compte rendu intégral
Présidence de M. Roger Karoutchi
vice-président
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
M. Loïc Hervé.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
3
Loi de finances pour 2023
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution (projet n° 114, rapport général n° 115, avis nos 116 à 121).
Motion d’ordre
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. En application de l’article 46 bis, alinéa 2, du règlement du Sénat, et afin de faciliter l’organisation de nos débats, la commission des finances demande l’examen séparé des amendements nos II-888 et II-916 portant sur les crédits de la mission « Enseignement scolaire », que nous examinerons ce soir.
M. le président. Je suis saisi, en application de l’article 46 bis, alinéa 2, du règlement du Sénat, d’une demande de la commission des finances d’examen séparé des amendements nos II-888 et II-916 portant sur les crédits de la mission « Enseignement scolaire ».
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
SECONDE PARTIE (suite)
MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES
Immigration, asile et intégration
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne dispose que de cinq minutes pour présenter un budget sur l’immigration, l’asile et l’intégration, alors que, sur toutes ces travées, ces sujets sont considérés comme des questions politiques majeures pour l’avenir de notre pays.
À l’heure des bouleversements géopolitiques multiples – guerres, explosions démographiques, épidémies, changements climatiques –, nous devrions parler de frontières, de souveraineté de la France et de la volonté européenne de protéger, ou non, les frontières extérieures de l’Union européenne : des frontières à l’extérieur pour une tranquillité publique à l’intérieur, sans contrôles d’accès multiples, sans caméras jusque dans nos écoles, sans vigiles dans tous les magasins, sans police devant les lieux de culte, pour vivre dans une société libre et apaisée.
Au Parlement, nous devrions parler objectifs, chiffres, nombres, savoir combien de personnes nous voulons accueillir, pourquoi, combien de personnes nous avons accueillies, combien de personnes sont déboutées du droit d’asile et combien cela coûte au pays.
Hélas ! Comme les années précédentes, ce budget n’est que le symbole de l’impuissance publique et de l’absence de volonté.
Ce budget apparaîtra comme le traité de Versailles, « trop dur pour ce qu’il a de doux et trop doux pour ce qu’il a de dur ».
Mme Éliane Assassi. Ah !
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. Trop dur pour tous ceux qui pensent que les moyens ne sont pas suffisants pour accueillir, soigner, loger, intégrer. Trop doux pour ceux qui pensent que la France ne peut pas, je résume, « accueillir toute la misère du monde ». (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
Quand on apprend cette semaine par les services du ministère de l’intérieur que 93 % des vols dans les transports en Île-de-France sont le fait d’étrangers, y a-t-il des personnes honnêtes pour contester le lien entre insécurité et immigration ? (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme Éliane Assassi. Moi, je le conteste ! Il n’y a pas de rapport !
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. Y a-t-il dans cet hémicycle une personne honnête pour contester que notre droit des étrangers est inopérant, captant plus de la moitié du droit administratif, que nos procédures généreuses sont détournées par des associations militantes trop souvent financées par des deniers publics ? (Mme Esther Benbassa s’exclame.)
M. Castaner, ancien ministre de l’intérieur, constatait la complicité des organisations non gouvernementales (ONG) avec les trafiquants.
Le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), dans Ce Grand Dérangement, l’immigration en face, écrit : « L’hospitalité nationale pour tous, c’est l’hospitalité pour personne. » Il nous faut des règles ; il nous faut choisir.
Depuis le début de 2022, 40 000 migrants sont passés en Grande-Bretagne, et 30 000 ont été interceptés et sauvés par nos forces de l’ordre. Cela représente plus de la moitié de l’action de l’État en mer.
Malgré tous ces efforts, des personnes se noient, prenant tous les risques pour venir dans un eldorado qu’on leur a vendu. C’est en effet bien de cela qu’il s’agit : ces personnes sont prises dans des filières criminelles organisées et nous laissons faire, subissant la loi des passeurs.
Ce n’est pas inéluctable.
Le Danemark, l’Australie, le Japon ont pris à bras-le-corps, sans tabou ni angle mort, ces questions d’immigration de masse, qui transforment et bouleversent nos sociétés. Les récentes élections en Suède, en Italie, les émeutes à Bruxelles ou en ce moment même à Mayotte devraient nous inciter fortement à arrêter de faire semblant.
C’est notre mission de parlementaires de contrôler la politique migratoire, et cela devrait être de la responsabilité du ministre de la mettre en œuvre. En fait de politique, nous ne voyons que la politique des petites phrases.
En 2019, le Président de la République affichait sa volonté de faire exécuter 100 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF). En 2021, ce chiffre s’élevait à 6 %. Sur les six premiers mois de 2022, nous sommes à 6,9 %. J’ai une pensée pour la petite Lola, sa famille et tous ceux qui ont été meurtris par la faillite de l’État en la matière. (Mme Éliane Assassi manifeste son exaspération.)
De Georges Marchais en 1980, qui voulait mettre fin à l’immigration illégale et légale, au séminaire UDF-RPR de Villepinte sur l’immigration de 1990, en passant par les innombrables déclarations et ouvrages récents sur les « territoires perdus de la République », « l’islamisation de nos villes », « la partition du territoire », nous devrions, nous, parlementaires, nous emparer avec courage et lucidité de ces questions.
Mes chers collègues, le 15 novembre dernier, l’Amicale gaulliste du Sénat a reçu l’ancien patron de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), l’ambassadeur Pierre Brochand.
Mme Marie Mercier. Oui !
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. Son constat lucide, factuel, implacable appelle une réponse à la hauteur des enjeux qui sont immenses.
Cet État qui a confiné le peuple français est incapable de savoir combien il y a d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire. Le rapport parlementaire d’information de Rodrigue Kokouendo, ancien député La République en Marche, et de François Cornut-Gentille, ancien député Les Républicains, nous apprenait que l’État ne savait pas en 2018 combien il y avait de clandestins dans le seul département du 93, à 150 000, 200 000, voire 400 000 près… Qu’avez-vous fait depuis ?
Cette réponse, monsieur le ministre, nous ne la voyons pas dans ce budget, qui est une caricature – une de plus ! – du « en même temps ».
Le temps qui m’est imparti me contraint à m’arrêter. Mes chers collègues, je vous invite bien entendu à voter contre ces crédits. (MM. Philippe Pemezec et Stéphane Ravier applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Muriel Jourda, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a émis un avis défavorable sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », pour des raisons qui variaient selon les groupes et qui vous seront expliquées au fil de la discussion.
Le budget de cette mission atteint 2,7 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 2 milliards d’euros en crédits de paiement, ce qui représente une augmentation faciale de 6 %. Cette augmentation, répétée depuis plusieurs années, a permis de trouver un certain nombre de solutions et d’apporter un certain nombre d’améliorations à la situation en France, notamment grâce à l’engagement de tous ceux qui, dans les services de l’État, ont à traiter les questions relatives à l’accueil des étrangers et à l’immigration.
Cependant, il n’est pas suffisant d’augmenter un budget. Il faut aussi examiner les effets de cette augmentation sur l’action publique.
Les mesures relatives à l’immigration légale et à l’intégration correspondent à 27 % du budget. Les délais de traitement sont en augmentation sensible, atteignant 117 jours, alors que le délai maximal est fixé à 90 jours. Toutefois, je dois à la vérité de dire que c’est l’accueil des réfugiés ukrainiens qui a très largement accru le délai de traitement des dossiers.
Il a été procédé à 270 000 primo-délivrances de titres de séjour, dont 31 000 au titre de la circulaire Valls, c’est-à-dire pour des personnes arrivées illégalement sur le territoire. Le stock de titres valides se monte à environ 3,5 millions.
Avons-nous, sur ce territoire, une politique d’immigration légale, c’est-à-dire une politique d’immigration qui ne soit pas clandestine ?
Les dépenses relatives à l’asile représentent 63 % du budget de la mission, alors que seulement 10 000 dossiers sont traités par mois, que 58 % des demandeurs du droit d’asile sont hébergés et que les délais de traitement devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) sont extrêmement importants, de l’ordre de 336 jours, contre 180 jours, et ce malgré l’attribution de 200 équivalents temps plein travaillé (ETPT) supplémentaires à l’Ofpra. Tout cela aboutit à un taux d’admissions définitives pour des personnes ayant demandé le droit d’asile de 40 %.
Avons-nous une politique de lutte contre le dévoiement du droit d’asile ?
Les dépenses relatives à l’immigration illégale représentent 8,5 % du budget. La situation est extrêmement inquiétante. L’augmentation aux frontières de l’Europe du nombre de personnes arrivant de façon clandestine est massive, avec une hausse de 60 % en 2021 et de 77 % pour les premiers mois de 2022. Pour la route des Balkans, nous sommes passés en deux ans de 27 000 personnes à 128 000 personnes arrivant de façon illégale sur le territoire français.
Si 124 000 obligations de quitter le territoire français ont été délivrées, 7 500 ont été exécutées. Nous sommes dans une situation difficile.
Un budget se veut la traduction d’une politique. L’abondement d’un budget n’est pas une politique.
Avons-nous une politique migratoire, légale et illégale, sur ce territoire ? Je ne le crois pas. Nous traitons les problèmes au fil de l’eau.
Il va falloir définir une politique. C’est ce que, je l’espère, nous ferons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.
Mme Éliane Assassi. Mon rappel au règlement fait suite à l’intervention du rapporteur spécial, M. Meurant.
Monsieur le rapporteur spécial, je vous rappelle que nous sommes réunis ce matin pour examiner les crédits de la mission budgétaire « Immigration, asile et intégration », et non pour entendre une diatribe contre les musulmans et contre celles et ceux qui pensent qu’il faut accompagner les migrants dans leur parcours, souvent difficile, parce qu’ils ont le souci de l’humain. Nous ne sommes pas là pour entendre ces éléments de langage, comme ceux dont vous avez pu user, qui sont à la limite de l’insulte.
Nous avons des responsabilités à l’égard de ces personnes. Nous les assumons.
C’est d’autant plus gênant que je ne suis pas certaine que vos propos reflètent bien la teneur des débats ayant eu lieu en commission des finances sur cette mission.
J’en appelle donc à la raison et à la sagesse. (Mme Nathalie Goulet acquiesce.)
M. le président. Ma chère collègue, ce n’est pas un rappel au règlement.
Mme Éliane Assassi. Si !
M. le président. Je maintiens que non.
Vous aurez l’occasion d’exprimer à la tribune la position de votre groupe sur les crédits de la mission dans quelques minutes. Nul n’est ici pour censurer les propos de qui que ce soit.
En l’occurrence, votre intervention n’était pas un rappel au règlement sur l’ordonnancement de nos travaux.
Pour autant, il vous est donné acte de vos observations.
Immigration, asile et intégration (suite)
M. le président. Dans la suite de notre discussion, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est vrai que nous attendons toujours l’analyse de la position de la commission des finances sur ce budget !
Les diatribes, pour ceux qui les estiment nécessaires, seront possibles le 13 décembre prochain. D’ici là, je préfère me concentrer sur des remarques générales, ainsi que sur les crédits de cette mission et aux actions qu’ils permettent.
J’espère d’ailleurs qu’avant le 13 décembre prochain, date où aura lieu le débat faisant suite à la déclaration du Gouvernement relative à la politique de l’immigration, nous recevrons le rapport qui, selon la loi, est censé être remis avant le 1er octobre de chaque année et préciser les éléments de la politique d’immigration du Gouvernement. Un tel document sera utile à nos travaux.
Je formulerai cinq remarques avant d’examiner dans le détail les questions budgétaires.
Premièrement, cette année, la France fait face à une demande d’asile soutenue, mais beaucoup plus stable que nos partenaires européens. Nous l’avions constaté en 2015 ; nous le constatons également aujourd’hui à l’occasion de la crise ukrainienne. Par rapport aux à-coups que vivent un certain nombre de nos partenaires européens, notre schéma est beaucoup plus stable, et notre capacité beaucoup plus prévisible.
Deuxièmement, je salue la mise en place rapide de la protection temporaire par l’Union européenne et par l’ensemble des administrations dans les États membres. Il est important que les préfectures incitent les Ukrainiens vers ce dispositif plutôt que vers une procédure de demande d’asile. Par ailleurs, il est important pour l’avenir d’offrir une stabilité aux personnes qui sollicitent cette protection temporaire dans le cas où elles trouveraient un emploi en France.
Je note également que la liberté de circulation dans l’Union européenne et le droit de travailler immédiat que permet la protection temporaire produisent des effets très positifs. Ces outils doivent aussi être mis en œuvre et nous faire réfléchir sur l’évolution du pacte européen sur la migration et l’asile.
Je m’inquiète toutefois que, face aux destructions des infrastructures vitales en Ukraine, rien n’ait été budgété pour anticiper un éventuel nouvel afflux en 2023.
Troisièmement, on dénombre 17 000 morts en Méditerranée depuis huit ans. C’est un drame et un échec absolu à la fois de l’Europe et de l’Afrique. Ce drame, qui nourrit les passeurs, rend indispensables une coopération et une compréhension entre les États des deux côtés de la Méditerranée. Je le rappelle, l’action des ONG est fondamentale pour sauver des vies, et seulement 15 % des personnes qui débarquent sur les plages de l’Union européenne proviennent de ces bateaux. Il faut absolument avoir cela en tête.
Quatrièmement, la solidarité européenne est primordiale. Elle suppose le respect du droit. N’excusons pas l’Italie, qui refuse de respecter le droit de la mer, mais n’excusons pas non plus la France lorsqu’elle refuse de respecter le droit de l’Union européenne en matière de délivrance des visas ou de contrôle des frontières intérieures de l’Union européenne. Je sais que le Conseil d’État refuse d’envoyer une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Toutefois, lorsqu’une juridiction autrichienne le fait et précise que les contrôles intérieurs dans l’espace Schengen ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne, la France fait comme si de rien n’était.
Monsieur le ministre, ce sujet est trop sérieux pour laisser les États membres faire « bac à sable » : c’est ensemble que nous ferons face à ces difficultés, qui sont nombreuses, que ce soit pour la Grèce, pour l’Italie, pour l’Espagne, qui fait face à la situation au Venezuela, mais aussi pour les pays Baltes et la Pologne face à la situation en Biélorussie.
Cinquièmement, sur les questions d’asile, il est absolument indispensable de changer de paradigme en s’inspirant de ce qui a été fait avec la protection temporaire. Il faut favoriser l’autonomie des demandeurs, c’est-à-dire délivrer sans délai des cours de français et le droit au travail : c’est plus économique, et ce sont des facteurs d’intégration pour la suite.
Monsieur le ministre, je formulerai quelques remarques sur l’action du Gouvernement ces derniers mois.
Les consignes données aux postes consulaires pour les instructions de demandes de visas sont contraires au code des visas Schengen, en particulier pour les ressortissants d’Afrique du Nord. Une grave crise de confiance émerge entre la France et l’Afrique en général compte tenu de votre politique.
Les communautés d’affaires à l’étranger se plaignent, parce qu’elles ne peuvent plus avoir de relations d’affaires normales entre la France et leur pays de résidence. Il ne faut pas s’étonner de l’évolution de la place de la Turquie, par exemple en Afrique, si nous ne délivrons plus de visas pour des échanges normaux et une mobilité normale entre notre territoire et les pays africains.
Cette évolution vers des mobilités nouvelles est à la fois une nécessité humanitaire, économique et géopolitique.
Si les files d’attente devant les préfectures ont disparu, c’est parce qu’il n’est pas possible de prendre rendez-vous. Quelle hypocrisie ! Pour reprendre une expression employée par des membres du tribunal administratif de Versailles, les tribunaux administratifs sont devenus « les Doctolib des préfectures ». C’est inadmissible !
Cela représente 100 000 requêtes dans le cadre du contentieux des étrangers auprès des tribunaux administratifs et plus de 55 % de l’activité des cours administratives d’appel. Ce n’est pas normal, et cela coûte très cher à l’État. Nous ferions mieux d’investir cet argent dans des équivalents temps plein (ETP) dans les préfectures pour mieux servir les demandes et faire en sorte que les personnes en situation régulière le restent.
Il en est de même pour les questions d’éloignement, monsieur le ministre. Un bilan s’impose. La situation n’est pas satisfaisante.
Les collectivités locales subissent votre politique vis-à-vis des « dublinés ». Tous les jours, elles doivent accueillir et héberger des personnes qui n’ont pas de droits en France, parce que nous n’avons pas une politique digne vis-à-vis des « dublinés ».
C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, vous l’aurez compris, compte tenu de ces éléments critiques à l’égard de votre politique, nous ne pouvons pas donner de moyens à une politique que nous contestons en profondeur.
Par conséquent, nous voterons contre les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission budgétaire « Immigration, asile et intégration » pour 2023 sont en hausse de 6 % par rapport au budget pour 2022, mais c’est encore bien loin d’une réelle prise en compte des besoins et des enjeux en la matière.
De plus, cette mission s’inscrit dans la perspective d’un prochain projet de loi qui, si j’ai bien compris, sera présenté au Parlement au début de l’année 2023.
Cela fait des années que la politique migratoire est marquée par une dégradation des conditions d’accueil et d’accompagnement, par des atteintes à des droits fondamentaux, notamment à l’égard des mineurs isolés étrangers. De nombreuses associations, les Défenseurs des droits qui se sont succédé, la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que des organisations internationales pointent du doigt la France pour tous ces manquements.
La loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, à laquelle nous nous sommes fermement opposés, n’était ni équilibrée ni efficace. Elle a complexifié le droit de l’asile et des étrangers. Elle a accentué la mise sous contrôle des demandeurs d’asile et multiplié les obstacles et les contrôles, afin d’entraver l’accès des étrangers à leurs droits fondamentaux.
Les dispositifs mis en œuvre, tels que le raccourcissement des délais de recours ou le doublement de la durée de rétention, n’ont pourtant pas eu l’effet « dissuasif » escompté par le Gouvernement. En revanche, la rétention des enfants a continué de croître, les centres de rétention administratifs sont saturés et l’externalisation de la politique de contrôle migratoire est renforcée.
Je rappelle que le droit d’asile est un droit fondamental, profondément ancré dans notre tradition républicaine. À ce titre, il est tout à fait regrettable que l’une de ses institutions, l’Ofpra, soit confrontée depuis plusieurs années à des départs et à une forte rotation de ses agents. Cette situation s’explique par la difficulté des missions confiées à ces agents, par les pressions dont ils font l’objet pour accélérer l’examen des dossiers de personnes qui ont vécu le plus souvent des drames dans leur pays d’origine.
La pression de la politique du chiffre à laquelle sont soumis ces agents influe directement sur la qualité des décisions. De ce point de vue, le recours à des cabinets de conseils privés pour réduire les délais de traitement des demandes d’asiles n’a pas été, d’une part, des plus appréciés par les personnels, d’autre part, des plus efficaces.
Les personnels de la CNDA sont dans la même situation et dénoncent une « logique comptable » dans la gestion des dossiers de l’asile.
Par ailleurs, notons que le montant de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) a diminué d’un tiers dans les crédits de la mission que nous examinons. Cette baisse est justifiée par des crédits non consommés l’an dernier. Rappelons que le montant de l’ADA s’élève aujourd’hui à 6,80 euros par jour pour une personne, auxquels s’ajoutent 3,40 euros, par jour, par personne supplémentaire, avec une majoration en cas d’absence d’hébergement. Vous l’avouerez, cela demeure manifestement insuffisant pour vivre dignement.
Malgré les créations de places d’hébergement intervenues ces dernières années, le dispositif national d’accueil pour demandeurs d’asile demeure marqué par un important sous-dimensionnement. Notre dispositif d’asile continue de souffrir d’une saturation des dispositifs d’hébergement. Il convient de souligner encore une fois que les autorités françaises ont le devoir d’offrir un dispositif d’accueil aux demandeurs d’asile et réfugiés et peuvent être tenues responsables de la défaillance du dispositif national d’accueil.
Sur l’état des centres de rétention administrative, nous rejoignons la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, qui déplore des investissements immobiliers prioritairement orientés vers un accroissement de la sécurité, et non vers un entretien et une réfection des locaux permettant d’assurer a minima un accueil digne des personnes retenues.
À l’occasion du futur débat sur le projet de loi sur l’asile et l’immigration, nous aurons l’occasion de revenir plus précisément sur ces points. Pour l’heure, nous ne voterons pas les crédits de cette mission budgétaire, qui sont bien loin de répondre à des situations humaines, parfois dramatiques dont les causes sont trop souvent ignorées. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie Muriel Jourda de son rapport pour avis.
Comme Mme Assassi, je regrette que la position de la commission des finances ne nous ait pas été donnée. Comme le dirait l’Ecclésiaste, que vous devez connaître, monsieur le rapporteur spécial, il y a un temps pour tout : un temps pour les discours et un temps pour être rapporteur spécial. L’éclairage de la commission des finances manque à ceux qui n’en sont pas membres. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, GEST, SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.) Heureusement que nous disposons du rapport écrit.
Monsieur le ministre, je commencerai par vous interpeller sur la disparition du fichier Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (Agdref) et son remplacement par l’Administration numérique pour les étrangers en France (Anef), pour un budget d’environ 28 millions d’euros. Les rapporteurs pour avis de la commission des lois se sont à juste titre interrogés sur ce projet dans leur rapport sur les crédits de cette mission.
Pour avoir vécu Louvois et la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), je dois dire qu’une telle disparition m’intrigue et m’inquiète. J’aimerais que vous nous communiquiez quelques renseignements sur ce nouveau système.
Pourrez-vous assurer que les communes, les collectivités ainsi que les organismes de sécurité sociale auront un accès à ce fichier ? Le Gouvernement a récemment rappelé que les personnes faisant l’objet d’une OQTF, qui figureront donc dans ce fichier, ne pourraient plus bénéficier de certaines prestations. Il a fallu attendre une crise récente pour que l’on s’en préoccupe. Pourtant, nous n’avons rien vu à ce propos dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Comment pouvez-vous garantir qu’avec la disparition d’Agdref et la mise en place du nouveau fichier Anef, aucune attribution de numéro d’inscription au répertoire (NIR) n’aura lieu sans vérification des identités ?
Monsieur le ministre, dans cette maison, lorsque nous voulons améliorer un logiciel ou un fichier, nous subissons les fourches caudines de l’article 40 de la Constitution. En effet, en améliorant un dispositif, nous créons une dépense, même si celle-ci est destinée à permettre des économies. Par conséquent, il revient au Gouvernement d’améliorer le dispositif en tenant compte de notre vision.
Ce dispositif et les dispositifs transitoires m’inquiètent. J’espère, monsieur le ministre, que vous pourrez me fournir quelques renseignements sur le sujet.
J’en viens à l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dite Frontex, puisque tout ce dont il est question y est directement lié. Le 30 novembre dernier, le Parlement européen a auditionné trois candidats pour mettre un terme à la période transitoire résultant de la démission de l’ancien directeur de cette agence et à l’intérim de Mme Aija Kalnaja. Nous l’avons entendue dans le cadre d’une audition commune organisée par la commission des affaires européennes et la commission des lois ; le moins que l’on puisse dire est que nous n’avons pas été rassurés !
En effet, l’agence la plus puissante de l’Union européenne est sous pression depuis 2020. Son ancien directeur est accusé de complicité de violation de droits fondamentaux. Une enquête de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) est en cours ; vous le savez mieux que moi, monsieur le ministre. Qui plus est, il faut déplorer les divergences existantes entre les priorités de Frontex au sein des institutions européennes.
Comme pour le budget de cette mission, ce sont les mêmes questions qui se posent : quelle stratégie, quelle volonté, quelle priorité ?
Monsieur le ministre, vous le savez, le trafic d’êtres humains représente 150 milliards de dollars et touche 40 millions de personnes, 25 millions d’entre elles se trouvant en situation de travail forcé. L’étude que j’ai menée dans le cadre de l’ouvrage que j’ai écrit sur le financement du terrorisme atteste que ces trafics procurent entre 5,5 milliards d’euros et 7 milliards d’euros de revenus par an. Je suis certaine que l’instauration d’une Journée mondiale de la lutte contre la traite d’êtres humains ne répondra pas à cette problématique.
La question de la lutte contre le crime transfrontalier renvoie à la problématique de la gestion des frontières.
Il est urgent que l’agence Frontex puisse obtenir de nouveaux résultats. Entre les mois de janvier et septembre 2022, elle a enregistré une augmentation de 70 % des franchissements irréguliers. Le nombre de franchissements illégaux a progressé de 70 % au sein de l’Union européenne : on dénombre 130 000 franchissements irréguliers par le corridor des Balkans au cours de ces derniers mois.
Depuis le mois d’août dernier, 70 000 franchissements illégaux ont été recensés aux frontières de la Turquie, de la Hongrie et de la Serbie, ce qui est à mettre en rapport avec le très faible nombre de retours.
Monsieur le ministre, nous attendons des mesures européennes. En effet, celles-ci conditionnent un certain nombre de dispositions du droit national. Or ni l’Union européenne ni le gouvernement français ne semblent décidés à avoir une stratégie volontaire sur cette question, qui est un irritant permanent partout dans notre pays, y compris dans des départements où il y a très peu d’immigration.
Il s’agit donc là d’un sujet majeur, sur lequel, comme l’a souligné Mme le rapporteur pour avis, nous avons du mal à identifier une stratégie. Pourtant, il nous faut régler ce problème, qui est non seulement légal, mais aussi humain. Je ne crois pas que nous soyons en mesure de le faire avec ce budget. C’est pourquoi notre groupe ne le votera pas. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)