M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 34 degrés à Orthez et 31 degrés à Biarritz ce mardi, 26 degrés à Nantes hier : un bon tiers sud-ouest de la France connaît actuellement des températures dignes d’un plein été. La France connaît une période de chaleur record pour la seconde quinzaine d’octobre. Une vague de chaleur de plus, qui s’ajoute aux fréquentes périodes caniculaires de l’été, lesquelles devraient faire de l’année 2022 la plus chaude jamais enregistrée en France.
Le réchauffement s’accélère. Cela donne raison au Giec, qui nous alerte sur l’augmentation exponentielle des températures et nous suggère des alternatives pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et ainsi limiter les conséquences du changement climatique.
Le développement massif des énergies renouvelables fait partie des solutions. Ces dernières sont impératives, tant notre retard est conséquent. La France apparaît comme le mauvais élève de l’Europe : la proportion d’énergies renouvelables dans notre consommation énergétique s’élève à 19 % seulement, loin de l’objectif de 23 % fixé par Bruxelles. Il faut donc accélérer le mouvement !
Tel est l’objet du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, que nous examinerons dans deux semaines. Le Gouvernement est donc au travail, mais le Sénat n’est pas en reste, comme en témoigne cette proposition de loi.
Le photovoltaïque fait en effet partie de la réponse. Selon la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), en 2028, la puissance du parc photovoltaïque devra approcher 40 gigawatts. Aujourd’hui, elle atteint quelque 10 gigawatts. Il faudrait donc installer, pour atteindre cet objectif, 3 à 4 gigawatts de panneaux solaires par an, contre 1 gigawatt aujourd’hui.
Nous devons accélérer et trouver des possibilités d’installer du photovoltaïque. L’agrivoltaïsme fait partie des solutions qu’il faut saisir et encourager. La combinaison du solaire et des activités agricoles représente en outre un complément potentiel de revenus très important pour nos agriculteurs.
Cela étant dit, cet encouragement ne doit pas être synonyme d’aveuglement. L’essor de l’agrivoltaïsme est réel dans nos territoires, mais des dérives ont été observées : un article d’un quotidien national mentionne l’existence sur plusieurs hectares de panneaux solaires sous lesquels il ne pousse absolument rien.
Ces projets alibis nous alertent et attisent l’inquiétude de certains syndicats agricoles ; nous devons les rassurer. C’est le sens de ce texte, lequel borne cette pratique pour éviter tout effet d’aubaine.
À cette fin, il impose un certain nombre de garde-fous : la réversibilité des panneaux, la destination principalement agricole de l’activité menée sur la parcelle, ou encore le caractère systématique de l’avis de la CDPENAF. Ce cadre vise à éviter toute spéculation énergétique.
En d’autres termes, cette proposition de loi entend réguler une activité nécessaire à la décarbonation de notre énergie, mais en aucune manière encourager le dévoiement d’une filière qui doit rester équitable, responsable et acceptable par l’ensemble des parties prenantes. En ce sens, elle est équilibrée et raisonnée. (M. Daniel Chasseing applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre Haute Assemblée se penche une nouvelle fois sur le développement de l’agrivoltaïsme, une activité qui, en fournissant un revenu complémentaire aux agriculteurs, participe à la transition énergétique en incluant nos exploitations agricoles dans la production d’énergies renouvelables.
En janvier dernier, lors de l’examen de la proposition de résolution sur le même sujet, nous avions déjà dénoncé un manque d’encadrement des risques liés à la croissance de cette activité.
Notre raisonnement et nos constats sont les mêmes aujourd’hui, car la proposition de loi que nous examinons ne comble pas suffisamment ce manque, à notre sens, et les inquiétudes demeurent, notamment dans le monde agricole.
Le Gouvernement semble envisager d’introduire par voie d’amendement une définition exacte de l’agrivoltaïsme dans le projet de loi sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables. (M. le ministre acquiesce.) Cela confère à nos échanges de ce jour toute leur valeur et leur nécessité.
En effet, s’il faut encourager le développement des énergies renouvelables, auquel l’agrivoltaïsme contribue sans doute, nous devons préciser son cadre réglementaire, qui demeure flou, voire inexistant. L’émergence d’installations suscite déjà bien des inquiétudes, voire des oppositions, tant notre foncier agricole est déjà soumis à une pression croissante.
L’installation de panneaux photovoltaïques sur les terres agricoles emporte des risques multiples. Elle peut déséquilibrer les dynamiques économiques agricoles locales, conduire à artificialiser davantage les sols, compromettre l’installation de jeunes agriculteurs en accaparant le foncier, sans garantie de réversibilité ni de transmission des parcelles, porter atteinte à la biodiversité et à l’esthétique des paysages ; enfin, elle pourrait fragiliser notre souveraineté alimentaire par un glissement sournois, à terme, de ces surfaces vers la seule production d’énergie.
La question du cadre réglementaire est donc fondamentale. À notre sens, elle s’articule selon cinq points, sur lesquels nous avons tenté d’apporter des réponses par voie d’amendement.
Le premier concerne la définition des installations agrivoltaïques et leur réversibilité. Pour être considérées comme telles et bénéficier pleinement à une exploitation agricole, tout en contribuant à nos objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050, ces installations doivent apporter au moins un service à l’exploitation : amélioration du potentiel et de l’impact agronomique, adaptation au changement climatique, protection contre les aléas, ou amélioration du bien-être animal.
Une autre condition est qu’elles soient réversibles. La priorité doit être accordée à la production alimentaire ; aussi les parcelles converties en agrivoltaïsme doivent-elles pouvoir retourner à leur vocation d’origine si nécessaire. Il s’agit d’un point de vigilance majeur ; nous avons donc déposé un amendement visant à rendre automatique la constitution des garanties financières nécessaires au démantèlement et à la remise en état d’un site pour les projets dont la limite de puissance installée est supérieure à 1 mégawatt.
Le deuxième point porte sur le contrôle des installations et de leur financement. Cette question incontournable est sans doute l’une des plus difficiles à résoudre, dans la mesure où elle touche aux finances publiques. Une fois les installations autorisées et mises en service, qui veillera au respect des critères que je viens d’énoncer, notamment à l’apport des services ? Avec quels moyens humains et financiers ?
Dans un souci de préservation de l’activité agricole, il faut introduire des dispositions de suivi et de contrôle, ainsi que des possibilités de démantèlement en cas de non-respect de la loi. L’absence de contrôles opérés par l’État donnera lieu sans aucun doute à des dérives ; nous nous y opposons.
Le troisième enjeu du cadre réglementaire est le danger que représentent les projets agrivoltaïques pour les régions à faible potentiel agronomique, susceptibles de devenir les cibles de « chasseurs de territoires ».
Pour éviter cet écueil, nous estimons qu’il est indispensable d’impliquer tous les acteurs participant au projet d’installation – exploitant agricole, propriétaire du foncier agricole et porteur du projet – et d’obtenir leur accord, dans le cadre d’une large concertation qui devra également associer les élus locaux.
Nous avons formulé cette proposition par voie d’amendement, afin que les communes soient toujours informées en amont lorsqu’un groupement propose la réalisation d’un projet agrivoltaïque sur leur territoire. À cet égard, nous tenons à souligner que la répartition de la fraction de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer) va devenir un sujet central ; il faudra donc veiller à sa répartition équilibrée entre communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
Les deux derniers points de vigilance que nous souhaitons aborder sont la relation entre la qualification d’agrivoltaïsme et le statut d’actif agricole, ainsi que l’encadrement de la transmission des parcelles placées en agrivoltaïsme.
Le détournement du statut d’actif agricole, notamment via le travail à façon, ne peut être négligé, tant ce cas de figure pourrait émerger dans le cadre de projets d’agrivoltaïsme. La tentation de l’agricapitalisme est réelle ; on l’observe déjà dans bien des filières.
Il est également impératif de réfléchir aux modalités de transmission, dans le cas d’un exploitant fermier comme dans celui d’un exploitant propriétaire. Le repreneur, en pleine propriété ou en fermage, doit pouvoir bénéficier des mêmes avantages que l’exploitant actif au moment de la mise en place des installations agrivoltaïques.
Nous formulons donc les propositions suivantes : il convient de subordonner la qualification d’agrivoltaïsme à celle d’agriculteur actif et d’encadrer la transmission des parcelles en agrivoltaïsme, notamment en prévoyant les conditions du départ à la retraite ou de la cessation d’activité de l’exploitant dans le contrat initial. Il s’agit selon nous de garanties indispensables pour éviter une artificialisation masquée et assurer une transmission réussie de ces parcelles.
Notre principale ligne directrice est d’éviter à tout prix que notre autonomie alimentaire et notre autonomie énergétique n’entrent en conflit au point que l’une s’efface au profit de l’autre. À ce titre, établir par décret « la méthodologie définissant la production agricole significative et le revenu durable en étant issu », ainsi que le prévoit le texte, revient tout simplement à signer un chèque en blanc et à hypothéquer plusieurs dispositions de cette proposition de loi.
En janvier dernier, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’était abstenu lors de l’examen de la proposition de résolution sur le même thème en séance publique, estimant que le sujet du développement de l’agrivoltaïsme nécessitait de mettre en place « des garde-fous afin de prévenir toute dérive irréversible sur notre modèle agricole » et de ne pas favoriser l’émergence « d’énergieculteurs ».
Nous avions néanmoins souligné que nous étions disposés à accompagner le développement de l’agrivoltaïsme, dès lors qu’il s’agirait bien de techniques ayant d’abord pour but d’améliorer la production agricole et non de l’utiliser comme alibi au profit d’une production plus rentable.
Nous restons vigilants quant aux dérives possibles ; la suite qui sera donnée à nos amendements déterminera le vote du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agrivoltaïsme suscite des interrogations sur la multifonctionnalité de l’agriculture et la vocation des agriculteurs à fournir à la société d’autres biens que des denrées alimentaires.
Cette pratique est au cœur de multiples problématiques. Il s’agit, certes, d’une question énergétique, mais aussi et surtout des sujets essentiels que sont le revenu des agriculteurs et la préservation du foncier agricole.
En ce sens, nous avions voté la proposition de résolution déjà évoquée, car il n’existe pas aujourd’hui de définition précise de l’agrivoltaïsme. Ce manque s’accompagne de dérives et de conflits d’usages auxquels il faut impérativement apporter une réponse.
En effet, alors que 18 % des ménages agricoles vivent sous le seuil de pauvreté et qu’un tiers seulement de leurs revenus est issu de l’agriculture, l’énergie solaire prend des airs de nouvel or vert pour des agriculteurs qui ont de plus en plus de mal à vivre de leur activité.
C’est pourquoi il est impératif de réaffirmer la vocation nourricière des terres agricoles et la priorité de la production alimentaire sur la production énergétique. Cela est vrai pour le développement de toute forme d’énergie : photovoltaïque, méthanisation, etc.
Comme le rappelait mon collègue Gérard Lahellec, qui a été membre de la mission d’information sur la méthanisation dans le mix énergétique, nous assistons aujourd’hui à une guerre entre éleveurs laitiers et méthaniseurs. Les premiers peinent à nourrir leurs troupeaux et à obtenir un prix rémunérateur pour leurs productions et leur lait ; les seconds sont incités à accélérer leurs investissements pour produire davantage de gaz vert.
Avec la crise énergétique que nous traversons, le débat s’exacerbe autour des objectifs de production de biogaz et nous devons sans cesse poser ces questions fondamentales : quelle agriculture voulons-nous ? Quels écueils devons-nous éviter afin d’empêcher que notre agriculture ne vise que des objectifs purement industriels, souvent plus rémunérateurs que sa finalité première, qui est et doit rester l’alimentation ?
En ce sens, la question du revenu paysan ne se résoudra pas par la multiplication des revenus complémentaires, voire des revenus de substitution.
Pour autant, nous saluons le travail des auteurs de la proposition de la loi et du rapporteur. En effet, l’agrivoltaïsme peut être un outil agricole ayant pour but premier de protéger les cultures de températures extérieures trop fraîches ou trop élevées ainsi que de la grêle, voire de réduire la consommation d’eau.
Il convient toutefois de veiller à ne pas engendrer de conflits d’usage de la terre, à ne pas susciter une concurrence entre productions alimentaire et non alimentaire, à ne pas laisser se développer des projets alibis, qui n’auraient d’agrivoltaïques que le nom.
Le texte dont nous débattons a le mérite de proposer un encadrement légal et une définition de cette pratique, rappelant que les installations agrivoltaïques doivent permettre de maintenir ou de développer l’activité agricole, « en gardant la priorité donnée à la production alimentaire et en veillant à l’absence d’effets négatifs sur le foncier et les prix agricoles ».
De même, la notion de réversibilité, proposée par l’Ademe, a été introduite dans le texte en commission.
De surcroît, ce texte renforce la participation et l’information des élus locaux, conduisant à plus de cohérence et à une meilleure appropriation des projets agrivoltaïques.
Des améliorations devront, certes, être apportées pour éviter les effets d’aubaine, mais nous estimons que les discussions que nous avons cet après-midi dans le cadre de l’espace réservé du groupe Les Indépendants – République et Territoires permettront d’enrichir les débats à venir sur le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’auteur de cette proposition de loi et le travail effectué par le rapporteur.
Les amendements de ce dernier ont largement contribué à rapprocher ce texte de la proposition de résolution sur le développement de l’agrivoltaïsme, que Jean-François Longeot et moi-même avions déposée et que notre assemblée a adoptée le 4 janvier dernier.
Il nous semble important que la définition donnée à l’agrivoltaïsme soit équilibrée, qu’elle protège la vocation agricole des surfaces concernées sans pour autant briser la dynamique de développement de cette activité.
La diminution des terres arables est continue dans notre pays depuis le milieu des années 1950 et notre agriculture connaît des difficultés nouvelles auxquelles il nous faut apporter des solutions. La souveraineté alimentaire ne doit donc pas être troquée contre la souveraineté énergétique.
Malgré quelques différences de forme sur ce texte, qui ont donné lieu au dépôt d’amendements par notre groupe, nous sommes très majoritairement satisfaits de l’équilibre trouvé.
Celui-ci permet de garantir plusieurs principes qui nous semblent primordiaux.
Tout d’abord, il inscrit l’agrivoltaïsme dans une logique de symbiose avec l’activité agricole et les agriculteurs ; nous nous en réjouissons.
Ensuite, il garantit le caractère démontable des installations. L’agrivoltaïsme ne doit en effet pas donner lieu à une artificialisation déguisée des sols.
Enfin, il prévoit l’apport de services agronomiques ou écologiques sur les surfaces où l’agrivoltaïsme est implanté. Ce prérequis nous semble tout à fait justifié, dans la mesure où l’agrivoltaïsme ne peut se résumer à un photovoltaïque classique, qui viendrait se superposer aux cultures sans prendre en compte leurs spécificités.
Nous maintenons, malgré notre soutien à cette proposition de loi, que les installations photovoltaïques doivent être placées en priorité sur des surfaces déjà urbanisées et artificialisées. Cet argument est d’autant plus valable que, dans quelques jours, notre assemblée examinera un projet de loi portant sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables, qui prévoit l’équipement obligatoire des parkings.
L’équipement massif de zones déjà artificialisées doit nous conduire à une sélectivité accrue des projets d’équipements sur des zones non artificialisées, comme les surfaces agricoles.
Cependant, quelques points pourraient mériter notre attention dans le cadre de l’examen de ce texte, notamment le cas particulier des 5 000 communes de montagne. Celles-ci relèvent de dispositions particulières, notamment en matière d’urbanisme, et nous souhaitons élargir le bénéfice de l’agrivoltaïsme à celles d’entre elles qui présentent des profils favorables à la mise en œuvre de telles activités.
Le soutien public financier apporté aux projets via la procédure de guichet ouvert, tel qu’il est inscrit dans ce texte, nous semble disproportionné. Il pourrait conduire, dans certaines conditions définies par cette proposition de loi, à soutenir des projets de taille importante, allant jusqu’à six mégawatts, voire au-delà, lesquels pourraient pourtant être rentables dans des conditions de marché.
Il nous semble inopportun de soutenir dans une trop large mesure de tels projets, qui doivent trouver un équilibre économique par eux-mêmes et n’ont pas besoin d’argent public pour voir le jour.
Enfin, plusieurs amendements de notre groupe visent à perfectionner ce texte, en particulier sur le sujet du mécanisme de compensation agricole, auquel les projets agrivoltaïques pourraient légitimement être soumis, au même titre que les projets photovoltaïques classiques.
Nous formulons également des propositions concernant les provisions pour frais de démantèlement des installations et le suivi statistique des implantations agrivoltaïques.
De manière plus générale, il nous semble que cette proposition de loi a atteint un équilibre après son passage en commission et garantit la protection des intérêts agricoles tout en permettant le développement d’un agrivoltaïsme respectueux de l’environnement. Si certains de ses amendements rencontrent les faveurs du Sénat, le groupe UC votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite avant tout remercier notre collègue Jean-Pierre Decool de nous soumettre ce texte sur un sujet très important qui nécessite un débat.
Nous voici réunis pour étudier les contours de l’agrivoltaïsme, alors qu’une définition en a été produite par l’Ademe il y a seulement quelques mois, dans un rapport où une multitude de sites étaient étudiés. Cela signifie que des installations avaient obtenu des autorisations sans aucun cadre, avant que l’on soit contraint de rétropédaler pour essayer d’y voir clair.
N’aurait-il pas été plus logique d’analyser les enjeux, d’établir un diagnostic des risques et de réunir autour d’une table l’ensemble des parties prenantes avant de lancer les projets ? Il faut dire que les entreprises ont toujours une longueur d’avance en matière de stratégie et qu’elles savent flairer les opportunités économiques !
Quels sont les enjeux ?
J’espère que nous sommes tous d’accord sur le principal d’entre eux : préserver les terres pour les dédier à leur vocation agricole et pérenniser ainsi notre indépendance alimentaire. Il s’agit, en même temps, de répondre au projet ambitieux d’atteindre 40 % d’énergie renouvelable d’ici à 2030 en France.
C’est précisément cet objectif qui a suscité l’engouement des sociétés d’énergie pour notre foncier agricole, une opportunité qui leur coûte peu, mais qui présente un risque de dévoiement de l’activité agricole. Dès lors, il est nécessaire de prévoir des garde-fous.
L’Ademe a imposé un enjeu fort : le service aux agriculteurs. Pour cette agence, la définition de l’agrivoltaïsme repose sur la notion de « synergie entre production agricole et production photovoltaïque sur une même surface de parcelle. L’installation photovoltaïque doit ainsi apporter un service en réponse à une problématique agricole. »
Je suis allé visiter une installation photovoltaïque sur une exploitation viticole dans le Vaucluse et j’ai bien compris le service rendu en matière de protection contre la grêle, grâce à des filets intégrés aux panneaux, d’apport d’ombre et de lutte contre le gel. À mon sens, ces services doivent rester la condition sine qua non d’une installation agrivoltaïque.
Dès lors, l’activité agricole ne doit pas seulement être « significative », comme l’indique la proposition de loi, mais largement majoritaire. À ce titre, je suis favorable à une définition par décret de la superficie pertinente.
Le danger est en effet grand de voir les agriculteurs dépossédés de leur autonomie sur leur exploitation, car certains projets sont financés par des porteurs, peu de paysans pouvant assumer eux-mêmes le coût de ces installations très onéreuses.
C’est pourquoi je défendrai un amendement qui vise à écarter de l’agrivoltaïsme toute installation qui ne permettrait pas de garantir « un partage équitable de la valeur générée par la production énergétique entre l’exploitant agricole et les autres acteurs du projet ». Le seul service rendu à l’agriculture ne saurait suffire à compenser l’offre d’une terre à la société d’énergie ; cela ne serait pas équitable. Il faudra également veiller à encadrer les loyers, pour éviter la spéculation sur le prix du foncier.
Pour autant, un moratoire sur l’agrivoltaïsme, ainsi que cela a été proposé, ne me paraît pas offrir la bonne solution. Comment empêcher des agriculteurs de choisir cette voie alors que d’autres s’y sont déjà engouffrés ? Cela ne serait pas juste.
Les amendements que nous allons défendre ont pour objectif de sécuriser les agriculteurs en insistant sur la notion d’activité agricole majoritaire, au regard de laquelle la production d’électricité ne doit être qu’une activité secondaire.
L’agrivoltaïsme ne doit pas non plus faire de l’ombre (Sourires.) au photovoltaïque sur les toits et sur les friches. Nous sommes encore loin des objectifs fixés et une doctrine commune devrait être partagée entre les architectes des bâtiments de France (ABF), les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), les directions départementales des territoires (DDT) et les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) pour soutenir ces installations et cesser d’interpréter les textes.
Une fois montés, les projets doivent se maintenir dans les objectifs prévus. C’est pourquoi nous sommes favorables au rôle d’autorisation des CDPENAF. J’ai déposé un amendement en ce sens, qui vise à ne pas considérer comme agrivoltaïques les installations qui ne sont pas « en adéquation avec les dynamiques locales et territoriales agricoles », l’appréciation de cette qualité relevant de la CDPENAF. Il s’agit ainsi de prévenir l’accaparement du foncier agricole.
Outre l’encadrement des autorisations, il est nécessaire de prévoir un contrôle, par les services de l’État, de l’existence et du maintien des activités agricoles. Avec quels moyens celui-ci sera-t-il mené ?
Dirigeant le seul cabinet parlementaire bénéficiant du label Responsabilité sociale des entreprises (RSE), je terminerai en indiquant que l’Afnor a lancé le label « Projet agrivoltaïques », une certification appelée à témoigner de la sincérité et de l’exemplarité de l’ensemble des parties prenantes engagées dans cette démarche, laquelle, rappelons-le, se veut durable ! (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – M. Jean-Pierre Decool et Mme la présidente de la commission applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, remercions Jean-Pierre Decool pour sa proposition de loi, qui rappelle d’abord toute la responsabilité des parlementaires. Sa conviction est unanimement partagée dans cet hémicycle et il fait progresser d’une façon utile le débat sur les énergies renouvelables dans notre pays. Grâce à ce texte, ce sujet va sortir à la fois de l’anecdotique et de l’ambiguïté.
Le monde rural soutient très largement le développement des énergies renouvelables dans notre pays et assume sa responsabilité en la matière, comme en témoignent les filières de biomasse bois, de biomasse méthanisée, d’hydroélectricité et, naturellement, d’éoliennes.
Ma chère collègue Patricia Schillinger, je ne crois pas en effet que les métropoles, voire votre région à la densité de population élevée, acceptent l’installation de beaucoup d’éoliennes, ce que je comprends parfaitement.
Cette proposition de loi a donc l’immense mérite de sortir de l’anecdotique et de l’équivoque.
Qu’est-ce que l’anecdote ? L’agrivoltaïsme embrasse un champ de production électrique qui est aujourd’hui extraordinairement ouvert. Je ne compte pas débattre de la politique énergétique de la France ; cela a été fait dans cet hémicycle la semaine dernière en présence de Mme Borne et de M. Lescure.
Nous devons, en revanche, nous demander si cela se rapporte à quelques milliers ou à quelques dizaines de milliers d’hectares. Selon les chiffres du Syndicat des énergies renouvelables et de l’association France Agrivoltaïsme, jusqu’à 80 000 hectares pourraient être concernés, soit en moyenne deux ou trois hectares par commune. Ce chiffre est tout de même significatif : un tel déploiement marquerait le paysage.
Dès lors que l’on sort de l’anecdotique et que le sujet concerne des milliers de communes françaises, ce débat va nous éclairer sur les conditions d’autorisation au regard du droit de l’urbanisme. Les panneaux seront considérés comme nécessaires à l’exploitation agricole, il faut en avoir la certitude et se battre pour cela. Vous savez, en effet, qu’une restriction très forte s’applique sur la nature même de ces bâtiments, du fait, en particulier, du Conseil d’État.
Ensuite se pose la question de la coexistence pacifique et fructueuse entre des activités agricoles et des activités de soutien, dont la vocation est essentiellement de produire de l’électricité sur un terrain agricole, sans pour autant en compromettre la vocation. Sur ce sujet, monsieur le rapporteur, vous avez réalisé un excellent travail de précision et de clarification, mais nous, parlementaires, savons par expérience que l’on ne parvient jamais à anticiper toutes les situations.
C’est la raison pour laquelle vous proposez que la responsabilité soit confiée aux maires. Or sortir de l’anecdote, cela signifie que des milliers de maires vont être concernés et que des dizaines de milliers d’habitants exprimeront un avis, rarement compréhensif et positif, sur la perspective d’avoir comme voisinage un, deux, voire trois hectares de panneaux photovoltaïques. Il faudra donc expliquer et mettre en place une procédure respectueuse des textes en vigueur.
À ce titre, le recours à la CDPENAF me semble être une bonne chose : celle-ci livrera un avis pour éclairer la situation, mais la responsabilité reviendra bien au maire.
Le groupe Les Républicains va voter ce texte, parce qu’il permet d’avancer. Il ne réglera pas tout : l’enjeu touche à la coexistence de l’électrique et de l’agricole, mais aussi au droit du paysan et à sa transmission. Il est évident qu’une terre équipée sera plus coûteuse et plus difficile d’accès pour un éventuel successeur.
Retenons toutefois une idée : le monde rural participe au développement des activités d’énergies renouvelables. Or, entre la location du sol – 2 000 à 3 000 euros à l’hectare – et l’Ifer, tourné pour l’essentiel vers les communes et leurs groupements, et qui représente entre 1 600 et 2 000 euros par hectare, cette évolution va donner lieu à une magnifique opération de redistribution : la consommation métropolitaine honorera ainsi, par ses contributions, le développement et le pouvoir d’achat dans nos territoires ruraux.
C’est la raison pour laquelle nous soutenons ce texte qui ouvre un débat, lequel ne sera toutefois pas tranché en totalité aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)