Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, chaque année, une réalité s’impose : celle de la disparition des anciennes générations du feu.
Corrélativement, les crédits de paiement demandés en 2023 pour la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » sont en baisse de 7,4 %.
S’il est normal que le budget de l’État accompagne la diminution du nombre de bénéficiaires des pensions et prestations prévues pour les anciens combattants, nous devons veiller à ce qu’il continue à proposer un haut niveau de réparation, corollaire de notre haut niveau de reconnaissance. Les dispositifs de cette mission relèvent non pas de l’ordre du soutien, mais de celui du devoir, un devoir moral intangible envers tous ceux et toutes celles qui ont consenti des sacrifices au profit du destin collectif de la France.
Je suis donc convaincue que les marges budgétaires dégagées mécaniquement par le paramètre démographique doivent être l’occasion de renforcer et de compléter les mesures existantes.
Dans cette perspective, je me réjouis des avancées contenues dans le projet de loi de finances pour 2023.
Je pense notamment à la revalorisation des pensions militaires d’invalidité au 1er janvier 2023. Le calcul de la valeur du point PMI, effectué en fonction de l’indice d’ensemble des traitements de la fonction publique d’État et mis en œuvre en 2005 se révèle non satisfaisant en période de forte inflation. Je salue donc la décision prise par le Gouvernement de répercuter dès le 1er janvier 2023 la revalorisation de droit commun de 4 % du point d’indice. Nous devrons toutefois rester vigilants face à un niveau d’inflation sans cesse révisé à la hausse pour l’année prochaine.
Dans ce contexte, l’extension de l’octroi d’une demi-part fiscale aux conjoints survivants d’anciens combattants sera également de nature à soutenir le pouvoir d’achat de ses bénéficiaires. Lors de l’examen des articles de la première partie, nous avons décidé ici d’améliorer le dispositif proposé par nos collègues députés. La suppression de la condition d’âge de décès de l’époux ancien combattant pour le bénéfice par sa veuve d’une demi-part fiscale à ses 74 ans est pour nous une mesure d’équité, qui était très attendue par le monde combattant. Nous souhaitons qu’elle soit conservée par le Gouvernement.
La mission met également en œuvre les dispositifs issus de la loi du 23 février 2022, par laquelle la France reconnaît les conditions d’accueil et de vie indignes des harkis et de leurs familles, rapatriés d’Algérie après les accords d’Évian de 1962. Mais la question reste ouverte s’agissant des personnes qui ont vécu de façon tout aussi indigne en dehors des camps et des hameaux de forestage. Je compte sur le premier rapport de la commission dite Bockel, attendu au printemps 2023, pour nous apporter un éclairage sur la justesse des critères retenus dans cette loi.
Au sein de la mission, les moyens du programme 158, entièrement consacré à l’indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale, accompagnent la baisse tendancielle du nombre de bénéficiaires. C’est normal, mais, aux côtés de la politique de réparation, il est fondamental de poursuivre les actions en faveur de la mémoire. Je suis fière d’avoir représenté le Sénat à Auschwitz le 7 novembre dernier, lors de la cérémonie d’hommage aux victimes de la tragique nuit de Cristal, qui a réuni des délégations parlementaires du monde entier.
La résurgence d’un antisémitisme banalisé et dangereux doit nous conduire à être particulièrement soucieux du devoir de transmission aux jeunes générations, notamment sur ce qu’ont représenté la déportation et les camps de la mort : l’ignominie absolue.
Au fil du temps, les témoins ou les ayants droit des grands conflits disparaissent. Il nous appartient donc de conforter la politique de mémoire. Malheureusement, celle-ci concentre seulement 1,1 % des ressources du programme 169.
De « Ceux de 14 », comme les avait qualifiés Maurice Genevois, à nos soldats en opérations extérieures (Opex), sans oublier nos valeureux combattants de l’ombre, que l’année 2023 mettra à l’honneur autour de la figure de Jean Moulin, aucune des victimes de la guerre ne doit être oubliée dans le champ de nos actions. La mémoire doit s’entretenir.
Le groupe RDSE votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Édouard Courtial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Édouard Courtial. « Celui qui ne sait pas d’où il vient ne peut savoir où il va, car il ne sait pas où il est. En ce sens, le passé est la rampe de lancement vers l’avenir. » Cette citation résume assez bien la mission budgétaire que nous examinons à présent, mais aussi, et surtout les enjeux qui la sous-tendent.
Plus que jamais, à l’heure où ce qui nous rassemble semble se réduire à une portion congrue tant les tensions qui agitent notre société oubliant ses repères sont importantes et diverses, faire vivre notre mémoire collective revêt une importance toute particulière. Se souvenir de notre histoire, avec lucidité, mais sans fausse honte, avec orgueil, mais sans méchanceté, se souvenir de ceux qui ont combattu, parfois jusqu’au sacrifice ultime, est fondamental. Nous le voyons dans les communes de France : commémoration après commémoration, cette flamme doit être entretenue et transmise aux générations suivantes.
Si la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » voit ses crédits constamment baisser, l’année 2023 se démarque par l’ampleur de la baisse. Comme l’ont rappelé les rapporteurs, deux caps symboliques sont franchis cette année : les crédits de la mission sont désormais inférieurs à 2 milliards d’euros et, pour la première fois, le montant consacré par l’État à la retraite du combattant est inférieur à celui qui est consacré à la demi-part fiscale des anciens combattants et de leurs veuves, principal crédit d’impôt en faveur des anciens combattants. Je salue ici l’amendement de la rapporteure pour avis, adopté en première partie, qui élargit encore le dispositif.
Ainsi, les crédits affectés aux pensions viagères, la retraite du combattant et les PMI poursuivent leur inexorable baisse, encore renforcée par l’inflation. La revalorisation exceptionnelle au 1er janvier 2022 du point PMI n’a pas atteint son objectif, qui était de rattraper l’effet de l’inflation entre 2018 et 2021, à cause d’une hypothèse d’inflation trop faible pour 2021, d’autant moins que le point d’indice, indexé sur les rémunérations publiques, décroche face à l’inflation depuis 2012.
De même, la revalorisation de droit commun de 4 %, qui doit avoir lieu au 1er janvier 2023, est inférieure à l’inflation de l’année 2022.
Les crédits des autres actions sont au contraire en hausse, surtout, mais pas uniquement, en raison de l’inflation. C’est le cas du budget de la JDC, en légère hausse de 1 million d’euros, car la cohorte 2023 est plus nombreuse que les précédentes. Bien que l’année 2023 marque un retour à la normale pour le fonctionnement de la JDC, le coût moyen par jeune devrait rester stable par rapport à 2022. Les crédits du service militaire volontaire sont stables. Dans un cas comme dans l’autre, ces augmentations sont peu significatives, car plus des trois quarts des crédits effectivement utilisés pour ces dispositifs n’apparaissent pas dans cette mission, puisqu’ils relèvent de la mission « Défense », du Fonds social européen et des budgets des collectivités territoriales.
Pour résumer, les dotations de la mission sont installées sur une trajectoire fortement descendante. Le PLF pour 2023, bien qu’il comprenne quelques revalorisations liées à l’inflation, n’inverse pas la tendance. Celles-ci, en effet, ne font que limiter l’incidence sur le budget de la réduction de la population des bénéficiaires des rentes viagères, réduction inexorable au vu de l’âge très avancé d’une majorité d’entre eux. On le voit aussi bien pour les actions relevant du programme 169 que pour celles qui relèvent du programme 158. Les rapporteurs ont donc appelé à l’adoption des crédits de la mission, ce à quoi mon groupe souscrit.
Qu’il me soit permis de rappeler pour autant que nous examinons les crédits de cette mission à quelques encablures du bruit des bombes et des cris qui résonnent en Ukraine, sur un continent ayant déjà connu tant de guerres et de souffrances. Cela appelle deux observations.
L’un des enseignements de la guerre en Ukraine est l’importance fondamentale des forces morales de la Nation. Une réflexion est engagée dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire sur le rôle et le redimensionnement des réserves. Il serait intéressant qu’en parallèle, notamment dans le cadre de la généralisation annoncée du service national universel, une réflexion plus poussée soit menée sur les moyens et les outils les plus efficaces pour ancrer et renforcer le lien entre les armées et la jeunesse. Force est de reconnaître en effet qu’il fait encore trop largement défaut, alors qu’il est la première brique du lien entre les armées et la Nation, dont on redécouvre aujourd’hui le caractère fondamental. La baisse tendancielle des crédits de la mission, causée par la démographie déclinante des bénéficiaires des différentes allocations de reconnaissance de la Nation, pourrait permettre de dégager des marges de manœuvre supplémentaires à cette fin.
L’autre enseignement est la faiblesse du nombre d’armes opérationnelles, et des munitions correspondantes, dont dispose l’armée française. Nous l’avons vu avec l’envoi des canons Caesar. Or son budget, dont l’importance est justifiée par l’ampleur des menaces, est souvent entamé par des dépenses qui ne devraient pas lui être directement imputées, comme celles qui sont afférentes à la JDC ou au service militaire volontaire. Cet arrangement budgétaire m’apparaît néfaste d’abord en termes de lisibilité, mais aussi, et surtout, car ces crédits sont indispensables à notre armée. Par souci de clarté et de sincérité sur les moyens effectivement attribués à la défense nationale, les crédits mobilisés pour ces deux dispositifs, s’ils restaient opérés par le ministère des armées, devraient relever intégralement de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».
Ainsi, renforcer les moyens et les outils consacrés à la jeunesse et à la politique de mémoire grâce des crédits stables, et, surtout, sortir certaines dépenses du budget de la mission « Défense » me semblent être des pistes à explorer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, reconnaissance de la Nation en faveur du monde combattant, transmission de la mémoire, renforcement du lien entre l’armée et la Nation, indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie commis pendant la Seconde Guerre mondiale : les objectifs de cette mission nous obligent, et l’examen de ces crédits nous invite à une certaine solennité.
D’ailleurs, faire la liste des programmes de cette mission ne suffit pas en dire toute l’importance, car l’essentiel n’est pas là. L’essentiel, c’est le soutien que l’État apporte à tous les hommes et toutes les femmes qui sont prêts à donner leur vie pour la Nation.
Les crédits de cette mission financent principalement des pensions et des prestations destinées aux anciens combattants. Ils évoluent donc en fonction du nombre de bénéficiaires. Parce que le nombre des anciens combattants diminue pour des raisons démographiques, ces crédits baissent encore cette année, de plus de 7 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022, et s’établissent à 1,9 milliard d’euros pour 2023.
Je tiens néanmoins à saluer un certain nombre d’avancées.
La dotation créée par la loi de février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie est portée à 60 millions d’euros, ce qui constitue une augmentation de plus de 33 % par rapport à 2022.
Les crédits consacrés à la politique de la mémoire augmentent de 3 millions d’euros. Cette hausse permettra de financer des travaux de restauration nécessaires pour préserver notre patrimoine mémoriel. Je me réjouis de cet effort important : conserver ces lieux de transmission en bel état, c’est soigner la mémoire que nous livrons aux générations futures.
Je me félicite également la progression des moyens consacrés aux opérateurs accompagnant les combattants et les blessés de guerre. Cette progression est, certes, légère, mais elle est réelle.
Pour l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, cette augmentation est la bienvenue. Elle permettra de supporter la revalorisation du point d’indice de la fonction publique, d’assurer le fonctionnement de la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, ainsi que de financer la pérennisation des maisons Athos, un dispositif expérimental de grande valeur qui procure un soutien aux blessés psychologiques désarmés. Je me réjouis que leur accompagnement soit ainsi renforcé.
Sur l’ensemble des crédits de la mission, seuls ceux qui sont liés aux allocations viagères connaissent une baisse en 2023. Mais cette baisse est, là encore, principalement liée à la démographie des bénéficiaires. Pour le reste, tous les crédits des autres actions sont en hausse. Aussi ce budget nous semble-t-il répondre aux attentes des anciens combattants. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » voit ses crédits diminuer, comme chaque année, mais plus que chaque année. Cela s’explique bien entendu par la diminution du nombre de bénéficiaires. Mais, justement, il faudrait légèrement accroître leur nombre, car certains harkis attendent toujours de bénéficier de ces crédits : vingt-deux supplétifs de statut civil de droit commun attendent toujours une aide, de 4 150 euros seulement !
Cette question se pose chaque année. Et, chaque année, le Gouvernement avance un certain nombre d’arguments contestables. La mesure ne serait pas applicable faute de base juridique, impossible à prendre, car rétroactive, ou bien parce que les avis du Conseil d’État et de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) seraient défavorables.
Pourtant, les amendements parlementaires fournissent une base juridique à cette extension. Pourtant, la jurisprudence du Conseil d’État relative à la désignation explicite ou implicite des bénéficiaires d’une mesure adoptée par le Parlement est en leur faveur. Pourtant enfin, le Conseil d’État et la CEDH n’ont pas rendu de tels jugements.
Nous parlons de quelques dizaines de milliers d’euros… D’ailleurs, ce que demandent ces hommes, ce n’est pas une aumône ou le suivi social que le ministère des armées met en place ; c’est la reconnaissance.
Nous remercions donc le rapporteur spécial Marc Laménie d’avoir déposé un amendement en ce sens. Pour lui donner plus de force, nous nous sommes permis d’en déposer un identique. Nous invitons ainsi le Gouvernement à lever le gage et à conserver l’amendement lors de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale. Sinon, ces personnes vont peu à peu disparaître sans jamais avoir été reconnues par l’État.
En 2019, le Parlement a élargi aux veuves de plus de 74 ans le bénéfice d’une demi-part fiscale supplémentaire, à la condition que leur mari décédé soit lui-même titulaire de la carte du combattant ou d’une retraite du combattant. Quid des veuves de moins de 74 ans ? L’effet de seuil crée une rupture d’égalité malvenue. Le Sénat l’a corrigée par amendement lors de l’examen de la première partie. Nous nous en félicitons.
Là encore, nous invitons le Gouvernement à conserver cet ajout lors du débat à l’Assemblée nationale.
Nous nous interrogeons aussi sur les crédits de la JDC, qui n’augmentent que de 1 million d’euros, alors que l’année 2023 doit marquer le retour à la normale après trois années de pandémie. La dépense par participant devrait rester la même qu’en 2022, où la JDC a le plus souvent été réduite de moitié. Comment, avec un tel budget, organiser correctement cette journée, où les jeunes Françaises et Français doivent découvrir les enjeux géopolitiques qui conduisent la France à développer un appareil de défense, apprendre à connaître les caractéristiques de ce dernier, effectuer des tests de langue française, apprendre les gestes de premiers secours et suivre une formation de sécurité routière ?
Alors que les derniers poilus se sont éteints, tout comme les derniers Compagnons de la Libération, la question de la transmission de la mémoire des guerres mondiales et, plus largement, de la mémoire du XXe siècle devient de plus en plus prégnante. L’État ne remplacera évidemment jamais la transmission qui pouvait s’opérer par les témoins directs du siècle passé. Néanmoins, il est temps d’envisager une nouvelle ambition en matière de politique mémorielle, tournée vers les jeunes générations.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera les crédits de la mission, modifiés, je l’espère, par l’amendement de notre rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où la guerre fait rage à l’est de l’Europe, dans un mélange de nouvelles technologies et de guerre de position qui nous rappelle les pires moments de la Première Guerre mondiale, à l’heure où d’aucuns s’interrogent sur la nécessité de sacrifier un peu des dividendes tirés de soixante-dix années de paix pour défendre notre liberté et nos valeurs fondatrices, à l’heure où les derniers combattants de la Seconde Guerre mondiale s’éteignent comme, avant eux, leurs aînés de la Première Guerre mondiale, le travail de mémoire n’est décidément pas un luxe. Notre société est en effet emportée par l’immédiateté et l’hypertrophie du présent, au détriment du regard méthodique sur notre passé et de la volonté de se projeter dans un futur qu’on tend à juger trop incertain.
Le travail de mémoire ne se résume pas aux commémorations le temps d’une journée avant de retourner dès le lendemain aux affaires courantes. Quand les repères s’affaiblissent et l’avenir paraît menaçant, il est indispensable de savoir d’où nous venons pour savoir où nous voulons aller ensemble.
Nous saluons, dans le cadre de ce débat budgétaire, l’augmentation de 20 % des montants qui seront consacrés à la mémoire l’an prochain. Les années 2023 et 2024 marqueront en effet des anniversaires particulièrement importants. Cet effort budgétaire est bienvenu.
Puisque nous parlons de la Seconde Guerre mondiale, je veux ici vous remercier, madame la secrétaire d’État, de votre présence le 19 août dernier à Dieppe, à l’occasion du 80e anniversaire du raid allié de 1942, qui vit malheureusement la mort et la déportation de milliers de jeunes Canadiens, souvent engagés volontaires et venus sur notre continent, comme déjà leurs aînés en 1914, pour défendre notre liberté et nos valeurs communes.
Le prix du sang payé par nos concitoyens ne doit jamais être oublié. Il ne faut pas non plus oublier le sang versé par nos alliés et tous les peuples du monde entier qui se sont battus à nos côtés, parfois en lieu et place de nos propres troupes. C’est avec ces briques mémorielles du passé que nous solidifions au long cours nos relations avec des nations qui ont si activement contribué à notre histoire et à notre liberté.
J’étais à Ottawa au début de ce mois pour assister à la projection, au Musée canadien de la guerre, du documentaire de Laurent Mathieu sur la mémoire du raid de Dieppe. Il s’agit d’un travail exigeant, très apprécié de nos amis canadiens, et j’ai pu mesurer combien ce type d’engagement mémoriel, cette reconnaissance collective d’un événement trop oublié, concourt à la qualité des relations entre nos deux pays. Le travail de mémoire consolide le présent et devient ainsi un travail commun d’échafaudage de l’avenir.
À ce sujet, je formulerai deux vœux, madame la secrétaire d’État. Le 17 mai 2024, cela fera quatre-vingts ans que Félix Éboué, troisième des Compagnons de la Libération, nous aura quittés. Panthéonisé depuis 1949, il demeure trop méconnu par nombre de nos concitoyens. Même la place qui porte son nom, ici à Paris, continue, avec la complicité involontaire de la RATP, à être couramment appelée place Daumesnil. Faire connaître à nouveau l’engagement exceptionnel de Félix Éboué dans la France Libre serait, je le crois, reconnaître aussi l’apport immarcescible de la Guyane à notre pays. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
Je pense aussi à la diaspora indienne, discrète, qui compte quelque 200 000 personnes en métropole et bien davantage dans nos territoires d’outre-mer. Durant la Première Guerre mondiale, ils furent plus d’un million à s’engager aux côtés des Alliés et plus de 120 000 combattirent dans l’est de la France. Là encore, leurs descendants se battent pour leur mémoire. Il y va de notre honneur de ne pas les oublier.
Le groupe RDPI votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec un immense respect pour ceux qui se sont battus ou qui se battent encore pour la France que j’interviens au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur les crédits de la mission interministérielle « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».
Cette mission budgétaire se veut la traduction financière de la solidarité et de la reconnaissance de la Nation envers les militaires et les anciens combattants en raison de leurs engagements ou de leurs sacrifices. Passerelle entre la société civile et le monde combattant, elle est également l’occasion de créer des liens intergénérationnels fondamentaux pour le devoir de mémoire et la cohésion sociale.
Cette mission s’articule depuis le PLF pour 2022 autour de deux programmes complémentaires : le programme 169, « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, mémoire et liens avec la Nation », et le programme 158, « Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale ». Elle est marquée par une réduction tendancielle des crédits, liée à la diminution démographique du nombre d’anciens combattants.
Cependant, pour l’année 2023, la baisse est d’une ampleur sans précédent. En effet, les crédits passeront en dessous de la barre des 2 milliards d’euros, avec une diminution de 161 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 154 millions d’euros en crédits de paiement. Ces baisses ont lieu malgré une revalorisation de 4 % du point PMI au 1er janvier 2023.
Si la diminution des crédits de la mission peut se justifier par le cycle naturel de la démographie, en ces temps de crises, il aurait été souhaitable que les marges de manœuvre ainsi libérées bénéficient à des mesures de revalorisation des pensions, notamment pour compenser l’inflation. De fait, année après année, les crédits consentis aux anciens combattants ne cessent de s’amoindrir.
Certaines avancées sont toutefois à saluer dans le cadre de la discussion budgétaire.
Je pense par exemple à la décision du Gouvernement de répercuter dès le 1er janvier 2023 la revalorisation du point d’indice de la fonction publique sur celle du point PMI, afin d’atténuer partiellement les effets de l’inflation pour les anciens combattants.
Autre point positif, la pérennisation des maisons Athos, pour renforcer l’accompagnement des militaires blessés psychologiquement et de leurs familles, en complément des autres programmes de réhabilitation psychosociale.
Mais la bonne nouvelle est surtout le vote de la commission des affaires sociales pour l’octroi d’une demi-part fiscale supplémentaire aux conjoints survivants de plus de 74 ans, quel que soit l’âge de décès de l’ancien combattant. Grâce à notre collègue Jocelyne Guidez, rapporteure pour avis, la commission a reconnu à l’unanimité qu’il était nécessaire de voter cette mesure.
De même, nous saluons l’article 41, qui lève le critère temporel auquel est soumis le droit à pension des victimes de terrorisme. Ce droit n’est plus lié à la date de l’acte de terrorisme dont ces personnes ont été victimes.
À ce titre, je salue une nouvelle fois le caporal Loïc Liber, seule victime survivante du terroriste Mohammed Merah, aujourd’hui tétraplégique et encore aux Invalides.
En dépit de ces avancées, le monde combattant formule, en raison de la crise sociale et financière que nous subissons actuellement, des demandes de revalorisation du pouvoir d’achat. Madame la secrétaire d’État, ces requêtes sont légitimes, et j’espère sincèrement que vous allez faire un geste en ce sens.
Je pense notamment à une proposition dont il faudrait à tout le moins étudier la faisabilité : que le bénéfice de la demi-part fiscale soit ouvert dès 65 ans au combattant ou à sa veuve.
L’évolution de l’appellation « retraite du combattant » en « allocation de reconnaissance du combattant » est également souhaitée.
La valeur du point PMI reste nettement insuffisante, au regard des préconisations de la commission tripartite, pour rattraper le retard accumulé et compenser le niveau d’inflation de 2022. Les élus de notre groupe souhaitent avoir l’assurance que ladite commission sera de nouveau appelée à se réunir au premier trimestre 2023 pour étudier cette question.
En parallèle, le nombre de points de retraite du combattant stagne, depuis 2017, à 52. Je tiens à rappeler que le passage de 48 à 50, puis à 52 points est l’une des mesures fortes des gouvernements de François Hollande. Il serait souhaitable que le nombre de points soit porté à 60 au cours de cette mandature, à raison de deux points par an dès 2024.
Je conclus mon propos en insistant sur d’autres revendications, plus anciennes, qui auraient tout lieu d’être satisfaites. M. Gattolin vient d’y faire allusion : il s’agit de notre devoir de mémoire envers les combattants originaires des régions d’outre-mer, dont de nombreux jeunes s’engagent encore dans nos armées. (M. André Gattolin acquiesce.)
Mes chers collègues, nous devons notamment saluer tous les dissidents d’outre-mer qui ont rejoint les Forces françaises libres (FFL) du général de Gaulle. (Mme la secrétaire d’État acquiesce.) Ces combattants ont été mis en lumière par la cinéaste Euzhan Palcy, qui vient d’ailleurs de recevoir un Oscar. Elle est récompensée aux États-Unis, alors que, pour l’heure, la France ignore encore l’histoire de ces dissidents.
Je tiens à mettre en lumière le travail d’une autre Martiniquaise, Arlette Pacquit, qui a consacré un film à la guerre d’Indochine et à tous ceux qui y ont pris part, y compris les plus méconnus ; ils ont beaucoup souffert.
Madame la secrétaire d’État, j’espère que vous allez contribuer à faire connaître cette histoire, la vraie histoire.
En espérant que ces diverses pistes de réflexion seront prochainement étudiées par le Gouvernement, les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain émettent un avis favorable sur l’adoption des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » tels qu’ils figurent dans le projet de loi de finances pour 2023 ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)