M. le président. La parole est à M. Joël Bigot, pour la réplique.
M. Joël Bigot. Voilà maintenant plus d’un an que les assises de l’eau ont eu lieu. Nous attendons des annonces très concrètes : vous avez donné des pistes, madame la secrétaire d’État, qui sont intéressantes, notamment sur la tarification sociale de l’eau.
M. le président. Mon cher collègue, je suis désolé de vous interrompre, mais je vous ai donné la parole pour la réplique alors que vous aviez épuisé le temps qui vous était imparti.
M. Joël Bigot. Dans ces conditions, je n’en dis pas davantage, monsieur le président ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer.
M. Jean-Marc Boyer. Madame la secrétaire d’État, le transfert obligatoire des compétences eau et assainissement préoccupe les maires et les élus intercommunaux. En effet, l’obligation de ce transfert en 2026 entraîne, de fait, une perte de pouvoir de décision des élus communaux.
Ces derniers mois, plusieurs propositions de loi, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, ont visé à revenir sur cette réforme des compétences du bloc communal. Trois raisons essentielles motivent cette démarche, qui tend au maintien des compétences eau et assainissement dans les compétences facultatives des communautés de communes.
Premièrement, il s’agit de garantir le libre choix des élus. La commune reste compétente en matière de distribution d’eau et d’assainissement selon le code général des collectivités territoriales. Il s’agit donc de conforter la commune comme cellule de base de la démocratie locale et de laisser aux communes la libre décision d’un transfert ou non.
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. Jean-Marc Boyer. Deuxièmement, il convient de clarifier et harmoniser les relations entre les collectivités et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dans la mise en œuvre de ce transfert de compétences. En effet, selon l’antériorité de la nouvelle organisation territoriale du mois d’août 2015, l’appréciation diffère entre compétence obligatoire et facultative et pose de réelles difficultés.
Troisièmement, il importe de différencier et d’adapter la mise en œuvre de cette compétence au regard de la typologie des territoires, très variable en fonction des captages et des interconnexions existantes.
La gestion de l’eau et de l’assainissement est très différente selon qu’il s’agit d’un territoire de plaine, de montagne, de haute montagne, de vallée, de zones humides. Elle nécessite donc une différenciation, appréciée au plus près des élus.
Aussi, au regard de ces trois éléments essentiels – liberté de décision, clarification, différenciation –, le maintien des compétences eau et assainissement dans les compétences facultatives des communautés de communes permettra de satisfaire les objectifs que vous avez évoqués précédemment, madame la secrétaire d’État : limiter le gaspillage, partager la ressource, sécuriser l’accès à l’eau potable, donc décentraliser la politique de l’eau.
Madame la secrétaire d’État, quelles sont les raisons et les motivations qui interdisent aujourd’hui de maintenir les compétences eau et assainissement dans les compétences facultatives des intercommunalités ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Boyer, vous m’interrogez sur le transfert des compétences aux intercommunalités à partir du 1er janvier 2026, un objectif qui est une priorité forte du Gouvernement.
Prévue pour 2020 dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République du 14 juillet 2015, dite NOTRe, cette obligation a depuis été assouplie avec une date limite désormais fixée à 2026. Toutefois, il ne me semble pas pertinent de donner aujourd’hui un signe de retour en arrière, car cette disposition est essentielle.
Elle est essentielle pour garantir un service public efficace…
M. François Bonhomme. Il a toujours existé !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. … et un niveau de service que méritent les usagers. Cela passe par une capacité d’investissement suffisante. Nous avons assisté cet été aux appels à l’aide de nombreuses petites communes qui ne peuvent financer en urgence les investissements nécessaires pour la mise en place du citernage et la pose de canalisations.
Le recrutement d’agents techniques de bon niveau pour faire face à ces sujets très complexes est indispensable. Il faut une structure de taille suffisante pour disposer d’un véritable service technique. À l’appui de mon propos, je citerai le rapport de la Cour des comptes du mois de juin 2016, qui insiste sur l’enjeu de la rationalisation à poursuivre. La sécheresse de 2022 doit nous interpeller. Il faudra des collectivités ayant les moyens d’élaborer des projets et se placer à la bonne échelle territoriale.
Par ailleurs, nous avons trouvé ces dernières années des solutions permettant d’apporter des réponses à beaucoup de problèmes locaux. Les collectivités peuvent garder un prix de l’eau individualisé par secteur lors de l’entrée dans l’EPCI. Il est possible de garder des syndicats pour assurer les compétences eau et assainissement. Ces solutions ont été élaborées et débattues avec la représentation nationale – le Sénat y a d’ailleurs beaucoup contribué.
Je suis donc persuadée que nous avons trouvé un équilibre, qu’il faut de la visibilité et de la stabilité dans les décisions. L’enjeu maintenant est surtout d’aider les collectivités à organiser ces transferts et à investir, plutôt que de laisser penser que l’on ne peut rien changer. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Les communes apprécieront…
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon.
Mme Anne Ventalon. Madame la secrétaire d’État, comme l’a indiqué la délégation sénatoriale à la prospective dans son excellent rapport d’information, la question du financement est au cœur de la problématique de l’eau.
À l’instar d’autres départements, l’Ardèche a souffert d’une sécheresse d’une rare intensité en 2022. Celle-ci a duré de mai à novembre et a réduit drastiquement les ressources hydriques.
Ce déficit de pluviométrie a affecté tous les usages de l’eau, qu’il s’agisse des réseaux d’eau potable, de l’agriculture, de l’industrie ou des loisirs.
Si des mesures de restriction ont été prises pour affronter cette crise, nous savons que cette pénurie historique et son lot de records de températures n’auront demain plus rien d’exceptionnel.
Les communes et leurs groupements devront donc s’adapter à la nouvelle donne et assumer des investissements importants. Les acteurs du bloc communal déplorent déjà un désengagement des agences de l’eau, ce qui oblige, dans certains départements, à remplacer le financement qu’elles assuraient par des dotations de l’État, comme la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR).
Or les agences de l’eau disposent d’un plafond annuel de redevances de 2,2 milliards d’euros. Malgré le renfort des 100 millions d’euros fléchés vers l’investissement qu’a annoncé la Première ministre au mois de novembre dernier, les moyens de nos agences ne sont plus calibrés pour affronter les conséquences du réchauffement climatique, dont les effets se manifestent déjà.
De plus, ce sont ces agences qui abondent à hauteur de 80 % le budget de l’Office français de la biodiversité, ce qui représente une ponction de 15 % de leur budget.
Madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous aider les agences de l’eau à sortir de cet effet ciseau ? Sans augmenter les factures d’eau des particuliers, de quelles ressources supplémentaires allez-vous les doter pour leur permettre de mener en parallèle l’adaptation des infrastructures au réchauffement et la contribution à la défense de la biodiversité ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la sénatrice Ventalon, je l’ai déjà souligné, les agences de l’eau sont des outils anciens qui sont indispensables à la mise en œuvre territoriale de la politique de l’eau. Soyez assurée que j’ai suivi avec attention la situation de l’Ardèche. Nous devons avoir des solutions efficaces pour pallier le manque d’eau et le déficit structurel des nappes.
Comme je l’ai indiqué en réponse à la question de Mme la sénatrice Varaillas, malgré l’engagement du Gouvernement à maîtriser la fiscalité qui pèse sur les ménages, nous avons trouvé des marges de manœuvre budgétaires ces dernières années – je les ai détaillées.
Je tiens aussi à rappeler que les agences de l’eau représentent presque 1 500 agents dans les territoires pour accompagner les projets. Dans le contexte que représente l’adaptation au changement climatique, j’ai été attentive à ce que ces agences disposent de moyens pour répondre aux attentes des collectivités territoriales.
En termes de moyens humains, la loi de finances pour 2023 maintient, comme pour 2022, le plafond d’emplois des agences de l’eau, après dix ans de baisse.
Concernant le financement de la biodiversité par les agences de l’eau, le Gouvernement entend aussi votre inquiétude. Je pense qu’il ne faut pas opposer biodiversité, grand cycle de l’eau et petit cycle de l’eau. Pour autant, je regarderai avec attention les propositions issues du rapport sur le financement de la stratégie nationale pour la biodiversité pour 2030.
Je vous le redis, dans le cadre du plan Eau qui sera annoncé à la fin du mois de janvier, nous devrons préparer les prochains programmes d’intervention 2025-2030 : ne doutez pas de l’ambition du Gouvernement de doter les agences de l’eau de moyens suffisants pour répondre aux enjeux de l’adaptation au changement climatique.
M. François Bonhomme. Nous sommes rassurés…
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb.
M. Laurent Duplomb. Madame la secrétaire d’État, après le covid-19 et la pénurie de masques, après la guerre en Ukraine et les pénuries d’huile et de moutarde, après le problème de l’énergie et l’envol des prix de l’électricité, menaçant de faire disparaître des pans entiers de notre économie – sans parler des risques de coupures –, vous vous apprêtez, en ce qui concerne la gestion de l’eau, à faire les mêmes erreurs que vos prédécesseurs, il y a quelques années, qui ont faire preuve d’un obscurantisme dangereux sur le nucléaire.
En effet, malgré de multiples rapports vous alertant sur la perte de notre souveraineté alimentaire et sur notre dépendance de plus en plus grande aux importations de produits alimentaires, vecteur d’émissions de carbone toujours croissantes, vous vous obstinez à vouloir sanctuariser à tout prix la ressource en eau.
Vous allez même, dans votre délire catastrophiste, jusqu’à faire croire que l’eau serait une ressource épuisable et non renouvelable, comme si sa non-utilisation et le refus de la stocker permettraient de mieux se prémunir des manques à venir.
Réduire, par la peur, la culpabilité et l’interdit – en un mot, par dogme –, les usages de l’eau potable à la seule alimentation humaine et sanctuariser cette ressource pour les milieux naturels est totalement fallacieux et, surtout, très dangereux.
Ne plus vouloir autoriser son utilisation pour l’agriculture, donc pour l’alimentation des hommes, ou tellement la réglementer qu’elle deviendrait impossible est suicidaire.
Le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique pouvait laisser supposer qu’enfin vous aviez compris la nécessité de l’intérêt prioritaire de l’usage de l’eau à l’agriculture. C’était toutefois sans connaître l’obstination de notre technocratie abrutissante, qui n’aura eu de cesse, durant tous ces travaux, d’en faire au final une vraie supercherie.
Alors, madame la secrétaire d’État, dans quelques années, quand les Français ne pourront plus manger à leur faim à cause des décisions que vous aurez prises, ne croyez-vous pas qu’ils chercheront des responsables ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Duplomb, le contexte de raréfaction de la ressource nous conduit à accorder à la bonne gestion de l’eau une attention plus grande encore, afin de mieux anticiper collectivement les effets du changement climatique.
Je l’ai indiqué précédemment, c’est tout l’objet du chantier que nous avons lancé et qui aboutira à l’élaboration d’un plan Eau d’ici à la fin du mois de janvier. Ce plan traitera notamment de la sobriété des usages et de la gouvernance du partage de l’eau (M. Laurent Duplomb proteste.) ; vous semblez déjà connaître le contenu de nos annonces, monsieur le sénateur… (M. Laurent Duplomb s’exclame.) Ces annonces seront ambitieuses. Un travail de concertation a déjà été mené avec l’ensemble des acteurs – vous-même avez dû contribuer au rapport d’information du Sénat sur le sujet –, qui permettra de nourrir la réflexion en vue des annonces que nous présenterons le 26 janvier prochain.
Dans le cadre de cette planification, il faut étudier toutes les solutions d’économie d’eau, mais également toutes les manières de rendre les usages de l’eau plus efficaces.
En ce qui concerne les retenues collinaires, s’il n’est pas question de généraliser ce dispositif en France, chaque projet respectant les critères exigeants que nous avons fixés – je pense en particulier au projet de Sainte-Soline et à celui du bassin du Clain – pourra être validé. Cela répond d’ailleurs à la question de M. Vial, à qui je n’ai pas réellement répondu, car je pensais que sa question porterait davantage sur l’eau en montagne.
Le stockage hivernal ne doit pas être écarté dès lors qu’il est jugé soutenable pour les milieux par les expertises techniques, qu’il s’inscrit dans un projet territorial largement concerté et favorable à la transition environnementale, par exemple s’il est conditionné à un usage plus sobre de l’eau, et qu’il contribue à un meilleur partage de la ressource. Ce n’est pas l’unique solution – dans nombre de territoires, il ne sera pas possible techniquement –, mais les réserves de substitution font bien partie du panel de solutions à mobiliser.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Rémy Pointereau, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains. Vous l’avez constaté, madame la secrétaire d’État, les interventions de mes collègues démontrent que le système de gestion de l’eau de notre pays est à revoir de fond en comble.
Ce débat s’inscrit dans une série d’initiatives de la Haute Assemblée pour traiter cette ressource si importante, car, vous l’avez bien entendu, des problèmes demeurent. Notre ancien collègue Henri Tandonnet et notre collègue Jean-Jacques Lozach ont déjà tiré la sonnette d’alarme en 2016, au travers d’un excellent rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective intitulé Eau : urgence déclarée. Celui-ci soulignait notamment l’importance du gaspillage d’eau.
N’en citons qu’un seul exemple : les fuites des canalisations d’eau potable s’élèvent à 1 milliard de mètres cubes par an. Ce phénomène doit être mis en relation avec la question du stockage de l’eau, indispensable pour assurer notre indépendance alimentaire et il relativise le tollé des écologistes radicaux, puisque ce volume représente 2 000 réserves de substitution de 500 000 mètres cubes chacune, qui permettraient d’irriguer 500 000 hectares sans prélèvement supplémentaire dans la nappe.
M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. Rémy Pointereau. Si le Sénat a bien alerté l’État sur le sujet, disais-je, rien n’a changé ! Que voulez-vous, mes chers collègues, au Sénat, nous avons souvent raison trop tôt ; c’est notre croix…
En réalité, nous avons oublié que l’eau était une ressource non qui se crée, mais qui se gérait ; or, pardon de le dire, nous ne savons pas la gérer, Cédric Vial l’a rappelé. Alors que d’autres pays, pourtant proches de nous, comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal, se sont lancés dans la réutilisation des eaux usées et dans la construction de réserves de substitution, nous continuons, nous, à regarder ces milliards de mètres cubes être gaspillés…
Autre preuve de la mauvaise gestion de cette ressource dans notre pays, le nombre d’acteurs qui gravitent autour de la politique de l’eau… Le 25 janvier dernier s’est tenu dans cet hémicycle un débat sur les agences de l’eau. À cette occasion, j’ai dénoncé le « labyrinthe crétois » que représente l’enchevêtrement des instances qui prennent les décisions : les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) les comités de bassin, les associations environnementales, qui sont d’ailleurs surreprésentées, les agences de l’eau, de taille XXL, ou encore les préfets coordinateurs de bassin.
L’État a ainsi suscité un émiettement des responsabilités, qui est illisible, surtout pour les élus locaux, mais il ne s’est pas contenté de cela ! Parce qu’ils appartenaient à la catégorie des « budgétivores », il a également piétiné les principes forts de gestion de l’eau issus de la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, dite Lema, notamment le principe selon lequel « l’eau paie l’eau ». Avec une diminution de 400 millions d’euros par-ci, un prélèvement de 200 millions d’euros par-là, nous sommes passés de ce principe à celui selon lequel « l’eau paie l’État », comme l’a rappelé Catherine Belrhiti.
Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, nous avons tenté de revenir à ce principe fondateur, en rehaussant le plafond mordant des agences de l’eau, mais vous connaissez comme moi, mes chers collègues, la réponse du Gouvernement sur ce sujet, comme d’ailleurs sur l’ensemble du texte budgétaire : « Sénat, cause toujours, ça m’intéresse ! » Pourtant, cette mesure aurait permis de mieux financer l’eau et l’assainissement, comme l’ont rappelé Anne Ventalon, Alain Cadec et Jean-Marc Boyer.
Pardon d’être aussi cru, madame la secrétaire d’État, mais voilà ce qui arrive lorsque l’on ne fait pas avancer les choses sur un sujet si crucial, alors que d’autres ne cessent par ailleurs de tirer la sonnette d’alarme.
En résumé, l’ensemble des interventions de cet après-midi pourraient être réunies en une seule recommandation : il faut élaborer une Lema 2. En effet, si la loi de 2006 a permis de poser un cadre et d’atteindre un certain nombre d’objectifs, notamment l’amélioration qualitative de l’eau, elle n’a pas apporté de solution en matière de gestion quantitative de cette ressource.
Aussi n’aurai-je qu’une question à vous poser, madame la secrétaire d’État : êtes-vous favorable à une seconde Lema ? Si oui, nous sommes déjà en mesure de vous donner des orientations. En ces temps de crise de l’énergie, il faudrait relancer la production d’hydroélectricité, via une politique de construction de nouveaux barrages, ce qui permettrait en outre de soutenir l’étiage de nos rivières. Il conviendrait également de faciliter la petite hydroélectricité de nos rivières et moulins. Il serait par ailleurs nécessaire de simplifier les instances qui mettent en œuvre les politiques de l’eau. Il importerait en outre de renouer avec le principe « l’eau paie l’eau » et de favoriser la réutilisation des eaux usées. Enfin, il faudrait garantir l’accès à l’eau du secteur de l’alimentation en eau potable pour les productions alimentaires.
En effet, on ne peut pas continuer d’imposer aux agriculteurs d’accomplir les douze travaux d’Hercule pour pouvoir réaliser une réserve de substitution. Aux écologistes radicaux qui font le choix de la violence contre la création de ces réserves, nous devons rappeler que, jusqu’à preuve du contraire, il faut de l’eau pour l’agriculture même biologique, surtout si l’on veut diversifier notre production et conserver notre indépendance alimentaire, au lieu d’importer du maïs et du soja issus d’organismes génétiquement modifiés (OGM) ou de semences venues de l’autre bout du monde – et ce n’est pas Laurent Duplomb qui me contredira.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Rémy Pointereau. Cette réforme s’impose ! Nous devons fixer un nouveau cadre – attention, pas de nouvelles normes, mais bien un nouveau cadre, plus lisible, plus accessible, pour permettre un usage efficace de cette ressource.
Madame la secrétaire d’État, vous nous avez donné un certain nombre d’avis, mais je souhaite désormais que l’on transforme le verbe en actions concrètes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la gestion de l’eau dans une perspective économique et écologique.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures neuf, est reprise à seize heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
9
Instauration des zones à faibles émissions
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur l’instauration des zones à faibles émissions (ZFE).
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que le groupe auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Philippe Tabarot, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. Philippe Tabarot, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ZFE : trois lettres, un sigle de plus et encore une promesse non tenue d’un fleuve tranquille, tant le sujet de la voiture est devenu inflammable. Je me réjouis donc de l’initiative du groupe Les Républicains, auquel j’appartiens, qui a souhaité l’organisation de ce débat sur l’instauration des zones à faibles émissions, les ZFE.
La population a-t-elle vraiment conscience des restrictions de circulation vouées à se multiplier sur l’ensemble du territoire d’ici à 2025 ? Non, certainement pas. Un récent sondage de l’institut Harris soulignait d’ailleurs que 60 % des sondés ignoraient même ce qu’était une ZFE…
Pourtant, près de 40 % du parc automobile actuel est directement voué à être interdit. Toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants doivent instaurer d’ici à 2025 des zones à faibles émissions mobilité, ou ZFE-m, dans lesquelles seuls certains véhicules, les moins polluants, seront autorisés à accéder au centre-ville.
Cette mesure visait initialement à engager un double objectif salutaire : d’une part, celui de la santé publique, afin que les 40 000 décès annuels liés aux particules fines ne soient plus relégués au second plan, d’autre part, celui de la décarbonation du secteur des transports, le plus gros émetteur de gaz à effet de serre, décarbonation essentielle pour renforcer le droit à la mobilité.
Depuis lors, monsieur le ministre, votre gouvernement a amplifié le mouvement, en mettant au pas quarante-cinq agglomérations, avec, à la clef, l’interdiction prochaine de circuler dans ces zones pour des millions de véhicules.
Néanmoins, d’atermoiements en hésitations, de report en report de leur mise en place, les ZFE, dont l’application est à l’opposé des principes ayant présidé à leur création par la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM), relèvent plus aujourd’hui du rituel sacrificiel que du principe positif originel, tant elles suscitent défiance et désespérance.
Pourquoi ?
Tout d’abord, la transition écologique ne peut se faire dans un contexte de perte de vitesse de notre souveraineté, qu’il s’agisse de notre souveraineté économique, via notre incapacité à produire des véhicules électriques à faible coût pour les Français, ou de notre souveraineté énergétique, avec le recours précipité aux centrales à charbon après l’abandon manifeste de notre énergie nucléaire abondante et peu onéreuse.
Ensuite, la transition écologique ne peut pas davantage s’accomplir dans un contexte de rejet social. En cherchant à « starifier » à tout crin une vision anti-voiture, vous avez omis de sanctuariser le seuil d’acceptabilité, totem de justice sociale intimement mêlé à la réussite de la mesure. À vouloir ménager un seul pan de la population, vous mécontentez tout le monde. Figés dans une sorte de sectarisme bureaucratique, vous chassez même, par l’application maximaliste de ces mesures, ce qui fait la richesse d’une nation, la classe moyenne, laquelle symbolise aujourd’hui, malgré elle, la paupérisation de notre Nation.
Entre les plaidoyers acquis sur le marché de la peur et entendus sur les terrains de l’écologisme politique et les tenants du laissez-faire, une voie d’équilibre existe, autre que la fabrique en puissance à « gilets jaunes ». C’est celle que nous avons tâché d’emprunter au Sénat. L’équilibre, ce n’est ni l’eau tiède ni le statu quo ; l’équilibre, c’est le fait de transcender les égoïsmes et de respecter le réalisme.
« L’équilibre est un effort et un courage de tous les instants. La société qui aura ce courage est la vraie société de l’avenir », disait Albert Camus. Dans le contexte actuel de changements importants, un sursaut de mobilité doit s’exercer. Le Sénat multiplie les propositions en ce sens, comme la fixation de la TVA à 5,5 % pour les transports ou encore la fin des modernisations au rabais de nos infrastructures.
Quand le Gouvernement a présenté la généralisation des ZFE en 2021, lors de l’examen de ce qui allait devenir la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, texte dont j’étais rapporteur, mes collègues et moi avons insisté sur la nécessité de faire en sorte que la ZFE ne soit pas un facteur aggravant des inégalités.
Malheureusement, à trop agir avec verticalité et radicalité, vous avez dénaturé cette aspiration et transformé les ZFE en « zones de forte exclusion », incarnant ainsi le nouveau miroir d’une écologie antisociale. La ministre Pompili ne nous a pas écoutés et la majorité présidentielle a refusé nos propositions.
Au Sénat, nous avons toujours défendu une écologie qui récuse les mesures strictement punitives et qui accompagne le changement. Aussi, nous avons prôné une approche territorialisée, plus souple, qui fasse confiance aux élus locaux.
Le calendrier trop rapide et restrictif, faisant fi des délais réels de déploiement, impose aux collectivités territoriales un ensemble détaillé de restrictions allant à l’encontre même de la philosophie originelle de l’instrument, pensé d’abord comme un outil de régulation.
Nous avons proposé de revoir le schéma de restriction, de mieux prendre en compte les livraisons et le déploiement des infrastructures de recharge, de décaler la date de mise en œuvre de l’obligation et d’assouplir celle-ci au travers d’un régime de dérogation et d’une minorité de blocage. Nous avons également pointé les lacunes en matière de contrôle. En effet, on ne saurait mettre en place des ZFE sans avoir des moyens adéquats de contrôle, qui sont loin d’exister, même aujourd’hui, en 2023.
En témoignent les récents reports de mise en place, les périodes dites pédagogiques de la métropole d’Aix-Marseille ou encore l’annonce édifiante de la métropole de Nice, dont un conseiller a déclaré : « Nous ne mettrons pas les effectifs de police municipale pour contrôler une interdiction alors que l’État qui en est à l’origine ne mobilise pas ses propres policiers nationaux pour le faire. »
Nous avons tout de même réussi, au cours de la commission mixte paritaire la plus longue de la Ve République, à obtenir de haute lutte la mise en place d’un prêt à taux zéro, applicable depuis le 1er janvier dernier, pour l’acquisition d’un véhicule propre et que nous souhaiterions voir garanti à 100 % par l’État. Ce seul soldat sauvé est un corollaire à notre sens indispensable d’une transition juste.
Plus d’un an et demi plus tard, le temps presse, mais les esprits changent. Face au mouvement bruissant de contestation, vous semblez enfin écouter nos orientations. Je vous les assène de nouveau.
Dès lors que la maturité technologique des véhicules n’est pas au rendez-vous, la ZFE exclut. Dès lors que la France est encore loin de pouvoir offrir un prix de marché abordable pour les voitures propres, la ZFE exclut. Dès lors que certains de nos concitoyens ne se voient pas proposer, malgré les aides, de solutions de substitution financièrement viables, la ZFE exclut. Dès lors que les réseaux des transports en commun ne sont pas assez développés pour permettre de se rendre au centre-ville de manière efficace et rapide, la ZFE exclut. Dès lors que les autorités organisatrices de la mobilité, étranglées par la hausse de l’énergie et sans effort partagé supplémentaire, se voient dans l’obligation d’augmenter les tarifs des billets, la ZFE exclut.
Aujourd’hui, le Gouvernement semble disposé à écrire un nouveau chapitre, grâce à un changement de braquet matriciel. Vous réalisez aujourd’hui que la vérité que vous imposiez hier s’est révélée une erreur. Enfin ! Une réunion des exécutifs locaux concernés a été convoquée, une aide du fonds vert annoncée, une mission flash à l’Assemblée nationale lancée. Je note même la publication du décret du 24 décembre 2022 sur la mise en place d’un régime de dérogation pour les agglomérations, proposé initialement par le Sénat.
Je ne doute pas que mes collègues du groupe Les Républicains Michel Savin, Laurence Garnier, Elsa Schalck, Laure Darcos, Stéphane Le Rudulier, Brigitte Micouleau et Christine Lavarde pointeront avec pertinence les faiblesses de cette mesure.
Entre les chantres de l’anti-bagnole et la suppression unilatérale de la mesure, le Sénat a fait le choix de ZFE faites avec les territoires et non contre eux. Monsieur le ministre, je vous engage donc au nom du groupe Les Républicains à poursuivre dans cette voie, en arrêtant d’imposer et en vous inspirant d’une méthode respectueuse des Français, résumée dans cette formule : informer, écouter et accompagner. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)