M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’instauration des zones à faibles émissions.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-quatre, est reprise à dix-sept heures quarante-six.)
M. le président. La séance est reprise.
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Mieux rémunérer le travail en France : la nécessité d’un Grenelle sur les salaires
Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème « Mieux rémunérer le travail en France : la nécessité d’un Grenelle sur les salaires ».
Dans le débat, la parole est à M. Thierry Cozic, pour le groupe auteur de la demande.
M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis, sur l’initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, pour débattre du partage de la richesse créée dans notre pays. Nous pensons en effet qu’un partage équitable de cette richesse doit pouvoir faire l’objet de discussions dans le cadre d’un Grenelle des salaires.
C’est un fait : la France manque de bras. Dans nombre de secteurs, les offres d’emploi restent sans réponse et les employeurs s’arrachent les cheveux. Dans cette conjoncture, la responsabilité du pouvoir politique est toute particulière, car, comme le disait Camus, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde ».
La première des responsabilités, c’est donc de nommer correctement les maux qui traversent le monde du travail contemporain. Ce n’est qu’une fois rigoureusement identifiés qu’ils éclaireront la conjoncture actuelle.
On peut communément définir la fonction première du travail comme une manière de gagner sa vie tout en contribuant à lui donner du sens. À l’inverse, quand le travail ne permet pas de vivre dignement ou qu’il se résume à des tâches dont on n’aperçoit pas la finalité, le corps social craque. Les générations se faisant toujours plus diplômées et conscientisées, on entend aussi davantage les aspirations des salariés à une rémunération décente ainsi qu’à une meilleure redistribution et à des conditions de travail plus fidèles à ce qu’une société moderne se doit d’offrir.
La plupart des candidats à l’emploi sont évidemment attachés au salaire, mais ils attendent aussi de leur entreprise qu’elle soit sensible aux valeurs environnementales, au dialogue social et au respect de la vie familiale. Quand cette dernière est déstabilisée par des emplois du temps découpés, des temps de transport à rallonge et des logements à prix prohibitif, le travail devient l’objet d’une longue plainte journalière et seule sa rémunération permet de le rendre acceptable.
Ne nous y trompons pas, la valeur travail n’est ni de droite ni de gauche : elle est universelle, en ce qu’elle permet d’émanciper et de définir les individus dans nos sociétés modernes. S’intéresser au salaire, c’est s’intéresser aux fruits du labeur. En ce sens, le salaire est éminemment politique.
Aujourd’hui, de quoi dépend le salaire ? Je serais tenté de dire, d’une façon simpliste, que l’on peut relier le niveau des salaires à la manière dont le chiffre d’affaires des entreprises est redistribué entre deux pôles principaux : le salaire, à savoir la rémunération des travailleurs, et les profits, à savoir la rémunération du capital.
Or les chiffres sont formels : depuis les années 1980, la part des salaires est grignotée par des profits toujours plus importants. Ce déséquilibre croissant est susceptible d’entraîner derrière lui tout un cortège d’inégalités.
En effet, en accordant une plus grande part aux profits, on favorise les détenteurs de capitaux. Nos sociétés post-industrielles tendent à exacerber cette tendance.
À cela s’ajoutent certains modes de la vie moderne, qui sont de nature à créer une nouvelle économie basée sur l’intelligence artificielle, les impressions 3D, les nanotechnologies et les biotechnologies. Pouvons-nous penser que cela a un effet positif sur la rémunération des salariés ? J’ai du mal à le croire… Pour bon nombre d’économistes, la robotisation de l’économie n’aurait pas nécessairement d’effets sur l’emploi et la répartition du revenu.
En dépit de tous ces bouleversements macro-économiques, il n’en reste pas moins que les pénuries soudaines de main-d’œuvre que l’on observe aujourd’hui sont avant tout liées aux salaires trop bas de certains secteurs. L’exemple de la restauration est le plus criant – j’y reviendrai plus tard.
À ce titre, il est révélateur que, alors que l’exécutif chante les louanges de la loi de l’offre et de la demande pour toute décision d’inspiration libérale, comme la dérégulation des salaires des grands patrons, il trouve dans le même temps révoltant qu’elle profite, pour une fois, aux salariés les moins fortunés.
J’entends déjà certains pourfendeurs de l’assistanat présumé nous expliquer que notre modèle social n’encourage pas le retour à l’emploi. Je rappellerai en réponse, à toutes fins utiles, que la pénurie de main-d’œuvre explose même dans des pays sans droits sociaux comme les États-Unis, où le Big Quit a entraîné la démission de près de 5 millions de travailleurs en trois mois.
Il vous faut donc quitter les postures faussement moralisatrices sur les gens « qui déconnent » – dixit le Président de la République – et vous attaquer au nœud du problème, qui se trouve manifestement dans les salaires. Nous devons aborder ce sujet avec honnêteté, sans travestir la réalité.
En effet, voilà bientôt un an qu’une sorte de fable s’est installée dans le débat public. À en croire ceux qui la propagent, les salaires dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, qui est confronté de longue date à des tensions de recrutement, ont augmenté – tenez-vous bien ! – de 16 % cette année. La réalité est tout autre : dans les faits, l’augmentation réelle n’a été que de 4 %.
Les principaux pourvoyeurs de cette légende sont le patronat et la majorité gouvernementale, qui l’invoquent à tout bout de champ pour contrer les critiques émises sur la stagnation des salaires dans un contexte inflationniste.
Mais cela ne peut durer indéfiniment : la question qui se pose autour de l’augmentation des salaires, c’est surtout celle de la juste répartition de la richesse entre le travail et le capital et, incidemment, de l’augmentation des plus bas d’entre eux.
Le cas de l’entreprise TotalEnergies est le plus édifiant. Alors que le pétrolier battait un nouveau record en dégageant un bénéfice de 17 milliards de dollars, ses raffineries étaient bloquées par des salariés grévistes demandant une revalorisation salariale. Ils ont essuyé un refus complet de la part de la direction. Pourtant, dans le même temps, le conseil d’administration du groupe annonçait, à la mi-septembre, vouloir « partager avec ses actionnaires les forts résultats de la compagnie » par un « acompte sur dividende exceptionnel », soit 2,62 milliards d’euros supplémentaires reversés à ses actionnaires.
Le plus inacceptable dans ce conflit réside indéniablement dans le fait que la revalorisation salariale demandée par les grévistes représentait seulement 150 millions d’euros supplémentaires chaque année : 2,6 milliards octroyés au capital contre 150 millions refusés au travail !
Cet exemple illustre à lui seul mon propos, madame la ministre, mais il est aussi symptomatique des concessions qui sont communément admises pour le capital et que l’on refuse systématiquement aux revenus du travail.
Osons le dire, la juste valorisation salariale du travail est un principe cardinal au sens qu’elle représente le principal point de friction dans nos sociétés : bien plus qu’un principe d’égalité, c’est aussi le ciment de la cohésion sociale. Il est révélateur de voir que les inégalités de revenus sont, selon une étude du ministère de la santé de 2018, parmi celles qui sont les moins acceptées et vécues comme les plus injustes.
Cette injustice est d’autant plus mal perçue que les travailleurs français, qu’ils soient salariés ou indépendants, font partie des plus productifs d’Europe, près de quinze points au-dessus de la moyenne européenne.
Justice salariale et rééquilibrage des revenus du travail par rapport à ceux du capital : voilà le prisme, mes chers collègues, par lequel nous devons aborder notre débat d’aujourd’hui.
Sans dogmatisme ni tabou, nous devrions pouvoir collectivement dégager les contours du Grenelle des salaires que j’appelle de mes vœux, afin que nos concitoyens puissent percevoir la transcription tangible de nos débats et que nous ne nous cantonnions pas à des postures partisanes.
Nos compatriotes nous pressent d’agir ; face à cette urgence, soyons collectivement à la hauteur ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs, notre débat se tient à peine neuf mois après le début de la crise la plus profonde que l’Europe et le monde aient connu depuis la Seconde Guerre mondiale.
De fait, l’agression russe a replongé l’économie mondiale dans de nouvelles incertitudes. La guerre en Ukraine a attisé la crise énergétique et fait s’envoler les prix des matières premières. Aussi, malgré les efforts de chacun, l’inflation a rejoint les sommets où nous l’avions laissée à la fin des années 1980, ravivant le spectre d’une inflation autoentretenue par une boucle prix-salaire.
C’est dans ce contexte troublé que la question du pouvoir d’achat s’est naturellement installée au cœur du débat public, ce qui nous amène aujourd’hui à nous interroger sur des questions fondamentales de répartition.
La rémunération du travail est-elle juste et suffisante ? Le partage de la valeur, entre le capital et le travail, est-il satisfaisant ? Faisons-nous assez pour garantir que les salaires permettent une vie décente, même à ceux qui dépendent de faibles revenus ? Voilà les questions de fond qui nous réunissent pour ce débat sur l’opportunité d’un Grenelle des salaires, dans la perspective de mieux rémunérer le travail en France.
Je remercie donc les sénatrices et sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de nous donner ainsi l’occasion de nous saisir de cette question fondamentale. Je tiens aussi à excuser l’absence de M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, Olivier Dussopt.
J’aimerais d’abord dresser un tableau objectif de l’évolution récente des salaires et du pouvoir d’achat en France.
Rappelons en premier lieu que la France a le système le plus protecteur d’Europe pour les bas salaires.
Notre pays est une exception européenne, non seulement parce que tous les États membres de l’Union européenne n’ont pas mis en place de salaire minimal universel, mais aussi parce que cinq pays seulement ont instauré un mécanisme d’indexation automatique du salaire minimal, garantissant qu’il soit aussi stable que possible en termes réels, et donc en pouvoir d’achat.
Le mécanisme français d’indexation du salaire minimal est protecteur à trois égards.
D’abord, il est indexé sur l’indice des prix à la consommation pour les 20 % des Français les plus modestes, pour lesquels l’énergie constitue une part importante des dépenses. Cela permet mécaniquement de surindexer le Smic par rapport au reste de la population.
Ensuite, en plus de l’inflation, le Smic est augmenté chaque année de la moitié du gain moyen de pouvoir d’achat des employés et ouvriers, de sorte à aussi prendre en compte le mouvement des autres salaires.
Enfin, la revalorisation du Smic intervient tous les ans au 1er janvier, mais également en cours d’année dès que la hausse des prix depuis la dernière revalorisation atteint 2 %, ce qui permet de limiter les périodes pendant lesquelles l’inflation rogne sur le pouvoir d’achat du Smic.
Ce mécanisme, auquel s’ajoutent les dispositions du code du travail sur la négociation salariale, mais aussi, parfois, d’amicales invitations du Gouvernement à négocier sur les salaires, entraîne une diffusion progressive des revalorisations. La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) estime ainsi qu’entre septembre 2021 et septembre 2022, période pendant laquelle le Smic a connu une hausse historique, le salaire mensuel de base a augmenté de 4,4 % pour les ouvriers, de 4,6 % pour les employés, et de 2,7 % pour les cadres.
Rappelons ensuite que le Gouvernement a mis en place depuis le début de la crise énergétique, à l’été 2021, une série de mesures protégeant le pouvoir d’achat.
L’énergie est l’un des postes de dépenses les plus contraints, qui pèse d’abord sur les ménages les plus modestes. C’est pourquoi le Gouvernement a mis en place un bouclier tarifaire d’une ampleur sans précédent, qui a consisté à plafonner le prix du gaz et de l’électricité et à financer une prime à la pompe.
Ces mesures massives et généralisées ont eu un effet très important sur le taux d’inflation en France, qui est quasiment le plus bas d’Europe. Au mois de décembre dernier, il représentait près de la moitié de celui de l’Italie et était inférieur de trois points à celui de l’Allemagne. De même, l’État a allégé de 11 milliards d’euros les dépenses en énergie des entreprises.
Je tiens à rappeler ces chiffres, car ils permettent de mesurer à quel point, grâce aux lois que vous avez votées au mois d’août dernier, nos concitoyens ont été protégés comme dans nul autre pays en Europe.
Rappelons enfin l’existence des comités des salaires, leur utilité et la fréquence de leurs réunions.
La valeur travail est au cœur de notre projet. Toutefois, si la valorisation du travail passe aussi par une hausse des salaires, soyons clairs : ce n’est pas à l’État d’en décréter l’ampleur. C’est par le dialogue social, à l’échelon des branches et des entreprises, que les mouvements de salaires se décident. L’État doit y accorder une attention soutenue et peut, parfois, faciliter les négociations, mais il ne doit en revanche jamais se substituer à l’une des parties.
L’équilibre dans la concertation est, à n’en pas douter, la méthode qui a le plus contribué à penser, à construire et à transformer notre pacte social.
Le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion préside ainsi le comité de suivi des salaires, qui réunit chaque semestre l’ensemble des organisations patronales et syndicales pour dresser un bilan des négociations salariales dans les 171 principales branches. Le dernier a eu lieu au mois de novembre 2022. Compte tenu de la forte inflation que nous connaissons depuis plus d’un an, il a notamment visé à vérifier la conformité au Smic des minima de chacune de ces branches.
Ce comité démontre que le choix de la concertation est payant. Le nombre de branches qui affichent, de manière structurelle, des minima inférieurs au Smic est passé de 112 à 57 entre mai et décembre 2022. En novembre dernier, seules quatre branches étaient dans une situation de non-conformité depuis plus d’un an, contre une vingtaine en moyenne auparavant.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’idée d’un Grenelle des salaires convoque immédiatement l’imaginaire des négociations glorieuses qui ont fait l’histoire de la gauche – je pense notamment au Grenelle de 1968 –-, lesquelles ont été autant de pierres ajoutées à notre système social si protecteur, si envié et auquel nous sommes, à raison, si attachés. Néanmoins, ce sont là des souvenirs d’un temps où l’économie était radicalement différente de celle d’aujourd’hui.
Cette nostalgie d’un temps où l’État et les partenaires sociaux pouvaient décréter une hausse globale de tous les salaires n’est probablement pas une boussole actuelle pour les politiques publiques. À cette époque, chaque salaire était encadré par des grilles, le chômage ne dépassait pas quelques pourcents et la croissance, comme la productivité du travail, progressait chaque année à un rythme effréné. Vous pouvez certes le regretter, mais telle n’est plus notre réalité.
Alors un Grenelle des salaires, pour quoi faire, mesdames, messieurs les sénateurs ? Pour instaurer un comité de suivi des salaires à côté de celui qui existe déjà ? Je pense vous avoir montré la dynamique de notre démocratie sociale décentralisée et la force et l’efficacité des actions du Gouvernement en faveur du pouvoir d’achat.
À ce stade, le Gouvernement fait le choix de poursuivre le dialogue dans le cadre du comité de suivi, dont nous observons les effets.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Madame la ministre, le marché du travail doit aujourd’hui faire face à deux problèmes.
Le premier est le différentiel trop important entre salaire net et salaire brut. En effet, le salaire brut engendre un coût du travail trop élevé pour nos entreprises et un salaire net trop bas pour nos salariés, ce qui ne valorise pas assez le travail.
Le second réside dans la difficulté chronique des entreprises à recruter, quel que soit leur secteur d’activité, alors que notre taux de chômage demeure l’un des plus élevés d’Europe. Plusieurs causes expliquent cette difficulté.
Certains chômeurs ont ainsi des problèmes de mobilité, d’autres sont dans des situations personnelles complexes – je pense aux publics très éloignés de l’emploi. Nous le constatons tous les jours sur le terrain, dans nos territoires. Enfin, il existe aussi des freins au travail, qui n’encouragent pas suffisamment le retour à l’emploi.
Nous avons récemment adopté un projet de loi visant à réformer l’assurance chômage. Les règles d’indemnisation sont désormais plus strictes et incitent davantage au retour à l’emploi.
Il nous reste toutefois un long chemin à parcourir avant d’atteindre notre objectif de retour au plein emploi. Il nous faudra sans doute défendre et mettre en œuvre de nouvelles mesures pour continuer de mieux valoriser le travail.
Il faut créer un cercle vertueux, car plus les gens travaillent, plus le volume de cotisations augmente et plus le volume des indemnisations diminue.
Je l’ai dit d’emblée, il est nécessaire de rémunérer le travail, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la compétitivité des entreprises en augmentant le coût de la main-d’œuvre.
Madame la ministre, quelle stratégie comptez-vous mettre en œuvre pour réduire l’écart entre le salaire brut et le salaire net ? Quelles sont vos hypothèses de travail ? Comment accompagner une meilleure valorisation du travail dans notre pays et rétablir la valeur travail ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur Menonville, vous demandez comment augmenter les salaires nets sans augmenter les salaires bruts.
Le Gouvernement considère bien sûr qu’il faut soutenir les salaires. C’est une condition absolue pour parvenir au plein emploi, comme vous l’avez très justement rappelé.
L’État soutient les salaires au moyen de plusieurs dispositifs. Il a ainsi instauré la prime de partage de la valeur (PPV), que près de 5 millions de personnes ont perçue entre 2018 et 2020, pour un montant compris entre 2 et 3 milliards d’euros. En 2022, cette prime a été étendue aux salariés gagnant jusqu’à 3 000 euros, voire jusqu’à 6 000 euros sous certaines conditions. En cumul, 2,4 milliards d’euros ont ainsi été distribués en 2022 au titre de la prime de partage de la valeur, auxquels il faut ajouter 0,9 milliard au titre de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (Pepa), en vigueur jusqu’au mois de mars.
La prime d’activité a été pour nous un autre levier. Un salarié au Smic à temps complet perçoit un supplément de 225 euros, soit un revenu net de 1 578 euros, alors que le montant net du Smic s’établit à 1 353 euros.
Enfin, un processus de revalorisation du Smic extrêmement protecteur a été mis en œuvre. La France est l’un des pays, avec les pays du Nord, où les inégalités de salaires sont les plus faibles. En 2018, les différences constatées entre salaires bruts étaient de l’ordre de 3, contre 3,2 aux Pays-Bas, 3,6 en Allemagne et 3,4 en Espagne.
Je pense que nous pouvons dire que les inégalités de salaires ont très peu progressé en France au cours des vingt-cinq dernières années. C’est là un encouragement au retour vers l’emploi.
Entre 1996 et 2020, le salaire médian, en euros constants, a augmenté de 16 %. Les revenus du premier décile et du neuvième décile ont augmenté respectivement de 18,5 % et de 19 %. C’est là aussi un signe d’adéquation entre les différents niveaux de salaires. La politique de soutien des salaires est donc pertinente.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la ministre, cela fait deux ans maintenant que l’inflation rogne le pouvoir d’achat des Français, notamment des ménages les plus pauvres.
L’indice des prix à la consommation harmonisé a augmenté de près de 6,7 % au mois de décembre, soit plus que dans certains pays européens, comme l’Espagne.
En 2023, l’Insee prévoit 7 % d’inflation au premier semestre, une augmentation des prix de l’alimentation de 13 % et un recul du revenu disponible brut et du pouvoir d’achat. De même, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le pouvoir d’achat par unité de consommation va continuer de s’affaisser, portant la baisse à 1,4 % sur deux ans, soit la plus forte depuis quarante ans. Il précise qu’aucune valorisation, ni du Smic ni des aides, ne parvient à compenser cette perte.
La situation est d’autant plus intenable pour les ménages ruraux comme pour les plus pauvres que l’énergie et l’alimentation constituent des postes de dépenses plus importants que pour la moyenne des Français. Ces ménages subissent de plein fouet l’explosion des prix de l’alimentation, notamment des premiers prix des produits de base, qui ont augmenté de 16 % en moyenne dans les grandes surfaces. Ainsi, l’évolution du Smic sur un an ne compense pas l’explosion de ces postes de consommation.
Des politiques publiques sont nécessaires. Il faut provoquer des négociations salariales de branche et mettre fin aux coefficients immergés, aider les TPE (très petites entreprises) à supporter les coûts auxquels elles font face en redéployant les aides, qui bénéficient surtout aux grands groupes. Enfin, il convient de bloquer les prix des produits de première nécessité.
Pourquoi ne pas revaloriser sensiblement le Smic, lui donner « un coup de pouce » ? Une telle hausse a un effet d’entraînement avéré sur les bas salaires.
Madame la ministre, plutôt que d’adopter des postures idéologiques, quand les services de l’État nous fourniront-ils des études sérieuses sur l’effet positif de l’augmentation du Smic dans la formation des salaires, afin de sortir la France de la déflation salariale ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice Poncet Monge, je pense vous apporter le maximum d’éléments chiffrés, tirés d’études sérieuses, à l’appui de chacune de mes interventions. À cet égard, selon les conclusions des travaux récents d’un groupe d’études, accéder à votre demande aurait un effet contraire à celui que vous recherchez.
D’après l’OCDE, à la fin de l’année 2022, le pouvoir d’achat des ménages serait de 2 % supérieur au niveau de la fin de l’année 2019, quand il aurait diminué de 4 % en Allemagne et au Royaume-Uni.
Diverses dispositions ont permis d’atteindre ce résultat : la revalorisation du Smic, bien évidemment, mais aussi la hausse du nombre de créations d’emplois. Ainsi, 420 000 emplois devraient avoir été créés sur l’ensemble de l’année 2022, dont 360 000 au cours des trois premiers trimestres. Ce résultat s’explique également par l’efficacité des mesures de pouvoir d’achat votées en 2022.
Grâce au Smic, qui est un système protecteur, le salaire réel des ouvriers et des employés a très peu baissé. L’année dernière, la hausse annuelle du salaire minimum des ouvriers et des employés a été d’environ 4,5 %, contre 2,8 % pour les salaires des cadres et des professions intermédiaires. Le salaire réel des ouvriers et des employés a baissé de 1,2 % environ, celui des cadres et des professions intermédiaires de 3 %.
Ces mesures visent à répondre à l’enjeu de pouvoir d’achat que vous évoquez. Elles sont efficaces, chiffrées et objectives.
M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert.
M. Michel Dagbert. Madame la ministre, la retraite est aujourd’hui au cœur de toutes les discussions. Cependant, et nous le savons tous, le débat sur ce sujet ne doit en aucun cas réduire l’attention que nous portons au travail et aux travailleurs dans notre pays, tout particulièrement à la question de leurs salaires.
C’est d’ailleurs dans cette optique que le Gouvernement, et notamment votre ministère, prend depuis plus de cinq ans diverses mesures pour parvenir au plein emploi. Un objectif qui reste à atteindre, mais devenu atteignable.
Si l’accès au travail est au cœur de nos politiques publiques, faire de ce dernier un vecteur d’épanouissement pour le plus grand nombre l’est tout autant.
Par le travail, notre pays saura faire face aux périodes de crise telles que celles que nous traversons actuellement, comme il l’a fait dans le passé. Il sera également mieux armé pour affronter celles qui seraient à venir.
Mais le travail doit aussi, et surtout, assurer à chacun un salaire lui permettant de vivre décemment. Tel est l’objet du comité de suivi des salaires, dont la dernière réunion, présidée par le ministre Dussopt, a eu lieu au mois de juillet dernier.
À cette date, 112 branches sur les 171 suivies affichaient encore des minima inférieurs au Smic. Ce nombre est cependant en baisse par rapport au 1er mai, plus de trente branches étant parvenues depuis lors à proposer des salaires supérieurs ou égaux au Smic, preuve du rôle clef de ces négociations.
Cette forme de concertation se révèle donc la plus utile, car respectueuse du paritarisme.
Depuis la dernière réunion de suivi, avez-vous des retours, madame la ministre, concernant l’avancement de ces négociations de branche ? Pouvons-nous espérer une résorption totale des situations dans lesquelles les minima de branche sont inférieurs au Smic et à quelle échéance ?