Mme le président. Nous passons à la présentation des amendements de la commission avant d’en venir aux explications de vote des groupes.
article 1er
Mme le président. Sur l’article 1er, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Le vote est réservé.
article 1er bis aa
Mme le président. L’amendement n° 1, présenté par Mme Puissat et M. Henno, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 6, seconde phrase
Remplacer le mot :
employeur
par les mots :
entreprise utilisatrice
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision rédactionnelle, madame la présidente.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Sur les articles 1er bis ABA à 3 bis, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Le vote est réservé.
article 4
Mme le président. L’amendement n° 2, présenté par Mme Puissat et M. Henno, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 24
Remplacer les mots :
les actions d’accompagnement prévues à l’article L. 6423-1
par les mots :
un accompagnement
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Sur les articles 4 bis et 5, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements de la commission, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme le rapporteur applaudit également.)
M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, atteindre le plein emploi, c’est évidemment un objectif économique. Le plein emploi, c’est plus de ressources et moins de dépenses. C’est la formule la plus simple pour équilibrer le régime sans diminuer le montant des allocations.
Mais atteindre le plein emploi, c’est surtout un objectif social, d’abord parce que, pour trouver sa place dans la société, mieux vaut un travail que des allocations, ensuite parce que, lorsque le marché du travail est tendu, le pouvoir de négociation des travailleurs augmente, c’est un fait.
Notre groupe soutient la politique menée par le Gouvernement en ce sens. La réforme de l’assurance chômage en constitue évidemment un axe incontournable. Pour atteindre cet objectif, il faudra aussi réformer les retraites ; ajuster la politique en faveur de l’apprentissage ; développer l’enseignement professionnel ; recadrer la formation continue. Toutes ces réformes font partie de l’agenda du Gouvernement, et nous les soutiendrons.
Mais la priorité était bien de réformer l’assurance chômage, et ce d’abord pour des raisons de calendrier : les règles qui sont en vigueur devaient être prolongées.
La majorité sénatoriale souhaitait anticiper le retour au paritarisme de gestion. Mon sentiment est qu’il vaut mieux laisser davantage de temps aux partenaires sociaux pour définir les règles qui s’appliqueront à l’avenir. C’est pourquoi la prolongation des règles actuelles jusqu’au 31 décembre 2023 va dans le bon sens : elle donne de la visibilité tant aux partenaires sociaux qu’aux demandeurs d’emploi.
Cette prolongation permet aussi d’anticiper les nouvelles modalités de négociation prévues par le texte. À cet égard, la version issue de la commission mixte paritaire est claire : les partenaires sociaux devront chercher à équilibrer les finances du régime. Tel était l’objet d’un amendement de précision que nous défendions ; je me réjouis donc qu’il figure bien dans le projet de loi.
Certains points du texte ont provoqué quelques interrogations. Je pense notamment à la présomption de démission pour les abandons de poste : si, à titre personnel, je comprends la logique de la mesure, je doute de son effet réel sur le marché du travail… Je crains, je dois l’avouer, qu’elle ne fasse peser sur les PME des risques contentieux plus importants qu’auparavant. Et les distinguos exposés par Mme la ministre quant aux multiples exceptions au principe de la démission présumée – motifs de santé, harcèlement moral, etc. – me font redouter que, à partir d’une bonne idée, on ne finisse par créer une situation où les PME qui ne disposent pas d’un service de ressources humaines subiront le coût d’éventuels contentieux prud’homaux et se retrouveront obligées de se défendre devant la justice.
Je pense également aux refus de CDI en fin de CDD. Le compromis issu de la CMP me semble plutôt modéré. J’espère qu’il suffira pour atténuer ce phénomène, qui désespère autant les chefs d’entreprise souhaitant recruter de façon pérenne que les demandeurs d’emploi cherchant un CDI.
Cela a été dit et répété par Mme la rapporteure pour le Sénat, notre collègue Frédérique Puissat : l’assurance chômage doit rester un filet de sécurité pour les salariés involontairement privés d’emploi. Nous soutenons cette ligne de bon sens.
Concernant la contracyclicité des règles d’assurance chômage et l’application du bonus-malus, c’est au Gouvernement d’agir. Nous espérons qu’il suivra cette ligne, avec un objectif clair : garantir l’équilibre financier du régime et engager le désendettement de l’Unédic.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants votera pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après le vote récent, par le Sénat, d’un amendement de report de l’âge de la retraite, ce volet du projet néolibéral relatif au fonctionnement du marché du travail marque un nouveau recul pour les droits des travailleurs. Il pervertit le système assurantiel en le mettant au service, non de la protection contre le risque de licenciement, mais d’une politique de baisse des allocations visant à affaiblir la capacité des demandeurs d’emploi de négocier des conditions d’emploi dignes.
Ainsi en est-il des dispositions qui ont été introduites au Sénat et validées par la CMP, comme la suppression des allocations après deux refus d’un CDI à l’issue de CDD : en plus d’être une usine à gaz, cette mesure perpétue la politique du soupçon et de la menace envers les chômeurs, accusés de préférer les prestations de chômage au travail, travail par lequel, on feint de l’oublier, ils ont acquis ces droits !
Opposer prestation et travail est un non-sens, mais je vous accorde, mes chers collègues, que cette petite musique de division répétée à satiété par les médias finit par pénétrer les esprits ; la majorité sénatoriale, bien sûr, y contribue, après d’autres, malheureusement…
À la faveur d’un effet de loupe sur une extrême minorité de cas, on prétend justifier un durcissement des modalités d’accès à l’assurance chômage et une diminution des allocations ou de la durée d’indemnisation, qui ont pour effet et, disons-le, pour objet de réduire les marges de manœuvre et d’arbitrage des demandeurs d’emploi en vue de les contraindre à accepter plus vite des emplois de piètre qualité.
Un tel scénario s’est vérifié au Canada, pays qui sert de modèle, où les études ont montré que la contracyclicité et le durcissement de l’accès à l’assurance chômage conduisent les chômeurs à accepter des emplois moins rémunérés, bloquant durablement leurs perspectives d’évolution de carrière.
Voilà quel est l’objectif, avec la baisse des dépenses.
Ce texte offre un blanc-seing au Gouvernement, désormais libre de moduler les règles de l’assurance chômage, après un simulacre de concertation avec les partenaires sociaux, qui sont privés de négociations, car ils sont unanimement opposés à la contracyclicité.
Il faut avancer vite pour libérer le marché du travail et reprendre leurs droits aux travailleurs !
Tout à son objectif d’un « plein emploi » apparent, fixé à 5 % de taux de chômage, le Gouvernement ignore les faits et la recherche.
Il refuse de s’interroger sur les causes réelles des tensions dans certains secteurs.
Répétons-le, en effet, 6 % seulement des 3 millions d’offres déposées auprès de Pôle emploi étaient non pourvues en 2021, soit 186 000 emplois. Or, selon Pôle emploi, « les trois quarts des recruteurs [d’une offre non pourvue] reconnaissent que les conditions de travail du poste proposé peuvent décourager le candidat ». Quant à la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), elle souligne que les difficultés d’embauche dans certains secteurs en tension sont liées aux conditions de travail dégradées et aux salaires insuffisants.
Les offres non pourvues ont donc essentiellement à voir avec la qualité de l’offre, ce qui explique que, comme le note l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les 60 % de chômeurs non indemnisés n’acceptent pas non plus ces emplois.
Cette réforme aggravera la situation de précarité de beaucoup de chômeurs : non, les allocations chômage ne « désincitent » pas au travail ; non, on ne gagne pas plus au chômage qu’en activité !
Selon l’Unédic, les personnes indemnisées par l’assurance chômage perçoivent en moyenne une allocation inférieure au seuil de pauvreté. Sept chômeurs indemnisés sur dix reçoivent une allocation durant moins d’un an. Près de la moitié des bénéficiaires de l’allocation chômage travaillent déjà partiellement et, selon la Dares, le taux de non-recours est compris entre 25 % et 42 %.
Pour eux, comme pour les 2 millions de personnes qui grossissent chaque année les rangs du « halo du chômage », cette réforme n’apporte rien ; elle aggrave leur situation.
En somme, en réduisant le problème du chômage à la notion d’aléa moral et en l’imputant à des comportements individuels calculateurs à la petite semaine, vous refusez de mettre en question ses causes structurelles, qui ont trait à la dégradation des salaires et des conditions de travail ainsi qu’à la perte de sens de nombreux emplois.
Comme l’écrivait le sociologue Charles Wright Mills, « lorsque, dans une nation, plusieurs millions de salariés sont au chômage, on a affaire à un enjeu collectif. L’énoncé correct du problème réclame l’examen préalable des institutions économico-politiques de la société, et non plus des seuls caractères propres aux individus ».
Ce projet de loi aurait pu servir la cause du travail et des droits des travailleurs, mais ses auteurs ont choisi d’endosser le raisonnement partial et intéressé du patronat, qui se lamentera ensuite de la non-motivation des travailleurs que vos réformes auront poussés à accepter des emplois non attractifs…
En France pas plus qu’au Canada, cette réforme ne résoudra la crise de l’attractivité. Le groupe écologiste votera contre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il n’y avait rien d’inéluctable : ce mois-ci encore, le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) a reculé de 0,1 point. Ce chiffre corrobore le constat de la création de 84 000 emplois dans le secteur privé au troisième trimestre 2022. Concrètement, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, le taux de chômage est passé de près de 10 % à 7,3 %. Ces résultats sont le fruit des actions menées par les gouvernements qui se sont succédé depuis 2017 ; ils démontrent que le plein emploi n’est pas une utopie.
Initialement composé de cinq articles, ce texte s’est enrichi, au cours de la navette parlementaire, de dix articles, parmi lesquels deux ont été adoptés conformes. Treize articles restaient donc en discussion lors de la réunion de la commission mixte paritaire le 9 novembre 2022.
Le chemin vers l’accord en CMP n’était pas tout tracé, et pourtant…
Le compromis trouvé témoigne de la volonté des rapporteurs chargés de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de ce projet de loi d’agir en commun pour aller vers le plein emploi. Je salue à cet égard le travail accompli par Mme la sénatrice Frédérique Puissat, M. le sénateur Olivier Henno et M. le député Marc Ferracci.
Notre route est droite et la pente s’adoucit.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. C’est beau ! (Sourires.)
M. Martin Lévrier. L’accord trouvé en commission mixte paritaire, tout en conservant les grands principes du texte initial – je pense notamment à la modulation des indemnités, ou encore au rétablissement de la base légale relative aux conditions requises pour être électeur aux élections professionnelles –, reprend les apports du Sénat sur la gouvernance de l’assurance chômage, sur les incitations à accepter un CDI dans le contexte d’un marché du travail en forte tension et sur la validation des acquis de l’expérience.
La commission mixte paritaire a ainsi acté, d’une part, l’ouverture d’une négociation interprofessionnelle sur la gouvernance de l’assurance chômage, qui portera notamment sur l’équilibre financier du régime et l’opportunité de maintenir le document de cadrage.
Elle a acté, d’autre part, la suppression de l’allocation chômage après deux refus d’un CDI à l’issue de contrats à durée déterminée ou de missions d’intérim, tenant compte du risque juridique que comportait la différence de traitement entre salariés en CDD et intérimaires.
Par contre, si je me réjouis que la réforme de 2019 ait permis de réduire la part de contrats courts dans les offres d’emploi disponibles, je concède ne pas être convaincu par ce durcissement des règles. Et pour cause, il tend à stigmatiser les personnes qui n’accepteraient pas un contrat à durée indéterminée et laisse à penser que seul ce type de contrat garantit la sécurité de l’emploi. Pourtant, force est de constater que plus de la moitié des CDI sont rompus sous deux ans, preuve que la flexibilité « gagnant-gagnant » est plus efficace que la stigmatisation.
Enfin, la CMP a acté le principe de l’ouverture de la VAE à toute personne dont l’expérience est en lien avec la certification visée : non seulement les proches aidants, dans le domaine médico-social, mais également, entre autres, les bénévoles, qui pourront eux aussi valoriser leurs expériences dans les associations.
En promouvant la VAE au rang de voie de formation à part entière, l’article 4 du projet de loi, considérablement enrichi par le Gouvernement et les parlementaires, vient concrétiser la création d’un véritable service public de la formation. Rappelons que cette réforme a pour ambition d’atteindre l’objectif de 100 000 VAE chaque année, contre 30 000 actuellement.
Vous l’aurez compris, notre groupe se réjouit de l’accord trouvé en commission mixte paritaire, et il en votera les conclusions, issues d’un bicamérisme équilibré, qui évitent un blocage des débats entre nos assemblées. Ce texte tend à répondre à la pénurie de main-d’œuvre en augmentant le nombre de personnes aptes à occuper un métier en tension et en accompagnant les reconversions professionnelles des salariés. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – Mme le rapporteur applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen du présent projet de loi aura été l’occasion pour le Gouvernement de montrer son vrai visage. Il n’est plus dans le « en même temps » et confirme qu’il n’est ni de gauche ni de gauche !
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain n’était déjà pas d’accord avec l’évolution de l’assurance chômage résultant de la réforme de 2018. C’est peu de dire que nous sommes aujourd’hui opposés à la radicalisation de ses dispositions et au sort dévolu aux partenaires sociaux !
Le texte dont nous discutons aujourd’hui qui, d’emblée, tournait le dos au paritarisme et dégradait les droits des travailleurs actait dès le début la contracyclicité qui sera inscrite dans le code du travail. Celle-ci a pourtant été un désastre dans les pays qui l’ont pratiquée, comme le Canada. Au vu de l’expérience de ce pays, l’instabilité qu’une telle disposition promet aux travailleurs et l’arbitraire qu’elle ouvre à leur détriment est, pour nous tous, une promesse de difficultés accrues dans de brefs délais.
Ce texte déjà peu enthousiasmant est arrivé au Sénat encore durci par les débats de l’Assemblée nationale. Les apports de la chambre basse aboutissent notamment à considérer comme démissionnaire tout salarié présumé fautif d’un abandon de poste et, ainsi, à le priver de toute indemnisation au titre du chômage.
Cela atteste du choix de gouverner au préjugé, en incriminant le travailleur. Aucune donnée objective, a fortiori chiffrée, n’est avancée pour étayer une telle mesure, ne serait-ce que par les rapporteurs.
Avec une telle disposition, nous risquons de compliquer la mise au jour des raisons pour lesquelles l’abandon de poste aura eu lieu. Ces raisons sont potentiellement liées aux caractéristiques inhérentes au management de l’organisation que le travailleur s’est résolu de quitter ou aux conditions de travail qui lui sont imposées.
De maigres protections ont, certes, été ajoutées dans le texte, mais elles sont très insuffisantes. En tout état de cause, devant les prud’hommes, la charge de la preuve incombera au salarié : cela revient à inscrire dans la loi la logique du pot de terre contre le pot de fer. La procédure sera de facto difficilement opérante au vu des délais et des coûts qu’elle implique.
Cerise sur le gâteau, nous avons toutes les raisons d’estimer que la mesure comporte en réalité pour l’employeur plus de risques juridiques que de garanties, à l’opposé de l’objectif des partisans du dispositif. Sous prétexte de clarifier l’abandon de poste, le régime même de la démission devient en effet équivoque !
Au Sénat, la majorité sénatoriale a encore aggravé le texte, et le Gouvernement a décidé de la suivre.
Les demandeurs d’emploi sont envisagés ici non pas comme des citoyens ayant cotisé à l’assurance chômage de manière à bénéficier d’une indemnisation en cas de perte d’emploi, mais comme des suspects en puissance, des profiteurs qui n’auraient en rien participé au financement d’une assurance perçue comme une manne pour se laisser aller à la paresse.
Il est remarquable que les amendements visant à durcir les conditions faites aux personnes en recherche d’emploi ne soient basés sur aucune – je dis bien aucune – étude rigoureuse donnant une quelconque assise aux projections que traduisent les choix de la majorité et du Gouvernement. Ce qui donne le ton ici, c’est une certaine vox populi, et certainement pas des données fiables.
Le choix de la majorité du Sénat, validée par le Gouvernement, de sanctionner une personne ayant refusé un CDD à trois reprises est ainsi désastreux.
J’ai mentionné au cours des débats l’exemple d’une personne de 50 ans qui, à cause de la fermeture de son entreprise, perdrait son emploi après trente ans de carrière alors qu’elle bénéficiait d’un salaire correspondant à son ancienneté. Cela arrive tout le temps, partout en France. Au bout de quelques mois, n’ayant pas retrouvé d’emploi équivalent à celui qu’elle a perdu, arrivant en fin de droits, cette personne accepte un emploi en deçà de ses aspirations légitimes : un emploi moins rémunéré, moins intéressant ou peut-être difficile, si bien que lorsque l’on va lui proposer un CDD, cette personne ne l’acceptera pas. La situation peut se répéter plusieurs fois avant qu’une occasion permettant une forme de « retour à la normale » pour elle ne puisse enfin être saisie.
À cet âge, n’est-il pas légitime de vouloir disposer de temps pour retrouver un emploi correspondant à une expérience, à des compétences et compatible avec son état de santé ? Je repose la question : qui sommes-nous pour graver dans le marbre des dispositions qui l’interdiront et qui mettront en difficulté des personnes dont nous ne connaissons pas la vie ?
Pour conclure, ce n’est pas légiférer dans un esprit de justice et avec le souci de notre démocratie sociale que de ramener les demandeurs d’emploi à une seule et même entité, à un seul et même préjugé, selon lequel tous seraient peu empressés de retrouver un travail et il faudrait les forcer à revenir vers l’emploi.
Il y aurait sans doute eu de belles choses à faire dans le cadre d’un projet de loi de réforme de l’assurance chômage pour aller vers une assurance chômage négociée par les partenaires sociaux, fondée sur un mécanisme assurantiel, dotée de financements propres et ouverte à ceux qui en sont exclus aujourd’hui. Tel n’est pas le cas ici. Nous nous opposerons donc à ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, une petite heure a suffi à mettre d’accord le Gouvernement et la majorité sénatoriale sur ce texte censé permettre le plein emploi, mais dont l’objectif principal est la reprise en main de l’assurance chômage par le Gouvernement.
L’article 1er du projet de loi vise à autoriser le Gouvernement à fixer seul, et à la place des organisations syndicales et patronales, les conditions d’indemnisation de l’assurance chômage.
Une telle remise en cause de la gouvernance paritaire marque une nouvelle étape du processus d’étatisation de l’assurance chômage pour moduler l’indemnisation selon la conjoncture économique.
Le Gouvernement module la durée d’indemnisation selon que la situation de l’emploi est au vert, à l’orange ou au rouge. Avec les indicateurs choisis par le Gouvernement, le vert entraînera une réduction de 25 % de la durée des allocations ; pour l’orange, la réduction sera de 15 % ; et si c’est rouge, la durée d’indemnisation sera maintenue. Selon les calculs des organisations syndicales, la modulation entraînera une baisse moyenne de 25 % du nombre de mois d’indemnisation.
Concrètement, un demandeur d’emploi inscrit à partir du mois de février 2023 et ayant bénéficié de vingt-quatre mois d’indemnisation chômage avec les anciennes règles verra ses droits réduits à dix-huit mois. Pour les plus précaires, qui pouvaient bénéficier de six mois d’indemnisation avec les anciennes règles, cela passera à seulement quatre mois. Enfin, les seniors, dont on parle beaucoup en ce moment, qui avaient droit à trente-six mois, chuteront à vingt-huit mois. Cette modulation va précariser davantage les travailleurs et aggraver les disparités géographiques.
Cette loi, véritable coup de force sur la démocratie sociale, s’accompagne d’une remise en cause du principe d’égalité. Cette atteinte grave aux droits des salariés a été rendue possible grâce à la droite sénatoriale, qui a obtenu en contrepartie de son soutien des régressions sociales majeures.
Les Républicains ont obtenu l’encadrement de l’abandon de poste. Désormais les salariés qui abandonnent leur poste seront considérés comme présumés démissionnaires. Ils perdront par conséquent le bénéfice de l’indemnisation chômage. Bravo !
Je rappelle simplement que ni le ministère du travail ni Pôle emploi ne disposent d’études statistiques et d’études sur les abandons de postes en France. Cette disposition repose uniquement sur une instrumentalisation de l’abandon de poste par certains employeurs. Surtout, elle crée une procédure déséquilibrée pour les salariés et totalement inadaptée à la réalité de la justice prud’homale.
Enfin, le Gouvernement a accepté de supprimer l’indemnisation chômage des salariés en CDD ou en contrat de mission qui refusent deux contrats à durée indéterminée.
Après avoir favorisé et financé par des milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales les contrats courts, la droite sénatoriale et le Gouvernement pénalisent aujourd’hui celles et ceux qui refusent un contrat à durée indéterminée. Encore une fois, bravo !
Le député Marc Ferracci, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, a lui-même reconnu que les abandons de poste et les refus de CDI étaient des situations non massives. Pourquoi pénaliser des comportements minoritaires ?
Avec ce texte, vous inversez le sens même de l’assurance chômage, dont l’objectif est de protéger les salariés contre la perte de leur travail. Désormais, ce sont les employeurs qui sont protégés contre les salariés du choix de leur contrat de travail !
En conclusion, ce projet de loi constitue une attaque contre les droits des travailleurs et des chômeurs. Il nous donne un avant-goût des mauvais coups à venir de la part du Gouvernement, qui pourra désormais compter sur la droite au Sénat pour conserver une majorité parlementaire.
Les sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste défendent, vous le savez, un autre projet de société reposant sur une véritable sécurité sociale professionnelle. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Monique Lubin applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI. – Mme le rapporteur applaudit également.)
M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi avant toute chose de saluer ma complice Frédérique Puissat, énergique rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Nos discussions ont été amicales, presque fraternelles, et empreintes de vérité. Les échanges avec Marc Ferracci ont été « virils, mais corrects », comme on dit au rugby.
Nous avons abouti à un projet de loi équilibré. C’est le meilleur texte possible ; il est adapté aux réalités du quotidien. Les tensions sur le marché du travail sont importantes. De nombreuses entreprises ne peuvent pas répondre à tous les marchés auxquels elles pourraient prétendre par manque de personnel. Certains restaurants ferment plus tôt.
Le projet de loi est un texte empreint de pragmatisme. Il ne s’agit en aucun cas pour nous de défendre une position morale ; le texte vise plutôt à adapter notre législation à la réalité du marché du travail. Il importe de mettre en place dans notre pays des incitations plus fortes au travail tout en prévoyant, bien sûr, une juste rémunération. La question de valeur travail a été au cœur de nos discussions tout au long de l’examen du texte.
Au-delà, notre marqueur est la défense du paritarisme, conformément à l’ADN du Sénat, mais aussi des groupes UC et LR. Nous soutenons l’idée que le paritarisme est l’un des piliers du modèle français de solidarité, qu’il s’agisse de l’assurance chômage, de la retraite ou de la protection sociale. Le modèle français de protection sociale, ce n’est pas l’étatisation !
Autre marqueur pour nous, l’assurance chômage doit, certes, protéger des accidents, mais elle n’a pas non plus vocation à protéger de toutes les situations de la vie. Il n’y a rien de choquant à assimiler un abandon de poste à une démission. De la même manière, il n’est pas illégitime de s’interroger en cas de deux refus consécutifs de CDI. Toutes ces mesures sont mises en place au bénéfice des salariés, qui sont les principaux contributeurs de l’assurance chômage : l’argent ne tombe pas du ciel !
La commission mixte paritaire a conservé l’assouplissement des règles du CDI intérimaire, introduit par la commission des affaires sociales du Sénat.
Nous pouvons également nous réjouir que soit maintenu l’article issu d’un amendement de notre collègue Philippe Bas, visant à introduire un parallélisme des procédures en cas d’indemnisation du chômage d’un ancien agent par une collectivité territoriale. Nous n’avons pas oublié que le Sénat représentait les territoires et les collectivités !
En matière d’élections professionnelles, le Sénat avait introduit, sur l’initiative de Catherine Procaccia, un article visant à sécuriser la mesure de la représentativité des organisations syndicales dans les branches de l’enseignement privé. La commission mixte paritaire a conservé l’essentiel du dispositif.
Je m’arrêterai sur les dispositions relatives à la validation des acquis de l’expérience, que j’ai tout particulièrement suivies en tant que rapporteur. Je salue vos propos sur la VAE, madame la ministre.
Le Sénat avait souhaité s’inscrire dans la démarche engagée par le Gouvernement et par l’Assemblée nationale, qui visait à donner un nouveau souffle à la VAE en la rendant plus accessible et en renforçant l’accompagnement des candidats.
Dans cette perspective, nous avons souhaité sortir d’une approche par statut en posant le principe d’une VAE ouverte à toute personne dont l’expérience est en lien avec la certification visée. La commission mixte paritaire a conservé cet apport du Sénat à l’article 4, ce qui permettra d’éviter les risques d’exclusion de certaines personnes.
Les missions du groupement d’intérêt public national créé pour mettre en œuvre le service public de la VAE devront être assurées en tenant compte des besoins en qualifications selon les territoires, comme nous l’avions souhaité.
Enfin, le Sénat avait introduit, sur l’initiative du Gouvernement, un article 4 bis visant à prévoir l’expérimentation d’une VAE « inversée », qui permettra de combiner, dans le cadre de contrats de professionnalisation, formation en alternance et parcours de VAE.
La VAE est un sujet dont nous n’avons pas fini de parler. On l’aborde souvent sous l’angle des aidants et des proches aidants. Certes, cela les concerne. Mais c’est une grande thématique, qui inclut aussi la question de la formation à tous les âges de la vie. Il y a, certes, la formation initiale et la formation continue, mais il y a aussi la valorisation des acquis de l’expérience !
Au Danemark, plus de 30 %, voire parfois plus de 50 % des personnes se forment jusqu’à l’âge de 65 ans. Au moment où nous nous interrogeons sur les questions de retraites et d’emploi des seniors, la formation tout au long de la vie est un enjeu majeur. La VAE doit permettre à chacun d’aller plus loin en matière de formation.
Nous voterons évidemment ce texte, car il fait œuvre utile ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe RDPI. – Mme le rapporteur applaudit également.)