compte rendu intégral
Présidence de M. Alain Richard
vice-président
Secrétaires :
Mme Marie Mercier,
M. Jean-Claude Tissot.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Lutte contre la fraude au compte personnel de formation
Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à lutter contre la fraude au compte personnel de formation et à interdire le démarchage de ses titulaires (proposition n° 32, texte de la commission n° 156, rapport n° 155).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord remercier le groupe RDPI, notamment le sénateur Martin Lévrier, d’avoir inscrit l’examen de cette proposition de loi à son ordre du jour réservé.
Je tiens également à saluer le travail effectué par Catherine Fabre : elle s’était saisie avec détermination de cette question au cours du quinquennat précédent et avait déposé une proposition de loi, qui a constitué le socle sur lequel le présent texte a été bâti.
Je suis donc très heureuse, en tant que ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels, de soutenir aujourd’hui cette proposition de loi.
Lutter contre les abus et la fraude au compte personnel de formation (CPF) est un objectif qui doit tous nous réunir. C’est dans cette perspective que les députés ont adopté ce texte à l’unanimité, avec le soutien du Gouvernement. Je suis certaine qu’il suscitera de nouveau un très large consensus sur les travées de cette assemblée.
Je reviendrai tout d’abord sur le contexte d’examen de cette proposition de loi, qui est une réponse ferme aux détournements du compte personnel de formation.
Le CPF fête cette année ses trois ans : ce dispositif a rencontré un succès populaire incontestable auprès des Français. Près de 95 % des actifs connaissent cet outil et environ 20 % d’entre eux ont ouvert leurs droits depuis sa création en 2019. Autant mobilisé par les femmes que par les hommes, il est davantage utilisé par les employés et les ouvriers que par les cadres. Indéniablement, le CPF a véritablement facilité et démocratisé l’accès à la formation.
Le CPF est à tous les carrefours de la vie professionnelle des Françaises et des Français. Il est l’outil qu’ils peuvent mobiliser dans tous les moments charnières de leur vie : pour préparer leur parcours professionnel, se former à la création d’entreprise ou encore faire un bilan de compétences, etc.
Cependant, le succès massif du CPF a également ouvert la porte à des pratiques commerciales agressives, voire abusives. Ces dérives consistent souvent à forcer les individus à acheter des formations contre leur gré ou de manière insuffisamment réfléchie. Elles se traduisent par des appels, l’envoi de SMS ou de courriels intempestifs de la part de centres d’appels ou d’organismes de formation. Ces arnaques véhiculent bien souvent des informations erronées sur les droits de l’individu et sur l’objectif réel de l’organisme.
Les fautes graves, telles que l’usurpation d’identité ou le détournement des droits du compte personnel de formation, font l’objet d’un contrôle accru par la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
Le préjudice financier lié aux pratiques abusives ou frauduleuses est évalué à 43 millions d’euros en 2021, une somme qui a été multipliée par cinq en un an.
Outre le préjudice financier qu’il entraîne, ce démarchage agressif entame la confiance des utilisateurs et nuit à l’image de l’outil. Il appelle donc une réponse ferme. Le Gouvernement a agi pour mettre un terme à ces pratiques, qui mettent en péril la lisibilité et la crédibilité du dispositif.
Un renforcement du niveau de sécurité de la plateforme « Mon compte formation » a d’abord été mis en place le 25 octobre dernier. Tout achat de formation est désormais sécurisé via le nouveau service « FranceConnect+ ». Ce service propose une authentification renforcée, via l’application d’identification numérique de La Poste.
Cette authentification renforcée permet de limiter les risques d’usurpation d’identité. Il s’agit d’un changement notable en termes d’usage pour les Français. Le réseau de La Poste et les maisons France Services sont mobilisés pour accompagner les Français dans ces démarches.
Avant même cette nouvelle phase de sécurisation technique, des actions de contrôle accru avaient déjà été menées pour améliorer la qualité de l’offre de formation.
Le Gouvernement a en effet engagé des mesures de régulation du secteur pour faire monter en qualité l’offre accessible sur la plateforme Mon compte formation. Je pense notamment à l’entrée en vigueur, depuis le 1er janvier, du label Qualiopi visant à renforcer l’exigence de qualité pour les organismes de formation, qui sont aujourd’hui près de 17 000 sur la plateforme, contre 24 000 environ auparavant.
Un travail particulièrement exigeant a également été mené sur le renouvellement du répertoire spécifique (RS), qui a conduit à éliminer deux tiers des certifications, dont l’intérêt pour l’évolution professionnelle des actifs n’était plus démontré.
Enfin, il y a quelques mois, à la demande de l’État, c’est l’intégralité de l’offre portant sur la création et la reprise d’entreprise qui a été revue par la Caisse des dépôts et consignations : près de 60 % des offres ont ainsi été déréférencées, car elles étaient apparues non conformes.
Aujourd’hui, plus personne ne peut dire que le compte personnel de formation rime avec formation de loisir. Nous nous sommes donné les moyens de proposer un catalogue de formations utiles pour l’emploi, la professionnalisation et la montée en compétences des actifs de notre pays.
Il nous faut donc à présent œuvrer pour éradiquer de la plateforme la fraude et le démarchage abusif.
Cette proposition de loi vient donc renforcer plus encore l’arsenal de régulation.
Son article 3 prévoit ainsi une procédure de vérification des organismes de formation qui demandent à être enregistrés sur la plateforme. L’objectif est de garantir aux titulaires de compte que les organismes et la formation suivie remplissent bien tous les deux les critères d’éligibilité au compte personnel de formation. Cette procédure permettra en outre de garantir la qualité et l’honorabilité des organismes de formation inscrits sur la plateforme, qui devront être à jour de leurs obligations sociales et fiscales.
L’article 4 de la proposition de loi, introduit à l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement, prévoit quant à lui une étape supplémentaire afin que les sous-traitants soient eux aussi soumis aux mêmes exigences que l’organisme de formation donneur d’ordre.
Soyons clairs sur ce sujet : il ne s’agit pas d’interdire la sous-traitance ni d’entraver la liberté de commerce ; mais nous constatons aujourd’hui que certains organismes de formation, pourtant référencés sur la plateforme, proposent seulement ce que l’on appelle « un portage Qualiopi ».
Je le dis clairement : ces organismes de formation agissent comme de véritables sociétés écrans. Ils savent que la Caisse des dépôts et consignations ne peut ni identifier ni contrôler les sous-traitants. Cet angle mort est donc un nid à fraudes potentiel. Pareille pratique n’est plus admissible et doit être régulée.
Cette étape a ainsi pour objectif d’assainir toute la chaîne de valeur, en rendant les organismes de formation transparents et responsables à l’égard de leurs sous-traitants.
L’article 4 prévoit qu’un décret sera pris, en concertation avec les représentants du secteur de la formation professionnelle, pour préciser les modalités d’application de la disposition. Cette concertation a déjà démarré, sous l’égide de mon cabinet, depuis plusieurs semaines maintenant.
Je tiens ici à rassurer les professionnels du secteur de la formation, en particulier les formateurs indépendants. Une attention toute particulière sera portée aux formateurs individuels, acteurs essentiels de la formation professionnelle. En effet, nous ne pouvons décemment pas leur imposer les mêmes exigences qu’aux organismes de formation, qui occupent l’ensemble de la chaîne de la formation et qui dégagent un chiffre d’affaires important.
Notre objectif est de protéger les citoyens qui souhaitent souscrire à une formation via leur compte personnel de formation, en leur permettant de vérifier à qui ils ont affaire et de s’assurer de la qualité de l’organisme formateur.
Je veux redire ici toute la détermination du Gouvernement à empêcher tout détournement du droit fondamental d’accès à la formation.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui nous donnera des leviers efficaces pour mieux lutter contre les abus et les fraudes au CPF, pour mieux les prévenir et les sanctionner. Elle va en effet permettre d’interdire le démarchage abusif et de sanctionner plus efficacement ceux qui le pratiquent, y compris sur les réseaux sociaux.
Nous ne pourrons que nous satisfaire de voir disparaître de tels abus : il n’y aura plus d’influenceurs promettant monts et merveilles, tablettes et smartphones ; plus de messages inacceptables incitant au recours au CPF pour mieux le détourner de sa fonction initiale et l’instrumentaliser. Les amendes seront en effet très dissuasives : elles pourront atteindre 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale.
À la suite de publications illicites par plusieurs influenceurs concernant des offres au titre du CPF, la Caisse des dépôts et consignations a également saisi un cabinet d’avocat pour adresser des mises en demeure aux individus concernés.
Un bon nombre d’entre eux y a d’ores et déjà répondu en s’engageant sur trois points : l’arrêt de toute publicité en lien avec le CPF ; la mise à disposition de documents des sociétés avec qui ils étaient en lien, afin de permettre des enquêtes et, le cas échéant, le dépôt de plainte ; la publication sur leurs réseaux sociaux d’un message rectificatif.
La proposition de loi, à son article 2, va également donner les moyens aux services de partager les informations dont ils disposent pour mieux conduire la lutte contre la fraude.
J’insiste sur la nécessaire coordination entre les services de l’État et les opérateurs : elle est absolument indispensable pour resserrer les mailles du filet, vérifier les identités des suspects, contrôler les habilitations à former, traquer les fausses domiciliations, etc. Nous devons en effet impérativement croiser les fichiers et les informations pour lutter efficacement contre les fraudeurs, les traquer et les arrêter.
Ce texte a pour objet de donner aux services de l’État, à la Caisse des dépôts et consignations ou encore à Tracfin plus de moyens pour identifier les fraudeurs et ne laisser aucun délit impuni.
L’article 2 bis vise à renforcer les pouvoirs de la Caisse des dépôts et consignations, en lui accordant la capacité de recouvrer plus rapidement les sommes indûment perçues. Ce pouvoir d’intervention directe et rapide, sans saisine préalable de la juridiction administrative, améliorera l’efficacité de la lutte contre l’évasion des fonds en cas de fraude.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, nous pouvons nous satisfaire du travail collectivement réalisé sur ce sujet transpartisan et véritablement d’intérêt général.
Notre responsabilité est de protéger le CPF pour le bien de nos concitoyens. Protéger le CPF, c’est protéger la capacité des Français à se former ; c’est protéger une application qui fait désormais partie de leur vie quotidienne ; c’est protéger un droit qu’ils se sont approprié massivement, grâce à la désintermédiation permise par cette application.
Le CPF, rappelons-le, a rendu plus réelle et plus tangible la liberté de chacune et de chacun de choisir son avenir professionnel et de maîtriser son parcours de vie.
En interdisant le démarchage abusif et en luttant mieux contre les fraudes, nous redonnerons toutes ses marges de manœuvre au CPF et nous permettrons à tous les actifs d’être en mesure de réussir leurs transitions professionnelles.
Nous devrons prochainement mettre en œuvre de nouvelles mesures de régulation afin que le CPF soit mieux ciblé sur les besoins réels de l’économie, c’est-à-dire sur les métiers en tension ou les métiers d’avenir. Je mènerai une réflexion sur ce sujet en concertation avec les partenaires sociaux, que je reçois aujourd’hui, afin qu’ils nous présentent, à Olivier Dussopt et moi, la synthèse de leurs travaux paritaires.
Je tiens encore une fois à remercier l’ensemble des parlementaires qui se sont saisis de cette proposition de loi pour donner corps à la protection du droit à la formation. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE.)
M. Martin Lévrier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a introduit une réforme audacieuse du compte personnel de formation, qui a permis une démocratisation de l’accès à la formation professionnelle au bénéfice de chaque actif.
La monétisation du CPF et le lancement du service dématérialisé Mon compte formation lui ont donné une nouvelle dimension : environ 2,1 millions de dossiers de formation ont ainsi été financés en 2021, contre près de 1 million en 2020 et 500 000 en 2019, soit un doublement chaque année. Grâce à un mode d’alimentation favorable aux temps partiels, la réforme a également permis un rééquilibrage du recours au CPF entre les hommes et les femmes. Les actifs âgés de moins de 40 ans et les publics peu diplômés sont également plus représentés parmi ses bénéficiaires.
Toutefois, cette réforme a aussi une face sombre : avec 19 millions de profils activés sur Mon compte formation, elle a ouvert une brèche dans laquelle divers acteurs peu scrupuleux se sont engouffrés pour se livrer à des pratiques frauduleuses.
La fraude au CPF prend des formes diverses, qui vont de pratiques commerciales agressives à la validation d’entrées en formation fictives ou inéligibles à un financement par le dispositif. Les titulaires de compte sont, selon les cas, victimes ou complices de ces abus.
La Caisse des dépôts et consignations (CDC) évalue à 40 millions d’euros au bas mot le préjudice financier lié à ces pratiques. Ce montant reste peu élevé au regard des dépenses totales occasionnées par le dispositif, qui se sont élevées à 2,85 milliards d’euros en 2021. La situation pourrait néanmoins s’aggraver en l’absence d’actions rapides et fermes pour faire cesser ces agissements. De plus, au-delà de leur impact financier, ces pratiques nuisent à l’image du CPF et, plus généralement, à celle de l’ensemble des acteurs de la formation professionnelle.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, déposée par les députés Bruno Fuchs, Sylvain Maillard et Thomas Mesnier, et adoptée par l’Assemblée nationale le 6 octobre dernier, vise donc à rendre plus efficaces les efforts déployés pour lutter contre ces abus. Je salue à cette occasion Catherine Fabre, qui était à l’initiative de la première proposition de loi en ce sens, et je la remercie de sa présence en tribune aujourd’hui.
Depuis le lancement de Mon compte formation en novembre 2019, la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), France Compétences et la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire du CPF, coopèrent en matière de lutte contre la fraude. Leurs efforts se sont amplifiés depuis 2021 en raison de l’aggravation du phénomène.
Ainsi, des mesures fortes ont récemment été prises dans le but de tarir les sources de la fraude. Depuis le 25 octobre dernier, afin de prévenir les usurpations d’identité et les utilisations frauduleuses de comptes, l’accès des utilisateurs à la plateforme a été sécurisé par la mise en place de la solution FranceConnect+.
En alourdissant le processus de connexion, cette mesure a eu des effets immédiats, même s’il convient de veiller à ce qu’elle ne conduise pas à exclure les personnes en difficulté avec le numérique.
Le volet contentieux de l’action de la Caisse des dépôts et consignations commence lui aussi à porter ses fruits : une première condamnation pour fraude au CPF d’un organisme qui avait organisé de fausses sessions de formation a été prononcée le 20 septembre dernier à Saint-Omer. Il reste néanmoins des obstacles législatifs à lever pour permettre à ces actions de produire tous leurs effets.
En matière de démarchage téléphonique, la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation a mis en place un régime d’opposition en prévoyant la possibilité de s’inscrire gratuitement sur la liste Bloctel. Ce régime a été renforcé par la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, qui a rendu obligatoire la consultation par les centres d’appels de la liste d’opposition et alourdi les sanctions applicables. Pour les courriers électroniques et les SMS, un régime de consentement préalable et explicite s’applique.
Ces dispositifs n’ont pas empêché la prolifération de pratiques agressives de démarchage relatif au CPF. Le téléphone est le principal vecteur de prise de contact entre les organismes de formation et les titulaires de compte, mais ce n’est pas le seul.
Face à ce constat, l’article 1er de la proposition de loi prévoit l’interdiction de la prospection commerciale des titulaires d’un CPF par téléphone, par SMS, par courriel ou sur les réseaux sociaux, visant à collecter leurs données à caractère personnel ou à conclure des contrats portant sur des actions de formation, sauf si la sollicitation intervient dans le cadre d’une action de formation en cours et présentant un lien direct avec son objet.
Afin de contrôler le respect de ces dispositions, l’article 1er habilite les agents de la DGCCRF à rechercher et à constater ces infractions et prévoit des sanctions administratives d’un montant maximal de 75 000 euros pour une personne physique et de 375 000 euros pour une personne morale.
Cette mesure stricte n’empêchera pas les organismes de formation de communiquer, mais elle permettra de faire cesser le démarchage abusif en clarifiant les règles. Elle aidera également les actifs à prendre des décisions réfléchies sur l’utilisation de leur CPF et sur leur avenir professionnel.
La proposition de loi vise par ailleurs à renforcer les moyens d’action de la Caisse des dépôts et consignations face à la fraude. À cette fin, elle donne une base légale à la communication d’informations entre les acteurs concernés.
L’article 2 prévoit ainsi que la Caisse des dépôts et consignations, France Compétences, les services de l’État chargés de la répression des fraudes et les services chargés des contrôles de la formation professionnelle, mais aussi les organismes financeurs, les organismes délivrant la certification Qualiopi et les ministères ou organismes propriétaires de certifications professionnelles peuvent échanger tous documents et informations détenus ou recueillis dans le cadre de leurs missions respectives et utiles à leur accomplissement.
Cet article autorise également la cellule de renseignement financier nationale Tracfin à transmettre des informations à la Caisse des dépôts et consignations, ainsi qu’à l’Agence de services et de paiement. La sécurisation juridique de ces échanges d’informations permettra de faire gagner un temps précieux à la CDC pour l’accomplissement de sa mission de lutte contre la fraude.
L’article 2 bis, inséré à l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement, donne à la Caisse des dépôts et consignations les moyens de mettre en œuvre un recouvrement forcé des sommes indûment versées à un organisme de formation. À cet effet, le directeur général de la CDC pourra délivrer une contrainte qui, à défaut d’opposition du prestataire devant la juridiction compétente, comportera tous les effets d’un jugement. En outre, lorsqu’elle constatera la mobilisation par le titulaire d’un CPF de droits indus ou une utilisation contraire à la réglementation, la Caisse des dépôts et consignations pourra procéder au recouvrement de l’indu par retenue sur les droits inscrits ou sur les droits futurs du titulaire.
Comme le prévoit l’article 2, les agents de la CDC pourront obtenir de l’administration fiscale les informations contenues dans le fichier des comptes bancaires, le Ficoba. En outre, la Caisse pourra recevoir de l’administration fiscale communication de tous les documents ou renseignements nécessaires aux contrôles préalables au paiement des sommes dues, ainsi qu’à la reprise et au recouvrement des sommes indûment versées au titre du CPF.
L’article 3 inscrit dans la loi les conditions du référencement des organismes de formation sur Mon compte formation, ce qui permettra de fonder le refus par la CDC de référencer un organisme qui ne remplirait pas ces conditions. Il sera notamment vérifié que l’organisme propose des formations éligibles à un financement au titre du CPF, qu’il dispose de la certification qualité Qualiopi, qu’il respecte les prescriptions de la législation fiscale et sociale et qu’il satisfait aux conditions générales d’utilisation.
La Caisse des dépôts et consignations pourrait procéder à la même vérification pour les organismes de formation déjà référencés sur la plateforme avant la promulgation de la loi. Afin d’assurer l’opérationnalité de la mesure, des échanges de données pourraient être organisés entre la CDC, les Urssaf et l’administration fiscale.
Afin de mettre fin à certaines dérives de nature à tromper les titulaires de CPF, l’article 4 encadre le recours à des sous-traitants en soumettant ces derniers aux mêmes obligations que les donneurs d’ordre.
Cette dernière mesure appelle une vigilance particulière. Appliquée indistinctement à tous les sous-traitants, notamment aux travailleurs indépendants et aux microentrepreneurs, elle pourrait mettre en péril une partie du secteur. Le décret en Conseil d’État devra bien préciser la portée de ces obligations selon le degré d’implication dans l’exécution des actions de formation et la nature du prestataire concerné.
Madame la ministre, nous comptons sur vous pour faire appliquer ces dispositions avec discernement et en bonne intelligence avec les représentants du secteur de la formation professionnelle. Votre propos liminaire démontre votre volonté d’aller dans ce sens.
Mes chers collègues, l’adoption de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale a déjà eu un effet psychologique. Il s’agit aujourd’hui de ne pas laisser cet effet se dissiper et de ne pas retarder l’entrée en vigueur de ce texte utile et attendu.
Je vous invite donc, au nom de la commission des affaires sociales, à adopter sans modification cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Marie-Pierre Richer applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos concitoyens subissent depuis des mois des campagnes massives de démarchage téléphonique concernant le compte personnel de formation. Ces appels incessants ont pour objectif, tantôt de s’enquérir du solde de leur compte, tantôt de les inciter lourdement à souscrire à des formations plus ou moins sérieuses, pour ne pas dire douteuses.
Le compte personnel de formation est un formidable outil au service de nos concitoyens, de leurs compétences et de leur productivité. Depuis 2015, il permet aux Français qui le souhaitent de financer des formations continues, grâce à leurs cotisations. Que ce soit pour se perfectionner dans leur emploi actuel ou pour se reconvertir dans une autre voie professionnelle, les Français s’en sont largement emparés.
Rançon du succès, à mesure que le nombre de formations continues dispensées augmentait, le nombre de fraudes s’est, lui, multiplié. Dans le flot de sollicitations que nos concitoyens reçoivent, de nombreuses offres ne sont pas légitimes. Poussés à conclure des contrats de formation, beaucoup ont constaté que la qualité n’était pas au rendez-vous. Pis, certaines formations ne sont tout simplement pas dispensées, les fraudeurs se contentant d’encaisser l’argent.
Dans un secteur qui est en train de devenir un véritable Far West, il nous faut donc légiférer. C’est tout l’objet de la proposition de loi portée par notre collègue Martin Lévrier.
Voté à l’Assemblée nationale, avec le soutien du Gouvernement, ce texte prévoit plusieurs mesures de bon sens.
Il pose tout d’abord le principe de l’interdiction de tout démarchage relatif au compte personnel de formation. J’étais ce matin au téléphone avec un élu local, le maire de Nozay, qui me disait que toute son équipe municipale, sans exception, avait été appelée et incitée à s’inscrire à une formation qui n’avait pas de sens.
Bien entendu, cette interdiction ne s’oppose pas à ce que le bénéficiaire d’une formation souscrite soit contacté par l’organisme pour les besoins de cette formation.
Ensuite, cette proposition de loi met fin à une pratique problématique à bien des égards. Le portage Qualiopi pouvait s’apparenter à un détournement de certification qualité. Une société certifiée pouvait permettre à une société qui n’en était pas une de bénéficier de sa certification. Désormais, sous-traitants ou non, les organismes de formation auront l’obligation d’être référencés auprès de la plateforme Mon compte formation.
En plus de cette obligation, les organismes de formation devront produire des justificatifs attestant du sérieux et de la qualité des formations dispensées.
Enfin, les instances chargées de la lutte contre la fraude voient leurs capacités de coopération renforcées. En échangeant leurs informations, elles seront plus efficaces dans leur mission. Nos concitoyens ne seront plus importunés et auront accès à des formations de qualité. Le renforcement du contrôle du compte personnel de formation permettra de mettre un coup d’arrêt à la fraude qui se développe.
Un consensus se dessine sur ce texte. Nous souhaitons que cette proposition de loi équilibrée soit adoptée le plus rapidement possible afin que nos concitoyens puissent bénéficier au plus tôt de ses effets.
L’ensemble du groupe Les Indépendants votera donc en faveur de cette excellente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les Françaises et les Français reçoivent en moyenne cinq appels non désirés chaque semaine.
Le dernier rapport de Tracfin fait état d’une augmentation des fraudes téléphoniques détectées d’environ 450 % en un an, cette hausse étant en grande partie due aux fraudes au compte personnel de formation.
C’est évidemment insupportable : personne ne veut recevoir des appels et des SMS de manière intempestive, dont la plupart sont des arnaques. Cette situation a conduit à l’émergence d’un consensus transpartisan pour lutter contre ces fraudes.
Le problème, ce sont évidemment les arnaques – le groupe écologiste votera évidemment cette proposition de loi –, mais il ne faut pas oublier l’environnement qui les fait prospérer. La monétarisation du CPF, la conversion des heures en euros ainsi que la désintermédiation via Mon compte formation ont favorisé le développement d’un marché mal régulé et le montage de fraudes contre lesquelles nous travaillons aujourd’hui.
Les écologistes se sont toujours opposés aux modifications qui produisent ce genre d’effets délétères. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il faut aller plus loin et regarder l’environnement général qui rend les abus possibles.
Interdire les fraudes et le démarchage abusif sur un seul sujet à la fois ne change pas le problème de fond, puisque le problème se pose chaque fois qu’un nouveau marché se saisit de la possibilité de frauder. Les outils proposés par l’État, comme Bloctel, sont malheureusement peu efficaces.
En réalité, le démarchage téléphonique abusif est en général la forme la plus visible des conséquences de la vente de nos données personnelles et du manque de contrôle de la publicité.
Le règlement général sur la protection des données (RGPD), en vigueur depuis 2018, n’impose le consentement préalable de la citoyenne et du citoyen que pour la prospection commerciale automatisée, c’est-à-dire via les courriels, les SMS ou les télécopies. Les appels téléphoniques sont donc rendus possibles par cette faille, alors même qu’ils peuvent être autant, voire plus intrusifs encore qu’un SMS.
Alors, que faire ?
Comme souvent, nous pourrions nous inspirer de nos voisins européens. L’Allemagne, l’Autriche, la Lituanie et la République tchèque ont fait le choix du opt-in pour les appels commerciaux : le démarchage commercial par téléphone n’est autorisé que si la personne a explicitement donné son accord. On inverse donc le principe actuel et on épargne les nuisances à des millions de personnes.
Dans cette lignée, je défendrai deux amendements visant à interdire le démarchage téléphonique commercial non consenti dans tous les domaines de prospection commerciale, pas seulement pour le CPF, et à mettre en place un registre d’autorisation des appels afin d’inverser la charge de la preuve, si je puis dire.
Je conclurai en rappelant que cette proposition de loi ne doit pas nous faire perdre de vue non seulement l’indispensable protection de nos données personnelles, mais également la nécessaire transformation du droit à la formation. Il s’agit d’adapter le monde du travail à l’inévitable tournant écologique.
Le Gouvernement prend un virage antisocial en prévoyant d’allonger la durée de cotisation pour obtenir une retraite décente, en rabotant le revenu de solidarité active (RSA), etc.
Le mot d’ordre, c’est travailler plus, précariser pour obliger chacune et chacun à prendre n’importe quel emploi, quitte à être en moins bonne santé. Travailler plus pour toujours produire plus, en pleine catastrophe écologique, n’est pourtant pas logique !
Nous, écologistes, pensons que la formation doit être un outil pensé au service de la transformation écologique de notre économie. Il faudrait donc instaurer un droit à la formation pour se reconvertir, intégré au compte professionnel de la prévention (C2P) et spécifiquement dédié aux métiers en transition.
Il faudrait aussi que le droit à la formation tienne compte de l’importance de former les individus tout au long de leur vie, pas seulement dans une optique de professionnalisation au sens strict du terme, mais pour permettre à chacune et à chacun d’apprendre, de s’enrichir de connaissances sur différents sujets d’intérêt général, de progresser dans la compréhension du monde, même si ce n’est pas formellement rattaché à un élément de carrière quantifiable à un instant T.
Tout cela participe de la construction d’une société plus ouverte, plus riche, plus intelligente, et dans laquelle je crois qu’il ferait meilleur vivre. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – M. Joël Guerriau et Mme Nadia Sollogoub applaudissent également.)