Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Marie Mercier, M. Jean-Claude Tissot.
2. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
3. Questions d’actualité au Gouvernement
M. Jacques Fernique ; M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports ; M. Jacques Fernique.
réponse européenne à la hausse du prix de l’énergie
M. Pierre-Jean Verzelen ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique.
M. Roger Karoutchi ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Roger Karoutchi.
exploitation du lithium dans l’allier
Mme Amel Gacquerre ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique.
crise dans les services pédiatriques
Mme Laurence Cohen ; M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention ; Mme Laurence Cohen.
M. Julien Bargeton ; Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture.
transports en commun et suppression de ter
Mme Laurence Rossignol ; M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.
Mme Maryse Carrère ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
absence de diffusion de tf1 par canal+
M. Jean-Raymond Hugonet ; Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture ; M. Jean-Raymond Hugonet.
rayonnement de la france à l’international et place dans l’union européenne
M. Jean-Marc Todeschini ; Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe ; M. Jean-Marc Todeschini.
M. Max Brisson ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Max Brisson.
restitution de restes humains à l’algérie
Mme Catherine Morin-Desailly ; Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture ; Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Florence Lassarade ; M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention.
dispositif des zones de revitalisation rurale
M. Serge Mérillou ; Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité ; M. Serge Mérillou.
chantier de la ligne lyon-turin
Mme Martine Berthet ; M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.
risques de coupures d’électricité et de gaz
M. François Bonneau ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique ; M. François Bonneau.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
4. Communication d’un avis sur un projet de nomination
5. Candidatures à une commission mixte paritaire
6. Conventions internationales. – Adoption en procédure d’examen simplifiée de quatre projets de loi dans les textes de la commission
Océan Indien occidental – Adoption du projet de loi dans le texte de la commission.
7. Traité de coopération bilatérale renforcée avec l’Italie. – Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Gilbert Bouchet, rapporteur de la commission des affaires étrangères
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État
Clôture de la discussion générale.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État
Adoption définitive de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
8. Guerre en Ukraine et conséquences pour la France. – Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées
Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Marie Mercier,
M. Jean-Claude Tissot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, des trois questeurs de la Chambre des conseillers du Royaume du Maroc, MM. Mohamed Salem Benmassaoud, Abdelilah Hifdi et Miloud Maasside. Ils sont accompagnés par le secrétaire général de la Chambre des conseillers. (Mmes et MM. les ministres, ainsi que Mmes et MM. les sénateurs, se lèvent et applaudissent.)
Notre collègue Christian Cambon, président du groupe d’amitié France-Maroc, est présent à leurs côtés. Ils ont rencontré hier les questeurs du Sénat, ainsi que Roger Karoutchi et les membres du groupe d’amitié.
La visite de nos collègues questeurs et le jumelage en cours entre nos deux assemblées sont le reflet du partenariat qui nous unit et de l’importance des relations d’amitié entre la France et le Maroc.
Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter aux trois questeurs de la Chambre des conseillers du Maroc la plus cordiale bienvenue au Sénat français. (Applaudissements prolongés.)
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
transports du quotidien
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.
Monsieur le ministre, la semaine dernière, Mme la Première ministre présentait sa stratégie « France Nation verte ». Dans ce cadre, « Mieux se déplacer » figure parmi les six thématiques ayant un effet direct sur la vie des Français à l’horizon des années 2030 et 2050.
Pour autant, le Gouvernement se donne-t-il les moyens dès à présent, en 2022 pour 2023, de ses ambitions dans le domaine des mobilités vertes ?
À l’heure où nos transports publics du quotidien sont plus que jamais nécessaires, qu’il s’agisse du ferroviaire dans nos régions ou des transports collectifs urbains et ruraux, à l’heure où ils apparaissent bons pour le pouvoir d’achat, bons pour la décarbonation et bons pour la vitalité économique de nos territoires, ne risquons-nous pas, faute d’engagements à la hauteur, de laisser se dégrader ces services et de compromettre les chances d’un « New Deal des transports publics » ?
Comment ces services publics essentiels pourront-ils se maintenir au cours des prochains mois sans encadrement des coûts de l’énergie et sans plafonnement des prix de l’électricité ferroviaire ?
Comment nos trains régionaux et nos futurs réseaux express métropolitains pourront-ils prospérer si les montants des péages ferroviaires, qui sont déjà les plus élevés d’Europe, continuent d’augmenter ?
Comment nos transports publics pourront-ils être à l’équilibre si le versement mobilité des employeurs est mis en cause, s’il n’est pas conforté ?
Comment réussir un choc d’offre des transports urbains et l’électrification des bus ?
Comment, enfin, avec les moyens limités prévus dans le projet de loi de finances, moderniser le secteur ferroviaire français, qui pourrait décrocher en Europe ?
Monsieur le ministre, quelle réponse concrète pouvez-vous apporter dès aujourd’hui afin de dégager l’horizon en matière de transports publics et ferroviaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Monsieur le sénateur Fernique, vous avez raison d’insister sur le caractère absolument central des transports publics et du ferroviaire : ils sont au cœur de notre ambition écologique de neutralité carbone pour 2050 et de transformation profonde de notre économie et de notre société.
Comme Mme la Première ministre a eu l’occasion de le dire dès la constitution du Gouvernement, le ferroviaire est la colonne vertébrale de la mobilité propre. Le projet de loi de finances pour 2023, dont le Sénat aura à connaître dans quelques jours, le démontre déjà, mais je tenais à le signaler.
Je ne partage pas votre point de vue, monsieur le sénateur, lorsque vous dites que le projet de loi de finances prévoit des moyens limités. À cet égard, je rappelle ce que j’ai déjà eu l’occasion de dire devant la commission de votre assemblée : le PLF ne retrace pas l’ensemble de l’effort public ni de l’effort de l’État en faveur des mobilités vertes, du ferroviaire en particulier.
Au total, l’État mobilise pour 2023 quelque 12 milliards d’euros – c’est un montant qui n’a pas été atteint depuis plus de quinze ans –, dont seulement 4 milliards d’euros figurent directement dans le PLF. Si nous y ajoutons les efforts de la Société du Grand Paris, le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France et les montants apportés par de nombreux autres, on parvient à 12 milliards d’euros, dont plus de la moitié sera consacrée au ferroviaire.
Nous devons poursuivre dans cette voie et faire preuve d’ambition. Vous l’avez souligné, il nous faut entretenir notre réseau ferroviaire et nos transports du quotidien. Telle est bien l’ambition du Gouvernement.
Je le dis depuis mon arrivée au ministère, le réseau ferroviaire français constitue une priorité absolue. Les crédits annuels consacrés à ce réseau ont été rehaussés de manière inédite pour dix ans dans le contrat de performance. Et cet effort sera accru dans le projet de loi de finances pour 2023.
Nous attendons le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures (COI), auquel certains sénateurs apportent d’ailleurs leur contribution. Puis, nous déclinerons nos priorités dans une programmation actualisée au cours des prochains mois. Dans le même temps, des contrats de plan État-région seront mis en œuvre, dont une part très significative sera réservée aux transports publics et aux transports ferroviaires.
Faut-il étudier d’autres options et travailler sur l’offre et sur une baisse des coûts de l’énergie, comme nous sommes en train de le faire ? Oui ! Nous y réfléchissons, parce que c’est ainsi que nous éviterons des difficultés sur l’offre au cours des prochains mois.
Comme l’ensemble du Gouvernement, je suis prêt à examiner avec le Sénat tous les leviers qu’il est possible d’activer, sur la base du rapport que nous remettra le COI dans les prochains mois. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour la réplique.
M. Jacques Fernique. Monsieur le ministre, il est vraiment urgent d’agir. Le président de la région Grand Est dit qu’il sera peut-être contraint de fermer des lignes. On envisage ici ou là des hausses de tarif.
Monsieur le ministre, agissez vite et fort, pour contrer ces replis face à la crise ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
réponse européenne à la hausse du prix de l’énergie
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre-Jean Verzelen. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition énergétique.
Madame la ministre, les causes de la hausse des prix de l’électricité sont multiples : la guerre déclenchée par Poutine et ses conséquences sur l’approvisionnement en gaz ; le défaut d’anticipation et d’entretien du parc nucléaire, qui explique que, à l’heure où nous parlons, près de la moitié de nos réacteurs ne fonctionne pas ; enfin, un système de fixation du prix européen complètement dépassé. Résultat des courses : le prix de l’électricité n’est plus maîtrisé !
Les ménages sont pour le moment plus ou moins protégés grâce au bouclier tarifaire, mais les commerçants, les usines et les entreprises sont, eux, totalement exposés. Il y a deux jours, un boulanger m’a expliqué que, alors que sa facture d’électricité s’était élevée l’année dernière à 2 500 euros, il se voyait proposer pour 2023 un contrat approchant les 20 000 euros ! C’est juste intenable.
Les collectivités pour leur part n’ont aucune visibilité budgétaire, ce qui va bien sûr peser sur leurs investissements et sur leurs capacités à assurer les services du quotidien. Il existe des dispositifs de soutien, mais ils sont trop restrictifs et trop complexes.
Certes, une question de fond se pose : quel mix énergétique pour quelle indépendance ? Mais là, maintenant, tout de suite, dans les tout prochains jours, nous avons besoin d’une réponse coordonnée à l’échelle européenne. Et l’on peut dire que cela ne commence pas très bien…
Le plan d’aide de 200 milliards d’euros qui a été voté par l’Allemagne est de nature à créer une concurrence déloyale. Le sommet européen qui s’est tenu la semaine dernière n’a pas apporté les réponses espérées. Le conseil des ministres franco-allemand s’est transformé en un déjeuner à l’Élysée…
Or le temps presse. Les entreprises et les collectivités doivent renouveler leurs contrats avant le 31 décembre prochain. Elles s’interrogent et ne savent pas si elles doivent ou non signer la proposition de leur fournisseur d’énergie.
Madame la ministre, pouvez-vous nous dire où en sont les négociations avec nos partenaires européens et quelles mesures sont envisagées ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition énergétique.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Monsieur le sénateur Verzelen, vous soulignez à juste titre l’action du Gouvernement pour protéger les ménages, mais également les entreprises de moins de 10 salariés et les petites collectivités locales. Je rappelle en effet que le bouclier énergétique que nous avons mis en place permet à ces dernières de bénéficier du prix de l’électricité le plus bas d’Europe.
Cela étant, vous avez raison, il faut aller plus loin. Il faut à présent travailler pour nos entreprises de taille intermédiaire (ETI) et nos grandes entreprises, mais aussi trouver un dispositif pour les collectivités locales qui ne sont actuellement pas couvertes par le bouclier énergétique.
De premières propositions ont été faites, vous le savez. Nous avons ainsi prévu un filet de sécurité pour amortir le choc de la hausse du prix de l’électricité.
Nous agissons également à l’échelon européen. Monsieur le sénateur, les Vingt-Sept sont parvenus à un consensus, lors du dernier Conseil européen, sur des mesures très claires de coordination. Ils ont ainsi demandé à la Commission de formuler des propositions, afin de mettre en place des corridors pour contenir le prix du gaz, de découpler le prix du gaz et de l’électricité, pour faire baisser le prix de cette dernière, d’instituer une plateforme d’achat commun du gaz et de mettre en œuvre des mesures qui sont techniques, mais très importantes, visant à permettre des coupe-circuits sur le marché financier d’échange d’électricité et de gaz.
Il s’agit là d’avancées majeures, et c’est le Président de la République qui les a obtenues.
M. François Patriat. En effet, ce n’est pas rien !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Par ailleurs, vous le savez, je travaille également à l’échelon national, avec Bruno Le Maire et Christophe Béchu, à la mise en place d’une garantie électricité et d’aides qui soient adaptées à chacune des situations.
Pour les PME, nous sommes en train de finaliser un dispositif qui devrait a priori les protéger partiellement. Pour les ETI et les grandes entreprises, Bruno Le Maire négocie actuellement une augmentation des aides du cadre Ukraine et un relâchement des conditions pour en bénéficier.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Nous sommes au travail pour faciliter la vie de ces entreprises. Nous y consacrons 10 milliards d’euros dans le cadre de notre trajectoire budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
revenants du djihad
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Ma question s’adresse à M. le garde des sceaux.
Monsieur le garde des sceaux, le Gouvernement a finalement changé de politique et décidé de rapatrier collectivement toutes les femmes et les enfants des djihadistes…
M. Roger Karoutchi. … retenus en Syrie.
Pourquoi ? (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Fabien Gay. Parce que ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur Karoutchi, je suis tenté de vous répondre : « Parce que »,… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Longuet. La question mérite mieux !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … mais cela ne vous conviendrait pas, ce que je puis comprendre.
En réalité, nous n’avons rien changé.
Tout d’abord, nous procédons à des rapatriements chaque fois que c’est possible en termes de sécurité pour nos agents, auxquels, bien sûr, je veux rendre hommage.
Ensuite, notre doctrine n’a pas évolué d’un millimètre : il faut que les femmes concernées demandent à être rapatriées.
Enfin, leur rapatriement donne lieu à une judiciarisation systématique. À cet égard, j’indique que toutes les femmes rapatriées ont fait l’objet d’un mandat de dépôt, sauf une pour raisons médicales.
Ces femmes ont choisi de nous combattre là où elles sont allées. C’est un acte volontaire, qui mérite que nous judiciarisions et que nous le fassions avec toute la sévérité requise.
Vient ensuite le problème des enfants, à l’égard desquels nous avons un devoir d’humanité et de vigilance.
Nous avons un devoir d’humanité, parce que ce sont des enfants, parce qu’ils n’ont rien demandé, parce qu’ils sont Français et parce qu’ils sont, comme le disent certains pédopsychiatres, des « bombes à retardement » et qu’il faut veiller sur eux, car les laisser là-bas, c’est prendre le risque que, un jour, ils reviennent ici pour commettre des abominations.
Nous avons ensuite un devoir de vigilance, évidemment, dans le cadre d’un suivi pluridisciplinaire, à la fois psychologique, psychiatrique et éducatif.
M. Stéphane Ravier. Sandrine Rousseau, sors de ce corps !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je ne pense pas que nous ayons bougé d’un millimètre. D’ailleurs, je me suis longuement exprimé sur cette question voilà quelques jours devant la commission des lois du Sénat.
M. le président Buffet a dit de mon intervention – j’en rosis encore ! (Sourires.) – qu’elle était claire et précise. Si vous souhaitez davantage de renseignements, je vous suggère donc, monsieur Karoutchi, de la lire ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, si ces femmes demandent à revenir, c’est parce que nous ne les avons pas déchues de la nationalité française (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.), contrairement à ce qu’a fait le Royaume-Uni avec les djihadistes. Aujourd’hui, cela permet à ce pays de ne pas récupérer les gens retenus en Syrie.
Je me permets de vous rappeler également que, lorsqu’elle était garde des sceaux en 2019 et 2020, Nicole Belloubet nous avait dit ici même que la France préférait que les jugements aient lieu en Irak, dans des tribunaux mixtes, et que, puisque cela n’était pas faisable dans tous les cas, la France ferait du cas par cas et ne ferait revenir que des gens ne présentant aucune dangerosité. (M. Pierre Laurent s’exclame.)
Je vous rappelle que c’est Donald Trump qui avait demandé à la France et à l’Europe de rapatrier les épouses des djihadistes. À l’époque, le président Macron avait répondu qu’il n’en était pas question, que c’était beaucoup trop dangereux pour la sécurité des Français.
En termes de sécurité, en quoi la situation des Français de 2022 est-elle différente de celle de 2019 ?
Monsieur le garde des sceaux, il est positif que la justice s’occupe des femmes qui reviennent, mais vous savez très bien que la plupart d’entre elles ont continué dans les camps de détention en Syrie à vanter sur les réseaux sociaux les mérites de Daech et des attentats et à se targuer de continuer la lutte des djihadistes en France et ailleurs. Voilà qui nous avons fait rentrer ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
exploitation du lithium dans l’allier
M. le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre, pour le groupe Union Centriste.
Mme Amel Gacquerre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour commencer, permettez-moi de saluer la mémoire des gendarmes récemment décédés et d’adresser une pensée à leurs familles et à leurs collègues.
Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition énergétique. Le groupe Imerys a annoncé la mise en exploitation minière, d’ici à 2027, d’un gisement de lithium dans l’Allier, qui sera l’un des plus grands d’Europe. C’est une bonne chose.
En effet, le lithium connaît un essor considérable, car il est indispensable à la révolution numérique et à la transition écologique. Il est notamment nécessaire dans les batteries des véhicules électriques. On estime aujourd’hui que les besoins en lithium augmenteront de 42 % d’ici à 2040, et certains experts craignent une pénurie d’ici à 2030.
Il s’agit tout d’abord d’une bonne nouvelle d’un point de vue stratégique : ce projet est bon pour notre souveraineté énergétique, alors que nous dépendons aujourd’hui entièrement de la Chine pour nous approvisionner en lithium. L’annonce du groupe Imerys permet d’affirmer de nouveau que notre pays et l’Union européenne ont enfin besoin de mener une politique minière ambitieuse et responsable.
Le projet Emili, pour Exploitation de mica lithinifère par Imerys, est également une bonne nouvelle écologique, car il n’y aura pas de décarbonation sans électrification.
Enfin, le projet présente un intérêt économique, Imerys évoquant la création de 1 000 emplois directs et indirects dans la région.
Cependant, ce projet n’est pas neutre. À cet égard, je souhaite attirer votre attention et vous interroger sur la gestion des risques sociétaux et environnementaux associés à cette exploitation.
La consommation d’énergie, les rejets toxiques, notamment, sont fréquemment pointés du doigt. D’après Imerys, cette mine sera exemplaire d’un point de vue écologique et respectera le standard international Irma, afin de limiter les nuisances.
Encore une fois, ce projet est une bonne chose, mais son acceptabilité sociale ne doit pas être sous-estimée. Là où sont annoncés des projets d’extraction minière, des collectifs se constituent. Aussi est-il nécessaire de rassurer l’opinion publique en instaurant des normes respectueuses de notre environnement.
Aussi, comment le Gouvernement compte-t-il accompagner le respect de ces engagements et l’acceptabilité du projet à l’échelon local ? La mine durable va-t-elle enfin voir le jour en France ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition énergétique.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Madame la sénatrice Gacquerre, je vous remercie tout d’abord de souligner que ce projet participe d’une politique de transition énergétique qui anticipe : il ne vise pas à remplacer une dépendance aux énergies fossiles par une dépendance à d’autres matières premières critiques, comme le lithium, le nickel ou le cobalt.
Vous le savez, le projet d’Imerys s’inscrit dans le plan France 2030. Il fait partie des cinq projets que nous soutenons afin de recréer une chaîne de valeur autour des métaux critiques qui seront absolument nécessaires à la production de batteries électriques. Vous savez combien cela compte dans notre territoire commun du Pas-de-Calais et, plus largement, des Hauts de France, où nous accueillons la Vallée européenne de la batterie électrique. Nous aurons besoin de ces matières premières.
Pour aller plus loin, cela fait désormais plus de dix-huit mois que nous travaillons, dans le cadre européen et national, à la création d’une filière responsable autour de ces métaux critiques.
Notre travail s’articule autour de trois actions.
Premièrement, il s’agit de sécuriser des approvisionnements à l’étranger dans des mines appliquant le référentiel de mine responsable, que défend au sein de la Commission européenne le vice-président Sefcovic.
Deuxièmement, il s’agit de mettre en place toutes les actions de recyclage nécessaires. Cela fait partie des projets que nous soutenons dans le cadre du plan France 2030. Il nous faut faire en sorte que toutes les matières qui entrent sur le territoire français, d’une manière ou d’une autre, puissent être réutilisées, afin de nous éviter d’avoir à chercher dans nos sous-sols des matières premières critiques.
Troisièmement, nous devons, de manière responsable, étudier la faisabilité du développement de mines responsables à l’échelon européen.
Il existe des mines responsables. Je pense à la mine de tungstène en Autriche qui avait été présentée lors du Conseil « compétitivité » que j’avais organisé à Lens sur ce thème. Cette mine est située au milieu d’un parc naturel et prouve que l’on peut agir de manière responsable.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Nous agirons donc en ce sens à l’échelon tant national qu’européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
crise dans les services pédiatriques
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Laurence Cohen. Ma question s’adresse à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Monsieur le ministre, notre système de santé vit une crise majeure. Il est à bout de souffle. Des urgences aux services pédiatriques, en passant par la neurologie et la psychiatrie, tous les voyants sont au rouge à l’hôpital public, sur l’ensemble du territoire. Les personnels sont épuisés et les soignants partent petit à petit, dégoûtés par leurs conditions de travail dégradées depuis de longs mois.
Plus de 4 000 professionnels en pédiatrie viennent de lancer un appel au Président de la République, dénonçant les conditions désastreuses de prise en charge des enfants : transferts multiples, affectation dans des services adultes non appropriés, sorties trop précoces, déprogrammation d’opérations, mise en danger de petits patients.
Cette situation n’est pas la faute de la bronchiolite. Elle est le résultat de la politique menée depuis des années dans les hôpitaux, à coups de restrictions budgétaires successives et irresponsables !
Des cris d’alarme sont lancés régulièrement par des professionnels. Notre groupe les relaie ici, dans l’hémicycle, mais vous les ignorez, comme tous vos prédécesseurs.
Face à l’urgence de la situation et à la mobilisation des professionnels, vous avez dû annoncer le déblocage de 150 millions d’euros, un plan blanc et des assises de la pédiatrie au printemps. Cela n’a convaincu personne, tant la crise est grave et structurelle.
Allez-vous enfin entendre l’appel de ces professionnels, qui parlent de « perte de sens » dans leur métier, « conséquence de la gouvernance bureaucratique et de la tarification à l’activité » ?
Allez-vous, comme ils vous le demandent, rouvrir des lits dans les services de pédiatrie, mettre fin à la fuite des soignants et recruter des jeunes passionnés ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la prévention.
M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice Cohen, comme vous pouvez l’imaginer, je suis de très près le problème de notre hôpital public. Je le suis depuis plusieurs semaines et me trouve en contact avec les professionnels de la pédiatrie, que j’ai rencontrés à plusieurs reprises. Je le suis depuis mon arrivée au ministère et même, pour être honnête, depuis de nombreuses années !
Vous dites que l’hôpital ne va pas bien depuis plusieurs mois. Permettez-moi de vous dire qu’il ne va pas bien depuis plusieurs dizaines d’années (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), à cause de politiques comptables – à cet égard, je rejoins votre point de vue –, dont un certain nombre a d’ailleurs été voté par l’ensemble du Parlement.
Depuis 2017, le Président de la République et le Gouvernement se sont engagés pour l’hôpital et lui ont octroyé 53 milliards d’euros en plus, pour répondre à des problèmes certes conjoncturels, mais également structurels.
Vous évoquez la pédiatrie et l’épidémie de bronchiolite. Cette dernière survient plus tôt que précédemment, alors que l’hôpital – vous l’avez dit et je partage votre point de vue – est à bout de souffle. Je tiens d’ailleurs à saluer au passage mes anciens collègues et les soignants de tous les services, qui travaillent dans des conditions difficiles.
La bronchiolite est une pathologie qui fait peur, et je comprends l’inquiétude des parents. Je rappelle toutefois qu’elle est très majoritairement bénigne et qu’elle doit être prise en charge en priorité par les médecins généralistes.
M. Laurent Duplomb. Quand il y en a !
M. François Braun, ministre. Sous l’impulsion de la Première ministre, des réponses conjoncturelles sont apportées. Ainsi, 150 millions d’euros supplémentaires ont été débloqués pour répondre aux problèmes aigus d’un certain nombre de services de pédiatrie en général, et pas uniquement des services d’urgence pédiatriques.
En outre, une réponse plus structurelle est apportée à l’ensemble du système hospitalier. En pédiatrie, des travaux commenceront dès la semaine prochaine. Ils aboutiront au printemps à des assises de la pédiatrie – je les ai annoncées –, qui nous permettront de prendre de véritables décisions structurelles pour ce secteur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Le diagnostic, il est connu. C’est l’ordonnance qui est mauvaise !
Vous nous dites que vous accordez des millions d’euros supplémentaires, mais les professionnels vous demandent à grands cris d’embaucher et vous disent que vos solutions ne sont pas bonnes !
Pour sa part, notre groupe n’a pas voté les budgets austéritaires qui mettent l’hôpital à genoux. Quand allez-vous rehausser l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) à hauteur de l’inflation ? Vous ne le faites même pas en 2023 !
Vous n’écoutez pas les professionnels, vous n’écoutez pas les parlementaires et vous dites : « Tout va bien ! ». Or cela va très mal !
Il faut que vous agissiez de toute urgence. Il n’y a rien de pire que de devoir trier les patients et de choisir entre deux enfants !
Mme Laurence Cohen. La responsabilité n’est pas du côté des professionnels de santé : elle est du côté du Gouvernement.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Laurence Cohen. Nous rencontrons les professionnels : ils sont très en colère contre vous. Agissez ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et Les Républicains.)
fréquentation des cinémas
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Julien Bargeton. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la culture.
Madame la ministre, la baisse de fréquentation des salles de cinéma, d’environ 25 % par rapport à 2019, inquiète les professionnels du secteur. D’autres évolutions, comme la consommation de films ou de séries sur les plateformes à domicile, les inquiètent également.
Le cinéma français doit certainement se réinventer, mais nous devons le préserver. Simone, Les Harkis, Novembre, Un Beau Matin, L’Innocent : la rentrée montre la vitalité, la diversité et la singularité du cinéma français.
Son système repose sur la mutualisation, les films à succès finançant les films plus fragiles. N’oublions pas que le cinéma d’auteur est né en France dans les années 1950, en réaction au cinéma américain, plus industriel, qui faisait appel aux têtes d’affiche. N’oublions pas non plus que les films dits « du milieu », qui font aussi la spécificité du cinéma en France, souffrent beaucoup.
« La photographie, c’est la vérité, et le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde » disait Jean-Luc Godard. Pour que cette vérité émerge, il faut choisir une mise en scène, il faut un chef opérateur, il faut des comédiens, des dialogues écrits ou des silences, des ellipses. Il faut de la qualité. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. Et la question ?
M. Julien Bargeton. Madame la ministre, quelles appréciations portez-vous sur les évolutions en cours, qu’elles soient structurelles ou conjoncturelles ? Quelles perspectives pouvez-vous offrir aux professionnels ? Enfin, comment redonner aux Français l’envie de rejoindre les salles obscures et garantir le financement de notre système unique ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Laurence Rossignol applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture. Monsieur le sénateur Julien Bargeton, je vous remercie de nous donner l’occasion de parler de cinéma en ce jour où nous lançons une campagne de communication pour soutenir les salles. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Question téléphonée !
M. Jérôme Bascher. Allô, allô !
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Nous avons tous une bonne raison d’aller au cinéma – je suis sûre que c’est aussi votre cas, mesdames, messieurs les sénateurs.
Le but de cette campagne, qui doit durer un mois, est de mobiliser nos citoyens et de leur donner envie d’aller en salle voir les films en grand. À plus long terme, je suis persuadée que nous avons tous de bonnes raisons de croire en l’avenir du cinéma.
En effet, la France reste une nation de cinéphiles. Certes, nous avons perdu un quart du public par rapport à l’avant-covid, mais c’est bien pire ailleurs. La fréquentation a ainsi diminué de 60 % en Italie, de 50 % en Corée du Sud, de 40 % en Espagne ou en Allemagne. Notre filière résiste, et les Français demeurent cinéphiles.
Par ailleurs, l’État accompagne le nouvel élan de la jeunesse, en finançant partiellement avec le pass Culture 2,5 millions de places : 76 % des jeunes interrogés disent aller plus régulièrement au cinéma grâce à lui. Enfin, la filière se réinvente et reste très mobilisée.
Dans les années 1980 et 1990, on nous prédisait la mort du cinéma avec l’avènement de la télévision. La fréquentation avait chuté à 110 millions de spectateurs, avant de doubler par la suite, grâce aux efforts de la filière, qui s’est réinventée, et de l’État, qui a été à ses côtés.
Le soutien de l’État à la filière du cinéma n’a jamais été aussi fort, avec un arsenal unique au monde : 300 millions d’euros pendant la crise sanitaire, 500 millions d’euros d’aides annuelles versées par le Centre national du cinéma (CNC), 100 millions d’euros de crédits d’impôt et 350 millions d’euros dans le cadre du plan France 2030.
Je le dis à notre jeunesse : il y a énormément de bons films à voir en famille pendant les vacances de la Toussaint. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Allez au cinéma, beaucoup d’émotions vous attendent ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
transports en commun et suppression de ter
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le ministre chargé des transports, 11 000, c’est le nombre de TER supprimés dans les Hauts-de-France depuis le 1er janvier dernier ; 129, c’est le nombre de trains retirés dans les Hauts-de-France pendant les vacances de la Toussaint, au prétexte que les élèves ne se déplacent plus pour des raisons scolaires ; trois heures et demie, c’est le temps pendant lequel ont attendu, la semaine dernière, des usagers à la gare du Nord, avant de s’entasser dans le dernier train de vingt-trois heures trente.
Je vous parle là de trains supprimés, cette malédiction qui s’abat sur les voyageurs quand ils arrivent en gare, à Paris, Beauvais, Lens, Saint-Quentin ou ailleurs ! Je vous parle de ma région, mais la même situation prévaut partout en France, y compris en Île-de-France.
Monsieur le ministre, les usagers quotidiens du train sont des salariés, qui utilisent ce moyen de transport pour se rendre de leur lieu de travail à leur domicile. S’ils prennent le train, le métro ou le RER, c’est parce qu’ils ne peuvent pas se loger là où ils travaillent ou qu’ils ne peuvent pas travailler là où ils vivent. Ils ont accepté cette distance parce qu’il y avait une offre de transports collectifs, laquelle constitue un élément structurant de leur organisation de vie.
L’imprévisibilité de ces transports a donc pour conséquence de désorganiser totalement leur existence. Elle met leur emploi en danger et insécurise les parents, qui ne savent jamais à quelle heure ils pourront aller chercher leurs enfants à l’école. Et j’ai une pensée toute particulière pour ces femmes qui prennent le train à Creil le matin ou le soir pour aller faire le ménage dans les bureaux.
Les conséquences sont multiples : maltraitance des voyageurs, report sur la voiture et augmentation des émissions de CO2, désorganisation du travail et de l’économie française…
Monsieur le ministre, il y a urgence ! Que faites-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE, GEST, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Madame la sénatrice Rossignol, je souscris à vos propos sur les « galères » vécues par un certain nombre de nos concitoyens dans les Hauts-de-France, ainsi que dans d’autres régions confrontées à des difficultés spécifiques dans les transports publics.
La priorité que j’ai décrite il y a quelques minutes, en réponse au sénateur Fernique, n’est pas théorique : nous avons augmenté cette année les moyens pour le réseau et les transports du quotidien.
Toutefois, pour répondre à une situation difficile, il faut que nous nommions les choses de manière précise et que chacun assume ses responsabilités.
Nous parlons de transports régionaux. Il y a donc une situation spécifique aux Hauts-de-France, dont je discuterai de nouveau prochainement avec le président de la région, Xavier Bertrand. J’ai également évoqué le sujet avec Jean-François Rapin, ici même au Sénat, il y a une semaine. Chacun doit être prêt à investir les moyens nécessaires, en particulier la région, qui a la responsabilité d’organiser les trains express régionaux. Il faut le dire !
L’État interviendra pour soutenir un certain nombre de projets, en particulier le réseau express métropolitain, à propos duquel j’ai échangé avec le président Damien Castelain pour résoudre le problème de la livraison du train Alstom dans les prochains mois.
Nous agissons pour notre part sur ce qui relève de notre responsabilité. J’aurai en fin de semaine une réunion avec le PDG de la SNCF, car des questions d’offre se posent du côté de l’opérateur, et je veux que l’État joue pleinement son rôle. Mais chaque situation est spécifique.
Ainsi, les suppressions de train pour les vacances que vous avez évoquées dans les Hauts-de-France tiennent pour beaucoup à des pénuries de recrutement. Je ne me résous pas à ce que cette situation perdure dans les mois à venir. Il faut accélérer les recrutements, et la SNCF a lancé un plan exceptionnel de 440 recrutements pour les seuls TER de la région Hauts-de-France.
En travaillant ensemble – région, État et opérateur SNCF –, nous améliorerons la situation dans les prochains mois. Oui, madame la sénatrice, vous avez raison, c’est difficile, mais chacun doit assumer ses responsabilités financières, d’organisation et de moyens. (M. François Patriat applaudit.)
problèmes de prédation
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Monsieur le ministre, les Français se sont découverts depuis quelques années un engouement croissant pour le tourisme en montagne, un environnement au mode de vie si particulier.
S’agissant de l’autre versant, celui de la vie montagnarde, la loi Montagne a permis de déployer des politiques adaptées à l’altitude.
En matière d’agriculture, la loi pose ainsi un double principe : celui, général, de la préservation de l’activité contre les préjudices causés par les actes de prédation, et celui de la régulation, pour maintenir l’existence de l’élevage. Si des mesures ont été mises en place, notamment après la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées en 2018 et la propagation du loup sur l’ensemble du territoire, le malaise des éleveurs persiste en même temps que les prédations.
L’été dernier, le loup était à peine identifié dans le massif du Hautacam, dans les Hautes-Pyrénées, que l’on comptait déjà 26 attaques et 43 brebis tuées, malgré la grande réactivité des services de l’État, que je salue – ils se sont très tôt tenus aux côtés des éleveurs.
Il en est de même dans l’Hérault, en Lozère, dans les Alpes-de-Haute-Provence et dans de nombreux autres départements touchés de plein fouet par la prédation du loup.
Aujourd’hui, le problème des prédations demeure, malgré les demandes fortement relayées par le Sénat. Face à l’ampleur du phénomène, l’Association nationale des élus de la montagne a adopté jeudi dernier une motion rappelant l’obligation de défense de l’agropastoralisme et une meilleure gestion des grands prédateurs. Ne l’oublions pas, l’agropastoralisme est une activité agricole d’excellence qui joue un rôle de régulation de la végétation, en même temps qu’elle contribue au développement de l’activité économique et touristique.
Aussi, monsieur le ministre, ma question sera simple : quelles mesures nouvelles comptez-vous prendre pour répondre à la demande des éleveurs, dont l’activité pastorale continue d’être menacée ? Nos éleveurs sont aujourd’hui à bout. Ils attendent des décisions fermes et efficaces ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice Carrère, je vous remercie de poser cette question sur l’équilibre entre l’agropastoralisme et, en particulier, la présence du loup.
Comme vous le savez, j’étais en fin de semaine dans le Doubs et les deux départements de la Savoie, notamment pour discuter de cette question prégnante. J’ai rencontré un éleveur dont le troupeau venait d’être victime d’un prédateur et j’ai pu mesurer son sentiment de détresse, d’impuissance et d’incompréhension face à cette menace.
Je veux rappeler aussi que le pastoralisme est un modèle exemplaire en matière de tourisme et de biodiversité. Il faut préserver le loup, mais aussi les autres formes de biodiversité qui sont garanties par les activités de pastoralisme et d’agriculture extensive.
Comment pouvons-nous agir ? Tout d’abord, le Président de la République a pris cet été des engagements dans votre département, madame la sénatrice : au niveau européen, nous travaillons sur le statut de l’espèce à partir de données scientifiques ; à l’échelon national, une seconde brigade loup sera créée.
Avec mes collègues Christophe Béchu et Bérangère Couillard, je travaille aussi sur ce sujet dans le cadre du plan national loup, qui prévoit notamment une simplification des procédures de prélèvement et d’indemnisation. Trop souvent, cette dernière ne tient pas compte de l’ensemble des préjudices subis, se limitant aux animaux tués et oubliant les disparitions d’animaux ou la perte génétique – un élément important.
Il faut également travailler à un dénombrement qui fasse consensus, pour pouvoir effectuer dans de bonnes conditions le prélèvement de 19 % de la population recensée. (Mme Frédérique Puissat proteste.)
Nous devons enfin nous pencher sur le statut des patous, qui pose des questions juridiques pour les éleveurs quand ces chiens viennent, ici ou là, mordre un touriste.
Madame la sénatrice, Christophe Béchu, Bérangère Couillard et moi-même entendons bien tracer le chemin qui permettra de préserver l’agropastoralisme. Nous le devons aux éleveurs et à la biodiversité – à toute la biodiversité ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
absence de diffusion de tf1 par canal+
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la culture.
Madame la ministre, depuis le 2 septembre dernier, le groupe Canal+ a cessé de diffuser les cinq chaînes du groupe TF1 à la suite d’un différend commercial concernant le renouvellement du contrat de leur distribution.
La justice a eu l’occasion de se prononcer à deux reprises sur ce différend, qui pénalise tout particulièrement les foyers situés en zone rurale et en zone de montagne, car ils reçoivent la télévision numérique par satellite.
En considérant que la loi ne crée aucune obligation de reprise des chaînes de la TNT, la télévision numérique terrestre, à la charge de Canal+, et qu’aucun contrat écrit signé avec le groupe TF1 n’obligeait Canal+ à mettre à disposition ces chaînes, la cour d’appel de Paris a, certes, clarifié la situation du point de vue du droit, mais elle n’a pas résolu les difficultés rencontrées par des millions de Français.
Le Gouvernement est resté très discret depuis deux mois sur cette situation, tandis que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui a proposé plusieurs fois sa médiation, estime qu’elle n’a pas les moyens juridiques d’imposer un compromis.
Dans ces conditions, que comptez-vous faire, madame la ministre, pour permettre aux Français qui en sont aujourd’hui privés d’accéder à la TNT ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture. Monsieur le sénateur Hugonet, je partage vos préoccupations. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous l’avez dit, cette situation résulte d’un différend commercial et d’une négociation qui n’aboutit pas. Il ne m’appartient pas de m’immiscer dans cette dernière (Marques de déception sur les mêmes travées.), mais, en tant que ministre de la culture, je suis évidemment très attentive à l’accès de tous à l’offre gratuite de la TNT.
Dès le début de ce conflit, j’ai écrit au président du groupe Canal+, en appelant à son sens des responsabilités et de l’intérêt général, pour éviter de priver des millions de Français de l’accès aux cinq chaînes du groupe TF1. Pour l’instant, toutefois, la négociation n’a toujours pas abouti.
Vous avez rappelé les décisions de justice et les déclarations de l’Arcom, monsieur le sénateur. Une modification de la loi sera probablement nécessaire à l’avenir pour éviter que ce type de situation ne se reproduise et que des téléspectateurs ne soient pris en otage par ces négociations. Nous y travaillerons ensemble, je l’espère, mesdames, messieurs les sénateurs.
À court terme, je sais que les discussions ont repris avec Canal+ après la nomination de M. Rodolphe Belmer à la tête de TF1. Espérons collectivement que les deux groupes parviendront à un accord qui permettra de rétablir au plus vite l’accès aux chaînes gratuites de la TNT. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.
M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la ministre, l’adage dit que l’espoir fait vivre, et vous nous appelez en l’occurrence à espérer… Mais la réalité est simple : la loi de 1986, modifiée à plus de 80 reprises, qui sous-tend tout l’écosystème de l’audiovisuel, est aujourd’hui à genoux.
Votre collègue Franck Riester, ici présent, avait commencé à porter une réforme malheureusement rapidement abandonnée en rase campagne pour cause de covid…
Nous sommes prêts, au Sénat, à travailler sur cette loi de 1986 pour la revisiter, car nous devons la mettre à jour en raison de l’émergence des plateformes numériques et des nouveaux usages des chaînes de télévision. Nous vous appelons à engager ce chantier, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)
rayonnement de la france à l’international et place dans l’union européenne
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Marc Todeschini. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État chargée de l’Europe.
Pendant que les médias français étaient occupés par le feuilleton du 49.3 à l’Assemblée nationale, les conclusions du dernier sommet européen étaient à la limite de la débâcle pour la France, consacrant l’échec de cinq ans de politique européenne française, pourtant présentée comme le projet phare du Président de la République.
Les Allemands et une partie des pays européens ont fait prévaloir leur point de vue sur le prix du gaz et nous renvoient aux problèmes de maintenance de nos centrales nucléaires.
L’accord de principe sur un bouclier antimissile entre plusieurs pays européens autour de l’Allemagne, dont l’Otan, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, s’est félicitée, nous laisse isolés sur le concept d’une Europe de la défense, malgré le conflit en Ukraine.
En ce qui concerne le spatial, l’Allemagne s’oppose au principe de préférence européenne et développe seule, en mer du Nord, un projet de « port spatial » dédié aux microlanceurs.
Force est de constater le recul de notre influence en Europe, où la France se voit en même temps reprocher une certaine arrogance.
Les dissensions dans le couple franco-allemand sont telles qu’il a fallu pour la troisième fois reporter le sommet entre nos deux pays, qui devait se tenir aujourd’hui à Fontainebleau.
Ces multiples alertes doivent être entendues. L’Allemagne est au centre du jeu européen depuis le Brexit et regarde désormais plus vers l’est et vers les Balkans que vers Paris. Elle défend ses intérêts et s’affirme comme le leader de l’Union européenne, au sein de laquelle les pays du Nord lui sont acquis depuis longtemps.
Madame la secrétaire d’État, quelles leçons tire la France de cette situation ? Comment nous éviter un isolement sur le plan international et au sein de l’Union européenne ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’Europe.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Monsieur le sénateur Todeschini, nous n’avons absolument pas la même vision des choses. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
Je vous rappellerai pour commencer que l’Europe est confrontée, en raison de la guerre en Ukraine, à des enjeux communs en matière d’énergie et de défense, qui se déplaceront ensuite vers d’autres domaines économiques, y compris le spatial.
Ces enjeux communs se reflètent également avec le changement géostratégique, en particulier l’évolution de la position de la Chine. Tous les pays font face à ces enjeux, mais de façon différente.
Durant la crise de la covid-19, les économies de services étaient les plus affectées. Aujourd’hui, avec la crise de l’énergie, ce sont les économies manufacturières qui le sont au premier chef. L’Allemagne, en particulier, fait face à des conditions très difficiles de fourniture d’énergie – elle doit en trouver ailleurs qu’en Russie – et de prix.
Face à ces enjeux, que faisons-nous ? Lors du Conseil européen, le Président de la République a invité le chancelier Scholz à discuter. Et c’est lui qui a réussi à unifier les positions, pour que nous ayons à la fin du Conseil un communiqué qui étudie toutes les mesures énergétiques pouvant être spécifiques à chaque pays.
C’est aussi parce que ces problèmes de défense, d’énergie et de réorganisation du monde ne vont pas se résoudre en un claquement de doigts que le Président de la République a invité le chancelier Scholz à venir déjeuner. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Nous sommes sauvés !
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. D’ici aux 60 ans du traité de l’Élysée, nous allons travailler ensemble, pour converger sur tous ces sujets.
Toutefois, voyez-vous, ce sont des efforts qui demandent plus que des paroles : ils exigent des actions et du travail.
M. Hussein Bourgi. On les attend !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour la réplique.
M. Jean-Marc Todeschini. Madame la secrétaire d’État, il vous semble difficile de me répondre. À vous entendre, « tout va très bien, madame la marquise »…
Il faudrait relire le discours que le Président de la République avait prononcé à propos de l’Europe à la Sorbonne. Vous dites que tout va se résoudre autour d’un déjeuner. Mais, tous les médias le disent clairement, on ne parle du couple franco-allemand qu’en France. Pour le reste, c’est l’Allemagne qui mène le bal.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Marc Todeschini. Le Président de la République avait utilisé l’expression d’« encéphalogramme plat » à propos de l’Otan.
J’ai peur que, aujourd’hui, ce soit également l’encéphalogramme plat pour le projet européen. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
islamisme à l’école
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale.
Depuis Aristide Briand, la religion ne peut faire obstacle à la loi. La République a peu à peu donné à la laïcité une dimension singulière dans l’enceinte de nos écoles.
Pourtant, le mois dernier, tout comme on publie les chiffres du chômage, vous annonciez, monsieur le ministre, 313 atteintes à la laïcité, qui sont en réalité autant de violations de la loi.
À défaut de nous rassurer, vous affirmez ne pas avoir la main qui tremble. Vous rappelez que les équipes Valeurs de la République ont été renforcées, tout comme la formation des professeurs. Enfin, vous annoncez un plan de communication sur les réseaux sociaux pour réduire l’action des influenceurs.
Face à un projet politique radical, celui de l’islamisme, ne pensez-vous pas plutôt qu’il faudrait d’abord appliquer la loi dans toute sa rigueur ?
La semaine dernière, un proviseur parisien l’expliquait dans une interview : on sanctionne un collégien qui fume, mais des élèves qui portent des tenues religieuses, c’est plus compliqué, faute d’un cadre précis.
M. Philippe Tabarot. Tout à fait !
M. Max Brisson. Aussi, monsieur le ministre, ma question est simple : quand allez-vous donner à tous les chefs d’établissement de France un cadre et des instructions précises pour qu’ils aient la certitude, face à ces violations de la loi, d’avoir le soutien de leur hiérarchie ? Il faut appliquer la loi, toute la loi, rien que la loi ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Cathy Apourceau-Poly et MM. Daniel Chasseing, Christian Bilhac et Hussein Bourgi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Brisson, en la matière, vous avez raison, la boussole, c’est la loi de 2004. Celle-ci, je le répète, doit être appliquée de façon ferme et stricte. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous avez évoqué les équipes Valeurs de la République : nous parlons de plusieurs centaines de personnes à l’échelle du territoire, que nous renforcerons encore cet automne. Vous avez aussi rappelé nos efforts de formation des enseignants.
Des sanctions ont déjà été prises contre des élèves récalcitrants ; d’autres le seront au terme des procédures engagées. Nous allons d’ailleurs, après vérifications, préciser les choses en matière de sanctions. Celles-ci peuvent aller jusqu’à l’exclusion définitive des élèves concernés, et des mesures de cette nature ont déjà été prises.
Vous avez également mentionné la question des réseaux sociaux. Sur le plan juridique, il est délicat de s’attaquer directement à ces comptes et ces influenceurs néfastes, qui ne veulent de bien ni aux élèves, ni à l’école, ni à la République. Mais nous sommes très actifs sur cette question, et je vais prochainement recevoir un certain nombre de dirigeants de ces réseaux sociaux pour les mettre face à leurs responsabilités. Nous serons très vigilants en la matière.
La laïcité, c’est une question de sanctions – vous avez rappelé mes propos : je n’aurai pas la main qui tremble –, mais aussi de pédagogie.
Nous devons mener la bataille pour faire comprendre que la laïcité est une liberté, la possibilité d’une transmission de savoirs sans interférence, la garantie de l’émancipation et de l’éducation des futurs citoyens de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Jean-Paul Prince applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Monsieur le ministre, je crains que vous ne répondiez pas aux chefs d’établissement. Ceux-ci se sentent seuls. Ils veulent des consignes claires pour ne pas avoir à interpréter et à arbitrer. De grâce, ne les laissez pas seuls !
Votre collègue Gérald Darmanin parle d’une « offensive islamiste » qui vise les plus jeunes et qui passe aussi par l’école.
Monsieur le ministre, précisez le cadre, donnez des instructions aux chefs d’établissement et soutenez-les : il faut leur assurer que, désormais, toute violation de la loi sera sanctionnée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Christian Bilhac applaudit également.)
restitution de restes humains à l’algérie
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Ma question concerne plusieurs ministères, mais s’adresse d’abord à Mme la ministre de la culture, qui a la tutelle sur les collections publiques.
En juillet 2020, pour célébrer le cinquante-huitième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, la France a restitué à Alger 24 crânes détenus au musée de l’Homme, supposés être ceux de chefs de la résistance tués pendant la conquête coloniale. Or une enquête du New York Times vient de révéler que la majorité de ces crânes seraient non identifiés ou d’origine incertaine.
Certains parlent d’imbroglio ou de procédure imparfaite, d’autres de scandale d’État. Il semble que le travail du comité d’experts scientifiques franco-algérien qui œuvrait depuis 2018 à l’identification des crânes, condamné à la plus stricte confidentialité, ait été écourté. Pourquoi ? Si nous ne contestons nullement sur le fond ce geste hautement symbolique de réconciliation, pourquoi a-t-il été dénaturé ? Pourquoi le Gouvernement a-t-il formellement décidé seul d’une convention de dépôt, et non d’un acte législatif de restitution, tout en en revendiquant l’appellation ?
Madame la ministre, le Parlement, pourtant garant des collections nationales, a été totalement contourné dans cette affaire, et je le regrette. Nous sommes en droit d’obtenir des réponses. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Rachid Temal et Rémi Féraud applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture. Madame la sénatrice Morin-Desailly, je vous remercie de votre engagement de longue date sur ce sujet.
Cet enjeu me tient également à cœur. La politique de restitution consiste à regarder notre histoire en face et à nouer des relations de partenariat et d’amitié nouvelles avec d’autres pays et d’autres peuples. C’est un chemin subtil, respectueux, qui n’est celui ni du déni ni de la repentance, mais celui de la reconnaissance.
Les crânes algériens que vous mentionnez ont été déposés, et non restitués. Les autorités françaises et algériennes ont mis en place en décembre 2017 un comité mixte, qui était chargé d’identifier formellement ces restes humains dans les réserves du Muséum national d’histoire naturelle.
Un travail d’étude rigoureux a duré dix-huit mois. La commission est arrivée à la conclusion que 24 crânes sur 45 remplissaient toutes les conditions pour être restitués, et c’est sur cette base consensuelle et documentée qu’ils ont été remis sous la forme d’un dépôt à l’Algérie. Il n’a jamais été dit le contraire.
Je vous renvoie d’ailleurs au communiqué final du comité intergouvernemental de haut niveau, qui, dans son paragraphe 19, mentionne précisément des « restes humains présumés algériens conservés dans les collections publiques françaises ». Toutes les précautions nécessaires avaient donc été prises.
Au-delà de ce cas spécifique, dont nous aurons l’occasion de reparler, nous allons travailler ensemble à une loi-cadre fixant une doctrine, une méthode et des critères de restitution sur ce sujet des restes humains, mais aussi sur ceux des biens spoliés juifs – un cas très différent –, des biens pillés pendant la colonisation en Afrique ou de ceux qui ont été pris de façon illégale ou illégitime.
Je ne doute pas que nous aurons de riches débats lors de l’examen de ce projet de loi. (M. Alain Richard applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je me réjouis de ce travail partagé, enfin !
Le Sénat, comme vous le savez, a déjà engagé des travaux très importants en la matière. Pierre Ouzoulias, Max Brisson et moi-même, avec le soutien de notre président de commission Laurent Lafon, avons d’ores et déjà formulé des propositions.
Par ailleurs, un texte de loi a été voté à l’unanimité de notre assemblée en janvier dernier sur la question des restes humains dits « sensibles ». Si ce texte avait été définitivement voté, il aurait totalement résolu la question des restitutions de crânes à l’Algérie.
Au demeurant, il me semble malgré tout que vous défendez l’indéfendable, madame la ministre. J’ai là les conclusions de la commission chargée d’examiner les propositions de restitution de ces restes humains d’origine algérienne, qui s’est réunie le 25 juin 2020.
Elle alerte sur un risque de protestations en raison du caractère précipité et autoritaire de l’opération. Elle note aussi que les modalités imposées par l’urgence diplomatique interrompent le travail de mémoire réalisé par le comité d’experts. Elle souligne enfin que le ministère de la culture a été écarté de cette procédure, tout comme le Parlement.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Morin-Desailly. Il faut remettre de l’ordre dans ce sujet, pour souligner l’importance du bien-fondé de la réconciliation des mémoires. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Robert et M. Mickaël Vallet applaudissent également.)
urgences pédiatriques
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Florence Lassarade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce sont actuellement 6 500 soignants en pédiatrie qui ont signé une lettre ouverte au Président de la République, dans laquelle ils dénoncent les mises en danger quotidiennes des patients dans des services saturés.
En cause, l’épidémie de bronchiolite et des services hospitaliers très fragilisés, qui peinent à recruter et à garder du personnel, notamment paramédical. Pourtant, l’épidémie de bronchiolite est habituelle à l’automne, donc prévisible.
Monsieur le ministre, cette situation n’est malheureusement pas nouvelle. En 2019, déjà, faute de place en réanimation, des enfants ont dû être transférés hors de la région Île-de-France. Mais, aujourd’hui, ce problème se pose avec acuité sur l’ensemble du territoire. Des enfants sont régulièrement transférés d’un hôpital à l’autre, parfois même à plus de 200 kilomètres.
Comment en est-on arrivé là ?
Les capacités d’accueil des services se dégradent en raison de la fermeture de lits et du manque de personnel soignant.
On n’a pas assez de médecins libéraux, on restreint l’accès aux urgences et on ne fait plus appel aux kinésithérapeutes pour les bronchiolites. Pourtant, d’après une étude de la plateforme AquiRespi, l’offre de soins en kinésithérapie respiratoire permet de réduire de 13 % les consultations pédiatriques au CHU de Bordeaux le week-end.
C’est toujours le même constat : le Gouvernement n’a rien anticipé et gère la pénurie avec des rustines. Le déclenchement des plans blancs oblige à déprogrammer des interventions chirurgicales pour une simple épidémie de bronchiolite, sans qu’il y ait véritablement de perspective d’amélioration.
Vous avez annoncé le déblocage de 150 millions d’euros pour les services en tension à l’hôpital, notamment en pédiatrie. Pour autant, monsieur le ministre, le Gouvernement envisage-t-il enfin de mettre en œuvre des mesures structurelles, en revalorisant significativement la permanence des soins de nuit, du week-end et des jours fériés, en augmentant le nombre de pédiatres, en libéral et à l’hôpital, et en acceptant que les kinésithérapeutes puissent de nouveau intervenir pour lutter contre l’épidémie de bronchiolite, comme c’était le cas auparavant ? (Mme Laurence Cohen applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la prévention.
M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice Lassarade, je vous remercie de revenir, au travers de votre question, aux problèmes liés à la bronchiolite et, plus largement, à la situation dans nos hôpitaux. Vous savez que ce problème me préoccupe particulièrement.
Je veux cependant apporter quelques précisions à ce que je viens d’entendre.
Non, on ne trie pas les enfants à l’entrée de l’hôpital. Les mots ont un sens, madame la sénatrice, et celui-ci ajoute artificiellement de l’inquiétude et de l’angoisse chez les parents. Pis, il peut inciter au renoncement aux soins, ce qui est dangereux.
Je le redis avec force, notre système de santé dans son ensemble prend en charge tous les enfants en situation de détresse, dans le cadre de parcours de soins identifiés pour répondre aux besoins. Je le répète, toutes les bronchiolites ne doivent pas aller à l’hôpital.
S’agissant de ce parcours, vous parlez de la place des kinésithérapeutes. Voilà plusieurs mois, la Haute Autorité de santé a relevé que certaines pratiques de kinésithérapie habituelles réalisées sur les bronchiolites étaient dangereuses et qu’il fallait y mettre fin. La place de ces professionnels est donc désormais beaucoup moins importante dans le traitement de cette pathologie précise.
Comment savoir où faire prendre en charge son enfant victime d’une crise de bronchiolite avec des difficultés respiratoires ? Je le redis aux parents, si vous ne savez pas et que vous n’avez pas de médecin traitant, composez le 15, pour appeler le Samu, le service d’aide médicale urgente. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Le Samu est saturé !
M. François Braun, ministre. Vous trouverez des professionnels compétents, qui pourront vous diriger vers le meilleur parcours de soins pour votre enfant. En effet, je le répète, ce n’est pas toujours l’hôpital ; c’est bien souvent le médecin traitant. Je vous invite à aller voir ces professionnels, que ce soit à Bordeaux ou à Créteil.
En ce qui concerne la problématique plus large de l’hôpital, je vous rejoins, madame la sénatrice. Nous avons des problèmes structurels qui ne sont malheureusement pas nouveaux.
L’un de mes engagements est justement de travailler sur les problèmes structurels globaux de l’hôpital, et pas uniquement sur la filière pédiatrique. C’est ce que porte le PLFSS pour l’année prochaine, dont nous aurons l’occasion, je pense, de discuter dans les semaines qui viennent. Je pourrai alors plus librement vous détailler l’ensemble des mesures destinées à restructurer notre système de santé et l’hôpital public. (M. François Patriat applaudit.)
dispositif des zones de revitalisation rurale
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Serge Mérillou. Madame la secrétaire d’État chargée de la ruralité, vous avez promis dans la presse, le 19 octobre dernier, de travailler main dans la main avec les élus ruraux.
Le même jour, l’Association des maires de France (AMF) publiait un rapport sur la nécessaire préservation du dispositif des zones de revitalisation rurale (ZRR). Or, sur ce sujet, les élus attendent toujours une main tendue. Pour l’heure, pas de calendrier. Pourquoi tant d’opacité ? De la clarté, voilà ce qu’exige la ruralité ! Depuis 1995, les ZRR sont des vecteurs essentiels du développement et de l’attractivité de nos territoires. Leur fin annoncée, en décembre 2023, inquiète les élus.
Ce dispositif concerne aujourd’hui près de 14 000 communes et engage 320 millions d’euros, une somme dérisoire au vu des effets positifs observés sur les territoires : implantations d’entreprises, de médecins et d’acteurs économiques. Bref, il a pu contribuer à redonner vie à nombre de nos villages.
Les auteurs du rapport sénatorial d’avril 2022 et les ruraux saluent son efficacité. À l’instar de l’AMF, madame la secrétaire d’État, ils vous demandent de reconduire un dispositif réformé, en prenant en compte les évolutions des territoires, en concertation avec leurs élus.
Il nous faut notamment revenir à l’échelle des communes, instituer deux niveaux de classement, sans parler de toute une série d’autres mesures. Bref, le travail est prémâché. Emparez-vous-en ! Posons les fondations d’une nouvelle politique de dynamisation des zones rurales.
En ces temps troublés pour les collectivités locales, nous devons accompagner ces dernières, nous concerter avec elles et leur donner de la visibilité.
Aussi, madame la secrétaire d’État, quel dispositif entendez-vous mettre en place pour pallier la disparition des ZRR ? Quelle place auront les élus dans l’élaboration de ce dispositif ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la ruralité.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Serge Mérillou, les zones de revitalisation rurale (ZRR) ont été créées par la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, et je sais le rôle déterminant qu’a joué le Sénat dans l’adoption de ce texte.
Le législateur a souhaité prendre en compte les difficultés spécifiques liées au maintien de l’activité en milieu rural, et, de façon plus générale, soutenir des parties de notre territoire qui sont en déprise démographique ou économique. Pour atteindre ce but, les ZRR ont été adossées à un régime d’exonération fiscale et sociale. Aujourd’hui, ce sont 13 712 communes, représentant 16 % de la population française, qui sont classées en ZRR.
Je suis très attachée à ce dispositif, qui reconnaît la fragilité des territoires ruraux et qui doit prendre fin au 31 décembre 2023. Afin de préparer l’avenir, le Premier ministre Jean Castex avait confié une mission parlementaire aux sénateurs Frédérique Espagnac et Bernard Delcros, ainsi qu’aux députés Anne Blanc et Jean-Noël Barrot.
Cette mission parlementaire sur une éventuelle prorogation témoigne de notre attachement commun à ce dispositif. Aujourd’hui, il convient de poursuivre le travail que nous avons engagé pour en définir l’avenir.
Dès le 26 juillet dernier, soit quelques jours après ma prise de fonctions au Gouvernement, je répondais à l’invitation du sénateur Delcros pour travailler sur cette question. Le 25 août, je « planchais » avec le président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) et certains membres de son bureau, et, le 8 septembre, avec les coprésidentes de la commission ruralité de l’AMF.
Cette après-midi même, avec Christophe Béchu, je reçois officiellement les membres de la mission parlementaire. Nous ferons un premier travail sur les quatorze propositions de leur rapport.
Vous le voyez, le Gouvernement est au travail pour envisager l’avenir des ZRR.
Nous avons par ailleurs confié une mission d’appui, avec la direction générale des collectivités locales (DGCL), à M. François Philizot, inspecteur général de l’administration et président du conseil d’orientation de l’Observatoire des territoires, afin, avec Christophe Béchu, de formuler des propositions à Mme la Première ministre au début de l’année 2023.
Ces propositions se nourriront d’un large travail de concertation avec le groupe Ruralité en cours de constitution à l’Assemblée nationale, ainsi que, je l’espère, avec un groupe Ruralité institutionnalisé au Sénat.
M. le président. Cela, c’est notre affaire, madame la secrétaire d’État ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État. Si, bien entendu, vous en décidez ainsi, monsieur le président.
Ces concertations seront complétées par des rencontres avec des associations d’élus.
Croyez bien, monsieur le sénateur, que je vous tiendrai informé de nos travaux. J’utiliserai toute mon énergie pour faire en sorte que le Gouvernement continue de reconnaître la fragilité des territoires ruraux. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État. Cela, c’est mon affaire ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour la réplique.
M. Serge Mérillou. À Eymet, dans mon département, lors du congrès des maires ruraux, vous avez déclaré aux habitants du monde rural qu’ils étaient une chance pour notre pays, madame la secrétaire d’État.
Prouvez-le, en donnant aux territoires ruraux les moyens nécessaires pendant qu’il est encore temps !
chantier de la ligne lyon-turin
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Martine Berthet. Monsieur le ministre chargé des transports, samedi dernier, se tenait en Savoie une conférence de presse destinée à présenter la tribune cosignée par des élus syndicalistes, des représentants des associations, des élus locaux et des parlementaires.
Nous étions plus de 200, toutes sensibilités politiques confondues, à rappeler nos engagements pour le chantier ferroviaire du Lyon-Turin et notre choix du scénario « grand gabarit » pour ses accès, à la suite de la consultation que vous avez menée. Le Gouvernement devait prendre une position officielle en début d’année ; ce n’est toujours pas fait. Je vous rappelle mes courriers restés sans réponse.
En retardant cette décision, vous ouvrez une brèche à une minorité d’activistes, qui se prétendent écologistes, mais qui tiennent des discours contradictoires. Ils cherchent à effrayer la population par la désinformation, en s’appuyant depuis plus de trente ans sur les thèmes à la mode du moment : roches radioactives, roches amiantifères… Aujourd’hui, avec les sécheresses, ils pointent les atteintes aux sources d’eau. Pourtant, l’entreprise binationale TELT (Tunnel Euralpin Lyon Turin) suit de façon très sérieuse ce sujet, en lien avec les élus locaux.
C’est par le ferroutage que nous réussirons à diminuer nos émissions carbonées et à améliorer la qualité de l’air dans nos vallées. La ligne historique n’en a pas la capacité, et nous devons en parallèle libérer des sillons pour les transports de voyageurs du quotidien. La légitimité démocratique à faire des choix qui engagent l’avenir de nos enfants appartient aux élus, et non à une poignée de militants opposés au projet.
M. Christian Cambon. Très bien !
Mme Martine Berthet. Monsieur le ministre, ne vous laissez pas impressionner et prenez les décisions attendues. Il ne s’agit plus d’être pour ou contre ce tunnel, mais d’en déterminer ses accès et d’en assurer leur financement.
Aussi mes questions sont simples.
D’une part, quand comptez-vous confirmer officiellement le scénario retenu ?
D’autre part, l’Union européenne a annoncé 50 % de financement pour les accès. Vous n’avez pas postulé à son appel à projets « opération ferroviaire », alors que le percement du tunnel est en cours. Quand le ferez-vous ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Florence Blatrix Contat et M. Gilbert-Luc Devinaz applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Madame la sénatrice Berthet, pour être clair, je partage votre engagement et votre sentiment sur l’intérêt incontestable de ce projet.
Il est important sur le plan écologique, vous l’avez rappelé, par le développement du ferroviaire, en particulier du fret, qu’il implique. Il est essentiel, pour les mêmes raisons, sur le plan économique. C’est un grand projet européen que nous devons faire avancer. Il a d’ailleurs été confirmé au plus haut niveau dans le traité d’amitié entre la France et l’Italie, voilà moins d’un an.
Les concertations ont été engagées, selon un calendrier que vous connaissez et qui est transparent, par le préfet de région, M. Pascal Mailhos. Il y a eu concertation avec les élus de toutes les collectivités qui peuvent être amenées à financer la question des accès, et ce travail s’est terminé au début de l’année 2022. Dès que j’ai pris mes fonctions, j’ai repris le travail de concertation, pour que nous passions maintenant à la partie concrète et financière, comme je m’y suis engagé devant le Parlement dès le mois de juillet dernier.
Je me suis rendu à Lyon dès le mois de septembre pour échanger avec l’ensemble des collectivités financeuses. J’ai constaté, comme vous l’avez rappelé, que le scénario qui avait la nette préférence de l’immense majorité des collectivités, pour ce qui concerne les accès, était le scénario dit « grand gabarit ».
J’ai demandé qu’il y ait une concertation et j’ai mandaté le préfet à cette fin, afin que, d’ici au début de l’année prochaine, il y ait en face de cette ambition ferroviaire une ambition budgétaire, car ce scénario est aussi le plus coûteux.
Si les collectivités sont prêtes à s’engager,…
Mme Frédérique Puissat. Et l’État ?
M. Bruno Retailleau. C’est un projet d’intérêt national !
M. Clément Beaune, ministre délégué. … nous le serons aussi.
À présent, il faut que chacun dise ce qu’il est prêt à mettre concrètement sur la table, de manière sonnante et trébuchante. Pour notre part, nous sommes prêts à nous engager, mais aussi à mobiliser les financements européens sur la section transfrontalière.
Dans le projet de loi de finances pour 2023, qui sera bientôt soumis à votre vote, les crédits sont là. Toute la programmation est intégralement respectée. J’ai eu encore hier un entretien avec la Commission européenne pour que les financements sur cette section transfrontalière soient rapidement mobilisés.
Il n’y a aucun désengagement à cet égard, et quand le scénario sur les accès sera arrêté sur les plans ferroviaire et budgétaire, nous postulerons évidemment aux financements européens. En effet, comme vous l’avez rappelé, l’Union européenne nous a indiqué qu’elle était prête à mobiliser jusqu’à 50 % des financements sur ces accès.
Mme Frédérique Puissat. Et l’État ?
M. Clément Beaune, ministre délégué. L’État sera au rendez-vous, mais il faut que tout le monde le soit également, y compris les collectivités.
J’ai pris cet engagement au nom de l’État au mois de septembre dernier. Je le répète, nous attendons maintenant la concertation financière d’ici au début de l’année prochaine. Pour ma part, j’ai respecté les engagements que j’avais pris devant vous en juillet.
M. le président. Je me permets de le rappeler, ce point figure dans l’article 10 du traité dont le Sénat doit aujourd’hui discuter de la ratification, en séance publique, à partir de seize heures trente. Votre vote, mes chers collègues, permettra donc de valider ce scénario.
risques de coupures d’électricité et de gaz
M. le président. La parole est à M. François Bonneau, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. François Bonneau. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition énergétique.
La crise de l’énergie que nous connaissons est sans précédent. Si la situation semble revenir à la normale sur le front des carburants, nous devons nous préparer à des coupures d’électricité et de gaz. Sans être certaines, ces coupures sont possibles, la guerre en Ukraine et ses effets atroces sur la population de ce pays ayant malheureusement servi de révélateurs à une situation qui se dégradait depuis plusieurs années, faute d’anticipation.
S’agissant de l’électricité, la moitié des réacteurs nucléaires sont encore à l’arrêt, et EDF ne cesse de différer leur remise en service. À cela s’ajoutent les grèves dans les centrales, qui réduisent encore un peu plus nos capacités de production et l’effort de maintenance.
Les énergies renouvelables, bien qu’elles soient importantes, ne sont pas pilotables. En absence de vent, de soleil et de nucléaire, ce sont les centrales à gaz qui prendront le relais. Nous approchons de l’hiver, et certains spécialistes nous annoncent qu’il pourrait être rigoureux.
S’agissant du gaz, nos réserves sont pleines, mais elles ne représentent que les deux tiers de la consommation hivernale des PME et des particuliers. Les entreprises gazo-intensives ont déjà été prévenues qu’elles pourraient avoir à subir des coupures préjudiciables à leur activité. Les Français sont prêts à faire des efforts, mais ils accepteront mal de ne pas être prévenus à temps.
Aussi, madame la ministre, comment allez-vous procéder avec les entreprises pour les inciter à s’arrêter ? Avec quels délais et pour combien de temps ? Comment allez-vous procéder à l’égard des particuliers, des collectivités, des établissements scolaires ? À quels horaires et selon quels délais ? Comment comptez-vous organiser ces coupures pour les situations particulières, médicales ou sociales ? Quelle utilisation ferez-vous des compteurs Linky ?
À bien nommer les choses, on contribue à régler les problèmes du pays. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition énergétique.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Monsieur le sénateur Bonneau, vous avez raison de le rappeler, cette crise énergétique est la plus grave que nous connaissons depuis les années 1970, avec le quasi-arrêt des livraisons en Europe du gaz russe. De quoi parle-t-on ? De 40 % du gaz qui approvisionnait l’Europe. Cette situation crée aujourd’hui un stress sur notre système énergétique. Ce n’est pas propre à la France, puisque l’ensemble du continent est concerné. Nous agissons d’ailleurs ensemble, de façon solidaire.
Par ailleurs, nous avons également à faire face à une moindre production d’électricité d’origine nucléaire, à cause de soucis de maintenance, sur lesquels nous travaillons, et hydraulique, du fait des sécheresses que nous avons connues cet été.
Dans ce contexte, le Gouvernement a pris toutes les décisions nécessaires pour préparer le passage de l’hiver dans les meilleures conditions.
Vous l’avez rappelé, les stocks stratégiques de gaz sont pleins en France, mais également dans toute l’Europe, sur l’initiative de notre pays, je le rappelle. Nous avons aussi procédé à une augmentation de nos capacités d’approvisionnement en gaz naturel – les stocks sont pleins, mais les terminaux continuent à acheminer du gaz à pleine capacité –, ainsi qu’à une augmentation de la puissance de certains barrages hydrauliques. Nous avons enfin préservé nos capacités de production cet été pour les réserver à l’hiver. Je ne mentionnerai pas toutes les décisions que nous avons prises pour préparer cet hiver.
Vous avez évoqué la situation d’EDF : je veux saluer ici l’accord qui a été trouvé dans l’entreprise et la reprise du travail qui a eu lieu ce week-end, pour, précisément, faire en sorte que l’on continue à remettre en état nos centrales nucléaires, afin qu’elles puissent produire cet hiver. Cela a été fait en grande responsabilité par les organisations syndicales et par la direction d’EDF.
Enfin, vous m’interrogez sur les actions en cas de risques sur le réseau. RTE, qui est notre expert en la matière, évoque des risques très limités de difficultés cet hiver si nous connaissons des températures normales.
M. le président. Il faut penser à conclure !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Nous agissons donc en fonction de ces prévisions : interruptibilité, effacement, sécurisation des interconnexions et, s’agissant du scénario ultime de coupure, un plan est activé, avec seulement deux heures d’interruption par jour. Je ne développerai pas davantage, mon temps de parole étant largement dépassé. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. François Bonneau, pour la réplique.
M. François Bonneau. Madame la ministre, permettez-moi d’insister sur les coupures de gaz qui pourraient toucher les entreprises. Il faudra que, en amont, elles soient associées à une concertation sur la durée de ces interruptions, car elles peuvent avoir des conséquences très graves pour certaines sociétés. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 2 novembre, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.)
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi ordinaire n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – 26 voix pour, 19 voix contre – à la nomination de M. Luc Rémont aux fonctions de président-directeur général d’Électricité de France.
5
Candidatures à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur le projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
6
Conventions internationales
Adoption en procédure d’examen simplifiée de quatre projets de loi dans les textes de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de quatre projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces quatre projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
projet de loi autorisant la ratification de la convention du conseil de l’europe sur la manipulation de compétitions sportives
Article unique
Est autorisée la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives, adoptée à Macolin le 18 septembre 2014, signée par la France à Strasbourg le 2 octobre 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi (projet n° 604 [2021-2022], texte de la commission n° 894 [2021-2022], rapport n° 893 [2021-2022]).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté.)
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord pour la mise en place d’un mécanisme d’échange et de partage de l’information maritime dans l’océan indien occidental et de l’accord régional sur la coordination des opérations en mer dans l’océan indien occidental
Article 1er
Est autorisée l’approbation de l’accord pour la mise en place d’un mécanisme d’échange et de partage de l’information maritime dans l’océan Indien occidental (ensemble une annexe), adopté à Balaclava le 29 avril 2018, signé par la France à Nairobi le 26 novembre 2018, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Article 2
Est autorisée l’approbation de l’accord régional sur la coordination des opérations en mer dans l’océan Indien occidental (ensemble une annexe), adopté à Balaclava le 29 avril 2018, signé par la France à Nairobi le 26 novembre 2018, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi (projet n° 407 [2021-2022], texte de la commission n° 756 [2021-2022], rapport n° 757 [2021-2022]).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté.)
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de siège entre le gouvernement de la république française et la banque des règlements internationaux relatif au statut et aux activités de la banque des règlements internationaux en france, et de l’accord de sécurité sociale entre le gouvernement de la république française et la banque des règlements internationaux
Article 1er
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’accord de siège entre le Gouvernement de la République française et la Banque des règlements internationaux relatif au statut et aux activités de la Banque des règlements internationaux en France, signé à Bâle le 13 septembre 2021, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Article 2
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et la Banque des règlements internationaux, signé à Bâle le 13 septembre 2021, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée (projet n° 848 [2021-2022], texte de la commission n° 898 [2021-2022], rapport n° 897 [2021-2022]).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
projet de loi autorisant la ratification de la convention portant création de l’organisation internationale pour les aides à la navigation maritime
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée la ratification de la convention portant création de l’Organisation internationale pour les aides à la navigation maritime (ensemble une annexe), signée à Paris le 27 janvier 2021, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 522 [2021-2022], texte de la commission n° 8, rapport n° 7).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
7
Traité de coopération bilatérale renforcée avec l’Italie
Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée (projet n° 847 [2021-2022], texte de la commission n° 896 [2021-2022], rapport n° 895 [2021-2022]).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis aujourd’hui à votre disposition pour débattre du projet de loi visant à ratifier le traité pour une coopération bilatérale renforcée entre la France et l’Italie, dit « traité du Quirinal », signé à Rome le 26 novembre 2021 et adopté par l’Assemblée nationale le 28 juillet dernier.
Le traité du Quirinal, de par sa portée générale, est d’une ampleur sans précédent pour un traité conclu avec l’Italie. Il façonnera l’histoire de la relation franco-italienne au cours des prochaines décennies. Le choix de tenir la cérémonie de signature au palais présidentiel italien, sur la colline du Quirinal, en présence des plus hautes autorités de nos deux pays a témoigné du caractère exceptionnel et historique de cet événement.
Entre-temps, un nouveau gouvernement italien a pris ses fonctions le 22 octobre dernier, sous la présidence de Mme Meloni, marquant le début d’une nouvelle phase pour l’Italie. La présidente du Conseil a pu s’en entretenir avec le Président de la République dimanche dernier à Rome.
Durant cette phase, des différences politiques s’exprimeront sans doute entre nos gouvernements – c’est légitime entre deux démocraties –, mais, nous en sommes convaincus, la France devra poursuivre l’ambition du traité du Quirinal : exploiter davantage l’immense potentiel de nos relations.
Ces relations s’appuient sur une amitié de longue date, riche d’échanges entre nos deux États, mais aussi et surtout entre nos peuples, nos sociétés civiles, nos intellectuels et nos économies, qui communiquent et interagissent naturellement depuis des siècles, parfois au sein d’un même bassin de vie.
Le traité du Quirinal vise à structurer encore davantage nos échanges et nos coopérations en instaurant un cadre institutionnel formalisé, à tous les niveaux de coopération. Depuis la signature de ce traité, ces échanges et ces coopérations ont déjà commencé à se structurer et à se renforcer à l’échelle nationale, mais aussi régionale, communale, ou encore au sein de la société civile et entre acteurs économiques.
Cette habitude de travail doit nous permettre d’approfondir nos coopérations sur les sujets d’intérêt commun. Elle vise aussi à stabiliser et à ancrer dans le temps long une relation qui a connu des hauts et des bas, au service de nos peuples et de l’Europe.
Le traité du Quirinal porte des valeurs et des objectifs profondément européens. Il nous rappelle combien les convergences entre la France et l’Italie ont constitué l’un des ciments du projet européen. Il traduit l’ambition de travailler ensemble pour faire face aux défis considérables auxquels est confrontée l’Union européenne.
L’Italie est un partenaire indispensable pour porter l’agenda de souveraineté et d’autonomie stratégique de l’Union européenne, préserver l’unité européenne et continuer de développer une réponse commune à la guerre en Ukraine.
Les coopérations bilatérales prévues par le traité ont elles aussi une dimension européenne, dans la mesure où elles contribuent à renforcer notre Union, y compris par une meilleure intégration de nos territoires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je reviendrai à présent sur quelques dispositions clés de cet accord.
Premièrement, le traité vise à approfondir notre coopération en matière de défense, dont la pertinence croît davantage encore avec le retour de la guerre sur notre continent.
Il souligne la solidarité qui lie nos deux pays en cas d’agression contre nos territoires respectifs. Si cette disposition est conforme aux engagements internationaux auxquels nous avons souscrit – charte de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), traités européens –, il s’agit néanmoins d’un symbole fort, a fortiori dans le contexte international dégradé, qui nous impose plus que jamais de renforcer notre unité.
Deuxièmement, la Méditerranée est désignée comme un espace de coopération privilégié dès le préambule du traité. Cet espace, stratégique pour nos deux pays, doit bien sûr être au cœur de la coordination franco-italienne sur de nombreux plans : en matière de politique de voisinage, de développement et d’économie bleue, de sécurité ou d’environnement. Toute notre attention doit également se porter sur cet espace dans le cadre de notre coopération bilatérale autour de la gestion de notre frontière maritime commune.
Troisièmement, s’appuyant sur une relation économique déjà intense, la France et l’Italie devront favoriser des rapprochements équilibrés entre leurs acteurs économiques. Cette proximité permettra une meilleure connaissance réciproque entre les entreprises françaises et italiennes et favorisera la présence et le développement, mutuellement bénéfique, des industries de nos deux pays dans les secteurs clés de l’autonomie stratégique européenne : le numérique, la transition écologique ou encore l’industrie spatiale.
Quatrièmement, la coopération transfrontalière transversale sera renforcée pour réaliser des projets concrets au bénéfice des habitants des régions frontalières, répondant ainsi à des enjeux de mobilité, de secours, de développement économique et de protection de l’environnement.
Un comité de coopération frontalière, inspiré du très utile modèle franco-allemand et associant les parlementaires, est institué par ce texte. Il permettra de porter des projets conjoints en levant les obstacles, souvent réglementaires, mais pas seulement, qui sont liés à la frontière.
Cinquièmement, et enfin, le rapprochement de nos jeunesses constitue un axe fort de ce traité. Nous construirons une véritable stratégie pour favoriser des liens durables entre les jeunes Français et les jeunes Italiens. Un service civique franco-italien sera ainsi mis en place : 150 volontaires effectueront, chaque année, une mobilité croisée entre la France et l’Italie. Plus largement, les mobilités des élèves, des apprentis et des étudiants seront développées.
Je n’évoquerai pas devant vous l’ensemble des dispositions de ce traité extrêmement riche, car il me faudrait pour cela bien plus que quelques minutes. J’insisterai simplement sur un point : ce traité, si vous le ratifiez, sera structurant pour l’avenir de notre relation de long terme avec l’Italie, et nous nous attacherons à sa pleine application. Il s’agit d’ailleurs d’un enjeu particulièrement important pour les populations vivant à la frontière.
En conclusion, j’évoquerai un aspect central de la relation institutionnelle franco-italienne : la diplomatie parlementaire. Il est indispensable que nos deux parlements soient pleinement impliqués dans le dialogue franco-italien.
Je sais, à cet égard, toute l’implication des présidents Jean-François Rapin et Hervé Marseille et je me réjouis de la structuration déjà avancée des relations du Sénat avec le Parlement italien. Je salue également les échanges anciens entre groupes parlementaires d’amitié de part et d’autre des Alpes, qui, j’en suis convaincue, seront de nouveau très utiles sous cette législature.
Voilà les principaux éléments que je souhaitais porter à votre connaissance, mesdames, messieurs les sénateurs, sur ce traité de coopération bilatérale renforcée entre la France et l’Italie. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gilbert Bouchet, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons le projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée.
Mieux connu sous le nom de « traité du Quirinal », cet accord a été signé dans le palais accueillant la présidence de la République italienne le 26 novembre 2021 par Emmanuel Macron et le chef du gouvernement italien, Mario Draghi, en présence du président italien Sergio Mattarella.
Ce texte a été adopté en commission le 27 septembre dernier. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a demandé que cette convention de partenariat soit débattue en procédure normale, ce que j’approuve totalement. Mais je rappelle que nous ne pouvons amender ce projet de loi : il sera soit adopté, soit rejeté par notre assemblée.
L’actualité politique italienne apporte un éclairage nouveau sur nos relations bilatérales, qui ont déjà connu des hauts et des bas ces dernières années.
Au printemps 2018, l’arrivée au pouvoir de l’alliance entre la Ligue, parti d’extrême droite, et le Mouvement 5 étoiles a fait prospérer des narratifs anti-élites et anti-européens, voire anti-français. Le summum de la crise a été atteint en janvier 2019, lorsque le vice-président du Conseil, M. Di Maio, du Mouvement 5 étoiles, a apporté son appui au mouvement des « gilets jaunes ». L’ambassadeur français, M. Christian Masset, a été rappelé en France le 7 février 2019 ; cela ne s’était jamais produit depuis 1940, lorsque Mussolini avait déclaré la guerre à la France…
Encore récemment, l’avis de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, rendu le 29 juin 2022, défavorable à la mise à exécution des demandes d’extradition de dix anciens militants d’extrême gauche pour « faits de terrorisme » a fortement ému l’opinion publique italienne. Les propos tenus par le Président de la République française et l’annonce d’un pourvoi en cassation par le parquet ont eu un fort effet d’apaisement en Italie, à quelques jours seulement de la ratification du traité du Quirinal par le Sénat italien.
La constitution d’une nouvelle coalition composée du Mouvement 5 Étoiles et du Parti démocrate à l’été 2019, puis l’arrivée de Mario Draghi à la présidence du Conseil en février 2021, ont relancé le processus du traité du Quirinal.
Les excellentes collaborations bilatérales entre la France et l’Italie, soutenues par différents secteurs de la société civile, ont également contribué au rapprochement, aboutissant à la signature du traité le 26 novembre 2021.
Les domaines de coopération prévus par le traité sont particulièrement étendus : affaires étrangères, sécurité et défense, affaires européennes, politiques migratoires, justice et affaires intérieures, coopération économique, industrielle et numérique, droits sociaux, développement durable, espace, enseignement et recherche, culture et jeunesse, enfin coopération transfrontalière.
Les objectifs de coopération sont précisés et déclinés de manière plus opérationnelle dans une feuille de route révisable chaque année en fonction de l’évolution des priorités et de l’environnement international et européen, dont la première version a été signée en même temps que le traité.
Plusieurs mécanismes de consultation et de coopération sont prévus par le traité, afin de développer une culture administrative commune et des habitudes de consultation qui favoriseront l’émergence d’un « réflexe franco-italien ».
Ce rapprochement sera favorisé par les formats de consultation réguliers inscrits dans le traité pour tous les domaines.
Un comité stratégique paritaire composé des secrétaires généraux des ministères des affaires étrangères assurera l’application du traité, qui tend à aménager des espaces d’échanges interministériels et administratifs.
Sur le plan gouvernemental sont notamment prévus la relance du Conseil franco-italien de défense et sécurité, un forum de concertation économique, des réunions bilatérales annuelles pour différents ministres, ou encore un dialogue sur les transports. De plus, chaque trimestre, un membre du gouvernement de l’un des deux États prendra part au conseil des ministres de l’autre État.
Sur le plan administratif, plusieurs instances de concertation thématiques seront créées, par exemple en matière de migrations et d’asile ou de sécurité intérieure. Des échanges de fonctionnaires seront également permis.
En ce qui concerne les sociétés civiles, un Conseil franco-italien de la jeunesse sera constitué et un service civique franco-italien mis en place.
Ce réflexe franco-italien se traduira également sur le plan européen : l’article 3 du traité prévoit que les deux États présenteront des positions communes, notamment en ce qui concerne le recours à la majorité qualifiée étendue ou l’adoption de nouvelles règles budgétaires. La feuille de route mentionne d’ailleurs expressément la révision du pacte de stabilité.
Le sujet de la réforme de la politique européenne migratoire et d’asile a fait l’objet de négociations plus soutenues. Un compromis a été trouvé : « Travailler ensemble à une réforme en profondeur et à une mise en œuvre efficace de la politique migratoire et d’asile européenne. »
En outre, le texte comporte un volet parlementaire : en préambule sont reconnues « l’importance et la vitalité de la coopération entre leurs parlements respectifs et le rôle que la diplomatie parlementaire joue dans les liens entre leurs pays ». S’agissant de cette dernière, il est d’ailleurs prévu de la « renforcer à travers des formes de coopérations permanentes, notamment entre [les] commissions respectives [des chambres] ».
L’Assemblée nationale et la Chambre des députés ont d’ailleurs déjà conclu un protocole de coopération, le 29 novembre 2021.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a pour sa part organisé un déplacement en Italie, du 1er au 4 décembre 2021, mené par le président Christian Cambon et au cours duquel la conclusion d’un accord de coopération avec le Sénat italien a été évoquée.
Un traité comme celui du Quirinal est très rare en Europe : il s’agit seulement du second traité bilatéral signé par la France après celui de l’Élysée, paraphé avec l’Allemagne en 1963 et complété en 2019 par celui d’Aix-la-Chapelle.
Le traité du Quirinal a été ratifié en Italie par la Chambre des députés le 25 mai et par le Sénat le 5 juillet, à chaque fois à une très large majorité. Au Sénat italien, seuls les sénateurs d’opposition du groupe Fratelli d’Italia et quelques non-inscrits antieuropéens dissidents du Mouvement 5 étoiles ont voté contre – 21 voix – ou se sont abstenus – 5 voix.
En France, l’Assemblée nationale s’est prononcée à l’unanimité des suffrages exprimés pour sa ratification, le 28 juillet 2022. Le Sénat français est donc la dernière chambre à être saisie du projet de loi.
La coïncidence entre l’examen par le Sénat du présent projet de loi et l’investiture de Giorgia Meloni comme présidente du Conseil nous pousse à nous interroger sur la volonté de cette dernière de mettre en œuvre le traité du Quirinal.
En effet, on s’en souvient, ce sont majoritairement les parlementaires de son parti, Fratelli d’Italia, qui ont voté contre la ratification du traité. Leur principal argument était qu’ils avaient été tenus dans l’ignorance du texte. Ils ajoutaient que, en tant que parti d’opposition, ils ne pouvaient signer un chèque en blanc au gouvernement. De façon plus implicite, ils considéraient le traité comme servant avant tout les intérêts français.
Dans un récent entretien, Georgia Meloni expliquait ne pas être convaincue par l’idée de poursuivre l’intégration européenne au moyen de traités bilatéraux, mais que, « maintenant que le traité est en vigueur et nous donne un cadre, il appartient aux gouvernements et aux hommes politiques de lui donner un contenu ».
On peut constater que, à l’approche du pouvoir, Giorgia Meloni a mis de l’eau dans son vin. Sa coalition promettait ainsi, dans son programme, le « respect des alliances internationales, des engagements envers l’Alliance atlantique et du soutien à l’Ukraine face à l’invasion de la Fédération russe ». Elle a d’ailleurs été la seule à soutenir sans ambiguïté le gouvernement Draghi sur le plan international et sur l’envoi d’armes à l’Ukraine.
En outre, elle a exprimé son souhait d’une Europe plus stratégique et géopolitique, au sein de laquelle l’Italie devra prendre toute sa place.
Les récents propos tenus par Sylvio Berlusconi sur sa proximité avec Vladimir Poutine ont pu choquer, mais les élections des présidents des chambres et les nominations ministérielles ont montré que la coalition était dominée par Giorgia Meloni. Le fondateur de Forza Italia ne pèse sans doute pas autant qu’il l’affirme.
Enfin, si des positions divergentes affleuraient sur différents sujets, ne devrions-nous pas capitaliser sur ce qui pourrait nous rapprocher ?
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Si, bien sûr !
M. Gilbert Bouchet, rapporteur. La mise en œuvre du traité du Quirinal, notamment dans les secteurs de l’armement et de l’espace, pourra à ce titre jouer le rôle d’un test pour nos relations bilatérales.
La visite d’Emmanuel Macron à Rome le week-end dernier, à l’occasion du Forum pour la Paix, marque sa volonté de maintenir le dialogue et son respect pour le choix démocratique des Italiens.
Pariant sur la victoire du réalisme sur l’idéologie, je préconise l’adoption de ce projet de loi autorisant la ratification du traité du Quirinal, sur lequel, je vous le rappelle, le Sénat est la dernière des quatre chambres concernées à se prononcer. (Applaudissements.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Marseille. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit également.)
M. Hervé Marseille. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant de commencer, permettez-moi de saluer Son Excellence Mme Emanuela d’Alessandro, nouvelle ambassadrice d’Italie en France, qui nous fait l’honneur de sa présence dans la tribune présidentielle de notre hémicycle. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
Connu sous le nom de « traité du Quirinal », le traité de coopération bilatérale renforcée entre l’Italie et la France a fait l’objet de nombreuses et longues négociations.
Après une crise diplomatique et une crise sanitaire, il a finalement été conclu le 26 novembre dernier au palais du Quirinal et vient sceller une relation dense et privilégiée, une longue amitié entre nos deux pays.
Comme vous le savez, l’Italie et la France font partie des pays fondateurs de la communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), puis de la Communauté européenne économique (CEE) – nous voyons bien que l’Europe, depuis son origine, c’est aussi l’énergie.
Le traité de Rome, signé en 1957 dans la capitale italienne, illustre le rôle essentiel joué par l’Italie dans la construction du projet européen. Nos échanges politiques avec l’Italie existent depuis longtemps, et des sommets bilatéraux ont été organisés sur différents sujets.
Pour autant, le manque de cadre et d’habitudes dans les relations politiques et administratives entre nos deux États expose trop dangereusement les relations bilatérales aux variations de majorité, tant en Italie qu’en France.
La ratification permettra à nos représentants respectifs d’afficher sur les scènes internationale et européenne des positions mieux accordées, donc plus influentes.
Le traité du Quirinal s’inscrit dans l’esprit du traité de l’Élysée de 1963. Celui-ci avait posé les jalons du couple franco-allemand, offert une base solide à une coopération régulière et lancé un dialogue systématique entre l’Allemagne et la France.
La France et l’Italie comptent 515 kilomètres de frontières communes. Elles partagent à la fois des espaces naturels, des infrastructures et des bassins de vie. Les enjeux de cet espace frontalier sont donc multiples : sécurité, environnement, économie ou encore transport de voyageurs et de marchandises.
L’objectif du traité du Quirinal est simple : organiser la relation bilatérale en lui donnant un cadre et des orientations stratégiques qui permettront de l’inscrire dans la durée.
Les négociations, entamées dès 2018, avaient alors montré la grande proximité de nos deux gouvernements et notre convergence sur de nombreux objectifs, notamment européens.
Je rappellerai quelques propositions essentielles et concrètes formulées dans le traité.
La politique étrangère qui sera menée aura vocation à stabiliser et à préserver la mer Méditerranée occidentale et orientale et s’appuiera sur une meilleure concertation de nos pays pour la défense de positions communes au sein de l’Otan et de l’Union européenne.
La politique de défense instaurera une collaboration stratégique étroite et de haut niveau, impliquant une assistance mutuelle en cas d’agression sur le territoire de l’un des deux États.
Le traité vise également à promouvoir une politique de sécurité, au travers de la création d’une unité opérationnelle franco-italienne, afin de mieux coordonner les actions contre les réseaux d’immigration clandestine, la criminalité, la corruption et la fraude. Je rappelle combien l’Italie, sur le plan de l’immigration, a souvent été abandonnée à elle-même : nous devons accompagner ses efforts.
Une politique agricole privilégiera et protégera la qualité des produits, les appellations d’origine protégée (AOP) ou les indications géographiques protégées (IGP).
Un service civil commun pour les jeunes sera instauré.
De plus, les ministres des deux pays seront invités aux conseils des ministres de chaque côté des Alpes, sur le modèle du traité d’Aix-la-Chapelle.
Le traité comporte également un volet parlementaire, en reconnaissant l’importance de la coopération entre nos parlements respectifs – je vous remercie, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, de l’avoir souligné dans vos propos liminaires.
Le 25 septembre dernier, les Italiens ont choisi de placer à la tête de leur pays Mme Giorgia Meloni. Cette dernière avait déclaré à propos du traité du Quirinal que cet accord n’était pas démocratique, car le Parlement italien n’avait pas été consulté, et qu’il servait d’abord les intérêts français. Elle avait même dénoncé un « impérialisme français ». De même, lors de l’examen de la ratification au Sénat italien, le parti Fratelli d’Italia et ses alliés ont voté contre la ratification ou se sont abstenus.
Nous considérerons qu’il ne s’agissait que de péripéties de campagne, même si elles étaient préoccupantes.
Si la position initiale de Giorgia Meloni peut faire naître des doutes sur l’application du traité, des signes encourageants ont été donnés depuis lors. Ainsi, hier, lors de sa déclaration de politique générale, la présidente du Conseil italien a rappelé, à dessein, que l’Italie faisait pleinement partie de l’Europe et qu’elle souhaitait une intégration européenne plus efficace.
Madame la secrétaire d’État, le Président de la République a rencontré Mme Meloni lors de son déplacement en Italie le week-end dernier – je considère que c’est une bonne chose. Le sujet européen a-t-il bien été évoqué lors de leurs échanges ? La mise en œuvre du traité est-elle bien à l’ordre du jour des agendas politiques respectifs ? Peut-être pourrez-vous nous éclairer sur cet aspect des choses. Vous l’avez compris, le groupe Union Centriste appelle de ses vœux toute action en ce sens.
À l’heure où les équilibres mondiaux sont bouleversés et où la guerre a fait son retour sur le sol européen, il est plus que nécessaire de sceller durablement entre la France et l’Italie une coopération historique porteuse d’ambitions communes.
L’impulsion décisive du gouvernement de M. Draghi et le précieux concours du président Mattarella ont abouti au traité du Quirinal. Il ne doit pas être entravé, pour le bien de l’Union européenne auquel nos deux pays travaillent depuis longtemps.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera en faveur de la ratification du traité de coopération entre la France et l’Italie. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Guiol. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. André Guiol. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons approuver aujourd’hui la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée.
Il y a quelques mois, cette étape n’aurait pas suscité beaucoup de commentaires. Bien que tumultueuses à la fin de la dernière décennie, nos relations avec l’Italie ont depuis lors connu une embellie. C’est d’ailleurs dans ce contexte d’apaisement diplomatique entre Paris et Rome que le traité dit « du Quirinal » a pu être signé, sans ambages, le 26 novembre 2021.
Oui, mais voilà : les récentes élections législatives en Italie ont porté au pouvoir Giorgia Meloni. La situation politique italienne, source d’inquiétudes, justifie à elle seule, disons-le, notre débat d’aujourd’hui.
L’appartenance de la Première ministre au parti d’extrême droite Fratelli d’Italia et sa prétendue admiration pour Mussolini ont de quoi susciter des interrogations… J’ajouterai que les déclarations pro-poutiniennes de certains membres de son équipe gouvernementale et les discours conservateurs de certains autres font peser une menace sur les valeurs auxquelles la France est attachée.
Pour autant, ne devons-nous pas dissocier le traité, qui est un engagement de long terme entre la France et l’Italie, de la nouvelle donne politique italienne, qui, elle, est conjoncturelle par nature ? Les dirigeants passent, les traités restent…
Parce qu’il engage nos deux pays sur la voie d’une coopération étroite dans de nombreux domaines, ce traité n’est-il pas, d’une certaine façon, l’un des moyens de maintenir l’Italie dans le giron de la démocratie ?
Je pense aux dispositions visant à multiplier les échanges entre nos administrations, ainsi que les partenariats entre nos économies et nos territoires – ceux qui sont transfrontaliers, en particulier. Je pense également à l’article 9, qui place la jeunesse au cœur de la relation franco-italienne, ou encore aux engagements pris dans le domaine de la défense pour renforcer les coopérations capacitaires et opérationnelles, spatiales et industrielles.
Tous ces volets devraient permettre de conforter notre amitié avec l’Italie, un pays avec lequel, rappelons-le, nous avons la culture latine en partage.
Ce traité est aussi un levier pour développer une vision européenne commune, comme le rappelle son article 3, selon lequel les deux États « œuvrent ensemble pour une Europe démocratique, unie et souveraine et pour le développement de l’autonomie stratégique européenne ».
À cet égard, la Première ministre italienne a donné des gages à Bruxelles, puisqu’elle a rappelé hier devant les députés que l’Italie faisait pleinement partie de l’Union européenne et de l’Otan. « On va juger un peu sur les actes », pour reprendre la formule employée par le Président de la République, dimanche dernier. Nous verrons, mais nous pouvons parier que, en raison de sa dépendance économique au plan de relance européen – près de 200 milliards d’euros – à la suite de la pandémie, Rome ne s’éloignera guère de l’Europe, car tel n’est pas son intérêt.
Il est de la responsabilité de l’Union européenne, en retour, d’appréhender davantage les défis qui, parfois, mettent à l’épreuve la cohésion européenne. Je pense en particulier à la question migratoire, à laquelle les pays européens bordant la Méditerranée, placés en première ligne, doivent faire face. Le traité bilatéral entre la France et l’Italie qui nous occupe aujourd’hui inclut ce sujet. C’est une bonne chose, surtout si notre pays arrive à imposer les valeurs qui sont les siennes.
Mes chers collègues, ce traité laisse entrevoir, au moins sur le papier, un approfondissement de la coopération franco-italienne. Mais il nous faudra être vigilants sur son application, car ceux qui dirigent l’Italie aujourd’hui n’ont pas voté en faveur du traité lorsqu’ils étaient dans l’opposition. En attendant, il conviendra de tirer tout le monde vers le haut, si j’ose dire, et d’autoriser la ratification de ce traité approuvé à l’unanimité par nos collègues députés.
Enfin, maintenons notre confiance dans le peuple italien, car il nous faut garder à l’esprit leurs bonnes intentions originelles et nous souvenir, en signe d’espoir, d’où vient le chant Bella Ciao.
C’est pourquoi mon groupe approuvera ce projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Raimond-Pavero. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Isabelle Raimond-Pavero. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, rares sont les nations dont on peut dire, sans emphase excessive, qu’elles sont des nations sœurs. L’Italie et la France, sans conteste, en font partie.
Au fil du temps, nos relations ont naturellement connu bien des vicissitudes, et nos contacts ont été aussi fructueux que tumultueux. Comment, en vingt siècles d’histoire partagée, pourrait-il en être autrement ?
Compte tenu de la richesse de notre passé commun, dresser un inventaire exhaustif des influences que chaque pays ou société a exercées sur l’autre serait un exercice sans doute impossible. La profondeur des liens qui nous unissent se retrouve d’ailleurs jusque dans le Palais du Luxembourg où nous siégeons : il fut construit dans un style italien, pour une reine de France venue d’Italie. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Gattolin. Tout à fait !
Mme Isabelle Raimond-Pavero. Retenons simplement que si, tout au long de l’histoire, des guerres ont pu nous opposer et des différends nous éloigner, la culture nous a toujours rapprochés. Elle est le terreau d’une relation qui trouve ses moteurs dans une géographie commune, dans des liens économiques profonds et dans une nécessité de répondre ensemble aux défis contemporains.
Ainsi, nous partageons plus de 500 kilomètres de frontières alpines et une partie de la mer Méditerranée, où nous sommes confrontés aux mêmes enjeux environnementaux, migratoires et stratégiques. À la faveur des 82 milliards d’euros d’échanges de biens et de services en 2019, la France et l’Italie sont l’une pour l’autre des partenaires commerciaux de tout premier plan.
Jusqu’à présent, le rapport, évident et naturel, que nous entretenons avec nos voisins transalpins ne s’est traduit par aucun traité d’amitié ou de coopération globale.
Le texte qui nous est soumis aujourd’hui tend à combler ce manque. Il sanctuarise en quelque sorte notre relation, la structure et la met en valeur, avec, en filigrane, l’ambition de la hisser au niveau de celle que nous entretenons avec l’Allemagne. Nos deux pays, ainsi que l’Union européenne qu’ils ont contribué à fonder, ont naturellement tout à y gagner.
Certes, nous sommes appelés à en autoriser la ratification au lendemain des élections parlementaires du 25 septembre 2022, qui ont vu les citoyens italiens placer en tête de leurs suffrages une coalition qui suscite des interrogations et, parfois, des inquiétudes.
Toutefois, permettez-moi de souligner que le peuple italien s’est exprimé souverainement et que son choix doit évidemment être respecté. Gardons-nous d’utiliser l’examen du traité du Quirinal pour adresser un message, voire une sanction, aux électeurs italiens ou au gouvernement qu’ils ont choisi et qui vient à peine de se constituer.
Au reste, ce texte réaffirme des valeurs essentielles et n’a pas vocation à créer des obligations réciproques. Il a pour ambition de proposer une matrice, afin de développer un « réflexe franco-italien » et de renforcer, par les échanges, la compréhension réciproque de nos sociétés et la coopération entre nos institutions.
C’est bien aux gouvernements, actuels et futurs, aux administrations, aux collectivités et aux sociétés civiles situées des deux côtés des Alpes qu’il appartiendra de faire vivre, ou non, le cadre posé par ce traité. Celui-ci est appelé à se déployer dans nombre de domaines : affaires étrangères, sécurité, défense, politique migratoire, économie, enseignement, culture et coopération transfrontalière.
La France et l’Italie ont des choses à se dire, à partager et à apporter à l’Union européenne dans son ensemble. Je pense en particulier aux dispositions concernant la sécurité et la défense. Dans le contexte actuel, dont nous débattons encore ce soir, il n’est nul besoin de rappeler qu’il s’agit d’un domaine fondamental, pour ne pas dire vital.
Nous faisons face à de nombreux défis et à de nouvelles crises dans le bassin méditerranéen. Cette situation et cette période d’instabilité où les enjeux sont considérables traduisent l’exigence et la nécessité de renforcer notre coopération pour la sécurité de l’Union européenne.
Nous bénéficions de convergences réelles, en particulier notre souci constant à l’égard de la Méditerranée et de tout ce qui affecte la stabilité de ses rives. Cet aspect figure d’ailleurs en bonne place au sein du traité.
Toutefois, nous pourrions rapprocher davantage nos visions stratégiques, qui ne sont pas toujours synchrones. À titre d’exemple, si la réflexion sur l’autonomie stratégique progresse en Italie également, j’ai pu constater lors d’un déplacement à Rome à la fin de l’année dernière que nous ne mettions pas forcément les mêmes éléments derrière ce concept. Nos coopérations industrielles et opérationnelles, intenses, mais limitées à une poignée de secteurs, mériteraient également d’être élargies.
Je me réjouis donc que le traité et sa feuille de route institutionnalisent un dialogue stratégique soutenu et qu’ils mettent l’accent sur les synergies capacitaires et opérationnelles, ainsi que sur les alliances à développer entre nos industries de défense.
Saluons en outre la volonté d’avancer ensemble dans le secteur spatial, qui est si stratégique. Nos liens sont déjà nombreux en la matière, mais nous devrons immanquablement apprendre à mieux unir nos forces avec cet autre poids lourd européen du secteur spatial, si nous voulons faire face à une concurrence internationale de plus en plus rude.
Il était également important que le traité aborde les questions migratoires, qui ont été un point de discorde majeur ces dernières années, conduisant parfois à la brouille diplomatique.
Elles ne sont pas éludées, même si, il faut bien le reconnaître, elles sont traitées de façon assez sommaire. Retenons qu’un mécanisme de concertation renforcée est créé au niveau ministériel et que celui-ci pourra s’appuyer sur une unité opérationnelle conjointe.
Nos mésententes passées l’ont prouvé : en Méditerranée comme dans les Alpes, nous ne trouverons pas de solution efficace sans concertation. Notre groupe restera bien sûr extrêmement attentif aux évolutions de la situation migratoire sur le terrain, mais ces nouveaux dispositifs sont en soi un progrès.
Je dirai un mot enfin sur la jeunesse. Nous savons tout le rôle qu’a joué l’Office franco-allemand pour la jeunesse (Ofaj) dans le resserrement des liens entre la France et l’Allemagne. Depuis soixante ans, près de 10 millions de jeunes ont pu, grâce à cette structure, participer à des programmes d’échange, faisant ainsi de la coopération franco-allemande une relation humaine, et pas seulement institutionnelle.
Dans ce domaine, les échanges transalpins ne partent pas d’une page blanche, loin de là ! Mais la création par ce traité d’un Conseil franco-italien de la jeunesse et d’un service civique franco-italien viendra accélérer et amplifier les contacts noués par ceux qui feront l’avenir de nos deux pays.
C’est peut-être la réussite de ce type de dispositifs qui, finalement, offrira le meilleur gage de succès du traité du Quirinal, car, au-delà des inévitables fluctuations de toute relation bilatérale, c’est bien le lien profond entre nos deux peuples qui permettra à ce texte de résister à l’épreuve du temps.
L’expérience passée nous incite à l’optimisme. Nous avons aujourd’hui l’occasion solennelle de réaffirmer et de consolider l’amitié profonde que se portent les nations française et italienne. Le groupe Les Républicains la saisira et soutiendra la ratification de ce traité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. André Gattolin et Thierry Cozic applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la France et l’Italie entretiennent une relation de très longue date, en raison de la proximité de nos deux pays, mais également de notre histoire commune.
Au temps des Gaulois et des Romains, nos cultures s’influençaient déjà. Nos pays ont connu ensemble la Renaissance – le Palais du Luxembourg n’en est-il pas l’un des exemples ? Cette relation est, pour ainsi dire, l’une des composantes les plus essentielles de notre civilisation. Plus récemment, nous avons construit, ensemble, l’Union européenne – nous faisons tous les deux parties des six pays fondateurs.
Le 25 septembre dernier, Mme Giorgia Meloni a remporté les élections parlementaires en Italie. Cette nouvelle donne politique est particulièrement inquiétante dans le pays qui a vu naître le fascisme. L’Italie n’est cependant pas un cas isolé. D’autres élections dans l’Union européenne illustrent la progression de l’extrémisme politique. C’est ainsi que, en France, répartis entre la gauche et la droite, les extrêmes sont arrivés en tête du premier tour de l’élection présidentielle. Il souffle sur l’ensemble des pays européens un vent de radicalité.
Néanmoins, chaque peuple est souverain. Le peuple italien a voté. Il faut respecter le résultat de ce scrutin, même si cela ne nous empêche pas de combattre les idées qui ont conduit à la victoire de Mme Meloni. Les membres du groupe Les Indépendants ont toujours lutté contre les extrémismes. Ils regrettent que ce ne soit pas le cas de toutes les formations politiques de notre pays.
Nous sommes convaincus que l’avenir des peuples européens se trouve dans l’Union. C’est pourquoi nous sommes favorables aux initiatives qui renforcent la coopération entre les États, au travers de laquelle nous pouvons faire vivre nos idées et nos valeurs.
Le traité signé le 26 novembre 2021 avec la République italienne concerne un très grand nombre de sujets. Il resserre la coopération de nos deux pays dans des domaines majeurs : les affaires étrangères, la défense, la justice ou encore les politiques migratoires.
Il s’agit de sujets essentiels pour nos deux pays. Nous avons besoin de travailler ensemble pour avancer sur nombre de ces enjeux. Au-delà de ces sujets régaliens, le traité concerne également l’économie et le développement durable, qui sont deux des priorités les plus importantes de nos pays et de nos peuples. C’est grâce à notre coopération que nous pourrons améliorer la situation de nos concitoyens et de nos entreprises.
Ce traité ne se concentre pas seulement sur l’amélioration de l’existant : il prépare l’avenir en renforçant la coopération de nos pays sur des sujets de pointe, comme le numérique ou l’espace. Nos deux pays se donnent les moyens de bâtir un avenir meilleur.
Cependant, nous serons particulièrement attentifs aux évolutions politiques de notre voisin. La nouvelle donne politique en Italie ne correspond pas à nos valeurs. Une vigilance constante s’impose tant sur les sujets de politique intérieure que sur ceux qui sont relatifs aux institutions européennes.
Nous pensons que cela ne doit tout de même pas nous détourner de la coopération. L’Italie et la France ont besoin l’une de l’autre, car c’est en travaillant ensemble que nous pourrons faire rayonner nos idées et nos valeurs.
Le traité signé est tout à fait conforme à notre conviction selon laquelle nous avons besoin de plus d’Union européenne et d’une meilleure intégration. L’ensemble des membres de notre groupe votera donc en faveur de la ratification de ce traité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Julien Bargeton. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe écologiste a demandé, pour deux raisons, le retour à la procédure normale pour le vote du projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération bilatérale entre la France et l’Italie, dit « traité du Quirinal ».
Tout d’abord, il s’agit seulement du second traité de cette nature signé par la France avec un pays européen, le précédent étant le traité de l’Élysée signé en 1963 par le président de Gaulle et le chancelier Adenauer. Ce traité a jeté les bases du couple franco-allemand, qui est aujourd’hui encore, en dépit des tensions actuelles, le moteur de la construction européenne. Ce traité, dont le Parlement doit autoriser la ratification au moyen du projet de loi qui nous est soumis, est donc un acte politique extrêmement fort du pouvoir exécutif.
Ensuite, ce traité a été signé par les présidents Macron et Draghi alors que l’Italie vit un tournant de son histoire politique – curieusement, vous en avez peu parlé, madame la secrétaire d’État –, en raison de la victoire de la coalition entre l’extrême droite et la droite qui a permis l’accession de la dirigeante fasciste Giorgia Meloni à la présidence du conseil des ministres.
Cette victoire de l’extrême droite dans l’un des pays fondateurs de l’Union européenne est un moment d’une gravité extrême. Elle doit émouvoir tous les républicains que nous sommes. Disons-le clairement : elle est en grande partie le résultat d’un échec de la politique communautaire.
C’est tout d’abord l’échec des politiques d’austérité qui ont prévalu après la crise économique de 2008, appauvrissant et affaiblissant considérablement les pays du sud de l’Europe.
C’est ensuite l’échec de notre politique migratoire, notamment des règlements Dublin I, II et III, qui, en refusant le droit de libre installation des personnes migrantes et en forçant l’enregistrement des demandes d’asile dans le premier pays européen visité, ont laissé les pays méditerranéens, au premier rang desquels l’Italie, répondre seuls au défi migratoire.
N’exonérons pas les dirigeants italiens – je pense surtout au triste sire Berlusconi – de leurs responsabilités, mais reconnaissons celles de la France et de l’Union européenne. L’ironie, c’est que si nous avions conclu et appliqué ce traité du Quirinal il y a vingt ans, nous aurions sans doute évité à l’Italie de sombrer dans l’abîme fasciste.
Les ambitions affichées en matière de souveraineté économique, notamment industrielle, l’objectif de « soutenir une politique européenne de migration et d’asile et des politiques d’intégration fondées sur les principes de responsabilité et de solidarité partagées entre les États membres, et prenant pleinement en compte la particularité des flux migratoires à leurs frontières respectives », ainsi que les dispositions favorisant la construction d’un « réflexe franco-italien », permettent à Rome de sortir de son relatif isolement sur la scène européenne.
Nous avons bien conscience que prolonger l’isolement du gouvernement italien n’endiguera en rien la montée du nationalisme et de l’euroscepticisme qui ont permis la victoire de l’extrême droite. Nous ne voulons pas rejeter ce traité, qui porte en lui une ambition historique pour l’amitié franco-italienne.
Néanmoins, aujourd’hui, à l’heure où les héritiers de Mussolini ont pris le pouvoir, le préalable à toute coopération franco-italienne renforcée doit être l’intransigeance absolue sur le respect de la démocratie, des droits fondamentaux, des droits des femmes et des droits des minorités.
Aussi, nous vous demandons les garanties et les précisions qui nous semblent nécessaires, surtout après votre intervention, madame la secrétaire d’État.
La France suspendra-t-elle l’application du traité si ces droits sont bafoués ? Refusera-t-elle de remettre à la justice italienne des militants antifascistes qui, victimes de la répression politique, se réfugieraient sur son sol ? Envisage-t-elle d’organiser chaque année un sommet intergouvernemental avec un pouvoir fasciste ? Souhaite-t-elle poursuivre la normalisation de l’extrême droite que le Président de la République semble avoir entamée dimanche soir dernier ?
Ce traité est historique ; sa portée symbolique est exceptionnelle. Aussi, au regard du contexte politique actuel, nous avons besoin de garanties fermes du Gouvernement pour nous prononcer en faveur de sa ratification ; à défaut, nous serions contraints de nous abstenir. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est non sans émotion que je prends aujourd’hui la parole pour exprimer la totale adhésion du groupe RDPI à ce traité franco-italien de coopération, déjà ratifié par les deux chambres italiennes, ainsi que par l’Assemblée nationale en juillet dernier.
Mon émotion est personnelle, bien qu’elle soit partagée par ceux d’entre nous, nombreux, qui ont des ascendances transalpines. Ceux-là vivent avec amertume les montagnes russes qui, trop souvent, régissent les relations entre nos deux pays et parfois entre nos deux peuples.
Mes deux grands-pères ont quitté l’Italie il y a près d’un siècle pour fuir le fascisme. Ils se sont vite intégrés, ont trouvé épouse ici en France et ont choisi de ne pas apprendre la langue de Dante à leurs enfants. L’Italie est longtemps restée une blessure familiale. Lorsque j’ai voulu étudier l’italien au collège, ma mère a décrété que, non, ce serait l’allemand – la langue, selon elle, des bons élèves.
C’est à l’âge adulte que j’ai finalement découvert le pays de mes aïeux, sa culture, sa langue, allant jusqu’à adhérer à cet Ovni politique qu’est le Partito Radicale de feu Marco Pannella. Concrètement, c’est grâce au biculturalisme qui s’est avivé en moi que j’ai véritablement saisi l’enjeu fondamental de la construction européenne.
J’ai compris que l’Union européenne, toute formidable avancée qu’elle fut et qu’elle demeure, ne pouvait pas tout. J’ai également compris que les leviers les plus essentiels pour bâtir un authentique vivre ensemble européen, c’est-à-dire la culture, l’éducation et l’agir politique, demeuraient des compétences nationales. Elles étaient donc trop peu partagées entre les États membres.
Les dépenses publiques en faveur de l’enseignement et de la culture, qui pèsent en moyenne plus de 5 % de nos PIB nationaux respectifs, ne représentent qu’à peine 1,4 % du budget global de l’Union européenne, qui, rappelons-le, n’équivaut lui-même qu’à un peu plus de 1 % du PIB de l’ensemble des pays européens !
Vivre en Européen ne se décrète pas. On peut vivre sous le même toit, européen, et ne pas s’aimer. C’est le cas quand nous ne voyons pas ce qu’autrui tient de nous en lui, et réciproquement.
Au-delà des guerres et des rivalités qui nous ont déchirés, il est urgent aujourd’hui de retrouver les longs fils souvent oubliés de notre histoire et de notre culture commune, pour construire ensemble un destin partagé. Après les horreurs du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale, la réconciliation franco-allemande a été le plus important défi de l’Europe des décennies qui ont suivi : ce qui paraissait impensable en 1945 s’est bel et bien réalisé. Sans cette réconciliation, jamais la réunification allemande et l’ouverture de l’Union à son flanc est n’eurent été possibles.
Le traité de l’Élysée de 1963 instaurant une coopération renforcée dans les domaines de la diplomatie, de la jeunesse et de la culture a joué un rôle majeur dans le processus de rapprochement avec l’Allemagne.
Il est clair que nous n’avons que trop attendu pour avoir une approche similaire avec l’Italie, qui est notre second partenaire économique et surtout le pays avec lequel notre filiation historique et culturelle est la plus ancienne et la plus intense !
À l’heure où la guerre sévit de nouveau en Europe et où les relations internationales se brutalisent, il devient impératif d’apaiser nos querelles de cousinage et de voisinage et de raviver les liens qui nous unissent.
Le traité qui nous est aujourd’hui proposé est bien plus ambitieux que celui de l’Élysée, tant les domaines de coopération envisagés sont vastes et nombreux. Bien sûr, sa mise en œuvre effective importera davantage que le symbole de sa ratification.
Certes, l’Italie vient de se doter d’un gouvernement dont la principale composante politique, Fratelli d’Italia, est la seule formation qui s’est opposée à sa ratification. Toutefois, le réalisme, plus encore que l’optimisme, me conduit à penser qu’avoir une posture dans l’opposition est une chose, mais que se trouver en situation de responsabilité en est une autre. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Vallini. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. André Vallini. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les propos de notre collègue Gattolin m’ont touché.
Je partage comme lui des origines italiennes. Je n’aurai pas son lyrisme – j’en serais bien incapable – pour dire à quel point ce moment est important pour la très nombreuse communauté française d’origine italienne. Lorsque l’on parle en dernier – ou en avant-dernier, ma chère collègue Assassi – l’inconvénient est que tout a été dit, ou à peu près, sur le contenu du traité (Mme Éliane Assassi approuve.), notamment sur ses dimensions bilatérale et européenne.
Je me concentrerai donc sur l’une des questions qui nous occupent tous ce soir : que va-t-il advenir de ce traité dans les prochains mois et années ? Il peut rester un simple parchemin – une lettre morte, sans aucune conséquence – ou, à l’inverse, servir de tremplin à une véritable coopération approfondie entre nos deux pays – c’est ce que nous souhaitons et que nous défendrons.
La France et l’Italie sont deux importants partenaires commerciaux. La France est la deuxième destination des étudiants italiens en échange à l’étranger et le deuxième pays d’origine des étudiants en échange en Italie. Le Medef, le Mouvement des entreprises de France, et le patronat italien ont des liens très étroits. Et nos relations culturelles et universitaires sont très intenses.
Bien sûr, la droite, et non pas l’extrême droite – en Italie, la droite correspond à l’extrême droite en France, tandis que la droite française équivaut au centre droit italien –, a gagné les élections. Elle ne s’est guère montrée francophile jusqu’à présent. Comme plusieurs intervenants l’ont souligné, le parti de Mme Meloni, Fratelli d’Italia, a voté contre ce traité.
La Ligue aussi a voté contre, considérant qu’il servait avant tout les intérêts français. Il faut d’ailleurs prendre conscience que, d’après les sondages, près de 40 % des Italiens éprouvent de l’antipathie pour la France. Oui, de l’antipathie… Ils nous reprochent notre « suffisance », voire notre « arrogance », selon leurs propres termes. Ce sentiment est partagé par d’autres peuples européens.
Il suffit, du reste, d’observer le traitement médiatique qui a été réservé des deux côtés des Alpes au traité du Quirinal : on en a beaucoup parlé en Italie, comme d’un événement très important ; on l’a à peine évoqué en France – vingt secondes au journal de vingt heures, et encore.
Que va faire le nouveau gouvernement italien de ce traité ? On entend souvent le terme « postfasciste » – j’ai même entendu « fasciste » dans la bouche de mon prédécesseur à cette tribune, Guillaume Gontard – pour décrire Mme Meloni. C’est un peu rapide.
Certes, sa trajectoire s’inscrit dans l’histoire du mouvement néofasciste, le MSI italien, et une partie de son entourage et de ses électeurs revendiquent la filiation mussolinienne, à commencer par le président du Sénat, Ignazio Benito La Russa. Il est toutefois faux de dire qu’elle aurait imposé sa domination sur la droite italienne en proposant, cent ans après, une sorte de nouvelle marche sur Rome.
Comme vous, j’ai lu beaucoup de tribunes et de chroniques. Et je déjeunais hier encore avec Marc Lazar, l’un des meilleurs spécialistes actuels de l’Italie contemporaine. Mme Meloni a réussi une forme de synthèse entre le cadre géopolitique de l’Alliance atlantique, le cadre économique de l’Union européenne et des valeurs très conservatrices sur le plan sociétal, notamment sur l’avortement et sur le rapport aux minorités ou à la communauté LGBT.
Elle s’est donc livrée avec succès à une opération compliquée, pour se recentrer et pour rassurer les milieux économiques et financiers, comme les alliés de l’Italie. Elle a même tourné une vidéo en français pour apaiser notre pays pendant la campagne électorale. Elle a ainsi indiqué que son gouvernement avait une ligne claire en politique étrangère, faisant « pleinement partie, et la tête haute, » de l’Union européenne et de l’Otan.
J’ajoute que, lors de sa déclaration de politique générale devant le Parlement italien, hier, elle a abjuré le fascisme, notamment les lois raciales de 1938 – heureusement !
Pour autant, va-t-elle réaffirmer la prééminence des nations et de leur souveraineté, à rebours du traditionnel européisme – un terme positif dans ma bouche – italien ? Va-t-elle emprunter la voie polonaise ou hongroise, au regard, en particulier, des valeurs européennes ? Il reviendrait, le cas échéant, à la Commission européenne et au Parlement européen de le constater et d’y répondre.
À ce jour, il faut noter qu’elle a nommé à des postes clés des personnalités qui situent son gouvernement dans une continuité européenne et internationale : M. Antonio Tajani, un ancien président du Parlement européen, aux affaires étrangères, et M. Giorgetti, qui était déjà ministre dans le gouvernement de Mario Draghi, à l’économie et aux finances.
J’ajoute que son gouvernement n’est pas certain de durer aussi longtemps qu’elle le souhaiterait, car sa majorité est composite, tiraillée entre les berlusconiens, d’un côté, et la Ligue du Nord, de l’autre…
En tout cas, le peuple italien a voté. Il faut prendre acte de son choix et éviter les jugements hâtifs, sauf à nous retrouver de nouveau taxés d’arrogance. Madame la secrétaire d’État, pardonnez-moi de relever que vous avez eu, il y a quelques jours, une déclaration pour le moins maladroite, et qui a été ressentie ainsi.
Depuis longtemps, l’Italie comprend mal notre relation privilégiée avec l’Allemagne et elle estime en être injustement exclue. Saisissons l’occasion de donner à notre lien avec elle l’importance qu’il mérite. C’est à l’échelle du temps long qu’un traité peut être jugé : donnons-lui du temps.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce traité historique. Et pour ma part, je le ferai avec enthousiasme ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. C’est parfait. C’est cela qu’il fallait dire !
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce traité pour une coopération bilatérale renforcée entre notre pays et l’Italie, signé le 26 novembre 2021, que nous examinons aujourd’hui, contient plusieurs mesures qui recueillent notre approbation.
Toutefois, comme je me plais souvent à dire, il y a le texte et il y a le contexte. Nous ne pouvons ignorer les résultats des récentes élections italiennes, postérieures au vote unanime de l’Assemblée nationale.
La belle devise de l’Europe, « Unie dans la diversité », risque d’être malmenée avec l’arrivée au pouvoir en Italie d’une coalition de droite au sein de laquelle on trouve les Frères d’Italie, un parti qui lui-même n’est pas de droite, mais d’extrême droite et issu de la mouvance postfasciste.
La présidente de ce parti, Mme Giorgia Meloni, est aujourd’hui la Première ministre italienne, et cela n’augure rien de bon selon nous. On ne peut ignorer cette situation et faire comme s’il ne s’agissait que d’un mauvais moment à passer. Ce n’est pas le cas : la situation est grave.
Parmi les nombreuses mesures de ce traité de coopération bilatérale renforcée figure un durcissement des règles migratoires entre nos deux pays. Or Mme Meloni milite en faveur d’une politique très stricte dans ce domaine et plaide pour la fermeture des ports, afin d’empêcher les navires d’organisations non gouvernementales (ONG) de débarquer des migrants. Elle entend par ailleurs multiplier les centres de surveillance et les expulsions.
À titre d’exemple, en août 2019, elle a fait preuve d’une rigidité glaciale : alors que le navire de l’ONG espagnole Proactiva Open Arms transportait 147 migrants à son bord, les partis politiques italiens se sont déchirés à propos de leur accueil. Face à cela, Mme Meloni a fait une déclaration effrayante : elle envisageait de créer un blocus naval pour empêcher l’embarquement des migrants depuis la Libye ou la Tunisie.
En outre, le traité présente une source d’inquiétude supplémentaire : la coopération pour une politique migratoire y est appréhendée sous un prisme répressif et non solidaire. Le texte ne contient ainsi aucune proposition pour organiser des opérations conjointes de sauvetage des migrants, comme l’opération Mare Nostrum, lancée après le drame de Lampedusa en 2013.
Cette vision conduit à des situations dramatiques. Depuis plusieurs années, on ne compte plus les migrants morts en Méditerranée, devenue un véritable cimetière. Le rapport de l’agence de l’ONU compétente, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), répertorie 2 836 décès et disparitions en Méditerranée centrale depuis 2021. Nous craignons que les positions de la nouvelle Première ministre ne fassent qu’aggraver cet enfer.
Les choix politiques anti-immigration portés par Mme Meloni ne rendent pas hommage à l’histoire de l’Italie, à la richesse de sa culture, à la diversité de ses cultures et à son apport dans le rayonnement du pays.
Comme je l’ai indiqué, nombre des mesures de ce traité de coopération entre nos deux pays et, surtout, entre nos deux peuples sont acceptables. Mais comment ignorer cette épée de Damoclès qui plane sur le devenir de ceux qui quittent leur pays pour fuir la guerre, la famine, le réchauffement climatique ou l’atteinte à leur dignité humaine ?
Les choix de Mme Meloni ne tendent pas la main. Pour notre part, nous sommes avec Paul Éluard, qui écrivait : « Une main tendue, une main ouverte / Des yeux attentifs, / Une vie, la vie à se partager ».
Par amitié pour le peuple italien et en raison des liens forts qui nous unissent à lui, nous ne voterons pas contre ce texte, mais nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais ramener ce débat à sa juste mesure.
Tout d’abord, les traités sont signés entre les peuples et entre les pays. L’accord proposé à notre ratification n’a pas été conclu avec l’actuel gouvernement italien, lequel est issu, du reste, d’élections libres. Il a été préparé par l’ancien gouvernement de M. Draghi.
Ses dispositions s’imposent au gouvernement français comme au gouvernement italien. Il reviendrait à ce dernier, le cas échéant, de le dénoncer, mais cela ne semble pas être son projet, et l’on ne peut faire peser ce soupçon sur ses intentions. Laissons sa chance à un gouvernement démocratiquement élu.
Je rappelle, par ailleurs, combien nous avons besoin de renforcer et d’approfondir notre relation avec l’Italie. Mes collègues de la commission des affaires étrangères et de la défense débattent régulièrement avec moi et avec les personnalités qui nous rendent visite des problématiques concernant la Méditerranée. Ils savent combien les sujets relatifs à la défense reposent sur la France, l’Italie et l’Espagne. Ces États sont quelque peu responsables de la situation dans cette région du monde.
Il faut donc donner sa chance à ce traité. L’Italie est un grand pays ; tant de liens d’histoire, de culture, de civilisation, d’économie et de défense nous unissent !
Je souhaite que la réponse du Sénat soit une approbation très franche de cet approfondissement de la relation amicale entre nos deux pays. Et je forme le vœu que Mme l’ambassadrice d’Italie, qui se rend pour la première fois dans notre assemblée, ne soit pas déçue par la sagesse des sénateurs. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Nous avons pu entendre bien des manifestations d’amitié envers le peuple italien, de la part de nombreux sénateurs, comme M. Gattolin.
Monsieur Gontard, je vous laisse la responsabilité du qualificatif que vous avez utilisé. Je note, quant à moi, que Mme Meloni, dans son discours de politique générale devant la Chambre des députés italienne, s’est exprimée elle-même sur son rapport à l’histoire de l’Italie et qu’elle a dit que le fascisme en avait constitué le point le plus bas.
Mme Éliane Assassi. Elle n’a pas dit cela !
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Cela ne signifie pas que nous partagions la ligne politique du gouvernement italien. Nous porterons même une offre politique très différente dans la perspective des élections européennes de 2024. Il s’agira d’un combat politique légitime, qu’il faudra mener de manière respectueuse de nos démocraties et de nos électeurs. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit avec ce traité.
Mme Éliane Assassi. Il faut dire la vérité, madame la secrétaire d’État !
Mme Éliane Assassi. Alors, dites la vérité !
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Pour ma part, je vous ai laissé vous exprimer sans vous interrompre…
M. le président de la commission, M. le rapporteur et Mme la sénatrice Mélot ont très bien défini le contenu de ce traité : c’est une structure, une matrice, et il sera ce que nos deux peuples en feront.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Bien sûr !
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Il y a bien des collaborations possibles. À nous de saisir ou non ces occasions qui se présenteront.
Dans le domaine automobile, par exemple, nous avons Stellantis en commun ; dans celui des microprocesseurs, STMicroelectronics, qui va bientôt ouvrir une usine en France, à Crolles, près de Grenoble. Nous avons des intérêts de défense conjoints, en raison de notre frontière méridionale, mais aussi de synergies opérationnelles dans le cadre d’opérations extérieures, comme Irini.
Nous sommes liés également par des coopérations industrielles relatives à l’espace, qui sont institutionnelles, comme en témoignent nos travaux en commun au sein de l’Agence spatiale européenne, mais pas seulement.
Pensons, surtout, car c’est l’un des aspects les plus importants du sujet, au rapprochement entre les jeunes Français et les jeunes Italiens. C’est cela qui créera l’amitié entre nos pays. C’est cela qui donnera naissance à une union forte et démocratique. À ce titre, on peut évoquer les services civiques ou différentes formes de mobilité.
Il faut également insister sur la coopération transfrontalière, qui est, à mon sens, l’expression même de l’amitié, mais aussi, parfois, des difficultés auxquelles fait face la mise en œuvre de l’Union européenne.
La question des migrations a été soulevée. Dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, nous avons avancé sur le pacte sur la migration et l’asile. Deux mots résument nos efforts : responsabilité et solidarité. Responsabilité dans l’accueil des migrants, qui arrivent très souvent en Italie ; solidarité de la part des pays où les flux sont secondaires, comme la France.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous remercier de ces débats riches et intéressants, qui ont permis d’exprimer l’amitié entre nos deux peuples. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC. – M. Sébastien Meurant applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant la ratification du traité entre la république française et la république italienne pour une coopération bilatérale renforcée
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée, signé à Rome le 26 novembre 2021, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Philippe Tabarot, pour explication de vote.
M. Philippe Tabarot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voterai ce traité, car je souhaite que la France ne rompe pas ses liens avec notre voisin et qu’elle ne se cache pas pour rencontrer les autorités italiennes.
Les deux sœurs latines semblent trouver les voies d’un apaisement constructif, qui ouvre de nombreux chemins de coopération, et je souhaite que cela continue. Parmi ces pistes, la coopération transfrontalière occupe une place remarquée.
On notera avec intérêt la mention de « services publics communs » en matière de transport routier et ferroviaire. Cela concerne le projet le plus illustre, le Lyon-Turin, mais aussi la ligne de chemin de fer Coni-Vintimille, qui passe par la France, et le tunnel routier de Tende, deux infrastructures transfrontalières particulièrement touchées par la tempête Alex.
J’appelle votre vigilance sur l’impérieux besoin de modernisation de ces ouvrages. Les deux États doivent s’y employer, aux côtés des collectivités.
Je vous encourage toutefois à ne pas être candides : ce traité consacre des instances de dialogue politique bilatérales qui existent déjà depuis longtemps, comme les commissions intergouvernementales (CIG), lesquelles n’ont pas vraiment donné satisfaction. J’ai en particulier à l’esprit la révision de la convention d’exploitation de la ligne de la Roya, qui date de 1970.
La nouvelle structure créée par le traité, le comité de coopération frontalière, pourrait n’être qu’un paravent bureaucratique s’il ne s’accompagne pas d’une impulsion politique lui permettant de lever certains obstacles.
Vitaminé par le traité du Quirinal, j’accorde à cet accord franco-italien un satisfecit, à la condition qu’il soit véritablement fécond, notamment sur la question qui m’occupe, celle des transports.
Aussi, vrai ritorno du couple franco-italien ou coquille vide ? Je suis un éternel optimiste et je veux y croire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour explication de vote.
Mme Mélanie Vogel. Mes chers collègues, il s’agit, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, d’un vote compliqué.
Vous le savez, les écologistes sont depuis toujours profondément pro-européens et fédéralistes.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Prouvez-le !
Mme Mélanie Vogel. L’intensification de la collaboration entre les pays membres et entre les peuples est pour nous un élément fondamental de la construction européenne et du renforcement du projet européen dans son ensemble.
Nous savons aussi que ce traité est là pour durer – plus longtemps, je l’espère, que le gouvernement italien actuel. Il devrait évidemment lui survivre et poursuivre ses effets dans des circonstances différentes.
Pour autant, il entre en vigueur dans un contexte : la montée de l’extrême droite dans un certain nombre de pays.
Je note que mon collègue considère visiblement qu’il n’y a pas d’extrême droite en Italie… Je tiens, pour ma part, que Giorgia Meloni est une dirigeante néofasciste et j’assume ces propos.
L’Assemblée nationale a ratifié ce traité dans une situation différente, avant les élections, mais il s’est passé quelque chose cet été : le gouvernement de M. Draghi est tombé, un autre lui a succédé, qui porte des valeurs totalement opposées aux nôtres, mais aussi à celles de l’Union européenne dans son ensemble.
Notre question est la suivante : que ferait le Gouvernement si les droits et les libertés fondamentales étaient menacés en Italie ? Je forme le vœu que ce ne soit jamais le cas, mais je ne sais pas ce qu’il adviendra. Comment comptez-vous appliquer ce traité, dès lors ? Quelles garanties pouvez-vous apporter à ce sujet ?
Madame la secrétaire d’État, vous n’avez pas répondu à cette question, et je n’ai pas bien compris comment, si l’Italie prenait un chemin que, je l’espère, elle ne prendra pas, nous collaborerions avant les conseils des ministres. Allons-nous vraiment coordonner nos positions ?
Nous n’avons pas eu de réponse, et je le regrette. Si vous le pouvez, il n’est pas trop tard pour nous les apporter. À défaut, nous serons contraints de nous abstenir.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Marseille, pour explication de vote.
M. Hervé Marseille. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, en tant que président du groupe d’amitié France-Italie au Sénat, je fais miens les propos tenus par le président Cambon.
Les dirigeants sont élus démocratiquement. Nous n’avons pas à nous immiscer dans les choix des autres pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Hervé Marseille. Sinon, nous bâtirions une Europe dans laquelle nous ne parlerions plus avec les Polonais, avec les Hongrois, avec les Suédois, avec les Autrichiens… Il faudrait changer la dimension des salles de réunion européennes, pour opter pour des cabines téléphoniques ! (Sourires.)
Il est légitime d’avoir des opinions ou des sensibilités et de les exprimer, mais les traités sont faits pour durer.
Ce qui est important, c’est la relation entre la France et l’Italie, non la relation entre un gouvernement et un autre. Les gouvernements changent et, parfois, cela va très vite. Nous sommes d’ailleurs nous-mêmes dans une situation qui n’est pas formidable ; il ne me semble pas qu’il nous appartienne de donner des leçons…
Nous devons marquer durablement le lien très fort entre la France et l’Italie. C’est la raison pour laquelle nous travaillons au Sénat, dans le cadre du groupe d’amitié, avec nos amis italiens, lesquels disposent, au demeurant, d’un groupe d’amitié unique pour leurs deux assemblées.
Ce travail parlementaire est important ; c’est lui qui a permis, au moment des crises, de continuer à agir pour maintenir le contact, exprimer nos points de vue et essayer de faire évoluer les situations.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Voilà ! C’est cela qu’il faut dire.
M. Hervé Marseille. C’est pourquoi j’appelle une nouvelle fois à voter la ratification de ce traité. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Madame la sénatrice Vogel, vous connaissez les valeurs que nous portons et vous les partagez. Vous connaissez aussi les valeurs qui fondent l’Union européenne, son cadre légal et réglementaire, cet État de droit qui s’applique à tous, y compris à la France.
Je ne vais pas spéculer sur les actions du gouvernement italien : ce n’est pas mon rôle.
Ce traité sera ce que nous en ferons. C’est un traité d’amitié entre deux peuples. Il est à construire.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée.
(Le projet de loi est adopté définitivement. – Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles des groupes GEST et CRCE.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
8
Guerre en Ukraine et conséquences pour la France
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative à la guerre en Ukraine et aux conséquences pour la France.
Après la déclaration du Gouvernement, la parole sera donnée à un orateur de chaque groupe, puis à Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères et à M. le ministre des armées pour leur répondre.
La parole est à Mme la Première ministre.
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a huit mois, la Russie a attaqué l’Ukraine.
Cette guerre est illégale, contraire à toutes les règles du droit international.
Cette guerre est destructrice. Elle provoque chaque jour plus de dommages et de victimes.
Cette guerre est cynique. Elle est le fruit de mensonges, et la Russie utilise sans vergogne la manipulation et les pires chantages.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce conflit touche d’abord un pays, l’Ukraine, et son peuple.
Depuis huit mois, autour du président Zelensky, du Premier ministre Chmyhal et des forces armées, les Ukrainiens résistent aux assauts russes. Mieux, ils les repoussent. Leur courage force l’admiration. Leur héroïsme force le respect.
Malgré les morts, malgré les drames, le peuple ukrainien se bat et n’a jamais rien cédé.
Je veux commencer, au nom du Gouvernement, et j’en suis sûre, en votre nom à tous, par dire notre soutien et notre solidarité pleine et entière envers le peuple ukrainien. (Applaudissements.)
Mais, nous le savons, ce qui se joue dans ce conflit dépasse largement les frontières de l’Ukraine. Le Président de la République l’a dit : ce conflit engage notre responsabilité à tous.
En Ukraine, ce sont nos valeurs qui sont attaquées. Vladimir Poutine l’a reconnu lui-même : en menant cette guerre, c’est notre modèle démocratique qu’il vise. Ce sont les droits de l’homme qu’il veut faire flancher.
Alors, nous devons montrer que nos valeurs sont fortes et que l’on ne peut pas s’en prendre sans conséquence à la démocratie.
Cette guerre est un moment de vérité. L’ordre international est bouleversé. L’espoir d’une paix durable en Europe est balayé. Certaines grandes puissances montrent qu’elles sont prêtes à tout pour s’imposer.
Face à cela, nous avons un devoir de solidarité : solidarité envers les Ukrainiens qui risquent leur vie, solidarité entre Européens qui doivent faire bloc face à la Russie et penser leur avenir ensemble, solidarité entre alliés qui doivent agir conjointement pour dissuader la Russie d’aller plus loin.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce conflit dure et va durer. L’attaque russe a des conséquences très concrètes pour notre pays, pour nos concitoyens. Des conséquences dont nous n’avons malheureusement pas fini de mesurer les effets.
Il était donc important de nous retrouver et de débattre de ce conflit et de ses conséquences pour notre pays.
Je souhaite commencer par un point sur la situation opérationnelle.
L’attaque russe a été synonyme d’un déchaînement de violence, en dépit de toutes les règles. Les civils, les écoles, les hôpitaux, les centres commerciaux et même les convois humanitaires sont pris pour cibles sans discernement.
Les frappes russes se poursuivent. Les grandes villes, notamment Kiev, sont prises pour cible par des attaques de drones ou des tirs de missiles de croisière sur des zones résidentielles. L’objectif de ces tirs n’est pas militaire : il est de détruire et de terroriser.
Les Russes mènent par ailleurs une attaque ciblée contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes. Les frappes sur la centrale de Sud-Ukraine et l’occupation militaire de la centrale de Zaporijia par les Russes font courir des risques majeurs à l’Ukraine, à l’Europe, et à la Russie elle-même.
La situation à Zaporijia nous préoccupe en particulier. Nous soutenons la proposition du directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) d’établir une zone de protection autour de la centrale. Ce serait une étape vers la démilitarisation, la cessation complète des tirs, ainsi que le retrait des équipements militaires russes.
Les discussions en ce sens doivent naturellement respecter la souveraineté ukrainienne et son intégrité territoriale.
Depuis le 10 octobre, c’est l’ensemble du réseau électrique ukrainien qui est en péril. Un tiers du parc énergétique ukrainien a déjà été mis hors d’usage par l’armée russe.
Dans les territoires occupés, on assiste à des transferts de population forcés, y compris d’enfants.
Là où l’armée ukrainienne progresse, la libération s’accompagne de la découverte de massacres et de charniers, comme à Boutcha au printemps, et plus récemment à Izioum. Ce sont des actes choquants, révoltants, monstrueux. Ce sont des violations barbares des lois de la guerre. La Russie devra en répondre.
Nous sommes déterminés à ce que les crimes commis par la Russie soient documentés, jugés et punis. La France y contribue.
Au-delà du champ de bataille, la Russie mène une guerre sur tous les fronts. Je pense aux cyberattaques. Je pense aux manipulations de l’information.
Parmi les dernières manipulations de la Russie, je note les propos invraisemblables du ministre de la défense russe sur l’utilisation d’une bombe sale par l’Ukraine. Ce n’est rien d’autre qu’un mensonge supplémentaire de Moscou pour légitimer l’escalade.
N’ayons aucun doute : la Russie est prête à aller plus loin. Poutine n’hésite pas à menacer d’utiliser toutes les armes à sa disposition. Il continuera à le faire.
Malgré la violence et les méthodes de la Russie, l’Ukraine repousse aujourd’hui l’assaut russe. Dans les oblasts de Donetsk et de Louhansk, l’avancée russe a été arrêtée.
Une contre-offensive a commencé, avec des résultats visibles. L’armée ukrainienne a réussi des percées dans les régions de Kharkiv et de Lyman, et progresse également dans le sud, dans la région de Kherson. À date, on compte 600 villages libérés par l’Ukraine.
Face à cela, Vladimir Poutine a répondu par de nouvelles décisions cyniques. C’est le cas de la mobilisation partielle qu’il a décrétée le 21 septembre. Une mobilisation qui a été suivie de contestation et de départs massifs vers l’étranger.
C’est aussi le cas de la mascarade des référendums truqués dans les régions de l’est de l’Ukraine. Vladimir Poutine fait semblant de croire qu’une parodie de démocratie pourrait camoufler une annexion illégale. Mais la France, par la voix du Président de la République, l’Union européenne et l’Assemblée générale des Nations unies ont toutes condamné cette annexion illégale et refusé de la reconnaître.
Malgré les fragilités russes, ne croyons pas un instant que la fin des combats soit proche. La mobilisation russe apportera de nouveaux soldats sur le front. L’arrivée de nouvelles troupes russes en Biélorussie nous préoccupe collectivement. La Russie est prête à tout.
Et ce n’est pas sur un champ de bataille, mais autour d’une table de négociation que nous trouverons une issue à cette guerre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en attendant que les conditions d’une sortie du conflit soient réunies, nous avons un devoir : aider l’Ukraine autant que nous pouvons, sans entrer en guerre avec la Russie.
Dès le début du conflit, en s’adressant aux Français, le Président de la République avait prévenu : cette guerre marquait une rupture, et nous n’avions pas fini d’en mesurer les effets.
Pourtant, nous n’avons pas hésité une seconde à agir. Si nous n’avions pas agi en Européens, en alliés, en nation libre et fidèle à ses valeurs, nous aurions ouvert la porte à un ordre international brutalisé où la fin justifie tous les moyens. Nous aurions laissé penser que les démocraties étaient faibles. Nous aurions planté les germes de conflits futurs qui nous auraient menacés encore plus directement.
Alors, depuis le début du conflit, avec l’Europe et avec les alliés, nous avons décidé de livrer du matériel militaire à l’Ukraine.
Dès la fin du mois de février, notre pays a commencé les livraisons d’armement. Nous avons d’abord livré des armes individuelles, des munitions et du carburant. Puis sont venus s’ajouter des équipements plus lourds, comme des canons Caesar et des véhicules blindés.
Nous poursuivons aujourd’hui nos efforts. Nous allons livrer très prochainement des systèmes antiaériens comme le Crotale, et nous étudions l’envoi de moyens d’artilleries supplémentaires comme des lance-roquettes unitaires.
Nous continuons également à agir en Européens. L’Union européenne a d’ores et déjà mobilisé 2,5 milliards d’euros au titre de la Facilité européenne pour la paix pour apporter du matériel militaire à l’Ukraine. Les Vingt-Sept viennent de décider d’y ajouter 500 millions d’euros de plus.
Par ailleurs, nous soutenons le lancement d’une mission d’assistance militaire de l’Union européenne, qui va permettre de dispenser des formations aux forces armées ukrainiennes.
L’objectif de cette mission est, dans un premier temps, de former 15 000 militaires ukrainiens. La France en accueillera 2 000.
Il fallait trouver un moyen de faciliter l’acquisition par l’Ukraine de matériel répondant au mieux à ses besoins. Le Président de la République a ainsi annoncé au début du mois la mise en place d’un fonds spécial, doté de 100 millions d’euros, pour permettre à l’Ukraine de commander des matériels directement auprès de nos industriels. Ce fonds s’ajoute à la part française de financement de la Facilité européenne pour la paix.
Les premières commandes ont déjà été passées. Nos industriels doivent s’engager fortement pour y répondre.
Au-delà, la France agit en allié fiable et crédible. Dès les premiers jours du conflit, à la demande du Président de la République, nous avons renforcé notre dispositif sur le flanc est de l’Otan.
La semaine dernière, nous avons annoncé un nouveau renforcement de notre dispositif militaire dans le cadre des missions de réassurance de l’Alliance.
Dans les prochains jours, nous allons projeter des chars Leclerc en Roumanie, où nous sommes nation-cadre de la mission de l’Otan. En Lituanie, des Rafale seront déployés avant la fin de l’année et pour quatre mois. Nos véhicules de combat d’infanterie Griffon les plus modernes iront en Estonie.
Cette présence en Roumanie et dans les États baltes illustre l’engagement avec nos alliés. La Russie pensait trouver l’Otan faible et divisée, elle l’a ressoudée.
Mais notre soutien militaire n’est qu’une partie de notre action. Dès les premiers jours de la guerre, avec l’Union européenne, nous avons pris des sanctions fortes.
Là encore, Vladimir Poutine croyait diviser l’Europe. Elle a fait face et montré son unité et sa détermination face à la crise. Je dirai même plus : bien malgré lui, le président Poutine a renforcé l’Europe.
Le premier paquet de sanctions a été adopté en moins de vingt-quatre heures. En tout, huit paquets ont été adoptés jusqu’à présent.
Notre objectif est le même depuis le début : rendre le coût de la guerre insupportable pour la Russie ; frapper durement son économie pour l’empêcher de financer son offensive.
Nous avons pris des sanctions massives et de tous ordres : financières, bancaires, commerciales, mais aussi contre la propagande russe et contre les dirigeants et les oligarques. Avec le huitième paquet adopté, ce sont près de 1 300 personnes directement touchées par des gels d’avoirs ou des interdictions de voyage en Europe.
L’Europe n’a pas reculé devant les décisions courageuses. Je pense notamment à l’embargo sur les importations de charbon, de pétrole brut et de produits raffinés russes. Avec les prix élevés de l’énergie, Moscou préserve l’illusion. Mais les faits sont là : les sanctions fonctionnent.
L’économie russe est entrée en récession et elle sera durablement affectée. Par son obstination, Vladimir Poutine hypothèque l’avenir de son pays et appauvrit son propre peuple.
Nous sommes fermes. Nous n’hésitons pas non plus à sanctionner ceux qui soutiennent la guerre du président russe. Vendredi dernier, l’Union européenne a ainsi sanctionné l’Iran, qui a fourni des drones à la Russie pour mener ses exactions.
Abandonner les sanctions, ce serait abandonner l’Ukraine, ce serait aussi trahir nos valeurs. Je veux être très claire : les sanctions continueront tant que Vladimir Poutine s’évertuera dans sa spirale belliqueuse.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre soutien à l’Ukraine passe par les livraisons de matériel, par les sanctions, mais il s’incarne aussi dans une action humanitaire résolue.
En France, plus de 200 millions d’euros ont été mobilisés, et 2 500 tonnes de matériel livrées.
Nous nous sommes également organisés pour accueillir les Ukrainiens chassés par la guerre. Plus de 100 000 ont été accueillis, et près de 19 000 enfants ont été scolarisés. Cela s’est fait rapidement, efficacement, dignement.
Nous avons pu agir grâce à l’action rapide et exemplaire de l’Europe. Dès le 3 mars, les Vingt-Sept ont accordé la protection temporaire aux déplacés ukrainiens. C’est une première. Quelque 4 millions de personnes en bénéficient aujourd’hui à l’échelle européenne.
Je sais également que notre action humanitaire aurait été impossible sans l’élan de solidarité nationale qui s’est engagé depuis huit mois.
Je pense à nos organisations non gouvernementales (ONG), à nos entreprises, et, bien sûr, à nos compatriotes : ceux qui accueillent des déplacés ukrainiens chez eux recevront prochainement une aide.
Je pense aussi, et je le dis tout particulièrement devant le Sénat, à nos collectivités. Elles ont été mobilisées, engagées. Elles permettent l’accueil et la scolarisation des déplacés ukrainiens. Elles sont indispensables face à cette crise, et avec vous, je veux saluer leur action.
Notre soutien à l’Ukraine est également diplomatique.
L’Ukraine fait pleinement partie de la famille européenne. Lors du Conseil européen, en juin, le statut de pays candidat à l’Union européenne lui a été accordé à l’unanimité. Le chemin de l’adhésion est long, exigeant. Il n’y aura pas de procédure accélérée ou de critères au rabais. Ce ne serait dans l’intérêt de personne, ni de l’Union européenne ni de l’Ukraine.
Sans préjudice de ce processus d’adhésion, la Communauté politique européenne proposée par le Président de la République se met en place. Elle permettra à tous ses membres, dont l’Ukraine, de bénéficier de coopérations concrètes, par exemple dans les domaines de l’énergie, des infrastructures ou de la sécurité.
La première réunion de la Communauté politique européenne, le 6 octobre à Prague, a été un succès. Quelque quarante-quatre chefs d’État et de gouvernement y ont pris part. La pertinence de ce format a été unanimement saluée.
C’est une première étape de très bon augure pour la deuxième réunion de cette nouvelle communauté prévue en Moldavie au semestre prochain.
Enfin, soutenir l’Ukraine, c’est accompagner sa reconstruction.
On évalue pour l’instant à près de 350 milliards d’euros les besoins du pays pour se reconstruire. C’est un défi colossal. Un défi d’autant plus important que ce montant va sans doute encore s’accroître.
L’Ukraine ne réussira pas seule. Nous serons, en Français et en Européens, à ses côtés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous le savons tous, les conséquences de la guerre dépassent largement les frontières de l’Ukraine. Aussi, depuis février, le Gouvernement agit sans relâche pour limiter l’impact du conflit sur notre pays.
Le premier défi est énergétique.
La guerre et l’arrêt quasi total des livraisons de gaz russe vers l’Europe ont provoqué des tensions d’approvisionnement et de nouvelles hausses de prix.
Rappelons que c’est bien la Russie qui a lancé cette guerre. C’est elle qui nous pousse à répondre en retour. C’est encore elle qui fait du gaz et de l’énergie un objet de chantage.
En outre, tout indique que des actes de sabotage graves et irresponsables ont été commis contre les gazoducs Nord Stream 1 et 2. Une enquête internationale indépendante est en cours, et il ne m’appartient pas de tirer des conclusions ici.
Je veux néanmoins le dire : nous répondrons avec nos partenaires de manière ferme et unie à cette attaque contre les infrastructures énergétiques européennes.
Dans ce contexte, nous sommes prêts à affronter les mois qui viennent.
Comme j’ai eu l’occasion de le préciser devant vous lors de notre débat sur la politique énergétique, nous avons anticipé la situation. Grâce à notre action préventive, grâce à la sobriété et à la solidarité européenne, nous nous sommes mis en mesure de traverser l’hiver sans coupure.
Nous travaillons aussi, vous le savez, pour limiter l’impact de la montée des prix sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens.
Très tôt, nous avons pris des mesures fortes, les plus protectrices d’Europe. Le bouclier tarifaire a permis de bloquer les prix du gaz et de limiter la hausse des prix de l’électricité pour les ménages, les très petites entreprises et les plus petites communes.
Le mois dernier, j’ai annoncé que le bouclier tarifaire serait prolongé. Alors que les prix auraient dû doubler, la hausse sera limitée à 15 %.
Au-delà des ménages, nous devons protéger les entreprises et les collectivités face à la hausse des prix. Je sais que c’est un sujet sur lequel vous êtes particulièrement mobilisés.
Nous voulons d’abord traiter le problème à la racine, en faisant baisser les prix.
Le Président de la République est pleinement investi pour trouver une solution européenne. Le Conseil européen des 20 et 21 octobre a ouvert la voie à plusieurs mesures.
Pour faire baisser les prix, nous avons mis en place des outils pour favoriser les achats communs de gaz. Nous travaillons aussi à un mécanisme visant à limiter la hausse du prix de l’électricité. Nous défendons, vous le savez, l’extension à toute l’Europe du dispositif qui a permis de diviser par deux, voire trois, les prix en Espagne.
Plus largement, nous devons engager une réforme structurelle du marché de l’électricité pour que ses prix reflètent mieux et durablement la réalité des coûts de production.
En parallèle, nous travaillons pour protéger les entreprises et les collectivités face à la flambée des prix de l’énergie. Le Gouvernement présentera des mesures en ce sens d’ici à la fin de la semaine.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà des réponses d’urgence, nous devons tirer toutes les conséquences de cette guerre et préparer l’avenir.
Ce conflit nous a rappelé l’importance de notre souveraineté française et européenne.
Nous devons tout d’abord bâtir une souveraineté énergétique en accélérant notre sortie des énergies fossiles. Nous y parviendrons par une stratégie ambitieuse fondée sur la sobriété, le nucléaire et les énergies renouvelables.
Hier soir et aujourd’hui, vous avez examiné en commission le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables. Je suis convaincue que nous pourrons trouver des points d’accord et avancer sur ce texte ensemble.
Nous devons ensuite bâtir notre souveraineté alimentaire.
Dès le mois de mars, des mesures ont été prises avec l’appui de l’Union européenne pour protéger les agriculteurs et les consommateurs. Nous agissons également en Français et en Européens pour faciliter l’acheminement des exportations agricoles ukrainiennes.
Par ailleurs, nous prendrons le chemin de la souveraineté alimentaire grâce aux investissements de France 2030 et à la future loi d’orientation et d’avenir pour l’agriculture.
Enfin, cette guerre nous prouve une fois de plus l’urgence de consolider notre souveraineté stratégique.
À l’échelon national, la guerre nous conforte dans la décision de poursuivre les efforts engagés dans le cadre de la loi de programmation militaire actuelle. Le Président de la République a réaffirmé son ambition : disposer d’armées au meilleur niveau, prêtes à agir et à prendre l’ascendant dans tous les milieux.
Une analyse poussée a été menée dans le cadre de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale qui a fait l’objet d’échanges avec les commissions compétentes des deux assemblées.
Sur ce fondement, une nouvelle loi de programmation vous sera présentée au premier semestre 2023.
Enfin, cette guerre a prouvé une fois de plus l’importance du multilatéralisme et la nécessité d’une autonomie stratégique européenne.
Sous présidence française du Conseil de l’Union européenne, ces derniers mois ont été l’occasion d’avancées historiques.
La Facilité européenne pour la paix a été utilisée pour aider directement un pays attaqué à se défendre. Nous avons acté notre volonté de renforcer les investissements européens en matière de défense par l’adoption de la boussole stratégique. Nous nous sommes engagés collectivement, lors du sommet de Versailles en mars, à réduire nos dépendances.
Ce conflit a marqué le réveil géopolitique de l’Europe. Nous savons désormais qu’il nous faut peser pour faire valoir nos valeurs et notre modèle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce conflit dure, mais il devra trouver une issue. Après la guerre, l’Ukraine devra être libre et souveraine. Après cette guerre, la Russie sera toujours notre voisine. Elle est et restera une grande puissance. Seule la diplomatie permettra de trouver une sortie durable à ce conflit.
C’est la raison pour laquelle nous maintenons des canaux d’échange avec la Russie. Des négociations devront se tenir lorsque l’Ukraine estimera que le moment est venu et qu’elle sera en mesure de faire pleinement entendre sa voix.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette guerre a bousculé beaucoup de nos certitudes. Elle a changé profondément et durablement l’ordre mondial. Elle a rappelé que la démocratie est un acquis fragile, et que nos valeurs devaient être défendues.
Alors avec l’Europe, avec les alliés, la France restera aux côtés de l’Ukraine jusqu’au bout. Nous ne céderons rien face à l’agresseur russe, et nous continuerons toujours à protéger les Français. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, UC, SER, GEST et Les Républicains.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. Christian Cambon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Vincent Capo-Canellas et Jacques Le Nay applaudissent également.)
M. Christian Cambon. Monsieur le président, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, lorsque le mur de Berlin est tombé, le monde, qui avait toujours connu la guerre froide, a vécu un tournant historique.
Combien d’entre nous auraient-ils pu imaginer, il y a trente ans, que nous vivrions un nouveau tournant aussi important avec le retour de la guerre en Europe et le nouveau contexte international qu’elle installe pour les décennies à venir ?
Je souhaite aborder ce débat majeur autour de trois axes de réflexion.
Je rappellerai d’abord les principaux enjeux de ce conflit, dont les partisans des thèses russes voudraient nous faire croire qu’il ne concerne que deux voisins, ce qui n’est naturellement pas la réalité.
Il me paraît ensuite important de rappeler à nos compatriotes pourquoi et comment la France s’est engagée aux côtés de l’Ukraine.
J’examinerai enfin les conséquences que ce conflit emporte pour notre propre pays, pour nos approvisionnements énergétiques et pour nos forces armées.
Après 245 jours de combats, la lutte des Ukrainiens face à l’agression russe a radicalement changé de visage.
Elle apparaissait au départ comme un combat pour l’honneur, perdu d’avance. Aujourd’hui, elle permet de tenir en échec l’une des armées les plus puissantes au monde, et devient une légende à laquelle personne n’aurait cru.
Mais nous savons aussi le prix payé par ce peuple courageux, et nous nous inclinons en ces instants devant tant de souffrances, devant tant de morts et de martyrs, victimes de la folie humaine. Que justice leur soit rendue un jour, mes chers collègues.
Non, l’Ukraine n’a pas sombré. Sa bravoure, sa solidarité, ses qualités militaires et sa détermination l’ont maintenue à flot. Face à une brutalité d’un autre âge, elle s’est révélée à elle-même, au monde et surtout à Vladimir Poutine et à son régime. Car, si nous en sommes là, c’est parce que dans leur vision dévoyée de la Russie éternelle, la nation ukrainienne n’existe pas.
Pour les dirigeants russes, l’Ukraine n’est qu’une partie de l’empire qu’ils veulent ressusciter dans toute sa sphère historique. Leur irrédentisme prétend ramener chaque russophone dans le giron d’une mère patrie magnifiée et donc dépecer les pays dans lesquels ils vivent. C’est bien là que le conflit ukrainien plonge ses racines.
En 2016, Vladimir Poutine avait affirmé que « les frontières de la Russie ne se terminent nulle part ». Nous avons eu tort de ne pas voir en ces mots un programme sinistre, d’autant qu’il avait déjà commencé à l’exécuter.
Oui, nous avons été aveugles aux signaux de l’ambition russe durant ces vingt dernières années : conflits gelés, écrasement de la Tchétchénie, attaque de la Géorgie, annexion de la Crimée, occupation du Donbass. Crise après crise, nous avons fait le pari du dialogue avec Moscou. Nous l’avons fait ici même, au Sénat, jusqu’en 2021 et il fallait le faire, mais les dérives du régime ont été les plus fortes.
Le 24 février dernier fut un réveil brutal et dramatique, mais certains, en France même, ne sont-ils pas encore plongés dans ce sommeil stratégique ?
Ce choc a été aussi un révélateur : le multilatéralisme, ses règles et ses institutions, qui ont organisé notre vie internationale depuis tant d’années, sont entrés dans une crise existentielle. Le conflit ukrainien a mis en pleine lumière les mouvements tectoniques de l’ordre international. Ils sont amples et violents. Ils dessinent une nouvelle géographie des rapports de force, où se confrontent dorénavant deux systèmes de pensée et de valeurs.
Dans ce face-à-face, le pouvoir russe peut compter sur le soutien des régimes qui lui ressemblent, expansionnistes, autocratiques et violents. Comme lui, ils fonctionnent par la terreur et écrasent toute contestation. Comme lui, ils rejettent l’État de droit, les libertés publiques et la séparation des pouvoirs. Comme lui, ils méprisent le droit international, s’assoient sur la souveraineté des États et voient dans la force un moyen légitime de parvenir à leurs fins.
Dès lors, pourquoi la France doit-elle s’engager aux côtés de l’Ukraine ? Il est des moments où ne rien faire devient le plus grand des risques. Voilà ce qui est en jeu. Nous aidons l’Ukraine parce que la Russie veut nous imposer par la violence une Europe soumise. Les faits sont là : il y a huit mois, la Russie a envahi un pays voisin et souverain. L’Ukraine ne la menaçait pas, mais entendait simplement tourner son regard et aussi son avenir vers l’Europe et son modèle démocratique, honni par Vladimir Poutine et les régimes autoritaires.
Pour ces raisons, notre détermination ne peut pas et ne doit pas faiblir, ni dans notre soutien à Kiev ni dans nos sanctions à l’encontre de Moscou. Des voix s’expriment pour suggérer leur modération, voire leur abandon. C’est en fait l’Ukraine qu’elles proposent d’abandonner et donc aussi la défense de nos intérêts.
Pour d’autres, nos livraisons d’armes retardent l’inévitable et accroissent inutilement les souffrances des Ukrainiens. Quelle drôle d’indécence que de proposer aux Ukrainiens agressés de tendre l’autre joue et de se soumettre à la fatalité de l’occupation !
Rappelons-nous, mes chers collègues, notre propre histoire et nos épreuves. Comment un Français pourrait-il proposer de se soumettre à l’envahisseur ? Quand la déraison et la barbarie l’emportent, le rôle d’une puissance d’équilibre n’est pas de ménager le camp de l’agresseur.
Bien sûr, il faudra un jour négocier – vous l’avez dit, madame la Première ministre. Mais comme l’a rappelé le président Larcher, en recevant le 7 juin dernier le président de la Rada, c’est aux Ukrainiens et à eux seuls de déterminer quand, comment et dans quelles conditions les négociations pourront se tenir.
Le Président de la République, après avoir mené une diplomatie du téléphone abondamment commentée, semble désormais s’être rangé à ce constat, mais ce qui fut perçu au moins comme une ambiguïté a peut-être brouillé le message de la France, notamment auprès de nos partenaires de l’est de l’Europe.
À présent, ce sont les critiques émises sur notre aide militaire, qui jettent le trouble. Notre pays serait très loin dans le classement des contributeurs à l’effort de guerre ukrainien. Nous savons tout le prix qu’ils accordent à nos canons Caesar, mais ces armes remarquables ne sont-elles pas l’arbre qui cache le désert ?
Le Gouvernement, madame la Première ministre, s’est longtemps réfugié derrière l’exigence de confidentialité, que nous comprenons, pour ne pas divulguer le détail des livraisons. Nous l’avons accepté, mais cette sincérité doit désormais être mise en cause. Je vous donne acte des indications que vous venez de fournir ce soir, mais nous aurons besoin dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire (LPM) d’en savoir un peu plus, ne serait-ce que pour reconstituer nos propres forces.
J’en viens aux conséquences de ce conflit. Elles sont nombreuses et, dans le temps qui m’est imparti, j’en évoquerai deux qui me paraissent importantes et qui concernent les secteurs essentiels de la vie de la Nation.
Parmi les vulnérabilités et les dépendances que nous ne pouvons plus accepter, le secteur de l’énergie est évidemment en première ligne. Face à l’arme gazière maniée par Moscou, les Européens parent au plus pressé, dans une unité réelle, mais de plus en plus fragile. Or notre continent est entré dans une crise de sécurité énergétique qui va durer. Quoi qu’on en pense, l’énergie nucléaire sera donc incontournable.
La France, faute historique, lui a tourné le dos, en décrétant en 2015 que sa part dans notre mix énergétique devait baisser ou en actant en 2018 la fermeture de quatorze réacteurs. Ces aberrations n’ont toujours pas été corrigées.
Quant à l’Europe, elle s’obstine à ignorer le rôle central du nucléaire dans la transition énergétique. Cet aveuglement ne doit plus durer. Offrir un véritable bouclier énergétique aux Français, c’est d’abord garantir l’indépendance de notre propre production.
La seconde conséquence majeure de cette guerre tient à ses implications pour nos forces armées. La leçon du conflit ukrainien est limpide. Dans ce contexte, si vous n’avez pas d’armée apte à défendre vos frontières, vous êtes une proie. L’Arménie paie chèrement cette leçon ; nous aurons l’occasion d’évoquer sa situation, prochainement, dans cet hémicycle.
L’excellence de nos militaires ne suffit plus. En réalité, nos armées ont été éreintées par trente ans de saignées budgétaires. Leur format, taillé au plus juste, convenait à une pratique expéditionnaire rompue à des combats rudes, mais asymétriques. Leur masse est désormais insuffisante pour tenir dans la durée un affrontement de très haute intensité.
Certains affirment même qu’en cas d’engagement majeur, nos armées n’auraient pas les moyens de tenir efficacement un front de plus de quatre-vingts kilomètres en Ukraine. (M. le ministre des armées le conteste.) La ligne de front, je le rappelle, est de mille kilomètres.
Nos stocks ne nous permettent même pas d’aider comme nous le voudrions un pays ami, lorsqu’il est agressé. Un seul exemple suffira : à la fin de 2025, nous aurons en stock l’équivalent en munitions de ce qui est tombé la semaine dernière sur l’Ukraine.
Nous en sommes au point où nous devons aussi nous demander si notre soutien militaire à Kiev, même insuffisant, ne dépouille pas à l’excès nos propres forces.
Par conséquent, monsieur le ministre des armées, tirons ensemble les enseignements stratégiques, opérationnels et industriels de ce conflit ukrainien. Ils sont nombreux et complexes. Ce sera – nous le savons – l’enjeu de la prochaine loi de programmation militaire.
Se pose aussi la question centrale de nos coopérations. L’Europe se réveille de sa torpeur stratégique. Elle entend se réarmer et ne s’interdit plus de penser à sa souveraineté. Tant mieux, mais cette prise de conscience se fait pour l’instant à l’ombre du parapluie américain et de son industrie de défense.
Ne nous méprenons pas : l’Otan reste notre alliance la plus solide, la seule – à vrai dire – à pouvoir garantir notre sécurité collective. Il était donc assez prévisible que les Européens cherchent à s’abriter derrière le bouclier atlantique, dans cette tempête. D’autant que, sur le flanc est, le danger n’est pas simplement en Ukraine.
Ainsi, la Biélorussie de Loukachenko marche dans les pas de Vladimir Poutine et s’invente des menaces lituano-polonaises à ses frontières. N’oublions pas cependant tous ces Biélorusses courageux, qui sont opprimés par un régime tout aussi tyrannique. Mme Svetlana Tikhanovskaïa, que nous avons reçue avec le président Larcher et vous aussi, mes chers collègues, dans cet hémicycle, a réussi à fédérer l’opposition biélorusse. Pendant ce temps – ne l’oublions pas –, son mari est en prison, où il est torturé.
Les destins de la Biélorussie et de l’Ukraine ne peuvent être envisagés de façon séparée. Agissons pour que les voix de l’opposition biélorusse résonnent davantage au Conseil de l’Europe, au sein de l’Union européenne et même en France.
Soutenons aussi la Moldavie, menacée de l’intérieur par la présence russe en Transnistrie, et de l’extérieur par sa dépendance totale au gaz russe. Aujourd’hui même, la Moldavie ne peut plus payer son gaz. Or ce pays est dans notre voisinage immédiat et a vocation à rejoindre un jour l’Union européenne. À lui aussi, nous devrions fournir des moyens pour assurer sa défense et son indépendance, comme il ne cesse de nous le demander.
Dans ce contexte, l’Alliance atlantique est capitale, mais elle n’est pas la fin de l’Histoire pour la défense de l’Europe. Nous devons être prêts, nous Français, nous Européens, à faire face seuls, parce que nous y serons peut-être contraints. Qu’en sera-t-il demain face à des menaces que Washington déciderait d’ignorer ou ne pourrait plus traiter parce que les États-Unis seraient déjà engagés ailleurs ?
Je suis convaincu que nous avons une perspective européenne commune en matière militaire, mais c’est un chemin long et sinueux – nous en savons quelque chose. Même pendant la Présidence française de l’Union européenne, nous n’avons pas vraiment réussi à persuader nos partenaires, en particulier allemands, de s’y engager résolument. Avançons donc ensemble partout où cela est possible, mais avançons seuls partout où cela est nécessaire.
C’est pourquoi la prochaine loi de programmation militaire sera fondamentale. L’actuelle loi – j’en donne acte au Président de la République – a permis de stopper l’hémorragie. Celle qui s’annonce devra porter une ambition plus forte encore. Elle devra projeter notre modèle d’armée dans cette nouvelle ère de menace.
Mes chers collègues, à l’heure où nous tenons ce débat, l’avenir n’est malheureusement pas écrit et même l’apocalypse nucléaire ne peut être exclue. Bien sûr, tout doit être entrepris pour ne pas en arriver à cette ultime extrémité. Notre dissuasion est une garantie de sécurité. Il faut le rappeler à chacun et ne pas oublier que sa portée vient aussi de ce qu’elle comprend de menaçant ou d’incertain. Veillons donc à ne pas l’affaiblir en révélant d’emblée une absence de réponse française.
Face au poids des incertitudes, gardons le cap, mes chers collègues. La puissance russe a volé la paix aux Ukrainiens. Elle a tenté de leur ôter leur liberté et leur souveraineté. Ces biens les plus précieux que possède un peuple, l’Ukraine doit les recouvrer et nous devons l’y aider.
Ne cédons rien à la violence, ne cédons rien aux menaces et rien au mensonge. N’offrons pas au Kremlin l’aubaine de nos divisions et opposons-lui un front uni de démocraties fortes et déterminées en Europe et au-delà. C’est bien sûr notre intérêt, mais par-dessus tout ce sera l’honneur de la France. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et SER.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en juillet dernier, j’ai eu l’honneur de faire partie de la délégation qui accompagnait le président du Sénat en Ukraine. J’ai été profondément marqué par notre visite dans la banlieue nord de Kiev, touchée par les offensives russes. Nous nous sommes rendus dans les villes martyres d’Irpin, de Boutcha et de Borodyanka. Personne – personne ! – ne peut en revenir indemne.
Lors de ce court séjour, nous avons mesuré l’importance de l’aide militaire, sans laquelle les Ukrainiens ne se battraient pas à armes égales avec leur agresseur. Comme j’ai pu le dire, au-delà du symbole, le soutien sur place d’autorités politiques d’États étrangers permet la reconnaissance et l’affirmation de la juste cause du peuple ukrainien.
De quoi débattons-nous aujourd’hui ? Notre sujet est le retour de la guerre en Europe. Le retour de la guerre, c’est le retour des heures sombres. L’ensemble du projet européen que nous avons bâti avait pour but d’empêcher que le continent ne subisse de nouveau les affres de la guerre. Le monde entier a souhaité écarter ce risque. L’ensemble des organisations internationales et toute la construction du droit international, mises en place à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, visaient à prévenir une telle situation.
Or, le souvenir ancré dans la mémoire de nos aînés s’étiole au fil des ans et la crainte de la guerre n’est plus aussi prégnante. Aristote disait que « savoir, c’est ce souvenir ». Oui, savoir, c’est se souvenir : souvenons-nous donc de toutes les luttes pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Grâce à ce souvenir, nous ne pouvons que nous opposer, en nous révoltant, à l’accaparement de territoires par la force et aux atrocités qui y sont commises.
Je parle de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité qui ont été perpétrés, de la déportation d’Ukrainiens, de la déportation de centaines de milliers d’enfants – oui, de centaines de milliers d’enfants ukrainiens –, qui servent la propagande russe, qui sont placés dans des familles et qui pensent que leurs parents sont morts.
Ces exactions ne sont pas nouvelles : l’horreur syrienne aurait déjà dû nous alerter, car ce sont les mêmes acteurs – ne nous méprenons pas.
D’ailleurs, face aux nombreux revers militaires, le Kremlin a nommé à la tête des opérations un nouveau général, Sergueï Sourovikine, qui était déjà à la manœuvre en Syrie et dont la sanglante réputation n’est plus à faire. Plus la situation est critique, plus les forces russes sont acculées, plus la folie meurtrière et mortifère de Poutine s’affirme.
Comme me l’a dit Robert Badinter, avec qui j’ai eu l’honneur d’échanger voici quarante-huit heures : « Les empires ne survivent pas aux défaites et Vladimir Poutine le sait. »
La population ukrainienne est sacrifiée et traumatisée. Ce traumatisme se transmet de génération en génération – j’en suis le témoin. Je ne peux qu’avoir une pensée pour ces morts tombés dans les terribles guerres du passé en rêvant à la concorde et à la paix du monde, une pensée pour ces quelques personnes qui ont survécu et qui condamnent d’avance tous ceux qui tenteraient de devenir les nouveaux chevaliers de l’Apocalypse, une pensée pour les jeunes générations d’aujourd’hui, qui attendent à bon droit une humanité meilleure.
Une amie ukrainienne me confiait l’autre jour, à Lille, qu’elle avait découvert le sentiment de haine. Rendons-nous compte ce que cela implique…
Kennedy proclamait : « L’humanité devra mettre fin à la guerre ou c’est la guerre qui mettra fin à l’humanité. » Le monde arrivera-t-il jamais à changer la mentalité belliqueuse qu’il a tissée jusqu’à présent, pendant une si grande partie de son histoire ? Il est difficile de le prévoir, mais il est facile d’affirmer que notre chemin doit être celui d’une Histoire pacifique et résolument humaniste.
Vladimir Poutine devra répondre de ses crimes de guerre et contre l’humanité, car tout a une fin. En attendant, la crise devient la norme et l’escalade de violence russe ne semble pas connaître de limites.
La menace est désormais nucléaire, qu’elle soit tactique ou stratégique. L’Ukraine est au cœur d’une escalade très inquiétante et la Russie est tentée de durcir la situation avant l’hiver, les avancées militaires étant toujours plus difficiles dans les contrées gelées.
Cependant, la population ukrainienne aussi connaîtra les plus grandes difficultés. Les frappes massives contre les infrastructures sont sur le point d’entraîner un effondrement énergétique. Il semble même que les victoires ukrainiennes soient comme un stimulant pour la Russie, celle-ci ne souhaitant plus subir de défaite sans répliquer de manière puissante.
Cette escalade est mortifère. Ainsi, à la suite du retrait russe de Kherson, de nouvelles menaces se font jour, notamment la destruction du barrage de Kakhovka, et celle de la frappe nucléaire est encore très présente.
Ces chantages sont autant de pions avancés dans le jeu de terreur et d’intimidation des populations visant à leur saper le moral. On le sait, la guerre ne se gagne pas uniquement avec les armes.
Oui, le peuple ukrainien est résilient. Oui, il y va de sa liberté et de sa souveraineté, mais participer à l’effort de guerre ne doit pas être uniquement synonyme de fourniture d’armes par la France. L’aide humanitaire, madame la Première ministre, doit être pensée, organisée et mise en œuvre. Aussi notre groupe se prononce-t-il pour la création de fonds spéciaux pour venir en soutien aux populations civiles, qui sont les premières à souffrir.
Par ailleurs, des incertitudes quant à la réaction de certains États demeurent. Dans notre monde interconnecté, certaines attitudes interrogent : la Chine et l’Inde, qui semblent avoir pris leurs distances avec la Russie lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, doivent nous apporter plus de transparence et de garanties. Dans ce domaine, le parti socialiste a toujours été très clair vis-à-vis du pouvoir russe et notre réponse a sans cesse été celle de la condamnation. Nous nous rangerons toujours du côté de la paix.
Je tiens également à évoquer la question du Bélarus – le président Cambon vient de le faire –, qui est restée dans l’angle mort des préoccupations de nos opinions publiques. Ce pays a lui aussi une histoire européenne, trempée dans le sang du sacrifice de l’est de l’Europe. Durant la Seconde Guerre mondiale, un quart de sa population a disparu.
Dans l’ombre de la Russie, hier, et dans celle de l’actualité ukrainienne, depuis huit mois, ce pays a été par trop oublié. Il est réapparu dans nos médias lorsqu’Alexandre Loukachenko, dont nous ne reconnaissons plus la légitimité depuis 2020, a parié sur la fébrilité des dirigeants européens. Il a cyniquement organisé la venue aux frontières de l’Europe de centaines de migrants pour jouer d’un chantage inédit.
Il aura fallu cet épisode et des événements récents susceptibles de modifier le cours du conflit pour que l’on ne résume plus Minsk à des accords porteurs d’espoirs, désormais déçus.
Le Bélarus, c’est aussi un peuple, auquel un homme impose sa loi par des élections truquées, un peuple qui a vu emprisonner arbitrairement plus de personnes pour des raisons politiques, dans le but de briser une contestation populaire inédite, un peuple dont le dictateur a fait sortir son pays de la neutralité militaire en autorisant la présence de missiles nucléaires russes sur son territoire, et qui a récemment pris le chemin d’une participation active à la guerre en préparant une mobilisation qui ne dit pas encore son nom.
Minsk, pour le grand public, c’est aussi une présidente élue, forcée à l’exil, et qui se bat au quotidien pour soutenir ses compatriotes et préparer l’avenir démocratique de son pays. En nous tenant aux côtés du président Volodymyr Zelensky, nous devons nous tenir pareillement aux côtés de la courageuse présidente Svetlana Tikhanovskaïa, qui s’est exprimée à cette même tribune en février dernier. À nous de faire résonner son nom et celui du Bélarus libre pour soutenir ce peuple dans sa lutte, qui est aussi celle de la France et de l’Europe pour un continent démocratique et en paix.
La pseudo-démocratie du Kremlin ne trompe personne. Les référendums organisés dans quatre régions ukrainiennes, à la fin du mois de septembre dernier, avec des résultats fantoches avoisinant les 100 %, n’étaient que de simples formalités. Des hommes armés accompagnaient les électeurs aux bureaux de vote, quand il y en avait… L’Union européenne et l’Otan ont d’ailleurs qualifié ces scrutins d’« illégaux », à juste titre.
Ces violations du droit international doivent être sanctionnées, mais, en attendant, les habitants de Kherson, du Lougansk, de Zaporijia et de Donetsk sont considérés par les Russes comme faisant partie du territoire de la Fédération de Russie. Nous sommes tous d’accord – je le pense –, dans cet hémicycle, non seulement pour affirmer notre soutien au peuple ukrainien, mais aussi pour adresser une pensée particulière à toutes celles et à tous ceux qui, en Russie, refusent cette dérive historique de leurs dirigeants, souvent au péril de leur vie. Cette résistance-là mérite aussi tout notre respect. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE, RDPI, UC et Les Républicains.)
Mes chers collègues, le comportement russe est funeste pour l’Ukraine, pour l’Europe, ainsi que pour l’ensemble de la stabilité internationale. Si le monde entier a conscience des implications de cette guerre quant à l’ordre mondial, le rôle de la France et de l’Europe est particulièrement important.
Nos alliés américains étant soumis à de nouvelles élections d’ici à quelques semaines, l’on ne peut assurer que les moyens déployés seront renouvelés. Dans ce contexte, l’Europe et la France constituent un pôle de stabilité, ce qui nous oblige. Nous ne pouvons fuir notre responsabilité face à la guerre et face au monde.
Le Sénat, monsieur le président, peut apporter sa modeste, mais efficace contribution à travers les relations diplomatiques, tissées notamment grâce au groupe d’amitié France-Ukraine, dont je salue la présidente. La coopération décentralisée pourrait également jouer un rôle important dès lors qu’elle serait coordonnée.
La France a pris sa part, madame la Première ministre, en affirmant sa volonté d’une solution diplomatique dans un passé pas si lointain. En 2014, sous François Hollande, a été mis en place ce qu’on appelle le « format Normandie », qui réunissait les différents acteurs durant la guerre du Donbass. La France était alors en position de médiateur pour favoriser un dialogue et trouver une sortie de crise.
L’année suivante, la suspension de la livraison de Mistral à la Russie pour protester contre l’annexion de la Crimée n’a pas été une décision facile à prendre. J’étais alors au gouvernement et je me souviens de l’opposition de certains.
Ce type d’initiatives et, à travers elles, l’affirmation de notre volonté pacificatrice et du rôle que la France peut jouer dans l’ordre mondial me semblent déterminants. D’autant que Vladimir Poutine compte sur nos failles.
Ce n’est pas seulement l’intégrité du peuple ukrainien qui est attaquée. Pénétrer par la force dans un pays, c’est ouvrir l’ère des ambitions et des conflits à travers le monde. Sans citer l’ensemble des conflits larvés, il faut néanmoins souligner les inquiétudes qui sont les nôtres après le congrès du parti communiste chinois quant à la question de Taïwan. Toutes ces tensions sont autant de torches qui risquent d’embraser le monde. Une fois l’incendie déclaré, il est beaucoup plus difficile à éteindre.
Le reste du monde est ébranlé, et cela est particulièrement vrai en Europe. La crise énergétique qui nous frappe est une conséquence directe de la guerre – cela a été dit à plusieurs reprises. Si notre engagement ne peut être remis en cause – heureusement ! – nous pouvons nous demander si le périmètre des conséquences est défini, ou du moins circonscrit.
En France, l’opinion est solidaire et je tiens à saluer le soutien dont nos concitoyens et nos élus font preuve à l’égard du peuple ukrainien. Notre résilience impressionne, mais qu’en sera-t-il si notre engagement doit perdurer ? L’acceptation de la position de la France a-t-elle des limites ? Nous savons que nous sommes à un moment charnière. Les revers militaires russes s’enchaînent – je l’ai dit –, mais la position de Poutine se durcit, nous devons donc nous mobiliser encore plus.
Une autre menace m’inquiète, qui est celle de l’habitude et de la lassitude. Si la crise devient la norme, si le non-respect de la souveraineté des peuples ne nous révolte plus, alors nous nous dirigions tout droit vers un monde où la loi du plus fort régnera.
Mes chers collègues, sachons construire la victoire de l’intelligence contre l’obscurantisme. Sachons construire la victoire de l’humanité contre la barbarie. Sachons construire la victoire du droit contre la force et pour y parvenir, madame la Première ministre, au nom des collègues qui suivent particulièrement ce dossier, je voudrais vous poser cinq questions précises.
Premièrement, je souhaite bien comprendre les propos tenus par Emmanuel Macron, le Président de la République, dimanche dernier : « Une paix est possible, celle-là seule que les Ukrainiens décideront quand ils le décideront. » Faut-il comprendre que les Ukrainiens auraient seuls la responsabilité de la paix et à quel prix pour leurs frontières ?
Deuxièmement, l’Ukraine demande plus d’armes, mais combien pouvons-nous encore en fournir ? Nos stocks ne sont-ils pas menacés ?
Troisièmement, en cas de déclenchement de l’arme nucléaire, quelles seraient notre capacité et notre volonté de réponse et quelles mesures de sécurité nucléaire ont été mises en œuvre ?
Quatrièmement, sous quelle forme la France apporte-t-elle un soutien direct à la population ukrainienne, notamment à l’approche de la période hivernale ?
Cinquièmement, quelle nouvelle initiative diplomatique la France entend-elle prendre ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes GEST, RDSE, RDPI, INDEP, UC et Les Républicains. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste. Je salue son engagement comme présidente du groupe d’amitié France-Ukraine, un engagement déterminé et particulièrement concret. (Applaudissements.)
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’Ukraine n’est pas en guerre depuis le mois de février 2022 ; l’Ukraine est en guerre depuis février 2014, date d’annexion de la Crimée. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe RDPI. – M. Patrick Kanner applaudit également.)
Elle est même en conflit avec son « grand frère russe » depuis les années 1930 et l’Holodomor – nous le commémorerons le 26 novembre prochain –, cette extermination par la faim d’environ cinq millions de victimes, par la volonté de Staline, alors grand maître du Kremlin, qui avait choisi de piller le grenier à blé de l’Union soviétique pour financer son industrialisation.
L’Ukraine et la Russie sont en guerre depuis fort longtemps, mais jusqu’à présent cela ne nous dérangeait pas.
Depuis février 2022, la guerre en Ukraine a mis fin pour nous au dividende de la paix. Cet événement central a bousculé tous nos arbitrages économiques et politiques. Comme un voile qui se déchire, l’invasion de l’Ukraine par la Russie nous a permis de voir les fractures déjà à l’œuvre dans le tissu économique et social français.
La guerre a martelé, comme la pandémie de covid-19, le message de l’impréparation de la France, sa vulnérabilité en général face aux chaînes de valeur des secteurs stratégiques essentiels. La question des ressources et des approvisionnements s’est posée avec brutalité.
Désormais, les enjeux de sécurité sont devenus prioritaires. La question de l’engagement militaire de la France est centrale.
J’ai eu la chance d’être présente à la Rada le jour où les députés ukrainiens ont longuement applaudi la France, le président Larcher et nos canons Caesar – moment inoubliable.
Nous examinerons bientôt le projet de loi de finances pour 2023, premier budget depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Nous souhaitons savoir quels moyens seront prévus pour la poursuite de l’aide à l’Ukraine.
Le Parlement, dont il est évident qu’il doit être tenu au courant de l’effort de guerre, ressent, madame la Première ministre, une forme de frustration face à ce que je qualifierai d’« opacité » sur la question des volumes précis et du type d’aide fournie.
On annonce un nouveau « paquet militaire » : nous aimerions savoir ce qu’il contient précisément.
Des chiffres circulent sur ce que pourrait être le montant financier de notre aide militaire, mais c’est de vous, madame la Première ministre, que nous devons obtenir une information fiable et précise, qui permettra de situer l’importance de notre effort par rapport à celui des autres nations.
Nous demandons à être informés de façon régulière, ce qui ne remet pas en cause, bien évidemment, notre soutien, particulièrement celui du groupe Union Centriste, à votre action.
Les derniers développements des combats sur le sol ukrainien nous laissent penser que cette situation n’est pas transitoire et, malgré les avancées ukrainiennes, nous avons devant nous un conflit qui s’installe et qui sera long. L’offensive ukrainienne ralentit et la mobilisation partielle décrétée par Vladimir Poutine apportera aux Russes un renfort humain massif, même si les nouveaux soldats seront globalement mal équipés et peu motivés.
Il nous faut donc désormais nous donner des moyens durables de faire face aux conflits de haute intensité sur le sol national et sur le sol européen.
Aujourd’hui, la situation militaire est loin d’être stabilisée. Plus l’armée russe recule, plus le risque d’élargissement du conflit est tangible.
Madame la Première ministre, face à un risque d’escalade nucléaire brandi par le président Poutine, qui parle de façon récurrente, ces derniers jours, de « bombe sale », quel est le plan du Gouvernement ? Quelle est la préparation, en France, pour les populations civiles, à l’heure où les comprimés d’iode sont en tension d’approvisionnement mondiale ? De quels abris atomiques disposons-nous, alors que les agences de notation évoquent le risque nucléaire, dans certains scénarios, comme s’il s’agissait désormais d’une nouvelle normalité ?
Cette guerre est l’accélérateur d’une redistribution des grands équilibres géopolitiques mondiaux. Nous prenons conscience de façon aiguë du positionnement stratégique national, européen et mondial. Nous sommes à l’heure des choix.
Face au risque d’embrasement général en Asie centrale, où le groupe Wagner tente de recruter, quel est le rôle de la France pour empêcher l’extension du conflit aux pays voisins ? Comment aider ces pays à construire leur propre autonomie stratégique entre la Russie, la Chine ou la Turquie ? Quelle est la politique de la France vis-à-vis de cette région ?
Cette guerre est aussi une guerre d’image. Il est nécessaire que la France participe à la mise en lumière des crimes russes envers les civils ukrainiens. Le monde doit connaître les exactions dont se rendent coupables les Russes et leurs milices. En Afrique, et plus particulièrement au Sahel, où les soldats russes sont considérés comme des libérateurs, la France doit couper court à la désinformation. Le resserrement de l’Alliance atlantique ne doit pas empêcher notre pays de faire entendre sa voix.
J’en viens à la question de l’énergie, car la crise géostratégique s’est transformée en crise énergétique, avant de se transformer en crise économique.
L’augmentation du prix du gaz entraîne mécaniquement celle de l’électricité. Il n’y a plus de long terme dans le champ des factures énergétiques. La concertation européenne semble buter actuellement sur ces sujets. Les entreprises sont dans des situations intenables, les collectivités également, et de nombreux particuliers risquent de basculer dans la précarité.
Quelle est la stratégie de la France en matière de recherche de fournisseurs intermédiaires d’énergie ? Comment le Gouvernement est-il en train d’organiser le long terme de l’approvisionnement énergétique national ?
Si nous avons désormais compris que l’énergie n’est pas une évidence, il faut prendre conscience que l’alimentation ne l’est pas davantage. Les perturbations de la production agricole, des chaînes d’approvisionnement et des échanges commerciaux ont donné lieu à une envolée des prix mondiaux des denrées alimentaires et des engrais à des niveaux sans précédent. « La Russie, en faisant de l’alimentation une arme dans sa guerre contre l’Ukraine, a provoqué une crise mondiale de la sécurité alimentaire » : voilà ce que vient de déclarer le Conseil européen.
Madame la Première ministre, il est réellement vital d’obtenir, à ce stade, que les « corridors céréaliers » de la mer Noire restent ouverts au-delà du mois de novembre. La spéculation sur les marchés agroalimentaires et leur dérégulation étaient prévisibles : c’est le grenier du monde qui est visé.
En France, la crise de la covid avait accéléré la demande d’une consommation alimentaire de proximité et de qualité, rémunérée au juste prix. La guerre et son cortège de difficultés économiques amènent désormais les ménages, hélas, à privilégier une alimentation à moindre coût. Nos producteurs en font les frais.
Tous les marchés ont été perturbés, mais il nous faut faire la part des choses : n’oublier ni les phénomènes spéculatifs ni les difficultés préexistantes de notre économie, même si nous avons tendance à rendre le conflit russo-ukrainien responsable de toutes nos difficultés.
Il y a toujours eu, hélas ! ceux qui bâtissent des fortunes en temps de guerre. Dans ce contexte de panique et d’angoisse maximale de l’opinion publique, il y a un enjeu crucial : tenir bon. Poutine espère précisément que les Français se lassent de ce conflit aux conséquences lourdes. Ils ne doivent pas céder.
Le président Roux de Bézieux le disait il y a quelques jours à Nevers : « Les entreprises françaises souffrent, mais, quel que soit le prix à payer, le Mouvement des entreprises de France (Medef) soutient les sanctions, car les valeurs morales, éthiques et philosophiques n’ont pas de prix. Elles sont le prérequis d’un contexte économique garant de la stabilité des entreprises. »
Au-delà de ce constat, il nous faut marteler que, à ce stade du conflit, il s’agit non plus d’une guerre entre la Russie et l’Ukraine, mais bien d’une guerre entre un agresseur et un pays souverain dont l’intégrité territoriale est remise en cause, d’une guerre entre un pays qui ne respecte plus aucune convention internationale et l’Occident, qui se pose en défenseur du droit humanitaire international.
La France, pays des droits de l’homme, doit être inflexible face aux crimes contre l’humanité perpétrés chaque jour en territoire occupé. Frapper des infrastructures civiles en temps de guerre, c’est un crime de guerre ! Déporter massivement des enfants, ce devrait être un crime de guerre ! Et je ne parle ni des viols ni du traitement inhumain des blessés et des populations civiles, contraires à tous les engagements de la convention de Genève.
Que dire de toutes les atrocités perpétrées sciemment contre des populations innocentes et désarmées ? Les récits, les témoignages, les images sont trop nombreux, ils sont poignants, incontestables et insupportables. La vision des appartements d’Irpin passés au lance-flammes par l’armée russe ne me quittera jamais.
Le Conseil européen vient de prendre une position très ferme : « L’agresseur devra rendre des comptes », dit-il. Nous serons les témoins de demain, mais notre rôle aujourd’hui est d’aider le monde à trouver le chemin de la paix.
Madame la Première ministre, la conséquence la plus évidente de ce conflit, pour la France et les Français, est d’avoir mis la guerre à portée de voiture. Les élus de nos communes et les Français ont généreusement ouvert leur porte à des familles, celles de nos voisins, impressionnants de courage et de résilience. Ils les prennent en charge et les soutiennent chaque jour, sans compter.
L’invasion de l’Ukraine a provoqué un renforcement de certaines valeurs qui doivent rester un socle commun.
Vous aurez compris que mon groupe, collectivement, m’a demandé de porter un message de fermeté, de soutien intangible au peuple ukrainien et de dénonciation des crimes de guerre.
Dans le prolongement du débat de ce soir, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, le Sénat souhaite être votre partenaire de chaque jour dans cette crise majeure.
À titre personnel, j’exprime ma solidarité à nos collègues et amis de la Rada ukrainienne et à leur président Rouslan Stefantchouk, qui ont vaillamment siégé sans discontinuer depuis février 2022, parfois sous les bombes.
J’ai une pensée profondément émue pour toutes les victimes de cet affreux conflit.
Je vous remercie, malgré toutes les conséquences que cela emporte, de nous assurer que la France restera pour l’Ukraine un soutien indéfectible et fort jusqu’au jour tant espéré, celui de la paix. (Vifs applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en préalable à mon propos, je voudrais tout d’abord saluer la tenue, ce soir, de ce débat dans l’hémicycle.
Si la guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie il y a maintenant huit mois, traverse toutes les discussions de toutes nos commissions parlementaires, sans exception, nous n’avons jusqu’à présent guère eu l’occasion d’en débattre solennellement, en séance plénière, avec le Gouvernement.
Lors de la déclaration, suivie d’un débat, du Gouvernement devant le Sénat le 1er mars dernier, chaque groupe politique a pu s’exprimer. Cependant – si je puis me permettre – beaucoup d’eau, depuis, a coulé sous les ponts de Paris et sous les ponts du Dniepr, ou du moins ce qu’il reste de ponts sur ce très majestueux fleuve européen.
La responsabilité de cette éclipse du débat parlementaire incombe moins au Gouvernement et à notre assemblée qu’à un calendrier électoral absurde qui, lors des années d’élections présidentielle et législatives, voit nos travaux dans l’hémicycle suspendus durant plus de quatre mois.
Cette situation ne valorise guère, aux yeux de nos concitoyens, la démocratie parlementaire, notamment en période de grave crise, qui conduit l’exécutif à prendre des décisions importantes sans consultation formelle du Parlement.
Je veux donc ici saluer la présence conjointe au banc de la Première ministre et d’une partie du Gouvernement, qui, fort heureusement, ont tenu régulièrement informé notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de l’évolution de la situation.
Cependant, comme nous le rappelait pas plus tard qu’hier soir le ministre des armées, il est essentiel que l’information « percole » auprès de l’ensemble de la représentation parlementaire. Nous y voici donc, monsieur le ministre !
Certes notre pays n’est pas en guerre, mais il se trouve néanmoins aujourd’hui indirectement très impliqué dans ce conflit. Nous en mesurons chaque jour les conséquences multiples, tant à l’échelle de la vie quotidienne de nos concitoyens qu’à l’échelle de la Nation et de l’Europe.
Je concentrerai mon intervention autour de deux grands constats provisoires, qui appellent chacun quelques questions.
Premier constat : la guerre en Ukraine, qui vient s’ajouter à la crise sanitaire, agit comme un révélateur des fragilités et dépendances de notre économie.
Comme l’a clairement relevé le rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese) de mai dernier, notre appareil productif fait face à deux problèmes majeurs : la hausse des prix de l’énergie et des matières premières et les ruptures d’approvisionnement qui menacent d’arrêt certaines activités. Tous les secteurs de notre économie sont touchés.
Le prix de gros de l’électricité, qui a quasiment été multiplié par douze en un an, s’envole. La pénurie de composants électroniques, apparue durant la crise sanitaire, est aujourd’hui aggravée par le conflit ukrainien. Fin septembre, les usines Renault du Nord étaient à l’arrêt en raison des difficultés d’approvisionnement en semi-conducteurs. Citons également les ruptures de stock dans l’agroalimentaire, passées de 2 % à plus de 10 %, sans parler du domaine de l’armement et des moyens capacitaires de nos armées, qui appellent d’importantes réorientations et des investissements élevés.
Compte tenu de nos contraintes budgétaires et humaines, quels sont, mesdames, messieurs les ministres, les secteurs que vous considérez comme prioritaires et les échéances que vous vous fixez pour acquérir une autonomie assez significative dans les domaines concernés ?
Second constat : malgré les chocs subis, force est de constater l’admirable résilience de l’opinion publique française face à la propagande et au narratif russes. Selon un sondage de l’Institut français d’opinion publique (Ifop) paru au début du mois, on note que si les Français sont majoritairement inquiets des conséquences de la guerre en Ukraine pour la France, ils sont cependant 70 % à avoir une bonne opinion de l’Ukraine, contre 16 % seulement pour la Russie.
Nous observons surtout que les deux tiers des Français se déclarent favorables aux sanctions économiques et approuvent la livraison d’armes à l’Ukraine par l’Europe.
Pourtant, très tôt, une petite musique s’est propagée sur les réseaux sociaux, et parfois dans des médias plus officiels, sous-entendant que toutes les difficultés actuelles des Français proviendraient du soutien que nous apportons à Kiev : un choix qui nous aurait été insidieusement inoculé par une Amérique forcément prédatrice.
Au fil des ans, la Russie est passée maître en matière de désinformation et de guerre hybride. Il faut, en l’état, se féliciter de son relatif échec à déstabiliser notre pays et son opinion publique.
Les services de l’État en matière de lutte contre les attaques cyber et la désinformation ont, notamment grâce à Viginum, créé il y a un an, beaucoup contribué à endiguer l’offensive informationnelle de la Russie depuis le début de la guerre. Il serait injuste de ne pas leur accorder un satisfecit très mérité.
L’Europe n’a pas non plus été en reste : la création récente d’un système de signalement des tentatives de désinformation par le service « communication stratégique, groupes de travail et analyses de l’information », dit « STRAT.2 », du service européen pour l’action extérieure (SEAE) a déjà démontré son utilité.
Cependant, c’est sans doute l’interdiction de la diffusion sur tout le territoire de l’Union de RT News et de Sputnik, décidée dès les premières semaines de l’agression russe, qui a eu le plus d’impact dans ce combat.
Pour autant, il ne faut pas négliger d’autres facteurs extérieurs : la faiblesse du narratif poutinien pour justifier l’attaque contre l’Ukraine, en particulier les accusations de nazisme et d’antisémitisme proférées à l’encontre de Kiev et de la population du pays ; la défection de nombreux hackers qui gravitaient dans la nébuleuse russe de cybercombattants et qui ont souvent rallié le camp ukrainien ; et – last but not least – le très efficace et percutant contre-narratif ukrainien développé par le président Volodymyr Zelensky et son entourage.
La figure de héros de la liberté et de résistant à l’oppresseur, celle de David contre Goliath, n’échappe ici à personne et donne, sur la forme, un sacré coup de vieux à la communication politique partout dans le monde.
Cependant, la guerre de l’information contre la France, et plus généralement contre les pays occidentaux, n’est pas encore gagnée. Un hiver potentiellement très difficile, ajouté à un possible enlisement de la guerre, pourrait sérieusement affecter la solidarité actuelle de l’opinion à l’égard de l’Ukraine.
Contenu en France et en Europe, le narratif autoritaire de la Russie s’est fortement redéployé et accentué en Afrique, en particulier contre notre pays. RT News et Sputnik se développent à vitesse « grand V » partout sur le continent, et la nébuleuse Wagner de l’oligarque Yevgeny Prigozhin déploie, notamment à travers sa société de production de films Aurum, un narratif prorusse qui connaît un vif succès auprès des populations les plus jeunes et les plus populaires d’Afrique. Les effets à l’encontre de nos soldats, de nos diplomates et de nos entreprises sont dévastateurs, au Mali, en République centrafricaine, au Burkina Faso et sans doute demain en Guinée.
Mesdames, messieurs les ministres, notre pays fait d’ores et déjà face à un second front. Quelles sont les mesures que nous comptons mettre en œuvre pour gagner la guerre de la communication menée contre nous en Afrique, mais aussi au Moyen-Orient ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains. – M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 24 février, Vladimir Poutine ordonnait l’invasion illégale de l’Ukraine par l’armée russe. En violant le droit international et l’intégrité d’un État souverain, il déclenchait sur le continent un conflit d’une ampleur inédite depuis 1945, qui appelle notre solidarité auprès du peuple ukrainien.
Illégale, et terriblement meurtrière, cette guerre ne connaît depuis février que l’escalade. Elle menace aujourd’hui la sécurité internationale.
Cette guerre, c’est à ce jour, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 8 millions d’Ukrainiens réfugiés à l’extérieur de l’Ukraine, des millions de déplacés intérieurs, plus de 15 000 victimes civiles tuées ou blessées ; ce sont des dizaines de milliers de morts au combat, Ukrainiens et Russes ; ce sont des crimes de guerre, et la répression des dissidents et des conscrits en fuite. Chaque jour, la jeunesse des deux pays est fauchée dans les combats.
La guerre, c’est l’effondrement de moitié du PIB ukrainien, la destruction du tiers des infrastructures énergétiques. Le Premier ministre ukrainien annonce déjà que, en l’état, le coût de la reconstruction se chiffrera en centaines de milliards de dollars.
La guerre, c’est l’aggravation de la crise économique et énergétique, partout sur la planète, frappant d’abord les plus faibles. C’est le spectre de la famine, comme en Somalie, où le manque de nourriture tuera aussi sûrement et même plus que les bombes. Cette guerre, c’est l’engloutissement quotidien de ressources considérables qui manquent tant aujourd’hui pour répondre aux défis du développement humain et du changement climatique. C’est l’aggravation catastrophique des émissions de gaz à effet de serre, qui bat en brèche tous les objectifs climatiques. La nouvelle dépendance de l’Europe au gaz naturel liquéfié (GNL) américain, 2,5 fois plus émetteur de CO2 que le gaz naturel, en est un exemple frappant.
La guerre, c’est l’embrasement possible à tout instant en Moldavie, en Géorgie ; il est déjà à l’œuvre en Arménie, avec l’attaque azérie.
Ce sont tous les points de tension du globe ravivés, le spectre d’un nouveau conflit mondial, le retour de la menace de l’annihilation nucléaire.
Moscou réinterprète dangereusement sa grammaire de la dissuasion, et la surenchère peut mener de manière irresponsable à un éventuel conflit nucléaire. Ces faits alarmants devraient, d’ailleurs, inviter à relancer, de la manière la plus vigoureuse qui soit, les discussions mondiales sur le désarmement multilatéral et sur un régime mondial d’interdiction des armes nucléaires.
La guerre entre la Russie, l’Ukraine et, derrière elle, les forces de l’Otan est un terrible engrenage. Il sera, nous le savons, difficile d’en sortir. Faut-il dès lors se résigner à l’escalade ? Sauf à accepter de voir s’amplifier la catastrophe en cours pour des semaines, des mois, et peut-être des années encore, nous pensons, madame la Première ministre, qu’il faut avoir le courage de ne pas abandonner l’exigence d’un cessez-le-feu le plus rapide possible sur le front.
Dire cela, est-ce céder aux Russes, comme on l’entend dire, comme s’il s’agissait d’accepter de geler la situation sur la ligne de front actuelle ? Bien sûr que non. Dire cela, c’est demander que, dans la guerre, la voie de la paix et de la diplomatie ne s’éteigne pas et qu’elle reprenne la main au plus vite, sans accepter le terrible prix humain de son amplification, sans perspective de fin, et probablement sans vainqueur parmi les peuples.
Nous voulons le retour de la diplomatie au plus vite pour tracer le chemin d’une négociation globale, récusant le changement de frontières et l’acquisition des territoires par la force, demandant le retrait des troupes russes et rouvrant le dialogue sur l’autodétermination, la garantie de souveraineté et de sécurité pour tous les peuples.
À ceux qui préconisent la guerre, et forcément son escalade, avec toutes ses conséquences imprévisibles, en faisant miroiter sa fin prochaine, je leur demande de me dire dans quel pays la guerre a, ces trente dernières années, apporté la solution et la paix promise : en Afghanistan ? en Irak ? en Syrie ? en Libye ? au Yémen ? au Sahel ? Tous ces pays sont en ruine et en proie aux violences. Pourtant, les ennemis étaient tout aussi condamnables.
Non, la voie de la diplomatie pour la paix n’est pas celle de la reddition. Elle est peut-être celle de l’espoir, celle qui épargne aux peuples la misère, la destruction et la barbarie.
Nous livrons des armes à l’Ukraine. Malgré nos demandes répétées, le Parlement ne dispose pas, à ce jour, de toutes les informations, ni sur ce que nous livrons ni sur les incidences de ces livraisons sur nos propres capacités de défense. Qui peut, tant que la guerre dure, dénier à un État agressé comme l’Ukraine le droit de se défendre et de faire appel à ses alliés ? Personne. Cependant, qui peut assurer que ces livraisons, même massives, ouvriront la voie à la solution militaire du conflit en cours ?
Quelles que soient les décisions prises, rien ne doit nous détourner d’un effort immédiat pour retrouver la voie de la paix par la négociation internationale, au plus vite.
Le Président de la République a eu raison, le 12 octobre dernier, sur France 2, puis ce dimanche en Italie, de remettre dans le débat la perspective de la paix et le retour à la table des négociations ; mais il semble, dans le même mouvement, en repousser toujours l’échéance.
La France, avec d’autres pays, doit y travailler sans tarder. Que pensez-vous, madame la Première ministre, de la proposition d’un ancien ambassadeur de France, dans un grand journal du soir, d’engager sans tarder entre Ukrainiens et alliés une discussion sur ce que devrait être un calendrier et une position de négociation ?
Que pensez-vous des voix qui s’élèvent, dans une tribune d’anciens diplomates italiens, s’exprimant sur les bases possibles d’un règlement négocié, ou dans la lettre adressée par 35 démocrates de la Chambre des représentants à Joe Biden pour lui enjoindre de « déployer de vigoureux efforts diplomatiques en soutien à un règlement négocié » ?
Que pensez-vous des déclarations du pape François, que le Président de la République vient de rencontrer, et qui n’a cessé d’appeler à ce que les armes se taisent depuis le début du conflit ? (Murmures.)
Pour avancer dans ce sens, parce que nous savons que le chemin est rempli d’obstacles, nous pouvons travailler à conforter tous les accords partiels déjà négociés pour élargir les brèches.
Je pense à l’accord sur les exportations de céréales, qui arrive à échéance le 22 novembre : allons-nous travailler à sa reconduction ? Est-il également possible de conforter l’accord sur la sécurisation des centrales nucléaires, en lien avec l’ONU et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ?
Comment agir pour que les organisations humanitaires puissent travailler, alors que le droit international humanitaire est aujourd’hui, partout, bafoué ? Comment assurer la protection des installations civiles indispensables aux populations ?
La priorité est également de prévenir l’extension du conflit aux pays frontaliers. Un engagement réciproque des parties prenantes, doublé d’un engagement multilatéral à ne pas impliquer de nouveaux pays frontaliers dans la guerre, pourrait être un objectif. Au-delà, le but est de rouvrir une négociation globale de sécurité, sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Madame la Première ministre, pour toutes ces raisons, nous pensons que la France devrait entamer la construction d’une grande coalition mondiale pour la paix, qui ne peut être enfermée dans le seul bloc de l’Otan. La logique des blocs fait partie du problème. Elle nous voit, en ce moment, sans barguigner, classer la Turquie, l’Arabie saoudite et des gouvernements d’extrême droite européens dans le camp de la démocratie.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Pierre Laurent. De nombreux pays, qui refusent l’alignement derrière la Russie, mais aussi derrière l’Otan, souhaitent une telle coalition de la paix, qui se donne pour but la construction commune et mondiale de la paix, par la construction de sécurités collectives et de sécurités humaines, alimentaires, sanitaires, énergétiques et climatiques partagées.
La France devrait en prendre l’initiative. Nous devons pour cela parler à de grands pays comme l’Inde, comme la Chine – sans les jeter dans les bras des Russes, comme certains le font –, à des pays plus modestes, en Asie centrale, comme le Kirghizstan, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, qui sont intervenus à plusieurs reprises pour critiquer la guerre, et à des pays africains, menacés par les conséquences de celle-ci, et qui veulent un ordre mondial plus juste et plus solidaire, sans avoir à choisir entre deux systèmes de domination.
Pour constituer cette grande coalition, la France doit reprendre sa liberté d’initiative pour assumer pleinement, en Europe et dans le monde, son rôle au service de la paix. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul et M. Joël Bigot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Claude Malhuret. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, le 1er mars dernier, alors que les troupes russes encerclaient Kiev, et qu’on nous expliquait que l’Ukraine serait écrasée en quelques jours, je commençais mon discours à cette tribune par la phrase suivante : « L’invasion de l’Ukraine pourrait bien être le premier clou sur le cercueil de la dictature de Poutine. » Cette perspective paraît sans doute moins irréaliste aujourd’hui.
M. Martin Lévrier. C’est vrai !
M. Claude Malhuret. Le césarisme appuyé sur une propagande sans limites et un nationalisme guerrier est la recette de toutes les dictatures ; jusqu’à ce qu’elles fassent le pas de trop. Pendant vingt ans, Poutine a mis en pratique le proverbe arabe : « Un chameau se mange par morceau. » Une patte au moment de la Tchétchénie, une jambe avec l’Ossétie, une cuisse avec l’Abkhasie, et la suite, Transnistrie, Crimée, Donbass. Devant notre inaction, il s’est dit qu’avec l’Ukraine, il pouvait manger le chameau d’un seul coup. Il est en train de mourir d’indigestion.
Il y a peu d’exemples dans l’Histoire où l’agresseur soit parvenu avec autant de précision à l’exact contraire du but recherché.
Poutine voulait annexer l’Ukraine ? Il en a forgé la nation.
Diviser l’Europe ? Il l’a soudée.
Ridiculiser l’Otan ? Il l’a renforcée.
Humilier les États-Unis ? Il a ressuscité Biden après Kaboul.
Prendre la tête des dictatures ? La Chine s’inquiète, la Turquie montre les dents, le Kazakhstan et toute l’Asie centrale en profitent pour prendre le large.
Conforter sa dictature par ses conquêtes ? Les troubles commencent dans les républiques de la Fédération de Russie elle-même.
Démontrer l’isolement de l’Occident ? À L’ONU, 143 pays, contre 4, condamnent la Russie.
Il est acculé stratégiquement, économiquement, militairement. Que va-t-il faire ? Tout simplement ce qu’il sait faire, ce qu’il fait depuis toujours : un conflit gelé à ses frontières, puisque l’Ukraine ne peut franchir la frontière russe, et une guerre hybride contre l’Occident, pour y semer le chaos.
Ce chaos, ceux qui vont s’en charger chez nous, ce sont les officines, les populistes, les collabos et leurs réseaux sociaux qui, depuis des années, relayent avec une fidélité canine sa propagande. Ces 100 % poutiniens d’hier tentent de sauver les meubles aujourd’hui. Ils attendent l’hiver. Ils savent que l’opinion est capricieuse, ils attendent que le soutien à l’Ukraine se désagrège. Leur leitmotiv, c’est « beurre œufs fromage », comme en 40. (Sourires au banc du Gouvernement.) En clair : « La Russie, même pas mal, les sanctions ne font souffrir que l’Europe. »
Tous les chiffres qu’ils citent sont faux, issus en droite ligne du Kremlin. Une récession russe de quelques pour cent, nous dit-on ? Non seulement l’absence de microprocesseurs empêche les Russes de reconstituer leur armement, mais ils ne fabriquent même plus de voitures ou de machines à laver. Les 700 000 hommes qui ont quitté le pays depuis février, les plus qualifiés, entraînent un effondrement de la production. Mille entreprises étrangères ont quitté le pays, ce qui représente 40 % du PIB.
La bourse de Moscou a perdu 50 %. Les économistes de salon qui nous disent que le rouble n’a pas baissé n’ont toujours pas compris que son cours officiel est bidon, puisqu’il n’est plus échangeable. Qu’ils aillent dans une rue de Moscou et changent quelques dollars au noir ; ils apprendront alors que le rouble, dans le monde réel, a perdu 50 % de sa valeur.
Tous les chiffres venant de l’État russe sont comme Lénine dans son mausolée : soigneusement entretenus et tout à fait morts. (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains.) Les sanctions marchent, et de mieux en mieux.
Le prochain axe de la propagande russe, c’est la paix. Nous venons d’en avoir un exemple à l’instant. (M. Pierre Laurent s’indigne.)
M. Julien Bargeton. Tout à fait !
M. Claude Malhuret. À chaque conflit avec l’Occident, l’URSS, puis la Russie ont recouru au même stratagème : le pacifisme. Dans les années 1930, c’est le Mouvement pour la paix, orchestré par les partis communistes européens et les idiots utiles, les Sartre, Aragon et autres, qui a désarmé les démocraties. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. Un peu de respect !
M. Claude Malhuret. Dans les années 1980, les missiles russes sont à la frontière de l’Europe et la riposte des Pershing américains est contrecarrée par les immenses manifestations « Plutôt rouges que morts ». Rappelons-nous la phrase cruciale de Mitterrand, qui a fait échouer la manœuvre : « Les missiles sont à l’Est, les pacifistes sont à l’Ouest. » (M. Pierre Laurent s’exclame. – Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
Eh bien, c’est reparti ! On n’a pas fait assez attention au thème de la conférence de presse de Le Pen, la porte-parole salariée du Kremlin, il y a quinze jours : « Il faut organiser une grande conférence pour la paix en Europe. » La manœuvre va s’amplifier. Mélenchon ne dit rien d’autre. Et pour cause, ils prennent leurs ordres au même endroit. Leurs groupes ont ensemble refusé de voter les sanctions et l’aide à l’Ukraine. Nous venons d’en entendre, à l’instant, les arguments. Hélas !
Il va donc nous falloir redoubler d’efforts pour les combattre et pour convaincre les Français de continuer à apporter leur soutien.
Mme Éliane Assassi. Vous devriez faire un peu de politique, monsieur Malhuret !
M. Claude Malhuret. Le seul côté positif de la guerre en Ukraine est qu’elle nous ouvre les yeux. Les dictateurs sont revenus. Certains les avaient crus vaincus à jamais à la fin du XXe siècle. Sous nos yeux, l’Internationale des tyrans se reforme pour se venger, abattre l’Occident, mettre à bas la démocratie.
Malgré les erreurs catastrophiques de la Russie, Moscou, Pékin, Téhéran, Pyongyang et d’autres renforcent leurs liens, sous le regard attentif d’Ankara. La guerre de Poutine n’est qu’un prélude. Les prochaines générations doivent savoir que, outre la crise climatique, le vrai défi à venir sera la menace des dictatures sous la conduite de la Chine. La deuxième guerre froide a commencé.
Si nous en sommes là, c’est aussi à cause de nos propres lâchetés. Ce qui s’est passé, c’est non pas – n’en déplaise à Fukuyama – « la fin de l’Histoire », mais la sortie de l’Europe de l’Histoire. Il n’y a pas de phrase plus malheureuse que celle qui nous a convaincus que nous allions toucher « les dividendes de la paix ».
Elle nous a conduits à fermer les yeux, depuis vingt ans, à chaque nouvelle exaction de la Russie, à laisser la Chine piller nos technologies et escroquer l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Elle conduit nos dirigeants à répéter aujourd’hui que nous ne sommes pas en guerre, erreur tragique, car les dictateurs, eux, savent qu’ils sont en guerre contre nous. Ils le disent.
Cette erreur majeure d’analyse fut d’abord celle de l’Allemagne et de la France. Depuis un demi-siècle, la politique allemande est fondée sur la dépendance énergétique à l’égard de la Russie, sur la dépendance économique envers la Chine et le désarmement face aux deux.
Celle de la France fut de courtiser la Russie pour trianguler sa relation avec les États-Unis, en croyant acquérir une position indépendante sans en avoir les moyens militaires. Les avertissements de l’Europe de l’Est, qui sait – elle – ce que sont les dictatures, ont été rejetés avec mépris. L’invasion de l’Ukraine nous montre l’échec de ces deux politiques et, surtout, l’urgence à ne pas les poursuivre.
Il est plus que temps de renforcer la coalition de toutes les démocraties et d’abandonner, en France, l’antiaméricanisme appuyé sur la vieille haine de droite dirigée contre les Anglo-Saxons et la vieille haine de gauche contre le capitalisme, le tout au nom d’un gaullisme de pacotille, ignorant ce que disait de Gaulle : « L’antiaméricanisme est le socialisme des imbéciles. »
Il est plus que temps de moderniser et de renforcer la défense européenne pour se hisser à la hauteur de la compétition stratégique, de comprendre que les guerres à venir seront hybrides et que notre retard en matière de numérique, de lutte contre la désinformation et d’intelligence artificielle est encore plus immense que notre retard dans le domaine des armes conventionnelles.
Il est plus que temps, enfin, de hausser le ton face au boucher de Moscou. En Europe centrale, la France et l’Allemagne donnent parfois l’impression d’un soutien distancié. Si l’aide militaire est réelle, le discours est parfois plus hésitant. La volonté exprimée de ne pas humilier, les vaines tentatives de dialogue, l’insistance sur la nécessité de négociations conduites le moment venu, alors que les Ukrainiens meurent par milliers, risquent de brouiller la perception de notre engagement.
Toute négociation qui prendrait place avant le retrait total des Russes de l’Ukraine aboutirait à la même situation que celle de l’Abkhazie et de l’Ossétie, du Donbass et de la Crimée, c’est-à-dire à un nouveau conflit gelé, à la poursuite des guerres hybrides à l’est de l’Europe et, en définitive, à une victoire de Poutine.
La seule façon d’apporter, à long terme, la paix et la stabilité sur notre continent est la victoire de l’Ukraine et la défaite de Poutine. C’est non pas seulement l’indépendance de l’Ukraine qui se joue aujourd’hui, mais la sécurité de toute l’Europe et l’unité indispensable du monde libre contre les dictateurs. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la Première ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis le 24 février dernier, premier jour de l’agression de l’Ukraine par la Russie, la résistance des Ukrainiens n’a jamais cessé. Une résistance admirable et durable que Vladimir Poutine avait sans doute sous-estimée.
Courage, résilience et détermination sont les ingrédients d’une force morale qui ne faiblit pas, ni au sein de la population ni au sein de l’armée ukrainienne.
Du courage, il en faut pour affronter la puissance militaire russe et ses centaines de milliers d’hommes. Il en faut pour vouloir rétablir la réalité d’un pays libre et souverain face à l’Histoire révisée et mensongère de Poutine.
La résilience, les Ukrainiens n’en manquent pas non plus. Les drames humains, le siège de Marioupol, la tragédie de Boutcha, les bombardements d’infrastructures civiles jusqu’au cœur du territoire, tout cela est difficile à vivre et ne manquera pas de laisser des traces.
Malgré tout, pour le moment, rien – même le pire – n’a entamé la détermination des Ukrainiens.
C’est avec cette égale détermination que le président Zelensky a endossé le rôle de chef de guerre. Sa volonté sans faille, confortée par le soutien matériel et diplomatique de nombreux pays occidentaux, permet à l’Ukraine de tenir.
Mieux que cela, le pot de terre est capable de bousculer – et même de renverser – le pot de fer. Courant septembre, l’armée ukrainienne a réalisé de remarquables reconquêtes dans le nord-est ainsi que dans le sud de son pays. Cela a été rappelé, la ligne de front a bougé en faveur de l’Ukraine, dans la région de Kharkiv notamment, et vers Kherson au sud.
Ces réussites, si l’on ne peut bien entendu que les souhaiter, ont, disons-le aussi, un revers : les effets de l’humiliation de Vladimir Poutine devant ses échecs.
Cet affront le conduit sans cesse à l’escalade jusqu’à l’ultime menace, celle de brandir régulièrement l’arme nucléaire. Je n’oublie pas les manipulations qu’il a érigées en art de la guerre, telle la dernière autour de la prétendue « bombe sale ».
Dans ces conditions, quelle doit être notre attitude ? Que peut-on espérer aujourd’hui ?
Madame la Première ministre, le groupe RDSE adhère à la ligne assez consensuelle qui consiste à vouloir arrêter ce conflit, sans en devenir belligérants. Nous soutenons les efforts consentis par la France et l’Union européenne pour aider l’Ukraine à se défendre. Dans le même temps, nous approuvons aussi le régime de sanctions, bien que ses effets soient relativement limités sur l’économie russe, comme vient de le révéler le récent pronostic du Fonds monétaire international (FMI).
Néanmoins, tout doit être tenté pour maintenir la Russie au ban des nations, car ce n’est pas seulement l’intégrité territoriale d’un pays qui est en jeu, c’est également la vision d’un monde libre contre celle d’un impérialisme autoritaire.
Le discours stupéfiant de Sergueï Lavrov à l’ONU, puis celui du président Poutine, prononcé lors de sa cérémonie d’annexion du 30 septembre dernier, ont été on ne peut plus clairs. Leurs attaques verbales contre l’Occident ont été d’une rare violence.
Plus personne ne doute aujourd’hui du rejet par Moscou de nos valeurs, à l’exception peut-être du président Viktor Orbán. Ce dernier oublie un peu vite les chars soviétiques qui ont écrasé dans le sang, en 1956, des milliers de ses concitoyens. Faut-il le lui rappeler pour que la Hongrie ne s’éloigne pas du camp démocratique auquel elle est censée appartenir ? (M. André Gattolin approuve.)
Mes chers collègues, faute d’avoir marché sur Kiev en quelques jours, comme le prévoyait son scénario initial, le président russe s’enferme dans la guerre. Cet enlisement risque de nous y enfermer aussi.
Déjà, les conséquences économiques et énergétiques que la guerre entraîne en Europe, et même au-delà, ont des effets sur nos concitoyens.
Alors que la fin de la pandémie laissait entrevoir un retour à la croissance, la crise ukrainienne a provoqué une inflation galopante et engendré des tensions sur nos capacités énergétiques. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023 : de nombreuses mesures sont mises sur la table afin de faire face à ces défis, mais nous savons que l’équation budgétaire sera difficile à résoudre.
Comme un effet domino, le conflit menace aussi la cohésion européenne. Les débats lors du dernier Conseil européen ont été tendus.
Je sais, madame la Première ministre, que la France ne ménage pas ses efforts afin de maintenir l’unité européenne, notamment autour du projet de plafonnement du prix du gaz, une mesure nécessaire.
Mais l’Allemagne est réticente. De plus en plus, Berlin fait cavalier seul et regarde vers l’Est ; c’est une inquiétude. Je pense d’ailleurs aussi, s’agissant de la défense, monsieur le ministre, à la volonté allemande d’harmoniser en Europe le contrôle de l’exportation des armements dans un sens qui lui serait clairement favorable, mais qui serait contraire aux intérêts industriels et stratégiques de la France. (M. Philippe Folliot applaudit.)
Les avis divergent également sur la question des négociations. Vous l’avez rappelé, madame la Première ministre, le Président de la République souhaite maintenir le dialogue avec Moscou, un choix parfois critiqué par les pays de l’Est. Mon groupe est favorable aux discussions, d’autant plus que Washington a considéré le mois dernier qu’elles pourraient constituer la seule issue au conflit.
En attendant, nous devons rester derrière l’Ukraine en lui fournissant les armes dont elle a besoin, dont les fameux canons Caesar aux performances remarquables et remarquées.
Mes chers collègues, le 4 mai 1939, dans le journal L’Œuvre, le socialiste pacifiste Marcel Déat – hélas ! futur pilier de la collaboration – publia un éditorial, au moment où l’Allemagne menaçait la Pologne, intitulé « Mourir pour Dantzig ? » (M. Alain Richard opine.)
M. Julien Bargeton. C’est une leçon d’histoire !
M. Jean-Claude Requier. Dans ce contexte de guerre aux portes de l’Europe, les Français seront-ils prêts à se priver pour Kiev ? L’avenir le dira. Cependant, le courage extraordinaire de nos amis ukrainiens, leurs sacrifices et leurs valeurs démocratiques qui nous sont si chères imposent aux Français un devoir moral de soutien, d’aide et de solidarité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI, INDEP et UC, ainsi que sur des travées des groupes SER, GEST et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Martine Filleul et M. Patrick Kanner applaudissent également.)
M. Guillaume Gontard. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis plus de huit mois, le peuple ukrainien résiste héroïquement à l’impérialisme russe. Depuis quelques semaines, son armée a inversé la tendance sur le terrain et commencé à repousser l’envahisseur vers la frontière russe. Qui aurait imaginé ce scénario quand, en février, les colonnes de blindés russes descendaient sur Kiev et qu’un sauf-conduit était proposé au président Zelensky pour quitter le pays ? Goliath a des pieds d’argile et David, lourdement armé par ses alliés, est beaucoup plus grand qu’escompté.
La guerre est installée dans tout le sud et l’est du pays et durera encore des mois, alors que l’hiver s’apprête à geler les positions. Le bilan humain, qui, malgré les difficultés d’estimation, se chiffre au moins à plusieurs dizaines de milliers de morts et de blessés, continuera hélas ! de s’alourdir.
Les civils ukrainiens paient également un lourd tribut, victimes des bombardements massifs, des attaques des drones kamikazes et des crimes de guerre en tout genre de l’occupant russe, qui, fuyant devant la percée ukrainienne, a laissé derrière lui, comme à Boutcha, d’atroces charniers, des fosses communes mal dissimulées, qui révulsent le cœur et l’esprit.
Dans ces odieux massacres de civils, les femmes ont, comme souvent, été victimes d’abominables violences sexuelles. Pramila Patten, représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, considère que « le viol, en Ukraine, est bel et bien une arme de guerre », « une stratégie militaire visant à déshumaniser les victimes et à terroriser la population ». Les quelques victimes recensées, parmi tant d’autres restées anonymes, sont âgées de 4 ans à 82 ans. Effroyable !
L’armée russe ne recule devant aucune barbarie pour tenter de saper le moral du peuple ukrainien. Elle bombarde toujours indistinctement les civils et, distinctement, les réseaux électriques pour semer la terreur, l’inconfort et le froid.
Madame la Première ministre, à ce jour, l’Ukraine ne demande pas d’aide pour réparer les réseaux électriques, mais le cas échéant, la France et l’Europe sont-elles prêtes à envoyer des techniciens et des groupes électrogènes afin d’éviter qu’une partie de la population ukrainienne ne connaisse un hiver glacial ?
Acculée, la Russie ne recule devant rien : bombardements d’infrastructures civiles, mobilisation partielle, loi martiale, menaces nucléaires répétées – balistiques, mais aussi civiles. Il semblerait qu’à l’heure où nous parlons, les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique n’aient plus accès à la centrale de Zaporijia, ce qui est, comme depuis le début du conflit, une source d’inquiétude aiguë.
Cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes est insoutenable. Plus que jamais, le monde doit s’engager vers la fin du « cauchemar nucléaire », pour citer – une fois n’est pas coutume – le pape François.
Je formule de nouveau notre demande que la France adhère, en tant qu’observateur, au traité sur l’interdiction des armes nucléaires.
L’autocrate du Kremlin joue sa survie et a entraîné le conflit au-delà d’un point de non-retour. Un monde en paix où Vladimir Poutine demeure président de la Fédération de Russie est une chimère. Nous l’avons laissé agir en Géorgie, nous l’avons laissé agir en Syrie, nous l’avons laissé agir en Crimée : cela doit cesser. L’Ukraine doit gagner cette guerre !
Cette victoire sera atteinte quand l’Ukraine aura recouvré ses frontières de 1991, Donbass compris, Crimée comprise, ou lorsqu’elle décidera que ses objectifs militaires sont atteints.
Toute tentative de médiation avec le dictateur russe semble vaine. Poutine refuse le dialogue et ne comprend que le rapport de force.
La position française des derniers mois a parfois dérouté le gouvernement ukrainien, comme nombre de nos partenaires européens. Nous demandons au Président de la République de ne plus tergiverser, de cesser d’invoquer, comme un mantra, une hypothétique table de négociations. Cette rhétorique de médiation n’a pas de sens : la France est trop engagée dans le conflit pour tenir ce rôle. Vladimir Poutine se considère, de toute façon, en guerre contre l’Occident, que nous le voulions ou non. Le rôle de la France est celui d’un soutien ferme et sans ambiguïté à l’Ukraine, au droit international, à la démocratie, à nos valeurs et à la lutte contre le dérèglement climatique, tributaire de la victoire de l’Ukraine et des démocraties.
Un soutien plus ferme dans ses mots, un soutien plus ferme dans ses actes : la France, première armée d’Europe, qui prône l’autonomie stratégique du continent, doit porter son effort d’aide à l’Ukraine à la hauteur de l’ambition géopolitique qui est la sienne, à la hauteur de notre voisin britannique, qui forme 20 000 soldats ukrainiens quand nous en formons dix fois moins, à la hauteur de notre voisin allemand, qui livre des chars d’assaut aux pays d’Europe de l’Est pour que ceux-ci puissent céder leurs chars soviétiques à l’Ukraine.
Afin de limiter les dégâts des drones iraniens, le 12 octobre dernier, le Président de la République annonçait que la France allait fournir à l’Ukraine des systèmes antimissiles pour se protéger. Vous nous confirmez aujourd’hui que cette promesse sera tenue.
Cette fermeté doit aussi s’adresser à nos entreprises poursuivant leurs activités en Russie, au premier rang desquels figure TotalEnergies, qui contribue indirectement à la fourniture en kérosène de l’armée de l’air russe et, en conséquence, au bombardement des populations civiles. L’énergéticien doit quitter la Russie. Il fait honte à notre pays, quand ses homologues occidentaux ont tous annoncé abandonner leurs activités en Russie. Il s’enrichit indûment grâce à l’explosion des cours du pétrole et du gaz, un véritable « profiteur de guerre » comme le dénonçait – bravache – le Président de la République en juin dernier au G7.
Madame la Première ministre, comment pouvez-vous, dans ces conditions, refuser encore et toujours de taxer les superprofits des profiteurs de guerre ? Allez-vous au moins faire vôtre l’excellente proposition de notre collègue Boris Vallaud et des députés socialistes de saisir, pour les verser à l’Ukraine, tous les dividendes et autres gains que les entreprises auraient perçus en demeurant sur le sol russe ?
Notre dépendance à l’énergie russe continue d’être notre talon d’Achille dans cette bataille : l’Allemagne dépend de son gaz ; nous dépendons de son uranium. Entre 2000 et 2020, la France a importé de Russie 19 245 tonnes d’uranium naturel et 8 213 tonnes d’uranium enrichi. Nous importons près de la moitié de notre uranium du Kazakhstan, pays militairement lié à la Russie. Le dernier arrivage connu depuis la Russie – cinquante-deux fûts d’uranium enrichi – date du 24 août dernier. La prétendue souveraineté qu’offre le nucléaire est une vaste farce.
Le régime de sanctions européennes en pâtit et notre effort est loin de ce qu’il devrait être : asphyxier économiquement la Russie. L’heure, pour le continent, pour le pays, est à la souveraineté et à la sobriété énergétiques – et vous l’avez rappelé –, celle que seuls le soleil, le vent et l’eau procurent à condition de doter l’Europe de filières industrielles en mesure d’assurer sa transition énergétique. Aucun plan européen, aucun projet de loi français pour accélérer le développement des énergies renouvelables n’atteindra ses objectifs si nous ne sommes pas capables de nous équiper par nos propres moyens.
Sous l’effet du plan de relance américain et des nouveaux objectifs du gouvernement chinois, la demande intérieure de panneaux solaires des deux plus grandes économies du monde va exploser. L’Europe doit pouvoir produire les siens !
Plus rapidement, nous devons développer les mesures de sobriété. Votre gouvernement a fait quelques promesses en la matière, mais qui reposent encore beaucoup trop sur le volontariat des entreprises. Il faut davantage de contraintes. Les solutions de court et de moyen termes sont pourtant légion.
Cette sobriété est d’autant plus indispensable que la crise énergétique avait débuté avant la guerre en Ukraine et qu’elle se poursuivra après, affectant toujours davantage le pouvoir de vivre de nos concitoyens.
La seule bonne nouvelle – s’il est possible d’en trouver une –, dans cette période de graves troubles, est que les intérêts vitaux du peuple ukrainien, les intérêts vitaux de nos concitoyens et les intérêts vitaux liés à la protection du climat se rejoignent. Voilà un problème de moins sur votre bureau ! Il faut sortir le plus rapidement possible des énergies fossiles et décupler nos efforts en matière de transition et de sobriété énergétiques. Notre avenir est intimement lié à celui du peuple ukrainien. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER, CRCE, RDSE et RDPI. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame le Premier ministre, mes chers collègues, Tocqueville affirme que « les démocraties d’opinion sont incapables de stratégie persévérante ». La déclaration que nous venons d’entendre en est la preuve. Vous vous concentrez sur des épiphénomènes, des postures morales et sur un décalage de la crise économique par l’endettement public.
Mais, face à nous, s’affirme le retour des empires, armés d’une vision sur le long terme. Vladimir Poutine est constitutionnellement au pouvoir jusqu’en 2036 ; Xi Jinping, véritable empereur en Chine, menace Taïwan ; en Corée du Nord, la dynastie des Kim mûrit sa puissance depuis 1948 ; en Iran, le néosultanat affirme ses velléités nucléaires ; dans le Caucase, l’ex-Empire ottoman ambitionne de se reconstituer au détriment de la nation souveraine arménienne et de son peuple. Sans parler de l’émergence des puissances nucléaires que sont l’Inde et le Pakistan.
Le XXIe siècle s’annonce comme un siècle de fer, de feu et de sang. Depuis plus de trente ans, l’Occident s’est perdu dans l’euphorie de la chute du mur de Berlin. Pourtant, depuis lors, tant d’événements nous ont alertés sur la persistance de la guerre : Koweït, Yougoslavie, 11 septembre, Afghanistan, Irak, Crimée, État islamique, tensions indopacifiques.
Malgré cela, rien ne fut fait pour reconstituer notre puissance. Au contraire !
Si une Française connaît bien le rationnement et la fin de l’abondance depuis des décennies, c’est notre armée ! Elle a été victime de l’idéalisme de nos gouvernants, dont les principales illusions furent les « dividendes de la paix », l’Europe de la défense, le multilatéralisme onusien.
La démission du général de Villiers en 2017 avait pour but de lancer l’alerte sur l’état critique de nos forces face aux enjeux du monde ; le président Macron l’a méprisée.
S’agissant de votre chimérique Union européenne, nous assistons, aujourd’hui encore, au divorce du couple franco-allemand.
Le chancelier allemand annonce, en effet, un fonds de 100 milliards d’euros, en vue de constituer la première armée conventionnelle d’Europe et 40 milliards pour l’achat d’avions F-35 américains. Ceux qui ont organisé notre dépendance au gaz russe nous lâchent en pleine crise !
Dans ce contexte, nous devons cesser de déléguer notre souveraineté et regagner les moyens de notre indépendance nationale. Il nous faut prendre conscience des grands défis du siècle : voir que l’ordre du monde est régi par l’antique dialogue des Méliens et la loi du plus fort ; anticiper les évolutions industrielles et économiques, comme un moyen de ne pas perdre une guerre du même nom ; comprendre la réalité du choc migratoire et démographique en cours – la Turquie et la Biélorussie, avec leur chantage aux migrants, ont bien compris l’intérêt d’utiliser cette arme contre les nations d’Europe.
Alors que le président russe déclare que l’Union européenne est cobelligérante, vous confirmez, madame le Premier ministre, votre souhait de livrer des armes à l’Ukraine, mais sans vouloir faire la guerre, consciente de notre extrême faiblesse militaire, soulignée par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat lui-même ! Celui-ci a déclaré que, en cas de guerre, nous disposions de quinze jours de munitions et, s’agissant de certains armements, de seulement trois ou quatre jours de réserves.
Ne doutons pas que les va-t-en guerre indépendants, armés de leur salive, troqueront leur costume et leurs mocassins contre un treillis et des rangers, et passeront ainsi des travées du Sénat aux tranchées des soldats !
Il est toujours temps d’imaginer, madame le Premier ministre, des scénarios de rupture et de profiter de notre position de puissance nucléaire pour négocier avec les grands, sans naïveté sur l’état de nos forces (Protestations sur les travées du groupe SER.) et sur les intérêts propres des autres États, fussent-ils nos alliés !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme la Première ministre, les orateurs des différents groupes qui se sont succédé à la tribune l’ont tous rappelé : la Russie a fait, depuis huit mois désormais, le choix – le choix – de ramener la guerre sur notre continent.
Cette crise est grave ; elle nous concerne tous.
L’Ukraine voit sa souveraineté et son intégrité territoriales menacées par l’agression de la Russie. Un État doté de l’arme nucléaire, un État qui, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, a une responsabilité particulière pour défendre le système international et la Charte des Nations unies, mais qui, aujourd’hui, choisit de remettre en cause leurs fondements mêmes.
Cette agression n’est pas soutenue par la population russe, tout le démontre ; elle n’est voulue que par des gouvernants, pour lesquels le droit et la vérité ne sont que de simples options.
Un pouvoir russe, qui conduit depuis plus de trois semaines des bombardements massifs contre des cibles civiles ukrainiennes, dans tout le pays, avec un objectif assumé : casser les infrastructures et briser la résistance du peuple ukrainien en l’exposant au froid et à la faim, alors que l’hiver approche.
Un pouvoir russe, qui n’hésite pas à faire des dizaines de millions de réfugiés et de déplacés, qui commet crime sur crime et qui s’enferme dans une impasse diplomatique, militaire et politique.
Un pouvoir russe, qui recourt au mensonge, une nouvelle fois, en osant affirmer que l’Ukraine s’apprêterait à faire exploser une « bombe sale » sur son propre territoire.
Nous avons aussitôt dénoncé cette manipulation et la plupart de nos efforts diplomatiques y sont consacrés ces jours derniers, en lien notamment avec l’AIEA et le Conseil de sécurité des Nations unies, qui devrait en débattre demain à notre demande.
Notre détermination ne doit pas vaciller. Le Président de la République et la Première ministre l’ont rappelé : nous soutenons l’Ukraine, parce qu’elle se bat pour des valeurs démocratiques qui sont les nôtres. Nous la soutenons également, car tout sera permis non seulement en Ukraine, mais aussi ailleurs, si nous laissons la Russie bousculer les principes les plus fondamentaux de la vie internationale.
En aidant l’Ukraine à se défendre, nous défendons également les principes essentiels de non-agression, d’intégrité territoriale, de souveraineté et de règlement pacifique des différends, consacrés dans la Charte des Nations unies.
Nous sommes aux côtés de l’Ukraine, depuis le premier jour de l’agression, au moyen de sanctions – nous l’avons fait et nous le referons si nécessaire –, dont le but est d’entraver l’effort de guerre de la Russie et de frapper ceux qui collaborent avec elle – Biélorussie ou Iran –, et d’une aide diplomatique, économique, humanitaire et bien sûr militaire.
À l’approche de l’hiver, après avoir récemment envoyé mille tonnes de fret humanitaire aux populations, nous accentuons notre soutien humanitaire et préparons de nouvelles opérations pour répondre à l’urgence. Une part importante de l’action du centre de crise du ministère de l’Europe et des affaires étrangères y est désormais consacrée et, très prochainement, nous prévoyons la livraison de générateurs ainsi que de matériel de chauffage et de construction, d’un montant d’environ 50 millions d’euros. Nous envisageons également, sur une initiative du Président de la République, la tenue d’une conférence internationale à Paris, dans quelques semaines, afin de favoriser la résilience du peuple ukrainien.
Nous sommes aussi aux côtés de l’Ukraine pour garantir que les auteurs des exactions, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité soient poursuivis. Nous y contribuons en soutenant concrètement l’action de la Cour pénale internationale et les enquêtes engagées par la justice ukrainienne.
Nous sommes également aux côtés de nos partenaires et de nos alliés pour faire face à la menace que la Russie fait peser sur leur sécurité. C’est l’honneur et la responsabilité de la France, en tant que première puissance militaire du continent, que d’être présente en Lituanie, en Pologne, en Roumanie et en Estonie, où je me suis rendue hier, en accord avec le ministre des armées, pour marquer notre soutien à ce pays, mais aussi pour rendre visite à nos forces militaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la Russie est de plus en plus isolée. Le vote qui s’est tenu à l’Assemblée générale des Nations unies, le 12 octobre dernier, l’a clairement montré. Les mois d’efforts diplomatiques du Kremlin pour tenter de justifier l’injustifiable se sont soldés par une condamnation massive de l’agression et de l’annexion illégale de territoires ukrainiens. Croyez bien que ce résultat est aussi celui de nos propres efforts diplomatiques et de ceux de nos partenaires les plus proches.
De même, si l’Agence internationale de l’énergie atomique est présente à Zaporijia – c’est le cas, contrairement à ce que j’ai entendu –, cela est aussi largement dû à l’action du Président de la République et de la diplomatie française.
En aidant l’Ukraine, en isolant la Russie, en luttant contre l’impunité, nous marquons notre devoir de solidarité, nous marquons notre devoir d’humanité, nous défendons la sécurité du continent européen, c’est-à-dire la nôtre. Nous le ferons donc aussi longtemps qu’il sera nécessaire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, INDEP et UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, avant de réagir aux propos qui ont été tenus à cette tribune, de remercier l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés. Je vous prie également d’excuser Mme la Première ministre, qui se rend en ce moment même à l’Assemblée nationale.
Je commencerai par revenir sur l’une des inquiétudes qu’a relayées, au nom de la commission, le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. J’ai déjà eu l’occasion d’y répondre, mais qu’il me soit permis d’y revenir et d’informer ainsi l’ensemble de vos travées.
Certains doutent et se demandent, avec angoisse peut-être, si nous ne nous dépouillons pas de nos propres moyens et jusqu’à quel point nous abaissons notre standard de sécurité et de protection de la France et des Français. D’un côté, certains nous invitent à donner plus ; de l’autre, certains nous appellent parfois à la prudence.
Nous aurons évidemment l’occasion de discuter de la réalité de nos stocks, mais je tiens à dire que nous ne faisons pas de cessions qui mettraient la nation française en danger. Nous faisons preuve de pragmatisme, nous regardons la réalité de nos stocks et nous nous appuyons sur les conseils que nous donnent évidemment nos généraux, les chefs d’état-major des différentes armées et le chef d’état-major des armées.
Ensuite, oui, nous tirons des conclusions opérationnelles de nos livraisons. À cet égard, la livraison à l’Ukraine de 18 canons Caesar, dont il a été question à de nombreuses reprises ce soir – soyez-en remerciés – est un bon cas pratique. Nous en avons commandé de nouveaux au mois de juillet dernier. Le Président de la République se rendra d’ailleurs demain dans le Cher, où il visitera l’usine Nexter.
Le véritable sujet, c’est la fameuse économie de guerre. Cette terminologie peut parfois susciter des interrogations, je le conçois. En situation de conflit de haute intensité, il nous faut compléter nos stocks plus vite, alors que les filières de l’armement étaient habituées à des « élongations » entre l’amont et l’aval. L’Ukraine le constate à travers le soutien qu’elle reçoit de l’Occident ; la Russie, qui a des problèmes d’organisation, l’apprend à ses dépens, et c’est tant mieux.
Nous avons donc là un sujet industriel à traiter. Nous reviendrons sur cette question dans les temps prochains.
Notre base industrielle et technologique de défense (BITD), héritée de l’après-guerre – du gaullisme évidemment et de Pierre Mendès France, dont on vient de célébrer la pensée il y a quelques jours – nous permet, on le voit bien, de n’être complètement alignés ni sur Moscou, ni sur Washington, ni demain sur Pékin. Toutefois, cette autonomie stratégique va devoir désormais être assortie d’une plus grande réactivité.
Soyons honnêtes, le don des canons Caesar a pu déstabiliser les plans de formation dans certains régiments d’artillerie, mais la déstabilisation de la formation de quelques artilleurs n’a pas pour conséquence, et ne voyez aucun mépris dans mon propos, d’abaisser les standards de sécurité de la France.
J’évoquerai à présent l’état de nos moyens, mais nous y reviendrons dans les prochains jours lors de l’examen du projet de loi de finances. Nous n’avons pas attendu l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et c’est une fierté française, pour augmenter les moyens de nos armées. Force est de reconnaître, quelles que soient nos opinions, que cette décision date de 2017, la loi de programmation militaire ayant été votée en 2018. Pour ma part, je vous proposerai dans les tout prochains jours une marche à 3 milliards d’euros. Le Président de la République aura l’occasion d’apporter des précisions sur les futures marches que nous sommes en train d’élaborer, avec vous d’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs.
Ne nous laissons pas guider par les annonces des uns ou des autres. Les Allemands investissent 100 milliards dans leur défense, très bien. Dont acte. C’est une bonne chose. Les Américains, comme nous d’ailleurs, font des efforts similaires à bien des égards. Je le répète, nous n’avons pas attendu l’invasion de l’Ukraine pour cela.
Je ne ferai pas de politique en disant que, oui, nous pourrions donner plus à l’Ukraine si nos moyens avaient été renforcés bien plus tôt. En effet, monsieur le président Cambon, nous payons, vous avez raison, les coupes successives dans les budgets, les fameux « dividendes de la paix », comme on les appelle si bien, mais aussi la révision générale des politiques publiques (RGPP) selon les uns, les diminutions de crédits en matière de dissuasion nucléaire, selon les autres. Toutes ces questions font de la loi de programmation militaire une loi de réparation.
Il va toutefois désormais nous falloir aller plus loin et faire preuve de beaucoup plus d’ambition, d’autant que notre format d’armée correspond – je le dis devant Alain Richard, ancien ministre de la défense – aux menaces auxquelles nos armées ont été confrontées depuis la dissolution du Pacte de Varsovie. Elles ont essentiellement été employées pour lutter contre le terrorisme militarisé.
On redécouvre aujourd’hui ce qu’est l’artillerie, ce que sont les tirs en profondeur, autant de techniques de combat qui avaient moins d’utilité en Afrique, il faut le dire. La situation aujourd’hui justifie la recomplétude de nos stocks, mais aussi la montée en puissance de nos armées. Il nous faudra dissuader sur les terrains à la fois nucléaire et conventionnel, tout en étant toujours capables de nous projeter, en Afrique par exemple, dans le cadre de missions de lutte contre le terrorisme, à la demande de pays amis, et d’assumer nos responsabilités, notamment à l’Otan.
À cet égard, Mme la Première ministre l’a dit, comme certains orateurs, que je remercie : nous sommes présents en Estonie et, bien sûr, en Roumanie.
Comme je l’ai déjà dit devant la commission, je réfute l’idée selon laquelle l’armée française ne pourrait tenir que « quelques jours » en cas de conflit de haute intensité ou qu’elle ne pourrait tenir qu’une ligne de front de 80 kilomètres. Merci au président Cambon de me donner l’occasion de le dire.
De telles affirmations sèment le doute chez les Français sur notre capacité à nous défendre. Or la voûte nucléaire et la dissuasion nucléaire, qui coûtent de l’argent et que les contribuables financent tous les ans depuis les années 1960, produisent des effets qu’on ne peut pas nier et balayer d’un revers de main.
Dire que l’armée française pourrait avoir des difficultés pour tenir un front plusieurs jours à l’étranger dans le cadre d’alliances, par exemple en tant que nation-cadre, n’est pas fondé. Certains raccourcis journalistiques sont malheureux, car ils sous-entendent que notre armée n’est pas capable de défendre la nation française. Or ceux qui se sont déployés à ses côtés savent que ce n’est pas vrai. Attention à ne pas entretenir de confusion ! À cet égard, je sais pouvoir compter sur la sagesse du Sénat pour que certaines vérités soient rétablies.
J’en viens à la réalité de l’aide de la France à l’Ukraine, sur laquelle plusieurs choses ont été dites. De fait, nous assumons la discrétion, certains éléments n’ayant pas à être communiqués à la Fédération de Russie. En outre, les Ukrainiens nous demandent parfois eux-mêmes une telle discrétion.
Permettez-moi de donner quelques éléments de méthodologie sur les classements tels qu’ils ont été publiés ici ou là.
En général, ces classements ne tiennent compte que de ce qui est déclaré, non de ce qui est réellement livré – je ne veux pas être désobligeant avec certains de nos alliés, parfois très proches de nous…
Je le certifie devant le Sénat : pour notre part, nous livrons tout ce que nous promettons et nous promettons tout ce que nous pouvons livrer. Les Ukrainiens ayant des difficultés à s’y retrouver dans ce concours Lépine de promesses, nous leur devons d’être sérieux et de ne pas faire preuve de cynisme.
Par ailleurs, certains pays font des amalgames : ils valorisent les coûts de transport, de formation, de carburant, ce que nous ne faisons pas. D’autres, y compris certains membres de l’Otan, valorisent leur contribution à l’Ukraine en tonnage, en poids de matériel réellement donné. Il faut nous garder d’emprunter ce virage, qui pourrait nous conduire à manquer de sérieux. Je le répète, nous agissons sans cynisme, avec beaucoup de rigueur.
J’ajoute que tout est fait sur la base de déclarations. Beaucoup de choses sont promises, mais ne sont pas livrées. Les engagements ne sont pas toujours suivis d’effets, ce qui pose d’autres difficultés.
Pour notre part, conformément à la doctrine que le Président de la République a fixée au Gouvernement, nous livrons des armes utiles. À ce stade du conflit, l’armée ukrainienne à des besoins de plus en plus spécifiques. Il a ainsi beaucoup été question de défense sol-air ces derniers jours. La France s’apprête donc à livrer des Crotale. De même, on a beaucoup parlé d’artillerie, d’équipements individuels, parfois non létaux. Le fonds de 100 millions d’euros que le Président de la République vous proposera d’inscrire dans la loi permettra de tailler un costume sur mesure aux forces armées ukrainiennes.
Les premières demandes qui sont faites portent sur des véhicules de transport de troupes, des éléments de génie, par exemple pour traverser des fleuves, bref, des besoins très concrets, qui devraient être satisfaits assez rapidement.
Vous m’avez également interrogé à de nombreuses reprises, mesdames, messieurs les sénateurs, certains sur Wagner, d’autres sur la guerre informationnelle, d’autres enfin sur le chantage à l’énergie. Nous aurions pu également parler davantage du chantage aux matières premières agricoles, qui concerne malheureusement beaucoup de pays amis, notamment sur le pourtour méditerranéen.
Oui, nous sommes déjà dans cette drôle de guerre qu’est l’hybridité. La France y est-elle prête ? Nous avons déjà rendu compte devant le Parlement de nombreuses stratégies à l’œuvre. Ce type de guerre est-il nouveau ? Oui ! C’est en marchant que l’on apprend, donc il nous faudra aller plus loin. La loi de programmation militaire nous le permettra.
Qu’est-ce que l’hybridité ? C’est le détournement de vecteurs civils à des fins militaires, comme les terroristes avaient déjà commencé à le faire. Cela signifie que la réponse ne peut pas se limiter à une augmentation du budget des armées. Les attaques cyber sur les hôpitaux que nous avons connues ces dernières semaines montrent bien la complexité de ce type de guerre. Cela signifie aussi qu’il faut préparer l’ensemble de la Nation à la résilience.
Certains territoires de la République – et je me tourne vers le ministre délégué chargé des outre-mer – seront sûrement plus vulnérables à l’hybridité, du fait de l’« élongation », de la tyrannie des distances ou de la structure même des systèmes d’information.
Il nous faudra revenir sur tous ces sujets, qui nous obligent, notre génération, mais également celles qui viendront. Monsieur le président, nous aurons pour cela besoin du Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la déclaration du Gouvernement relative à la guerre en Ukraine et aux conséquences pour la France.
9
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 2 novembre 2022 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente, le soir et, éventuellement, la nuit :
Projet de loi de programmation, rejeté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, des finances publiques pour les années 2023 à 2027 (texte n° 71, 2022-2023) ;
Projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (procédure accélérée ; texte de la commission n° 83, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures quarante.)
nomination de membres d’une commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des affaires sociales pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : Mmes Catherine Deroche, Frédérique Puissat, MM. Philippe Mouiller, Olivier Henno, Mmes Monique Lubin, Michelle Meunier et M. Martin Lévrier ;
Suppléantes : Mmes Pascale Gruny, Chantal Deseyne, Florence Lassarade, Annick Jacquemet, Annie Le Houerou, Maryse Carrère et Cathy Apourceau-Poly.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER