M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Alain Marc, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la troisième année consécutive, les crédits alloués à l’administration pénitentiaire dans le projet de loi de finances s’inscrivent en forte hausse, avec une progression de 7,5 %.
Ces moyens supplémentaires ne sont pas superflus, compte tenu des besoins en moyens humains et des investissements nécessaires pour rénover et développer notre parc pénitentiaire.
Pourtant, les auditions auxquelles j’ai procédé m’ont parfois donné l’impression que les efforts réalisés sur le plan budgétaire n’avaient pas encore d’effets perceptibles sur le terrain. Je vois à cela deux explications : tout d’abord, une part importante des crédits est absorbée par le « programme 15 000 », qui vise à ouvrir 15 000 nouvelles places de prison d’ici à 2027 ; ensuite, le retour à une situation de surpopulation carcérale dégrade les conditions de travail du personnel, ainsi que les conditions de détention.
Concernant le « programme 15 000 », je rappelle qu’il est divisé en deux tranches : 7 000 places devaient être livrées entre 2017 et 2022, et 8 000 entre 2022 et 2027.
Nous devons constater que la première tranche a pris du retard, puisque le nombre de places livrées en cette fin d’année 2022 est de l’ordre de 2 000. La livraison d’une dizaine d’établissements est prévue en 2023, ce qui permettra de combler une partie de ce retard.
Il n’en reste pas moins que l’achèvement du programme à l’échéance prévue paraît aujourd’hui bien incertain. Je m’interroge, en particulier, sur les surcoûts qui résulteront de la hausse des prix de l’énergie et des matières premières : ils pourraient inciter à étaler dans le temps la mise en œuvre du programme.
Après la baisse constatée en 2020, du fait de la pandémie, la population carcérale est repartie à la hausse, pour se rapprocher désormais de ses plus hauts niveaux historiques. Dans les maisons d’arrêt, le taux d’occupation dépasse 140 % en moyenne, avec des pointes à plus de 200 % dans certains établissements, par exemple à la prison de Bordeaux-Gradignan, sur laquelle la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté nous a alertés.
Dans ce contexte, le Gouvernement a fait adopter, à l’Assemblée nationale, un amendement tendant à reporter une nouvelle fois la mise en application du principe de l’encellulement individuel. À l’évidence, les conditions observées sur le terrain font obstacle au respect de ce principe à compter du 1er janvier 2023.
La surpopulation carcérale dégrade tout d’abord les conditions de détention : on observe davantage de matelas au sol et un accès plus difficile aux activités sportives ou culturelles, et le suivi par les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) tend à s’espacer, ce qui réduit les chances de réinsertion.
Elle détériore également les conditions de travail du personnel : les schémas d’emplois dans les établissements sont définis en fonction du nombre théorique de places, non en fonction du nombre de détenus réellement accueillis ; d’où une importante surcharge de travail, notamment pour les surveillants pénitentiaires, qui sont quotidiennement au contact des personnes incarcérées.
En dépit de ces difficultés qui persistent, la commission des lois a émis un avis favorable sur l’adoption des crédits de l’administration pénitentiaire, ainsi que sur l’article rattaché 44 ter, tout en étant convaincue de la nécessité de remettre à niveau de notre service public pénitentiaire.
M. le président. Je vous invite à respecter votre temps de parole, mes chers collègues.
La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Agnès Canayer, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en novembre 2021, quelque 3 000 magistrats jetaient la lumière, dans une tribune, sur leur malaise profond. Un an plus tard, après les États généraux de la justice, ils sont toujours dans la rue.
Or le projet de budget pour 2023 poursuit l’effort de rattrapage, avec une hausse des crédits de paiement de 8 %, dont 300 millions d’euros supplémentaires pour les juridictions. Pourquoi, alors que le budget de la justice augmente pour la troisième année consécutive, le malaise persiste-t-il ? Pourquoi, malgré les recrutements en nombre, les délais de jugement s’allongent-ils toujours, passant, pour les affaires civiles, de 11,4 mois en 2019 à 13,7 mois en 2021 et à près de 50 mois pour les crimes ?
La création, en 2023, de 1 220 postes, dont 546 titulaires – 200 magistrats, 191 greffiers et 155 directeurs de greffe –, doit permettre de renforcer les juridictions.
Cette dynamique devrait se poursuivre avec la création, sur cinq ans, de 1 500 postes de magistrats, 1 500 postes de greffiers et 2 000 postes de juristes assistants. Ces moyens humains sont attendus, notamment à Nanterre, où un juge aux affaires familiales (JAF) traite 235 000 affaires, contre 108 000 en moyenne dans les autres juridictions.
Cette ambition impose de développer les moyens de formation des personnels recrutés et d’attirer de nouvelles vocations. Pour cela, le PLF prévoit une prime de 1 000 euros brut en moyenne pour les magistrats judiciaires, modulée en fonction de l’ancienneté.
Pour les greffes, un effort de 165 euros brut par mois pour les greffiers et de 250 euros pour les directeurs de greffe est prévu. Cette augmentation est la reconnaissance du rôle central des greffiers dans la chaîne judiciaire, mais elle ne permettra pas l’amélioration réelle de leurs conditions de travail tant qu’il y aura 7 % de postes non pourvus et que les conditions matérielles – informatiques et locaux – ne seront pas améliorées.
Je pense particulièrement au greffe du tribunal judiciaire de Rouen, qui travaille dans des conditions peu acceptables : pas de fenêtres, bureaux partagés avec la salle de pause des agents ou installés dans d’anciennes toilettes réaffectées, faute de place.
Cependant, cette augmentation massive des effectifs doit impérativement s’accompagner d’une véritable politique de ressources humaines.
L’évaluation de la charge des magistrats, que nous appelons de nos vœux depuis cinq ans, devrait heureusement aboutir à la fin de l’année 2022. Mais il importe surtout de moderniser les méthodes de travail du magistrat, en créant une « équipe », qui lui permettra de se concentrer sur son office, de revaloriser le rôle des greffiers et de donner un avenir aux contractuels. Cela nécessitera une clarification des missions de chacun, aujourd’hui peu lisibles, entre les assistants de justice, les juristes assistants, les contractuels « justice de proximité » et les assistants spécialisés…
Monsieur le garde des sceaux, vous vous êtes engagé sur le chemin long et sinueux de la réforme de la justice. Si nous considérons qu’il faut aller plus vite, il convient surtout d’éclaircir la méthode ! Les États généraux de la justice donnent le guide ; il faut maintenant fixer le cap.
Ce budget est un bon début. C’est pourquoi la commission des lois a émis un avis favorable.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le temps qui m’est alloué étant particulièrement réduit, je n’aborderai que trois sujets.
Premièrement, s’agissant de l’informatique, les crédits augmentent encore une fois, certes. Pourtant, force est de constater que, sur le terrain, en dehors de l’aspect matériel, les évolutions concrètes sont encore attendues. Nous le signalons chaque fois que nous en avons l’occasion, depuis plusieurs années maintenant, et nous continuerons à le faire.
D’ailleurs, si j’en crois Le Canard enchaîné, « après le naufrage de la numérisation des procédures civiles pilotée par Sopra Steria et Cap Gemini, le ministère a signé un nouveau marché de 45 millions d’euros avec… Sopra Steria et Cap Gemini ! Après tout, ce sont sans doute les mieux informés de ce qu’il ne faut pas faire… »
Deuxièmement, en ce qui concerne le renforcement des effectifs, je suis évidemment sur la même ligne qu’Agnès Canayer. Si je loue cet effort notable, le recrutement doit s’accompagner de changements sur le terrain. À ce titre, les recommandations du rapport de Dominique Lottin sur la structuration des équipes juridictionnelles pluridisciplinaires permettraient d’engager ce changement sur des bases concrètes.
Troisièmement, et enfin, je veux aborder un sujet qui me tient à cœur : la nouvelle augmentation des crédits alloués à l’accès au droit et à l’aide aux victimes.
Parlons des victimes de violences conjugales, qui représentent plus de 40 % des personnes prises en charge par les associations d’aide aux victimes. Le budget pour 2023 permettra de financer 5 000 téléphones grave danger et 835 bracelets anti-rapprochement (BAR).
La volonté politique existe – c’est indéniable –, mais, là encore, cela doit se concrétiser sur le terrain, dans la justice du quotidien. En effet, trop souvent, la victime n’est reconnue et traitée pleinement comme telle que par le milieu associatif,…
M. Michel Canévet. Absolument !
Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis. … dont les acteurs, comme Michel Canévet l’a souligné, aimeraient disposer d’une vision pluriannuelle de leur financement, notamment pour être certains de pouvoir pérenniser leurs emplois de juristes.
Il n’est pas rare que les victimes se heurtent d’abord à l’institution policière, puis à l’institution judiciaire. D’ailleurs, la première urgence, pour ces victimes, n’est-elle pas que leurs dossiers ne soient pas tout simplement jetés à la poubelle ?
Malheureusement, même lorsque la victime a la chance d’être reconnue par l’institution, elle se heurte trop souvent à de grandes difficultés dans le traitement de son dossier, voire de ses dossiers – un chez le JAF, un chez le juge des enfants, un au pénal… –, avec des décisions parfois contradictoires.
Cependant, monsieur le garde des sceaux, je vous remercie, ainsi que Mme la Première ministre, de m’avoir fait confiance pour conduire une mission sur les violences intrafamiliales. Je veillerai, avec ma collègue Émilie Chandler, à vous faire des propositions concrètes sur ce sujet.
Je puis d’ores et déjà vous dire que les trois premières d’entre elles seront : formations, formations et formations… En effet, on ne peut pas traiter correctement ces dossiers si l’on ne sait pas ce que sont le psychotraumatisme, l’emprise ou encore le contrôle coercitif, et ce que cela entraîne chez la victime.
Aussi, je vous remercie de cette mission et, même si tout n’est pas parfait, je vous remercie de ce budget ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mme Maryse Carrère, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le programme 182 relatif à la protection judiciaire de la jeunesse représente 9,4 % des crédits de la mission « Justice » pour 2023. Il serait doté de 1,10 milliard d’euros en autorisations d’engagement et de 1,08 milliard d’euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 11,2 % et de 10,4 % par rapport à la loi de finances pour 2022.
L’enjeu n’est donc pas le montant des crédits alloués ; c’est leur allocation.
Dans le prolongement des années précédentes, je souhaite me concentrer sur trois défis majeurs auxquels fait face la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) : la redynamisation du milieu ouvert, les difficultés de recrutement et la mise en œuvre progressive de l’applicatif métier Parcours.
Le code de la justice pénale des mineurs (CJPM) est en vigueur depuis maintenant un peu plus d’un an. Nous savons qu’il a entraîné un bouleversement de la manière de travailler des services placés auprès des juridictions, dont l’activité a considérablement augmenté, d’après les premiers retours sur la réforme.
Toutefois, cette réforme a aussi et peut-être surtout un impact sur le milieu ouvert, soumis à la nécessité d’organiser une prise en charge avant l’audience de sanction. Le CJPM peut être un levier de la redynamisation du secteur ouvert ; c’est l’un des axes de travail de la PJJ, qui s’appuie sur les Assises du placement judiciaire, closes en octobre dernier.
L’attention croissante portée au milieu ouvert, notamment par des créations de postes et les moyens donnés aux unités éducatives d’accueil de jour, est bienvenue.
Au cours des dernières années, nous avons en effet eu l’occasion de nous inquiéter de la place très importante prise par la création des centres éducatifs fermés (CEF) dans l’augmentation du budget de la PJJ – elle en a représenté près d’un quart sur les trois dernières années –, alors même que les besoins du milieu ouvert sont très importants.
J’en viens justement à la question des centres éducatifs fermés, dont le développement a constitué un axe majeur de la politique du Gouvernement ces dernières années. Sur le programme de 20 nouveaux CEF, il semble aujourd’hui que la PJJ soit amenée à renoncer à trois ou quatre projets, qui ne pourront aboutir. Parallèlement, deux nouveaux projets de CEF sont envisagés.
Sous-jacente aux difficultés de la PJJ est la question des personnels. Il s’agit là d’une véritable inquiétude, en raison d’un taux de vacance de postes de 6 % et d’un niveau de rotation élevé sur plusieurs postes difficiles. Le taux de contractuels dans la PJJ, supérieur à 20 %, et celui de leur renouvellement sont eux aussi élevés. Si de nouveaux postes sont créés chaque année, nous avons noté, par le passé, que tous ne parviennent pas à être pourvus.
Face à ce manque d’attractivité, la revalorisation salariale est nécessaire, mais elle n’est apparemment pas suffisante, au moins à court terme. Il faut également redonner du sens aux métiers de la PJJ, avec des orientations mobilisatrices et la volonté d’agir pour l’insertion des jeunes. Les moyens déployés à cette fin peuvent aller en ce sens.
Je veux, pour terminer, évoquer le déploiement de l’applicatif Parcours. L’appropriation de l’outil s’est révélée particulièrement difficile, et le besoin de formation est important. La PJJ a donc relancé un programme de formation des personnels. De nouveaux développements se révèlent nécessaires, mobilisant 4 millions d’euros en 2022 et, de nouveau, en 2023, pour permettre le déploiement du deuxième lot de Parcours, destiné aux éducateurs eux-mêmes.
Pour l’heure, au regard de l’augmentation de son budget, la commission des lois a émis un avis favorable sur l’adoption des crédits du programme 182. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de la justice pour 2023 est présenté dans la foulée des États généraux de la Justice, qui ont rendu leurs conclusions le 8 juillet 2022.
Certes, ces États généraux ont permis de renouer un dialogue perdu entre les acteurs de la justice et les pouvoirs publics. Le budget, sur les trois dernières années, bénéficie d’une augmentation significative de ses crédits. Nous devrions nous féliciter de cette prise de conscience, mais, derrière les effets d’annonces, la réalité est hélas plus compliquée.
Les difficultés structurelles des juridictions sont considérables, et notre système judiciaire est à bout de souffle. La justice française est l’une des plus mauvaises élèves de l’Union européenne. Elle compte trois procureurs pour 100 000 habitants, contre 12 en moyenne dans les États membres. Son budget demeure inférieur à celui des autres pays européens comparables. Avec un budget de 5 euros par habitant consacré à l’aide juridictionnelle, la France se situe encore en dessous de la moyenne européenne, qui est de 6,50 euros par habitant.
Un exemple très parlant illustre les défaillances et l’encombrement de notre justice : une dépêche interministérielle, datée de mai 2021, a incité les magistrats à classer sans suite de très nombreuses affaires jugées trop anciennes ou pour lesquelles aucune enquête n’a été menée. Ces injonctions illustrent tout l’échec de notre système judiciaire.
La justice française souffre également d’une sous-évaluation chronique des besoins humains dans les juridictions. À titre d’exemple, le taux de vacance des postes de greffier s’établit à 7,2 %, soit 2,7 points de plus qu’en 2019, avant la crise du covid-19.
Les embauches de près de 200 magistrats et 198 greffiers ne pourront, hélas, répondre aux besoins que représentent les postes non pourvus.
Sur ces postes, nous dénonçons également la méthode du Gouvernement consistant en une embauche massive de contractuels. Ces assistants de justice contractuels, en situation précaire, remplacent à bas coût les recrutements de magistrats. Cette politique de recrutement à moindre coût n’est pas une solution pérenne acceptable pour notre pays, et elle illustre la logique gestionnaire à courte vue qui s’impose de plus en plus, au détriment de la qualité de la justice rendue et de l’accès à la justice pour tous les citoyens.
Des moyens supplémentaires seront, en outre, alloués au bracelet anti-rapprochement. Or ces outils, dès leur création, ont connu de nombreux dysfonctionnements techniques, ce qui a conduit le ministère à changer de prestataire en 2022. Cet exemple montre que, en dépit de moyens supplémentaires, le pilotage fait toujours défaut…
Enfin, que dire du budget colossal alloué à la construction de nouvelles prisons ? En dépit des nombreuses condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour les conditions indignes de détention, aucune réflexion n’est menée sur l’architecture des parcs actuels et sur l’entretien des établissements existants, alors que cela permettrait d’améliorer rapidement la qualité de vie des détenus et les conditions de travail des surveillants pénitentiaires.
La promesse des 15 000 places pour 2027, défendue comme remède aux problèmes chroniques de surpopulation, nous paraît inappropriée. Le taux d’occupation des places en maison d’arrêt pourrait ainsi atteindre plus de 130 % en 2023.
Les subventions aux associations, destinées à financer les activités culturelles et sportives des détenus, connaissent une diminution importante, de 25 %, alors que les activités organisées au sein de la détention participent au quotidien carcéral et s’inscrivent pleinement dans le parcours de réinsertion. Dans ces conditions, comment espérer une véritable amélioration des conditions de détention ?
Vous annoncez également, monsieur le garde des sceaux, des créations de postes de surveillant, mais nous savons tous ici que ce budget sera difficile à mobiliser, puisque cette profession souffre, en vérité, d’une grave crise des vocations, en raison notamment des conditions de travail et de rémunération, qui ne sont pas à la hauteur des enjeux et des missions effectuées par ces agents.
Mes derniers mots porteront sur la protection judiciaire de la jeunesse, qui, au gré des réformes et des budgets, reste le parent pauvre de la justice. Certes, la PJJ bénéficie d’une hausse budgétaire, mais la priorité donnée par le Gouvernement est fléchée vers la création de places dans les centres éducatifs fermés ou renforcés. La culture du tout-répressif a ses limites, surtout pour ce qui est de notre jeunesse, même lorsqu’elle est délinquante.
C’est pourquoi, même si, dans son ensemble, nous saluons l’augmentation du budget de la mission « Justice », la répartition des crédits ne répond pas suffisamment aux besoins de recrutement de personnels, aux difficultés de la justice du quotidien ni au besoin d’améliorer rapidement les conditions de détention dans notre pays.
Notre groupe s’abstiendra donc sur les crédits de cette mission.
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Fidèle à vos engagements, monsieur le garde des sceaux, vous avez obtenu pour la troisième année consécutive, un budget important pour 2023, puisque les crédits alloués au ministère de la justice augmentent de nouveau de 8 %.
Cette hausse est d’autant plus opportune que les États généraux de la justice ont mis en exergue l’impérieuse nécessité de maintenir une trajectoire ambitieuse. Cela a été rappelé à de nombreuses reprises : le budget de la justice a augmenté de 26 % depuis votre entrée au Gouvernement et de 40 % depuis le début du premier quinquennat du président Macron, ce qui est considérable.
Certes, notre enthousiasme doit être tempéré, car ce changement de braquet, opéré depuis trois ans, n’inverse pas encore la tendance. La France demeure l’un des pays d’Europe qui consacre le moins d’argent à sa justice.
La mobilisation organisée mardi dernier, un an après la parution d’une tribune qui avait dénoncé la souffrance au travail de la profession judiciaire, en est l’une des illustrations : il reste encore beaucoup à faire pour améliorer la justice dans notre pays, et l’impatience des professionnels du droit est bien légitime.
Cependant, nous ne serions pas honnêtes si nous ne reconnaissions pas les grandes avancées que permettra ce beau budget.
Je pense tout d’abord aux moyens humains, puisque ces crédits rendront possibles un renforcement des effectifs – 2 253 emplois seront créés cette année –, ainsi que l’amélioration des conditions de travail des agents et de la qualité du service rendu. Ainsi, 80 millions d’euros sont prévus pour revaloriser les salaires de tous les agents du ministère, des magistrats, qui verront leur rémunération augmenter de 1 000 euros bruts par mois en moyenne, jusqu’aux éducateurs, en passant par les surveillants pénitentiaires.
Le budget permettra également de poursuivre les programmes immobiliers judiciaires et pénitentiaires.
S’agissant de l’administration pénitentiaire, et alors que nous connaissons un retour à une surpopulation carcérale endémique, le Gouvernement a décidé de poursuivre la sécurisation et la modernisation du service public pénitentiaire.
La création de nouvelles places de prison dans le cadre du « plan 15 000 » doit nécessairement s’accompagner du développement des aménagements de peines et des mesures alternatives à l’incarcération. À ce titre, je salue les efforts déployés par le Gouvernement pour favoriser la réinsertion des personnes placées sous main de justice et me réjouis de la hausse des crédits consacrés à la mise en place du statut du détenu travailleur, qui aidera à prévenir la récidive et à maintenir un climat apaisé en détention.
La hausse des moyens consacrés au renforcement de la sécurité des personnels et des établissements est à souligner également. La montée en puissance du rôle du surveillant pénitentiaire, l’ouverture de nouvelles unités pour détenus violents, la généralisation des caméras-piétons sont autant de mesures qui permettront de lutter plus efficacement contre les violences au sein de nos établissements pénitentiaires.
Enfin, des efforts renouvelés et importants sont déployés en faveur de la modernisation de la justice et du renforcement de l’accès au droit.
Aussi, je souhaite souligner l’augmentation des crédits destinés aux investissements numériques, des crédits consacrés aux frais de justice pour renforcer notamment les moyens d’enquête et d’expertise judiciaire, des crédits dédiés à l’accès au droit et à la médiation, des crédits alloués à l’aide juridictionnelle, ou encore des crédits affectés à l’aide aux victimes – cette hausse contribuera à une meilleure justice de proximité.
Monsieur le garde des sceaux, je manquerais à tous mes devoirs si je ne vous réinterrogeais pas sur les annonces que vous avez faites lors de votre déplacement à Mayotte en mars dernier. Je pense particulièrement à la création d’une nouvelle cité judiciaire, d’un second centre pénitentiaire ou encore d’un centre éducatif fermé. Comprenez mon insistance, mais j’espère que vous pourrez nous apporter de nouvelles précisions sur leur calendrier de mise en œuvre.
La réalisation de ces projets prendra nécessairement du temps, d’autant que nous faisons face à un énorme problème de foncier, lequel pourrait retarder la concrétisation de ces indispensables évolutions. Dès lors, que peut-on entreprendre immédiatement pour traiter et juguler la terrifiante flambée de la délinquance juvénile que l’on peut observer sur place ?
Le groupe RDPI, que je représente, considère que ce budget dote le ministère de la justice de moyens à la hauteur de ses missions, car il accélérera sa modernisation et mettra en œuvre les recommandations issues des États généraux de la justice, ainsi que les mesures contenues dans la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire.
Voilà pourquoi nous voterons, sans trembler, ces crédits. (M. Arnaud de Belenet applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les États généraux de la justice ont dressé le constat très alarmant d’une institution « en état de délabrement avancé ».
Aussi, monsieur le garde des sceaux, allons-nous saluer l’augmentation de 7,8 % des crédits de la justice, soit 710 millions d’euros de plus qu’en 2022, après une hausse de 8 % durant deux années consécutives.
Nous ne pouvons toutefois méconnaître, non plus que vous, le poids de l’inflation. Celle-ci atteint 6 % et réduit donc cette augmentation à…
M. Jean-Pierre Sueur. … 2 %, ainsi que vient de le calculer Mme de La Gontrie. Il n’en demeure pas moins qu’un effort est incontestablement fait.
Rappelons tout de même que, à la suite d’une très longue carence, la France consacre à la justice 72,50 euros par habitant, contre 78 euros en moyenne en Europe. La hausse devra donc se poursuivre pour atteindre les objectifs préconisés par les États généraux.
S’agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, ses crédits augmentent de 10,4 %, et vous prévoyez la construction de nouveaux centres éducatifs. Pour autant, le rapport de la mission sénatoriale Prévenir la délinquance des mineurs – Éviter la récidive, dont faisait partie notamment notre collègue Laurence Harribey, insiste sur le manque de suivi scolaire au sein de ces centres. Gageons, monsieur le garde des sceaux, que vous aurez à cœur de prendre en compte les conclusions de ce travail accompli par le Sénat.
En ce qui concerne l’administration pénitentiaire, vous annoncez 15 000 nouvelles places de prison, dans une temporalité que nous ne connaissons pas. On en parle depuis longtemps : votre prédécesseur l’évoquait déjà et son prédécesseur également.
Vous savez que, depuis 1990, on a créé 36 000 places de prison pour lutter contre la surpopulation, alors que celle-ci restait constante. Peut-on donc considérer que créer de nouvelles places de prison conduit à réduire la surpopulation carcérale ? C’est une question qui se pose. (M. le garde des sceaux acquiesce.)
Nous reconnaissons l’intérêt de vos annonces, mais nous estimons que la restauration des établissements existants est plus importante encore que la création de nouvelles places. Nos prisons se trouvent en effet dans un état de délabrement et de décrépitude tel qu’il a donné lieu à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme en raison des conditions d’indignité qui y règnent.
Vous connaissez les chiffres : au 1er septembre dernier, 71 669 personnes étaient détenues pour 60 715 places, soit une surpopulation de 120 % en moyenne – plus de 130 % dans les maisons d’arrêt et plus de 150 % dans 36 établissements. Cela signifie que 2 000 êtres humains se trouvent actuellement à trois dans des cellules de neuf mètres carrés et dorment sur des matelas au sol, au mépris de toutes les conditions d’intimité que l’on est en droit d’attendre dans nos prisons.
Voilà une vingtaine d’années, Robert Badinter a dit que la condition pénitentiaire était la première cause de la récidive ; il convient donc d’écouter les États généraux de la justice, et je ne doute pas que vous y serez sensible, monsieur le ministre. Le rapport qui en est issu préconise un mécanisme de régulation carcérale.