus de 1 000 salariés soient tenues de compter au moins 40 % d’hommes ou de femmes dans leur conseil d’administration. Cela produira un effet de ruissellement. Grâce à ces bonnes pratiques, les femmes concernées joueront un rôle modèle dans l’ensemble des différents secteurs d’activité. Leur parcours professionnel fera d’elles des fers de lance pour les jeunes générations.
Je suis en effet extrêmement préoccupée par le faible engagement des femmes dans certains secteurs d’activité. L’égalité de rémunération passe aussi par l’accès à des filières trop souvent « genrées ». Je pense notamment aux filières d’avenir que sont le numérique, la transition écologique ou encore l’énergie. Les rémunérations y sont souvent plus élevées, et les femmes y sont sous-représentées.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.
Mme Catherine Belrhiti. Madame la ministre, les engagements et les efforts du Gouvernement, notamment dans le domaine de la mesure des inégalités, ne sont pas contestables.
Il reste toutefois à leur donner un cadre de propositions et d’applications concrètes qui soient fixées dans le temps et dans leurs effets.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne.
Mme Chantal Deseyne. Madame la ministre, face à la hausse des prix, le ministre de l’économie a demandé aux entreprises qui le peuvent d’augmenter les salaires pour redonner du pouvoir d’achat aux Français.
Il s’est d’ailleurs réjoui d’une augmentation du salaire horaire de base des ouvriers et des employés de 4,4 % sur la dernière année.
Cela appelle deux réflexions. Sur la réalité des chiffres, tout d’abord, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) estime que cette évolution doit être mise en regard de l’inflation, le coût de la vie ayant augmenté de 5,7 % entre la fin du mois de septembre 2021 et la fin du mois de septembre 2022.
Ce faisant, on constate, selon les termes de la Dares, non pas une augmentation, mais une diminution du salaire horaire, estimée à 1,3 % sur un an en euros constants.
Ensuite, les augmentations de salaire sont, pour le moment, le fait d’un nombre restreint d’entreprises, dont la plupart souhaitent d’ailleurs retenir leurs salariés.
Or la majorité des entreprises ne disposent pas de telles marges de manœuvre. Beaucoup d’entre elles, notamment les TPE et PME, subissent les effets de l’inflation sur le prix des composants, des matières premières et de l’énergie. Leur situation économique ne leur permet pas de procéder à des augmentations.
De nombreux économistes recommandent donc une autre voie : baisser la pression fiscale sur les entreprises et sur les ménages.
Notre groupe appelle à une baisse du coût du travail, qui permettrait aux entreprises d’augmenter les salaires. Le Gouvernement ne s’est pas engagé dans cette voie, mais procède à des aides ponctuelles, comme la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat.
Madame la ministre, pourriez-vous nous donner votre point de vue et nous préciser si vous souhaitez faire évoluer cette situation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Pour soutenir le pouvoir d’achat des salariés, le Gouvernement privilégie la confiance dans le dialogue social et les négociations salariales qui s’inscrivent dans un cadre garantissant la mise en œuvre des mécanismes protecteurs de revalorisation du Smic. Il privilégie également l’attribution de la prime d’activité.
Depuis le 1er octobre 2021, le Smic a été revalorisé à cinq reprises, au total de près de 10 % – 9,71 % –, soit bien plus que l’indice des prix sur la même période.
Fondé sur des logiques d’indexation automatique, le mécanisme permettant de calculer le Smic est l’un des plus protecteurs d’Europe.
Dans leurs négociations salariales, les branches suivent ces évolutions, mais les salaires réels s’ajustent effectivement à l’inflation avec un décalage habituel de plusieurs mois. Ils continueront donc à s’ajuster tandis que l’inflation devrait commencer à baisser.
Je réaffirme le choix du Gouvernement de faire confiance au dialogue social, en poursuivant de constants efforts pour impulser une dynamique et provoquer des négociations rapides.
Par ailleurs, le ministère du travail examine l’avancée des négociations de branche, notamment dans les branches présentant un minimum conventionnel inférieur au Smic. Présidé par M. le ministre, le comité de suivi des salaires se réunit deux fois par an. Sa dernière réunion, en novembre 2022, a permis de constater le dynamisme des négociations de branche sur les salaires et le recul des situations de blocage structurel.
D’autres outils sont également à la main des entreprises pour augmenter le pouvoir d’achat des salariés. Ainsi, la prime de partage de la valeur (PPV) a été pérennisée dans la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.
En cumul, 245 137 établissements ont versé 2,43 milliards d’euros de prime PPV entre le mois d’août et le 21 décembre 2022.
En revanche, le Gouvernement n’est pas favorable à l’exonération des cotisations et contributions patronales pour les entreprises accordant une revalorisation d’au moins 10 %.
Cette mesure rendrait beaucoup plus complexe l’activité déclarative des entreprises. Les prélèvements sociaux applicables aux rémunérations selon les entreprises deviendraient illisibles. Cela nuirait à la fluidité et au bon fonctionnement du marché du travail.
Enfin, le coût de la mesure pour les pouvoirs publics serait très élevé, et ses effets d’aubaine très importants, tandis que des effets de seuil questionnent sa solidité juridique.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour la réplique.
Mme Chantal Deseyne. Madame la ministre, je vous concède que le Smic constitue en quelque sorte un filet de sécurité.
Néanmoins, vous savez parfaitement que la France occupe le dernier rang du classement en matière de rémunération du travail. Pour 100 euros, charges salariales et patronales comprises, 46,70 euros seulement reviennent au salarié.
Des efforts sont tout de même possibles, en particulier pour favoriser la compétitivité de nos entreprises.
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade.
Mme Florence Lassarade. Madame la ministre, le 1er janvier dernier, le Smic a été revalorisé de 1,81 %.
La décision ayant donné lieu à des débats, ma question portera sur le niveau de revalorisation et, plus précisément, sur les conclusions du rapport publié au mois de novembre dernier par le groupe d’experts sur le Smic, qui a alerté sur les conséquences négatives que pourrait avoir une plus forte augmentation du salaire minimum.
L’argument principal relayé par de nombreux économistes repose sur l’augmentation du coût du travail qui en résulterait. Les effets sur l’emploi des travailleurs les plus fragiles – les 15 % de salariés dont le salaire se situe entre 1 et 1,1 Smic – seraient négatifs.
En outre, l’effet d’une plus forte hausse sur le pouvoir d’achat serait annulé en quasi-totalité par l’augmentation des impôts sur le revenu, ainsi que par une baisse des aides sociales pour les ménages qui en bénéficieraient.
Enfin, une forte revalorisation du Smic contribuerait au tassement de la hiérarchie des salaires, entraînant une frustration légitime chez ceux qui se voient rattrapés par le Smic.
Plus généralement, les auteurs du rapport expliquent que le problème n’est pas tant le niveau élevé du salaire minimum que le fait que les salaires progressent plus vite que la productivité.
L’augmentation des coûts de production du fait de la hausse des salaires conduirait les entreprises soit à réduire l’emploi, soit à augmenter leurs prix de vente, et, partant, à perdre en compétitivité-prix, ou encore à réduire leurs marges, ce qui pénaliserait leur capacité à investir et à innover.
Madame la ministre, pourriez-vous nous faire part de votre analyse à partir de ces recommandations ? Vous semblez en effet les avoir suivies, en appliquant la règle d’indexation classique pour la revalorisation du Smic en début d’année sans coup de pouce supplémentaire. Ce positionnement pourrait-il évoluer si l’inflation continue à augmenter en 2023 ?
Par ailleurs, le groupe d’experts recommande de modifier la formule de revalorisation du Smic. Parmi les pistes envisagées, il suggère d’indexer automatiquement ce dernier sur la moyenne des évolutions de minima salariaux d’un panel de branches représentatives.
Ce changement renforcerait le rôle de la négociation collective et responsabiliserait ainsi les partenaires sociaux dans la définition des normes salariales et des minima de branche. Qu’en pensez-vous, madame la ministre ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice Lassarade, je tiens à le redire : le mécanisme d’indexation du Smic est l’un des plus protecteurs d’Europe.
Le Smic est indexé sur l’inflation, mais il est également augmenté à hauteur de la moitié de la hausse du pouvoir d’achat des ouvriers et des employés. Dernièrement, il a été revalorisé trois fois : en mai 2022, de 2,65 % ; en août 2022, de 2,01 % ; au 1er janvier 2023, de 1,81 %. Ainsi, sur un an, la hausse du Smic brut s’élève à 6,6 %, pour une inflation estimée à 5,9 % en novembre 2022.
Ce mécanisme très protecteur répond donc à la nécessité que vous soulignez de préserver de façon constante le pouvoir d’achat des salariés les plus modestes. Dans le contexte d’inflation que nous connaissons, il aura produit des effets particulièrement bienvenus pour nombre de nos concitoyens.
Par le jeu des négociations collectives et des revalorisations des grilles salariales consécutives aux augmentations du Smic, les hausses se transmettent aux ouvriers et aux employés.
En septembre 2022, la hausse de salaire des ouvriers et employés était d’environ 4,5 %, contre 2,7 % pour les cadres. À titre de comparaison, entre janvier 2021 et septembre 2022, le salaire minimum avait nettement moins progressé en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Espagne que les prix à la consommation. L’écart est de plus de 10 points aux Pays-Bas, de 2,5 points en Allemagne et de plus de 5 points en Espagne.
À partir du second semestre 2023, la Banque de France prévoit une baisse de l’inflation. Les effets de l’augmentation des salaires seront donc différés. Ils continueront de se produire, malgré la baisse de l’inflation.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la ministre, permettez-moi tout d’abord de saluer ceux qui ont pris l’initiative de ce débat sur la rémunération du travail. La valeur travail est essentielle.
Le Smic bénéficie chaque année, au 1er janvier, d’une augmentation automatique tenant compte de la hausse des prix. Il vient ainsi d’être augmenté de 24 euros pour être porté à 1 353 euros net.
Des revalorisations interviennent également en cours d’année, dès que l’inflation dépasse 2 %. Ainsi le Smic a-t-il été revalorisé trois fois en 2022, deux hausses exceptionnelles ayant eu lieu le 1er mai et le 1er août dernier.
Si ces revalorisations sont nécessaires pour le pouvoir d’achat des salariés et s’inscrivent dans une logique législative, leurs modalités ne sont pas sans conséquence, aussi bien pour les chefs d’entreprise que pour les branches professionnelles.
À l’occasion de la publication du dernier rapport du groupe d’experts sur le Smic, plusieurs organisations représentatives des entreprises ont évoqué, dans leur contribution au rapport, les difficultés liées au rythme accéléré des revalorisations du Smic.
Les TPE, PME et les entreprises les plus fragiles, qui rencontrent actuellement de grandes difficultés, voient leur masse salariale augmenter de manière imprévue et pérenne.
En outre, la question de l’inflation percute le temps nécessaire aux entreprises et aux branches pour mener des négociations salariales viables et apaisées pour l’ensemble de la grille.
Dans le contexte inflationniste actuel, l’application automatique du seuil de 2 % de l’indice mensuel des prix à la consommation pour revaloriser le Smic en cours d’année oblige les branches à engager de nouvelles négociations sur les salaires peu de temps après que la dernière négociation s’est terminée.
Pour endiguer le phénomène, certains proposent de rehausser le seuil de l’indice mensuel à 3 % par exemple, afin de moins perturber le déroulement des négociations salariales et ainsi de laisser toute sa place au dialogue social.
L’espacement des augmentations automatiques du Smic permettrait selon eux des négociations plus qualitatives dans les branches, lorsque la grille de salaires minima est impactée par l’augmentation du Smic.