compte rendu intégral

Présidence de M. Roger Karoutchi

vice-président

Secrétaires :

Mme Marie Mercier,

M. Jean-Claude Tissot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour une mise au point au sujet d’un vote.

M. Laurent Burgoa. Lors du scrutin n° 8 sur l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, Mme Joëlle Garriaud-Maylam souhaitait ne pas prendre part au vote.

M. le président. Acte est donné de votre mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales
Discussion générale (suite)

Aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, présentée par Mme Valérie Létard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 875 [2021-2022], texte de la commission n° 22, rapport n° 21).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Valérie Létard, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Valérie Létard, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous faire part de ma satisfaction de voir aujourd’hui cette proposition de loi examinée par notre assemblée.

Cette aide universelle d’urgence vise à combler un réel manque lorsque les victimes de violences conjugales rencontrent des difficultés à s’extraire de l’emprise de leur conjoint violent en raison de leur dépendance financière, qui peut les faire renoncer au départ ou forcer celles qui ont franchi le pas à revenir en arrière.

Je tiens à associer à cette proposition les équipes du conseil départemental du Nord, présentes dans nos tribunes, avec qui je travaille depuis plusieurs mois sur ce dispositif, résultat de nos nombreux échanges avec les associations compétentes, les travailleurs sociaux, les services de gendarmerie et de police, le procureur et la caisse d’allocations familiales.

Ce travail de terrain nous a permis d’imaginer le dispositif proposé aujourd’hui, que nous avons d’ores et déjà décidé d’expérimenter dans le Valenciennois.

Je tiens également à remercier la rapporteure, Jocelyne Guidez, qui a su s’emparer de ce texte, en comprendre les enjeux et l’enrichir utilement lors de son passage en commission.

Le Président de la République a fait des droits des femmes et de la lutte contre les violences faites aux femmes l’une des grandes causes de son premier quinquennat. À ce titre, le 3 septembre 2019, le Gouvernement lançait le Grenelle des violences conjugales, qui déboucha sur un plan d’action global et inédit.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre, a renouvelé l’engagement du Gouvernement en faveur de cette cause.

Il le faut, car les chiffres sont glaçants ! En 2020, en France, hors homicides, les forces de sécurité ont enregistré 159 400 victimes de violences conjugales commises par leur partenaire, soit une hausse de 10 % en un an. En 2021, quelque 143 morts violentes au sein du couple ont été recensées, contre 125 l’année précédente, soit 18 victimes en plus.

Dans l’arrondissement de Valenciennes, le territoire dans lequel nous avons imaginé cette aide, les statistiques du parquet sont particulièrement inquiétantes. Chaque année, le service d’aide aux victimes accompagne 1 000 victimes de violences conjugales. En 2021, les services de police et de gendarmerie ont eu à traiter en moyenne 8 cas de violences intrafamiliales chaque jour.

Face à ce constat alarmant, il est plus que nécessaire de s’interroger sur la façon de prévenir ces violences, d’anticiper, de protéger et d’agir en amont.

Sur ce sujet, je ne puis que soutenir le Gouvernement et l’inciter à faire davantage pour la prévention, en lien avec les professionnels de terrain, à qui il faut donner les moyens d’agir. Un vrai travail doit être effectué en amont.

À ce titre, je remercie et félicite mes collègues et anciens collègues Laurence Rossignol, Laurence Cohen, Nicole Duranton, Loïc Hervé, Françoise Laborde et Noëlle Rauscent pour le rapport d’information qu’ils ont présenté en juin 2018 au nom de la délégation aux droits des femmes. Intitulé Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société, ce travail dressait des constats, énumérait des points de vigilance et contenait 36 recommandations qui feraient une excellente feuille de route pour renforcer aujourd’hui les mesures de prévention.

Il est également urgent d’apporter une réponse adaptée et rapide à ces victimes une fois l’emprise du conjoint violent malheureusement établie.

Aider une victime qui trouve la force d’aller porter plainte, de demander une ordonnance de protection et de quitter le foyer conjugal – un choix parfois tout aussi effrayant que de rester et subir les violences de son conjoint –, tel est le cœur de la présente proposition de loi.

En créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, on leur accorde un droit à s’émanciper de cette emprise découlant d’une dépendance financière envers le conjoint violent.

Trop souvent, les victimes de violences sont contraintes de retrouver le foyer conjugal très peu de temps après l’avoir quitté, faute d’autonomie financière immédiate. Ce constat, mes chers collègues, est celui des professionnels de terrain.

J’ai souhaité faire de ce dispositif une aide universelle, le prêt octroyé n’étant pas soumis à des conditions de ressources ou à un statut particulier. En effet, que l’on soit éligible au revenu de solidarité active (RSA) ou que l’on dispose de revenus et d’un patrimoine, que l’on ait plus ou moins de 25 ans, que l’on soit actif ou retraité, personne n’est épargné par les violences et l’emprise. N’oublions pas que la rétention de moyens de paiement ou de titres par le conjoint violent est fréquente.

L’objectif est donc de garantir aux victimes les conditions financières nécessaires pour leur permettre de se libérer le plus vite possible de l’emprise.

C’est pourquoi le dispositif répond également au caractère d’urgence qu’imposent ces situations. La capacité pour les victimes de se mettre à l’abri le plus rapidement possible est déterminante pour leur survie, mais aussi, parfois, pour celle de leurs enfants.

Dans ces situations plus que dans toutes les autres, le temps est compté. Le présent texte, amendé avec efficacité par Jocelyne Guidez et d’autres collègues en commission, prévoit ainsi un délai de déblocage du prêt alloué par la caisse d’allocations familiales de soixante-douze heures, soit trois jours ouvrés. Cette durée n’a pas été choisie arbitrairement ; elle représente un juste équilibre entre le besoin d’une solution à court terme pour les victimes et la capacité des services compétents de la CAF à instruire la demande le plus vite possible.

S’inspirant des mécanismes extralégaux d’action sociale de la branche famille, le montant retenu pour cette avance d’urgence, versée en trois mensualités maximum, équivaut au revenu de solidarité active.

Je souhaite que nos débats n’excluent pas la question de l’impact budgétaire de la mesure proposée, face aux critiques qui pourraient s’élever.

Au-delà du drame humain et familial que constituent les violences au sein d’un couple – elles peuvent avoir des conséquences humaines dramatiques pour la victime comme pour ses enfants –, nous avons conçu un dispositif utile et financièrement maîtrisé.

Si besoin était d’en justifier, son impact budgétaire sur les finances publiques est sans commune mesure avec les conséquences financières d’une mise à l’abri de la victime et de ses enfants. En effet, un placement dans une maison de l’enfance coûte 200 euros par jour, soit 6 000 euros par mois, et ne permet pas de « réparer » de façon satisfaisante une mère et ses enfants. On voit donc tout l’intérêt de cette mesure de bon sens.

En outre, un mécanisme de remboursement par l’auteur des violences est prévu. Une subrogation de la CAF dans les droits des victimes est possible, qui permettrait à l’institution de se constituer partie civile et de demander, en leur nom, la réparation du préjudice subi.

L’idée est simple : faire payer l’auteur des violences pour une situation dont il est responsable.

Enfin – il s’agit là d’une condition essentielle d’efficacité du dispositif proposé –, le président du conseil départemental sera informé dès la transmission de la demande à la CAF, afin d’engager immédiatement l’accompagnement social de la victime, parallèlement au versement de l’aide d’urgence.

Concrètement, cela signifie un accompagnement global de la victime, dès le dépôt de plainte, l’ordonnance de protection ou le signalement par un travailleur social. Ce dernier fera office de personne-ressource tout au long du parcours de rebond de la victime. En effet, rappelons-le, l’objectif est non seulement de sécuriser les situations fragiles, mais aussi, et surtout, de conduire à une indépendance pérenne.

Cela passe forcément par un accompagnement multidimensionnel. Logement, démarches administratives, accompagnement juridique, accompagnement santé et psychologique, insertion professionnelle : autant de domaines dans lesquels les travailleurs sociaux des départements et des centres communaux d’action sociale (CCAS) sont tout désignés pour intervenir. Ils agiront comme facilitateurs, tout en étant les garants du respect des étapes du parcours et de la coordination des différents partenaires.

Cette aide universelle, travaillée en bonne intelligence avec les acteurs de terrain, permet d’offrir un résultat opérationnel. L’attente est forte de la part des victimes de violences conjugales, qui cherchent à se mettre à l’abri et à retrouver une indépendance économique et administrative, mais aussi des travailleurs sociaux, associations, structures d’aide et acteurs judiciaires, qui se battent chaque jour pour tenter de changer la vie des victimes, et parfois de sauver des vies.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelle que soit notre place dans l’hémicycle, quelles que soient nos convictions politiques, nous rejetons tous la violence.

Ces violences conjugales détruisent la vie de trop nombreuses victimes et de trop nombreuses familles. Elles touchent toutes les catégories de notre société. Notre pays s’est toujours grandi à protéger les plus fragiles et les victimes d’actes de violence.

Cette aide universelle s’adresse à l’ensemble des victimes de violences conjugales, quels que soient leur sexe, leur origine, leur statut ou leur âge. Elle se veut un moyen de rendre aux victimes leur dignité et de leur permettre de relever la tête et de s’extraire d’une situation personnelle qui n’apporte que souffrance et douleur.

Elle sera, je l’espère, si vous l’adoptez, mes chers collègues, un moyen supplémentaire, mais essentiel, mis à disposition de notre République pour endiguer le fléau des violences conjugales. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Valérie Létard a rappelé le contexte douloureux dans lequel s’inscrit cette proposition de loi. En dépit de la mobilisation des pouvoirs publics, les violences commises au sein du couple perdurent à un niveau élevé.

Dans l’Hexagone, une enquête statistique estime à 295 000 le nombre annuel de victimes de violences conjugales entre 2011 et 2018, dont 72 % de femmes. La violence au sein du couple est aussi prégnante outre-mer. Une étude de l’Institut national d’études démographiques (Ined) de 2018 révèle que près d’une femme interrogée sur cinq se déclare en situation de violences conjugales en Martinique et en Guadeloupe.

La proposition de loi entend répondre à cet enjeu et puise sa force dans les retours concrets d’expérience. Valérie Létard a en effet présenté le travail qu’elle mène avec le département et la caisse d’allocations familiales du Nord pour mettre en place un prêt d’urgence et un accompagnement global des victimes de violences conjugales identifiées par les services sociaux.

Le texte est issu du constat empirique d’un déficit à combler dans les politiques publiques que nous déployons en faveur des victimes de violences conjugales. Il convient de les aider à quitter définitivement leur partenaire violent, en leur apportant une aide cruciale dans des délais très réduits.

Les données issues des appels au numéro 3919 « Violences Femmes Info » montrent que 59 % des victimes souhaitent quitter le domicile conjugal, tandis que 18 % d’entre elles indiquent avoir effectué plusieurs départs du domicile. Il est donc très difficile pour la femme de réussir à couper définitivement les ponts avec son tortionnaire.

La précarité économique ou les incertitudes financières figurent souvent parmi les freins au départ des victimes. Ces dernières peuvent être sans emploi ou sans prestations sociales, mais aussi disposer de ressources propres et en être privées par l’emprise économique dont le conjoint violent fait preuve.

Les moyens employés par les auteurs de violences pour placer leur victime dans une dépendance économique sont nombreux : chantage financier, confiscation des ressources ou des moyens de paiement, comportements visant à placer la victime dans des surendettements personnels…

Dès lors, comment donner les moyens financiers aux victimes de s’extirper de leur environnement violent ? La proposition de loi choisit d’accorder une aide d’urgence, débloquée en trois jours et versée par la caisse d’allocations familiales pendant trois mois.

Le besoin de créer une aide d’urgence est un constat partagé sur les travées de notre assemblée. Une proposition de loi à l’objectif similaire, déposée par notre collègue Michelle Gréaume, adaptait le régime existant du revenu de solidarité active pour permettre aux CAF de verser des avances sur droits supposés au RSA, financées par le département.

La proposition de loi que nous examinons prévoit un dispositif sui generis, sous la forme d’un prêt qui se rapprocherait des prêts d’honneur que les conseils d’administration des CAF peuvent librement consentir au titre de leur politique d’action sociale.

L’article 1er de la proposition de loi, adopté par la commission, prévoit une avance d’urgence octroyée par les caisses et financée par la branche famille.

Ce prêt à taux zéro serait versé en trois mensualités, dont la première devra être payée dans un délai très court – la commission l’a porté à trois jours ouvrés. Ce délai reste très ambitieux, mais l’étendre davantage aurait affaibli l’intérêt du dispositif d’urgence.

Le montant du prêt sera fixé par décret. Il reviendra au pouvoir réglementaire de prévoir des montants majorés lorsque la victime quitte le domicile avec ses enfants. J’insiste sur ce point, en présence de Mme la ministre : les enfants sont directement victimes des violences conjugales, et les femmes victimes quittent rarement le domicile en abandonnant leurs enfants. L’aide d’urgence devra donc être adaptée à la situation familiale des victimes.

La commission s’est penchée sur la question des conditions d’octroi permettant aux victimes de violences conjugales de faire valoir leur droit. Elle a considéré qu’un fait générateur trop souple risquerait de gêner la mise en œuvre de la loi et a donc retenu des conditions d’octroi précises. Elle a ainsi conditionné la délivrance de l’avance à une ordonnance de protection ou à un dépôt de plainte attestant de violences conjugales.

Ces deux critères étaient déjà prévus à titre illustratif par le texte initial. Cependant, nous savons bien que nombre de femmes n’osent pas pousser la porte de la gendarmerie ou de la police et dénoncer les faits qu’elles subissent.

De même, seules 5 800 ordonnances de protection ont été délivrées en 2021 par les juges aux affaires familiales. C’est pourquoi, afin de ne pas trop restreindre l’accès à ce prêt d’urgence, la commission a ouvert la prestation aux victimes de violences attestées par un signalement adressé au procureur de la République.

S’appuyant sur une nouvelle disposition prévue par la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, certains centres hospitaliers ont contractualisé avec le parquet, afin de faciliter, avec l’accord de la personne, les signalements des victimes prises en charge médicalement. L’avance d’urgence pourra ainsi s’appliquer à cette situation. L’article 1er prévoit également que les allocataires de l’avance bénéficient des droits accessoires à la prestation du RSA.

À côté du dispositif financier, la victime doit pouvoir être aidée, comme c’est déjà souvent le cas, par les associations ou les travailleurs sociaux des collectivités locales.

La commission a précisé que ces droits accessoires comprennent également un accompagnement social et professionnel adapté à leur situation, à l’instar de celui qui est délivré aux bénéficiaires du RSA.

La commission a également adopté un amendement, déposé par notre collègue Victoire Jasmin, visant à permettre aux bénéficiaires de l’avance d’urgence d’être domiciliés de droit auprès d’un centre communal ou intercommunal d’action sociale ou d’un autre organisme agréé.

Enfin, la commission a précisé les règles de récupération des avances, lesquelles seraient très proches des modalités déjà existantes pour les prêts consentis par les CAF.

La dette pourra ainsi être remboursée en une ou plusieurs échéances si le bénéficiaire le souhaite. Sinon, elle sera récupérée par retenues sur les prestations sociales par ailleurs versées par les caisses. Ces dernières pourront décider de remises ou de réductions de créances. Cette possibilité n’est pas hypothétique : les conseils d’administration des caisses devront faire preuve de discernement pour ne pas ajouter une dette à des situations de précarité ou de surendettement.

La proposition de loi prévoit également un mécanisme inédit de subrogation des CAF dans les droits des victimes de se constituer partie civile pour demander, en leur nom, la réparation du préjudice subi. Ce mécanisme ne serait applicable que lorsque les victimes renoncent à leurs droits, ce qui n’est pas une situation rare. La récupération de la créance de la CAF pourra alors se faire sur les dommages et intérêts prononcés au bénéfice de la victime, ce qui permettra de faire payer l’auteur des violences en lieu et place de la victime.

L’article 2 de la proposition de loi prévoit des mesures ambitieuses, en disposant que la victime déposant plainte pour des faits de violences conjugales devra être informée par l’officier ou l’agent de police judiciaire de la possibilité de demander l’avance d’urgence.

Plus encore, le gendarme ou policier « plaintier » devra enregistrer la demande de la victime et la transmettre à la CAF compétente, ainsi qu’au conseil départemental, chef de file de l’action sociale.

Lorsqu’un travailleur social sera présent, cette mission lui sera naturellement assignée. Néanmoins, si le déploiement des intervenants sociaux en commissariat et unité de gendarmerie suit son cours, il est encore loin d’être effectif dans tous les départements. Nous nous sommes donc interrogés en commission sur le bien-fondé de cette disposition.

À l’évidence, il ne s’agit pas là de compétences naturelles aux policiers et gendarmes. Nous avons cependant préservé cette possibilité de demander l’avance à l’occasion du dépôt de plainte. Nous savons tous qu’une simple information des victimes sur leurs droits ne sera pas suffisante.

Les personnes, souvent dans des états traumatiques, ne seront pas si nombreuses à aller d’elles-mêmes vers la CAF. En outre, les situations contraintes dans lesquelles elles se trouvent peuvent les empêcher de se rendre comme elles le souhaitent auprès d’un nouveau guichet, retardant alors le déclenchement de l’aide.

Le texte propose donc un nécessaire mécanisme de liaison entre services de l’État et services sociaux, qui doit s’appliquer du mieux possible grâce à des échanges informatisés, formalisés dans des conventions locales.

En outre, un amendement de coordination de la commission aura pour objet de permettre aux assistants d’enquête, que le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur entend créer, d’exercer ces missions d’enregistrement et de transmission de la demande d’aide d’urgence.

Voilà, mes chers collègues, le dispositif que le présent texte entend établir. Le Gouvernement a par ailleurs annoncé diverses mesures, notamment un « pack nouveau départ ». D’autres initiatives locales fleurissent : je pense à celle menée par la CAF du Var et le barreau de Toulon pour orienter efficacement les victimes de violences conjugales et mener sous quarante-huit heures un examen complet de leurs droits à prestations légales.

Nous ne pouvons que nous réjouir que toutes ces avancées aillent dans la même direction. Le dispositif de cette proposition de loi n’est donc ni concurrent ni redondant. Il s’agit d’une occasion de compléter les dispositifs existants d’aide aux victimes de violences conjugales. C’est pourquoi la commission a adopté la proposition de loi.

Il est évident que l’expérimentation dans le Nord pourra, le cas échéant, apporter des voies d’amélioration du texte en cours de navette parlementaire.

Par ailleurs, elle lèvera sans aucun doute les réserves institutionnelles qui peuvent encore être formulées. Cette aide monétaire légale s’inscrira dans les environnements déjà formés par les acteurs de l’action sociale. Le texte laisse en effet la liberté au pouvoir réglementaire et aux parties prenantes de s’organiser au plus proche des besoins de chaque département. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée. (M. Xavier Iacovelli applaudit.)

Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, en préambule, permettez-moi de féliciter Mme la sénatrice Valérie Létard et Mme la rapporteure Jocelyne Guidez pour leur mobilisation dans la lutte contre les violences faites aux femmes, grande cause des deux quinquennats du Président de la République.

Je sais le Sénat particulièrement engagé sur cette question, comme en témoignent les nombreuses signatures transpartisanes recueillies par cette proposition de loi.

La lutte contre les violences conjugales, premier pilier de la grande cause du quinquennat, s’est traduite par plusieurs actions concrètes, fruits pour la plupart du Grenelle des violences conjugales et du travail conjoint du Gouvernement et des parlementaires.

C’est l’illustration que nous avançons collectivement sur ce sujet qui dépasse largement les clivages partisans. C’est aussi le résultat du ressaisissement collectif qu’a opéré notre société ces dernières années, notamment grâce à la vague #MeToo, qui a déferlé sur le monde. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Trop longtemps, notre société n’a pas écouté les victimes, ne les a pas crues, les laissant souvent seules face à l’emprise, abandonnées face aux coups, dans un huis clos avec leur agresseur.

Depuis cinq ans, nous n’avons eu de cesse de renforcer les dispositifs de protection ou d’en créer de nouveaux. Je pense aux téléphones grave danger, aux ordonnances de protection, aux bracelets anti-rapprochement, à la présence renforcée des intervenants sociaux dans les commissariats et les gendarmeries, à la formation massive des policiers, des gendarmes et des magistrats, mais aussi à la considérable progression du nombre de places d’hébergement d’urgence durant le précédent quinquennat. Ce mouvement, je compte bien entendu le poursuivre.

La Première ministre a annoncé le 2 septembre dernier qu’elle présiderait dans les prochains mois un comité interministériel sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Je le piloterai en vue d’établir dans son prolongement un plan gouvernemental qui sera décliné dans les cinq ans à venir.

Oui, je partage votre constat : il faut aider les femmes et les victimes à sortir de cette emprise. Au cours de mes trente ans de magistrature et de mes quelques années de présidence de cour d’assises, j’ai trop souvent été témoin de ces faux départs.

Même lorsqu’une femme parvient à parler, à révéler les faits, elle reste trop souvent sous la dépendance financière ou psychologique de son conjoint et finit parfois par retourner auprès de lui. Le cas échéant, c’est lors de ces allers-retours que l’irréparable est commis.

J’ai également beaucoup travaillé avec les associations, comme magistrate, puis en tant que haut fonctionnaire du ministère de la justice chargée de coordonner les travaux du Grenelle : elles pensent aussi qu’il faut agir vite.

Oui, il faut aider les femmes à sortir de cette emprise et éviter à tout prix ces faux départs. En ce sens, le « pack nouveau départ » sera expérimenté à la suite du comité interministériel.

Quant à votre texte, il vise à créer un dispositif d’aide financière sous la forme d’une avance versée par les caisses d’allocations familiales aux femmes victimes de violences. Il s’agirait d’un prêt sans intérêt, ce qui pose bien évidemment la question de son remboursement.

Cette perspective pourrait constituer un frein à l’objectif consistant à sécuriser les femmes pour qu’elles se décident à fuir. Pour répondre à cet enjeu, votre texte permet notamment à la CAF, via un mécanisme de subrogation, de se retourner contre l’auteur des violences pour obtenir le remboursement du prêt.

Un tel dispositif se heurte néanmoins en droit au principe de la subrogation légale, qui suppose que les créances transmises soient de même nature et répondent au même régime juridique.

Or l’avance octroyée par la CAF est un prêt sans intérêt, de nature et de régime distincts des indemnités octroyées par le tribunal correctionnel en réparation du préjudice subi par la victime de violences. La mise en œuvre de ce dispositif serait donc d’une particulière complexité, et le remboursement par l’auteur semble très hypothétique.

De manière plus générale, si l’autonomie financière est un volet essentiel de l’aide que nous devons apporter à ces femmes, il n’est pas le seul.

Comme vous le savez, leurs besoins sont multiples : logement, aide financière, accès aux droits, garde d’enfants, réinsertion professionnelle, accompagnement psychologique… L’esprit du « pack nouveau départ » passe justement par le développement d’une prise en charge globale coordonnée, prioritaire dans la durée et individualisée.

Avant de généraliser un modèle de prise en charge, la Première ministre et moi-même allons lancer une expérimentation dans plusieurs territoires, pour définir le dispositif qui répondra le mieux aux besoins des femmes.

Nous souhaitons y associer pleinement les parlementaires et nous inspirer des dispositifs qui fonctionnent sur leur territoire.

J’aimerais d’ailleurs, comme vous l’avez fait, madame la rapporteure, saluer plusieurs initiatives développées par les CAF.

Par exemple, la CAF de la Côte-d’Or propose une aide financière individuelle non remboursable d’un montant maximal de 1 500 euros aux victimes de violences conjugales ayant au moins un enfant à charge.

La CAF du Var a signé un protocole avec le barreau de Toulon pour prendre en charge sous quarante-huit heures toute victime de violences conjugales à la demande de son avocat, une aide financière étant versée aux victimes pour un relogement en urgence.

La CAF du Val-d’Oise apporte des aides pour acquérir des biens d’équipement ménager ou mobilier de première nécessité.

Dernier exemple, la CAF de la Somme finance une aide au départ d’urgence d’un montant de 500 euros, plus 200 euros par enfant, versée aux femmes victimes de violences conjugales par les associations têtes de réseau départemental.

Je pourrais citer de nombreux autres exemples, ce qui montre la mobilisation collective qui a lieu un peu partout sur le territoire.

L’expérimentation qui sera lancée dans votre département, le Nord, madame la sénatrice Valérie Létard, et qui a inspiré votre proposition de loi, est intéressante. Elle peut être intégrée dans les réflexions du Gouvernement, mais elle doit être, à notre avis, enrichie pour couvrir tous les besoins des femmes.

C’est pourquoi le Gouvernement s’en remet sur ce texte à la sagesse du Sénat et s’engage à travailler en synergie avec les parlementaires, les collectivités et les associations désireux d’agir concrètement. (Applaudissements.)