Sommaire
Présidence de Mme Valérie Létard
Secrétaires :
M. Pierre Cuypers, Mme Victoire Jasmin.
2. Scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République
3. Orientation et programmation du ministère de l’intérieur. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer
4. Clôture du scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République
5. Orientation et programmation du ministère de l’intérieur. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois
M. Philippe Paul, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères
Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères
6. Élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République
7. Orientation et programmation du ministère de l’intérieur. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer
Clôture de la discussion générale.
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 174 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 90 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 137 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 71 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 175 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 70 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 72 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 139 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 138 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 103 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 116 de Mme Monique de Marco. – Rectification.
Amendement n° 116 rectifié de Mme Monique de Marco. – Adoption.
Amendement n° 176 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 177 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 141 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 140 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 18 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet par scrutin public n° 1.
Amendement n° 19 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
Amendement n° 179 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 133 de M. Daniel Breuiller. – Rejet.
Amendement n° 171 rectifié de M. Gilbert Favreau. – Retrait.
Amendement n° 20 de M. Jérôme Durain. – Adoption.
Amendement n° 144 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
Amendement n° 183 de Mme Éliane Assassi. – Retrait.
Amendement n° 142 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 143 rectifié de M. Thomas Dossus. – Adoption.
Amendement n° 215 rectifié ter de M. Thani Mohamed Soilihi. – Adoption.
Amendement n° 156 de M. Jacques Fernique. – Rejet.
Amendement n° 157 de M. Jacques Fernique. – Rejet.
Amendement n° 158 de M. Jacques Fernique. – Rejet.
Amendement n° 206 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 101 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 178 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 21 de M. Jérôme Durain. – Rejet.
Amendement n° 74 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 205 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 180 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 76 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 131 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Amendement n° 9 de Mme Dominique Vérien. – Adoption.
Amendement n° 173 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Adoption.
Amendement n° 73 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 130 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Amendement n° 214 rectifié bis de M. Thani Mohamed Soilihi. – Retrait.
Amendement n° 22 de Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Retrait.
Amendement n° 145 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 25 de Mme Laurence Harribey. – Adoption.
Amendement n° 111 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 79 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 129 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Amendement n° 88 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 82 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 121 de M. Jérôme Durain. – Rejet.
Amendement n° 122 de M. Jérôme Durain. – Rejet.
Amendement n° 123 de M. Jérôme Durain. – Rejet.
Amendement n° 146 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 80 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 83 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 201 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 199 de Mme Éliane Assassi. – Retrait.
Amendement n° 200 de Mme Éliane Assassi. – Retrait.
Amendement n° 84 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Valérie Létard
vice-présidente
Secrétaires :
M. Pierre Cuypers,
Mme Victoire Jasmin.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 6 octobre 2022 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.
Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 86 bis du règlement, au scrutin secret pour l’élection à la Cour de justice de la République.
Ce scrutin se déroulera dans la salle des conférences ; la séance ne sera pas suspendue durant les opérations de vote.
Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour être élu.
Une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je remercie nos collègues Victoire Jasmin et Marie Mercier, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Le juge à la Cour de justice de la République nouvellement élu sera immédiatement appelé à prêter serment devant le Sénat.
Je déclare ouvert le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.
Il sera clos dans une demi-heure.
3
Orientation et programmation du ministère de l’intérieur
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (projet n° 876 [2021-2022], texte de la commission n° 20, rapport n° 19, avis n° 9).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter, au nom du gouvernement de la République, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi).
C’est un moment très important pour le ministère de l’intérieur, ainsi que pour l’ensemble des services concourant à la sécurité des Français. Le terme « sécurité » doit d’ailleurs être mis au pluriel : sécurité dans le sens où nous l’entendons, c’est-à-dire lutte contre la délinquance ; sécurité civile, et nous avons vu cet été à quel point les Français étaient de plus en plus inquiets des difficultés qui pouvaient découler d’un mauvais modèle de sécurité civile ; sécurité cyber, et l’actualité nous pousse à réfléchir à ces sujets très importants ; enfin, sécurité et intérieur, puisque le texte comporte des dispositions sur l’organisation territoriale de l’État, le rôle des préfets, des sous-préfets et des agents de préfecture dans l’action du ministère.
Hasard – mais ce n’en est pas totalement un ! – du calendrier, le texte arrive en discussion au Sénat au moment même où l’Assemblée nationale entame l’examen du projet de loi de finances. Le présent projet de loi, qui prévoit 15 milliards d’euros supplémentaires sur les cinq ans à venir, s’articule avec le projet de loi de programmation des finances publiques et le projet de loi de finances pour 2023, dans lequel cette rallonge budgétaire est bien inscrite.
Il s’agit donc d’une loi d’orientation qui, si j’ose dire, est déjà concrète, puisque le Parlement en votera les crédits en même temps, d’abord, dans la chambre basse, puis – je l’espère –, dans la chambre haute.
Nous avons fait le choix d’une loi de programmation du ministère de l’intérieur en considérant que les enjeux qui sont devant nous et devant le peuple français le justifiaient, comme pour nos amis militaires. Nous avons retenu une échelle assez longue, cinq ans, ce qui est sans précédent dans les annales du ministère. Il a pu y avoir dans le passé des lois d’orientation et de programmation de la sécurité intérieure (Lopsi), mais il n’y a jamais eu de Lopmi, c’est-à-dire de loi de programmation pour l’ensemble du ministère de l’intérieur.
Certes, de telles lois ont permis de faire évoluer la sécurité intérieure. La loi du 29 août 2002 d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, adoptée alors que Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur, a introduit l’image et la vidéosurveillance, et la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi), votée lorsque le même était Président de la République, a prévu une réorganisation de la sécurité publique dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP).
Mais le ministère de l’intérieur n’a jamais connu sur cinq ans de programmation budgétaire importante lui permettant non pas de répondre ici et maintenant aux problèmes qui concernent tout un chacun, et le ministère de l’intérieur en premier lieu – je pense à la délinquance au coin de la rue, aux difficultés pour résorber les points de vente de stupéfiants ou encore à la question de l’accueil dans les commissariats, etc. –, mais bien de réfléchir à demain, c’est-à-dire aux crises de demain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le présent projet de loi vise à répondre à cinq crises, en élaborant des stratégies et en mobilisant des moyens budgétaires.
La première de ces crises, toujours persistante, est la crise terroriste.
Je veux le redire ici, devant la Haute Assemblée, la menace terroriste est extrêmement prégnante sur le territoire national et dans le monde, en particulier le monde occidental. Je ne reviendrai pas sur les causes – elles sont nombreuses – de la menace terroriste en France. Mais un constat s’impose : si nous avons déjoué plus de trente-neuf attentats depuis l’élection du Président de la République, les informations qui nous parviennent, les analyses de ce qui se passe dans d’autres pays et les travaux de prospective qu’un grand ministère comme celui de l’intérieur doit mener révèlent que cette menace est d’autant plus prégnante qu’elle se modernise et se « technologise ».
Au risque de vous paraître farfelu, je vous indique que les attentats de demain ne seront peut-être pas simplement commis avec une arme dans une salle de spectacle ou avec un couteau devant une boulangerie. Un drone, chargé d’explosifs, pourrait foncer sur une foule et créer ainsi, comme sur les théâtres d’opérations extérieures, la même terreur que d’autres armes considérées comme plus traditionnelles. Or le travail du ministère de l’intérieur est de prévoir l’acte terroriste de demain.
C’est pourquoi la loi de programmation doit apporter des moyens importants pour faciliter l’intervention des forces de police et, plus généralement, de l’État, dont les réseaux radio, par exemple, sont éculés.
Monsieur le rapporteur, vous avez accepté que le Gouvernement dépose en séance un amendement tendant à intégrer dans le projet de loi ce qui était prévu dans l’ordonnance pour le réseau Radio du futur (RFF). Nous vous demandons 2 milliards d’euros pour que, demain, l’ensemble des forces de sécurité et des administrations concourant à la sécurité des Français disposent d’un seul et unique réseau radio capable d’intervenir en images et en sons partout sur le territoire national, fonctionnant indépendamment des attaques de toutes natures et permettant l’intervention de la sécurité civile et de forces comme l’unité Recherche, assistance, intervention, dissuasion (Raid), la brigade de recherche et d’intervention (BRI) ou le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN).
Je peux désormais l’annoncer, des sociétés françaises, dont Airbus, ont remporté ce marché public, que nous espérons concrétiser grâce à l’adoption du texte.
Face à la crise terroriste de demain, un travail d’anticipation s’impose à l’évidence, qu’il s’agisse de lutte anti-drones, engins dont nous devons nous prémunir, ou de communication, d’où le projet réseau Radios du futur.
La deuxième crise que je souhaite évoquer est une crise d’ordre public.
Chacun a pu constater à la faveur de la crise des « gilets jaunes » que les manifestations « à la papa » étaient terminées. Le temps où les préfets ou le ministre de l’intérieur se réunissaient avec les grandes organisations syndicales pour s’assurer de la présence d’un service d’ordre organisé et s’accorder sur un parcours déterminé est révolu. À l’époque, même si plusieurs millions de personnes manifestaient, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, le fait d’avoir des policiers aguerris – le maintien de l’ordre public est un métier, et il est assuré uniquement par les policiers qui y sont formés – permettait de ne pas avoir de débordements, en tout cas pas au-delà de l’acceptable.
Les manifestations sont désormais spontanées, numériques, difficilement chiffrables, sans organisateur – ou si peu – et rarement déclarées. Elles se sont multipliées sur l’ensemble du territoire national. Jusqu’à présent, les petites et moyennes villes étaient peu concernées par les phénomènes comme celui qu’elles ont pu connaître tous les samedis avec les « gilets jaunes ».
L’une des difficultés résidait dans le défaut d’organisation de nos services de renseignements pour comprendre ces manifestations nouvelles, qui touchent d’ailleurs l’ensemble du monde occidental, et dans le manque d’effectifs de police spécialistes de l’ordre public pour les organiser.
Je suis malheureusement obligé de constater que quinze escadrons de gendarmerie mobile et de compagnies républicaines de sécurité (CRS) ont été supprimés ces vingt dernières années. Lorsque la crise des « gilets jaunes » est survenue, les policiers spécialisés dans l’ordre public, spécialisation qui suppose un entraînement, un matériel, des effectifs et une stratégie particuliers, étaient peu nombreux. Cela a forcé des policiers dont ce n’était pas le métier – je pense par exemple à des policiers municipaux – à intervenir.
Les difficultés étaient extrêmement graves non seulement pour les policiers eux-mêmes, mais également pour les manifestants. Or le rôle du ministre de l’intérieur est d’assurer la sécurité de ces derniers, y compris, paradoxe démocratique, quand ils manifestent contre la police.
Afin de tenir compte d’une telle difficulté d’ordre public et des nouvelles formes de manifestations, nous vous proposons – c’est la première fois depuis vingt-cinq ans pour le ministère de l’intérieur – la création de onze unités d’intervention, dont sept escadrons de gendarmerie mobile et quatre unités de CRS, sur le modèle de la « CRS 8 » ; nous aurons l’occasion d’évoquer la nouvelle stratégie d’ordre public, monsieur le rapporteur.
Le choix de recréer sept escadrons de gendarmerie mobile répond aussi à nos problèmes ultramarins, essentiellement gérés par des gendarmes mobiles, et non par des CRS. Je pense aux événements potentiels en Nouvelle-Calédonie, aux difficultés à Mayotte et en Guyane, etc.
Sachons regarder les choses en face. Il y a fort à parier que, quels que soient le gouvernement ou la majorité des assemblées, la puissance publique aura besoin de plus d’escadrons de gendarmerie et de CRS pour répondre aux manifestations spontanées, numériques et nouvelles, ainsi qu’aux crises ultramarines.
Il s’agit donc de professionnaliser l’ordre public encore plus que nous ne l’avons fait jusqu’à présent et de nous en donner les moyens, ce qui mérite une loi de programmation. Je le précise, nous créerons l’intégralité de ces onze unités d’intervention au cours des deux prochains exercices budgétaires, afin d’être prêts pour les jeux Olympiques, ce grand rendez-vous qui va rythmer la loi de programmation.
La troisième crise à laquelle nous avons affaire est une crise cyber.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la prochaine pandémie que nous vivrons sera sans doute une pandémie cyber. Nous voyons bien les difficultés. Les attaques contre de grandes entreprises, mais également contre de plus petites, ou contre des collectivités sont quasi quotidiennes ; vous en êtes témoins dans vos territoires. Des hôpitaux publics font l’objet de demandes de rançon.
Le fonctionnement régulier des services publics est à la portée d’attaques cyber – elles sont le fait d’États étrangers dans le cadre d’une guerre qui ne dit pas son nom, de groupes terroristes ou encore de délinquants cyber – consistant à dévoiler le secret de la correspondance, à empêcher l’action d’une administration ou à réclamer des rançons se chiffrant parfois en milliards d’euros.
Le ministère de l’intérieur étant celui de la sécurité, dans sa dimension non seulement curative, mais également préventive, il doit garantir la sécurité de demain, qui est déjà la sécurité d’aujourd’hui. Savez-vous que plus de 50 % des escroqueries subies par les Français sont liées à des attaques cyber ? Lorsqu’une dame vient vous voir dans votre permanence pour vous expliquer qu’elle a reçu un mail dont elle ne connaît pas l’auteur pour lui demander d’envoyer de l’argent, c’est déjà une attaque cyber. Lorsqu’un monsieur vient vous expliquer qu’on lui fait du chantage sur sa messagerie personnelle, c’est une attaque cyber. Cela représente donc 50 % des escroqueries, contre 15 % voilà encore deux ans ; dans les mois ou années à venir, ce sera 100 %. Mesdames, messieurs les sénateurs, songez que, pendant les jeux de Tokyo, pourtant peu fréquentés par le public, pandémie oblige, quatre milliards d’attaques cyber ont été recensées. Cela fait presque figure de passé un peu lointain au regard de l’étendue actuelle des attaques quotidiennes de grandes administrations ou de grandes entreprises. Il y a donc fort à parier que la Coupe du monde de rugby, mais surtout les jeux Olympiques de 2024 seront l’occasion de dizaines de milliards d’attaques cyber, visant l’organisation elle-même ou couplées à des actes terroristes.
Nous devons nous préparer à un scénario noir : celui d’une attaque par drone lors de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques combinée à une attaque cyber sur les hôpitaux qui prévoiraient un plan blanc en région parisienne : les morts se compteraient non pas par dizaines ou par centaines, mais par milliers.
C’est pourquoi plus de la moitié des 15 milliards d’euros supplémentaires que je sollicite dans le cadre de la loi de programmation, soit 8 milliards d’euros, sont consacrés aux services numériques et cyber du ministère de l’intérieur. Les dépenses de personnels représentent moins de 15 %, le reste étant essentiellement du matériel, d’ordre cyber et numérique pour plus de la moitié des crédits. Mon objectif est que la voiture numérique ou cyber du policier ou du gendarme aille aussi vite que la voiture numérique ou cyber du voleur.
Du reste, cela a été l’objectif de tous les ministres de l’intérieur au moins depuis Clemenceau, que l’on cite beaucoup en ce moment. Rendons-nous compte que beaucoup de choses changent. La police n’est pas tout à fait la même, car la délinquance n’est pas tout à fait la même qu’à l’époque de Clemenceau.
La quatrième crise à laquelle nous nous attendons concerne les violences et les atteintes aux personnes, que nous voyons remonter continuellement.
J’ai pu annoncer ce matin, pour m’en réjouir, une baisse des violences constatées sur le territoire national, notamment en agglomération parisienne, avec une baisse à deux chiffres.
Pour autant, ne perdons pas de vue que la crise de la violence touchant l’ensemble des pays occidentaux a, certes, des causes politiques et sociétales dont nous pouvons discourir à l’envi, mais qu’elle résulte également d’une crise de l’investigation dans la police et, dans une moindre mesure, dans la gendarmerie nationale.
Depuis plusieurs années, nous déployons beaucoup plus d’agents sur la voie publique. Les interpellations sont plus nombreuses : par exemple, 40 % de trafiquants de plus ont été arrêtés. Mais une fois que l’on a augmenté le nombre d’agents sur la voie publique et les moyens pour procéder à des interpellations, il faut toujours réaliser des enquêtes et se conformer aux procédures judiciaires. Pour cela, il faut des personnes qualifiées.
Les services de police et de gendarmerie nous disent qu’il n’y a pas suffisamment d’officiers de police judiciaire (OPJ), maillon évidemment essentiel pour garantir le respect de la procédure afin que les personnes présentées devant les magistrats puissent être effectivement condamnées.
Quand la société, et parfois même les policiers déplorent que les personnes ne soient pas justement condamnées, le ministère de l’intérieur doit aussi balayer devant sa porte et améliorer la mise en œuvre des procédures judiciaires par ses services.
Nous ne pouvons pas ne pas voir – songeons au grand nombre d’avocats spécialisés – que la forme prime souvent le fond. Lorsqu’une procédure est cassée pour vice de forme après des mois et des mois de travail pour retrouver tel délinquant ou criminel, il faut s’interroger. Nous devons augmenter le nombre d’OPJ. Il nous en manque environ 5 000 ; c’est un manque structurant pour la police nationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque vous m’écrivez pour avoir plus d’effectifs dans vos circonscriptions, je suis heureux de vous accorder, quand je le peux, grâce aux crédits votés, des policiers qui sortent de l’école. Mais le ministre de l’intérieur n’a pas le pouvoir d’affecter de force des OPJ dans vos commissariats ou dans vos services spécialisés. Nous ouvrons des postes, mais si les personnels ne souhaitent pas les occuper, nous ne pouvons pas les y contraindre.
Nous avons donc réfléchi à la manière de résoudre cette crise de l’investigation, faute de quoi il n’est ni réponse pénale ni travail de police qui vaille sur le long terme.
Aussi prévoyons-nous dans la Lopmi des améliorations révolutionnaires pour les OPJ.
Premièrement, un policier n’attendra plus trois ans à sa sortie d’école pour passer le bloc OPJ. Il pourra le faire dès la fin de sa formation, dont la durée a été portée, pour les gardiens de la paix, de huit mois à douze mois, et intégrer directement un commissariat avec la qualité d’officier de police judiciaire.
Deuxièmement, vous avez créé, dans la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, la réserve opérationnelle de la police nationale, sur le modèle de la gendarmerie nationale. Vous aurez pu constater que, dorénavant, un peu partout en France, des civils donnent quelques jours de leur temps par semaine ou par mois pour enrichir les effectifs de police, améliorant ainsi le lien police-population. Nous avons décidé de leur donner la possibilité de garder leur qualité d’OPJ lors de leur départ à la retraite. Jusqu’à présent, un policier pouvait revenir dans son commissariat à la réserve opérationnelle, mais ne pouvait plus réaliser d’enquêtes judiciaires.
Troisièmement, nous créons des assistants d’enquête ; ce point va, je pense, nous occuper un certain temps pendant le débat. C’est une mesure révolutionnaire pour la police nationale et la gendarmerie nationale. Un magistrat, notamment un juge d’instruction, dispose d’un greffier pour l’aider sur les aspects formalistes de la procédure. Il peut ainsi se concentrer sur son travail de magistrat, pour lequel il a été formé. Lorsqu’il s’agit de répondre à l’avocat, de taper à l’ordinateur, de faire passer des pièces ou de faire des photocopies, c’est le greffier – lui aussi a été formé – qui s’en charge.
Le policier, lui, doit tout faire : accueillir le gardé à vue, appeler le médecin, répondre aux sollicitations de l’avocat dès la première heure de garde à vue, faire les photocopies, taper à l’ordinateur lorsque celui-ci fonctionne – c’est de plus en plus souvent le cas grâce aux crédits que vous votez, et c’est une très bonne chose ! (Sourires.) – et répondre aux interrogations du procureur de la République ou de son substitut. Et comme les procureurs n’ont pas tous la même manière de travailler, il lui faut de surcroît savoir s’adapter.
Au lieu de dire, tels les démagogues, que nous allons « alléger les droits de la défense » pour alléger la procédure pénale, nous préférons dire que nous allons aider les policiers à répondre au formalisme nécessaire dont chacun a, et c’est bien logique, besoin s’il est accusé et les laisser se concentrer sur leur travail de policiers. Les assistants d’enquête que nous créons proviendront du personnel administratif du ministère de l’intérieur, qui fait un travail formidable. Nous les ferons monter en compétences grâce à des formations ; j’imagine que nous en rediscuterons avec M. le rapporteur. Ils s’occuperont du travail administratif et formel pour permettre aux policiers de se consacrer intégralement aux enquêtes, aux écoutes téléphoniques, aux auditions ou aux perquisitions, et non à des tâches qui sont, certes, nécessaires, mais qui font aussi perdre du temps aux OPJ.
Les 3 000 postes d’assistants d’enquête que nous souhaitons créer par cette loi de programmation vont révolutionner le travail des OPJ et de la gendarmerie nationale. Il s’agira d’un grand moment d’allégement des procédures pénales.
Par ailleurs, nous avons prévu une disposition relative aux amendes forfaitaires délictuelles ; en l’occurrence, le Sénat a souhaité suivre l’avis du Conseil d’État, et nous suivrons le Sénat. Ces amendes pénales sont prises sous le sceau, évidemment du législateur, mais aussi de l’action du procureur de la République, qui définit la politique pénale dans son ressort. Elles permettent d’alléger un certain nombre de procédures.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’avez longuement interrogé voilà quelques mois sur l’amende forfaitaire délictuelle, qui est inscrite au traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) et qui est une amende pénale – ce n’est pas une simple amende –, s’agissant de la consommation de stupéfiants. Vous m’avez demandé si le dispositif fonctionnait. D’aucuns prédisaient que ce ne serait pas le cas quand d’autres jugeaient qu’une telle mesure déprécierait la réponse pénale du consommateur de cannabis sur la voie publique.
Comme beaucoup d’entre vous, j’ai été maire. Au début de mon mandat, j’ai accompagné les services de la police nationale de ma commune durant leur tournée. À vingt-trois heures trente, un monsieur est sorti de la rame du métro de Tourcoing avec un joint de cannabis. J’ai été interrogé par les agents et le commissaire de police, qui était venu ce soir-là accompagner le maire ; j’espère qu’ils le font aussi même quand il n’y a pas de maire ou de ministre. (Sourires.) Il m’a été demandé s’il fallait faire comme d’habitude ou agir différemment parce que j’étais là. Cela m’a rendu interrogatif ; je leur ai dit de faire comme d’habitude. Le commissaire de police a pris le joint, l’a jeté par terre, l’a « nettoyé » d’un pied et a dit à la personne de s’en aller. Quand je lui ai demandé pourquoi il ne l’avait pas interpellé, il m’a répondu ceci : « Monsieur le maire, si on interpelle quelqu’un qui fume un joint dans le métro, cela mobilise trois personnes. Il faut sortir du métro et l’emmener au commissariat, qui est à dix minutes d’ici. Puis, nous devrons appeler le procureur de la République pour mettre l’individu en garde à vue et lui notifier ses droits. Il va appeler son avocat et son médecin. Et, au bout de quelques heures, le procureur de la République va nous demander si nous n’avons pas plus urgent à faire que des procédures pour des consommateurs de cannabis. »
Il y a deux réponses à cela. La première, prônée par certains, est la légalisation ; ce n’est pas la position du Gouvernement. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Très bien !
M. François Bonhomme. Nous sommes rassurés !
M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n’est pas non plus une position unanime dans tous les partis !
La deuxième option est, sans aller jusqu’à des gardes à vue et des peines de prison ferme pour des consommateurs de cannabis, d’apporter une réponse pénale qui ne se limite pas à un simple rappel à la loi. L’amende forfaitaire délictuelle, qui ne concerne que les majeurs et les non-récidivistes, fonctionne.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Eh oui !
Mme Catherine Belrhiti. Sont-elles payées ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Plus que les amendes routières, madame la sénatrice. Depuis quelques mois, nous avons permis la saisie automatique des demandes de la direction générale des finances publiques sur les comptes bancaires individuels. Nous avons ainsi à la fois une inscription au casier judiciaire et un recouvrement des amendes.
Par ailleurs, cela permet aux policiers de réaliser des contrôles d’identité ou contrôles sur la voie publique. Chacun sait qu’ils ne le font pas sans une instruction du procureur de la République, sans être OPJ ou sans avoir un but pour le faire, comme l’amende forfaitaire délictuelle.
Le pire étant que le policier ou gendarme ne puisse pas procéder au contrôle ou sanctionner la personne qui trouble l’ordre public d’une manière ou d’une autre, une seconde amende forfaitaire délictuelle est expérimentée en ce moment.
Le fameux délit d’occupation illicite des halls d’immeuble, inventé par mes augustes prédécesseurs et qui n’avait jamais été appliqué, car il est très difficile à caractériser dans une procédure judiciaire complète, est ainsi désormais fonctionnel. Dans les Bouches-du-Rhône ou en Seine-Saint-Denis, les policiers peuvent mettre fin aux occupations illicites. Cela doit être généralisé.
L’amende forfaitaire vise donc à rendre la sanction pénale non pas moins dure, mais plus certaine. L’important n’est pas la dureté d’une peine ; c’est sa certitude. Il ne sert à rien de condamner les gens à des peines de prison qui ne sont jamais appliquées. En revanche, il est très utile, notamment pour la force de la loi, d’avoir la certitude que la sanction sera effectivement et immédiatement appliquée. Pour cela, nous devons nous reposer sur les policiers et gendarmes, qui sont des auxiliaires de justice et qui agissent au nom de la justice française.
J’ai proposé dans le texte une simplification de grande envergure de la procédure pénale : la possibilité de passer en amendes forfaitaires délictuelles, quand il n’y a pas récidive, toutes les peines de prison inférieures à un an, dont, à force de regarder les jurisprudences, nous savions bien qu’elles n’étaient pas appliquées. Le Conseil d’État a disjoint cette disposition, considérant que le périmètre était trop large.
Le Sénat avait deux possibilités : prévoir des critères ou dresser une liste de délits. Nous nous rangeons à la position du rapporteur Loïc Hervé, et nous discuterons sans doute du nombre de ces délits. Nous sommes certains que l’amende forfaitaire délictuelle – un tag ne mérite-t-il pas une amende plutôt qu’une inscription au casier judiciaire ou qu’une procédure pénale à l’aboutissement incertain ? – sera une meilleure réponse à ces désagréables actions du quotidien. Cette disposition donnera sans doute lieu à un débat très important, en lien avec la simplification de la procédure.
Le Sénat a également souhaité enrichir la liste d’un certain nombre de délits, notamment les rodéos urbains et les atteintes aux élus. Le Gouvernement sera avec sagesse à l’écoute de la Haute Assemblée sur cette question.
Je suis désolé de décevoir ceux qui attendent le Grand Soir de l’échelle des peines. Je ne suis qu’un premier rideau. C’est M. le garde des sceaux qui viendra vous présenter les États généraux de la justice.
M. Antoine Lefèvre. On l’attend ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérald Darmanin, ministre. Le plus rapidement sera le mieux. Je sais qu’il y travaille ardemment, mais je ne me permettrais pas de me substituer à Éric Dupond-Moretti : d’une part, ce ne serait pas logique au regard de nos institutions ; d’autre part, vous seriez déçus, mesdames, messieurs les sénateurs. (Sourires.)
La cinquième crise est la crise climatique. Le texte ne parle pas que de sécurité, ou alors il en parle au sens large, comme je l’ai indiqué au début de mon propos.
Notre modèle de sécurité civile, qui est résilient, qui s’appuie sur des sapeurs-pompiers valeureux et un système de volontariat original et qui est fondé sur des départements et un État et une Europe aidant fortement le fonctionnement de notre pays, se trouve face à deux grands problèmes.
Le premier, comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, est que les sapeurs-pompiers interviennent de plus en plus dans des domaines ne relevant pas de leur compétence propre. Ainsi, ils remplacent de plus en plus les médecins dans les déserts médicaux ou là où le système de santé est mal organisé pour répondre aux difficultés des Français ; je sais que le ministre de la santé y travaille. Nous avons essayé de répondre à cette question dans la loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, que vous avez votée. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Le second problème, ce sont les crises climatiques. Elles ne font que commencer. On pense tous aux mégafeux, comme ceux qui ont touché la Gironde et d’autres départements. J’en profite pour signaler que nous avons dénombré cet été plus de feux au nord qu’au sud de la Loire. Je pense à des départements comme le Jura, les Vosges, le Maine-et-Loire, le Finistère, dont les pompiers et les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) n’étaient pas habitués à intervenir pour des feux de forêt de plus de 1 000 hectares.
Il y a aussi les crises climatiques extrêmement fortes en outre-mer, mais également en métropole. Je pense à ce qui s’est passé à Saint-Martin avec Irma au début du quinquennat précédent, mais aussi dans la vallée de la Vésubie, il n’y a pas si longtemps. Certes, grâce à l’action de la sécurité civile et des collectivités locales, nous avons été au rendez-vous, mais très en deçà de ce qu’il faudrait préparer dans un contexte de réchauffement climatique généralisé.
C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de prévoir dans ce texte un certain nombre de dispositions en termes de renouvellement de la flotte, comme les hélicoptères, ou de pouvoirs du préfet en cas de crise. Je rappelle que celui-ci n’a pas aujourd’hui la main pour travailler avec toutes les agences et toutes les administrations, ce qui peut être dramatique dans la gestion des crises. C’est tout le travail d’enrichissement des modèles de sécurité civile que nous souhaitons mener avec vous. Maintenant que le réchauffement climatique est au rendez-vous, et même si neuf feux sur dix sont d’origine humaine, les actuels taux d’hydrométrie – moins de 10 % de taux d’eau dans la forêt de Gironde – font que les forêts brûlent très largement, que l’incendie soit d’origine criminelle ou involontaire.
Pour toutes ces raisons, le projet de loi contient de grandes dispositions concernant notre modèle de sécurité civile.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, au mois de janvier prochain, après un débat qui aura lieu ici dans les prochaines semaines, j’aurai l’honneur de présenter un texte sur l’immigration. Si cette thématique est absente du projet de loi qui vous est aujourd’hui soumis, elle n’est pas absente de la politique gouvernementale. Le Sénat lui-même souhaite des textes resserrés ; nous essayons de faire en sorte qu’il en soit ainsi. Certes, ce projet de loi contient un rapport annexé assez long, mais qui n’est pas d’ordre législatif.
Avec ce texte, nous sommes dans la continuité du réarmement du ministère de l’intérieur. Ainsi, nous allons recréer 200 brigades de gendarmerie dans l’ensemble de vos territoires, alors même que les gouvernements précédents en ont supprimé plus de 500 depuis trente ans. Nous allons continuer à augmenter les effectifs de police dans l’ensemble des commissariats de France. Nous allons créer 200 formations militaires de la sécurité civile (Formisc). Je pense également à l’Agence du numérique, puisqu’il faut créer l’impôt à la source au ministère de l’intérieur, qui est un peu arriéré, si j’ose dire, dans ce domaine. Sans doute faut-il que nous modernisions, comme nous l’avons fait à Bercy précédemment ; cela demande aussi des moyens et une agence unique.
Surtout, et le Président de la République l’a évoqué hier, pour la première fois depuis dix-sept ans, nous recréons des sous-préfectures et des postes d’agents de préfecture dans les préfectures, de l’ordre de 400 à peu près. Ce n’est peut-être pas encore assez, mais, pour la première fois, la reprise démographique du nombre d’agents de préfecture, si importants pour nos territoires, est au rendez-vous. Je crois que le grand débat présidé par le Président de la République avec les maires de France, mais aussi la pandémie et le plan de relance ont montré à quel point les agents des préfectures étaient utiles pour faire le lien avec les collectivités locales, les aider en ingénierie et, de manière générale, en action publique de l’État.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter un texte qui, je le crois, est très important pour le ministère de l’intérieur. Je remercie l’ensemble du Parlement, qui, dans sa quasi-unanimité, a toujours soutenu les forces de l’ordre ou les forces de sécurité civile. Celles-ci, vous le savez, risquent leur vie chaque jour, chaque nuit, pour nous protéger.
J’ai la grande responsabilité de diriger en votre nom les femmes et les hommes qui prennent ces risques. Je ne peux pas terminer mon discours sans penser aux dix-sept enterrements que j’ai eu à présider ni aux 3 400 blessés parmi les forces de l’ordre depuis le 1er janvier dernier. Derrière les chiffres, les milliards et les pourcentages, derrière les textes réglementaires ou législatifs et derrière les réformes, ce sont des femmes et des hommes de terrain qui risquent leur vie, ce qui n’est le cas dans aucun autre ministère.
Je veux leur dire que, certes, nous aurons ici des discussions politiques, mais je n’ignore pas que nous ferons, selon nos opinions et convictions, tous au mieux pour les protéger. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous souhaiter, au nom de tous mes collègues, un très heureux anniversaire, au moment où vous changez de décennie. (Applaudissements.)
4
Clôture du scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République
Mme la présidente. Mes chers collègues, il est plus de quinze heures. Je déclare clos le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.
5
Orientation et programmation du ministère de l’intérieur
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Je tiens à remercier M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer d’être avec nous cet après-midi, alors qu’il fête aujourd’hui ses 40 ans. Nous sommes sensibles à cette marque de considération. (Sourires.) Il a déposé un texte très important pour lui, pour son ministère et pour les forces de sécurité.
Évidemment, nous nous associons pleinement à l’hommage qu’il vient de rendre aux forces de l’ordre. Nous sommes très sensibles au sacrifice que celles-ci font chaque jour.
Monsieur le ministre, vous avez décidé de passer l’après-midi et la soirée avec nous. Soyez rassuré : le rapport annexé fait 80 à 90 pages, mais nos collègues ont déposé 115 amendements sur l’article 1er. Nous nous apprêtons donc à passer une bonne soirée en votre compagnie pour votre anniversaire. (Nouveaux sourires.)
La genèse du projet de loi qui nous rassemble est longue. Le texte fait suite à la publication du livre blanc de la sécurité intérieure et au Beauvau de la sécurité, qui a été suivi avec efficacité et expertise par Henri Leroy, ce dont je le remercie de nouveau, et au dépôt par le Gouvernement d’un premier projet de loi le 16 mars dernier, qui a été resserré, puisqu’il ne comprend plus que seize articles.
Les deux premiers articles sont programmatiques, mais non de moindre importance, puisqu’il s’agit d’un projet de loi de programmation et d’orientation. Pour avoir eu l’honneur d’être ministre délégué auprès de Jean-Louis Borloo et de présenter à ce titre la partie d’une loi de programmation et d’orientation, je sais que c’est très important, puisque cela donne un horizon, une vision, et engage des crédits budgétaires sur cinq années. Nous espérons que ces crédits ne seront pas détricotés au jour le jour par Bercy ; je m’adresse ici à l’ancien ministre de l’action et des comptes publics que vous êtes, monsieur le ministre. (Sourires.)
Je commence en évoquant la programmation budgétaire. Le projet de loi prévoit dans son article 2 une progression chaque année du montant des crédits de paiement et plafonds des taxes affectés au ministère de l’intérieur. Au total, 15 milliards d’euros supplémentaires seraient budgétés sur cinq ans par rapport aux crédits affectés au ministère de l’intérieur en 2022.
Ces crédits supplémentaires permettront de financer les mesures de modernisation et des investissements. Monsieur le ministre, comme vous l’avez souligné à juste titre, vous avez consacré beaucoup de moyens à la digitalisation, à la numérisation, aux nouvelles techniques, à l’utilisation de l’intelligence artificielle.
J’en viens au rapport annexé. Nous avons adopté en commission des amendements sur plusieurs thématiques importantes.
Il s’agit d’abord de préciser que la réforme de la police nationale devra prendre en compte les spécificités de la police judiciaire. Dans le cadre de ses enquêtes, celle-ci doit rester sous l’autorité fonctionnelle du procureur. Elle doit aussi continuer à traiter seule des affaires sensibles. Enfin, au vu du développement exponentiel d’une délinquance organisée qui dépasse les frontières départementales, il pourrait être utile de prévoir des structures zonales.
Sur l’initiative de son président, François-Noël Buffet, la commission des lois a créé en son sein une mission d’information sur le sujet. Celle-ci formulera des préconisations et soulignera les garanties à apporter. Nul doute que vous en tiendrez compte, monsieur le ministre.
Sur l’initiative du groupe socialiste, nous avons également réaffirmé l’importance de l’accessibilité des démarches dématérialisées, notamment pour les personnes en situation de handicap.
Les articles 3 et 4 du projet de loi visent à adapter les prérogatives dont disposent les forces de sécurité intérieure dans la lutte contre les nouvelles menaces, en particulier les menaces cyber. Nous avons pour l’essentiel soutenu la position du Gouvernement, et nous sommes favorables aux crédits permettant d’investir dans ces technologies nouvelles.
L’article 6, qui vise à permettre la prise de plainte et la déposition par le recours à la visioconférence, s’inscrit dans le développement du recours à ces dispositifs en matière de procédure pénale depuis le début des années 2000. Je rappelle que ces dispositions seront une simple faculté, et non une obligation. Nous avions prévu que seraient principalement concernées les atteintes aux biens. Alors que nous avions des préventions à étendre cette faculté à certaines atteintes aux personnes, vous m’avez longuement expliqué, monsieur le ministre, qu’il était possible d’élargir ce champ. Si la commission a décidé de s’en remettre à la sagesse de la Haute Assemblée, à titre personnel, j’ai été convaincu par vos arguments.
Enfin, nos auditions ont montré l’urgence d’améliorer la réponse pénale sur trois enjeux essentiels : les violences faites aux élus, en hausse de 57 % en un an ; les refus d’obtempérer – vous y avez fait allusion en mentionnant votre présence à dix-sept enterrements depuis le début de l’année –, en hausse de 17 % depuis un an ; enfin, les rodéos urbains, dont chacun a suivi le feuilleton cet été. La commission a donc prévu un amendement visant à renforcer les sanctions et à mieux protéger nos concitoyens.
À l’occasion de cette discussion générale, j’indique à nos collègues des groupes GEST, CRCE et SER, qui ont présenté de nombreux amendements tendant à réécrire le texte, que nous avons essayé de trouver une cohérence dans nos réponses. D’une part, il y a eu de nombreux débats, en commission et en séance publique, sur la sécurité, et nous sommes en cohérence par rapport à notre jurisprudence précédente et aux positions que nous avions sans surprise prises. D’autre part, le président de la commission des lois, François-Noël Buffet a créé deux missions d’information, l’une sur la police judiciaire, l’autre sur la formation des forces de police et de gendarmerie. À nos yeux, il faut attendre les préconisations de ces missions d’information avant de nous prononcer sur des amendements de nos collègues qui veulent toujours enrichir les formations.
Ma position sera donc constante. C’est pourquoi, sur les 115 amendements déposés sur l’article 1er, j’émettrai très peu d’avis favorables au nom de la commission des lois. La commission a élaboré un très bon texte. D’ailleurs, mon ami Loïc Hervé va vous le démontrer dans un instant ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. François Patriat et Alain Richard applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me revient d’évoquer devant vous l’article 5, relatif au réseau Radio du futur, puis les articles 7 à 16 du projet de loi.
La plupart de ces articles ont été approuvés par la commission des lois, ses membres ayant considéré qu’ils contribueraient à simplifier la procédure pénale et qu’ils donneraient aux forces de sécurité intérieure de nouveaux outils juridiques leur permettant de mieux remplir leurs missions.
La commission a toutefois réécrit les dispositions relatives à l’amende forfaitaire délictuelle, et elle a enrichi le texte en y insérant certaines mesures qui figuraient dans la première version de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), mais pas dans le texte déposé par le Gouvernement sur le bureau du Sénat.
La commission n’est, bien sûr, pas opposée au projet réseau Radio du futur, qui vise à doter nos forces de sécurité et nos services de secours d’un réseau de communication plus moderne et plus résilient.
Elle a cependant supprimé l’article 5, qui tendait à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires à la mise en œuvre de ce projet. Nous préférerions que ces dispositions soient inscrites « en dur », directement dans la loi à l’occasion de l’examen du texte en séance publique. L’amendement que le Gouvernement a déposé en ce sens nous donne satisfaction, car il a pris en compte nos observations ; nous y reviendrons lors de la discussion des articles.
Un ensemble de mesures ont pour ambition de renforcer la filière chargée de l’investigation au sein de la police et de la gendarmerie nationale, afin d’améliorer l’efficacité des enquêtes. Compte tenu de la désaffection dont souffre depuis trop longtemps la police judiciaire, ces mesures nous paraissent aller dans le bon sens.
Je citerai en particulier la proposition de recruter 5 500 assistants d’enquête chargés de veiller au respect de la procédure. Cela libérera du temps pour les enquêteurs, qui pourront ainsi se concentrer sur leur cœur de métier. La commission a souhaité qu’une évaluation de la plus-value apportée par ce nouveau cadre d’emploi soit réalisée dans trois ans. Elle a également adopté un amendement de notre collègue Alain Richard tendant à mieux encadrer la compétence accordée aux futurs assistants en matière de transcription d’enregistrements, ce qui répond à une inquiétude exprimée par le Conseil d’État.
Pour renforcer les effectifs de la police judiciaire, il est prévu que les policiers et gendarmes puissent passer l’examen pour devenir officier de police judiciaire (OPJ) dès la fin de leur formation. La commission a adopté deux mesures complémentaires : d’une part, les élèves officiers de la gendarmerie recevraient la qualité d’agent de police judiciaire, comme c’est déjà le cas pour les élèves officiers de la police ; d’autre part, les prérogatives des agents de police judiciaire seraient étendues, sous le contrôle permanent d’un OPJ.
La commission n’a en revanche pas été convaincue par la proposition de généraliser la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle à tous les délits punis de moins d’un an d’emprisonnement, ce qui correspondrait à un total de 3 400 infractions pénales dans notre pays.
La procédure de l’amende forfaitaire a fait ses preuves pour réprimer certains délits qui peuvent être aisément constatés par les forces de l’ordre ; je pense à la consommation de stupéfiants. Je me range à la démonstration qu’a faite M. le ministre dans son propos liminaire. Toutefois, cette réponse ne constitue pas la panacée pour désengorger les tribunaux ni pour lutter contre l’insécurité au quotidien.
C’est pourquoi la commission a refusé la généralisation au profit d’une extension limitée à quelques délits pour lesquels l’amende forfaitaire nous paraît plus adaptée, par exemple les tags, le délit d’entrave à la circulation ou encore la détention sans permis d’un chien d’attaque.
Je conclus en évoquant deux autres mesures notables qui figurent dans le texte.
En premier lieu, il est proposé de réprimer plus sévèrement l’outrage sexiste, qui deviendrait un délit en cas de circonstance aggravante. La commission est favorable à cette évolution, qui envoie un signal de fermeté aux auteurs de cette infraction encore trop peu réprimée sur le terrain.
En second lieu, à l’article 15, il est prévu d’accroître les prérogatives des préfets de département en cas de crise d’une particulière gravité. L’objectif est que ceux-ci puissent exercer pleinement leur autorité sur tous les services déconcentrés pour faire face à des événements exceptionnels, comme ceux que nous avons connus ces derniers mois. Sur notre proposition, la commission a souhaité étendre le dispositif aux agences régionales de santé (ARS), qu’il ne nous paraît pas justifié de maintenir à l’écart de cette unité de commandement à l’échelle départementale, notamment à la lumière de ce que nous avons observé pendant la crise du covid-19.
La commission espère que ces mesures législatives, qui pourront être enrichies au cours de notre discussion, combinées à l’accroissement des moyens et des effectifs, contribueront à améliorer la sécurité des Français. Beaucoup reste à faire, mais il s’agit d’un pas dans la bonne direction, ce qui nous conduit à soutenir l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Alain Richard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Paul, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans un long processus, entamé voilà déjà plusieurs années. On se souviendra particulièrement de la commission d’enquête du Sénat sur l’état des forces de sécurité intérieure, sous l’égide de François Grosdidier et Michel Boutant, qui avait appelé l’attention sur les causes du « malaise » policier en 2018. La proposition n° 10 du rapport de la commission d’enquête était la suivante : « élaborer un livre blanc de la sécurité intérieure puis adopter des lois de programmation […] permettant de fixer un cadre budgétaire, opérationnel et stratégique stable et crédible ».
Nous vous savons donc aujourd’hui gré, monsieur le ministre, d’avoir mené à bien ces travaux du livre blanc, puis du Beauvau de la sécurité, qui a permis de prendre d’importantes mesures en faveur des policiers et des gendarmes.
Ainsi, les grandes orientations du rapport annexé nous paraissent pertinentes et nécessaires. Transformation numérique accélérée, augmentation de la présence sur la voie publique, lutte contre les violences intrafamiliales, prévention des crises : tels sont bien les grands défis que nous avons à affronter pour que nos forces de sécurité soient plus efficaces et plus crédibles contre une délinquance en constante évolution.
En outre, les 15 milliards d’euros prévus pour mener à bien l’ensemble de ces transformations et celles qui concernent les autres missions du ministère de l’intérieur représentent un effort important, sans doute à la hauteur de l’enjeu.
En revanche, nous restons un peu sur notre faim sur le lien qui existe entre ces grandes orientations et la programmation des moyens. En effet, le texte est trop centré sur la sécurité pour être une véritable loi d’orientation de l’ensemble du ministère de l’intérieur. En même temps, il est trop imprécis sur les moyens accordés aux missions des policiers et des gendarmes pour être une véritable loi de programmation de la sécurité !
Ainsi, monsieur le ministre, vous savez que nous nous sommes inquiétés à maintes reprises de l’état indigne d’une grande partie du parc immobilier domanial de la gendarmerie nationale ; sur ce sujet, rien de précis dans le texte. Il nous faudrait, si l’on en croit le rapport annexé, attendre encore la mise en place d’un nouveau service chargé d’établir un « tendanciel de dépenses ». Pourtant, ne considérez-vous pas que les besoins sont déjà bien identifiés et qu’il est urgent d’agir ? C’est en tout cas notre conviction, d’où les amendements apportés par notre commission.
Enfin, nous regrettons une certaine précipitation dans la mise en place des 200 nouvelles brigades de gendarmerie. Nous craignons que les collectivités ne soient sollicitées, alors que certaines ne peuvent pas se permettre un tel investissement, ce qui a motivé notre amendement commun avec la commission des lois.
Je salue encore une fois l’engagement contre la délinquance de l’ensemble de nos forces de sécurité, en particulier, pour ce qui concerne notre commission, de la gendarmerie nationale, dont le statut militaire reste pour nous la meilleure garantie d’efficacité partout où elle exerce sa compétence ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’une des grandes orientations de ce texte revêt une importance particulière : celle qui prévoit de « faire du renforcement de la présence dans la ruralité une nouvelle politique à part entière ».
La relocalisation de certains services du ministère dans les territoires ruraux et les villes moyennes ou encore l’objectif de doubler la présence des forces de sécurité sur le terrain vont assurément dans le bon sens, tout comme le recours accru aux réserves opérationnelles des police et gendarmerie nationales, qui se sont rendues indispensables dans de nombreux territoires. Encore faut-il que l’augmentation de leurs effectifs aille de pair avec des missions suffisamment nombreuses dans l’année : c’est ce dont nous avons voulu nous assurer par l’un de nos amendements. Il s’agit ainsi de permettre un réel processus d’acquisition de compétences et une fidélisation des réservistes, qui se rendent disponibles pour des missions au profit de la collectivité.
À notre sens, monsieur le ministre, le chapitre consacré au renforcement du maillage des forces de sécurité dans les territoires ruraux et périurbains a un peu trop « maigri » par rapport au livre blanc, les développements sur la répartition territoriale des deux forces s’étant évanouis en chemin. La seule annonce concrète concerne la création de 200 nouvelles brigades de gendarmerie, sans autre précision.
Mon expérience locale m’incline à penser que cette question de la répartition des forces n’est pas secondaire. Les deux forces ne sont pas interchangeables, la polyvalence de la gendarmerie, avec l’unité entre enquêteurs judiciaires et gendarmerie départementale enracinée dans le territoire, s’opposant à la spécialisation policière. Il serait donc préférable d’élaborer des critères objectifs prenant en compte la réalité de la délinquance, afin d’effectuer des ajustements fins, plutôt que d’en rester aux critères simplistes actuels.
En ce qui concerne la coopération entre les deux forces sur un même territoire en cas d’urgence ou de phénomènes particuliers de délinquance, il est également nécessaire de généraliser les bonnes pratiques autour des protocoles départementaux police/gendarmerie. C’est pourquoi nous avons déposé deux amendements sur ces sujets connexes.
Enfin, les modalités de la création des 200 brigades nous préoccupent, notamment s’agissant de la participation des collectivités territoriales. L’audition du président de la commission sécurité de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) nous a confirmés dans ces interrogations.
Autre surprise, les annonces sur le terrain se sont succédé ces derniers jours sur ce sujet avant même que nous commencions l’examen du texte.
Nous espérons que les débats d’aujourd’hui permettront de dissiper tous ces doutes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pascal Savoldelli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Alain Richard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici un texte de grande importance, qui fait commencer de façon tonique notre session parlementaire… (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Alain Richard. … et les mandats du Président de la République et du Gouvernement : il va définir le cadre des moyens humains et matériels de nos forces de sécurité pour les cinq prochaines années, de façon ample puisqu’une forte augmentation des crédits est prévue.
Le rapport annexé à ce projet de loi détermine aussi de façon complète les grandes orientations d’emploi et les grandes finalités des moyens déployés. Il s’agit donc là d’un document cohérent, qui tient compte des débats très pluralistes et très nourris qui ont eu lieu à l’occasion du livre blanc et dans le cadre du Beauvau de la sécurité. Il me semble d’ailleurs que c’était l’issue naturelle pour des débats aussi approfondis.
La programmation a par elle-même des vertus. Certes, elle ne peut évidemment pas s’appliquer à tous les ministères, puisque cela rendrait très difficile l’élaboration des projets de loi de finances chaque année, mais, dans le domaine de la sécurité intérieure, je crois que le ministre de l’intérieur a bien fait de retenir cette option et de dépenser son énergie et ses capacités de persuasion pour parvenir à une programmation qui nous servira de balise à chaque examen d’un projet de loi de finances pour vérifier que la continuité et l’organisation cohérente des moyens se développent conformément à ce qui aura été adopté.
Le ministre l’a annoncé, je ne m’y attarde donc pas : ces moyens bénéficieront non seulement aux deux grandes forces de sécurité intérieure que sont la police nationale et la gendarmerie nationale, avec une meilleure diffusion territoriale, mais aussi et de façon très substantielle à la sécurité civile, donc à tout ce qui concourt à la lutte contre les catastrophes qui nous assaillent. Ce projet de loi de programmation concernera également le support numérique du ministère dans son ensemble, en charge de mettre en cohérence toutes les fonctions opérationnelles de sécurité intérieure et, M. le ministre a reconnu lui-même, de faire progresser le ministère dans un domaine où il n’était guère en avance. Cela va donc se traduire par des gains d’efficacité opérationnelle.
Enfin, M. le ministre l’a aussi noté, mais je tiens à le mentionner, cela s’accompagnera pour la première fois de créations nouvelles d’emplois dans les préfectures, alors que les personnels des préfectures ont dû faire face à de fortes réductions de moyens humains au cours des quinze à vingt dernières années et ont connu des conditions de travail souvent très dures. Il s’agit d’une excellente nouvelle qui motivera les cadres de ces administrations.
Tout cela soulève des enjeux de recrutement et de formation sur lesquels le ministère devra se mobiliser.
J’en viens aux principales dispositions législatives concrètes de ce texte : les deux premiers articles sont consacrés à la programmation – certes, on peut les commenter, mais ils ne sont que la traduction d’un programme global –, les suivants étant de portée législative.
En ne suivant pas l’intention première du Gouvernement et en préférant une liste pour l’instant fermée des infractions auxquelles s’appliquera l’amende forfaitaire délictuelle, la majorité de la commission des lois a fait le bon choix.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Oui !
M. Alain Richard. Certes, il y a une raison juridique à cela, que le Conseil d’État a soulevée, mais il y a aussi une raison pratique : monsieur le ministre, toutes vos équipes qui seront en déplacement sur la voie publique et qui auront la faculté d’utiliser l’amende forfaitaire délictuelle seront face à un problème de capacité mémorielle si on leur dit que cette amende est applicable à cinq cents délits différents. Il me semble donc qu’il vaut mieux se concentrer sur une dizaine de délits limitativement énumérés, sur lesquels elles auront le savoir-faire, l’aide à la rédaction du procès-verbal d’amende, de manière que ce nouveau dispositif soit efficace rapidement. Si, comme on peut le supposer, il se révèle tel, on pourra prévoir une sorte de deuxième vague de catégories d’infractions qui pourront en être redevables.
Le développement des assistants d’enquête est une bonne mesure, qui complétera la capacité des officiers de police judiciaire. À ce propos, les autres mesures qui simplifient le travail des officiers de police judiciaire ne sont vraiment pas du luxe, notamment les habilitations plus rapides et la possibilité de demander des actes de police scientifique sans passer par une procédure formaliste.
J’observe que la commission a très bien travaillé sur ce texte, en très forte convergence avec l’esprit souhaité par le Gouvernement. Cela montre que présenter ce texte d’abord au Sénat était un très bon choix, que nous apprécions beaucoup.
Sur le plan du moral, monsieur le ministre, nous sommes dans une situation de tension, notamment au sein de la police judiciaire, à laquelle nous savons que vous attachez une grande importance.
Ma recommandation est de faire en sorte que les choses ne traînent plus trop, que la décision formelle de réorganisation soit prise et que celle-ci soit bien concentrée sur une refonte des moyens et une centralisation des soutiens, sans affecter la liberté professionnelle et la responsabilité des agents.
Le malaise vient certes, il faut bien le dire, d’une situation de surcharge, que vous avez décrite, mais il découle aussi d’un sentiment d’insuccès assez fréquent, du fait de la complexification accrue du code de procédure pénale, qui entraîne un certain nombre de plantages, si j’ose dire. En effet, les pièges de procédure y sont vraiment trop nombreux. Je recommande donc au Gouvernement dans son ensemble de veiller à ce que la refonte complète du code de procédure pénale soit menée à bien le plus vite possible, et par des autorités juridiques indiscutables, afin que les OPJ puissent travailler avec un bon outil. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Durain. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur que nous examinons aujourd’hui est, en quelque sorte, un texte 2.0. Je l’affuble de ce qualificatif non pas en référence à son volet numérique, qui est substantiel, mais parce qu’il s’agit de la deuxième version du texte, après celle qui nous avait été présentée en pleine campagne présidentielle.
Cette deuxième version, diminuée de moitié, m’apparaît dans l’ensemble plus sage. Elle a été expurgée, par exemple, de ses dispositions relatives à l’immigration. (M. le ministre conteste qu’il y ait eu des dispositions relatives à l’immigration dans le projet de loi.) Si l’immigration fait bien partie des prérogatives du ministère de l’intérieur, je remercie la Première ministre d’avoir choisi de ne pas confondre causalité et corrélation en ce qui concerne les thèmes de l’immigration et de la délinquance.
Mais, monsieur le ministre, au risque d’en surprendre certains, je dirais que votre projet de loi n’est pas, à ce stade, le texte sur la sécurité le plus déséquilibré que nous ayons eu à étudier au Parlement ces dernières années. Cela tient à son architecture, qui se compose d’une partie budgétaire, d’une partie sur l’orientation, avec un rapport annexé, et d’une partie normative, avec les autres dispositions.
Dans la partie budgétaire, le groupe socialiste se félicite des moyens accordés au ministère de l’intérieur alors que nos forces de l’ordre sont soumises à une pression quotidienne, dans une société souvent décrite comme confrontée à plus de violence.
Notre groupe veut profiter du débat pour exprimer à nouveau un soutien sans réserve à nos forces de l’ordre – police, gendarmerie, police municipale –, qui ne comptent bien souvent ni leurs heures ni leurs efforts pour assurer la tranquillité de nos concitoyens, à Nantes comme au Creusot, à Saint-Denis comme à Dijon, Besançon ou ailleurs.
La plupart des candidats à l’élection présidentielle s’étaient engagés à accorder davantage de moyens à la lutte contre l’insécurité. Les 15 milliards d’euros annoncés dans ce texte constituent donc une bonne nouvelle, et nous ne ferons pas la fine bouche, même si nous serons vigilants sur l’application du texte dans les années qui viennent, dans un contexte économique toujours incertain.
La partie relative à l’orientation constitue, en quelque sorte, le mode d’emploi de ces 15 milliards d’euros. Il y a une cohérence dans le rapport annexé qui nous est fourni. On comprend la filiation avec le livre blanc de la sécurité intérieure et le Beauvau de la sécurité.
La place octroyée au numérique, même si nous comprenons les inquiétudes de certains agents échaudés par les échecs passés, nous semble légitime. Si nous ne croyons pas dans le solutionnisme technologique, nous sommes convaincus qu’il faut donner à la police les moyens d’affronter la criminalité à armes égales.
Sur les moyens plus classiques, nous attendons d’être rassurés sur la méthode, notamment en ce qui concerne les déploiements des brigades de gendarmerie. Nous avons pris bonne note des orientations annoncées s’agissant des rapports entre police et population, comme sur la formation, mais nous pensons que davantage pourrait être fait.
Nous avons en outre quelques interrogations sur le caractère exact du continuum de sécurité. Les associations d’élus aiment à rappeler que les collectivités doivent agir en complémentarité avec les forces de l’ordre et non en substitution. Mon collègue Hussein Bourgi reviendra sur ce point dans quelques instants.
Comme beaucoup de groupes, nous profiterons du rapport annexé pour proposer des amendements. Sans surprise, ce sera pour nous l’occasion d’aborder la question de la réforme de la police et de la place de la police judiciaire, qui suscite une levée de boucliers massive, n’en déplaise au directeur général de la police nationale (DGPN).
Sur la partie normative, je tiens d’abord à saluer le travail des rapporteurs. J’ai lu ici ou là que le Sénat avait durci le texte. Cela ne me semble pas correspondre à la réalité. Sur plusieurs articles, les rapporteurs ont tenté d’apporter des éléments de cadrage. Je pense par exemple au dépôt de plainte par visioconférence, à l’abandon des ordonnances pour la radio ou aux précisions apportées sur l’amende forfaitaire délictuelle.
Notre groupe comprend et partage la volonté des rapporteurs d’aligner les sanctions pour violences sur des élus sur celles qui sont encourues pour des violences commises sur d’autres dépositaires de l’autorité publique.
Pour autant, le groupe SER ne se satisfait pas du texte issu des travaux de la commission des lois. Nous défendrons dans ce débat nos exigences sur plusieurs points qui nous paraissent essentiels, comme les amendes forfaitaires délictuelles ou la réponse aux rançongiciels. Nous proposerons également de créer une juridiction spécialisée dans les violences sexuelles et sexistes infligées aux femmes et aux enfants. Nous proposerons aussi de revenir sur des articles dont la commission a effectivement durci le texte, comme ceux qui sont relatifs au refus d’obtempérer ou aux rodéos urbains. Nous ne croyons pas que, sur ces sujets difficiles, la réponse réside dans un simple durcissement de la punition.
Sur ce point, comme sur l’ensemble du projet de loi, je pense que nous aurons une discussion parlementaire sereine. Si notre chambre n’a pas été renouvelée au mois de juin, soyez assuré, monsieur le ministre, qu’elle est parfaitement consciente de l’état du pays et de la nécessité d’avoir un dialogue parlementaire constructif. Le Sénat était déjà partisan du parlementarisme de fait avant la majorité introuvable sortie des urnes en 2022 !
Nous ne doutons pas que vous saurez y contribuer avec nous. Nous observerons en tout cas cette nécessaire prise en compte du Parlement dans sa diversité au moment de décider de notre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Pierre Sueur. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi annoncé lors des conclusions du Beauvau de la sécurité en 2021 s’inscrit dans la logique de la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, dont nous demandons l’abrogation. Dans la suite du livre blanc de la sécurité intérieure publié au mois de novembre 2020, ce projet de loi consacre près de la moitié des moyens prévus à la transformation numérique. Loin de moi l’idée de rejeter une telle transformation, mais il me semble que l’équilibre n’est pas respecté : la formation de nos policiers aurait dû, elle aussi, faire l’objet d’un effort important en termes de moyens.
Je sais bien que certains ici ne veulent pas l’entendre, mais mon groupe s’est toujours refusé à stigmatiser nos forces de l’ordre, et il a toujours reconnu les difficultés inhérentes à l’accomplissement de leurs missions. Mais nous défendons l’idée selon laquelle les dispositifs de maintien de l’ordre doivent reposer le plus souvent possible sur la négociation, le dialogue et la pédagogie, et non sur la répression, au risque d’aggraver le sentiment de défiance envers la police et une partie de la population.
Monsieur le ministre, vous affirmez que ce projet de loi serait un levier de rapprochement avec les citoyens, mais, force est de le constater, c’est le contraire qui est vrai.
D’une part, les victimes seront mises à distance par cette loi. Ainsi, les dépôts de plainte devraient s’effectuer en présentiel, et non en ligne. Chacune et chacun ici peut en comprendre les raisons.
D’autre part, le projet de loi s’éloigne de la coordination entre police et justice en prônant le tout répressif par la systématisation et la simplification de la procédure. Simplifier la procédure pénale sans vouloir l’expliquer, n’est-ce pas considérer que nos agents seraient incapables de la comprendre ?
Vous ne cessez de nous répéter qu’il ne s’agit pas d’un texte sur la justice, mais, au regard des dispositions qui y figurent, nous pouvons sérieusement en douter.
En généralisant l’amende forfaitaire délictuelle à certains délits, le texte prive les justiciables des garanties fondamentales qu’offre la procédure pénale. Il délègue aux agents de police une fonction qui relève en principe de l’autorité judiciaire, comme l’ont souligné la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et le Conseil d’État dans son avis du 10 mars dernier.
Il est également envisagé que les OPJ puissent procéder à des constatations et des examens techniques ou scientifiques sans réquisition préalable, ce qui éloignerait les enquêteurs du contrôle en temps réel du parquet ou du juge d’instruction. Il est difficile d’accepter l’idée que la police technique et scientifique puisse s’autosaisir.
En outre, un abaissement des exigences dans le recrutement des OPJ n’est pas souhaitable. Un OPJ dispose de pouvoirs coercitifs dont ne dispose pas un agent de police judiciaire. La responsabilité nécessite l’expérience. De même, mettre en place la fonction d’assistant de police et de gendarmerie n’est pas un gage d’efficacité. La procédure pénale, même dans ses aspects les plus minimes, nécessite vigilance et rigueur.
Mes chers collègues, avec ce texte, nous sommes face à une « macdonaldisation » de la procédure pénale.
Servir le citoyen et sa sécurité : voilà le cœur battant du métier de policier. Le projet de loi l’ignore, pour nous proposer la vision un peu fantasmée, celle d’une police hyperéquipée. C’est le label Robocop qui nous est présenté. Des exosquelettes et des policiers, des gendarmes et des pompiers « augmentés » ne feront pas de nos agents de police de meilleurs professionnels.
Le texte passe à côté des véritables enjeux des métiers de la sécurité publique. Nous souhaitons une police qui mette en œuvre le triptyque prévention/dissuasion/répression. Nous voulons une police non pas coupée du citoyen, mais une police de proximité exemplaire et digne, ce qui est l’ambition de milliers de policières et de policiers.
Votre tâche au Gouvernement, notre tâche au Parlement, est d’aider à restaurer une confiance trop souvent perdue. Quelle politique mettez-vous en place pour parler à la jeunesse des quartiers populaires ? Nous dénonçons par ailleurs les partenariats privilégiés envisagés avec des sociétés privées, dans la droite ligne du projet de sécurité globale envisagé dans la Lopmi. Un tel souhait traduit la volonté de l’exécutif de se couper de la police républicaine au profit de sociétés de sécurité mercantiles et bien éloignées des fonctions régaliennes de l’État.
Enfin, ce projet de loi est l’antichambre de la réforme à venir. La départementalisation de la police judiciaire serait synonyme d’intrusion du pouvoir exécutif dans les procédures pénales. La colère s’exprime fortement au sein de la magistrature, chez les avocats et, comme nous l’avons vu la semaine dernière, chez les enquêteurs de police judiciaire.
Monsieur le ministre, notre société est sous tension. À la crise sociale se sont ajoutées les crises sanitaires et la guerre sur notre continent. La réalité de la crise climatique et écologique est incontournable. L’insécurité est globale et la police se doit d’être une force d’apaisement, et non pas d’ajouter de l’anxiété à l’anxiété.
Cette difficile équation – je veux bien le reconnaître – entre prévention, accompagnement et protection est un défi. En l’état, votre projet de loi et votre approche ne peuvent pas le relever.
Nous voterons donc contre le projet de loi, et nous proposerons au Sénat d’autres voies, même si j’ai bien compris que celles-ci risquent d’être rejetées par nos rapporteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Mickaël Vallet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Monsieur le ministre, je tiens à dire tout d’abord que j’apprécie particulièrement les développements de votre rapport annexé à l’article 1er. Nous demandons beaucoup à nos policiers et à nos gendarmes, mais ils ont besoin de soutien et d’accompagnement. Or, dans ce rapport, nous trouvons tout ce dont nous rêvons pour un meilleur fonctionnement de la police et de la gendarmerie et pour une meilleure prise en charge des victimes.
Toutefois, je ne suis pas sûre que tout soit applicable sans recours à des modifications législatives, que l’on ne trouve pas dans le texte dont nous sommes saisis aujourd’hui. Je pense par exemple aux évolutions nécessaires pour assurer notre sécurité lors des grands événements sportifs à venir. Ce n’est pas grave, car l’intention est louable, et cela nous donnera l’occasion de nous revoir prochainement !
Revenons donc au texte. Un syndicat bien connu communique souvent en disant que le problème de la police, c’est la justice. C’est oublier que, parfois, le problème de la justice, c’est la police ! Je n’incrimine évidemment pas les policiers, mais force est de constater que la filière d’investigation n’attire plus autant qu’auparavant. Ses difficultés de recrutement font que de nombreuses équipes sont en sous-effectif. Cela a des conséquences directes sur la qualité des enquêtes et le délai de mise en œuvre de la réponse pénale.
Les stocks qui se constituent dans les commissariats sont autant d’affaires non traitées, donc de justice non rendue, qui vont trop souvent se terminer en déclaration sans suite, faute d’avoir les moyens de les poursuivre. Cela laisse toujours un sentiment – mais est-ce un sentiment ? – d’injustice au plaignant.
Le texte prévoit une facilitation de l’exercice des missions d’investigation, un renforcement de l’efficacité de leur action, une formation initiale plus orientée vers les métiers de l’investigation, ainsi que la création d’agents de police judiciaire. Je salue également la proposition de nos rapporteurs Loïc Hervé et Marc-Philippe Daubresse d’attribuer la qualité d’agent de police judiciaire aux élèves officiers de la gendarmerie nationale durant leur scolarité, afin qu’ils puissent constituer un renfort appréciable durant leur stage en unités territoriales.
Ces apports devraient permettre à plus de dossiers d’être traités et aideront aussi à mieux accompagner les victimes. Attention toutefois à certaines propositions du rapport annexé. Permettre à chacun et chacune de déposer une plainte et d’en effectuer le suivi en ligne, avec un contact direct par chat avec un policier ou un gendarme, c’est une formidable idée. Mais est-ce bien réaliste ? Ces propositions représentent un bond de géant par rapport à la situation actuelle, et je crains quelques déceptions. J’espère cependant me tromper.
Sur le cas particulier des violences intrafamiliales, qui sont devenues un contentieux de masse avec la libération de la parole, le rapport prévoit le doublement du nombre d’enquêteurs dédiés et le financement de 200 postes d’intervenants sociaux en police et en gendarmerie. Ces intervenants sociaux sont très utiles, et il est vrai que leur financement posait trop souvent un problème ; vous proposez de le régler.
Je salue aussi la création d’un fichier de prévention des violences intrafamiliales, afin de mesurer, pour un jour empêcher la réitération de faits de violence, et pour prendre en compte les signaux de dangerosité. L’efficacité de cet outil dépendra de la formation des forces de l’ordre et de leur capacité à distinguer des signaux faibles et à prendre les bonnes décisions rapidement. Un gendarme ne doit plus hésiter à demander le retrait d’une arme à feu d’un ami chasseur dans un contexte de violences intrafamiliales.
Les associations pourront accompagner plus efficacement les femmes victimes de violences en organisant le dépôt de plainte dans leurs locaux et en signalant les faits dont elles ont connaissance aux forces de l’ordre. J’imagine que ce dépôt de plainte se fera par déplacement d’un officier ou d’un agent de police judiciaire, d’où l’utilité de la création de ces derniers.
Toutes ces mesures vont dans le bon sens et sont les bienvenues si elles sont réellement appliquées. Je ne manquerai pas d’en suivre très attentivement la mise en œuvre, après avoir fait un état des lieux dans le cadre de la mission que m’a confiée la Première ministre sur les violences intrafamiliales.
J’ai souvent eu l’occasion de me pencher sur la situation du numérique dans la justice, bien moins dans la police. Heureusement, je ne suis pas dépaysée, tant les problèmes sont similaires ! D’ailleurs, justice et police ont tout intérêt à travailler et à concevoir ensemble les outils transversaux. Ainsi, Cassiopée, qui pénalise tant magistrats que policiers et gendarmes dans le cadre de la procédure pénale numérique, est un bon exemple de cette nécessité d’un travail concerté.
L’idée d’une grande agence du numérique pour le ministère de l’intérieur, avec une double tête gendarmerie/police, paraît donc pertinente, mais seulement si les leçons de l’échec du projet Scribe, en partie dû à une divergence de vision sur le numérique entre police et gendarmerie, ont bien été tirées.
Enfin, certains sujets ne relèvent pas de la loi, mais il faut aussi se concentrer sur le plus urgent et sur ce qui peut être réglé rapidement. Par exemple, certaines gendarmeries – au hasard, dans l’Yonne – ne sont toujours pas raccordées à la fibre, et ne le seront pas, dans le meilleur des cas, avant 2023. Il est sans doute possible d’accélérer les choses. Je vous ai alerté sur ce sujet par une récente question écrite, restée sans réponse à ce jour.
Cela souligne l’importance du maillage territorial, que vous venez renforcer avec les nouvelles brigades de gendarmerie et les gendarmes mobiles, mieux équipés, en plus grand nombre, ainsi que par le développement des maisons France Services.
Monsieur le ministre, je suis toujours surprise d’entendre vos services parler de « création » de maisons France Services. (M. le ministre le conteste.) Notre préfet, notamment, parle souvent de création, alors qu’il s’agit plutôt d’une montée en compétences de structures déjà existantes. Il y a suffisamment à faire, et vous en faites déjà beaucoup, pour ne pas gommer ce que vos prédécesseurs ont déjà créé. Je le dis d’autant plus facilement qu’il ne s’agissait pas de ma famille politique…
Ce texte, enrichi par le travail de nos rapporteurs, que je tiens à saluer une nouvelle fois, constitue une bonne réponse aux problématiques que nous connaissons, sous réserve de sa juste application. Vous pouvez compter, monsieur le ministre, sur la vigilance du Sénat à cet égard.
Le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
6
Élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République :
Nombre de votants : 288
Nombre de suffrages exprimés : 261
Majorité absolue des suffrages exprimés : 131
Bulletins blancs : 27
Bulletins nuls : 0
M. Gilbert Favreau a obtenu 261 voix. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et INDEP.)
M. Gilbert Favreau ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, il est proclamé juge suppléant à la Cour de justice de la République.
M. Gilbert Favreau va être appelé à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l’article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.
Je vais donner lecture de la formule du serment, telle qu’elle figure dans la loi organique.
Je prie M. Gilbert Favreau, juge suppléant, de bien vouloir se lever et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure. », après la lecture de la formule du serment.
Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. » (M. Gilbert Favreau, juge suppléant, se lève et dit, en levant la main droite : « Je le jure. »)
Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d’être prêté devant lui. (Applaudissements.)
7
Orientation et programmation du ministère de l’intérieur
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le ministre, je profite d’être élu en cette assemblée pour manifester mon opposition à votre politique sans crainte d’être démis de mes fonctions. Cela n’a malheureusement pas été le sort réservé à Éric Arella, directeur zonal de la police judiciaire de Marseille, qui a été limogé ce vendredi. Il était connu chez nous pour son professionnalisme et son intégrité. Vous avez coupé la tête d’un géant, et cela ne vous a pas grandi !
M. Stéphane Ravier. Vous persistez, puisque, dans la presse, vous menacez de sanctions les policiers manifestants. Vous ne réformez pas : vous détruisez un monument, avec des méthodes expéditives que des observateurs étrangers n’auraient pas tort de qualifier d’autoritaires et de peu démocratiques.
Mais revenons à ce projet de loi. Vous n’éradiquez pas les causes de l’insécurité ; vous vous contentez d’en gérer les conséquences. On ne lit rien d’une nouvelle stratégie en vue de rompre avec le délitement de l’autorité et l’augmentation de l’insécurité.
Le contexte est pourtant très dégradé. Nous restons sous la menace terroriste, incapables de localiser et d’expulser un imam islamiste, au point qu’il a dû s’expulser lui-même ! Nous sommes aussi impuissants devant la recrudescence des rodéos urbains et des refus d’obtempérer, mortels pour les agents et les passants.
On entend monter une détestable petite musique venue du Wokistan, dont les paroles affirment que la police tue sans que ce texte instaure de nouveaux grands principes pour la protéger. La présomption de légitime défense pour toutes les forces de l’ordre faisant usage de leur arme dans l’exercice de leurs fonctions eût été un symbole fort ; vous l’avez refusée.
De plus, la police municipale n’a, semble-t-il, pas sa place dans votre continuum de sécurité, alors qu’elle est l’ultime garante de l’ordre dans les communes reculées et que c’est quasi systématiquement elle qui intervient en premier sur le terrain. Il est totalement anachronique de parcourir ce texte, qui ne fait aucune mention des agents municipaux… Il conviendrait pourtant de leur accorder des compétences de police judiciaire et de généraliser le port d’armes de catégorie B1.
Vous avez évoqué la surreprésentation des étrangers dans les statistiques de la police et de la justice. En particulier, 55 % des délinquants interpellés à Marseille sont étrangers. Nous ne voyons aucune traduction dans ce texte du commencement d’un début de solution pour y remédier.
Vous qui aimez décloisonner, je pensais naïvement que vous comprendriez l’utilité de ne pas légiférer avec des œillères. Ce n’est pas pour rien que le classement des villes les plus sûres du monde donne Marseille et Nice derrière Bagdad et Tripoli (Mme Patricia Schillinger et M. Julien Bargeton s’esclaffent.), les villes, respectivement, d’Al-Qaïda et de Daech.
Après que l’insécurité aura gagné l’ensemble du territoire urbain, la répartition de l’immigration dans les campagnes, voulue par Emmanuel Macron, généralisera à n’en pas douter le grand ensauvagement. Un chercheur a évalué le coût financier de cette insécurité française à 69 milliards d’euros par an : un torrent de larmes et de sang dans un gouffre financier ! Ce phénomène national menace les Français dans leur intégrité physique, dans leur prospérité, dans leur cohésion.
Sachez à l’avenir vous en souvenir, monsieur le ministre, et ne plus vous tromper de cible en limogeant la racaille plutôt que ceux qui la combattent !
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays va accueillir de nombreux événements ces prochaines années, parmi lesquels les jeux Olympiques et la Coupe du monde de rugby, qui s’ajouteront aux défis habituels de la sécurité publique. Nous ne voulons pas revivre les polémiques de mai dernier autour de l’organisation de la finale de la ligue des champions au Stade de France. Il faut impérativement prévenir tout risque de fiasco.
Je rejoins donc la position des rapporteurs. Pour l’essentiel, ce texte va dans la bonne direction et répond à un certain nombre d’attentes du ministère de l’intérieur et de besoins de sécurité publique. Nous saluons les annonces et les ambitions du rapport et de la perspective budgétaire. Outre l’adaptation au monde numérique, il est tenu compte des problématiques d’ancrage local des forces de sécurité. Cela nécessite évidemment des moyens en personnel et en matériel. Nous y veillerons lors de l’examen des prochains budgets.
Surtout, ces nouvelles ressources devront tenir compte de la spécificité des enjeux locaux. On pense souvent aux zones urbanisées lorsqu’il est question de sécurité publique, mais le milieu rural ne doit pas être oublié. Nous saluons également les apports de notre commission concernant l’accessibilité des personnes en situation de handicap, d’autant que la France accuse toujours un retard en matière d’accessibilité universelle.
En revanche, la formation du personnel concourant à la sécurité intérieure du pays nous préoccupe particulièrement. Si la formation initiale est relativement étoffée, il n’en est pas toujours de même de la formation continue, trop souvent délaissée au cours de la carrière. Il y a encore à faire si nous souhaitons améliorer la performance des différents services.
Les travaux en cours de la mission d’information sur les moyens d’action et les méthodes d’intervention de la police et de la gendarmerie nous révèlent une marge importante de progression. De ce point de vue, nous émettons quelques réserves quant à la disposition de l’article 9 qui assouplit les conditions requises pour exercer les attributions attachées à la qualité d’officier de police judiciaire, notamment en supprimant la condition des trois années de service. Bien entendu, cela ne retirera rien à la formation initiale de l’agent, mais trois années de pratique lui seront enlevées, alors que chacun sait combien ces postes sont exigeants et que l’expérience est le pendant de la formation des agents. Un policier ou un gendarme doté de responsabilités, notamment en matière d’investigation, doit être expérimenté.
Nous nous interrogeons aussi sur la simplification de la procédure pénale. Le rapport annexe le souligne, il y a un sujet autour de la complexité procédurale de l’action pénale. Pour autant, nous croyons aussi que la simplification ne doit pas s’accompagner d’une dégradation de certains principes fondamentaux. L’encadrement procédural donne sa légitimité à l’action de l’État en matière de répression. C’est un moyen pour écarter l’arbitraire. De ce point de vue, il ne saurait être question de renoncer à des éléments de procédure uniquement parce que les policiers et les gendarmes ne sont plus en capacité de les respecter.
En revanche, simplifier notre droit jusqu’à renoncer à l’intervention d’un juge ne saurait être une réponse à un manque de moyens et de formation dans nos services.
La généralisation de l’amende forfaitaire délictuelle nous apparaissait comme une fausse bonne idée. Elle contribuait à marquer un net recul de l’action des juges comme du principe fondamental d’individualisation des peines. Je veux donc saluer la position qu’a retenue notre commission des lois en limitant très fortement ce dispositif.
J’ajouterai un élément sur la récente polémique ayant fait suite à la proposition de réforme de la police judiciaire (PJ). Les inquiétudes sont légitimes. Afin de mieux nous prononcer sur le projet de loi, nous aurions souhaité avoir connaissance des résultats des expérimentations qui ont été menées. Si, sur le fond, nous pourrions y être favorables, le manque de concertation aura été pénalisant sur la forme, même si vous avez fait, pas plus tard qu’hier, un pas dans le bon sens, monsieur le ministre.
Je conclurai en évoquant un sujet qui s’est invité dans ce projet de loi après l’adoption, par notre commission, d’un article visant notamment à renforcer la réponse pénale aux violences faites aux élus.
C’est une question très préoccupante. Nous observons ces derniers mois une forte recrudescence des incivilités et, surtout, des agressions envers les élus locaux. Nous avions déposé plusieurs amendements reprenant différentes propositions de loi déposées par mes collègues du groupe RDSE Nathalie Delattre et Éric Gold. Je regrette qu’ils aient pour la plupart été déclarés irrecevables en raison d’une approche restrictive du périmètre du projet de loi. Nous voulons redire notre mobilisation sur le sujet.
Toutes ces remarques n’enlèvent pas l’intérêt du projet de loi, que la quasi-majorité de notre groupe votera. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, puisque Mme Assassi a fait tout à l’heure une référence cinématographique à Robocop ; pour ma part, j’évoquerai Les Quarantièmes rugissants. Ce film, monsieur le ministre, a exactement 40 ans. Il est de 1982, comme vous, si je puis me permettre… (Sourires.)
M. Christian Cambon. Joyeux anniversaire !
M. Roger Karoutchi. Dans ce film, l’acteur principal âgé de 40 ans également, le formidable Jacques Perrin, affronte des lames de fond.
En tant que ministre de l’intérieur, vous affrontez, vous aussi, une lame de fond : la course-poursuite entre, d’une part, l’État et les collectivités, qui essayent d’assurer la sécurité, et, d’autre part, la délinquance, qui se renforce, qui est de plus en plus violente, de plus en plus technique et de plus en plus difficile à maîtriser.
Nous avons voté dans cet hémicycle nombre de textes sur la sécurité, et nous avons l’impression que nous ne sommes jamais vainqueurs de cette course. Les délinquants ont de toujours plus de moyens, et ils améliorent leurs techniques, tandis que nous, respectant les règles et les lois, avons du mal à les contrecarrer.
Dans ce pays, nous n’avons jamais réussi à faire de la sécurité un droit fondamental. La sécurité n’est pas un droit fondamental en France. Elle ne revêt pas de qualité supralégislative. En réalité, aucun citoyen ne peut opposer son droit à la sécurité. Il existe bien une obligation de moyens, mais pas une obligation de résultat. C’est, en soi, une question extrêmement difficile.
Je ne reviendrai pas sur les excellents rapports de nos excellents rapporteurs. Je ne vous le cacherai pas, nous voterons naturellement ce texte dans sa version amendée par la commission des lois.
Peut-être pour la première fois l’État reprend-il la course. Peut-être peut-il, à la condition que de budget en budget, nous respections cette loi d’orientation, se donner les moyens de gagner contre les délinquants.
Monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez de la chance de défendre à 40 ans de défendre un texte qui réunit tout de même une large majorité et qui va marquer les esprits. Vous avez cranté un certain nombre de sujets qui seront déterminants dans la lutte contre l’insécurité.
Permettez-moi quelques observations supplémentaires.
Ne le prenez pas mal, mais, alors que vous aviez changé l’image du ministre de l’intérieur auprès des forces de l’ordre – nombre de policiers ou de syndicats de police me disaient voilà six mois : « Les choses bougent. Nous sommes satisfaits. Nous disposons de moyens et d’équipements supplémentaires. Nous sommes reconnus. » –, le fait est que votre réforme de la police judiciaire a changé la donne. Vous avez formulé ces derniers jours, de même que M. le rapporteur, des propositions. Il faut que vous trouviez une solution, car ce n’est pas seulement l’affaire de la police judiciaire. C’est l’affaire de la police en général. Nous avons besoin, et vous avez besoin de la police de la République. Il n’y a pas d’État, pas de République sans police reconnue par les citoyens comme étant leur police, la police du peuple, la police de la République.
C’est pourquoi jamais personne dans mon camp politique ne se permettrait de critiquer l’action de la police ou de tenir les propos que nous avons pu entendre chez d’autres ; j’admets bien volontiers qu’en l’occurrence, il ne s’agit pas du groupe CRCE.
L’action de la police doit être soutenue si nous voulons avoir une chance que la sécurité, qui est un droit premier pour les citoyens, soit aussi quelque chose que chaque citoyen s’approprie. Vous pouvez jouer dans ce domaine un rôle essentiel, monsieur le ministre.
Vous avez indiqué que M. Dupond-Moretti, avec lequel je ne doute pas que vous parlez régulièrement, viendrait au Sénat pour évoquer les États généraux de la justice. Depuis des années, j’entends la police se plaindre que la justice ne la suivrait pas, d’où un certain découragement des forces de l’ordre, et la justice émettre des récriminations à l’encontre de la police. Parlons-nous franchement : à quand des États généraux de la police et de la justice, pas seulement entre les deux ministres, mais entre tous les syndicats et tous les acteurs concernés ? Les Français le méritent bien ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Dany Wattebled. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans notre pays, les homicides sont en hausse. Les coups et blessures volontaires, ainsi que les violences sexuelles connaissent une très forte augmentation.
Ces constats, dressés par le ministère de l’intérieur pour l’année 2021, doivent nous alarmer. Qu’il s’agisse de délinquance du quotidien ou de grande criminalité, l’enjeu de la sécurité est majeur pour nos concitoyens.
Lors de sa réélection, le président Macron avait promis de renforcer la présence des forces de l’ordre sur le terrain. Le projet de loi trace un chemin pour y parvenir. Il y met les moyens, avec un budget en augmentation de plus de 20 % d’ici à 2027.
Bien qu’une telle trajectoire soit jugée peu crédible par le Conseil d’État, il est indispensable de juguler la progression de l’insécurité, qui brise la vie de certains de nos concitoyens et empoisonne celle des autres.
L’insécurité met en péril le pacte républicain. Elle nuit également au développement de notre économie et au rayonnement de notre pays. La France s’apprête en outre à accueillir de grands événements ; raison de plus pour que les forces de l’ordre disposent des moyens d’assurer l’ordre public.
Notre groupe est favorable à une telle augmentation budgétaire, ainsi qu’à celle des crédits de la justice. L’État doit être en mesure d’assurer ses missions régaliennes, qui sont les plus essentielles.
Les fonds prévus pour les forces de l’ordre serviront notamment à augmenter les effectifs ; il faut s’en réjouir. À cet égard, j’évoquerai plus particulièrement deux éléments.
Premièrement, sur le zonage des interventions en zone gendarmerie, il me semble très important que les forces de l’ordre connaissent le terrain et les habitants pour agir au mieux, au plus près de leurs casernes.
Deuxièmement, une réforme de la police judiciaire est sans doute nécessaire. Il me paraît toutefois indispensable que ses agents conservent leurs capacités d’enquête très spécifiques. Nous y serons attentifs.
Par ailleurs, la question des effectifs ne doit pas masquer celle des équipements et de la vétusté des installations. Il est grand temps d’inverser la tendance et d’engager la modernisation. C’est en bonne voie : le rapport annexé au projet de loi prend en compte ce besoin. Nous serons également attentifs à la mise en œuvre des mesures annoncées.
Au-delà des aspects programmatiques du rapport et des deux premiers articles, le projet de loi contient plusieurs dispositions de procédure pénale. Il était notamment question de généraliser l’amende forfaitaire à toutes les infractions punies d’un emprisonnement d’un an maximum.
Le Conseil d’État ayant indiqué dans son avis qu’une telle disposition ferait entrer dans ce périmètre plus de 3 400 infractions, la solution retenue par la commission nous paraît plus sage : une dizaine d’infractions supplémentaires pourront désormais faire l’objet de cette amende. Notre groupe est satisfait de ce ciblage beaucoup plus précis.
Nous sommes inquiets de constater la faiblesse des taux de recouvrement des amendes forfaitaires. Pour l’usage de stupéfiants, fer de lance de cette procédure, le taux était inférieur à 50 % en 2021. Dans ces conditions, il nous paraît important d’améliorer le recouvrement.
Le texte prévoit également la création des assistants d’enquête. Ces derniers seront chargés de réaliser les tâches administratives qui éloignent les policiers du terrain.
Mais la nécessité de telles évolutions est le symptôme d’un mal plus profond. Entre 2008 et 2022, le code de procédure pénale est passé de 1 700 articles à 2 400 articles. La complexification des procédures rend plus difficile le travail des policiers, des magistrats et des professionnels du droit. Elle crée également des risques pour nos concitoyens, qu’ils soient mis en cause ou victimes.
L’inflation normative doit être jugulée. Les procédures doivent être structurellement simplifiées. La fusion des cadres d’enquête pourrait y contribuer et les États généraux de la justice ont rappelé la nécessité de conduire une étude d’impact sur la faisabilité et l’opportunité d’une telle fusion. Il faut y procéder sans attendre.
Les mesures envisagées sont nécessaires. Notre groupe, comme beaucoup d’autres dans cet hémicycle, soutiendra l’adoption du projet de loi. Nos concitoyens demandent une action forte de l’État pour lutter contre l’insécurité. Le texte y contribue, mais il faudra continuer à agir. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’avenir, le rôle, l’organisation et les moyens du ministère de l’intérieur sont des sujets au cœur de notre pacte républicain, de notre organisation sociale, de la protection des citoyens et du respect des droits du justiciable.
Je ne surprendrai personne en exprimant au nom de mon groupe les craintes que les dispositions du présent projet de loi suscitent. C’est un mélange de Big Brother is watching you, des meilleurs passages de 1984 d’Orwell et du pire de Robocop : mystery shoppers, policiers « augmentés », robots d’accueil, drones aux frontières, numérisation à outrance… Tout cela à l’heure où l’illectronisme touche une immense partie de nos concitoyens et où les territoires se sentent de plus en plus éloignés de l’accès à un service public délivré par des êtres humains.
Nous nous devons – vous tous, mes chers collègues, mon groupe et moi – de mettre en action sans sobriété notre énergie et notre intelligence collective pour ce projet de loi.
Puisque le ministre rappelait hier, dans sa lettre envoyée à l’ensemble de la police judiciaire, que sa porte était « ouverte à toutes les propositions », nous avons voulu être force de proposition.
Notre vision et nos propositions sont issues d’une véritable réflexion d’équilibre. Elles pourraient se décliner en deux éléments principaux.
Le premier ne vous étonnera pas, monsieur le ministre : nous n’avons pas la même conception de la police, de la sécurité, de la protection, du maintien de l’ordre et de la tranquillité publique que celle que vous exposez et défendez dans ce texte.
Nous ne partageons pas non plus la position, que nous jugeons attentiste, des rapporteurs et de la majorité. Un exemple frappant est celui de l’amende forfaitaire, à laquelle nous sommes opposés. Non seulement cet outil connaît jusqu’à présent une application territoriale disparate, hétérogène et – oserais-je dire – éminemment concentrée sur certains quartiers, mais surtout, en plus de cette rupture de traitement territorial, la volonté du Gouvernement – légèrement restreinte par la commission – de l’étendre sans aucune véritable étude de son efficience actuelle est un pas de plus vers l’éloignement du juge.
Ce texte se fait ainsi l’écho des pires positionnements qui voudraient que la justice, garante de l’application du droit, soit un frein aux forces de l’ordre.
Cela nous amène à un élément fondamental : nous demandons que les femmes et les hommes dont le rôle est d’assurer notre sécurité et notre tranquillité soient traités avec humanité, respect et considération. Les conditions de travail de nos forces de l’ordre ne nous paraissent clairement pas au niveau des services que nous attendons d’elles. Nous devons veiller à diminuer leur souffrance au travail, en rendant à leurs métiers le sens qu’ils ont perdu. Notre soutien aux agents de l’État doit reposer sur la réalité retrouvée d’exercer un métier avec et pour leurs concitoyens.
Le besoin de sécurité des citoyens inclut la transparence de l’action de la police, une meilleure gestion des dérives, parfois violentes, une nouvelle vision de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), mais aussi sur la transparence des données de la police, leur publication et leur transmission, entre autres aux élus.
Le besoin de sécurité des citoyens porte également sur la gestion des risques d’incendie, qui ont été amplifiés par l’inaction climatique du Gouvernement, condamné à plusieurs reprises en la matière. Pour notre part, nous proposerons des améliorations portant sur les services incendies.
Le besoin de sécurité des citoyens concerne aussi leur environnement. C’est pourquoi nous tracerons des pistes pour le développement d’une police environnementale.
Le besoin de sécurité des citoyens implique encore ce que le rapport appelle pudiquement « la transparence et l’exemplarité des forces de l’ordre ». Là encore, nous ferons de nombreuses propositions pour renouer la confiance que les citoyens doivent avoir dans leurs forces de l’ordre.
Nous vous remercions d’avance de ne pas amalgamer à des fins purement politiques nos positions avec de supposées idéologies anti-police ou antirépublicaines. Tout au contraire, nous prétendrons et nous chercherons à vous démontrer que nos propositions sont plus protectrices, non seulement des citoyens, mais également de tous les personnels des forces de l’ordre, tant physiquement que mentalement.
Monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, nous ne voulons pas de drones à nos frontières ni du « tout surveillance » dans la politique migratoire, y compris à l’intérieur de nos frontières européennes. Nous voulons une véritable réflexion sur les mouvements migratoires à l’échelon européen, mais aussi une refonte de nos politiques d’accueil.
Nous ne voulons ni d’une réforme de la police judiciaire qui déstabiliserait l’indépendance du travail des magistrats ni d’un projet qui entraîne le risque d’un affaiblissement de la lutte contre le grand banditisme en faisant perdre à la PJ sa spécialisation.
En rattachant les services de la PJ aux directions départementales de la police nationale (DDPN), en établissant des liens forts entre ces dernières et les préfets, ce projet crée une confusion entre les pouvoirs judiciaire et administratif.
Nous voulons une sanctuarisation des moyens propres de la PJ et de sa spécificité, une sanctuarisation de l’accès à la qualification d’OPJ, loin de sa dilution dans les autres forces de sécurité et d’une marginalisation des parquets dans la définition de la politique pénale.
Nous ne voulons pas vider les commissariats simplement pour mettre du bleu dans la rue et faire du chiffre via des amendes forfaitaires.
Nous voulons une réelle police de proximité, pacificatrice, liée à son territoire. Nous ne voulons pas de lanceurs de balles de défense (LBD), de drones, de gaz lacrymogène, de la technique de la nasse ou d’autres techniques d’interpellation dangereuses dans les doctrines de maintien de l’ordre et de contrôle de la population.
Depuis mon élection, j’observe, parfois avec surprise, souvent avec effroi, la dérive autoritaire de certains textes. La sécurité est l’enjeu de tous, mais les dérives sécuritaires semblent toujours venir des mêmes.
C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous exprimerons notre vision par un grand nombre d’amendements, dont nous allons discuter et dont le sort scellera notre position finale à l’égard du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hussein Bourgi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est proposé a au moins deux vertus : d’une part, celle de répondre à une demande ancienne visant à doter nos services de police et de gendarmerie des moyens humains et matériels à la hauteur des missions qui leur sont confiés ; d’autre part, celle d’être un projet ambitieux assorti de moyens et d’objectifs importants.
Ces deux vertus étant relevées et saluées, je me focaliserai sur les points qui méritent un peu plus d’engagement et de précision de votre part, monsieur le ministre.
Si votre projet de loi et le rapport annexé listent les grandes orientations et les grandes trajectoires, cela manque parfois de précisions, notamment chiffrées. Nous formons le vœu que le débat parlementaire réponde à ces attentes et nous permette d’éclaircir des indications parfois vagues et floues.
Vous avez élaboré votre doctrine en matière de sécurité à partir du livre blanc de la sécurité intérieure et du Beauvau de la sécurité. À l’occasion de l’élaboration de ce continuum, vous avez voulu établir un partenariat renforcé avec les communes en matière de lutte contre l’insécurité.
Or, monsieur le ministre, les maires sont de plus en plus nombreux à déchanter. En effet, lorsqu’ils souhaitent s’équiper de caméras de vidéosurveillance par exemple – cela concerne un nombre de communes en forte croissance depuis les dernières élections municipales – et sollicitent la préfecture pour obtenir un cofinancement, on leur répond que l’enveloppe n’a pas évolué.
Lorsque ces mêmes maires prennent à leur compte les travaux d’aménagement de locaux de gendarmerie et de police, ces bureaux se trouvent malheureusement désertés au bout de quelques années – c’est le cas dans l’Hérault, par exemple à Frontignan – et les policiers sont transférés dans la commune voisine, en l’occurrence à Sète.
Dès lors, de plus en plus de maires s’interrogent et nous interrogent sur ces réalités. Ils ont le sentiment que le partenariat que vous leur avez proposé est parfois déséquilibré à leur détriment.
C’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre eux ont accueilli avec circonspection, et même prudence l’annonce de la création de 200 nouvelles brigades de gendarmerie. Ils craignent une concurrence entre les territoires, entre ceux qui ont les moyens de mettre des locaux à disposition et les autres. Ils craignent de financer des locaux et de ne pas pouvoir offrir, à l’arrivée, le service attendu par les administrés. Qu’avez-vous à dire à ceux qui ont parfois le sentiment d’avoir conclu avec l’État un contrat léonin en matière de sécurité ?
Beaucoup de maires sont confrontés à la multiplication des infractions en matière de circulation et de stationnement dans les grands centres urbains. Des moyens techniques sont désormais disponibles, par le biais des systèmes de lecture automatisée des plaques d’immatriculation (Lapi), qui permettent un contrôle efficace et régulier des flux importants de véhicules. Néanmoins, en raison du cadre réglementaire en vigueur – vous le savez, monsieur le ministre –, le champ d’utilisation de ces outils reste limité.
C’est la raison pour laquelle, dans le respect des règles de protection des données personnelles, il est impératif de faire évoluer la réglementation pour permettre aux maires ou aux présidents d’intercommunalités de lutter plus efficacement contre les stationnements gênants sur les places réservées aux personnes à mobilité réduite (PMR), sur les plateformes de tramway ou sur les pistes cyclables, qui, malheureusement, occasionnent souvent des accidents corporels et, parfois, mortels.
Plusieurs maires de grandes villes, dont Michaël Delafosse, maire de Montpellier, vous ont écrit en ce sens. Ils attendent de votre part une réponse concernant l’évolution réglementaire ; je me permets de le préciser ici même si nous débordons du cadre législatif.
Vous avez annoncé votre volonté de doubler les effectifs de terrain en matière de police et de gendarmerie. Nous souscrivons tous à un tel objectif. Quand bien même il serait atteint, la question du traitement des procédures d’infraction qui seraient constatées demeurerait.
Dès lors, le risque de voir le stock de procédures en souffrance augmenter est réel, pour ne pas dire certain. Comment appréhendez-vous cette situation ? Que comptez-vous faire pour endiguer cette probabilité ?
Vous souhaitez permettre la prise de plainte et la déposition par le recours à la visioconférence. Pourquoi pas ? Nous n’y sommes pas opposés. Ce qui compte, ce n’est pas la manière dont on dépose plainte : préplainte, visioconférence, etc. L’important, c’est l’information du plaignant tout au long de la procédure. En la matière, les marges de progression sont réelles et sérieuses.
Je souligne une nouvelle fois l’intérêt que le groupe SER porte aux juridictions spécialisées en matière de violences conjugales et intrafamiliales. Peut-être le débat vous permettra-t-il de nous donner votre sentiment sur la question.
Monsieur le ministre, le texte étant expurgé des éléments clivants, nous formons le vœu que vous puissiez faire un pas dans notre direction, afin de témoigner de la considération que nous avons tous pour les gendarmes et les policiers et de l’intérêt que nous portons à la sécurité des Françaises et des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dominati. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dominati. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les précédentes interventions mettent en lumière un premier succès du présent projet de loi : rarement un texte aura été aussi attendu et suscité un tel intérêt sur toutes les travées de cette assemblée.
Pourtant, ce n’était pas facile. Au cours du premier quinquennat, nous avons eu le sentiment que la sécurité n’était pas une priorité du gouvernement et du Président de la République. Monsieur le ministre, vous avez évoqué la crise du terrorisme et cette horrible année 2015, mais vous êtes le septième ministre de l’intérieur en sept ans.
Alors que ce ministère méritait des réformes et une attention particulières, les pouvoirs publics n’ont fait, pendant toutes ces années, que gérer une succession de crises.
Les crises se sont manifestées, chez les agents de l’État, avec des fréquences de plus en plus régulières, qui ont conduit à la publication du livre blanc de la sécurité intérieure, puis aux rencontres de Beauvau avant de donner lieu à une première version de la Lopmi, au mois de mars 2022, puis au texte que nous examinons aujourd’hui.
Celui-ci présente un intérêt particulier. Nous sommes au début d’une mandature et vous avez probablement su attirer l’attention du chef de l’État sur la nécessité de remettre la mission de sécurité au cœur du débat.
Quel est donc l’effort financier consenti, inscrit dans l’article 2 de cette loi d’orientation ? Comme vous l’avez souligné tout à l’heure, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, présenté en 2009, prévoyait des crédits de 2,5 milliards d’euros sur cinq ans, quand la Lopmi en prévoit six fois plus.
À périmètre constant, les crédits de paiement avaient augmenté de 12 % sur la période 2013-2017 et de 17 % sur la période 2018-2022. C’est dire si l’effort financier pour les cinq ans à venir – une augmentation de l’ordre de 22 %, dont l’effort principal est réalisé en loi de finances pour 2023 – est plus que satisfaisant.
Cette Lopmi répond essentiellement à deux nécessités. La première est d’accompagner à la révolution numérique. À cet égard, l’effort de modernisation du ministère et des agents de sécurité sur le terrain est important.
La deuxième nécessité est le doublement des effectifs sur le terrain, qui ne doit évidemment pas s’effectuer au détriment du fonctionnement et de l’investissement. Cette dérive, constatée par le Sénat ces dernières années, a été corrigée, notamment grâce aux crédits du plan de relance liés au covid-19. Vous avez par ailleurs sécurisé la situation dans cette loi de programmation du ministère de l’intérieur.
C’est un ministère où il est difficile de mener des réformes. En réalité, aucune n’a pu y être menée depuis la crise du terrorisme, hormis celle du temps de travail, le « vendredi fort », qui aura occupé le ministère pendant près de cinq ans. Vous avez annoncé durant le quinquennat précédent l’abandon de cette réforme initiée par Bernard Cazeneuve. C’était censé être une bombe destinée à exploser lors de l’alternance ; finalement, les choses ne se sont pas passées comme prévu.
La réforme de la PJ est en cours. Elle n’est pas simple à appréhender. Comme tout le monde, nous écoutons les inquiétudes liées à la départementalisation ou au rapport quantitatif/qualitatif. Elle est initiée par le directeur général de la police judiciaire, qui a passé, je crois, vingt-neuf ans dans cette institution. Elle semble en partie répondre à la nécessité d’avoir de nouveau une seule personne, dans un lieu précis, pour incarner la fonction policière.
Enfin, une réforme pourtant annoncée régulièrement par les gouvernements successifs n’a pas du tout été abordée. Elle concerne la disparité entre la police nationale et la préfecture de police ; Paris, c’est le cœur du pays. MM. Castaner et Nunez étaient venus devant le Parlement annoncer qu’il s’agirait d’une réforme clé. Or on s’aperçoit que cette disparité demeure.
La loi d’orientation ne comprend aucune disposition pour le cœur du pays. Voilà quelques années – je tiens à le souligner en tant qu’élu parisien –, les représentants de toutes les sensibilités politiques étaient favorables à la défense de la police nationale. Bertrand Delanoë avait d’ailleurs annoncé souhaiter le maintien des choses en l’état. Aujourd’hui, tout le monde est pour une police municipale. Mais le texte ne prévoit rien à cet égard.
Monsieur le ministre, c’est un début. Continuez à mener des réformes dans ce ministère. C’est une nécessité. Trop de retard a été pris. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Leroy. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Henri Leroy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà une réforme qui va dans le bon sens. En tant que partie prenante, comme parlementaire très engagé pour la sécurité de nos compatriotes, je voterai naturellement ce projet de loi.
Ce texte – c’est suffisamment rare pour être souligné – répond aux espoirs des forces de sécurité intérieure, aux attentes des élus locaux et nationaux qui avaient eu l’occasion de s’exprimer, notamment lors des nombreuses réunions du Beauvau de la sécurité. Je vous le dis en connaissance de cause, pour y avoir participé activement au titre du Sénat, avec notre collègue Jérôme Durain.
Notre mission consiste à contrôler l’action du Gouvernement et à participer à l’amélioration de la loi. Vous me permettrez donc de formuler deux réserves.
La première relève de la prudence. Ce texte est le fruit d’un long travail d’analyse et de concertation ; nous en convenons tous. Mais je vous demande ici solennellement de veiller à son application. Trop de textes votés restent lettre morte faute de décrets d’application pris dans un délai raisonnable, mais surtout faute de suivi concret sur le terrain. Or vous êtes un homme de terrain, monsieur le ministre !
M. Henri Leroy. Ma deuxième réserve porte sur le contenu du texte.
Lors de nos échanges en commission des lois, j’ai eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet. Certes, vous engagez – judicieusement ! – la départementalisation de la police nationale. Mais vous oubliez l’idée, pourtant présente dans le Beauvau de la sécurité, de revoir la répartition territoriale des forces de sécurité intérieure.
C’est pourtant une attente forte, tant de certains élus que de nombreux acteurs silencieux du terrain ; elle relève d’une logique temporelle. La répartition actuelle date du siècle dernier. Depuis, la délinquance et la criminalité ne sont plus du tout les mêmes, quelle que soit la manière d’apprécier les choses.
Concrètement, cela consiste en une nouvelle répartition optimale des forces de sécurité intérieure sur le territoire, décidée en étroite collaboration avec les maires, en vue de faire face à l’hydre du XXIe siècle qu’est devenue la délinquance dans notre pays.
Mais alors, pourquoi un tel renoncement ? Pour des raisons qui ne peuvent être qu’à contre-pied de l’intérêt général. Pour, semblerait-il, apaiser des craintes corporatistes d’intérêts plutôt particuliers, voire sectoriels. Vous avez renoncé, parce que, comme le font trop souvent de nombreux décideurs, vous avez vraisemblablement cédé – c’est mon opinion – à la pression syndicale.
Monsieur le ministre, notre devoir à tous est d’assurer la sécurité des Français et de projeter les forces de sécurité intérieure dans l’avenir.
La situation est grave, très grave. Trop de territoires sont des territoires perdus, des territoires délaissés, des territoires sacrifiés de la République. Dorénavant, l’incivilité, la délinquance, le crime, la barbarie frappent partout, y compris dans cette France rurale et périphérique, cette douce France autrefois épargnée.
Prendre des mesures justes et efficaces se révèle parfois difficile, car cela implique de combattre les lobbys et les habitudes ; vous êtes en plein dedans. Mais c’est aussi à cela que l’on mesure la pertinence et l’importance d’une réforme.
Monsieur le ministre, montrez qu’à l’instar de vos illustres prédécesseurs Pierre Joxe et Charles Pasqua, votre détermination ne s’arrête pas à des questions matérielles, techniques, logistiques et humaines, et qu’elle intègre aussi la notion de stratégie organisationnelle et fonctionnelle.
Vous le savez parfaitement, la répartition territoriale est vraisemblablement l’une des clés les plus importantes de cette très attendue Lopmi. Repousser la question, c’est peut-être renoncer à l’espoir de voir les forces de sécurité intérieure prendre définitivement le dessus sur la délinquance et la criminalité en France.
Ne restons pas dans le fond du panier, derrière le Mexique ou la Malaisie, dans le classement des pays basé sur l’indice de criminalité Numbeo.
Ce texte est un premier grand pas. Ne vous y arrêtez pas ! Nous le devons à nos concitoyens ; nous le devons à nos forces de sécurité ; nous le devons à nos élus de première ligne, nos valeureux maires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Je souhaite remercier très sincèrement les différents orateurs qui se sont exprimés, pour leurs critiques comme pour leurs encouragements.
J’ai noté le soutien, si je peux le dire ainsi, de la majorité sénatoriale, mais aussi des groupes RDSE et Les Indépendants – République et Territoires. J’ai senti que le groupe SER se posait un certain nombre de questions et souhaitait que le Gouvernement soit à l’écoute et ouvert au dialogue ; c’est, je peux vous l’assurer, le cas. J’ai compris que les groupes CRCE et GEST étaient sur une position plus négative, mais j’essayerai de les convaincre au cours des débats. Connaissant un certain nombre d’interlocuteurs, je sais qu’il y a matière à avoir de vrais échanges intellectuels.
Beaucoup de choses ont été dites : certains ont fait part de leurs interrogations ; d’autres ont déploré des « manques ». Je note d’ores et déjà un paradoxe : les parlementaires réclament souvent des textes plus courts, mais s’offusquent quand un texte ne balaye pas l’intégralité du champ de la politique publique concernée. Je veux bien essayer de répondre à vos demandes, mais je n’ai pas forcément de baguette magique.
De la part des rapporteurs, avec lesquels il existe un certain continuum, puisque nous avons déjà travaillé ensemble sur la proposition de loi relative à la sécurité globale, j’ai entendu deux interrogations principales.
La première concerne la possibilité de déposer une plainte en visioconférence.
Il n’est, bien entendu, aucunement question pour le ministre de l’intérieur que je suis de remplacer à 100 % le réel par le numérique. J’y suis très attentif. Je serai favorable aux amendements, déposés notamment, me semble-t-il, par le groupe socialiste, visant à toujours laisser la possibilité aux gens d’avoir recours aux procédures papier. Comme je l’ai fait dans une autre fonction à propos du prélèvement de l’impôt à la source ou lorsque nous avons mis en place l’e-procuration, j’entends bien laisser la possibilité d’utiliser le papier, ce que l’on peut aussi appeler le « monde réel ».
C’est pourquoi j’ai été surpris par l’amendement que Marc-Philippe Daubresse a déposé en commission. Par ce projet de loi, nous entendons permettre le dépôt de plaintes en visioconférence. Les gens pourront prendre rendez-vous avec un officier de police judiciaire, qu’il soit gendarme ou policier, et déposer leur plainte de chez eux grâce à leur ordinateur, ce qui leur évitera de devoir se déplacer. C’est très important.
En effet, il n’est plus compréhensible aujourd’hui pour les gens de devoir passer deux à trois heures dans un commissariat pour déposer leur plainte, y compris pour des faits que l’on peut qualifier de « véniels », comme une dégradation de véhicule. Ce n’est pas vraiment le signe d’une police moderne, alors même que l’on peut payer ses impôts par internet ou que la télémédecine se développe.
La police serait donc le dernier service au monde où le papier serait toujours imprimé, avec des commissariats ressemblant à celui que l’on voit dans le film Pinot simple flic ! Nous devons accepter la modernisation de cette grande administration qu’est le ministère de l’intérieur.
Il est déjà possible – cela concerne uniquement les atteintes aux biens – de déposer des préplaintes en ligne. Cette procédure marche, puisqu’elle représente la moitié des dossiers traités par les policiers et les gendarmes. Nous ne sommes pas obligés d’imposer aux personnes souhaitant déposer une plainte de se rendre physiquement au commissariat ou à la brigade de gendarmerie.
Il faut passer de la préplainte en ligne à la plainte en ligne, tout en laissant à la personne le choix entre présence physique et procédure numérique.
Personne ne comprend qu’il faille prendre une demi-journée de congé pour déposer une plainte. Lors d’un récent déplacement dans un commissariat parisien, j’ai rencontré une dame qui a été obligée de le faire simplement pour déclarer le vol d’un Vélib’.
Chacun voit bien l’intérêt de ne pas encombrer les services de police, tout en libérant du temps pour nos concitoyens. Il s’agit finalement de nous permettre de nous concentrer sur les plaintes les plus graves, notamment les atteintes aux personnes. Je pense en particulier aux violences intrafamiliales, qui demandent beaucoup de temps et d’écoute.
Est-il vraiment nécessaire de passer trois heures au commissariat de Tourcoing parce qu’on a été victime d’un phishing destiné à nous inciter à envoyer de l’argent à l’étranger prétendument pour venir en aide à une petite-cousine ?
L’amendement proposé par Marc-Philippe Daubresse et adopté par la commission vise à limiter le dépôt de plainte par visioconférence aux atteintes aux biens. Il nous semble plus pertinent de discuter de l’ensemble des plaintes.
Ainsi, les plaintes qui nécessitent des examens médicaux ou un accompagnement psychologique ou relèvent de questions intimes impliquent évidemment une présence physique. Au demeurant, cela ne signifie pas que les victimes doivent obligatoirement se déplacer au commissariat. En effet, nous expérimentons l’« aller vers », comme pour la vaccination. Aujourd’hui, dans dix départements, des policiers et des gendarmes se rendent chez l’avocat, chez un membre de la famille ou un proche, au centre communal d’action sociale (CCAS) ou dans la commune, notamment en cas de violences intrafamiliales ou d’agression sexuelle, pour que la personne n’ait pas besoin de se déplacer.
Pour autant, nombre de plaintes, même lorsqu’elles sont constitutives d’atteintes aux personnes, peuvent tout à fait être déposées en visioconférence, sous certaines conditions. Je pense en particulier à l’identité numérique ; il faut être certain de l’identité de la personne qui dépose plainte.
Il me paraîtrait absurde que la police et la gendarmerie soient les seuls services publics à ne pas pouvoir utiliser le numérique pour simplifier la vie de nos concitoyens. Il est vrai que le ministère de l’intérieur passe souvent en dernier pour ce genre de choses. Il a tout de même été le dernier à pouvoir utiliser des drones en France. Nous avons finalement obtenu, cher Loïc Hervé, la possibilité d’en faire voler, mais seulement pour le renseignement, et pas en matière judiciaire.
La deuxième interrogation des rapporteurs concerne le réseau Radio du futur (RRF).
Le Gouvernement s’est astreint à déposer le moins d’amendements possible. J’ai moi-même été parlementaire, et je le redeviendrai sans doute, les fonctions ministérielles n’étant pas un contrat à durée indéterminée.
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Celles de parlementaire non plus !
M. Gérald Darmanin, ministre. Effectivement, monsieur le rapporteur !
En tout cas, le Gouvernement n’a déposé que deux amendements sur ce texte.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Parce que le travail a été bien fait en commission !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je crois que c’est un signal positif et respectueux vis-à-vis du travail parlementaire.
L’un de ces deux amendements a été déposé à la demande de la commission des lois du Sénat : il vise justement à inscrire dans le projet de loi, dans le dur, comme l’on dit parfois, les dispositions relatives au déploiement du RRF.
J’en viens aux questions posées par les différents orateurs.
Mme Jourda et M. Leroy, que je remercie, de même que M. Durain, de sa participation au Beauvau de la sécurité, ont posé la question de la répartition entre la police et la gendarmerie.
Je sais bien que le sujet passionne tout le monde, notamment les sénateurs, surtout s’ils sont en campagne électorale. D’ailleurs, le département du Nord, qui est renouvelable, est en force, puisque quatre sénateurs le représentent dans l’hémicycle ce soir. Je profite de l’occasion pour vous rassurer : je ne suis pas candidat aux prochaines élections sénatoriales, même s’il est vrai que tout député rêve de devenir un jour sénateur ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Tout ministre aussi !
M. Gérald Darmanin, ministre. Certes, comme je suis grand électeur, tous les sénateurs du Nord m’ont souhaité mon anniversaire. (Nouveaux sourires.) Cela montre qu’ils tiennent bien leurs fichiers à jour. (Mêmes mouvements.)
M. Loïc Hervé, rapporteur. C’est la convergence des luttes !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je les en remercie, parce que je sais que cela vient du cœur.
Blague à part, je sais que la question de la répartition entre la police et la gendarmerie se pose.
Il faut d’abord savoir que le cadre législatif est peu contraignant en la matière. Il me semble qu’un article du code général des collectivités territoriales fait référence à un seuil de 20 000 habitants, mais ce n’est aucunement une règle absolue, comme l’exemple de Libourne le montre.
Monsieur Leroy, ce ne sont pas les lobbys qui m’ont poussé à ne pas proposer de nouvelle répartition et à ne pas reprendre la proposition qui allait en ce sens. Soit dit en passant, il me semble qu’elle émanait plutôt du livre blanc que du Beauvau de la sécurité.
Les choses sont plus compliquées qu’il n’y paraît.
Par exemple, si nous entamions un débat sur une nouvelle répartition, cela entraînerait des discussions sociales particulièrement fortes au sein de l’administration du ministère. Comme vous le savez, les gendarmes dorment avec leur famille dans leur caserne, tandis que les policiers ne vivent pas au commissariat. Modifier la répartition suppose donc des projets immobiliers et un accompagnement social, ce qui nous demande des mois et des mois de travail. Nous aurons une discussion avec les collectivités.
Alors que la délinquance est forte et que le ministère de l’intérieur a pris beaucoup de retard sur un certain nombre de sujets, comme le cyber, la lutte contre le terrorisme ou encore la préparation des jeux Olympiques, il ne me semble pas prioritaire que l’énergie du ministre de l’intérieur et des membres de ses services se concentre sur la répartition territoriale entre police et gendarmerie.
À certains endroits, par exemple en outre-mer, nous devons nous poser cette question. Mais nous devons aussi choisir nos combats, parce qu’ils sont déjà nombreux ; je l’ai dit.
Ma première priorité est de lutter contre la délinquance. Les chiffres dévoilés ce matin montrent d’ailleurs que notre stratégie visant à accroître la présence sur la voie publique fonctionne. Les violences aux personnes ont baissé de 23 % par rapport à l’année dernière ; c’est la première fois en quatre ans qu’elles baissent.
Par ailleurs, est-ce que ce débat sur la répartition territoriale n’est pas un peu daté au regard des évolutions de la délinquance ? Poser la question n’est pas y répondre. Ne sommes-nous pas passés, dans un certain nombre de situations – le trafic de drogues ou d’armes, le dark web, etc. –, du territoire communal au territoire numérique ? Autre exemple, dans l’agglomération toulousaine, dont la population augmente de 15 000 habitants par an, certaines zones de transport sont de la compétence de la police, quand d’autres relèvent de la gendarmerie.
Devons-nous continuer de réfléchir par territoire ou appréhender les choses par type de délinquance ? On pourrait imaginer que la police ou la gendarmerie soit compétente pour l’intégralité des transports. Certaines rocades d’autoroute sont en zone police, d’autres en zone gendarmerie, ce qui peut paraître absurde. Poser la question n’est pas y répondre définitivement !
Dernier argument sur ce sujet, il faut bien laisser un peu de travail aux prochains ministres de l’intérieur… Plus sérieusement, il n’y a pas de conservatisme de ma part. Il y a une réflexion sur la hiérarchie des priorités et sur les évolutions de la délinquance.
J’en viens à la question de l’installation de nouvelles brigades de gendarmerie. Je veux d’abord vous dire mon étonnement, monsieur Bourgi, d’entendre que les élus étaient inquiets à ce sujet… Je n’ai pas encore vu de pétitions d’élus locaux pour demander qu’il y ait moins de brigades de gendarmerie ! (Sourires.) Je m’engage bien évidemment à ne pas installer de nouvelle brigade dans un département si les élus n’en veulent pas ! (Nouveaux sourires.)
Nous allons créer 200 nouvelles brigades de gendarmerie, et ce n’est pas une promesse en peau de lapin, comme on dit dans le Nord ! C’est la première fois qu’un ministre de l’intérieur propose une augmentation d’effectifs avec une quasi-parité entre police et gendarmerie : 52 % pour la police et 48 % pour la gendarmerie.
Nous prévoyons ainsi la création de 2 000 postes de gendarmes, dont une grande partie dès la loi de finances pour 2023. De ce fait, nous serons capables d’ouvrir de nouvelles brigades dans vos départements dès l’été prochain.
Comme nous l’avons fait dans le Nord et dans le Cher, nous réunirons tous les maires et parlementaires, le commandant du groupement de gendarmerie, le préfet et, quand ce sera possible, le ministre pour mettre les choses à plat : situation de la démographie, de la délinquance et des brigades de gendarmerie, projets de construction ou d’aménagements pour les années à venir, etc. Nous proposerons alors d’installer à tel ou tel endroit une ou des brigades, entre deux et quatre par département. Mais s’il faut en installer plus, nous le ferons.
Les élus auront ensuite trois ou quatre mois pour réfléchir et donner leur avis, en s’appuyant sur leurs associations. Tout le monde sera consulté. Des arbitrages seront alors opérés.
N’y voyez aucune forme de chantage de ma part, mais il est évident que si nous disposons de locaux disponibles, nous pourrons implanter ces brigades plus rapidement. L’État dispose lui-même de locaux vacants, par exemple d’anciennes casernes. Le ministère de l’intérieur est évidemment prêt à payer des rénovations et des aménagements. Mais je ne bouderai pas mon plaisir si des collectivités locales décident de soutenir l’implantation d’une brigade de gendarmerie sur leur territoire.
Nous discuterons de ce sujet lors de l’examen des amendements. Si certains d’entre eux me paraissent d’abord être des appels à la discussion, je veux vous redire que nous travaillerons de manière collective pour annoncer – ce sera en mars prochain en vue d’une installation effective l’été suivant – le lieu d’implantation des 200 nouvelles brigades.
Madame Assassi, je partage votre opinion sur la formation ; c’est d’ailleurs l’un des axes du texte.
Souvenez-vous tout de même que nous avons déjà augmenté de quatre mois la formation initiale des gardiens de la paix et des gendarmes ; elle est passée de huit mois à douze mois. C’est tout de même une amélioration substantielle.
En matière de formation continue, nous faisons face à deux problèmes : un manque de formateurs et un manque de temps pour les agents qui doivent se former.
C’est pourquoi le texte prévoit, pour la formation continue, la création de 750 postes de formateurs, dont 250 dans la gendarmerie et 500 dans la police nationale. Nous avons évidemment besoin de temps pour former les formateurs…
Aucun gouvernement n’a fourni autant d’efforts en matière de formation pour les forces de sécurité. C’est important – vous avez eu raison de le dire – pour aider les policiers et les gendarmes à être respectueux des lois de la République, mais également pour protéger leur propre action. Le Beauvau de la sécurité avait défini cet axe comme prioritaire. Les deux sénateurs qui y ont participé ont, me semble-t-il, pu traduire cette demande des forces de l’ordre.
L’autre problème en la matière, c’est le temps disponible pour se former. Souvent, les policiers et les gendarmes sont rappelés par leur service, alors qu’une formation est prévue pour eux. Le ministère doit encore, à ce jour, cinq semaines de congés payés aux gendarmes mobiles et aux CRS, parce que nous avons très souvent besoin d’eux, que ce soit pour un match de football, un renforcement de la police aux frontières, une manifestation du samedi, une attaque de l’ultragauche, etc. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Il faut dire clairement les choses, mesdames, messieurs les sénateurs. Personne ici, j’imagine, ne se revendique de l’ultragauche ; ce n’est vraiment pas une attaque ad hominem.
Nous utilisons beaucoup les CRS et les gendarmes mobiles, et nous sommes contraints de rogner sur leurs congés et leurs formations pour parer au plus pressé, c’est-à-dire l’ordre public. J’ajoute que, dans ces conditions, ils assurent moins bien cette mission, puisqu’ils sont fatigués et pas assez formés… Le chat se mord la queue !
Quinze unités de forces mobiles avaient été supprimées. Nous en recréons onze, pas seulement pour mettre davantage de policiers et de gendarmes sur le terrain, mais aussi pour permettre aux agents de se reposer et de se former. C’est la règle des trois tiers : action, repos, formation.
J’ai déjà répondu à M. le rapporteur sur le dépôt de plaintes en ligne. Je pense vous avoir convaincue, madame la sénatrice. Vous le savez, il y a du bon sens à avoir dans l’utilisation de l’outil numérique par le ministère de l’intérieur.
La police technique et scientifique n’est pas véritablement une police au sens légal, puisque ses agents sont obligés de demander des réquisitions et des protocoles pour intervenir. Cela fait perdre un temps fou. Il faut faire confiance aux agents techniques, administratifs et scientifiques du ministère de l’intérieur ! Les services de police ne peuvent pas être les seuls à faire des protocoles entre eux avant d’intervenir ; c’est de la gabegie administrative. Il ne s’agit évidemment pas de laisser la police technique et scientifique sans contrôle.
Madame Assassi, vous m’avez enfin interpellé sur ma politique en faveur de la jeunesse. Mais la jeunesse est dans les forces de l’ordre ! Les élèves en formation pour devenir gardiens de la paix ou gendarmes ont 19 ans, 20 ans ou 21 ans. Et ce sont les enfants du peuple. Les enfants du CAC 40 deviennent rarement gardiens de la paix ; on peut le regretter, mais c’est ainsi. Je ne veux donc pas opposer les forces de l’ordre à la jeunesse.
Je veux remercier M. Durain de ses encouragements. Je comprends ses interrogations. Je suis notamment favorable à l’amendement qu’il a déposé en commission avec sa collègue rapporteure de la mission d’information sur l’organisation de la police judiciaire.
Je voudrais simplement apporter une correction sur un point, monsieur le sénateur : l’immigration n’a jamais fait partie de la première version de la Lopmi. Il y aura un texte dédié à ce sujet.
Madame Vérien a évoqué les 400 000 affaires de violences intrafamiliales. Nous doublons le nombre d’enquêteurs spécialisés. Les efforts que nous produisons en faveur de l’investigation leur sont largement destinés. Nous augmentons aussi le nombre d’assistants sociaux et l’aide psychologique.
J’ajoute – le sujet a aussi été évoqué par M. Bourgi – qu’à titre personnel, je suis favorable à la mise en place d’une juridiction spécialisée pour les violences intrafamiliales, comme cela existe en Espagne. La question relève évidemment de la compétence du ministère de la justice, mais le ministère de l’intérieur a une position très claire en faveur de telles juridictions. La Première ministre s’est également exprimée sur le sujet. En tout cas, les policiers et les gendarmes ont déjà produit beaucoup d’efforts ; ils doivent continuer. L’existence d’une juridiction spécialisée peut les y aider.
Je le précise, 30 % des victimes tombées sous les coups de leur conjoint – il s’agit très majoritairement de femmes – avaient déposé une plainte ou fait un signalement auprès de la police ou de la justice. En d’autres termes, si les services doivent encore s’améliorer et se former pour mieux accueillir la parole, cela ne suffira malheureusement pas pour résoudre le problème des violences intrafamiliales et mettre un terme à ce que nous appelons aujourd’hui les féminicides.
Le devoir d’alerte incombe aussi à d’autres pans de la société – je pense notamment au monde associatif ou aux personnels soignants – qui ne sont pas toujours au rendez-vous.
Nous pourrons naturellement en parler dans le cadre de votre rapport. Mais ne faisons pas comme si seuls les policiers et les gendarmes pourraient, par une meilleure formation, empêcher tous les féminicides. Ils pourront évidemment réduire au maximum le risque. Mais ce n’est pas l’alpha et l’oméga de la lutte contre les violences intrafamiliales, même si c’est évidemment très important.
Enfin, il n’y a pas de dispositions liées à l’ordre public dans le projet de loi, mais nous aurons certainement à en débattre en vue de la tenue des jeux Olympiques.
Monsieur Ravier n’est plus là, mais, de là où il est, il doit nous entendre. (Rires.)
Il semblait regretter qu’il n’y ait pas de dispositions relatives aux polices municipales dans cette Lopmi. Il a donc dû manquer le tome I de nos discussions, puisque le sujet faisait partie de la proposition de loi relative à la sécurité globale, dont nous avons débattu en 2020 et 2021. Ensuite, il n’a pas dû voir la décision du Conseil constitutionnel qui indiquait en substance que, si nous voulions aller plus loin dans les pouvoirs donnés aux polices municipales, il faudrait placer ces dernières sous l’autorité du procureur de la République. Je ne connais pas beaucoup de maires qui y soient favorables. S’il y a des volontaires, qu’ils n’hésitent pas à se manifester… L’autre option serait de changer la Constitution, mais cela ne relève pas d’un projet de loi ordinaire comme celui dont nous discutons aujourd’hui.
Au demeurant, la position de M. Ravier, qui voudrait donner plus de pouvoirs judiciaires aux polices municipales tout en refusant que la police judiciaire se réforme, me paraît un peu contradictoire sur le plan intellectuel…
J’ai déjà indiqué qu’il y aurait un texte spécifique sur l’immigration. J’espère que nous pourrons débattre sur le sujet avec M. Ravier.
Monsieur Karoutchi a évoqué, comme d’autres sénateurs, la réforme de la police nationale.
J’ai conscience des difficultés qui se posent et des interrogations des uns et des autres, comme pour toute réforme importante. Et celle-ci est tellement importante qu’elle avait été demandée pour la première fois par l’un de mes prédécesseurs, Pierre Joxe, lors de son deuxième passage au ministère de l’intérieur, c’est-à-dire à partir de 1988… Je rejoins M. Leroy, qui a souligné à juste titre combien Pierre Joxe fut un grand ministre de l’intérieur : il fut notamment le premier à regretter que la police nationale travaille en silo.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous me reprochez souvent de ne pas suffisamment écouter le Sénat. Et quand nous l’écoutons, vous nous reprochez d’aller trop vite et vous nous demandez pourquoi nous faisons telle ou telle réforme.
Monsieur Karoutchi, depuis vingt-cinq ans, il y a eu sept rapports, issus de majorités sénatoriales différentes, et, selon la règle consensuelle en cours à la Haute Assemblée, avec un président et un rapporteur de couleurs politiques distinctes. Tous préconisaient la réforme de la police nationale que nous mettons en place.
Le dernier en date a été remis par MM. Boutant, sénateur socialiste, et Grosdidier, du groupe Les Républicains. On peut y lire ceci : « Tandis que la gendarmerie nationale bénéficie d’une structure unifiée de commandement et d’un esprit de corps affirmé, la police nationale souffre de sa forte segmentation et d’un manque patent de cohésion qui pèsent, au quotidien, sur les agents comme sur l’efficacité des services. » Je ne dis pas autre chose. Les auteurs pointent encore, à l’échelon national comme à l’échelon territorial, « une organisation peu centralisée, éclatée entre plusieurs centres de commandement. »
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est ce à quoi nous remédions. La gendarmerie nationale, c’est un commandement et des filières spécialisées, les sections de recherche. Ces dernières rendent compte au général qui commande la région. La section spécialisée de police judiciaire est saisie par les magistrats, et ce depuis deux siècles. Les magistrats n’ont jamais dit que le fait de saisir les gendarmes – ils le font bien volontiers – était attentatoire à la séparation des pouvoirs.
Monsieur Dominati, la préfecture de police fonctionne avec une unité de commandement. Le préfet de police chapeaute tous les services de police dans une zone qui concentre – on peut le regretter – 35 % de la délinquance ; vous disiez que c’était le cœur de notre pays. Le directeur de la police judiciaire rend évidemment compte au préfet de police, mais, pour les enquêtes, c’est aux magistrats qu’il répond.
C’est la police nationale qui est l’exception à la règle, et non l’inverse. Certes, il y a des interrogations ; on peut toujours en discuter. Mais j’ai tout de même tendance à approuver les sept rapports sénatoriaux.
Monsieur Karoutchi, vous ne pouvez pas dire que les rapports parlementaires ne sont jamais suivis d’effets et regretter que des gens soient mécontents quand on les suit. S’il y a des inquiétudes, travaillons ensemble pour y répondre.
Monsieur Richard, le calendrier est clair. Il y a des élections professionnelles au début du mois de décembre. Vous comprenez bien que je ne peux pas discuter d’une réforme quand les syndicats sont en campagne. J’attends que les policiers élisent leurs représentants syndicaux.
Des expérimentations se sont déjà déroulées outre-mer. M. Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, pourrait peut-être témoigner du fait que la direction technique de la police nationale est désormais plus efficace. En Guyane, même le procureur général en convient. En Martinique et en Guadeloupe, c’est pareil. Je reviens de Savoie, où un syndicat de police vient de faire son congrès ; tout le monde considère que les choses s’y passent bien. Certes, il peut y avoir des difficultés ailleurs. Mais nous devons attendre le retour de ces expérimentations. J’ai demandé un rapport avec les contributions de l’inspection générale de l’administration, de l’inspection générale de la police nationale et de l’inspection générale des services judiciaires. Il y aura également un rapport du Sénat et un rapport de l’Assemblée nationale.
Le 15 décembre, je serai en possession de ces documents. Je demanderai aux syndicats de venir me voir. Nous discuterons de la réforme à ce moment-là, en amendant ce qui devra être amendé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, on ne peut pas rester dans un monde où on ne se réfère qu’à Clemenceau ! Je ne serai évidemment jamais à la hauteur de ce grand personnage, pas même à la hauteur du petit doigt de l’orteil ou de la moustache, monsieur Karoutchi… (Sourires.)
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Pour mettre un tigre dans son moteur, il vaut mieux avoir du carburant ! (Nouveaux sourires.)
M. Gérald Darmanin, ministre. Depuis Clemenceau, on a inventé internet, la mondialisation, etc. Aujourd’hui, les réseaux de trafiquants de drogue sont commandés de Dubaï, la marchandise arrivant dans les ports du Havre ou du Marseille avant d’être distribuée dans les points de deal près de chez vous. Les taux d’élucidation se sont malheureusement dégradés. On ne peut pas se satisfaire de ce constat que tout le monde dresse, aussi bien la Cour des comptes que les deux chambres parlementaires ou les anciens directeurs généraux de la police nationale, et se dire qu’il ne faut pas changer les organisations que Clemenceau a inventées. Quand ce dernier a créé la police judiciaire, il est parti du constat que quelque chose ne fonctionnait pas, la criminalité étant de plus en plus organisée. Il a retiré la police aux pouvoirs municipaux, mesdames, messieurs les sénateurs…
M. Alain Richard. Bien sûr !
M. Gérald Darmanin, ministre. Les maires et les polices municipales ont alors fait beaucoup de manifestations. Il a obligé – c’était sans doute moins démocratique à l’époque – les forces de police à mieux s’organiser, d’où la naissance de la police criminelle. Face à une criminalité organisée, il a voulu une police organisée.
Face à une criminalité numérique, internationale, multiforme, qui nécessite désormais que la police des étrangers soit en lien avec la police judiciaire, avec la police de sécurité publique, avec les renseignements pour pouvoir lutter contre les délinquances fortes que vous dénoncez à juste raison, il faut réformer la police nationale. Pas contre tout le monde, ni de manière autoritaire ! Mais cela fait trente ans que l’on parle de cette réforme : Pierre Joxe en a parlé, le livre blanc de la sécurité recommandait de la faire, puis elle a été évoquée dans le Beauvau de la sécurité. Au bout de trente ans, le moment est peut-être venu d’agir…
Je veux rassurer ici les magistrats. Ils auront évidemment toujours l’immense et entière responsabilité des enquêtes. Eux seuls peuvent donner des ordres aux policiers et aux gendarmes dans le cadre des enquêtes. Ni le préfet, ni le directeur départemental de la police nationale, ni le commandant de gendarmerie n’auront ce pouvoir. Les magistrats auront le libre choix du service, en application de l’article 12 du code de procédure pénale, et les affaires de probité et de délinquance financière, qui inquiètent les préfets et les élus, remonteront à un échelon supérieur.
Nous allons continuer à discuter et à concerter. Mais, je tiens à le souligner, ce que nous faisons là n’est pas sorti de mon chapeau : c’est le résultat de trente ans de réflexions sur le sujet. Sans préempter le débat que nous pourrons avoir, je rappelle quand même qu’il s’agit là de dispositions de nature non législative. Nous souhaitons changer 176 textes réglementaires. Nous avons par honnêteté évoqué la réforme dans le rapport annexé, qui pourra être amendé.
Néanmoins, j’insiste : il faut savoir réformer lorsque le besoin s’en fait vraiment sentir. Étant le ministre de l’intérieur qui a obtenu le plus de moyens pour les forces de l’ordre et qui les défend urbi et orbi, je pense pouvoir me permettre de leur dire qu’il faut savoir se réformer parfois, tout en respectant profondément leur métier, leurs filières et leurs actions. La police a été créée pour les citoyens, et pas pour nous-mêmes.
Monsieur Benarroche, vous me demandez de ne pas faire d’amalgames politiques faciles. C’est, en quelque sorte, votre vaccin : vous vous prémunissez par avance de ce que je pourrais dire. Pourtant, pour améliorer la souffrance au travail et le sens du devoir des policiers, il vaut mieux, me semble-t-il, ne pas trop les insulter en clamant que la police tue. Cela les aiderait peut-être à aller mieux.
Et, alors que vous demandez de ne pas faire d’amalgames politiques, il paraît légèrement excessif de me qualifier d’Orwell à la tribune de la Haute Assemblée. D’abord, je n’ai pas son talent littéraire. Ensuite, je suis né en 1982, et pas en 1984. (Exclamations amusées.)
M. Loïc Hervé, rapporteur. Bien joué !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je vais essayer de répondre à vos critiques sur le fond.
D’abord, vous réclamez la création d’une police environnementale. Vous allez donc voter le texte, parce que nous allons créer la première gendarmerie verte, et nous renforçons de manière très importante l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp). Félicitons-nous de cette avancée très importante.
Ensuite, vous dénoncez le caractère disparate des amendes forfaitaires délictuelles (AFD). Vous rejetez la réforme de la police nationale en pointant notre prétendu autoritarisme et notre volonté d’affaiblir les magistrats, tout en regrettant la disparité des AFD selon les départements. Certes, le nombre de grammes de cannabis qui déclenche l’AFD dans le Val-d’Oise n’est pas le même qu’en Savoie. Mais c’est bien le procureur de la République, et non le ministre de l’intérieur, qui définit la politique pénale. L’AFD respecte donc profondément l’indépendance des magistrats. Une fois voté le principe de l’amende forfaitaire délictuelle pour la consommation de cannabis, ce sont les procureurs de la République qui prennent une circulaire dans leur ressort pour appliquer la loi. Tel procureur de la République peut alors considérer que la détention de 15 grammes de cannabis est assez grave pour justifier l’interpellation, la garde à vue et le défèrement. Dans d’autres départements, comme le Val-d’Oise, une telle quantité est moins exceptionnelle, et on préfère fixer la limite à 30 grammes. En dessous, on recourt à l’AFD, et au-dessus, on défère. Mais c’est le procureur qui décide. Ce n’est pas le commissaire de police, le ministre de l’intérieur ou le gardien de la paix.
Je le répète, cela peut apparaître disparate, mais il faut accepter que les procureurs ne répondent pas tous au ministre de la justice, a fortiori au ministre de l’intérieur.
Monsieur Benarroche, vous défendez la liberté du magistrat et vous regrettez en même temps qu’il y ait trop de différences entre les ressorts. La politique pénale, monsieur le sénateur, n’est pas définie par le ministre de l’intérieur ; elle est définie par le garde des sceaux et par les circulaires pénales. Ce que nous vous demandons, ce n’est rien d’autre que de permettre à la sanction d’être appliquée. En effet, les délits que nous allons évoquer ne connaissent pas de sanctions, à l’exception du rappel à la loi, qui n’est pas une sanction au sens où l’entendent nos concitoyens. Quand quelqu’un fait un tag, il est absurde de l’envoyer en prison, ce que le code pénal prévoit pourtant, mais il faut une sanction, faute de quoi cela reviendrait à une incitation à récidiver.
La question n’est pas de savoir si nous nous substituons ou pas au juge. Elle est de savoir si nous considérons que les délits que nous évoquons méritent la contravention avec inscription au casier judiciaire, sous l’autorité du procureur, ou une procédure pénale. Ce sont des gouvernements de gauche qui ont créé les AFD pour les infractions routières. Ce n’est pas un débat d’atteinte à la justice de notre pays. C’est un débat sur l’efficacité de la justice et sa simplicité. N’ouvrons pas de faux débats.
Monsieur Bourgi, vous avez évoqué le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). J’ai été très étonné de votre intervention. Je ne sais pas ce qui se passe dans l’Hérault. Je vais demander au préfet Moutouh ce qu’il fait de son argent. En 2022, il y avait 5 millions d’euros de plus qu’en 2021 sur le FIPD pour les caméras de vidéoprotection. En 2021, c’était déjà 5 millions d’euros de plus qu’en 2019. Comme c’est réparti par département, peut-être que M. Delafosse prend tout l’argent. Il faut en parler avec lui.
M. Hussein Bourgi. C’est tout pour Béziers et Sète !
M. Gérald Darmanin, ministre. Dans le projet de loi pour 2023, ce sont encore 5 millions d’euros de plus. Je vais regarder plus précisément ce qui se passe dans l’Hérault.
De l’argent, il y en a, et je demande plutôt aux élus de le dépenser. Il y a malheureusement encore des maires qui pensent que les caméras de vidéoprotection, ce n’est pas bien. Il y en a même, dans le département du Rhône, qui m’ont dit qu’il était dangereux que les policiers surveillent les caméras. Je crois que vous les connaissez, monsieur le président de la commission des lois.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Oui !
M. Gérald Darmanin, ministre. Aussi, je suis très heureux qu’un sénateur socialiste demande des caméras de vidéoprotection. Je trouverai de l’argent pour tout sénateur de votre groupe qui en réclamera. (« Et pour les autres ? » sur les travées du groupe Les Républicains.)
Sur les Lapi, vous avez parfaitement raison ; c’est tout à fait réglementaire. Je m’engage à ce que les maires puissent obtenir la compétence sur ce point. C’est un peu complexe. M. Hervé, votre rapporteur, est également votre représentant à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). C’est d’ailleurs plutôt lui que vous devez convaincre, mais nous en reparlerons.
Je pense vous avoir répondu sur les brigades de gendarmerie. À mon sens, la ville de Montpellier n’a pas à se plaindre du ministère de l’intérieur sur la question des effectifs, qui sont effectivement nécessaires pour lutter contre la délinquance.
Monsieur Wattebled, vous avez également évoqué les conditions matérielles, qui sont dégradées. Vous avez parfaitement raison. Quand j’étais ministre des comptes publics, j’étais toujours étonné de constater que le ministère de l’intérieur était un des seuls ministères où le titre 2, les dépenses de personnel, allait croissant, alors que le hors titre 2, les dépenses de matériel, était, en proportion, décroissant. Je me doutais que c’était un problème. Si vous augmentez sans cesse les effectifs et les moyens humains, y compris en rémunérations, sans accompagner cette augmentation de moyens technologiques, matériels, que ce soit des commissariats, des brigades de gendarmerie, des véhicules, il y a évidemment une distorsion. Nous avons tous effectué des sorties avec les forces de l’ordre dans des véhicules qui tenaient avec des fils de fer. Nos policiers et gendarmes ont vu l’énorme effort que nous avons consenti à leur profit, dans le plan de relance, ce qui n’était pas évident au début. Les 5008 en sont la plus belle vitrine, mais il y a eu d’autres améliorations matérielles. Je pourrais vous faire le détail du bilan du quinquennat précédent.
Le projet de loi que nous vous présentons est en même temps une stratégie budgétaire. Notre objectif est que le titre 2 augmente autant, voire moins que le hors titre 2. Je veux le redire ici à la représentation nationale, c’est le premier texte qui prévoit plus de crédits en matériel et technologie qu’en personnels. C’est la première fois que nous osons dire aux policiers et aux gendarmes que, si l’on peut envisager des créations de postes et des augmentations de rémunération, l’important pour eux est le rattrapage technologique, matériel, avec les casernes, brigades et commissariats que nous devons rénover, recréer, mutualiser. Tout cela va au-delà du simple chèque en plus. À mon sens, c’est la stratégie budgétaire derrière les 15 milliards d’euros qui est importante.
Monsieur Wattebled, quand on dit que, sur cette somme, 7 milliards d’euros à 8 milliards d’euros vont sur le numérique et le cyber, la perception n’est pas immédiate pour nos concitoyens, comme pour nos forces de l’ordre, qui préfèrent le « ici et maintenant » pour les moyens matériels. Nous sommes persuadés que, pour les aider à gagner demain la bataille contre la délinquance, nous devons éviter de prendre un train de retard, comme d’habitude, et rattraper simplement par le numéraire ce que l’on n’arrivait pas à leur donner en matériel. Je souhaite que cette loi marque aussi un changement dans la politique budgétaire du ministère de l’intérieur. Comme dans l’armée, le matériel doit être aussi important que les moyens humains. C’est pour cela que nous essayons de faire une loi de programmation.
Monsieur Dominati, vous avez eu la gentillesse de me rappeler que nous sommes peu de chose en soulignant que j’étais le septième ministre de l’intérieur en sept ans. (Sourires.) Quand je suis arrivé dans ce ministère, les syndicats de policiers m’ont eux aussi rappelé que les ministres passaient, quand les syndicalistes restaient. C’était un moment très sympathique… J’ai déjà connu quatre départs de responsables syndicaux depuis que je suis là. (Nouveaux sourires.) Aussi, dorénavant, j’introduis les congrès syndicaux en disant que les syndicalistes passent et que le ministre reste.
Il se trouve que, sur ces sept ans, j’ai quasiment fait deux ans et demi. Votre formule était donc belle, mais pas adaptée à mon cas personnel. Dans trois mois et demi, me semble-t-il, j’aurai atteint le niveau de vie de M. Cazeneuve. Si je termine l’année 2023, j’aurai dépassé la longévité de M. Defferre. Si je vais jusqu’aux jeux Olympiques, je serai juste en dessous de M. Marcellin, qu’a très bien connu M. Daubresse.
Je suis d’accord avec vous. Il faut durer, et endurer, sans doute, au ministère de l’intérieur pour faire des réformes en profondeur. Je suis très heureux d’avoir été confirmé à ce poste par le Président de la République, non pas pour le seul plaisir d’être ministre, mais pour enfin accorder du temps long au ministère de l’intérieur, la durée moyenne de présence de mes prédécesseurs ayant été de moins d’un an. Vous ne pouvez pas faire des réformes structurelles, vu l’urgence qui fait le quotidien de cette maison, si vos directeurs, Bercy et l’ensemble de l’administration sont persuadés que vous allez passer vite. Certes, je ne suis pas propriétaire de mon poste, mais plus longtemps je resterai, plus longtemps j’essayerai de porter des réformes permettant de voir loin et de transformer fondamentalement la police.
Vous avez évoqué deux grandes réformes, dont l’une n’est pas dans le présent projet de loi.
La réforme que nous portons, c’est le doublement de la présence policière et « gendarmesque » sur le terrain. Ce point est très important. C’est le cœur de notre discussion, avec la question du cyber. Il ne s’agit pas du doublement du nombre de policiers ou de gendarmes. C’est le doublement de la présence policière. Il y a des effectifs en plus. On vous en a demandé 10 000 dans le quinquennat précédent, dont 4 000 sont partis dans les services de renseignement. Cela nous a laissé environ 6 000 policiers et gendarmes. Nous vous en demandons 8 500 pour le quinquennat qui s’ouvre. Plus de policiers et de gendarmes, c’est plus de présence sur la voie publique.
Mais cela n’est pas suffisant pour doubler la présence de voie publique. Comment allons-nous procéder ?
D’abord, nous allons faire faire des efforts aux policiers et gendarmes sur leur taux horaire. Comme vous l’avez signalé, monsieur le sénateur, nous avons mis fin au cycle dispendieux de la police nationale. Les policiers étaient moins présents sur la voie publique, en vertu d’un accord tacite, sorte de deal social négatif pour tout le monde : comme on n’arrivait pas à régler les problèmes matériels de la police ni la délinquance, on acceptait qu’ils soient moins présents sur le terrain.
Avec le système que nous avons mis en place, là où il fallait huit policiers pour qu’il y en ait un sur la voie publique, sept suffisent maintenant. Cela peut vous paraître trop peu, mais c’est un premier effort. Dans tous les commissariats de France, désormais, nous sommes passés à ce que l’on appelle le rythme binaire, amélioré dans quelques commissariats.
Ensuite, je veux insister sur la réserve. Ce qui marchait admirablement pour la gendarmerie nationale n’existait pas pour la police nationale. C’est un excellent sujet police-population que des boulangers, des ouvriers, des cadres, des petits patrons, des grands patrons, des moyens patrons aillent passer quelques jours sous l’uniforme, après une formation, pour travailler dans la police nationale, qui bénéficie en retour d’expériences professionnelles de la société civile.
La création de la réserve de la police nationale est une grande avancée pour cette institution. Monsieur le rapporteur pour avis de la commission de la défense, nous allons sanctifier les crédits de réserve. En effet, par manque de cohésion budgétaire, aux mois d’août et septembre, les commandants de groupement de la gendarmerie n’avaient plus les moyens d’appeler de la réserve, ces crédits étant les plus facilement annulables dans un projet de loi de finances rectificative. Désormais, grâce au texte que je propose, 100 % des crédits de réserve seront gelés. Ils ne pourront pas être « dégelés ». Tout cela contribuera au doublement de la présence.
Par ailleurs, nous simplifions la procédure pénale. Mesdames, messieurs les sénateurs, en deux ans, nous avons fait une réforme considérable, qui n’est pas visible de façon évidente et qui ne fait pas la une du 20 heures. Désormais, tous les policiers et les gendarmes ont un appareil de ce genre sur eux. (M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer montre un smartphone.) C’est un téléphone NEO, d’ailleurs produit par une PME d’Aix-en-Provence, que je vous demande de promouvoir. Grâce à cet outil – ils ne l’avaient pas tous et pas dans ces conditions –, les policiers et gendarmes ne retournent pas à la caserne ou au commissariat pour regarder le fichier, éditer la contravention ou faire un certain nombre d’analyses, ce qui leur prenait auparavant beaucoup de temps. Il fallait appeler le centre d’information et de commandement (CIC), attendre sa réponse, retourner au commissariat, etc. Bref, on perdait beaucoup de temps. Désormais, ils font tout grâce à leur téléphone individualisé. Le réseau Radio du futur sera accessible par ce téléphone. Aujourd’hui, les policiers sont encombrés par un gros appareil radio ; c’est très pratique quand on fait une filature en civil… Dans un an, c’est fini. Tout sera sur ce téléphone, son comme image. L’ensemble des policiers et gendarmes, peut-être demain les pompiers, les douaniers, les agents de l’administration pénitentiaire, auront le même réseau.
Avec une telle simplification, qui ne fait pas la une des journaux, nous permettons plus de présence de voie publique. Quand elles ne sont pas au commissariat ou à la brigade à vérifier les fichiers, nos forces de l’ordre sont sur le terrain.
Évidemment, la procédure pénale a son importance. Nous faisons de la petite procédure pénale simplifiée. Lors du Beauvau de la sécurité, le Président de la République a par exemple demandé que l’on simplifie l’enquête préliminaire et l’enquête de flagrance en les mettant dans un seul cadre. Le temps gagné sera considérable pour les services de police.
Je veux vous convaincre, monsieur le sénateur, que le doublement de la présence policière est fondé sur une vraie stratégie, d’une part, budgétaire, d’où la programmation, et, d’autre part, de transformation du ministère de l’intérieur.
Pourquoi ne réformons-nous pas la préfecture de police de Paris ? Ou plutôt, faut-il réformer la préfecture de police de Paris ? Je sais que vous y êtes favorable, monsieur le sénateur. La préfecture de police est le produit de l’Histoire. À Paris, le maire n’a pas le pouvoir de police qu’ont les autres maires. C’est une réflexion que le Parlement peut conduire, mais Paris n’est pas une ville comme les autres : il y a tous les lieux de pouvoir, à commencer par les assemblées parlementaires, et cette ville connaît 23 % de la délinquance de toute la France. Quand vous tenez la délinquance à Paris, vous tenez une grande partie de la délinquance du pays.
Faut-il des moyens exceptionnels pour un endroit exceptionnel ? J’ai plutôt tendance à répondre par l’affirmative.
Faut-il entamer la réforme, difficile, de la préfecture de police au moment où nous devons remporter la victoire contre la délinquance à Paris, qui est très importante – le fait qu’il y ait eu plus de voitures brûlées à Paris qu’en Seine-Saint-Denis le 14 juillet traduit me semble-t-il, un changement de l’urbanisme et de la politique parisienne et doit interroger un certain nombre d’observateurs ; je le dis sans intention politicienne –, et organiser les jeux Olympiques ? Je ne suis pas certain qu’il faille bousculer le fonctionnement, certes original, mais quand même performant, de la préfecture de police dans cette période cruciale pour l’image de notre pays. En effet, 600 000 personnes sont attendues pour la cérémonie d’ouverture des JO ! Vous me répondrez peut-être que, vu comme cela, ce n’est jamais le bon moment pour réformer… Pour ma part, j’ai donné deux missions au préfet de police de Paris : faire baisser la délinquance et réussir les JO.
Si, m’approchant de la longévité de M. Marcellin, je survis à la Haute Assemblée, à ses rapporteurs, aux chiffres de la délinquance, aux dossiers urgents qu’un ministre de l’intérieur peut voir s’accumuler tous les jours sur son bureau, à la dissolution de l’Assemblée nationale, à la Coupe du monde de rugby et aux jeux Olympiques, et si, au mois de septembre 2024, monsieur Dominati, vous m’interrogez sur les nouveaux chantiers à ouvrir, peut-être aurai-je une réponse différente. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC – Mme Agnès Canayer applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur
TITRE Ier
OBJECTIFS ET MOYENS DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR
Article 1er
Le rapport annexé sur la modernisation du ministère de l’intérieur est approuvé.
RAPPORT ANNEXÉ
INTRODUCTION
Transformer l’institution pour être à la hauteur des attentes des citoyens : telle est l’ambition qui fédère l’ensemble des agents et forces du ministère de l’intérieur pour les cinq prochaines années. La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) fixe une trajectoire à cette ambition jusqu’en 2027 grâce à des moyens humains, juridiques, budgétaires et matériels inédits.
Ce texte est d’abord une loi de transformation numérique, qui saisit toutes les opportunités offertes par les nouvelles technologies pour améliorer le service rendu au citoyen, grâce à des démarches simples, pratiques et accessibles à tous, quel que soit leur lieu de vie. Cette modernisation ne sera possible qu’en offrant aux agents du ministère de l’intérieur les outils numériques et la formation pour en tirer pleinement profit. Travailler en mobilité, accéder depuis le terrain aux ressources utiles, aller vers les citoyens – notamment les plus fragiles –, mener à bien les grands projets numériques qui simplifieront la vie de tous les agents du ministère et des citoyens ne sera plus l’exception, mais le quotidien.
Le cyber constitue en outre un nouvel espace à investir : non seulement les menaces de « la vie réelle » trouvent, pour la plupart, leur prolongement dans le cyberespace, mais le numérique est de surcroît le théâtre de l’émergence de risques nouveaux. Au sein d’un ministère de l’intérieur chef de file en matière de lutte contre la cybercriminalité, les forces de sécurité intérieure seront ainsi davantage présentes dans l’espace cyber, pour protéger les Français et les institutions des menaces nouvelles. Ces actions contribueront à répondre à la première des attentes des citoyens, à savoir des résultats à la fois rapides et visibles de l’action de l’État.
Efficacité et proximité seront au cœur de la mission de sécurité pour ces cinq prochaines années. Pour affirmer cette présence, de nouvelles implantations du ministère mailleront le territoire, relais de ces forces présentes au plus près des citoyens et relais de l’État au cœur des départements. Préfets et sous-préfets à la tête des services de l’État local devront continuer à travailler avec les forces vives des territoires, au premier rang desquels les élus et les collectivités, les entreprises, les associations, les services publics afin de construire des projets de développement au plus près du terrain et d’affermir le continuum de sécurité. Articulation approfondie avec le réseau France Services, fonds d’ingénierie locale et moyens renforcés pour affronter plus facilement les crises graves renforceront l’action du réseau préfectoral au service des Français.
Policiers et gendarmes seront davantage sur le terrain et verront leur présence doublée sur la voie publique d’ici 2030. Face à la délinquance et aux menaces persistantes – violences liées au trafic de drogue, violences intrafamiliales et sexuelles, atteintes aux biens, etc. – l’insécurité ne peut reculer que grâce à des policiers et des gendarmes présents là où il faut et quand il le faut, dotés de nouveaux outils juridiques et numériques (utilisation de logiciels de retranscription, de nouveaux outils numériques pendant l’enquête, etc.) pour prévenir, enquêter et confondre les délinquants. Le travail en mobilité permettra aux policiers et aux gendarmes de passer moins de temps au commissariat ou à la caserne et davantage sur la voie publique.
Cette action résolue va de pair avec un effort sans précédent pour mieux accueillir et accompagner les victimes. Mais cette ambition de proximité serait incomplète si nos policiers et gendarmes n’étaient pas demain davantage à l’image de la population française qu’ils ne le sont aujourd’hui. Mieux formés, exemplaires, ils donneront envie aux jeunes de rejoindre le ministère de l’intérieur de demain, qui s’ouvrira davantage sur la société.
Transformation numérique, efficacité et proximité permettront au ministère de l’intérieur de mieux faire face aux crises et menaces d’aujourd’hui et de demain, au cœur d’une société rendue plus résiliente. Les défis sont nombreux tandis que les crises s’enchaînent : les crises sanitaires, climatiques, d’ordre public pourraient être suivies demain, sans pour autant disparaître, de crises cyber, NRBC ou mélangeant l’ensemble de ces dimensions. Si notre modèle de gestion de crise a fait ses preuves, il sera renforcé à tous les échelons par des moyens humains et technologiques pour faire de la France une référence européenne, et structuré par des responsabilités mieux définies pour lui donner une véritable capacité d’anticipation. Cette mutation est d’autant plus nécessaire dans la perspective des grands événements (Coupe du monde de rugby, Jeux olympiques et paralympiques) qu’accueille la France et qui vont concentrer sur notre pays l’attention du monde entier.
Au-delà des crises, notre société devra également être plus robuste dans sa réponse à toutes les formes de délinquance et de criminalité, du terrorisme et de la criminalité organisée jusqu’aux actes de « petite délinquance ». La présence renforcée sur la voie publique des policiers et des gendarmes va de pair avec des moyens d’investigation renforcés et une procédure pénale drastiquement simplifiée, afin de mettre hors d’état de nuire les délinquants. La hauteur des attentes envers nos policiers et gendarmes se traduira, pour eux, par une formation et un accompagnement au quotidien renforcés ainsi que par une revalorisation ciblée sur les missions les plus difficiles ou exposées. Les citoyens ont eux aussi envie de s’engager et de contribuer à la protection de notre Nation, notamment par l’intermédiaire des réserves ou du volontariat. Cette loi saisit pleinement cette chance pour fédérer autour de causes qui réunissent nos concitoyens.
La loi prévoit des moyens sans précédent pour concrétiser cette ambition : le budget du ministère de l’intérieur sera augmenté de 15 milliards d’euros sur la période 2023-2027 pour la mise en œuvre de ces mesures nouvelles.
Une réforme de la gouvernance des investissements sera mise en œuvre. Un comité ministériel des investissements, présidé par le ministre de l’intérieur, sera institué pour examiner, pour chaque projet d’investissement majeur, la satisfaction du besoin opérationnel, la stratégie de maîtrise des risques, le coût global de l’investissement, intégrant en particulier les coûts d’exploitation et de maintenance, ainsi que la faisabilité financière d’ensemble. Le comité ministériel pourra s’appuyer, s’agissant des principaux projets d’investissement, sur l’avis d’un comité financier interministériel associant le ministère chargé du budget qui procédera à un examen contradictoire de la soutenabilité financière desdits projets de même que, chaque année, de la programmation pluriannuelle. Le renforcement du pilotage des investissements doit notamment permettre, sous la responsabilité du ministre de l’intérieur, d’assurer la cohérence d’ensemble des décisions ministérielles en matière d’investissement, de maîtriser les coûts, les délais et les spécifications des projets d’investissement majeurs mais aussi de favoriser la recherche de mutualisations et de partenariats.
1 - Une révolution numérique profonde
L’élan numérique à horizon 2030 doit permettre de remettre le numérique au cœur de l’activité du ministère de l’intérieur.
Cette impulsion vise d’abord à répondre aux menaces cyber, nouveau territoire de délinquance de masse, où les victimes ne savent pas vers qui se tourner ni comment se protéger. Les investissements permettront d’améliorer significativement la qualité du service rendu par l’administration aux citoyens dans ce domaine, mais aussi de transformer le service public rendu par l’ensemble du ministère pour une plus grande efficacité dans la lutte contre la cyberdélinquance.
Il s’agit par ailleurs de créer les conditions favorables à une plus grande ouverture des données au profit des citoyens et acteurs économiques afin de stimuler la création, par la société civile ou le tissu industriel, de nouveaux services et d’activités créatrices de valeur.
Dans son organisation, le ministère devra rendre plus lisible la production de services numériques pour les forces de l’ordre, avec une agence du numérique des forces de sécurité intérieure. Le policier et le gendarme de demain seront « augmentés » grâce à des outils numériques mobiles tant pour la procédure pénale que pour leurs missions de sécurité.
L’utilisation des nouvelles technologies dans les domaines de la sécurité ne peut faire l’économie d’une acceptation de la société civile. La loi d’orientation et de programmation est donc l’occasion de poser les bases de la nouvelle relation que le ministère souhaite construire avec la société civile sur ces sujets et de mettre en place les instances de gouvernance ou de discussion adéquates.
La transformation numérique irrigue également tous les champs de la relation aux citoyens ; chaque procédure administrative devra être accessible en ligne tout en conservant un contact humain personnalisé pour ceux qui n’ont pas accès aux nouvelles technologies.
1.1 - Un ministère chef de file de la lutte contre la cybercriminalité
La cyberdélinquance est en constante augmentation depuis plusieurs années, avec des taux de progression des faits constatés allant de 10 % à 20 % d’une année sur l’autre selon le type d’infraction.
Par ailleurs, aujourd’hui, plus de deux tiers des escroqueries trouvent leur origine ou sont facilitées par Internet. En 2019, la moitié des individus de 15 ans ou plus déclaraient avoir connu des problèmes de cybercriminalité au cours de l’année précédente (notamment renvoi vers un site frauduleux). En 2020, une entreprise sur cinq déclare avoir subi au moins une attaque par rançongiciel au cours de l’année et 58 % des cyberattaques ont eu des conséquences avérées sur l’activité économique, avec des perturbations sur la production dans 27 % des cas (Données Opinion Way pour le Club des Experts de la Sécurité de l’Information et du Numérique, Dec ’20 – Jan 21).
Le ministère de l’intérieur a un rôle clé à jouer sur le sujet de la cybercriminalité. Les volets anticipation/prévention et réponse opérationnelle doivent constituer le cœur de l’action du ministère. De fait, le risque d’une crise systémique existe : après la crise sanitaire, la prochaine crise de grande ampleur pourrait être d’origine numérique. Le niveau de dépendance à la technologie en laisse deviner l’impact (La réponse à ce constat sera traitée dans le 3e axe consacré à la gestion de crise). Parallèlement, se révèle une opportunité pour le développement et la consolidation d’un nouveau marché aux leviers de croissance très importants. Il s’agit avant tout de développer une autonomie stratégique française afin de ne pas dépendre des seules technologies étrangères.
1.1.1 - Sensibiliser et prévenir
Afin d’apporter une réponse à la hauteur de l’enjeu, l’objectif doit être de sensibiliser 100 % des entreprises et des institutions aux risques que représente la cybercriminalité. Sur l’ensemble des actions de sensibilisation ou de prévention cyber réalisées auprès des entreprises et institutions, le ministère de l’intérieur proposera de mettre à disposition son maillage pour venir en appui de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI). La présence du ministère de l’intérieur dans l’ensemble des territoires permettra ainsi la diffusion des messages de sensibilisation et des bonnes pratiques. Les équipes préfectorales seront également formées au cyber dans cette perspective.
Parallèlement, et aux fins de casser le modèle économique des cyber-délinquants, les clauses de remboursement des rançons par les assurances cyber seront mieux encadrées et les paiements de rançons devront être déclarés aux forces de sécurité ou à l’autorité judiciaire, afin que les services compétents disposent des informations nécessaires pour poursuivre les auteurs de l’infraction. Ainsi, une clause assurantielle visant à couvrir un tel risque ne pourrait être mise en œuvre que dans la mesure où les forces de sécurité ou l’autorité judiciaire ont été informées par un dépôt de plainte. Cette stratégie consiste à attaquer le modèle de rentabilité de l’écosystème cybercriminel afin de décourager les cyber-attaquants. En effet, si la position des services compétents a toujours été de recommander le non-paiement des rançons, la dégradation rapide de la situation appelle à une action publique plus déterminée afin de s’assurer, que dans les cas où une rançon a été payée, les autorités compétentes disposent des informations nécessaires pour poursuivre les auteurs de l’infraction. La régulation de la couverture assurantielle du paiement de rançons apparaît ainsi comme nécessaire.
1.1.2 - Adapter la réponse opérationnelle
Le cyber constitue désormais un nouveau territoire de délinquance de masse qui impose au ministère de l’intérieur d’opérer une « révolution copernicienne » sur le sujet.
Dans ce contexte, se développent également de véritables mafias cybercriminelles qui se structurent en sous-groupes spécialisés et s’articulent de manière très agile pour organiser des cyberattaques contre des grandes entreprises ou des institutions ainsi que de la grande délinquance financière sur internet.
Si des succès opérationnels récents ont mis fin à une longue période d’impunité, il est nécessaire de renforcer la réponse opérationnelle face à la cybercriminalité. Le travail de renseignement devra être accru sur ces organisations qui peuvent toucher les intérêts fondamentaux de la Nation ou entraîner des dégâts systémiques sur son fonctionnement, en lien avec le travail interministériel réalisé en format C4, entité présidée au nom du Premier ministre par le SGDSN, au sein de laquelle la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) siège pour le compte du ministère de l’intérieur, aux côtés de l’ANSSI, qui en assure le secrétariat, de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) et de COMCYBER (Commandement de la cyberdéfense). De nouveaux pans du renseignement criminel seront développés au sein des services spécialisés du ministère de l’intérieur pour mener une politique d’entrave systématique des cyber-attaquants sur le territoire national, en lien étroit avec l’ensemble des services partenaires, notamment européens.
Pour concrétiser cette ambition, un plan d’investissement technologique mais également de formation et de recrutement ambitieux au sein des forces de sécurité intérieure sera mis en place, pour aller chercher les meilleurs profils issus de la société civile, notamment les cyber-réservistes. Pour renforcer l’efficience du ministère dans la lutte contre la menace cyber, une coopération plus étroite entre les services concernés sera structurée. Celle-ci se traduira notamment par une mutualisation plus importante des investissements techniques et humains à venir, ainsi que par le développement de capacités et d’outils en propre, de nature à garantir la souveraineté des opérations techniques effectuées par les services.
Parallèlement, un regroupement des capacités techniques et d’analyse du ministère de l’intérieur en matière cyber auprès du pôle régalien de cyberdéfense implanté à Rennes sera étudié, afin d’améliorer les synergies au sein de l’écosystème interministériel cyber.
Une école de formation cyber interne au ministère de l’intérieur sera mise en place afin de garantir un haut niveau de compétences des policiers et gendarmes dans la durée. La très rapide évolution des chemins d’attaque utilisés et des objets technologiques en jeu (comme les cryptomonnaies) nécessite une formation continue pour l’ensemble des services d’enquête. Cette école de formation du ministère de l’intérieur dédiée à la lutte contre la cybercriminalité, et faisant intervenir enquêteurs et formateurs extérieurs, permettra à la fois d’augmenter significativement le nombre d’enquêteurs formés et de garantir le niveau de connaissance dans le temps.
Par ailleurs, les mêmes conditions de saisie seront appliquées aux avoirs crypto-actifs (cryptomonnaies par exemple) que pour les comptes bancaires : trop souvent, les criminels convertissent le fruit de leurs malversations en crypto-actifs, qui peuvent être plus facilement dispersés et donc dissimulés.
1.1.3 - Créer un équivalent numérique de « l’appel 17 » et recruter 1 500 cyber-patrouilleurs supplémentaires
Les victimes de cette nouvelle délinquance ne sont pas préparées à ce risque et ne savent pas vers qui se tourner, du fait notamment du caractère inédit de cette menace et de la multiplicité des acteurs.
Un équivalent numérique de « l’appel 17 » sera donc mis en place afin que chaque citoyen puisse signaler en direct une attaque cyber et être mis immédiatement en relation avec un opérateur spécialisé. Ce « 17 cyber » sera construit en s’appuyant sur les outils existants, qu’il s’agisse de la plateforme numérique d’assistance aux victimes (cybermalveillance.gouv.fr) qui permet notamment la mise en relation des victimes avec des prestataires d’accompagnement, des centres de réponse à incidents régionaux, en cours de création, des dispositifs PHAROS et Perceval ainsi que de l’ANSSI. Le « 17 cyber » permettra ainsi d’éviter aux citoyens d’avoir à s’orienter dans ce dispositif de réponse à incidents : au contraire, ils seront pris en charge et bénéficieront de conseils immédiats et rassurants.
En outre, 1 500 nouveaux cyber-patrouilleurs seront formés et déployés pour mieux lutter contre la cybercriminalité. Ils pourront notamment être recrutés parmi les réservistes.
1.2 - Enrichir « l’identité numérique » des citoyens
L’identité numérique du citoyen, développée depuis 2017, constitue désormais le pivot de nouvelles perspectives au sein du ministère de l’intérieur, et plus largement pour le développement de services à l’usager qui réclament un haut niveau de confiance.
1.2.1 - Le numérique au service des citoyens
L’effort de dématérialisation et d’accessibilité des démarches dématérialisées sera poursuivi avec, comme illustration, la dématérialisation de la procuration de vote, qui permettra de supprimer le nécessaire passage devant une autorité habilitée (officier de police judiciaire ou adjoint de police judiciaire). L’usager n’aura plus à se déplacer en commissariat de police, en brigade de gendarmerie ou dans un tiers lieu autorisé par arrêté du préfet pour établir sa procuration. La demande en ligne, possible depuis le 6 avril 2021, date de la mise en service de la téléprocédure Maprocuration suffira.
Cette mesure s’appuie sur le déploiement d’une identité numérique régalienne de niveau élevé, portée par le programme France Identité Numérique, qui s’appuie sur l’outil France Connect.
Le développement de ces nouveaux outils et services numériques au sein du ministère de l’intérieur va de pair avec le renforcement de la politique de cyberdéfense du ministère afin de garantir un haut niveau de sécurité.
1.2.2 - Un contact humain pour chaque procédure dématérialisée
Afin d’améliorer l’accompagnement des usagers lors de leurs démarches en ligne et de réduire la fracture numérique, chaque téléprocédure devra être dotée d’un moyen d’accompagnement effectif et adapté à tous les usagers.
Le recours croissant aux téléprocédures et la suppression des démarches en présentiel à un guichet ne supprime pas le besoin d’accompagnement des usagers. L’accompagnement physique, par exemple dans les espaces France Services au sein desquels le ministère de l’intérieur est engagé, restera donc la solution privilégiée pour les populations les plus fragiles en difficulté avec les outils numériques ou la langue française ou les moins bien renseignées sur les possibilités de contact à distance. Le présentiel constitue pour de nombreuses personnes le mode de contact le plus sûr, qui leur garantit que l’agent en face d’elles pourra les aider et prendre en compte leur demande. Le réseau des points d’accueil numérique (PAN) des préfectures et sous-préfectures sera ainsi consolidé, par le déploiement de PAN+ qui accompagneront l’usager sur l’ensemble des démarches des préfectures. L’accompagnement par téléphone ou par « chatbot » directement sur les sites des téléprocédures permettra de rassurer immédiatement l’usager et d’échanger avec lui en temps réel, à la différence d’un échange par courriel avec des réponses souvent différées. Les agents mobilisés dans ces services seront formés à l’accueil et à l’accompagnement des personnes en situation de handicap, quelle que soit leur situation de handicap.
1.3 - Doter nos forces de sécurité d’un équipement à la pointe du numérique
L’équipement numérique offre de réelles opportunités aux policiers et gendarmes pour gagner en efficacité et, donc, mieux réaliser leurs missions au service des Français. La mise à disposition de ces nouvelles technologies a déjà largement été initiée depuis 2017, avec notamment le déploiement des caméras piétons. Celle-ci doit s’accélérer, tout en tenant compte du risque que l’addition de l’ensemble des matériels et systèmes se fasse sans cohérence, multipliant à la fois le poids et les interactions homme-machine. Le défi consiste donc à bâtir un véritable modèle cohérent de policier, gendarme ou pompier « augmenté » par le recours à des technologies de pointe.
Par ailleurs, comme pour la technologie cyber, un écosystème français « souverain » est prêt à produire ces matériels et doit être soutenu.
1.3.1 - Une agence du numérique pour les forces de sécurité intérieure
Afin de porter cette orientation stratégique de forces de sécurité « augmentées », l’agence du numérique des forces de sécurité intérieure, constituée des divers services existants et mise en place pour porter l’ensemble de ces projets, nouera des partenariats avec le secteur industriel pour permettre l’émergence d’un écosystème français.
L’agence sera placée sous contrôle des deux directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales – qui seront donc responsables de chaque euro investi – et budgétairement alimentée par leurs programmes. En lien avec le nouveau secrétaire général adjoint du ministère de l’intérieur chargé de la transformation numérique (cf. partie 1.4), elle sera chargée de faire converger les visions du numérique entre les deux directions générales et d’étudier systématiquement, pour chaque nouveau projet mené par l’une ou l’autre des directions générales, la possibilité d’en faire un projet commun.
Irriguée par des ingénieurs et des représentants des deux forces, formés à haut niveau sur le numérique et la conduite de projets, l’agence développera des outils numériques au service du terrain et de l’opérationnel. Cette agence devra particulièrement réfléchir à l’« exosquelette » du policier et du gendarme de demain, ainsi qu’à la parfaite interconnexion de l’ensemble des systèmes d’information mobilisés. Une démarche capacitaire commune sera consolidée entre cette agence et la direction générale de la sécurité intérieure, chargée de développer les capacités opérationnelles de très haut niveau dans l’espace numérique et les capacités classifiées de défense, afin de rationaliser et de mutualiser les travaux conduits de part et d’autre.
Au sein de l’agence, une cellule d’innovation et un laboratoire de recherche et développement (R&D) sur l’utilisation des nouvelles technologies dans les domaines de la sécurité permettront de dédier une partie de ses ressources à l’innovation.
1.3.2 - Policier, gendarme, pompier et agent « augmentés »
Engagé sur des interventions du quotidien, le policier ou le gendarme agit dans un environnement marqué par une menace physique variée qui nécessite une interconnexion avec de nombreux systèmes d’information et de communication. Il doit, tout à la fois, faire face à la menace, exploiter ses systèmes d’information et de communication et réaliser ses missions de sécurité au contact de la population. Aujourd’hui, « l’augmentation » du gendarme ou du policier consiste en l’adjonction de systèmes et d’équipements autour de son corps, multipliant le poids et les interactions homme-machine, ce qui n’est pas satisfaisant.
À l’horizon 2030, l’objectif est d’intégrer les moyens de protection, d’actions et d’interactions dans un ensemble cohérent, adaptés à la morphologie du policier ou du gendarme et facilitant son engagement. La protection pourra être optimisée et assurée grâce à de nouvelles technologies (textiles intelligents capables de mieux résister et de thermoréguler, casque allégé, bio-capteurs sur l’état physiologique). De même, les capacités pourront être « augmentées » grâce à un « exosquelette » ou répartiteur de charge, interconnecté avec les moyens numériques présents et à venir (moyens radio, NEO, PC Storm, camera piéton, etc.) et grâce à l’emport d’une capacité d’énergie. Enfin, les développements auront pour objectif l’amélioration de l’ergonomie et la simplification d’emploi des outils (commande vocale, alerte automatique via des capteurs).
Les principales acquisitions à venir dans ce domaine portent sur la généralisation annoncée des nouvelles caméras-piétons et l’équipement dès 2023 des véhicules des forces de sécurité intérieure en caméras embarquées, ainsi que les postes mobiles (par exemple pour la prise de plainte à domicile actuellement expérimentée), les terminaux numériques type Néo et le réseau radio de pointe (RRF). L’équipement en caméras-piétons et en caméras embarquées répond à l’impératif de transparence dans l’action des forces de sécurité, de pacification des interventions sur la voie publique, de dissuasion et d’amélioration de l’efficacité des missions de police, notamment par le recueil d’informations utiles aux procédures.
Cette réflexion ne concerne pas uniquement les forces de sécurité intérieure mais aussi l’ensemble des autres agents du ministère de l’intérieur. Autrefois cantonné à l’ordinateur fixe et aux logiciels bureautiques, l’environnement numérique de travail doit aujourd’hui s’entendre comme un écosystème faisant l’interface entre l’agent et les systèmes d’information. Les nouvelles capacités de mobilité, les nouveaux outils collaboratifs, le traitement automatisé du langage permettent une transformation forte de cet environnement et une augmentation tout aussi forte de l’efficience de l’agent, y compris en mobilité sur le terrain. Les nouveaux moyens numériques devront aussi permettre une meilleure interaction avec l’usager, et surtout transformer nos relations vers les usagers en offrant un service proactif. Dans le même esprit, l’analyse des données permise par l’intelligence artificielle permet un usage renforcé et plus intelligent des données.
Au travers du pacte capacitaire entre l’État et les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), l’État accompagnera également les investissements innovants visant l’utilisation de nouvelles technologies au bénéfice opérationnel des sapeurs-pompiers, permettant de mieux anticiper et agir sur les situations de crise. La collaboration du ministère avec les SDIS sera également renforcée et structurée en matière d’innovations technologiques, pour développer les réflexions stratégiques et prospectives, grâce notamment à la mise en réseau de référents sur les territoires.
Ces efforts supposent aussi de développer une politique d’achat davantage orientée vers l’innovation en favorisant l’acculturation des services du ministère aux enjeux de l’innovation et en favorisant l’émergence d’un réseau de partenaires extérieurs, dans le respect des règles de la commande publique. Cet élan est donc l’occasion de définir la feuille de route ministérielle pour la mise en œuvre des actions visant à transformer la fonction achat du ministère de l’intérieur afin qu’elle devienne un vecteur d’innovation autour de plusieurs axes stratégiques, dont la mesure de la performance opérationnelle et économique de l’innovation au sein du ministère, ou encore la mise à disposition d’ingénieurs de l’armement au sein de la Direction de l’évaluation de la performance, de l’achat, des finances et de l’immobilier (DEPAFI).
1.3.3 - Réseau radio du futur
Le programme Réseau radio du futur (RRF) répond au triple objectif d’assurer la sécurité de nos concitoyens, d’offrir un système commun à l’ensemble des forces et de moderniser les équipements radio en dotant les forces d’un unique équipement individuel de communication, multifonctions. Ce programme vise à doter l’ensemble des services en charge de la protection de nos concitoyens d’un système de communication mobile très haut débit (4G puis 5G), multimédia, interopérable, prioritaire, résilient et sécurisé. Il constituera le continuum de sécurité et de secours.
Le réseau radio du futur devra remplacer les réseaux radio bas débit (INPT et RUBIS) vieillissants n’offrant plus des fonctionnalités alignées avec les outils numériques actuels. À terme, le RRF prévoit d’équiper 300 000 abonnés en charge des missions de protection des populations et de gestion des crises et catastrophes issus de plus de 30 entités utilisatrices différentes réparties entre plusieurs ministères et instances publiques et privées (OIV et associations agréées de sécurité civile). La loi modifie le code des postes et des communications électroniques pour la mise en œuvre de ce réseau.
Cette mesure concerne la police nationale, la gendarmerie nationale, la sécurité civile et l’administration territoriale de l’État, notamment les préfectures (gestion de crise, suivi et gestion des troubles à l’ordre public).
1.3.4 - Assurer le déploiement de l’outil mutualisé de gestion des alertes des services d’incendie et de secours
Le projet en cours de développement par l’agence du numérique de la sécurité civile (ANSC) permettra la mutualisation et l’interopérabilité de la gestion des alertes et des opérations de l’ensemble des services d’incendie et de secours.
Le projet est cofinancé par les services d’incendie et de secours et par le ministère de l’intérieur. Il permettra en effet un pilotage plus efficace des secours par les préfets de départements, et une coordination plus rapide par les préfets de zone et par la DGSCGC. Il permettra le développement d’un système de collecte et de routage intelligent des communications (SECOURIR) d’urgence (18 et 112), par décloisonnement des plaques de communication (communication en réseau plus agile et réactive), et limitera les risques de congestion et de panne, exportable des SDIS vers l’ensemble des acteurs de la sécurité et du secours.
La construction d’un centre de service à l’ANSC permettra aux utilisateurs des services de bénéficier d’un support utilisateur, réactif et d’une supervision dédiée cohérente avec les contraintes opérationnelles.
1.4 - Ériger la fonction numérique au rang de priorité stratégique au sein du ministère de l’intérieur
Toutes les opportunités offertes par le numérique ne sont pas pleinement exploitées au ministère de l’intérieur, alors que celles-ci pourraient faciliter considérablement l’exercice de ses missions : analyse de données, open data, intelligence artificielle ou encore blockchains.
La conduite de grands projets numériques constitue l’un des principaux défis pour le ministère de l’intérieur. Il n’est plus envisageable d’engager des projets numériques d’ampleur qui ne seraient pas conduits à leur terme, du fait de problèmes de gouvernance, de conception du projet ou de manque de ressources humaines. Par ailleurs, les directions générales métiers sont trop peu responsabilisées sur les sujets numériques, alors même que de leur implication dépend le succès des projets.
Cette ambition de livrer plus rapidement les projets numériques et de transformer les métiers pour une plus grande efficacité d’action dans l’application des missions va de pair avec l’objectif d’ouverture des données du ministère de l’intérieur.
1.4.1 - Faire du numérique une fonction stratégique en repensant son organisation
Le numérique sera désormais confié à un secrétaire général adjoint du ministère de l’intérieur, afin que cet enjeu soit incarné au plus haut niveau et bénéficie de tous les leviers permettant une réelle transformation des métiers. Il s’agit de repenser le modèle pour améliorer la capacité à créer, innover et opérer dans la durée.
En lien avec l’agence du numérique des forces de sécurité intérieure, ce nouvel acteur aura pour mission de mettre en place une organisation moderne, agile et intégrée tournée vers l’innovation. Cette démarche nécessite d’impliquer très fortement les métiers, de développer des pôles de compétences (data, intelligence artificielle) pour des projets modernes, et de faire prendre en compte les phases « projet » et « exploitation » par une même équipe maîtrisant parfaitement les applications d’une sphère métier.
Les équipes du secrétaire général adjoint chargé du numérique auront aussi une activité d’appui et de conseil pour venir en soutien des projets structurels du ministère et favoriser la transformation numérique. Elles inciteront au passage à une approche par service ou par produit afin de garantir l’évolution et la modernisation des services plutôt que leur changement au fil des cycles, ce qui nécessite de mettre en place l’organisation permettant le passage du « mode projet » au « mode produit ».
Par ailleurs, une activité d’audit des grands projets numériques sera créée afin de contrôler dans la durée la bonne exécution des projets structurants du ministère et anticiper les risques projets.
1.4.2 - Attirer, recruter et former
Afin de faire émerger de véritables filières numériques professionnalisées au ministère de l’intérieur, des fonctionnaires et contractuels de haut niveau seront recrutés pour ré-internaliser les compétences techniques nécessaires à la conduite de projets. Cela permettra de moins dépendre des prestataires extérieurs et de travailler de concert avec les directions métier sur les projets les plus importants du ministère.
Cet effort est estimé à 300 équivalents temps plein (ETP) – plus 100 ETP pour l’agence du numérique – et requiert un plan de formation et de mentorat, ainsi que l’assouplissement de règles permettant d’assurer une plus grande attractivité des métiers du numérique au ministère de l’intérieur pour les contractuels.
Attirer les talents du numérique nécessite de proposer des conditions de travail attractives (matériel, télétravail) et des mécanismes managériaux adaptés à ces profils (libération des énergies, capacité à créer, à proposer, à développer), tout en proposant des parcours interministériels de carrière attractifs en vue d’une fidélisation des meilleurs. La diversification des filières de recrutement (écoles, alternance, éditeurs de logiciels) gagne à être renforcée par des partenariats avec les écoles d’ingénieurs.
La formation au numérique devra concerner à la fois ces nouveaux recrutements, les experts numériques du ministère de l’intérieur, les directeurs et l’ensemble des autres agents du ministère. Devront être mis en place des plans de formation et de mentorat ambitieux et leurs suivis : plan de formation continue pour les profils en tension, mentorats dédiés aux cadres supérieurs et directeurs généraux, opérations d’acculturation au numérique des managers des directions métiers et parcours de formation pour permettre des passerelles vers le numérique. Au sein de la sphère sécurité intérieure, il s’agira de mutualiser les parcours de formation au numérique afin de créer une culture commune et de diversifier les filières de recrutement de la police nationale en augmentant la proportion d’ingénieurs pour irriguer l’agence du numérique sur les sujets techniques et liés à l’exploitation des données.
1.4.3 - De nouvelles interfaces avec la société civile, le tissu industriel et le monde académique
Le ministère de l’intérieur et la société civile doivent entretenir une relation apaisée sur l’utilisation de la technologie au sein du ministère. À cette fin, la société civile joue un rôle dans le suivi et le contrôle des technologies employées, grâce notamment à l’ouverture des codes sources et algorithmes utilisés. L’agence du numérique pilotera ainsi une politique d’ouverture des données et des sources par défaut, qui favorise la création de nouveaux services et d’activités créatrices de valeur au profit des citoyens et des entreprises.
De surcroît, une attention particulière sera portée sur les solutions de protection de la vie privée dès la conception (privacy by design), qui consistent à proposer des outils numériques nativement protecteurs des libertés individuelles. L’agence du numérique a donc vocation à intégrer des compétences juridiques et des compétences spécialisées dans le privacy by design, potentiellement alimentées par des chercheurs, afin de développer des solutions répondant parfaitement aux besoins opérationnels tout en préservant les libertés individuelles et en le prouvant.
En matière de partenariats industriels, le ministère devra s’investir dans la construction de relations étroites avec les industriels français de confiance et tirer profit de leurs centres de formation spécialisée sur les sujets technologiques de pointe. Cela peut se traduire par des mobilités croisées, voire la mise en place d’un mécanisme de réserve inversée, consistant dans le cadre de la formation continue à envoyer les équipes techniques du ministère de l’intérieur rejoindre les grands industriels français pendant une période donnée pour s’inspirer de leurs méthodes et outils de travail et monter en compétences sur des sujets techniques. Sont également envisageables des laboratoires communs de recherche et développement avec des industriels, des académiques et des juristes, sur des projets technologiques de pointe. L’approche sous forme de laboratoire permettra en outre de s’assurer de la parfaite adaptation de ces technologies aux besoins opérationnels des forces. En cohérence avec les efforts internes au ministère de l’intérieur, il s’agit en outre d’inciter les industriels français à avancer sur le privacy by design et à en faire un élément différenciant dans leur stratégie commerciale.
Le ministère devra aussi nouer des partenariats privilégiés avec le monde académique en s’investissant notamment dans des travaux de thèses, de post-doctorat ou en s’associant à des chaires. L’effort portera en matière de recherche et développement sur l’utilisation des nouvelles technologies dans le domaine de la sécurité, mais aussi dans le champ des sciences sociales.
Focus : tirer pleinement parti des opportunités offertes par le numérique outre-mer
Le numérique est un enjeu essentiel pour les territoires ultramarins, de par les opportunités offertes en matière de rapprochement entre les services de l’État et la population ou encore de besoins opérationnels des services du ministère dans ces territoires particulièrement exposés. En même temps, la mise en place d’outils numériques performants et adaptés est un défi majeur, dans des régions parfois difficiles d’accès du fait de l’insularité, de l’immensité du territoire ou du caractère enclavé de certaines régions.
Un effort de remise à niveau de l’architecture des réseaux outre-mer sera engagé avec, comme objectif, la numérisation des réseaux tactiques communs aux forces visant à renforcer leur capacité opérationnelle, en substitution des réseaux anciens devenus obsolètes. Le déploiement du projet « Réseau radio du futur » s’inscrit dans cet effort. Sont plus particulièrement concernées la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie Française et la Guyane qui n’ont pas pu bénéficier du passage à l’état de l’art technologique comme l’ont fait ces dernières années les Antilles, La Réunion et Mayotte.
D’autre part, les chantiers numériques de proximité, visant à rapprocher l’administration du citoyen et à doter les agents du ministère de l’intérieur d’outils performants, seront déployés de manière adaptée et rapide outre-mer. Les possibilités offertes sont particulièrement adaptées à ces territoires ultramarins, où les enjeux d’accès aux services publics sont prégnants : téléprocédures permettant de mener ses démarches depuis chez soi ou en mobilité ; application unique « Ma sécurité » permettant la prise de plainte en ligne, le suivi de celle-ci et l’échange direct avec des policiers ou gendarmes ; audition ou prise de plainte en visioconférence, ou à domicile ; équipement des policiers et gendarmes en matériels de pointe (caméras-piétons, caméras embarquées, tablettes Néo, ordinateurs portables etc.).
Le déploiement des projets numériques du ministère outre-mer fera l’objet d’une feuille de route et d’un suivi spécifique.
2 - Plus de proximité, de transparence et d’exemplarité
En 2030, la présence des policiers et gendarmes sur le terrain sera doublée grâce à la transformation numérique, à une meilleure gestion des effectifs et du temps de travail, à la suppression des tâches périphériques et à la simplification des procédures.
Cet effort de proximité portera d’abord sur les zones éloignées des services publics. De nouvelles brigades de gendarmerie seront créées dans les territoires ruraux et périurbains ; les sous-préfectures seront, en articulation avec le réseau France Services, les lieux des démarches du quotidien pour les citoyens. La présence renforcée des policiers et gendarmes sur la voie publique donnera de nouvelles marges de manœuvre opérationnelles, qui seront mises à profit grâce à un commandement présent de manière continue sur le terrain et à une réorganisation de la police nationale par filières.
La répartition territoriale entre police et gendarmerie sera adaptée selon des critères qualitatifs, afin de mieux correspondre à la réalité des territoires et à la nécessité d’améliorer le service rendu à la population. Cette adaptation sera réalisée après un processus de concertation avec les représentants des acteurs de chaque territoire, en particulier les associations départementales de maires et les conseils départementaux.
Dans chaque département est signé par les responsables locaux de la police et de la gendarmerie nationales, sous l’égide des préfets et après consultation des élus locaux, un protocole de coopération opérationnelle entre les deux forces visant à améliorer leur coordination dans une logique de continuité territoriale de zones contiguës, à réagir aux situations urgentes et exceptionnelles, à identifier et combattre des phénomènes de délinquance communs et à optimiser l’emploi de services ou de capacités spécifiques.
La proximité passe aussi par une amélioration qualitative du contact avec les forces de sécurité. Le parcours des victimes sera amélioré, avec un traitement plus efficace et transparent des plaintes. L’accueil des usagers sera modernisé : rénovation immobilière, mais surtout adaptation aux besoins des usagers, simplification et numérisation des démarches tout en gardant systématiquement un accompagnement physique. Cette attention portera en particulier sur les plus fragiles, notamment les victimes des violences intrafamiliales et sexuelles : fichier de prévention des violences intrafamiliales, doublement des effectifs dédiés (4 000 contre 2 000 en 2022), densification du maillage territorial en accueils spécialisés, création de postes d’intervenants sociaux en police et gendarmerie, triplement de l’amende pour outrage sexiste.
Les citoyens pourront ainsi compter sur des forces de l’ordre plus présentes et plus accessibles, mais qui doivent aussi leur ressembler : si les agents du ministère de l’intérieur sont représentatifs de tous les milieux sociaux, il n’en est pas de même de la diversité de la population. Des dispositifs de recrutement seront mieux ciblés sur les quartiers populaires, les concours du ministère de l’intérieur seront refondus pour élargir le recrutement. De meilleures possibilités de promotion interne seront ouvertes aux agents les plus méritants.
La transparence et l’exemplarité de l’action des policiers et gendarmes seront mieux garanties. Le travail des inspections sera conforté et rendu plus lisible pour les citoyens. Lorsque des agents du ministère se seront rendus coupables de comportements inacceptables, les sanctions seront alourdies.
Le ministère de l’intérieur contribuera à la redynamisation des territoires ruraux et des villes moyennes en y installant certains services relevant de l’administration centrale.
Le ministère de l’intérieur s’ouvrira à de nouveaux partenariats de sécurité animés par la nouvelle direction unique du continuum de sécurité. Ces partenariats s’appuient sur des moyens renforcés, avec le triplement des crédits dédiés au cofinancement des projets de vidéo-protection des collectivités. Le ministère de l’intérieur s’ouvrira également au monde de la recherche et de l’innovation (think tanks, universités) tout en renforçant sa capacité propre de prospective, pour anticiper les enjeux et menaces de demain.
Enfin, des moyens nouveaux seront dévolus aux forces de sécurité intérieure, qu’il s’agisse de nouveaux matériels plus performants (véhicules, tenues, armements, équipement de protection) mais aussi innovants (caméras-piétons, caméras embarquées, drones, robots d’intervention de déminage) ou encore d’un immobilier à même de leur permettre d’accomplir leurs missions dans de bonnes conditions, de répondre aux besoins de formations et de mieux accueillir les usagers.
2.1 - Faire du renforcement de la présence dans la ruralité une nouvelle politique à part entière
2.1.1 - Le maillage territorial des forces de sécurité sera renforcé en priorité dans les territoires ruraux et périurbains
Jusqu’en 2017, les quinquennats précédents ont été marqués par le recul de l’État dans les territoires, avec la disparition de nombre d’implantations de services publics : 500 brigades de gendarmerie fermées en 15 ans, 20 commissariats fermés depuis 2008, 10 arrondissements supprimés et 9 jumelés depuis 2014. Ce recul s’est également traduit par la fermeture de guichets (préfectures et sous-préfectures), alors qu’en parallèle, les procédures de délivrance de titres ont été largement dématérialisées. Si cette dématérialisation des procédures a constitué un progrès pour nombre de citoyens, qui peuvent désormais réaliser nombre de démarches sans se déplacer, les personnes éloignées du numérique conservent le besoin d’un accompagnement humain.
Les dernières années démontrent aussi que le besoin de sécurité n’est pas l’apanage des métropoles : les territoires périurbains et ruraux connaissent une augmentation des violences aux personnes – principalement des violences non crapuleuses, des violences sexuelles et des violences intrafamiliales.
Partant de ce constat, l’État a inversé cette dynamique de recul des services publics et renforcé sa présence. Plus de 2 000 espaces France Services ont été créés depuis 2018, dans tous les départements, pour permettre aux citoyens de réaliser leurs démarches de proximité et de bénéficier d’un accompagnement physique personnalisé. La diminution des effectifs des services locaux de l’État a été stoppée, et le niveau départemental, celui de la proximité, a été revalorisé. Enfin, les effectifs des forces de sécurité ont été augmentés : chaque département compte aujourd’hui davantage de policiers et de gendarmes qu’il y a cinq ans. Les services de l’État vont continuer de renforcer leur présence et leur efficacité dans les cinq années à venir, en particulier dans les zones périurbaines et rurales et notamment celles connaissant une importante dynamique démographique.
Deux cents brigades de gendarmerie nouvelles seront créées, sous la forme d’implantations nouvelles ou de brigades mobiles. Les brigades mobiles consistent, pour les gendarmes, à « aller vers » les citoyens, notamment ceux qui sont les moins enclins à se déplacer dans une brigade de gendarmerie (jeunes, victimes de violences intrafamiliales, personnes âgées, isolées, etc.). Ces unités seront équipées de postes mobiles avancés – par exemple des véhicules de grande capacité – qui permettront grâce aux outils numériques de mobilité (tablettes NEO, ordinateurs portables) d’apporter des réponses aux citoyens. Les départements ayant expérimenté ces nouvelles brigades ont plébiscité ce dispositif qui rapproche les gendarmes de la population, dans des territoires où l’empreinte des services publics est faible ou insuffisante.
Le choix des territoires d’implantation de ces nouvelles brigades sera effectué selon des critères objectifs liés à la population, aux flux, aux risques locaux, à la délinquance et délais d’intervention, à l’issue d’un diagnostic partagé avec les autorités administratives et judiciaires ainsi que les élus.
Dans la police nationale, un effort particulier sera fait pour renforcer les unités généralistes de police secours : les effectifs supplémentaires seront dirigés en priorité vers ces fonctions de terrain, notamment effectifs de « polices secours » et les personnels travaillant de nuit, qui verront leur rémunération revalorisée.
2.1.2 - Le pilotage des services de l’État sera renforcé au plus près des territoires et de leurs besoins
En plus des 2 055 espaces France Services existants en février 2022, de nouvelles sous-préfectures seront labellisées France Services.
Le pilotage unifié et cohérent de ces moyens renforcés est confié aux préfets. Afin que ce pilotage se fasse au plus près des territoires et en tenant compte de leurs enjeux spécifiques, le réseau préfectoral sera affermi, pour mieux prendre en charge le besoin de proximité et d’appui territorial des communes péri-urbaines ou rurales de l’arrondissement chef-lieu. Préfectures et sous-préfectures seront plus ouvertes qu’avant à nos concitoyens et aux entreprises, avec des points d’accueil numérique (PAN) « augmentés », les PAN+, pour aider les citoyens à réaliser leurs démarches, des guichets uniques pour les acteurs économiques permettant de réunir plusieurs services, d’expliquer les réformes prioritaires du Gouvernement et de veiller à ce qu’elles bénéficient à chacun. Les préfets et sous-préfets verront rappeler les spécificités de leur métier dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique.
Parallèlement, dans le cadre de la poursuite de la dématérialisation des démarches et des titres, le ministère de l’intérieur veillera à maintenir un contact physique de proximité pour chaque procédure numérique, afin d’accompagner les usagers qui ne sont pas à l’aise avec le numérique, mais aussi de celles dont le cas particulier ne peut être résolu par la voie numérique.
2.2 - Relocaliser certains services de l’administration centrale du ministère de l’intérieur au bénéfice des territoires ruraux et des villes moyennes
L’ancrage territorial du ministère de l’intérieur sera aussi renforcé à travers la relocalisation de certains services de l’administration centrale dans des villes moyennes et des territoires ruraux.
Ce mouvement concernera plus de 1 400 fonctionnaires issus de l’ensemble des grandes directions du ministère de l’intérieur. Il a deux objectifs principaux : d’une part renforcer la présence de services publics au plus près des usagers et, d’autre part, améliorer les conditions de vie au travail des agents.
Le choix de ces nouvelles implantations est le fruit d’un appel à candidatures ouvert à l’ensemble des territoires, hors Île-de-France et grandes métropoles régionales, intéressées à accueillir ces services.
Ces relocalisations permettront de nouvelles synergies entre les différents services du réseau territorial du ministère de l’intérieur (préfectures et sous-préfectures, directions départementales interministérielles, services de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale).
L’installation de services à vocation nationale sur l’ensemble du territoire exploitera pleinement les opportunités offertes par le travail à distance au bénéfice des services centraux et territoriaux du ministère.
Elle permettra également de dynamiser la politique immobilière de l’État dans les villes concernées au bénéfice du développement et de l’attractivité des territoires concernés.
2.3 - Doubler la présence de nos forces de l’ordre sur le terrain d’ici 2030
Les citoyens attendent des forces de sécurité qu’elles soient plus présentes et visibles sur le terrain, avec un effet rassurant pour la population et dissuasif pour les délinquants. Mais si le quinquennat écoulé a permis la création de 10 000 postes de policiers et gendarmes supplémentaires, leur présence sur la voie publique demeure insuffisante : policiers et gendarmes ne passent que 37 % de leur temps sur la voie publique, du fait de la lourdeur de la procédure pénale, d’outils numériques insuffisamment performants et de tâches administratives chronophages.
Le doublement de la présence des forces de sécurité sur la voie publique en 10 ans annoncé par le Président de la République implique donc une transformation profonde : faire de la présence sur la voie publique la règle et la présence en commissariat ou en brigade l’exception.
2.3.1 - L’objectif de doublement de la présence des forces de l’ordre sur la voie publique impose d’activer un ensemble de leviers complémentaires
Deux réformes importantes ont d’ores et déjà été actées : la suppression des cycles horaires chronophages des unités de voie publique, effective au 1er février 2022, ainsi que la réforme des modalités d’affectation des effectifs de police au 1er janvier 2023, pour pouvoir positionner plus facilement les effectifs là où sont les besoins.
Les policiers et gendarmes seront de plus en plus « nomades », grâce à l’équipement numérique mobile qui leur permettra de réaliser le maximum de tâches en extérieur lors des patrouilles. Les tablettes « Néo » ont déjà permis d’importants gains de temps et d’efficacité, qui seront amplifiés avec le déploiement en cours de la deuxième génération de tablettes, ainsi qu’avec une dotation massive en ordinateurs portables. Ces outils permettent l’accès à l’ensemble des ressources utiles en mobilité, que ce soit pour mieux renseigner les usagers, appréhender les situations d’intervention avec un maximum d’informations (profil des parties prenantes, position des autres patrouilles grâce à un outil de cartographie), recueillir de l’information (consultation de fichiers, prélèvements biométriques) ou encore gagner du temps (outil de retranscription écrite de la parole, procédure pénale numérique – cf. ci-après) et réduire les déplacements sans plus-value opérationnelle par la rédaction des procédures en mobilité ou la réalisation de prélèvements directement sur le terrain. D’importants investissements seront consentis pour mettre au niveau les réseaux de télécommunications afin de supporter ces nouveaux outils technologiques et de permettre une disponibilité optimale des applications, ainsi que pour la maintenance de ces nouveaux outils.
Le recours aux réserves opérationnelles de la gendarmerie et de la police sera accru, puisqu’elles passeront en 5 ans de 30 000 aujourd’hui à 50 000 réservistes pour la gendarmerie nationale et de 6 000 à 30 000 réservistes pour la police nationale. Afin de maintenir l’engagement et la motivation des réservistes, une cible minimale d’emploi de 25 jours par an et par réserviste est fixée. Ce renforcement de la réserve opérationnelle permettra à des jeunes de se former et de s’ancrer dans la vie professionnelle par un service – rémunéré – au profit de la Nation. Des passerelles avec l’Éducation nationale et le service national universel seront créées.
La compensation financière des heures supplémentaires sera privilégiée plutôt que le retour sous forme de récupérations, qui affaiblit la présence des policiers sur la voie publique. Le Président de la République a par ailleurs demandé l’ouverture d’une discussion sociale sur l’augmentation du temps de travail au sein des forces de sécurité intérieure.
Les forces de sécurité seront recentrées sur le cœur de leur mission de sécurité, par la substitution de personnels actifs par des personnels administratifs, par la mise en place de la fonction d’« assistant d’enquête de police et de gendarmerie » et par l’abandon des tâches périphériques. Le mouvement de substitution des personnels actifs par des personnels administratifs sera relancé, notamment pour les missions de contrôle aux frontières (couplé à l’automatisation) ou pour certaines missions relatives au fonctionnement des centres de rétention administrative (CRA). Les futurs assistants d’enquête de police et de gendarmerie se verront ainsi confier des tâches actuellement exercées par les personnels actifs, afin de permettre à ces derniers de se concentrer sur leur cœur de mission, notamment les enquêteurs.
Les policiers et les gendarmes n’assureront plus de missions périphériques : les extractions judiciaires devront finir d’être transférées au ministère de la justice, les policiers et gendarmes devront être libérés de la police des audiences ou encore de la garde des détenus hospitalisés. Les missions d’escorte ou de garde de bâtiments officiels seront réétudiées et externalisées lorsque leur exercice peut être assuré par d’autres que les policiers ou les gendarmes. La télécommunication audiovisuelle sera privilégiée pour certains actes d’enquête (exemple : prise de plainte) ou pour les auditions (exemple : pour les auditions par le juge de la liberté et de la détention des étrangers placés en CRA afin d’éviter les transferts et gardes chronophages).
La procédure pénale sera simplifiée (cf. infra).
Pour mesurer l’effectivité de l’ensemble de ces mesures, un suivi statistique de l’effort sera réalisé, avec un rendu compte annuel. Afin d’atteindre l’objectif de doublement de la présence de voie publique en 10 ans, l’effort sur 2023-2027 devra représenter une hausse de 50 % du nombre d’heures de présence sur la voie publique des policiers et des gendarmes, par rapport à l’année de référence 2021. Ces gains quantitatifs de présence sur la voie publique donneront de nouvelles marges de manœuvre opérationnelle, au service de priorités fixées au plus près du terrain.
2.3.2 - La police nationale réformera son organisation pour un pilotage de proximité plus efficace
La mise en place d’un commandement opérationnel des forces 24/24 et 7/7 permettra un meilleur pilotage des effectifs présents sur le terrain, en fonction des priorités définies, et visera à pallier les difficultés pouvant être observées sur certaines interventions délicates.
Au niveau départemental, le pilotage en fonction des priorités sera affirmé par la généralisation des directions uniques de la police nationale, appelées directions départementales de la police nationale (DDPN), sous réserve des spécificités de la police judiciaire. Le directeur unique de la police pourra allouer les forces en fonction des priorités opérationnelles : sécurité du quotidien, démantèlement des trafics, lutte contre l’immigration clandestine. L’état-major mutualisé qui en découle facilitera les rationalisations d’organisation et le renforcement de la présence sur la voie publique. Une organisation en filières au niveau local concentrera ainsi sous l’autorité du préfet et du procureur de la République des fonctions jusqu’ici trop éclatées, et sera plus lisible pour les partenaires de la police nationale participant du continuum de sécurité.
Cette réforme de l’échelon territorial s’accompagne par une réforme de l’administration centrale, qui décloisonnera son fonctionnement en passant d’une organisation en « tuyaux d’orgue » à une direction générale fondée sur des filières métiers (sécurité et ordre public ; police judiciaire ; renseignement territorial ; frontières et immigration irrégulière) et une fonction soutien consolidée. Cette intégration se traduira par un site unique de la direction générale de la police nationale à l’horizon des 5 prochaines années.
2.4 - Mettre la victime au centre de l’attention
Le parcours pour les victimes sera refondu, depuis l’accueil jusqu’au suivi de la plainte. L’application mobile commune à la police et à la gendarmerie « Ma sécurité », qui est déployée depuis le premier trimestre 2022, donne accès à de nombreux télé-services : au-delà de la pré-plainte en ligne déjà disponible, l’application permettra à partir de 2023 de déposer plainte en ligne, mais également à terme d’effectuer le suivi de cette plainte. Aujourd’hui, plaignants et victimes ne sont pas suffisamment bien informés de l’évolution du traitement de leur plainte, et se rendent dans les commissariats ou les brigades pour demander où en est leur affaire. Avec « Ma sécurité », le citoyen pourra déposer une plainte en ligne, puis suivre le traitement de cette plainte en temps réel, en étant informé de certains « moments-clés » des suites données. L’application « Ma sécurité » permettra aussi d’effectuer des actes de signalement ou d’interagir par tchat avec des policiers ou gendarmes formés au numérique. Cet outil numérique, vecteur de rapprochement entre population et forces de l’ordre de proximité, permettra la diffusion d’informations et de notifications et sera accessible pour toutes les personnes en situation de handicap.
Par ailleurs, les spécificités des situations des victimes seront mieux prises en compte. Grâce aux postes informatiques mobiles dont le nombre sera doublé dès 2022, de plus en plus de démarches seront possibles hors les murs des services de police et gendarmerie (auditions, plaintes). La prise de plainte hors les murs, déjà expérimentée dans plusieurs territoires, sera généralisée. Elle sera notamment proposée aux femmes victimes de violence et aux élus victimes de violences ou de menaces.
Cette logique d’« aller vers » va de pair avec un effort particulier en faveur de dispositifs plus adaptés au sein des unités : la création de 19 nouvelles maisons de confiance et de protection de la famille d’ici la fin 2023 permettra de généraliser ce dispositif à l’ensemble du territoire (cf. infra).
Le traitement rapide de la plainte est ainsi indissociable de l’amélioration de l’accueil de la victime, qu’il s’agisse de priorisation du traitement des plaintes pour les faits les plus graves, comme par exemple les violences intrafamiliales et sexuelles, ou à l’inverse d’une orientation de la plainte vers une médiation pour les incivilités du quotidien qui minent la vie de nos concitoyens.
Les accueils physiques des brigades et des commissariats seront modernisés : la brigade et le commissariat de 2030 ne ressembleront en rien à ceux d’aujourd’hui, ce qui vaut en particulier pour les espaces d’accueil. Un effort conséquent en termes de confidentialité et d’ergonomie dans les accueils des brigades et casernes sera réalisé. Mais au-delà des efforts nécessaires en termes immobiliers, il s’agira de généraliser la prise de rendez-vous en ligne, d’accentuer le déploiement de bornes d’accueil, la diffusion vidéo de contenus pour optimiser les temps d’attente. L’utilisation d’un robot d’accueil va même être expérimentée dans certains territoires. Plus systématiquement qu’aujourd’hui, la pratique dite du « mystery shopping » ou « usager mystère » sera développée afin de s’inscrire dans une démarche d’amélioration continue.
Il faut également que les victimes bénéficient d’un suivi de leur affaire : un ensemble de propositions émises par le ministère de la justice permettra d’améliorer l’information de la victime tout au long de sa procédure.
Dans la prise en charge des victimes, une attention particulière sera portée aux enfants, dans le cadre des procédures les impliquant directement, en tant que victimes (violences, et notamment sexuelles) ou indirectement (violences intrafamiliales par exemple). Le maillage des salles Mélanie, implantées dans les services de police et de gendarmerie, et permettant de faciliter le recueil de la parole de l’enfant dans le respect des obligations légales et réglementaires (enregistrement audiovisuel) doit continuer à se développer sur l’ensemble du territoire en métropole comme en outre-mer. Ce dispositif de proximité est complémentaire des unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger qui permettent une prise en charge globale judiciaire, médicale et médico-légale des enfants pour les situations les plus graves et complexes et dont le développement doit être également soutenu.
Par ailleurs, les brigades de protection des familles de la police nationale et les maisons de protection des familles de la gendarmerie (créées en 2021) doivent poursuivre leur montée en puissance (à la fois en nombre et en effectif) pour une meilleure prise en charge de ce contentieux de masse. Les policiers et gendarmes de ces services spécialisés, mais également les enquêteurs à l’accueil des commissariats et des brigades doivent bénéficier de formations adaptées à ces publics vulnérables. Enfin, des policiers et gendarmes spécialement formés interviendront également en milieu scolaire pour des actions de prévention contre les violences sexuelles et sexistes, le harcèlement (notamment en ligne), les usages numériques à risque, etc.
2.5 - Mieux lutter contre les violences intrafamiliales et sexuelles
2.5.1 - Les moyens de lutte contre les violences intrafamiliales seront encore renforcés
Grande cause du quinquennat, la lutte contre les violences faites aux femmes demeure un enjeu majeur : sous l’effet notamment de la libération de la parole, les violences intrafamiliales sont devenues un contentieux de masse, qui représente 45 interventions par heure pour les services de police ou de gendarmerie.
La lutte contre ces violences demeure une priorité constante du ministère de l’intérieur : 298 unités spécialisées et maisons de confiance et de protection des familles ont été mises en place et continuent de se déployer (cf. supra) ; les services de police et de gendarmerie comptent 1 973 enquêteurs dédiés et 2 562 référents violences intrafamiliales, désignés à l’été 2021, au sein des commissariats et brigades ; 90 000 policiers et gendarmes, ainsi que la totalité des élèves policiers et gendarmes, ont été formés depuis le Grenelle des violences conjugales.
Les victimes de violences sexuelles et intrafamiliales sont au cœur de la refonte du « parcours victime », et la montée en puissance des moyens se prolongera dans la présente loi d’orientation et de programmation. Le nombre d’enquêteurs dédiés à la lutte contre les violences intrafamiliales au sein des unités spécialisées sera doublé sur les 5 prochaines années, passant de 2 000 à 4 000 enquêteurs dédiés. Un financement pérenne sera prévu pour 200 postes d’intervenants sociaux supplémentaires en police et gendarmerie, dispositif qui dépend aujourd’hui de financements croisés de l’État et des collectivités, avec des niveaux d’effort malheureusement disparates selon les territoires. Passant de 400 à 600, ces intervenants apporteront un meilleur accompagnement des victimes partout sur le territoire. Une attention particulière sera portée aux femmes en situation de handicap, notamment dans la formation des agents et l’accompagnement des victimes.
Un fichier de prévention des violences intrafamiliales sera créé, afin d’empêcher la réitération de faits de violence, de prendre en compte les signaux de dangerosité et de sécuriser les interventions des policiers et gendarmes.
Les associations pourront accompagner plus efficacement les femmes victimes de violences, en organisant le dépôt de plainte dans leurs locaux et en signalant les faits dont elles ont connaissance aux forces de l’ordre.
2.5.2 - Les violences sexuelles et sexistes seront mieux détectées et plus sévèrement réprimées
Notamment en matière de violences sexuelles, le cadre d’enquête sera modifié afin de doter les enquêteurs d’outils procéduraux plus adaptés à des infractions présentant par nature un caractère de particulière complexité : les techniques spéciales d’enquête et le recours à la garde à vue dérogatoire seront ainsi étendus aux homicides et viols sériels. Cela permettra de doter les enquêteurs d’outils adaptés à la poursuite d’infractions.
En matière d’outrage sexiste, la France a été pionnière en pénalisant cette infraction. Mais la persistance de tels faits, notamment dans l’espace public, incite à aggraver cette pénalisation, en qualifiant l’outrage sexiste de délit et en prévoyant que l’amende forfaitaire délictuelle lui sera applicable.
Par ailleurs, les effectifs des forces de sécurité intérieure dans les transports en commun seront doublés, en particulier aux horaires où ces agressions sont le plus souvent constatées. En effet les femmes y sont encore trop souvent victimes d’agressions, notamment dans leurs trajets domicile-travail.
2.6. - S’assurer que le ministère de l’intérieur ressemble davantage aux Français, notamment à la jeunesse
L’image de nos forces de sécurité est aujourd’hui dégradée auprès des jeunes (La confiance police-population en 2021 : le décrochage des 18-24 ans, Cevipof), quand elles disposent parallèlement d’un très fort soutien parmi les autres classes d’âge. La ressemblance fait partie des leviers qui peuvent permettre de créer la confiance : or, si les agents du ministère de l’intérieur sont relativement jeunes et représentatifs de tous les milieux sociaux, ils ne reflètent pas pour autant la diversité de la population française. Il existe pourtant un chemin pour offrir aux jeunes des quartiers des perspectives de réussite républicaine, via l’incorporation parmi les personnels du ministère de l’intérieur, et expérimenter ainsi une approche inédite pour le rapprocher de la population.
Il est donc nécessaire de renforcer le lien de confiance entre la police et la population, en particulier dans les quartiers populaires ou qui ont une population jeune. Le ministère doit être lui-même un exemple « d’ascenseur social ».
Cent « classes de reconquête républicaine » seront créées dans les quartiers de reconquête républicaine (QRR) et dans les quartiers politique de la ville (QPV), destinées prioritairement aux élèves décrocheurs, pour préparer aux concours de la fonction publique et du ministère en particulier (policier, gendarme, pompier, administratif) ou inciter les jeunes à s’engager dans les réserves opérationnelles.
Cet effort sera complété par la mise en place d’actions ciblées de recrutement dans les territoires prioritaires, relayées par les préfets à l’égalité des chances, afin d’encourager les recrutements de policiers adjoints, gendarmes adjoints volontaires ou de sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires. Les partenariats avec les établissements pour l’insertion dans l’emploi (EPIDE) et les écoles de la deuxième chance seront renforcés. Les partenariats avec les plates-formes d’insertion des conseils départementaux seront développés.
En complément, pour donner toute sa place à la méritocratie, les concours du ministère de l’intérieur seront réformés pour neutraliser les biais de recrutement.
Par ailleurs, le ministère de l’intérieur amplifiera le plan « 10 000 jeunes » mis en place en 2021, qui a permis de proposer 10 000 stages, apprentissages et alternances à de jeunes actifs. Le fort succès enregistré (95 % de l’objectif sur 2 ans atteint en moins d’un an) incite à reconduire et amplifier le dispositif pour les années à venir. Des modules d’immersion en services seront proposés aux élèves de 3e scolarisés dans des établissements en QRR.
Le ministère prendra également toute sa place dans la réinsertion des jeunes délinquants, en fléchant prioritairement ses dispositifs vers des jeunes ayant pu commettre des actes de petite délinquance.
Au-delà de l’intégration dans les effectifs du ministère de l’intérieur, il s’agit enfin de proposer aux agents du ministère de l’intérieur des perspectives d’évolution en interne ; des cours du soir (« classes Beauvau ») destinés aux agents volontaires seront proposés pour faciliter l’ascension sociale des personnels.
Enfin, l’extension des réserves du ministère de l’intérieur (gendarmerie / police), la consolidation du modèle du volontariat chez les sapeurs-pompiers et la création de la réserve préfectorale devront s’accompagner de la possibilité de servir des « causes » au sein même du ministère (environnement, violences intrafamiliales, etc.), car celles-ci constituent aujourd’hui les principales sources d’engagement de la population française, et singulièrement de sa jeunesse.
Afin d’améliorer l’attractivité des métiers de la police et de la gendarmerie, une grande campagne conjointe de recrutement sera lancée sur les 5 années à venir, particulièrement ciblée sur les plus jeunes.
La volonté d’attractivité du ministère se matérialise à différents niveaux d’âge et de scolarité : parcours d’engagement citoyen au sein de la gendarmerie nationale dès 11 ans ; jeunes réservistes citoyens pour les 18-25 ans ; amélioration du statut des cadets de la République, renommés « apprentis policiers » puisque les candidats pourront bénéficier dès 18 ans de la formation pour préparer le concours de gardien de la paix et verront leur rémunération alignée sur celle des policiers adjoints ; développement de la filière professionnelle « métiers de la sécurité intérieure » dans les lycées, en lien avec l’Éducation nationale ; possibilité d’effectuer des missions de soutien, et non uniquement opérationnelles, en tant que réservistes.
Le recrutement initial sera élargi pour rechercher les compétences dont manquent les forces de l’ordre : profils scientifiques (ingénieurs) et non exclusivement juridiques, titulaires de doctorats ou contractuels aux ressources rares. Dans le cadre de la réforme actuelle de la haute fonction publique, la venue d’autres fonctionnaires par la voie du détachement sur les postes d’encadrement sera facilitée. Des voies d’accès basées sur les acquis de l’expérience seront créées et les concours seront réformés pour intégrer de nouvelles options permettant d’élargir le vivier de recrutement.
2.7 - Garantir la transparence et l’exemplarité de l’action des forces de l’ordre
Les modes d’action des forces de l’ordre font régulièrement l’actualité, avec la montée des enjeux autour des questions de maintien de l’ordre et l’intérêt pour les interventions de police qui « tournent mal ». Parallèlement, la demande sociale d’exemplarité dans le comportement des forces de sécurité s’accroît, et s’exprime à travers une revendication d’indépendance et de transparence de la manière dont celles-ci sont contrôlées. Des mesures fortes prises lors du Beauvau de la sécurité sont déjà en cours de mise en œuvre, comme la publication des rapports des inspections, le renforcement de la formation en matière de déontologie des policiers et gendarmes ou encore l’instauration au sein de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) d’un comité d’évaluation de la déontologie de la police nationale, incluant des représentants de la société civile.
Afin de garantir la transparence et l’exemplarité de l’action des forces de l’ordre, il s’agira de dissiper tout doute sur la légitimité du travail des inspections, de mieux contrôler l’action des forces de l’ordre en sanctionnant fermement les dérives éventuelles et d’ouvrir davantage le ministère sur l’extérieur pour agir en transparence et combler son déficit d’image.
Comité d’éthique
Un comité d’éthique sera créé auprès du ministre de l’intérieur, composé de personnalités qualifiées indiscutables, qui pourra être saisi – et se saisir – de sujets sensibles. Il sera structuré en collèges thématiques (ex. technologies, interventions des forces de l’ordre, rétention, etc.).
Suivi des signalements effectués auprès des inspections générales
Les plateformes de signalements gérées par l’IGPN et l’IGGN (inspection générale de la gendarmerie nationale) seront modernisées afin de favoriser les signalements, notamment en temps réel, et de permettre leur usage en mobilité (sur téléphone portable et tablette). Pour l’IGPN, ces investissements devraient également permettre de disposer d’un outil offrant un meilleur suivi des dossiers soumis. La direction générale de la police nationale (DGPN) et la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) vont par ailleurs se doter d’un outil de suivi des sanctions.
L’inspection générale de l’administration sera co-saisie plus fréquemment dans le cadre des missions d’inspection des forces (IGGN et IGPN) afin d’apporter une expertise complémentaire.
Sanctionner sévèrement les fonctionnaires de police et gendarmes condamnés pour certains faits
Les fonctionnaires de police et gendarmes condamnés définitivement à une peine d’emprisonnement pour des faits de violences intrafamiliales, d’infractions à la législation sur les stupéfiants ou des faits de racisme ou de discrimination feront l’objet d’une exclusion définitive.
Évaluation des cadres
L’évaluation des cadres de la police nationale sera renforcée par des évaluations dites « à 360° » comme elles se pratiquent pour les emplois préfectoraux via le Conseil supérieur de l’appui territorial et de l’évaluation (CSATE).
2.8 - Mieux piloter le continuum de sécurité
Les forces de sécurité intérieure ne peuvent couvrir seules efficacement l’intégralité du spectre de la délinquance, qui va de l’incivilité aux crimes les plus graves. Il existe donc un besoin de partenariats plus poussés aux niveaux local et central, avec l’ensemble des acteurs publics et privés du continuum tout comme la nécessité de rendre plus lisibles les instances et les outils correspondants, notamment les contrats de sécurité intégrés qui constituent un cadre de pilotage important des politiques de sécurité pour les maires, les préfets et les procureurs de la République.
De nombreuses compétences ont été récemment ouvertes aux polices municipales dans de précédentes lois (loi pour une sécurité globale préservant les libertés du 25 mai 2021, loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure). Les polices municipales jouent un rôle essentiel, aux côtés des forces de sécurité intérieure, pour la sécurité des citoyens.
Toutefois, une expansion supplémentaire des pouvoirs des polices municipales connaît désormais une limite de nature constitutionnelle.
Pour mieux couvrir l’ensemble du spectre de l’insécurité, en s’appuyant sur des partenaires renforcés et plus mobilisés, l’animation des partenariats se structurera davantage.
Une direction unique des partenariats chargée de l’animation du continuum de sécurité et du pilotage des partenariats avec les polices municipales, la sécurité privée, les professions exposées à des menaces particulières de délinquance, les industriels fournisseurs de moyens et l’ensemble des acteurs qui concourent à la coproduction de sécurité sera créée au ministère de l’intérieur. Elle unifiera sous l’autorité du ministre de l’intérieur la politique de l’État en direction de ces acteurs, coordonnera leur action dans le cadre de conventions nationales, dont elle assurera le suivi et l’évaluation en lien avec les échelons locaux.
Les crédits dédiés au financement d’équipements de sécurité présentent un puissant effet de levier pour accélérer les projets des collectivités en la matière. Ainsi, les crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR) consacrés à la vidéo-protection seront triplés sur les 5 années à venir et viendront cofinancer les projets portés par les collectivités, notamment des audits des failles de sécurité éventuelles présentes dans les caméras déjà installées.
2.9 - Ouvrir davantage le ministère de l’intérieur sur la société
Malgré les rationalisations engagées récemment, la fonction prospective et anticipation est insuffisamment structurée au sein du ministère de l’intérieur, alors que l’anticipation des crises, des enjeux de sécurité et la connaissance de notre environnement donnent pourtant à ces réflexions une importance vitale. En outre, la fonction internationale demeure scindée en deux au sein du ministère de l’intérieur, ne permettant pas de tirer suffisamment parti du réseau des attachés de sécurité intérieure (ASI), alors même que les politiques de sécurité ne peuvent se mener aujourd’hui sans considérer le cadre européen et mondial.
Le ministère de l’intérieur s’ouvre encore trop peu au monde extérieur et notamment à celui de la recherche, alors que ses ressources pourraient permettre de mieux mesurer le sentiment de sécurité sur le temps long, d’analyser les ressorts de la relation police-population, d’outiller les décideurs publics sur les politiques de sécurité et de mieux tirer toutes les conséquences de ce que peuvent nous apprendre les sciences comportementales. Avoir un temps d’avance sur les criminels, mieux anticiper les crises, donner une dimension plus stratégique à la coopération européenne et internationale sont des objectifs prioritaires des prochaines années.
2.9.1 - Unifier le pilotage de l’action européenne et internationale au sein du ministère
La présente loi d’orientation et de programmation sera l’occasion d’unifier le pilotage de l’action européenne et internationale du ministère au sein d’une direction, la direction des affaires européennes et internationales, notamment pour ce qui concerne la promotion et l’influence françaises, la coordination des activités de coopération non opérationnelles (les activités opérationnelles restant du ressort de la direction de la coopération internationale de sécurité – DCIS – et de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises s’agissant de la sécurité civile), la défense des intérêts industriels français et la recherche de financements européens et internationaux. L’importance toujours croissante des enjeux européens et internationaux pour les politiques exercées par le ministère de l’intérieur commande en effet ce pilotage unifié, qui permettra de mobiliser dans une vision plus stratégique les réseaux du ministère, qu’il s’agisse des experts nationaux détachés ou des attachés de sécurité intérieure.
2.9.2 - Ouvrir le ministère sur le monde de la recherche
Les partenariats avec le monde de la recherche sont plus ou moins actifs au sein du ministère. S’ils sont très nourris au sein de la gendarmerie nationale, ils sont conçus d’une manière plus limitée au sein de la police nationale, où ils sont portés par l’École nationale supérieure de police (ENSP), qui dispose de deux structures de recherche. De nouveaux partenariats seront donc développés entre la police nationale et la recherche, sous l’égide de la future Académie de police. Afin de mieux organiser la demande de recherche, celle-ci disposera d’un conseil scientifique, qui validera les appels à projets, et son numéro 2 sera un chercheur. Le ministère fidélisera un certain nombre de chercheurs autour des thématiques de sécurité, en finançant des travaux de court ou plus long terme et en les cadençant de sorte à pouvoir nourrir la politique publique des résultats. Une politique d’ouverture des données (cf. supra), facteur clé de succès pour multiplier les travaux, sera menée. Les financements du ministère permettront de lancer des projets de recherche et de financer des thèses et des post-doctorants (jusqu’à 50).
Le collège des experts de la sécurité civile, largement ouvert au monde universitaire, complétera la capacité d’analyse et de projection dans le temps long du ministère, notamment pour adapter les outils de la résilience collective face aux conséquences des évolutions climatiques.
2.9.3 - Structurer la fonction prospective et anticipation
Il s’agit enfin de structurer de manière explicite une véritable fonction prospective et anticipation, qui sera portée par l’Institut des hautes études du ministère de l’intérieur (IHEMI). Pour cela, la priorité sera mise sur les champs de sécurité, la gestion de crise et la résilience d’une part, sur la société, les institutions et territoires d’autre part. L’offre de service sera étoffée pour être plus rapidement mobilisable par l’autorité ministérielle. De nouveaux partenariats autour de la prospective seront développés, dans le domaine de la recherche (avec une communauté d’experts de la prospective), mais aussi avec des partenaires privés et la société civile.
2.10 - Matériel du quotidien
Pour assurer leurs missions sur le terrain, policiers et gendarmes seront dotés sur la durée de la loi de programmation de matériels performants et modernisés.
Premier acheteur civil de l’État avec près de 4 milliards d’euros de dépenses par an, faisant travailler près de 70 000 fournisseurs, le ministère de l’intérieur se doit d’être exemplaire dans son utilisation de la commande publique. Tous les leviers en sa possession seront ainsi mobilisés afin de mettre en œuvre une politique d’achat responsable et orientée vers les productions françaises, dans le strict respect des règles de la commande publique, afin de conjuguer satisfaction des besoins des services et accessibilité des entreprises françaises : meilleure information des entreprises du tissu local, utilisation des marchés réservés aux structures de l’économie sociale et solidaire, application de clauses sociales et environnementales, allotissement, etc. L’ensemble des matériels seront acquis dans une démarche d’achat responsable à travers la labellisation « Relations Fournisseurs & Achats Responsables » (conforme à l’ISO 20400) qui doit aboutir à l’été 2022. Les matériels acquis seront ensuite mieux contrôlés, grâce à la mobilisation du Centre de recherche et d’expertise de la logistique (CREL) du ministère de l’intérieur dont les moyens seront renforcés pour en faire un laboratoire de pointe pour le ministère.
2.10.1 - Des véhicules « augmentés »
La modernisation des moyens mobiles des forces de sécurité intérieure a été largement engagée : entre 2017 et 2022, la moitié des véhicules ont été renouvelés. Cet effort se poursuivra durant toute la durée de la loi de programmation, avec un objectif cible de renouvellement annuel de 10 % de la flotte, dans une logique de verdissement de la flotte. Des véhicules supplémentaires seront acquis pour remettre à niveau les services spécialisés en maintien de l’ordre, en intervention ainsi que nautiques (renforcement des moyens nautiques et réaménagement de la brigade fluviale de la préfecture de police de Paris).
Les structures de maintenance seront remises à niveau et la maintenance préventive sera développée, grâce à l’analyse des données recueillies dans les véhicules et par des missions mobiles sous forme de « camions-ateliers » qui se rendront directement auprès des forces.
2.10.2 - Des tenues modernisées
Donnant suite à une demande des policiers et de leurs représentants, la modification de l’habillement des policiers a été actée dans le cadre du Beauvau de la sécurité. Plusieurs écoles de mode et de design ont travaillé sur une nouvelle tenue pour la police nationale, composée d’un calot, d’un nouveau polo et d’un nouvel uniforme. Les premières tenues seront déployées dès le début de l’année 2022 dans les unités. L’habillement et l’équipement de certains effectifs spécialisés de la police feront également l’objet d’un effort budgétaire. Des tenues plus adaptées et protectrices seront attribuées en dotation initiale à certaines unités de la gendarmerie – gendarmes mobiles, peloton de surveillance et d’intervention, brigades territoriales, unités de sécurité routière.
2.10.3 - Des matériels renouvelés
L’accent dans le renouvellement des armements et matériels de la police et de la gendarmerie sera mis sur certaines catégories de matériel. Les gendarmes seront notamment dotés sur 5 ans de nouvelles armes lourdes, de packs de vision nocturne, de moyens en intervention spécialisée ainsi que d’équipements de protection balistique. Les policiers seront dotés en nouveaux armements (exemple : pistolets à impulsion électriques ou PIE) et en équipements de protection modernisés, en housses tactiques modulaires, en nouveaux matériels d’analyse et de détection (kits stupéfiants) et en équipements lourds de police technique et scientifique.
2.10.4 - Drones
L’espace aérien est un domaine très réglementé et qui nécessite une grande technicité pour le couvrir efficacement. Les moyens aériens du ministère de l’intérieur (hélicoptères, avions) demeurent incontournables dans les missions de secours à personne, de lutte contre les feux de forêt, de sécurité publique, de lutte contre l’immigration irrégulière et de transports de personnes ou de matériels (cf. 3). Si l’émergence de nouveaux matériels, tels que les drones, fait naître des menaces nouvelles qui nécessitent d’adapter la réponse opérationnelle (lutte anti-drones, cf. 3.), leur utilisation par les forces de sécurité ouvre également de nouvelles opportunités, notamment dans l’appui opérationnel aux missions de sécurité publique et de sécurité civile, ainsi que dans le recueil de renseignement (ordre public, surveillance des frontières, etc.).
Un programme d’acquisition de drones sera lancé afin d’équiper les forces de sécurité et de secours. Ces matériels seront adaptés aux missions différentes qu’ils seront amenés à remplir mais feront l’objet d’un achat puis d’une maintenance et d’une formation des pilotes mutualisées entre les différentes forces du ministère – police, gendarmerie, sapeurs-pompiers.
2.11 - Une politique immobilière à la hauteur des projets et des besoins quotidiens du réseau
L’immobilier du ministère de l’intérieur représente des millions de m2 de bâti et plus de 20 000 implantations dans toute la France, ce qui en fait un acteur foncier incontournable.
La création d’une structure dédiée à la gestion et à l’entretien de ce patrimoine constituera une réforme d’ampleur qui répond à un triple objectif de mise à niveau de l’immobilier du ministère, de professionnalisation de la gestion et de qualité dans la durée de l’entretien courant et de la maintenance. Il s’agit également de rendre possible la recherche de recettes nouvelles et innovantes à consacrer à l’immobilier, en déléguant la gestion à un organisme dédié.
Cette structure permettra en outre d’organiser l’atteinte d’objectifs ambitieux de réduction de la consommation d’énergie au sein du ministère de l’intérieur à horizon 2030 grâce à une rénovation énergétique d’ampleur.
Cette réforme implique également, et sans attendre, de professionnaliser la fonction immobilière au sein du ministère de l’intérieur grâce des outils de gouvernance et à un suivi RH renforcé des agents chargés de ces missions. La professionnalisation implique également de fixer des objectifs de performance aux services de ce ministère en ce qui concerne l’exhaustivité des informations permettant de connaître le parc immobilier.
Il sera nécessaire de déterminer et présenter un tendanciel de dépenses d’investissement sur les projets immobiliers structurants du ministère de l’intérieur. Cette mesure permettra l’établissement d’une vision d’ensemble des projets majeurs à venir et en assurera le financement à court et moyen terme. Elle favorisera la prévision des dépenses immobilières d’investissement du ministère au profit d’une meilleure programmation et conduite des opérations. Elle permettra de donner un cadre pluriannuel partagé pour les principales opérations immobilières du ministère, favorisant la lisibilité des autorisations annuelles de crédits décidées en lois de finances.
Pour la gendarmerie nationale en particulier, il est indispensable de fournir aux gendarmes et à leurs familles des conditions de logement décentes et conformes aux normes actuelles. À cette fin, un montant annuel de 200 millions d’euros sera dédié à la reconstruction de casernes et aux réhabilitations et restructurations de grande envergure et un montant annuel de 100 millions d’euros aux travaux de maintenance.
Par ailleurs, le ministère continue de programmer la restructuration des ensembles immobiliers de son administration centrale afin de rationaliser les surfaces occupées. L’installation des services « support » du ministère de l’intérieur dans une implantation domaniale dédiée, à horizon de fin 2026, permettra de mettre fin à un bail coûteux (33 M€/an actuellement). Il convient également de préparer, accompagner et tirer les conséquences sur le parc central des relocalisations de services hors de l’Île-de-France et des grandes métropoles régionales (1 500 postes concernés). La combinaison de ces deux projets doit permettre d’optimiser les occupations de sites centraux, et de concentrer les moyens sur l’entretien du patrimoine qui restera occupé et densifié.
Le regroupement de l’ensemble des services centraux de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) sur un site unique constitue également une transformation majeure à l’appui des missions de ce service en matière de lutte contre le terrorisme et de défense des intérêts fondamentaux de la Nation. En dehors d’un gain immédiat d’espace et du renforcement des conditions de sécurité pour les agents, le nouveau site permettra de satisfaire de manière durable les besoins immobiliers de la DGSI, en intégrant les évolutions humaines et techniques à venir.
Focus : des moyens innovants pour protéger les territoires d’outre-mer
Les territoires d’outre-mer sont confrontés à des menaces, extérieures et intérieures, à des degrés divers : immigration clandestine, notamment à Mayotte ou en Guyane ; trafics divers, et notamment de stupéfiants, à Mayotte, aux Antilles, à La Réunion ou en Guyane ; enjeux de criminalité et de délinquance dans tous les territoires ultramarins. La présente loi devra permettre d’investir dans des moyens, tant matériels qu’humains, pour faire face à ces menaces.
Pour faire face aux menaces extérieures, l’émergence de « frontières intelligentes » est un enjeu majeur.
Seront ainsi déployés aux frontières des outre-mer de nouveaux outils technologiques pour lutter contre les trafics ou encore l’immigration irrégulière : des bagages X pour mieux lutter contre le trafic de stupéfiants et les flux financiers illégaux ; du matériel d’observation et de surveillance (jumelles à visée nocturne, caméras longue distance) ; des moyens nautiques supplémentaires ; des scanners à conteneurs dans les grands ports maritimes, ou des scanners portatifs dans les gares maritimes ; des radars de surveillance, des scanners corporels (adaptés au phénomène des « mules » et des équipes cynotechniques) contribueront à une lutte plus efficace contre le trafic de stupéfiants. Le recours aux drones de surveillance sera développé.
En matière de lutte contre la délinquance, les territoires d’outre-mer bénéficieront de l’augmentation des effectifs de réservistes, des cadets de la police nationale et de la gendarmerie nationale dans les outre-mer, qui correspond à l’objectif de doublement de la présence des policiers et gendarmes sur la voie publique d’ici 2030. En matière de moyens financiers, le triplement des crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR) permettra de soutenir plus massivement l’effort d’équipement des communes pour leurs polices municipales, et en dispositifs de vidéo-protection.
En matière d’ordre public, la création de 11 nouvelles unités de forces mobiles renforcera la capacité à projeter des forces localement, mais aussi des matériels adaptés (blindés) pour faire face à des événements d’importance, notamment en matière d’ordre public.
3 - Mieux prévenir les menaces et les crises futures
La loi d’orientation et de programmation dote les forces d’un cadre juridique et des outils numériques qui leur permettent de se concentrer sur l’essentiel de leurs missions, avec une fonction investigation revalorisée pour apporter des réponses plus rapides à nos concitoyens victimes et pour sanctionner plus efficacement les délinquants, grâce à la création d’assistants d’enquête de police et gendarmerie, à des moyens mis sur l’aboutissement d’une procédure numérique et à la remise à niveau des équipements de la police technique et scientifique.
Affronter les crises à venir oblige à informer nos concitoyens sur les risques et les moyens d’y faire face et développer leur culture du risque. Il s’agit aussi de replacer le ministère de l’intérieur comme l’organisateur incontournable de la gestion de crise au sein d’une CIC « augmentée ». S’agissant des moyens, l’ambition consiste à remettre à niveau les capacités (« plan COD », pacte capacitaire des services d’incendie et de secours prenant en compte une meilleure répartition des moyens proportionnés aux risques par un maillage territorial et des capacités équilibrés, communication de proximité par les préfectures, logistique de crise), renforcer les moyens nationaux (flotte aérienne, réseau radio du futur, formations militaires de la sécurité civile, service du déminage) et revaloriser le volontariat via la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance (NPFR) des sapeurs-pompiers volontaires, se doter des cadres juridiques et technologiques permettant de faire face aux grands événements à venir (coupe du monde de rugby et Jeux olympiques) et renforcer notre réponse opérationnelle aux subversions violentes par la création d’unités très mobiles rapidement projetables en tout point du territoire.
Pour atteindre ces objectifs, les outils de formation des forces, comme annoncé dans le cadre du Beauvau de la sécurité, seront remis à niveau : augmenter la formation initiale, la renforcer sur le volet judiciaire, augmenter le temps de formation continue, créer une véritable Académie de police. Mais également accompagner les policiers et gendarmes, pour mieux tenir compte de la difficulté des conditions d’exercice du métier, renforcer l’attractivité et les réseaux de soutien.
3.1 - Pour faire face à la délinquance du quotidien, renforcer la fonction investigation
La réponse pénale constitue une attente forte des Français. Or la qualité des enquêtes incombe aux agents du ministère de l’intérieur. La filière investigation connaît par ailleurs une forte désaffection malgré un besoin croissant, en particulier dans la police : le nombre d’officiers de police judiciaire (OPJ) en police en poste aujourd’hui est de 17 000 contre un besoin estimé à 22 000 exerçants. Cette désaffectation s’explique notamment par la complexification de la procédure pénale, la crainte d’une mise en cause personnelle en cas de défaillance sur une procédure médiatique, etc. Des premières réponses ont été apportées pour rendre la filière plus attractive : les OPJ bénéficieront d’une accélération de carrière, la prime qui leur est versée a été revalorisée de 20 % (de 1 080 euros à 1 296 euros par an) et elle sera réservée à compter de décembre 2022 à ceux qui sont sur un poste OPJ exerçant pour en renforcer l’incitation. La simplification de la procédure pénale reste un enjeu majeur pour l’attractivité et la performance de la filière investigation judiciaire. Alors que tous les acteurs de la chaîne pénale font le constat commun d’une crise de la filière judiciaire qui doit faire face non seulement à une judiciarisation et à des contentieux de masse croissants, mais aussi à une attente légitime de célérité et de qualité, et dans l’objectif de démultiplier le nombre d’OPJ sur le terrain, pour traiter mieux et plus rapidement les procédures, il nous faut mieux former, simplifier la procédure pénale et concentrer le temps des policiers et gendarmes sur le cœur du métier d’investigation.
3.1.1 - Former plus d’officiers de police judiciaire (OPJ)
L’ensemble des nouveaux policiers et gendarmes seront formés aux fonctions d’OPJ, en intégrant un socle commun à la formation initiale et en prévoyant le passage de l’examen à l’issue de la scolarité et de la période de stage (et non plus après trois ans). L’objectif est de disposer de 2 800 OPJ en 2023 – année de mise en place du nouveau dispositif – contre 1 200 sur l’année 2021. Cette formation élèvera le niveau juridique de l’ensemble des nouveaux policiers et gendarmes et valorisera ces fonctions qui souffrent aujourd’hui d’un déficit d’image.
Pour cela, l’article 16 du code de procédure pénale évoluera de sorte à permettre aux jeunes policiers et gendarmes sortant d’école et ayant achevé leurs stages de passer immédiatement l’examen d’OPJ, sans attendre les trois années d’exercice prévues actuellement.
Enfin, le recours à la réserve opérationnelle sera également utilisé pour les services d’enquête avec les OPJ retraités.
3.1.2 - Alléger le formalisme procédural et simplifier la procédure pénale
Le développement des logiciels de retranscription (de type speech to text) permettra d’alléger le formalisme écrit de la procédure pénale et ainsi opérer un gain de temps sur la retranscription d’actes tels que constatations, perquisitions, exploitations vidéos.
Le recours à la télécommunication audiovisuelle mérite d’être développé pour certains actes d’enquête, dont les auditions des victimes dans des dossiers ciblés (atteintes aux personnes exclues), avec pour double objectif d’offrir un accueil numérique personnalisé rapide à la victime et de permettre un gain de temps au profit des actes d’investigation. Plusieurs articles du code de procédure pénale doivent donc être modifiés.
Des assistants d’enquête de police et de gendarmerie seront créés afin de recentrer les OPJ sur leur cœur de métier. Au total, sur 10 ans, 3 273 assistants d’enquête pour la gendarmerie et 4 387 pour la police, avec pour objectif d’absorber 50 % du temps d’OPJ consacré à la procédure. Ces assistants d’enquête (qui ne seront pas un corps nouveau mais des agents de catégorie B habilités devant l’autorité judiciaire) assureront les tâches administratives liées aux investigations : ils pourront consulter les fichiers de police, réaliser les « avis » (avis avocat, avis famille, avis consulat, etc.), effectuer des convocations, rédiger certains actes comme des réquisitions auprès des opérateurs téléphoniques, sous le contrôle des OPJ et APJ. Pour ces missions, des articles du code de procédure pénale seront modifiés. D’autres missions leur seront confiées sans habilitation judiciaire particulière : gestion administrative et orientation des dossiers, gestion administrative du déroulé des gardes à vue, gestion des scellés, traitement des procédures étrangers avec les préfectures, etc.
En complément, les moyens de la police technique et scientifique (PTS) sont renforcés : développer les outils permettant d’intégrer immédiatement des éléments de procédure en mobilité, moderniser les laboratoires (industrialisation des process analytiques simples, renouvellement permanent du parc analytique « industriel » à hauteur de 10 % par an, sanctuarisation du projet SMARTLAB 2022), adopter une démarche de système de management de la qualité et créer un nouveau laboratoire de police scientifique.
Les amendes forfaitaires délictuelles (AFD) sont étendues. Des travaux sont en cours pour qu’en cas de non-paiement de l’amende, en sus des méthodes de recouvrement aujourd’hui mises en œuvre, le ministère des comptes publics puisse saisir les sommes dues sur les revenus des personnes concernées.
Pour accompagner ces dispositions législatives, des moyens nouveaux pour l’agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) sont nécessaires afin de déployer sur les cinq années ces nouvelles amendes.
D’autres mesures de simplification, plus techniques, sont nécessaires pour rendre plus efficace le travail des OPJ au quotidien :
- Supprimer la réquisition des services de police technique scientifique par les services de la police nationale ;
- Créer une disposition légale prévoyant la présomption d’habilitation des agents à accéder aux fichiers de police ;
- Appliquer les techniques spéciales d’enquête au délit d’abus de faiblesse en bande organisée, afin de faciliter le travail des enquêteurs dans la lutte contre les dérives sectaires ;
- Recourir aux techniques spéciales d’enquête pour les fugitifs recherchés pour des faits de criminalité organisée ;
- Étendre les autorisations générales de réquisitions.
Enfin, pour simplifier le travail des enquêteurs, les cadres d’enquête seront repensés, en lien avec le ministère de la justice.
3.1.3 - Mieux intégrer le fonctionnement police-justice
Alors que la suppression du rappel à la loi par OPJ a été votée dans la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire et que nous devons relever le défi de son efficace remplacement par des mesures alternatives, et en particulier par l’avertissement pénal probatoire par le procureur ou son délégué créé par cette même loi, il nous apparaîtrait particulièrement cohérent et efficace de positionner des délégués du procureur dans les commissariats et les gendarmeries, gage de célérité et de crédibilité de la réponse pénale aux incivilités du quotidien.
Il s’agit également de permettre de rapprocher le travail concret des magistrats et des forces de sécurité intérieure. Grâce à une expérimentation en cours en 2022, des délégués du procureur ont commencé à se rendre dans plusieurs commissariats. Ce travail conjoint de délégués du procureur mais aussi de magistrats en commissariat permettra d’apporter des réponses pénales plus rapides et de construire un partenariat plus étroit sur certains types de faits et délits.
Enfin, la modernisation et la transformation de l’organisation de la police judiciaire sont engagées avec notamment la création de l’Office anti-stupéfiants (OFAST) le 1er janvier 2020, adossé à un plan national de lutte contre les stupéfiants. Afin de continuer à conforter la plus-value apportée par les offices, il s’agit désormais de renforcer leur coordination ainsi que leur dimensionnement.
3.2 - Nous armer face aux crises de demain, hybrides et interministérielles
Les crises auxquelles nous ferons face dans les prochaines années seront de plus en plus inattendues (cyberattaques, perte d’alimentation électrique, crises majeures simultanées) et hybrides ; elles n’entreront plus dans les « cases » de la sécurité civile, de l’ordre public, etc. En particulier, la dépendance aux réseaux et aux nouvelles technologies renforce notre vulnérabilité collective. D’autre part le réchauffement climatique va multiplier les risques pour nos concitoyens ; les attentes de nos concitoyens concernant la prévision et la gestion de ces risques vont donc légitimement croître. Demain, nous devrons mieux anticiper les menaces et les crises ; mieux informer et préparer nos concitoyens, pour renforcer la culture du risque ; mieux protéger les Français des risques naturels, technologiques ou encore des attaques malveillantes.
Anticiper et prévenir les risques
Pour permettre au ministère de l’intérieur chargé de la gestion des crises de mieux piloter le « continuum de la sécurité (civile ou publique) » et d’influer sur les moyens d’agir en amont, pour réduire les risques à la source, l’anticipation des crises doit être étendue à l’ensemble des politiques de prévention face aux risques majeurs.
Pour ce faire, sera institutionnalisé un collège technique co-présidé par le ministère chargé de la gestion des crises et par le ministère chargé de la prévention des risques, sous l’égide du SGDSN et composé des ministères chargés de l’agriculture, de l’alimentation, de l’urbanisme, de l’environnement, de l’énergie et des transports, pour conduire les travaux d’étude d’impact en matière de gestion des crises sur les risques majeurs : réduction de la vulnérabilité, définition des dispositifs collectifs de protection, analyse de l’après-crise permettant d’identifier les conditions de la diminution du risque pour l’avenir dont le retour d’expérience permet de tirer les leçons d’une action et d’affiner la connaissance des phénomènes.
Une coopération plus structurée entre le ministère de l’intérieur et les opérateurs de l’État ayant un rôle dans la prévision des événements majeurs constitue également un axe de modernisation de la politique publique de la gestion des crises.
3.2.2 - Bâtir un centre interministériel de crise 2.0
Le ministre de l’intérieur est le ministre de la gestion des crises sur le territoire national. Conformément à la circulaire du Premier ministre n° 6095/SG du 1er juillet 2019 relative à l’organisation gouvernementale pour la gestion des crises majeures, le Premier ministre s’appuie sur un dispositif gouvernemental dénommé « cellule interministérielle de crise » (CIC) et confie en principe la conduite opérationnelle de la crise au ministre de l’intérieur lorsque la crise a lieu sur le territoire national.
Pour appuyer la gestion de crise, un nouveau centre interministériel de crise devra être créé ; plus grand, mieux équipé, avec une salle de situation intégrant l’ensemble des forces, armée en continu, et un directeur permanent du centre de crise. Le directeur du centre de crise aura pour mission, lorsque la CIC n’est pas activée, de planifier, de recruter et former les volontaires des ministères qui armeront les salles, de développer un outil intégré de gestion de crise des préfectures jusqu’à la CIC, d’organiser un pilotage des crises par la donnée. En appui, le développement d’outils et de réseaux à la pointe de la technologie, permettant des communications fluides entre ministères ainsi qu’avec les préfectures, nécessite des investissements continus et le développement d’applicatifs intégrés de gestion de crise, permettant d’associer tous les décideurs et de fournir une vision agglomérée des différents outils existants. Placé dans un bâtiment ad hoc, il doit comprendre les services qui y concourent dans leur diversité et pouvoir basculer en mode gestion de crise à tout moment.
La CIC doit en conséquence être dotée d’un état-major permanent auquel s’adossent les états-majors de toutes les forces de sécurité intérieure. Cette nouvelle posture nécessite la construction de la CIC de demain, plus grande, plus connectée, plus résiliente, conçue avec le SGDSN à la suite d’un travail interministériel et dotée d’un outil intégré de gestion des crises allant du poste communal de sauvegarde (PCS) des communes jusqu’à la CIC en passant par les centres opérationnels départementaux (COD) et de zone (COZ). Ce service de la direction des crises devra rassembler tous les états-majors de toutes les directions générales du ministère de l’intérieur et être localisé sur l’îlot Beauvau.
La gestion des crises de demain implique le recours accru à l’intelligence artificielle et aux outils numériques d’aide à la décision pour exploiter la multitude de données numériques collectées auprès de toutes les forces de sécurité intérieure (FSI), des périmètres ministériels, opérateurs privés, et réseaux sociaux. Cette approche intégrée de la gestion des données reste compatible avec le maintien d’une organisation en métier des forces de sécurité intérieure, opérateurs et périmètres ministériels.
3.2.3 - Professionnaliser et consolider la chaîne de la gestion des crises
La complexité des interactions, l’augmentation des menaces sur les systèmes d’information, les nouveaux risques liés au dérèglement climatique font craindre l’apparition de nouvelles crises plus graves, plus fréquentes, plus multiples et donc plus incertaines. Notre incapacité à y répondre de façon suffisamment efficace serait également facteur d’aggravation par l’enchaînement des phénomènes, la survenue de « crises dans la crise », menaçant l’ordre public et sapant l’autorité des pouvoirs publics. Cette situation serait alors susceptible de créer une crise de confiance du citoyen envers l’autorité en charge de le protéger entraînant le pays dans une crise démocratique aux conséquences incontrôlables.
Est ainsi à redouter la conjonction de phénomènes pouvant engendrer des crises plus graves, plus soudaines, plus complexes et plus systémiques nécessitant d’adapter la réponse des pouvoirs publics.
Cette aggravation des crises, dans leur intensité comme dans leur fréquence, nécessite l’adaptation de nos organisations existantes, en lien avec le SGDSN, autour de plusieurs principes d’action :
- Clarifier et renforcer les pouvoirs du préfet en cas de crise :
Acte positif du préfet de zone, décidé en anticipation ou en réaction à un phénomène d’une particulière gravité et affectant la sécurité des populations, l’autorisation donnée au représentant de l’État dans le département lui permet d’affirmer immédiatement l’unité de commandement sur l’ensemble des services et établissements publics de l’État, et d’éviter la gestion de crises en silo, pour les affaires directement liées à la crise.
- Piloter les crises par la donnée :
Le pilotage de la crise par la donnée pourra également impliquer l’interopérabilité des données issues du maintien de l’ordre public, de la prévention des risques, des canaux d’alertes des différents ministères et opérateurs publics et privés, et des informations provenant des réseaux sociaux.
- Mettre à disposition de la CIC une plateforme de services assurés par le ministère de l’intérieur :
Ces services reposeraient sur une logistique de crise (chaîne interministérielle cohérente de logistique de crise avec stockage stratégique, manœuvre de ventilation sur le territoire national, distribution « au dernier kilomètre » permettant d’atteindre tous les citoyens) ; la communication de crise, en lien étroit avec le service d’information du gouvernement (SIG) ; les outils numériques de la gestion des crises pilotés par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) ainsi que la direction du numérique ; la formation des cadres dirigeants à la gestion des crises ; l’information du public en situation de phénomène majeur à travers la cellule interministérielle d’information du public et d’aide aux victimes (INFOPUBLIC) installée pour le compte du Premier ministre place Beauvau et qui relève de la DGSCGC pour sa gestion et son animation, avec l’appui du Secrétariat général du ministère de l’intérieur pour les fonctions support.
3.2.4 - Renforcer les préfets dans la gestion des crises
À la lumière des crises récentes, où l’autorité préfectorale a été en première ligne du fait de son expertise des situations exceptionnelles rencontrées, de sa capacité à incarner l’unité de l’action de l’État et du lien opérationnel avec les collectivités territoriales, il importe de renforcer le pilotage de la gestion des crises autour des préfets dans les territoires pour assurer une coordination pleine et entière de la gestion de crise : mise en sécurité des biens et des personnes, organisation des moyens de secours, fonctionnement des institutions et continuité des services publics, préservation de l’environnement.
Pouvoirs des préfets
En l’état, les dispositions relatives aux pouvoirs des préfets en période de crise dans l’ordonnancement juridique actuel sont peu mobilisées ou diversement interprétées. Une disposition générale au sein du code de la sécurité intérieure prévoit une autorité élargie du préfet sur l’ensemble des services déconcentrés des administrations civiles de l’État et établissements publics de l’État ayant un champ d’action territorial.
Rénovation des Centres opérationnels départementaux (COD) des préfectures
Le centre opérationnel départemental (COD) constitue l’équipement immobilier support de référence pour la gestion locale de crise. Compte tenu de la vétusté de nombreux centres de crise départementaux et de leur inadaptation physique et technologique, une rénovation complète de l’ensemble des centres opérationnels départementaux de préfecture permettra de disposer de tous les atouts pour faire face à des situations de crise de toute nature. Cette mise à niveau implique des travaux de rénovation de grande ampleur (avec le cas échéant des relocalisations) et/ou des travaux d’équipement. D’après une enquête réalisée au second trimestre 2021, plus d’une cinquantaine de départements sont concernés, à des degrés divers. Les départements accueillant des épreuves des Jeux olympiques seront traités en priorité. Le coût moyen de rénovation d’un COD est estimé à 400 000 €. La DGSCGC assurera une prestation de conseil sur les équipements et les outils.
Renforcer les services communication des préfets
La diffusion d’informations, fondées ou non, est devenue instantanée avec le développement des réseaux sociaux. Les analyses développées par les décideurs, les décisions prises, voire les moyens déployés sont immédiatement discutés et critiqués. Il convient donc d’être en mesure d’apporter une parole à la fois rapide et d’un haut niveau de technicité et pour cela :
- renforcer les services de communication des préfectures ;
- attirer des experts de la communication à même d’assurer le porte-parolat du préfet, doter les services d’un budget propre et d’un bon niveau d’équipement technique ;
- renforcer drastiquement le plan de formation et le rendre obligatoire (y compris le recyclage) pour les préfets, les sous-préfets, les chargés de communication et les cadres du cabinet ou d’astreinte : prise en main et veille des réseaux sociaux, réflexes durant les astreintes, attitude à tenir en situation de crise.
Colonnes de renforts préfectorales
Pour bénéficier d’un appui immédiat dans la gestion de crises, des colonnes de renfort pourront être envoyées en préfecture, composées de différentes compétences en fonction des besoins : veille et communication, logistique, réserve préfectorale. Composée d’agents expérimentés (préfets et sous-préfets en retraite) et de cadres de l’administration territoriale de l’État volontaires, cette réserve préfectorale permet de préserver la réactivité d’équipes préfectorales par un renfort temporaire, et de progresser de front sur plusieurs thématiques distinctes ou complémentaires dans une phase sensible.
3.2.5 - Penser la gestion de l’après-crise
Au-delà de la protection des personnes et des biens, le ministère de l’intérieur se doit d’être présent sur l’ensemble du continuum de la crise et de gérer les suites immédiates de l’événement pour accélérer le retour à la normale. La prise en charge des situations immédiatement « post crise » a pour objectif le rétablissement des fonctions fondamentales pour les territoires (circulation, réseaux, etc.) et l’acheminement de moyens de première nécessité pour rétablir la situation (moyens zonaux et nationaux, chaîne logistique). À ce stade de la gestion de crise, le ministère de l’intérieur devra toujours disposer de la capacité d’agréger l’ensemble des compétences et des expertises. Il doit, au niveau des moyens nationaux, étendre la panoplie des outils et réponses à disposition pouvant être projetés (gestion des plans de secours, tentes, groupes électrogènes, moyens aériens renforcés, bâches, hôpital de campagne, engins de travaux publics, etc.).
Dans le droit fil de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras (qui conçoit le préfet comme directeur des opérations et non uniquement directeur des opérations de secours), les préfets disposeront de moyens opérationnels et pourront recourir aux personnels d’administrations (y compris agences, opérateurs, et services qui ne sont pas en temps normal sous l’autorité du préfet, hors armée) et d’entreprises privées grâce au pouvoir de réquisition à leur disposition.
Des modalités de préfinancement par des fonds ad hoc de l’État, plus souples en première instance, seront proposées. La création d’un fonds de concours permanent, doté de fonds de l’État ou d’opérateurs d’assurances, pourrait être étudiée à cet effet pour assurer le paiement des prestations aux entreprises réquisitionnées, les premiers secours aux sinistrés ou le financement exceptionnel des moyens de l’État.
3.2.6 - Développer la culture du risque chez nos concitoyens
Trop souvent le citoyen n’a pas connaissance du champ et de la nature des mesures de prévention et d’anticipation ou le rôle des autorités intervenantes. Or, « toute personne concourt par son comportement à la sécurité civile » (article L. 721-1 du code de la sécurité intérieure). Pour donner corps à ce principe, l’information sur les risques sera renforcée par une politique d’exercices réguliers, associant non seulement les élus locaux mais aussi, au maximum, la population. Le développement d’un citoyen acteur de sa mise en sécurité et de la protection d’autrui se comprend dans la complémentarité d’un volet formation à la prévention des risques et aux comportements en cas d’événement et d’un volet d’une journée nationale de sensibilisation et de prise de conscience collective des enjeux. Ces deux volets doivent à terme permettre une gestion plus efficace de la crise par des comportements adaptés de la population
Afin de renforcer cette culture de la prévention, conformément à la stratégie nationale de résilience, une « journée nationale » dédiée aux risques majeurs et aux gestes qui sauvent, sur le modèle déjà pratiqué au Japon, sera instaurée chaque année. L’ensemble de la population participera ainsi à un exercice grandeur nature de prévention d’une catastrophe naturelle ou technologique d’ampleur. Cette démarche va de pair avec une information sur les postures à adopter en cas de crise et les gestes qui sauvent, pour toute la population sans exception et dans tous les milieux (scolaires, professionnels, médico-social). Tous les jeunes et tous les actifs devront être formés aux gestes de premier secours en 10 ans, avec une formation continue tout au long de la vie pour conserver les bons réflexes.
Les actions d’information prévues dans les administrations publiques, les établissements et entreprises privés ou les établissements d’enseignement intégreront notamment des exercices et seront organisées dans toute la mesure du possible à la date de la journée annuelle de la résilience prévue le 13 octobre.
Au-delà de cette information, il s’agira de renforcer le volontariat dans les associations agréées de sécurité civile, chez les sapeurs-pompiers et au travers des réserves communales de sécurité civile en multipliant les initiatives et les appels aux volontaires, grâce notamment au « brevet de secourisme » destiné aux jeunes et aux actifs.
Le déploiement du réseau FR-Alert, totalement opérationnel fin 2022, permet aussi de doter le ministère de l’intérieur d’un outil puissant de gestion de crise, qui viendra porter à haut niveau les moyens dont disposent les préfets pour alerter, informer et protéger les populations. FR-Alert représente une des ruptures technologiques majeures en matière de gestion et de communication de crise. Désormais, sans intermédiaire, la puissance publique peut s’adresser immédiatement et directement aux citoyens.
3.2.7 - Renouveler la flotte d’hélicoptères, compléter la flotte aérienne pour plus de polyvalence
Le ministère de l’intérieur dispose de moyens aériens indispensables à la conduite de ses missions du quotidien et de l’exceptionnel. Il renforcera la cohérence de ces flottes ministérielles et le niveau de mutualisation. Elle sera permise par une plus grande cohérence des gammes des machines achetées s’agissant des hélicoptères, et devra viser une maintenance complètement mutualisée, des formations communes et une meilleure prise en compte des enjeux de sécurité aérienne. Un comité stratégique des moyens aériens permettra de traiter de manière transverse ces sujets et de s’assurer de la polyvalence des nouveaux achats envisagés. L’efficacité de ce comité sera évaluée à mi-LOPMI pour évaluer la nécessité de pousser plus loin la mutualisation des dispositifs.
S’agissant des moyens héliportés, le renouvellement des flottes sera conduit dans le respect des missions de sécurité civile d’une part et de sécurité publique d’autre part, mais avec l’objectif d’une convergence des nouvelles machines, socle de l’interopérabilité et de la maintenance commune des flottes du ministère. Ainsi, les hélicoptères vieillissants des flottes du ministère seront remplacés sur les cinq prochaines années et au-delà, ce qui représente un effort d’investissement considérable (36 machines sur cinq ans). Ils seront complétés par les dix hélicoptères de transports lourds (H 160), dont la livraison s’échelonnera jusqu’en 2026, destinés au transport des unités d’intervention spécialisées des forces de sécurité intérieure.
S’agissant des avions, la cible de la flotte d’avions bombardiers d’eau de type CL515 « Canadair » se situe à 16 appareils. Ainsi, l’achat et le renouvellement de la flotte des 12 avions CL415 « Canadair » par 16 avions bombardier d’eau amphibie (ABE) du même type doivent être programmés pour faire face à ces enjeux. Parmi ces 16 ABE, 2 seront financés à 90 % dans le cadre du programme RescUE pour la création d’une flotte européenne. L’augmentation de la flotte par l’acquisition de 4 aéronefs supplémentaires devra s’accompagner de la création de poste de pilotes et copilotes constituant les équipages, et d’un travail de fond sur les conditions d’exercice de ce métier et l’attractivité des postes au sein de la sécurité civile. Ainsi 12 postes de personnels navigants devront être créés pour accompagner la mesure.
3.2.8 - Bâtir le hub européen de sécurité civile à Nîmes
Parallèlement, alors que le réchauffement climatique accroît l’intensité du risque de feu de forêt et l’élargit à de nombreux territoires européens, il convient désormais d’envisager la flotte d’avions comme un outil à vocation nationale et le fer de lance d’une réponse européenne. L’Europe de la sécurité civile est une réalité opérationnelle. La France a montré et son volontarisme et sa compétence en la matière. Ainsi, dans le cadre du mécanisme européen de protection civile, la France arme 18 des 118 modules européens. Être à la fois capable d’aller porter assistance et de recevoir, le cas échéant, une assistance de nos voisins européens constituait un défi désormais relevé. Mais l’approfondissement de ce mécanisme, auquel la DGSCGC continuera d’apporter toute son énergie, est un impératif face à l’intensification des crises, leur multiplication et leur caractère transfrontalier.
Ainsi, la base aérienne de Nîmes-Garons doit changer de dimension et devenir un pôle européen de sécurité civile. Dans ce cadre, elle peut devenir un véritable hub de sécurité civile permettant de rassembler, en un seul lieu, une partie des moyens existants et d’ériger un pôle de référence agrégeant les différentes fonctions aériennes et logistiques. À terme, Nîmes-Garons pourrait ainsi :
- accueillir les avions et le groupement hélicoptères de la DGSCGC ;
- héberger une part des réserves nationales ;
- regrouper l’ESCRIM (élément de sécurité civile rapide d’intervention médicalisée) actuellement basé au sein de l’UIISC 7 de Brignoles et du SDIS du Gard, en lien avec la métropole de Nîmes ;
- accueillir, à terme, une unité militaire de la sécurité civile ;
- agréger, dans une logique de cluster économique, des entreprises et des start-ups innovantes dans le domaine de la sécurité civile.
Cette « centralité nîmoise » viendra consolider un réseau territorial adossé à la fois à des bases hélicoptères permanentes rénovées et des pélicandromes capables, sur tout le territoire national et en tant que de besoin, de soutenir la projection des moyens de lutte contre les feux d’espaces naturels sur l’ensemble du territoire. Le volet européen, prioritairement orienté sur la lutte contre les feux de forêts, doit déboucher sur l’obtention d’importants crédits européens dans cette perspective. Des études de faisabilité devront être réalisées en ce sens.
3.2.9 - Prépositionner des moyens outre-mer
Ce souci de cohérence territoriale, pour que chaque Français puisse être effectivement protégé, impose de positionner l’État comme le garant de la protection civile des territoires ultramarins. Les Outre-mer constituent en effet un point de focalisation opérationnelle particulier en raison de leur exposition à des risques spécifiques (cyclones) et des risques extrêmes (sismique) et à d’importants défis logistiques. La question du pré-positionnement des moyens de la réserve nationale, sur la plaque Antilles-Guyane comme dans l’océan Indien, doit permettre aux autorités locales, en cas de crise majeure, de disposer des moyens de première réponse avant l’arrivée de secours nationaux ou internationaux (cf. focus ci-après).
Préparer cette réponse en identifiant les risques et planifiant les procédures, prépositionner du matériel et des hommes, anticiper la projection de massifs moyens de secours en cas de catastrophes sont parmi les priorités de la DGSCGC pour les territoires ultramarins.
Les moyens zonaux, rattachés à d’autres ministères, pourraient aussi être formés et mobilisés en cas d’événement extrême, tels que les effectifs du ministère des armées. Dans le cas d’aléas qui affecteraient les sites de positionnement de moyens nationaux (de la sécurité civile et/ou d’autres acteurs français de la sécurité-défense), le stationnement temporaire de ces contingents sur des territoires localisés dans la région, français ou sous souveraineté d’autres États pourrait apparaître comme une solution. Cette disposition entraînerait la signature d’accords bilatéraux ou multilatéraux, et impliquerait des dynamiques interministérielles (ministère de l’intérieur, ministère de l’Europe et des affaires étrangères et ministère des armées).
3.2..10 - Co-financer les pactes capacitaires des SDIS
La qualité de la couverture territoriale de la sécurité civile passe par l’affirmation du pacte capacitaire et l’enracinement des états-majors interministériels de zone qui permettront à l’État d’impulser une stratégie de rationalisation, de mutualisation et d’interopérabilité efficiente entre services nationaux et services d’incendie et de secours, dotés de moyens homogènes adaptés aux risques des territoires.
Le pacte capacitaire sera l’outil pour couvrir l’ensemble des départements, quelle que soit la surface de leur SDIS, avec des moyens technologiques optimisés, armés par des personnels formés et entraînés. Articulée autour des états-majors interministériels de zone consolidés, coordonnée par des systèmes d’information performants, la réponse de sécurité civile se fera ainsi plus souple et plus réactive. Le pacte capacitaire constitue ainsi un outil majeur de modernisation de la réponse opérationnelle de la sécurité civile ainsi que la garantie d’une couverture territoriale plus complète et plus efficiente.
Dans ce but, l’impulsion financière de l’État est cruciale et doit être ciblée sur des projets d’investissements stratégiques au sein des zones de défense et de sécurité. Des financements dédiés sont ainsi prévus pour créer un effet levier et participer à l’effort de mutualisation des moyens exceptionnels entre SDIS, effort porteur d’économies collectives.
3.3 - Renforcer notre réponse opérationnelle face à la subversion violente
La mise en œuvre, à partir de 2007, de la révision générale des politiques publiques (RGPP) a conduit la DGPN et la DGGN à faire porter sur les unités de force mobile (UFM) l’effort des réductions d’effectifs demandé : pour la police nationale, en a résulté la réduction de l’effectif de chaque unité de compagnies républicaines de sécurité (CRS) (- 1 500 ETP entre 2007 et 2014) sans diminuer le nombre des unités (60) ; pour la gendarmerie nationale, la diminution du nombre des escadrons de gendarmerie mobile (de 123 à 108 entre 2007 et 2015) et la réduction de l’effectif de chaque unité (- 2 300 ETP entre 2007 et 2015), avec en parallèle une diminution des missions extérieures. Or depuis quelques années le maintien de l’ordre évolue face aux nouvelles subversions violentes : il ne s’agit plus seulement d’encadrer des manifestations revendicatives mais d’être en capacité de stopper des casseurs, d’intervenir pour mettre fin à des affrontements violents entre bandes ou communautés, dans des temps très brefs et sous le regard des médias et des smartphones. À compter de 2017, le potentiel des deux forces a été progressivement renforcé (+ 600 ETP), mais les forces disponibles ne sont pas toujours suffisantes pour intervenir très rapidement en tout point du territoire.
3.3.1 - Création de 11 nouvelles unités de forces mobiles
Onze nouvelles unités de forces mobiles (UFM) seront créées à brève échéance, pour venir renforcer les dispositifs liés aux grands événements des années à venir (Coupe du Monde de rugby de 2023, Jeux Olympiques de 2024). Rapidement projetables, sur le modèle de la CRS 8 pour la police nationale et du dispositif d’intervention augmenté de la gendarmerie nationale (DIAG), y compris outre-mer, elles pourront faire face à des affrontements violents dans un temps très court, avec des moyens spécifiques. Ces nouvelles UFM permettront d’assurer les besoins en formation et une meilleure disponibilité opérationnelle pour couvrir l’ensemble des besoins sur le territoire.
3.3.2 - Un investissement massif dans la formation des forces au maintien de l’ordre
Les effectifs chargés du maintien de l’ordre seront mieux formés : un centre de formation spécialisé en maintien de l’ordre en milieu urbain sera créé en région parisienne et, parallèlement, le centre d’entraînement des forces de Saint-Astier (Dordogne) sera rénové, en créant de nouveaux espaces d’entraînement et en se mettant en capacité d’accueillir davantage de stagiaires.
3.3.3 - Des moyens exceptionnels pour organiser la sécurité des Jeux Olympiques
Vingt-cinq millions d’euros ont d’ores et déjà été prévus dans le cadre du plan de relance afin de financer des expérimentations technologiques de sécurité en vue des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et de la coupe du monde de rugby de 2023. Plus largement, quatre types d’investissements doivent être réalisés dans la perspective des Jeux olympiques :
- un plan cybersécurité, pour augmenter la résilience des services du ministère ;
- des moyens de lutte anti-drones pour Paris (cérémonie d’ouverture et épreuves) et les villes accueillant des épreuves. Il s’agit d’acquérir des équipements permettant la détection, le brouillage et la neutralisation des drones malveillants et de bâtir la capacité de mise en œuvre tout en s’assurant de leur parfaite intégration dans les dispositifs de protection et de sécurité aérienne mis en œuvre par les armées ;
- des moyens pour les centres de commandement de la préfecture de police et de la coordination nationale pour la sécurité des Jeux olympiques (CNSJ) ;
- d’autres équipements, de nature diverse, permettant aux forces d’être parées à tous les risques dans la perspective de cet événement majeur.
3.4 - Mieux sécuriser nos frontières
L’espace frontalier doit faire l’objet d’une gestion plus intégrée et mieux coordonnée, qui tire tous les bénéfices des moyens innovants de contrôle et de surveillance.
Permettre l’intervention des garde-frontières de FRONTEX
Une véritable intégration du corps des garde-frontières de FRONTEX à la gestion des frontières extérieures de la France nécessite de les doter de prérogatives alignées sur celles de la police aux frontières. L’article 82 du règlement UE 2019/1896 (Frontex) prévoit explicitement la possibilité pour un État membre « hôte » d’accueillir le déploiement de garde-frontières européens à ses frontières extérieures et de les faire bénéficier d’un port d’arme, de recourir à la force conformément au droit national et de leur laisser consulter ses bases de données nationales aux fins de surveillance des frontières.
Moyens innovants pour la surveillance des frontières
Les policiers seront dotés de moyens innovants pour opérer la surveillance des frontières :
- généralisation des drones de surveillance, dotés de matériels spécifiques (vision nocturne, dispositifs de détection thermique) ;
- caméras infra-rouges et thermiques ;
- mise en place de systèmes de lecture automatisée des plaques d’immatriculation (LAPI) sur les points de passage frontaliers afin de lutter contre les filières organisées ;
- moyens mobiles adaptés à l’environnement (motoneiges, buggys) ;
- généralisation des postes mobiles sous forme de véhicules équipés d’aubettes (moyens de contrôle documentaires et de détection de fraudes, actuellement expérimentés à la frontière belge).
La mission de contrôle aux frontières et certaines missions des CRA seront confiées à d’autres agents publics que des policiers. Les policiers ainsi libérés seraient redéployés dans des compagnies interdépartementales projetables aux frontières pour assurer les missions de surveillance humaines et éviter le recours aux forces mobiles non spécialisées.
Frontières fluides
Afin de rendre les contrôles aux frontières plus fluides, des outils modernes sont financés :
- recours systématique au sas PARAFE (système de passage automatisé aux frontières extérieures) ;
- généralisation des titres de voyage biométriques, avec reconnaissance mutuelle dans toute l’UE et capacité de contrôle des données biométriques associées ;
- mise en œuvre du règlement européen instaurant le système entrée-sortie (contrôle des ressortissants de pays-tiers en court-séjour), avec prise systématique de biométrie et enregistrement du franchissement de frontière alimentant le fichier européen entrées / sorties (EES) ;
- utilisation de lunettes ou casques de réalité « augmentée » pour l’interrogation des fichiers.
Coopération européenne
Enfin, l’engagement dans la coopération européenne aux frontières sera concrétisé par :
- la création de nouvelles brigades mixtes de lutte contre l’immigration irrégulière (qui existent avec l’Allemagne et l’Italie) avec les policiers d’États frontaliers, appuyées par les technologiques innovantes ;
- la mise à niveau de l’architecture des systèmes d’information français, afin de les rendre interopérables sur le modèle européen pour mettre en œuvre les règlements européens, tout en assurant la confidentialité des données et en veillant à leur ergonomie pour les forces (mission de la direction du numérique) ;
- la formation des agents de police étrangers en France dans la future Académie de police ;
- la création d’un centre technique pluridisciplinaire en charge de la recherche & développement, piloté par les forces de sécurité intérieure et par la délégation ministérielle aux partenariats, aux stratégies et aux innovations de sécurité (DPSIS), tout en s’appuyant sur les directions du ministère.
3.5 - Mieux former nos forces
Le système de formation des forces doit évoluer avec la complexité des enjeux, le développement de nouveaux outils et le regard que la société porte sur elles. En effet le temps de formation initiale est aujourd’hui trop bref pour former complètement les policiers et gendarmes à ce qui les attend sur le terrain. Les outils de formation sont datés et peu mutualisés entre forces ; or aujourd’hui rien ne s’oppose à ce que des modules de formation continue soient ouverts à l’ensemble des forces. Le renforcement de la formation initiale et continue des policiers et des gendarmes nécessite de repenser les parcours des formations, de les rendre plus accessibles et de remettre à niveau les capacités de formation, en mutualisant les outils de la police et de la gendarmerie.
S’agissant des sapeurs-pompiers professionnels, la cohérence et le maillage du dispositif de formation coproduit entre l’État et les collectivités territoriales sera renforcée, d’une part, par le développement d’une plateforme numérique permettant de dématérialiser et fluidifier les processus administratifs, de mutualiser l’ingénierie pédagogique et de faire converger les outils de simulation et d’autre part, par des investissements structurants et mutualisés au niveau supra-départemental. Au plan national, est prévue la mise en place d’un pôle d’excellence agrégeant les différentes forces de sécurité civile, intégré au réseau européen et délivrant des formations de haut niveau au sein du Réseau des écoles de service public (RESP) ou de l’Institut national du service public (INSP).
3.5.1 - Renforcer la formation initiale
Doublement du temps de formation initiale
La formation initiale des élèves policiers et gendarmes augmente de 4 mois, passant de 8 à 12 mois. Certaines thématiques seront approfondies au cours de la formation : déontologie, relation police/population, aspect rédactionnel des missions. Dans les deux forces cela permettra de s’assurer que les compétences nécessaires soient acquises, soit par construction de nouveaux modules de formation, soit en densifiant ceux qui existent (maintien de l’ordre, déontologie par exemple).
Par ailleurs, l’incorporation des élèves titulaires du concours d’entrée dans la police ou dans la gendarmerie se fera dans les 6 mois suivant le résultat du concours, afin d’éviter des délais d’incorporation trop longs qui entraînent la perte de certains titulaires du concours qui se réorientent.
Création de nouvelles écoles
- École de formation cyber, présentée dans la première partie du présent rapport ;
- Pour tirer la formation vers le haut, une Académie de police sera installée, pour coordonner la formation des policiers, renforcer les outils de formation des nouvelles filières. Elle comprendra un pôle d’excellence pour l’investigation ;
- Un centre de formation au maintien de l’ordre en conditions urbaines sera créé en Île-de-France, pour former les forces mobiles ;
- Une école de la police scientifique, dans le cadre de la consolidation d’une filière commune à la police et à la gendarmerie nationales, avec une capacité d’accueil d’une centaine de stagiaires. La structure ad hoc remettra à plat la scolarité – formation initiale et continue – pour correspondre aux besoins en matière de PTS ;
- Une école de police sera créée en Île-de-France pour tenir compte des besoins liés aux campagnes de recrutement ;
- Une nouvelle offre de formation interservices spécialisée en matière de renseignement est proposée à ses partenaires par la DGSI, ayant vocation à bénéficier aux personnels affectés à la DGSI, au service central du renseignement territorial (SCRT) de la DGPN, à la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) et à la sous-direction de l’anticipation opérationnelle de la DGGN. Elle permettra de partager les compétences et d’harmoniser les pratiques professionnelles entre tous les agents quels que soient leurs statuts (policiers, agents contractuels, gendarmes, agents administratifs) concourant à la mission de renseignement. Cette offre de formation sera construite par la DGSI et les services bénéficiaires concernés pour répondre à leurs besoins opérationnels. Elle fera l’objet d’échanges avec la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) et l’Académie du renseignement. Elle pourra en outre bénéficier au service national du renseignement pénitentiaire (SNRP).
3.5.2 - Mieux former tout au long de la carrière
Formation continue augmentée de 50 %
La formation continue sera augmentée de 50 % pour préserver l’adéquation entre les compétences et les missions tout au long de la carrière ; elle pourra avoir lieu dans des centres régionaux, mutualisés entre policiers et gendarmes pour ce qui concerne les formations techniques ou juridiques. La montée en puissance de la formation continue suppose de mettre à niveau la capacité de formation du ministère, qu’il s’agisse des formateurs, de l’immobilier, des équipements spécifiques (stands de tir) ou encore des outils de formation numérique, permettant de proposer aussi des modules en « distanciel ».
Les personnels administratifs, techniques et scientifiques bénéficieront pleinement de cet effort de formation, notamment sur le volet des formations techniques obligatoires. Les officiers supérieurs de la gendarmerie ayant vocation à occuper des responsabilités départementales suivront une scolarité de type « cycle d’étude supérieur », destinée à tous ceux ayant réussi le concours de l’École de Guerre.
Dans une optique de rapprochement des forces et de rationalisation, les outils de formation continue seront mutualisés.
Création de centres régionaux de formation
L’effort de rehaussement de la formation se traduira par la création de 13 centres régionaux de formation et de centres spécialisés pour les gendarmes et les policiers, afin de faire face à la montée en puissance de la formation initiale et aux besoins augmentés de formation continue.
Les compagnies-écoles existantes seront rénovées et monteront en puissance : 2 compagnies supplémentaires à l’école de Fontainebleau, restructuration du camp de Frileuse-Beynes et densification des compagnies de Dijon, Rochefort, Tulle et Châteaulin.
Recrutement de formateurs
Au total, 1 500 formateurs seront recrutés sur cinq ans :
- la gendarmerie nationale créera 15 compagnies d’instruction, armées par 255 ETP pour l’encadrement pédagogique et le soutien ;
- 266 formateurs seront recrutés dans les centres régionaux de formation de la gendarmerie nationale ;
- la police nationale recrutera 182 formateurs pour les écoles et 708 formateurs, ainsi que 77 moniteurs de tir et 21 psychologues.
Plan stands de tir
Pour répondre au besoin de formation accru des policiers et gendarmes en matière de tir, ainsi que des futurs réservistes, de nouveaux stands de tir seront adossés aux centres régionaux d’instruction. Des simulateurs de tir eux aussi partagés avec les policiers viendront compléter cette capacité accrue.
S’ouvrir vers l’international
L’excellence des policiers et gendarmes passe aussi par une meilleure capacité à communiquer en langue étrangère et à s’insérer dans les dispositifs de coopération européenne.
Le programme POLARIS (Gendarmerie avec Espagne depuis 2018 – à ouvrir : Portugal, Allemagne) sera poursuivi et l’école nationale supérieure de police (ENSP) développera des stages à l’étranger pour les élèves, ainsi que le développement du réseau de formation dispensée aux cadres de police étrangers intégrés dans les promotions.
L’enseignement des langues sera également renforcé en formation initiale et continue, avec des outils de traduction instantanée, le développement de l’offre de formation à vocation régionale, le développement des plateformes de e-formation en vue des grands événements internationaux à venir. L’offre de formation en anglais sera densifiée visant notamment une excellente capacité d’expression orale professionnelle à destination des cadres supérieurs, et plus généralement des cadres susceptibles d’être retenus pour des affectations à l’international, assortie d’une sélection dans le cadre de la gestion prévisionnelle des compétences parmi un vivier identifié
3.6 - Des policiers et des gendarmes mieux accompagnés
L’action sociale constitue un levier majeur dans l’accompagnement des forces de sécurité intérieure dans l’exercice de leurs missions et dans leur fidélisation. Elle doit être une contrepartie à la modération salariale. La difficulté des conditions d’exercice du métier nécessite de disposer d’un accompagnement renforcé au quotidien et pas seulement en circonstances de crise. Les forces de l’ordre se voient assigner des objectifs ambitieux de présence sur la voie publique, de développement du contact avec leur environnement et de traitement des menaces et crises. Outre des conditions matérielles améliorées et une formation renforcée, l’accompagnement et la protection des fonctionnaires et militaires est au cœur de la mission du ministère de l’intérieur. Mieux soutenir nos policiers et gendarmes dans leur santé physique et psychologique, notamment pour certaines catégories de personnels exposés, et mieux accompagner les familles, suppose un effort important pour la garde des enfants, la gestion des horaires atypiques ou encore la gestion des contraintes liées aux mobilités géographiques.
3.6.1 - Une refonte profonde de la fonction RH dans la police nationale
La rénovation de la politique des ressources humaines des policiers se fera autour de trois grands principes : la valorisation des compétences professionnelles au service des déroulements de carrière, l’affirmation de l’exigence managériale pour l’ensemble des niveaux de l’encadrement, la recherche d’une meilleure articulation entre gestion individualisée des personnels et besoins des services. Elle doit avoir pour ligne de conduite de tourner la fonction RH vers l’agent, alors que les rôles d’explication, de conseil ou d’accompagnement sont aujourd’hui insuffisamment investis par l’administration. L’organisation de la fonction RH de la police nationale, aux niveaux centraux et déconcentrés, sera refondue.
La gestion des ressources humaines sera davantage déconcentrée, en positionnant un échelon de ressources humaines accessible pour tous les agents au niveau zonal, avec des fonctions d’accompagnement et de conseil, ainsi qu’en déléguant au niveau zonal les décisions administratives (actes de gestion).
Les carrières seront plus variées : approche de la carrière par le développement des compétences et de filières professionnelles attractives (exemple de l’investigation), mobilité externe exigée pour l’accès à certaines fonctions (commissaires et officiers), ouverture du corps des commissaires à des profils scientifiques, etc.
Un SIRH rénové, de même que l’instauration d’une politique de maîtrise des risques RH et de contrôle de qualité, amélioreront le pilotage des effectifs et des schémas d’emploi, tout en donnant davantage de transparence sur les besoins, les postes disponibles et les compétences attendues. Un nouveau portail agent donnera à chaque agent, où qu’il soit, un accès aux ressources utiles à son déroulé de carrière.
3.6.2 - Action sociale
Pour faciliter l’installation et le logement des fonctionnaires du ministère, un effort financier pour la réservation de logements auprès des bailleurs sociaux sera consenti : développement du stock de logements accessibles, utilisation accrue du parc de logement à disposition de l’État (qui sera prévue dans les contrats de sécurité intégrée passés entre État et collectivités), création d’une offre de colocation. Cet effort porte tout particulièrement sur les zones les plus tendues, notamment l’Île-de-France, les grandes métropoles et les départements frontaliers.
L’augmentation de l’offre de garde d’enfants concourt également à l’objectif de mieux concilier vie privée et professionnelle : 200 nouvelles places en crèche seront réservées. L’offre de garde d’enfants en horaires atypiques sera développée dans de nouveaux territoires et bénéficiera notamment aux fonctionnaires travaillant de nuit.
3.6.3 - Agir sur la qualité de vie au travail
Une action résolue doit également se déployer en faveur de la qualité de vie au travail, du soutien et du soin aux policiers et gendarmes.
Un réseau de nouveaux psychologues du travail, positionnés au niveau zonal, sera mis en place sur 5 ans. Formés à intervenir sur le fonctionnement des collectifs de travail, assistés de 20 réservistes expérimentés pour former des binômes, ils pourront effectuer des audits dans des services aux conditions de travail dégradées.
L’amélioration des conditions de restauration pour les policiers passera par l’harmonisation à la hausse des subventions ministérielles à la restauration administrative, par le développement d’une offre de restauration plus accessible pour les fonctionnaires en horaires atypiques et par la création, la rénovation ou l’équipement d’espaces sociaux de restauration.
Des budgets dédiés seront dégagés pour organiser des actions de cohésion et de prévention (séminaires de service, action de santé et bien-être, équipements sportifs, rencontres entre familles, etc.). Pour la gendarmerie, dans cette même logique de cohésion, les subventions aux cercles mixtes et à la dotation de fonctionnement des unités élémentaires augmenteront.
Les réservistes blessés en service seront indemnisés plus rapidement par les secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’intérieur (SGAMI), afin d’éviter des délais pouvant induire des situations sociales difficiles.
Le service de soutien psychologique opérationnel chargé du soutien individuel et d’actions de débriefing collectives sera renforcé, avec 29 postes supplémentaires dans tout le territoire aux niveaux central et zonal. Il en ira de même avec la médecine statutaire, qui sera renforcée de 10 postes pour assumer la montée en charge de la réserve opérationnelle, ainsi qu’avec la médecine du travail (13 postes supplémentaires). Pour améliorer le suivi des fonctionnaires travaillant de nuit, un complément de traitement sera instauré pour les personnels médicaux intervenant en horaires atypiques.
Un budget consacré à des actions de prévention des addictions sera programmé.
Les moyens dédiés à l’accompagnement à l’emploi des conjoints soumis à une obligation de mobilité seront renforcés à hauteur de 1 million d’euros.
Focus : améliorer la résilience des outre-mer exposés à des risques naturels spécifiques
Les territoires ultramarins sont exposés à l’ensemble des risques naturels majeurs, à l’exception du risque avalanche.
La surveillance des risques spécifiques aux territoires, ainsi que la prévention en direction des populations, sont primordiales. Ainsi, la conduite de démarches interministérielles similaires à celles du plan séisme Antilles dans d’autres territoires d’outre-mer sera étudiée. Une telle démarche, qui devra être adaptée au contexte de risque local, aura pour objectif notamment le renforcement de la résilience des bâtiments de l’État et la qualité du suivi des points d’importance vitaux. La mise en œuvre d’une journée obligatoire de prévention des risques (« journée japonaise ») sera en outre particulièrement pertinente en outre-mer, sur des territoires surexposés aux risques naturels. Enfin, la création d’un partenariat entre service militaire adapté (SMA) et sécurité civile sera actée, pour renforcer la résilience des populations ultramarines confrontées à des événements extrêmes.
La capacité locale de gestion de crise dans les territoires ultramarins sera renforcée. Des moyens nationaux de sécurité civile, notamment aérotransportables, seront pré-positionnés outre-mer, afin de fournir aux autorités locales des moyens de première réponse à la crise, avant l’arrivée de secours nationaux ou internationaux. Seront ainsi pré-positionnés des détachements des formations militaires de la sécurité civile (FORMISC) en zone Antilles et dans l’océan Indien. De nouveaux sites de la réserve nationale seront créés à Mayotte, à La Réunion et en Guyane. Enfin, de nouveaux moyens en matière de planification, de formation et d’équipement des services d’incendie et de secours (SIS) seront alloués.
En matière d’ordre public, la création de 11 nouvelles unités de forces mobiles renforcera la capacité à projeter des forces localement, mais aussi des matériels adaptés (blindés) pour faire face à des événements d’importance, notamment en matière d’ordre public.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa, sur l’article.
M. Laurent Burgoa. Nous abordons ici un sujet qui m’est cher et qui peut désormais concerner un grand nombre d’entre vous, mes chers collègues. L’été dernier a une nouvelle fois démontré que le réchauffement climatique était une réalité : l’intensité du risque de feu s’accroît d’année en année, partout en France et en Europe.
Par le haut niveau de technicité de ses hommes, comme par la qualité de ses équipements et superstructures, la base aérienne de sécurité civile de Nîmes devrait naturellement s’inscrire comme le centre opérationnel et centre d’expertise européen.
Monsieur le ministre, ce hub européen, positivement gravé dans votre texte, permettra d’accélérer les synergies, les coopérations entre différents acteurs. C’est un signal fort pour notre pays et pour notre continent. C’est aussi un signal attendu par le territoire de Nîmes Métropole, très investi dans le projet européen Nemausus. Cette échelle continentale, inscrite dans votre texte, trouverait avantage à l’évolution du mécanisme européen de protection civile vers la création d’une véritable agence européenne sur notre base nationale.
Dans les semaines à venir, Nîmes Métropole recevra du ministère des armées la propriété de l’aéroport pour mieux porter encore cette dimension continentale, dont a besoin l’œuvre de sécurité civile.
Monsieur le ministre, il faut continuer à défendre ce projet. La France en a besoin, l’Europe en a besoin et le Gard saura y apporter une réponse positive.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Tabarot, sur l’article.
M. Philippe Tabarot. Cet article 1er, concernant l’approbation du rapport annexé, décrit les projets qui seront conduits par votre ministère à partir de 2023. On peut saluer les avancées de cette loi de moyens, notamment – cela a été largement dit – grâce aux apports du Sénat en commission. Mais je souhaite aussi décrier les absences et carences de cette loi sur le sujet de la sécurité dans les transports.
En effet, le texte n’apporte que trop peu de réponses aux 122 170 victimes dans les transports en commun en 2021. Un cap a été franchi, non seulement dans le degré des violences, mais aussi dans leur périmètre. Il y a bel et bien une violence dans les transports en commun.
Comment comprendre que rien de tangible ne figure dans cette loi sur la sûreté dans les transports ?
J’ai déposé des amendements cosignés par plus de soixante-dix collègues. Y figuraient des propositions qui n’ont malheureusement pas passé le filtre de la recevabilité. C’est le signe d’une loi beaucoup trop restrictive, afin d’« éviter des discussions interminables ».
Comment, par exemple, expliquer à nos concitoyens qu’un voyageur contrôlé pour absence de titre de transport dans un train du réseau de transport express régional (TER) pour la trentième fois puisse continuer à narguer en toute impunité les agents de sûreté dans les transports ? Comment leur expliquer que, pour la surveillance des vols à la tire dans un métro, les agents de sûreté ne puissent réaliser des palpations préventives que dans certaines stations, et pas dans d’autres, devenues de véritables refuges pour certains délinquants ? Comment enfin leur expliquer que ces mêmes agents de sûreté ne puissent pas interdire l’accès en gare à une personne ayant un comportement dangereux, susceptible de menacer leur sécurité ?
J’avoue ne pas comprendre pourquoi on s’abandonne à une telle fatalité, véritable preuve d’indifférence ou même, pire, de renoncement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre, sur l’article.
Mme Nathalie Delattre. À ce stade du débat, je souhaite mettre l’accent sur deux sujets : la gendarmerie et la formation.
Les gendarmeries garantissent le maintien de l’ordre dans nos territoires, notamment dans nos communes rurales. Dans un contexte de montée de l’insécurité, ainsi que des violences aux personnes, aux personnes dépositaires de l’autorité publique et aux élus, et des tentatives d’implantation de nouveaux points de deal en ruralité, l’annonce de la création de 200 brigades de gendarmerie est la bienvenue, tout comme celle de la construction de nouvelles casernes, sans oublier la réhabilitation de locaux vétustes.
En effet, un bon équipement valorise et motive les gendarmes dans leur quotidien et les conforte dans leur entourage, lorsqu’ils vivent en caserne avec leur famille. J’ai l’exemple de l’inauguration récente de la caserne de Pineuilh, en Gironde, en tête.
Il faut implanter de nouvelles brigades, en particulier dans les territoires connaissant une poussée démographique, comme mon département. J’espère donc qu’Ambès fera partie des nouvelles implantations.
Je voudrais souligner, et saluer aussi la possibilité pour les élus de disposer de brigades itinérantes. Cela va dans le bon sens !
J’en viens à la formation continue, qui est encore trop négligée. Un nombre important d’agents ne font même pas une formation par an.
Il est nécessaire d’inscrire dans la loi une exigence de périodicité. C’est une proposition que j’avais portée dans un amendement, malheureusement déclaré irrecevable.
La formation continue peut concourir à garantir l’adaptabilité des forces de sécurité intérieure et l’efficacité de leurs interventions.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.
M. Marc Laménie. Cet article 1er a suscité le dépôt d’un nombre important d’amendements. Je souhaite notamment aborder les priorités liées à la sécurité intérieure.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué la lutte contre la cybercriminalité, les problématiques de prévention et sensibilisation. Vous avez également insisté sur la proximité des forces de sécurité, avec, en particulier, la création de 200 nouvelles brigades de gendarmerie.
Le département des Ardennes, qui est un département frontalier, au même titre que celui du Nord, a malheureusement connu des suppressions de brigades de gendarmerie au cours des dernières années. J’ai en mémoire – je suis toujours objectif – les avancées significatives de la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi).
Les forces de sécurité méritent beaucoup de respect et de reconnaissance : policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers. Idem s’agissant des militaires, qui jouent aussi un rôle essentiel.
La notion de proximité est fondamentale. Il est important de rouvrir des brigades pour améliorer le maillage du territoire.
Vous avez largement évoqué les violences intrafamiliales et la nécessité de créer des postes d’intervenants sociaux.
La coopération opérationnelle entre les deux forces et la place de la réserve opérationnelle au sein de la police et de la gendarmerie sont tout aussi fondamentales. N’oublions pas non plus les revendications légitimes de l’ensemble des forces de sécurité.
Recruter de jeunes gendarmes et policiers n’est pas simple, d’où l’importance de tisser des liens avec l’éducation nationale.
Cela étant dit, je suivrai la commission et voterai cet article, qui a suscité de nombreuses réactions et donné lieu à un travail important.
Mme la présidente. L’amendement n° 174, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement tend à supprimer l’article 1er.
Ainsi que je crois l’avoir souligné lors de la discussion générale, notre ambition est de restaurer le lien de confiance entre la population et la police et de garantir la sécurité des biens et des personnes comme de nos forces de police. Nous estimons que le rapport annexé ne répond pas à cet objectif.
Je veux préciser que notre groupe sait ne pas s’enfermer dans des postures de rejet ; nous l’avons démontré en déposant un certain nombre de propositions de loi. Je suis particulièrement attachée à l’une d’entre elles : selon nous, réhabiliter la police de proximité pourrait répondre à un certain nombre de préoccupations et nous permettre de nous installer dans un schéma de prévention, dissuasion, puis répression. Nous ne retrouvons rien de tel dans le rapport annexé, d’où notre demande de suppression de l’article 1er.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Avis défavorable. Cet amendement de suppression est contraire à la position de la commission. Son adoption nous priverait d’une discussion très intéressante sur la centaine d’amendements à suivre.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 90, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer dix alinéas ainsi rédigés :
Le Gouvernement restaure une véritable police de proximité, dont la priorité est de rétablir une relation privilégiée avec la population. Il remet en cause l’évaluation chiffrée de la performance policière : le travail de la police nationale, de la police municipale et de la gendarmerie sera évalué en fonction du service rendu aux habitantes et habitants, et non en fonction de la politique du chiffre et de statistiques de la délinquance.
Le Gouvernement mènera une réflexion d’ampleur sur les missions de la police, dans l’objectif de réaffirmer son caractère de service public, mû par les principes d’accessibilité et d’égalité. La restauration de la confiance entre la police et la population sera l’objectif majeur et incontournable de ces réflexions.
L’importance de la distinction claire et étanche entre les missions de police administrative, intervenant en amont de troubles à l’ordre public, et les missions de police judiciaire, intervenant en aval de la commission d’infractions, sera rappelée.
Il revalorise les missions sociales des policiers et gendarmes : des partenariats sont systématiquement mis en place afin de renforcer les liens avec les collectivités territoriales et les différents acteurs œuvrant sur le terrain, des missions sociales pour accompagner les populations vulnérables sont développées, à l’instar de l’opération #Répondreprésent lancée par la Gendarmerie nationale lors de la crise du covid-19. Ces partenariats se traduisent également par l’organisation de rencontres fréquentes entre les habitants et les policiers affectés à leur territoire.
Le Gouvernement évaluera régulièrement la qualité de la relation entre population et habitants, au sein des commissariats de police et des brigades de gendarmerie, à partir d’indicateurs précis et participatifs évaluant la satisfaction des usagers, qui doivent être tout autant pris en compte en termes de carrière, d’avancement et d’évaluation de l’activité policière que les indicateurs traditionnels (taux d’élucidation d’affaires, taux de présence policière sur la voie publique, etc.). À l’échelle locale, la qualité de l’accueil policier devrait faire l’objet d’un « programme d’action local », élaboré en concertation avec les habitants et les élus, adapté à chaque situation qui identifie d’une part les besoins et les attentes des usagers et, d’autre part, les manques et les actions à entreprendre.
Le Gouvernement mettra en place des programmes de formation permettant d’améliorer le professionnalisme de l’accueil. Ces formations devraient notamment porter sur l’acquisition de savoir-faire en communication (accessibilité ; clarté et fiabilité des informations et des échanges) en psychologie/victimologie (empathie, respect et adaptation de la réponse) et en gestion (qualité et facilité des procédures). L’ensemble des forces de police devrait être formé aux méthodes d’accueil, en mettant l’accent, conformément au code de déontologie, sur le traitement respectueux et égalitaire des usagers
Tous les commissariats et brigades seront rendus accessibles aux personnes en situation de handicap.
Les pratiques de contrôle d’identité et de verbalisation seront évaluées à l’aune de leur impact, positif ou négatif, sur la confiance entre la police et la population. Le Gouvernement restreindra les possibilités de contrôle d’identité qui laissent une marge d’appréciation extrêmement large sur l’opportunité de contrôler une personne. La légalité des contrôles d’identité sera conditionnée à la remise d’un récépissé papier nominatif, indiquant le fondement légal du contrôle et les éléments de faits permettant à l’agent de justifier la légalité du contrôle. Un dispositif de suivi des contrôles, interne au service de police, sera mis en place pour permettre aux hiérarchies de prendre connaissance des conditions de leur mise en œuvre.
Une formation sera dispensée aux élèves policiers et gendarmes au sein de leur formation initiale, afin de les sensibiliser au caractère discriminatoire de l’usage de préjugés liés à l’apparence physique des administrés et des justiciables dans l’appréciation de l’opportunité de contrôler l’identité et de verbaliser.
Le Gouvernement refusera tout usage du pouvoir de verbalisation à d’autres fins que celle prévue par la loi. Aussi, cesseront les verbalisations ayant pour objectif informel d’évincer des individus jugés indésirables de l’espace public, ou de les intimider. Les services hiérarchiques prohibent par ailleurs la verbalisation à distance des usagers, qui empêchent le destinataire d’en être informé avant de recevoir l’avis de contravention.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Parmi les objectifs développés dans le rapport annexé figure en premier lieu le renforcement de la présence des gendarmes et des policiers sur le terrain : en d’autres termes, remettre du « bleu » sur la voie publique, selon l’expression d’Emmanuel Macron.
Mais quelle sera la réelle mission du policier sur le terrain ? Sera-t-il un agent verbalisateur dont la première mission sera de sanctionner, de constater les infractions, de verbaliser, d’écarter les personnes indésirables sur la voie publique ? Alors même que la relation entre la police et la population n’est pas apaisée, il n’y a dans ce rapport aucune contrepartie, aucun contrôle qui permette de s’assurer d’un équilibre entre exercice des missions de sécurité et suivi des missions sociales des agents des forces de l’ordre, ni aucune perspective d’amélioration des liens entre la population et la police.
Nous craignons très clairement que le ministre Darmanin ne déploie plus d’officiers sur le terrain, dans une logique exclusivement répressive.
Le malaise de la police, parallèle à celui de l’institution judiciaire, s’accroît d’année en année. Il est lié à plusieurs facteurs qui s’entretiennent et se renforcent mutuellement : la dégradation des conditions de travail, la politique du chiffre et du résultat, des locaux vétustes, l’augmentation du nombre d’interventions, un management désuet, une confiance rompue avec les citoyens, etc.
Seule une réforme d’ampleur modifiant les prérogatives et missions des polices permettra de revaloriser les métiers.
Le groupe écologiste appelle de ses vœux une grande réforme pour restaurer une police plus territorialisée, s’appuyant sur la connaissance de son terrain, tout en répondant au sentiment d’insécurité des habitants. Nous voulons une police au plus près de la population, qui crée de la confiance et qui soit en contact permanent avec les bailleurs sociaux, les maires, les associations de résidents et de quartier.
Comme l’a indiqué la CNCDH, dans son avis sur les liens entre la police et la population, l’instauration d’un climat de confiance entre les habitants et leur police, notamment dans les quartiers défavorisés, s’avère « plus efficace sur le long terme qu’une approche exclusivement répressive pour prévenir des incivilités de la petite délinquance ».
Sur l’accueil des usagers, le livre blanc de la sécurité intérieure reconnaissait qu’« améliorer la qualité de l’accueil du public est […] l’un des vecteurs premiers d’une relation de confiance entre la population et les forces de sécurité intérieure ». Aussi, il importe que le ministère de l’intérieur prenne un soin particulier à améliorer l’accueil des usagers au sein des brigades et des commissariats. Comme l’indique l’avis déjà cité de la CNCDH, à l’échelon local, « l’amélioration de la qualité de la relation police-habitants ne doit pas seulement être un objectif, mais elle doit être pensée, mise en œuvre et enfin évaluée systématiquement ».
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. M. Guy Benarroche s’est longuement inspiré de la CNCDH pour rédiger son amendement. Je lui avais indiqué en commission qu’il était tout à fait possible d’intégrer une partie des évolutions qu’il appelle de ses vœux. Mais certaines priorités proposées – nous y reviendrons dans le débat ultérieur – sont très problématiques ; je pense par exemple au développement de missions sociales par la police, à la remise de récépissé en cas de contrôle d’identité ou à l’interdiction de verbalisation à distance.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne puis être qu’en accord avec M. le rapporteur. Mais, monsieur Benarroche, je suis tout de même très étonné – le terme « choqué » serait sans doute trop lourd – de votre défiance à l’égard des forces de l’ordre.
M. Guy Benarroche. Pas du tout !
M. Gérald Darmanin, ministre. Dans votre amendement, il est écrit : « Le Gouvernement refusera tout usage du pouvoir de verbalisation à d’autres fins que celle prévue par la loi. ». Si vous avez connaissance de verbalisations que l’on ne dresse pas selon les lois de la République, il faut me dire lesquelles ! Selon vous, les policiers verbaliseraient sans s’appuyer sur des textes réglementaires ou législatifs ? C’est tout de même très étonnant !
Je continue la lecture de votre amendement : « Les pratiques de contrôle d’identité et de verbalisation seront évaluées à l’aune de leur impact, positif ou négatif, sur la confiance entre la police et la population. Le Gouvernement restreindra les possibilités de contrôle d’identité […] ». Je tiens à dire qu’en France, aucun contrôle d’identité n’est réalisé hors de l’autorité judiciaire : soit il y a une réquisition, soit le contrôle est opéré par un OPJ ayant été habilité par un magistrat.
Vous n’avez pas confiance envers les forces de police et de gendarmerie. Ces forces, voyez-vous, sont formées. Elles ne portent pas la même parole que n’importe quel citoyen ; la leur est « supérieure » du fait, justement, de leur statut d’auxiliaires de justice.
Vous évoquiez la souffrance au travail. La pire des souffrances au travail, c’est quand il y a une très forte suspicion de la part des personnes qui sont sous votre autorité. Je pense que de nombreux policiers et gendarmes seraient assez blessés à la lecture de votre amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Monsieur le ministre, sachez que si vous êtes choqué par notre amendement, je le suis tout autant par vos propos. Ils ne résument absolument pas notre pensée. Pour ma part, je ne me suis pas permis de résumer la vôtre d’une manière aussi caricaturale.
Nous proposons la création d’un programme local permettant d’identifier les besoins et les attentes des usagers. Il serait établi entre les habitants et les forces de l’ordre et aurait comme critère la satisfaction des usagers concernant leur accueil, avec une évaluation. Ce n’est pas là l’expression d’une défiance, monsieur Darmanin. C’est une manière de rendre son sens au travail et de nourrir la confiance, ce qui aura une influence, aussi, sur le bien-être au travail des policiers.
Je ne vois pas cette proposition comme une marque de défiance, et de nombreux policiers ne la considèrent pas comme telle non plus.
Il est essentiel que le Gouvernement repense les missions de la police. Les pratiques actuelles, qui sont décriées par certaines associations, et pas seulement par la CNCDH, nous le font penser. La police est le représentant le plus accessible de l’État et des pouvoirs publics, monsieur Darmanin. Elle se doit d’être le reflet des valeurs de notre République ; je peux vous les rappeler, mais vous les connaissez aussi bien que moi, si ce n’est mieux !
L’évaluation de l’impact des pratiques policières, dont vous venez de parler, sur la qualité de la relation entre la police et la population est un angle mort et un impensé de votre politique, monsieur le ministre de l’intérieur. Dès lors, les membres de notre groupe appellent de leurs vœux une véritable prise en compte des choix politiques du ministère de l’intérieur au regard de leurs conséquences sur cette relation. Le renforcement de cette confiance n’est pas seulement au service des citoyens ; il permettra aussi d’améliorer les conditions de travail des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie.
Certaines pratiques policières ne font que renforcer la dimension répressive du travail des agents et portent atteinte à la relation entre la police et la population. Je pense, entre autres actes, aux contrôles d’identité ou aux verbalisations systématiques. Les contrôles d’identité, en particulier, représentent une des principales occasions d’interaction entre les forces de l’ordre et certaines catégories de la population. Ils sont à la source de tensions.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Je m’étonne toujours de ce genre de propos, qui visent à mettre en accusation, à jeter la suspicion en permanence !
Des groupes très organisés ne cessent de prôner la violence et de mettre en cause la police. D’autres réclament des récépissés à tout-va pour les contrôles d’identité, ce qui alourdirait les procédures et complexifierait la tâche.
Il me paraît totalement contradictoire de dénoncer les violences policières en employant les termes « violences systémiques » et d’alimenter le sentiment de suspicion contradictoire !
Disons-le calmement : nos forces de police et de gendarmerie font partie des organisations les plus contrôlées au monde. La police française n’a pas à rougir de ce qu’elle est et de ce qu’elle fait ! Elle sait répondre de ses actes quand il y a lieu ! Elle sait être sanctionnée !
Encore une fois, je ne comprends pas ce discours totalement contre-productif. Certains ont beau jeu de dénoncer des effets dont la cause est en réalité l’inconséquence de leur propre discours ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. L’amendement n° 137, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 17
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
À ce titre, l’utilisation du numérique par les forces doit se faire dans le plus strict respect de la vie privée et des libertés individuelles, collectives et politiques telles que reconnues par la loi et la constitution. L’utilisation des technologies d’identification et de fichage de la population ne peut être qu’une solution limitée dans des objectifs particuliers et qui doit être contrôlée dans sa mise en œuvre par des organismes externes au ministère et indépendants (CNIL, associations de défense des libertés, monde universitaires, etc.).
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. J’ai appris aujourd’hui que nous avions le même âge, monsieur le ministre ; certes, j’ai quelques semaines d’avance. Nous avons donc vécu les mêmes évolutions technologiques, nous avons vu les mêmes progrès qui en découlaient, mais nous avons aussi constaté les mêmes dérives.
Le rapport annexé fait la part belle aux nouvelles technologies, mais avec une fascination presque naïve. C’est pratiquement toujours le même argument : de telles solutions permettront de rendre les policiers plus efficaces sur le terrain.
Or, dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, c’est toujours la même logique : le ministère, qui a rédigé ce rapport, appelle à plus de moyens, plus d’investissements, sans jamais questionner les finalités, les effets induits ou les limites de cette technologie. On nage dans un techno-solutionnisme naïf, presque béat, qui peut très rapidement dériver vers de réels dangers techno-sécuritaires, voire vers l’arbitraire.
Notre rôle de législateur est donc de borner cet enthousiasme, qui peut se révéler dangereux.
Puisque, dans ce rapport annexé, on parle beaucoup de principes et de grands objectifs, je propose d’en ajouter un : l’usage du numérique doit se faire dans le respect absolu de la vie privée et des libertés individuelles, collectives et politiques telles que reconnues par la loi et la Constitution.
Nous connaissons tous ici les dérives que l’usage de la technologie au service de l’ordre peut amener : fichage, surveillance généralisée, reconnaissance faciale, logiciels intrusifs, etc. Ce n’est pas de la science-fiction ! La Chine nous offre en ce moment le parfait exemple, la parfaite démonstration d’une politique techno-sécuritaire autour d’un État sans garde-fou.
Compte tenu des enjeux, des dangers associés à l’usage de cette technologie, ce rappel est à nos yeux loin d’être anecdotique ; il est même fondamental !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. J’ai indiqué ce matin en commission que nous pouvions retenir la première phrase de l’amendement, c’est-à-dire les mots : « À ce titre, l’utilisation du numérique par les forces doit se faire dans le plus strict respect de la vie privée et des libertés individuelles, collectives et politiques telles que reconnues par la loi et la Constitution. »
Mais la deuxième partie de l’amendement introduit, là encore, de la suspicion. Je pense notamment aux allusions au fichage de la population. Nous ne sommes pas en Chine, monsieur Dossus !
M. Thomas Dossus. Pas encore…
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je voudrais rappeler que les principales avancées obtenues lors de l’examen de la proposition de loi pour une sécurité globale préservant les libertés individuelles l’ont été sur l’initiative du Sénat et avec l’accord du Gouvernement.
Je vous ai dit que nous pourrions retenir votre amendement si vous acceptiez de le rectifier en retirant la deuxième phrase et en gardant uniquement la première. Mais vous avez refusé, car votre intention – nous le voyons bien – va au-delà de ce qui figure dans la première phrase.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 71, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 41
1° Première phrase
Supprimer les mots :
, qui permettra de supprimer le nécessaire passage devant une autorité habilitée (officier de police judiciaire ou adjoint de police judiciaire)
2° Deuxième phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Le rapport annexé prévoit la dématérialisation de la procuration de vote, qui permettra à terme de « supprimer le nécessaire passage devant une autorité habilitée », par exemple un officier de police judiciaire ou un adjoint de police judiciaire.
Personnellement, comme je l’ai souvent exprimé lors de l’examen de textes législatifs, j’estime que la procuration est clairement la modalité de vote la plus insincère ; mon ami Éric Kerrouche, qui est absent, ne me contredirait pas. C’est effectivement la seule modalité de vote dont on ne peut être totalement sûr de l’effectivité ou de la véracité. Les risques liés à l’absence d’OPJ dans le cadre de cette procédure n’ont échappé à personne, surtout sur les travées de cette assemblée. J’oserais ajouter qu’on a vu pas mal de « procurations simplifiées » chez moi, à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône.
L’usager n’aura plus à se déplacer au commissariat de police, à la brigade de gendarmerie ou dans un tiers lieu autorisé par arrêté du préfet pour établir sa procuration. Le Gouvernement prévoit donc implicitement la fermeture des guichets. Or, outre le problème d’insincérité, nous savons que 13 millions de personnes en France sont touchées par l’illectronisme ou ne sont pas à l’aise pour mener des démarches dématérialisées. Les personnes âgées, les personnes fragiles seront mises en difficulté du fait des envies de « tech » du Gouvernement. Pire, on pourrait abuser de leur confiance avec ce système et les faire voter à leur insu.
La fermeture des guichets en cas de dématérialisation d’une démarche administrative porte toujours atteinte au principe d’égal accès au service public. Les usagers doivent conserver le choix de leurs relations avec les forces de sécurité et les agents du service public, afin de ne pas être enfermés dans une relation exclusivement numérique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Encore une fois, vous partez d’un postulat qui vous fait aboutir à une mauvaise conclusion !
Vous craignez des fermetures des guichets ? Mais, dans sa réponse aux orateurs, M. le ministre vient d’annoncer qu’il n’y en aurait pas.
M. Guy Benarroche. Peut-être, mais les faits prouvent le contraire !
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La plainte en ligne est une faculté, précisément pour permettre à des personnes qui travaillent d’éviter de devoir se déplacer et de subir une longue attente. Cela n’empêche en rien de se rendre au commissariat. Les guichets resteront ouverts.
L’amendement est donc satisfait par la rédaction du texte. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. M. le rapporteur a raison : il s’agit d’une faculté. Il sera évidemment toujours possible de se rendre physiquement dans un site délivrant des procurations.
La préprocuration en ligne a tout de même démontré sa popularité. De mémoire – je ne me souviens plus exactement du chiffre –, on en a enregistré 170 000 environ. Elles ont permis, je crois, à des citoyens d’exercer leur droit de vote. Certes, on peut toujours être contre les procurations. Mais là, c’est un débat qui dépasse le cadre du présent projet de loi.
Bien entendu, il faut pouvoir s’occuper de l’identité de la personne. À ce titre, aujourd’hui, on n’a pas trouvé mieux que l’OPJ. Mais cela induit aussi beaucoup de tâches pour les policiers et les gendarmes. Or ceux-ci ont peut-être autre chose à faire, si j’ose dire, que des vérifications d’identité. Il existe sans doute des moyens plus modernes. À une époque où l’on paie ses impôts sans passer par un percepteur, on peut peut-être vérifier l’identité de quelqu’un sans passer devant un OPJ.
C’est pourquoi l’expression « à terme » est employée dans le projet de loi. Nous allons travailler sur la question de l’identité numérique, qui donnera peut-être lieu à des discussions. Aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, vous effectuez des virements bancaires, c’est-à-dire des opérations importantes, sans passer par votre banque, parce qu’il n’y a pas de doute sur votre identité numérique. Le dispositif qu’imagine le Gouvernement, en particulier le ministère de l’intérieur, en lien avec la Cnil et le Conseil d’État, permettra de vérifier d’identité de la personne. En outre, le contrôle de la procuration s’effectue également lors du vote.
Par conséquent, monsieur le sénateur, sauf si vous êtes opposé par principe à la procuration, et dans ce cas, on ne pourra pas faire grand-chose dans ce texte, vous pouvez être à la fois rassuré et moderne.
Ce débat me permet d’indiquer que le projet de loi ne concerne pas seulement les forces de l’ordre. Nous traitons de toute l’action du ministère de l’intérieur, à commencer par un grand service, celui des élections. Nous modernisons effectivement beaucoup les procédures de vote dans ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Depuis le début de la dématérialisation, on nous assure que l’on va conserver les guichets. Mais, nous le voyons bien, dans les faits, cela conduit toujours in fine à la disparition de personnels et de services, avec des difficultés croissantes pour des millions de personnes. Je ne parle pas de celles qu’évoque M. le ministre de l’intérieur ! Pour ceux qui ont une maîtrise totale de tous les outils, de telles évolutions n’entraînent évidemment aucune difficulté. Mais, pour 13 millions de personnes – je n’ai pas inventé ce chiffre –, c’est problématique.
De telles procédures mènent toujours à la disparition de l’humain et de l’accueil du public. Les faits le prouvent. Mon raisonnement est bien étayé, et la conclusion à laquelle j’aboutis est bien celle à laquelle je dois aboutir. Elle n’a rien de virtuel. Elle décrit la réalité de la vie.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 175, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 45 et 46
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
Après chaque dépôt de plainte issu de la procédure dématérialisée, un agent de police judiciaire sera obligatoirement chargé de prendre attache avec la victime, à l’expiration d’un délai de trois mois après le dépôt de plainte. Ce délai correspondant à celui auquel est soumis l’examen de la plainte simple par le ministère public prévu à l’article 85 du code de procédure pénale.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Nous considérons qu’il y a une contradiction.
Un chatbot, c’est-à-dire un logiciel censé dialoguer avec un utilisateur, n’a jamais été un outil très rassurant.
Nous sommes ici face à une déshumanisation de l’interaction entre police et justice, avec une mise à distance de la victime. C’est un fait. L’instauration d’un chatbot accompagnant des téléprocédures contredit la volonté affichée par le ministère de l’intérieur de « promouvoir un contact humain pour chaque procédure dématérialisée ».
Cet amendement de repli – pour notre part, nous défendions la suppression du rapport annexé – vise donc à établir un véritable contact humain, tel que le suggère l’intitulé de la sous-section concernée, par l’introduction du suivi de la plainte simple par un agent de police judiciaire (APJ).
Ainsi, le plaignant ne sera plus livré à lui-même dans l’attente d’une réponse souvent tardive, voire inexistante, du ministère public. Sa plainte sera suivie et il sera avisé des suites qui y seront données par lettre recommandée à l’issue d’un délai de trois mois après son dépôt.
Mme la présidente. L’amendement n° 70, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 45
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Pour chaque procédure dématérialisée, un guichet doit être maintenu pour accueillir physiquement les personnes qui ne souhaitent pas effectuer des démarches en ligne.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Pour chaque procédure dématérialisée, un guichet doit être maintenu afin d’accueillir physiquement les personnes qui ne souhaitent pas effectuer leurs démarches en ligne.
Vous me répondrez peut-être que ma demande est satisfaite, mais l’expérience des quinze dernières années nous prouve le contraire. Puisque ce texte en offre la possibilité, nous voulons que les choses soient dites clairement.
Aujourd’hui, 22 % des Français ne disposent à leur domicile ni d’un ordinateur ni d’une tablette, 8 % des Français n’ont pas d’adresse mail, ni personnelle ni professionnelle, et 15 % des Français n’ont pas de connexion internet à domicile. Compte tenu des actuels problèmes de pouvoir d’achat et d’énergie, je doute que la donne change très facilement ou très rapidement. Ces chiffres ne sont pas anciens. Ils proviennent d’un rapport publié par le Défenseur des droits le 16 février 2022.
La dématérialisation totale de la procuration de vote et la généralisation de la plainte en ligne doivent nous alerter quant à l’accès au service public des citoyens les plus fragiles, ceux dont je viens de parler, qui éprouvent des difficultés avec les outils numériques.
Une politique d’inclusion numérique d’ampleur doit être menée. Or les mesures qui sont prises actuellement ne sont pas à la hauteur des enjeux et des changements que le Gouvernement entend apporter par ce texte. Il est donc nécessaire de maintenir, pour chaque procédure dématérialisée, un guichet dans les commissariats et les gendarmeries, afin d’accueillir physiquement les personnes souhaitant, par exemple, donner une procuration de vote.
Cette présence dans nos territoires est une demande répétée des acteurs locaux, qui voient les services publics déserter nos campagnes, mais aussi nos zones désavantagées.
À l’heure où le Sénat avance des propositions pour permettre l’implantation de médecins dans les zones sous-denses, il serait étrange que la majorité sénatoriale n’entende pas assurer un maillage territorial réel des services publics. Nous ne comprenons pas que la commission ait, à ce stade, émis un avis défavorable sur notre amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 72, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 46, première phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
Le recours croissant aux téléprocédures ne suppose pas la suppression des démarches en présentiel à un guichet, dans un besoin d’accompagnement des usagers. L’ouverture des espaces France Connect ne suppose pas la fermeture des guichets des services publics.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. La politique du Gouvernement consiste à supprimer toujours plus de guichets dans l’ensemble des services publics – c’est le cas, par exemple, dans les préfectures, s’agissant des prises de rendez-vous pour les titres de séjour – sans tenir compte du handicap réel et de l’éloignement de personnes aux outils numériques.
Le développement des points d’accueil France Connect dans les préfectures suffira-t-il à garantir à nos concitoyens un égal accès aux démarches administratives ? De leur côté, les maisons France Services offrent un accompagnement pour les démarches en ligne, mais n’ont pas pour objet d’effectuer ces procédures à la place de l’usager.
Dans son rapport sur la dématérialisation des services publics, le Défenseur des droits dénonce : « […] l’usager […] devient le coproducteur malgré lui. C’est à lui qu’il revient de s’équiper, de s’informer, le cas échéant de se former et, partant, d’être en capacité d’effectuer ses démarches en ligne, tout en répondant aux “canons” fixés par l’administration : comprendre les enjeux de la démarche, le langage administratif, ne pas commettre d’erreur au risque de se retrouver en situation de non-accès à ses droits. » C’est ainsi que l’on voit se multiplier les cas de non-recours aux droits.
Le Défenseur des droits conclut : « Sur les épaules de l’usager ou de ses “aidants” reposent désormais la charge et la responsabilité du bon fonctionnement de la procédure. On demande en réalité aux usagers de faire plus pour que l’administration fasse moins et économise des ressources. »
Une nouvelle fois, je m’étonne que la majorité sénatoriale ne soutienne pas notre amendement, dont l’adoption aurait pour effet d’éviter de grever les finances locales en leur faisant payer les dépenses de l’ambition gouvernementale.
Je le rappelle, les collectivités territoriales financent une grande partie des espaces France Services, et l’aide de l’État qu’elles perçoivent n’est pas suffisante. L’État et les opérateurs partenaires contribuent aux coûts de fonctionnement des plus de 1 100 maisons France Services à hauteur de 30 000 euros par an, soit le coût d’un agent d’accueil pour chacune d’entre elles. L’État fait donc supporter le coût de la fermeture des guichets des services publics aux finances des collectivités territoriales, ce qui n’est pas souhaitable.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Selon Mme Assassi, l’information doit être apportée par contact personnel avec un APJ. Peut-être, mais pas exclusivement !
J’ai lu dans le détail – c’est mon rôle – le rapport d’orientation présenté par M. le ministre. Il est écrit noir sur blanc : « Afin d’améliorer l’accompagnement des usagers lors de leurs démarches en ligne et de réduire la fracture numérique, chaque téléprocédure devra être dotée d’un moyen d’accompagnement effectif et adapté à tous les usagers. » En adoptant un tel amendement, on supprimerait cette phrase, qui garantit justement un moyen adapté à tous les usagers.
De son côté, M. Benarroche continue ses procès d’intention. Mais, comme les fois précédentes, son amendement est satisfait par le projet de loi, dont la rédaction me semble parfaitement claire.
Avis défavorable sur ces trois amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Je tiens à vous apporter un simple témoignage.
Dans mon département, l’Oise, la gendarmerie a décidé qu’il serait désormais possible de porter plainte sur rendez-vous dans certaines brigades de campagne. Inutile d’avoir un gendarme qui fait le pied de grue en attendant le chaland. Mieux vaut prendre rendez-vous. Cela permet d’avoir un service digne de ce nom et des forces de sécurité vraiment sur le terrain.
La gendarmerie a également entrepris de recueillir les plaintes à domicile de manière électronique. Les gendarmes, qui disposent d’ordinateurs portables, peuvent ainsi venir en aide aux personnes concernées par l’illectronisme, dont il faut évidemment tenir compte ; nous entendons bien ce que vous avez indiqué tout à l’heure. Je ne suis pas pour le « tout électronique ». C’est simplement un outil supplémentaire.
Le ministère de l’intérieur fait des efforts pour libérer du temps disponible afin d’avoir plus d’hommes sur le terrain. C’est de cela que nos compatriotes ont besoin. Je trouve plutôt positif de l’encadrer dans la loi.
Suivant la demande M. le rapporteur, je voterai contre ces amendements.
Mme la présidente. L’amendement n° 139, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 55
Remplacer les signes et le mot :
« augmentés »
par les mots :
mieux protégés et responsabilisés
II. – Alinéa 56
Supprimer cet alinéa.
III. – Alinéa 57, deuxième phrase
Après le mot :
allégé
supprimer la fin de cet alinéa.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Autres fantasmes technologiques du Gouvernement, les exosquelettes et les policiers « augmentés ».
Mme Assassi en a déjà parlé, mais je tiens à livrer un petit résumé pour celles et ceux à qui ces points auraient échappé.
Dans la première partie du rapport annexé, le ministre semble avoir pris conscience des limites de son enthousiasme un peu forcené pour les nouvelles technologies. Il dit à raison que l’ajout d’équipements dans la panoplie des agents multiplie « le poids et les interactions homme-machine, ce qui n’est pas satisfaisant ». Il faut donc y remédier.
Quelle solution est apportée au problème ? Réduire le nombre d’équipements ? S’interroger sur leur légitimité ? Bien sûr que non ! La solution, c’est de déployer des exosquelettes pour aider le policier à supporter le poids grandissant de ces équipements. Nous continuons dans la fuite en avant.
Cette logique ridicule aboutit à un résultat effrayant. Le policier de demain, c’est visiblement celui que Paul Verhoeven avait imaginé dans Robocop. Il sera bardé de capteurs et d’intelligence artificielle. Voilà qui, à coup sûr, permettra de rapprocher la police et la population ; c’est bien démontré dans le film…
C’est le monde militaire qui a inspiré cette idée d’augmentation des personnels. Or les projets d’exosquelettes sont abandonnés les uns après les autres – c’est le cas du projet américain Talos en 2020 –, en raison d’une ergonomie incertaine, d’un coût financier et énergétique important et d’une inadéquation entre les dispositifs et les objectifs tactiques du terrain. Mais encore faut-il fixer des objectifs…
Afin que le ministère dont vous avez la charge ne se ridiculise pas avec des fantasmes coûteux, inefficaces et dangereux, nous vous proposons de supprimer ces alinéas.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je crois que le fantasme est dans la tête des auteurs de cet amendement.
Monsieur Dossus, je suis sidéré de voir à quel point les membres de votre groupe remettent en cause les progrès permis par la science.
Nous débattons d’un projet de loi d’orientation et de programmation à cinq ans ; c’est l’ingénieur qui vous parle. Nous avons vu à quelles difficultés la sécurité civile a été confrontée cet été. Nous devons tout faire pour aider les sapeurs-pompiers. Aujourd’hui, nous pouvons mobiliser toute une série de techniques en leur faveur. Évidemment, cela exige des précautions, des expérimentations…
M. Guy Benarroche. Ah !
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. … et des évaluations. Mais, grâce à ces outils, nous pouvons garantir une efficacité accrue, tout en maintenant évidemment les forces en place.
Vous êtes tout le temps dans le scepticisme à l’égard de la science. À vous entendre, ce serait forcément Orwell, Verhoeven et Robocop. Pas du tout !
Avec nos collègues Jérôme Durain et Arnaud de Belenet, j’ai mené, il n’y a pas si longtemps, une mission d’information sur l’intelligence artificielle et l’utilisation des algorithmes. Nous avons notamment traité de la reconnaissance faciale.
Bien sûr, il faut mieux protéger les libertés.
M. Thomas Dossus. Ah !
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Mais toute une série de technologies existent, et nous avons, en France, le privilège d’avoir les meilleures entreprises du monde en la matière. Elles maîtrisent ces technologies, qui nous permettraient d’obtenir des résultats beaucoup plus efficients.
Se priver de la possibilité d’avoir une réalité augmentée dans un projet de loi d’orientation à cinq ans serait, à mon avis, une erreur. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur, l’objet de l’amendement laissait présager le ton de votre intervention : « La présente partie du projet de loi dévoile le cœur de la pensée techno-autoritaire de ses auteurs. » Vous y évoquez aussi – c’est une nouvelle attaque ad hominem – des mesures « extrêmement coûteuses, parfaitement irréalistes et totalement déconnectées d’une vision apaisée de la sécurité ».
Je vous encourage à vous rendre au prochain congrès national des sapeurs-pompiers. Comme l’a très bien dit M. le rapporteur, les exosquelettes permettent aux pompiers de porter des charges lourdes. (Mme Laurence Harribey le confirme.) Ils leur évitent ainsi des maladies professionnelles extrêmement invalidantes.
Grâce à de tels équipements, qui allègent leur souffrance au travail, les pompiers peuvent continuer à vivre de leur passion tout en venant en aide à nos concitoyens. Mais ce que vous aimez, c’est que les gens souffrent ! (M. Thomas Dossus proteste.) Je ne vois pas d’autre explication. Non seulement le progrès vous inspire de la détestation, mais vous voulez que, conformément à son étymologie, le travail reste un vrai tripalium.
Après votre intervention, il me semblait nécessaire de remettre la caserne des sapeurs-pompiers au milieu du village ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. L’amendement n° 138, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 58
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
À ce titre, les caméras-piétons et caméras embarquées devront être maintenues allumées afin de permettre un enregistrement vidéo durant la totalité du temps de présence des équipes sur le terrain. Dans le cas d’un arrêt intentionnel ou non de ces dispositifs, les personnels concernés seront tenus de présenter à leur hiérarchie un compte rendu détaillant les circonstances de cet arrêt qui sera versé au dossier des éventuelles procédures légales dont l’objet concerne un événement qui se serait déroulé pendant ces périodes d’interruption d’enregistrement.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Monsieur le ministre, avec cet amendement, je demande précisément un enrichissement de la technologie que vous proposez de déployer.
Entre autres solutions présentées par le rapport annexé pour améliorer l’efficacité des forces de l’ordre, on trouve les caméras-piétons et les caméras embarquées.
Ces caméras, installées sur les policiers en patrouille ou sur les véhicules, sont destinées à filmer les interventions sur le terrain.
Lorsqu’on écoute les discours du ministère de l’intérieur, l’utilisation de ces dispositifs dans le cadre des relations entre police et population en France semble avoir pour principal objectif de rendre les citoyens plus polis et respectueux face aux forces de l’ordre,…
M. Thomas Dossus. … puisqu’ils sauront qu’ils sont filmés.
C’est effectivement une nécessité de se montrer respectueux…
M. Thomas Dossus. … envers nos forces de l’ordre, dont je salue le travail.
Mais le respect doit être réciproque. Lorsqu’on regarde d’où viennent les caméras-piétons, c’est-à-dire des États-Unis et du Canada, on constate que ces dispositifs y ont été installés sur les policiers dans une logique inverse à la nôtre. Dans ces pays, qui ne font pas l’autruche face à certains comportements déviants, il s’agit de rassurer la population en prévenant d’éventuelles violences policières et d’éventuels abus d’autorité, les intéressés sachant que chaque intervention sera filmée.
Comme l’un des objectifs affichés dans le rapport est d’améliorer le lien entre vos services et la recherche académique, regardons les études. Plusieurs ont été consacrées à l’efficacité de ces caméras.
Les études canadiennes ne mettent pas au jour une grande efficacité des dispositifs. En revanche, les études américaines montrent que les caméras ont permis une nette amélioration de la relation entre police et population. Elles précisent qu’aucune des initiatives déployées n’a eu de résultats négatifs.
Ainsi, l’étude menée en 2013 à Rialto conclut que l’emploi de la force par les policiers a été divisé par deux et que l’on a enregistré une baisse de 87 % des plaintes contre la police pendant la période d’essai.
Je relève un dernier point important. Toutes les utilisations nord-américaines de ces caméras sont assorties d’une condition centrale, que l’on ne retrouve pas actuellement en France : les caméras doivent être allumées en permanence.
Pourquoi la France serait-elle le seul pays qui laisse aux policiers le choix d’allumer ou non les caméras, pour filmer les moments où ils sont à leur avantage et occulter les autres ? Pourquoi faire de ces dispositifs une nouvelle source de défiance de la population envers la police ?
Dans un esprit de justice et d’apaisement, nous vous faisons donc la proposition suivante : si caméras-piétons il y a, elles doivent être allumées en permanence et l’agent qui éteint sa caméra pour une raison ou pour une autre doit fournir un compte rendu expliquant ses motivations…
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue.
M. Thomas Dossus. C’est aussi pour orienter les éventuels marchés publics que vous passerez que je vous propose une telle amélioration.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Comment peut-on défendre tout et son contraire à quelques semaines d’intervalle ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Cher collègue, nous avons examiné le texte relatif à la sécurité globale dans cet hémicycle en présence de M. Darmanin ; il se trouve que vous aviez également les deux mêmes rapporteurs.
Mon collègue Loïc Hervé, par ailleurs membre de la Cnil, a veillé avec un soin tout particulier à faire en sorte que la protection des libertés publiques soit garantie et que les caméras fassent l’objet d’un usage proportionné.
Une nouvelle fois, c’est l’ingénieur qui vous parle : ces équipements, qui fonctionnent à l’aide de batteries, ne peuvent pas enregistrer en permanence sans subir de graves problèmes techniques.
Quoi qu’il en soit, les caméras font aujourd’hui l’objet d’un usage proportionné, défini et réglementé avec l’accord de la Cnil, puis validé par le Conseil constitutionnel. Cet usage respecte les droits et libertés : restons dans ce cadre. En allant au-delà, nous serions confrontés, cette fois-ci, à un problème juridique. Avis défavorable.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Je suis un peu surpris de voir que les membres du groupe écologiste demandent toujours plus de caméras…
Mme la présidente. L’amendement n° 103, présenté par MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 58
Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :
L’utilisation de caméras individuelles portées par les agents de la police nationale et les militaires a pour objectif premier la diminution des cas de recours illégal à la force, la prévention des violences policières et, en ce sens, le contrôle a posteriori de l’action de ces agents.
Les images captées et enregistrées au moyen de caméras individuelles peuvent être transmises aux autorités compétentes, lorsque cette consultation est nécessaire pour faciliter la preuve d’infractions commises par un agent lors de l’exercice de ses fonctions, dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire l’impliquant.
Dans le cadre d’une procédure judiciaire à l’encontre d’un agent, ces images seront transmises au parquet sous scellé, dès l’ouverture de la procédure.
Les modalités de déclenchement de l’enregistrement seront élaborées afin de permettre une captation en continu.
Le traitement des images recueillies par des logiciels de reconnaissance faciale est interdit.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement vise, lui aussi, à définir l’utilité de la caméra-piéton et à en préciser l’objet.
J’ai entendu que certains alinéas, notamment ceux sur la captation en continu, semblaient vous convenir. Mais je peine encore à comprendre vos réticences sur les autres points.
Ce rapport n’est qu’une feuille de route, un cadre pour les futures prises de décisions budgétaires, réglementaires et législatives. Pour les membres de notre groupe, il est important d’y voir figurer les objectifs et les limites du développement des caméras-piétons.
J’ai bien du mal à comprendre la réticence de notre assemblée à inscrire dans la ligne directrice du ministère de l’intérieur l’encadrement du développement des caméras-piétons ; c’est tout ce que nous demandons.
Comme l’expliquait mon camarade Thomas Dossus, l’utilisation de ces caméras individuelles doit avoir pour objectifs premiers la diminution des cas de recours illégal à la force et la prévention des violences policières. En ce sens, leur utilité réside dans le contrôle a posteriori de l’action des agents, notamment par la transmission des images captées aux autorités judiciaires, administratives ou disciplinaires lorsqu’un agent est mis en cause pour une infraction commise dans l’exercice de ses fonctions.
Dans le cadre d’une procédure judiciaire à l’encontre d’un agent, il faudra transmettre ces images sous scellés pour en assurer l’authenticité. Il nous paraît essentiel de réaffirmer ce principe dans la loi.
Il s’agit aussi d’exclure explicitement le traitement des images issues des caméras embarquées par des logiciels de reconnaissance faciale. Ces derniers font craindre des risques de surveillance de masse de la population.
Les débats suscités par une telle technologie ne font que s’amplifier. Dans son livre blanc sur l’intelligence artificielle, prépublié au mois de janvier 2020, la Commission européenne envisageait ainsi l’interdiction temporaire des technologies de reconnaissance faciale dans divers secteurs.
La reconnaissance faciale ne doit pas être considérée comme une technologie d’identification biométrique comme les autres. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) garantit aux citoyens le « droit de ne pas faire l’objet d’une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé, y compris le profilage », selon la définition du profilage inscrite à l’article 4. Or l’usage de la reconnaissance faciale, notamment de manière automatisée, entre en contradiction avec l’article 5 du RGPD.
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue.
M. Guy Benarroche. Enfin, parce que la reconnaissance faciale appartient à la catégorie plus large des techniques biométriques, elle entre en contradiction avec l’article 9,…
Mme la présidente. Concluez !
M. Guy Benarroche. … qui interdit le traitement des données biométriques.
Mme la présidente. Monsieur Benarroche, je vous prie de bien vouloir respecter votre temps de parole, afin que nous puissions examiner le projet de loi dans les délais impartis.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Monsieur Benarroche, il y a dans le rapport une phrase – je vous l’ai citée ce matin – qui répond parfaitement aux deux premiers volets de votre amendement.
Nous avions interpellé M. le ministre sur la reconnaissance facile. Il s’est exprimé, en indiquant qu’il faudrait passer soit par le texte relatif aux jeux Olympiques, soit par une proposition de loi de l’Assemblée nationale ou du Sénat.
Sur l’initiative du président de la commission des lois, M. Durain, M. de Belenet et moi-même avons consacré une mission à la reconnaissance faciale. Nous avons pris en compte tout ce que vous venez de dire et formulé un certain nombre de préconisations. Je vous renvoie à notre rapport, qui a été adopté par la commission des lois. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne reviendrai pas sur les caméras individuelles ; M. le rapporteur les a déjà évoquées et nous en avons longuement parlé lors de l’examen de la proposition de loi pour une sécurité globale.
Monsieur Benarroche, votre intervention se concentre finalement sur les nouvelles technologies appliquées aux images. À ce titre – voilà une différence avec le premier texte déposé, monsieur Durain –, le Gouvernement a choisi de retirer les dispositions prévoyant le recours aux ordonnances pour traiter le problème du statut unique des images.
Le Conseil d’État et la Cnil estimaient que la multiplication des vecteurs technologiques – caméras classiques, caméras-piétons, drones, caméras héliportées – induisait une multiplicité de statuts alors qu’il fallait, à l’inverse, un statut unique de l’image. Ce travail est à la fois très important et très complexe.
Par ailleurs, pour ce qui concerne les caméras de vidéoprotection classiques, nous devons revoir notre législation à l’aune du RGPD « nouvelle formule ».
À l’origine, nous avions prévu une ordonnance. Mais nous écoutons les assemblées et le ministre des relations avec le Parlement, qui nous a mis en garde : même si la procédure a été prévue par le général de Gaulle (M. Jérôme Bascher sourit.), il faut considérer que les ordonnances ne sont pas respectueuses des assemblées. Dont acte ! Nous avons retiré les dispositions prévoyant des ordonnances. Il n’y en a plus, sauf une qui sera inscrite en dur dans quelques instants.
Nous nous sommes rangés aux arguments de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui figurent dans le rapport, à paraître prochainement, du député Philippe Latombe et dans celui de MM. Durain, Daubresse et de Belenet.
Comme je l’ai précisé à M. le rapporteur, pour traiter du statut des images, nous sommes prêts à passer par une proposition de loi. Et si ce texte vient du Sénat, nous en serons très heureux. À défaut, nous traiterons la question dans le projet de loi relatif aux jeux Olympiques, mais ce serait mieux d’avoir une proposition de loi.
J’ai déjà exprimé mon opposition à la reconnaissance faciale. Je peux vous le dire en chtimi ou en chinois médiéval. (Sourires.)
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. En mandarin ? (Nouveaux sourires.)
M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne suis pas favorable à la reconnaissance faciale. On peut mettre de l’intelligence artificielle dans les dispositifs de collecte d’image : c’est autre chose que de la reconnaissance faciale.
Le Sénat, dans son infinie sagesse et bonté, proposera sans doute un texte. Sinon, le Gouvernement prendra une initiative.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Monsieur le ministre, je me souviens très bien de vos propos, que je m’apprêtais d’ailleurs à vous rappeler tout à l’heure. Ma question est simple : pourquoi ne pas inscrire ce que vous venez de dire dans ce rapport, qui constitue la feuille de route de votre ministère pour cinq ans ?
J’ai bien compris qu’un autre texte doit suivre. Mais une foule de dispositions réglementaires ou législatives figurent dans le rapport annexé. Pourquoi ne pas y introduire aussi une telle mention ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Ce sera écrit dans une loi dédiée !
Mme la présidente. L’amendement n° 116, présenté par Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 60
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Est créée une seconde base pour les Canadair et autres aéronefs de la sécurité civile en Nouvelle-Aquitaine afin de pouvoir intervenir au plus vite lors des départs de feux.
La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Les terribles incendies qu’ont connus la Gironde et les Landes cette année, comme le développement d’incendies en Bretagne, ont témoigné avec une force nouvelle de la nécessité de déployer une seconde base de sécurité civile dans l’ouest de la France.
C’est une demande de plus en plus en plus forte des élus locaux. Elle a été formalisée dernièrement par une lettre conjointe des présidents des Landes et de la Gironde.
Les acteurs sont unanimes : plus le feu est repéré et traité rapidement, plus les chances de l’éteindre sont grandes. Au regard de l’exposition colossale des forêts de l’ouest de la France, et notamment des forêts de pins, aux incendies, il est indispensable de rapprocher les moyens de la sécurité civile des foyers à risque.
En outre, la création d’une telle base est parfaitement compatible avec la promesse présidentielle d’étoffer la flotte de Canadairs via un effort européen. Il serait alors possible d’équiper cette nouvelle base sans amoindrir les capacités de celle de Nîmes.
Je dois malheureusement attirer votre attention sur le fait que ces avions sont vieillissants. Sur douze appareils, seuls huit seraient opérationnels en même temps. Qu’en est-il du renouvellement de la flotte ? La France va-t-elle se contenter des deux bombardiers d’eau commandés par l’Europe ? Les bombardiers promis sont-ils commandés ?
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Ma chère collègue, je comprends tout à fait votre préoccupation compte tenu de la situation dramatique que nous avons connue cet été. Le ministre s’était alors rendu sur place.
Toutefois, voter cet amendement reviendrait à faire une injonction au Gouvernement, ce qui ne serait pas constitutionnel.
Le ministre est placé face à un choix compliqué : soit décentraliser ces moyens à l’échelle des régions, ce qui implique évidemment une dispersion, soit les centraliser pour limiter les coûts de maintenance et d’entretien.
C’est à lui qu’il appartient de prendre la décision. Il va vous répondre. Mais, encore une fois, nous ne pouvons pas adopter l’amendement tel qu’il est rédigé. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Gérald Darmanin, ministre. … pour que les dispositions ne soient plus impératives et permettent une conditionnalité.
Quelle est notre difficulté ? En créant plusieurs bases, ce qui peut sembler intelligent à première vue, vous allez diluer les moyens. Or, à ce jour, il n’est plus possible de racheter le même nombre d’avions, pour des raisons non pas budgétaires, mais matérielles : les fameux Canadairs ne sont plus produits ; il faut d’abord construire l’usine qui les produira. Un tel manque à l’échelle européenne est évidemment l’un de nos problèmes.
Indépendamment de cela, si l’on disperse le matériel en plusieurs lieux, il deviendra difficile à mobiliser.
Les Canadairs ne volent que le jour. Les mécaniciens les réparent la nuit pour garantir une intervention des avions à flux tendu. D’ailleurs, à l’instar des pilotes, ces mécaniciens sont hautement spécialisés. Nous avons d’ailleurs du mal à les payer suffisamment pour faire face à la concurrence du privé. Nous en avons peu, et nous les chérissons.
La base de Nîmes permet de réparer la nuit les avions qui volent le jour. Avec deux bases dans deux territoires différents, nous ne serions pas capables aujourd’hui de maintenir notre niveau d’intervention aérien face aux feux de forêt.
Or, comme vous l’avez très bien rappelé, c’est en repérant tôt les feux que l’on arrive à les éteindre. Quand leur ampleur dépasse cinq ou dix hectares, il est presque trop tard. C’est pourquoi on voit les avions partir d’un territoire pour aller vers un autre : ils vont y éteindre les feux qui s’y déclarent avant de revenir à leur point de départ.
L’aérien n’est pas ce qu’il y a de plus sûr pour éteindre un feu. Outre l’entretien des forêts, il faut miser sur le travail des soldats du feu au sol. L’aérien permet de contenir un feu, non de l’éteindre ; j’y reviendrai.
Je n’ai rien contre l’idée de créer une deuxième base aérienne, encore faudrait-il savoir où l’établir…
Madame la sénatrice, vous proposez la Gironde, mais les feux de forêt ont lieu en partie au sud de la Loire et en partie au nord. Je pense que c’est donc plutôt au nord de la Loire qu’il faudrait l’établir. On ne va pas créer une base en Gironde alors qu’il en existe déjà une dans le Gard. Une grande partie des sénateurs me rétorquerait à raison que les feux de forêt ne se produisent plus désormais seulement dans le sud du pays !
Je vous suggère donc de rectifier votre amendement ainsi : « le Gouvernement étudie la création d’une seconde base », car le Gouvernement réfléchit déjà à cette question.
Le sénateur du Gard a parfaitement raison. Nous nous battons pour que la base aérienne de Nîmes soit non seulement celle de l’excellence de la sécurité civile française, mais également celle de l’excellence européenne. Elle pourrait même être, si nous étions très ambitieux, une base euro-méditerranéenne, puisqu’elle est idéalement située et dispose de personnels de haut niveau.
De plus, la base aérienne de la sécurité civile, accueillie depuis longtemps dans le département du Gard, est dotée de moyens technologiques très importants, que nous allons renforcer, monsieur le sénateur.
J’espère d’ailleurs avoir l’occasion de m’y rendre très prochainement, en compagnie du commissaire européen à la gestion des crises Janez Lenarcic, pour consacrer sa vocation européenne, conformément aux avancées réalisées dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne. Ainsi, le travail que vous avez entrepris il y a des années maintenant sera récompensé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour explication de vote.
Mme Laurence Harribey. Monsieur le ministre, je suis intervenue, en tant que sénatrice de la Gironde habitant dans le secteur de Landiras, lors de votre audition du 21 septembre dernier devant la commission des lois.
Je suis soucieuse de préserver l’équité entre tous les territoires en matière de lutte contre les incendies, car ces derniers peuvent se produire partout. À cet égard, nous avons déposé un amendement en commission, qui a été adopté, dont l’objet est de garantir l’indispensable maillage territorial des centres d’incendie et de secours.
Certes, on peut indiquer que le Gouvernement étudie l’opportunité de la création de « plusieurs bases », mais la rédaction que nous avions proposée visait à ne pas mettre en concurrence les territoires, car nous préférons mettre en avant l’importance du maillage territorial.
À mon sens, tel qu’il sera rectifié, l’amendement sera satisfait dans la mesure où l’on parle de maillage territorial dans la version du texte de la commission.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Je rejoins le propos de M. le rapporteur et me réjouis de la réponse de M. le ministre.
Moi qui suis originaire de l’est de la France, jamais je n’aurais imaginé que les massifs vosgiens et jurassiens puissent subir un jour autant de départs de feux de forêt. C’est un véritable sujet, eu égard à l’exposition au risque incendie des massifs forestiers. Or ces derniers sont une richesse pour notre pays.
J’entends qu’il faut élargir le débat aux enjeux des territoires et au risque incendie. Le risque incendie est une menace terrible pour le patrimoine économique que représentent certains massifs forestiers, notamment ceux qui sont constitués d’arbres vieux d’un ou deux siècles, d’autant plus que les forêts sont parfois très habitées. Le massif forestier des Vosges est par exemple l’un des plus habités de France.
J’irai plus loin. J’ai lu qu’à l’échelle européenne la situation d’exposition d’autres États membres était identique à la nôtre. Dans l’est de la France, en raison de la proximité des massifs allemands, on pourrait, me semble-t-il, avoir une approche européenne de cette question.
C’est un sujet véritablement important. Il est urgent de se positionner sur cette notion de protection territoriale de notre richesse forestière.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour explication de vote.
Mme Nathalie Delattre. À l’instar de mes autres collègues de la Gironde, notamment de Mme Harribey, j’ai dû être évacuée de ma commune durant les incendies…
Monsieur le ministre, je salue votre sagesse de solliciter une rectification de cet amendement.
Il est précisé dans l’objet de l’amendement que le coût de l’investissement dans la seconde base oscillerait entre 16,8 millions et 18 millions d’euros, mais il faut également prévoir le coût de fonctionnement.
Nous devons mener une large réflexion. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’y associer le Sénat. En tant que représentants des territoires, nos réflexions pourraient vous aider à choisir le positionnement de cette base.
Il n’en demeure pas moins que tous les territoires ne pourront pas être dotés d’une seconde base. À mon sens, en période d’alerte canicule, il serait intéressant de prépositionner des avions. Le temps de vol entre Nîmes et Bordeaux est de quarante-cinq minutes, peut-être un peu plus si les avions sont remplis d’eau. Savoir que nous pouvons compter sur la rapidité d’envoi de ces avions, en période d’alerte, pourrait nous rassurer. Nous pouvons les abriter dans des bases militaires – Cazeaux et Mérignac – ou civiles.
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre écoute. En Gironde, nous saluons votre proposition.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Compte tenu de la position d’ouverture de M. le ministre, Mme de Marco pourrait rectifier son amendement ainsi : « Le Gouvernement étudie l’opportunité de la création d’une seconde base pour les Canadairs et autres aéronefs de la sécurité civile afin de pouvoir intervenir au plus vite lors des départs de feux. »
Si l’on veut répondre aux préoccupations de chacun, il est préférable de rédiger ainsi l’amendement. Nous pourrions alors le voter. La commission ne l’a pas étudié, mais, à titre personnel, j’y serai favorable.
Mme la présidente. Chère collègue, acceptez-vous de rectifier votre amendement dans le sens suggéré par M. le ministre et par M. le rapporteur ?
Mme Monique de Marco. Je suis bien évidemment d’accord. J’espère que le Gouvernement étudiera très prochainement cette opportunité, n’est-ce pas, monsieur le ministre ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission. C’est l’amendement Marcellin ! (Nouveaux sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je crains que l’amendement de Mme de Marco ne soit pas satisfait par l’expression « maillage territorial ». Il s’agit en réalité d’établir une base et non simplement de consolider le maillage territorial, qui existe déjà, puisque vous disposez d’un pélicandrome dans votre département.
Je pourrais vous répondre en jouant les naïfs, mais je vous mentirais en vous disant que cela serait suffisant pour permettre à la sécurité civile de choisir une deuxième base aérienne sur le modèle de celle du Gard.
Le prépositionnement d’avions existe déjà, notamment en Corse.
J’attire votre attention sur la stratégie de la sécurité civile. Son objectif est de concentrer fortement l’intégralité de la flotte aérienne pour éteindre les feux, ce qui n’est pas la même chose que de repérer les feux. S’il s’agissait uniquement de repérer les feux, les pélicandromes, les hélicoptères – la Lopmi prévoit d’en renouveler 36 – et les drones le permettraient. Mais une fois que le feu est repéré, il faut l’éteindre, ce qui n’est possible que lorsque presque toute la flotte intervient sur le feu. Si l’on divise en deux la flotte aérienne de sécurité civile sur le territoire national, alors les feux pourront être repérés plus vite – la belle affaire ! –, mais on les verra surtout brûler encore plus longtemps…
La deuxième base se conçoit, si l’on résout auparavant deux problèmes. Le montant de 18 millions, au regard des 15 milliards prévus dans la Lopmi, n’en est pas un.
En premier lieu, sommes-nous capables de constituer une deuxième flotte aérienne, à peu près équivalente à celle du Gard ? Cela pose des questions budgétaires et industrielles. Canadair est simplement une marque d’avions, comme Frigidaire l’est de réfrigérateurs… Est-ce que d’autres partenaires industriels sont capables de produire des avions bombardiers d’eau ? Un certain nombre de sociétés françaises nous disent que c’est possible, mais que cela prend du temps. Ainsi, nous ne pourrions guère les acheter aujourd’hui, même si nous en avions les moyens. L’ensemble des pays européens rencontre également cette difficulté.
En second lieu, il nous faut trouver les « professionnels de la profession », comme dirait Godard, pour pouvoir les piloter – c’est un métier très particulier –, mais aussi pour les réparer.
Une fois ces deux problèmes résolus, la question de l’implantation de la deuxième base peut se poser, et c’est heureux que nous en discutions ensemble.
J’insiste sur un point : ce n’est pas parce que nous prépositionnons des avions sur l’ensemble du territoire que l’on est plus efficace ; autrement, nous l’aurions déjà fait. Ce n’est pas toujours facile à comprendre pour nos concitoyens.
Mme la présidente. Je donne lecture de l’amendement rectifié : « Le Gouvernement étudie l’opportunité de la création d’une seconde base pour les Canadairs et autres aéronefs de la sécurité civile en Nouvelle-Aquitaine… ».
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Non !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Compte tenu des termes du débat, tels que nous les avons posés – j’ai bien écouté les propos de M. le ministre, de M. Gremillet et de nos collègues du Gard –, je pense que cette étude doit être faite et qu’elle doit prendre en compte de nombreux paramètres – M. le ministre vient d’indiquer un certain nombre de paramètres techniques.
Si l’on veut trouver un consensus, la meilleure solution est de rectifier l’amendement en écrivant : « le Gouvernement étudie l’opportunité de la création d’une nouvelle base pour les Canadairs et autres aéronefs de la sécurité civile », sans préciser la localisation. Autrement, on ne répond pas à tous les attendus et considérants qui permettent de choisir un endroit plutôt qu’un autre.
Mme la présidente. Il s’agit donc de l’amendement n° 116 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, qui est ainsi libellé :
Alinéa 60
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le Gouvernement étudie l’opportunité de la création d’une seconde base pour les Canadairs et autres aéronefs de la sécurité civile.
La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je note avec intérêt cette rédaction : ne venons-nous pas d’instaurer une nouvelle jurisprudence ?
Désormais, pourrons-nous, lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, indiquer dans nos amendements que « le Gouvernement étudie » tel ou tel dispositif, pour éviter que nos demandes de remise de rapports par le Gouvernement ne soient rejetées ? (Sourires.)
La rédaction proposée me semble tout à fait astucieuse et je la voterai. Je vous remercie, monsieur le ministre ! (Nouveaux sourires.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 116 rectifié.
M. Alain Richard. Je m’abstiens, cela n’a aucun sens !
Mme la présidente. L’amendement n° 176, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 70 à 73
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Si vous le permettez, madame la présidente, je présenterai en même temps l’amendement n° 177.
Mme la présidente. L’amendement n° 177, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 74 à 78
Supprimer ces alinéas.
Veuillez poursuivre, chère collègue.
Mme Cécile Cukierman. Loin de nous l’idée de remettre en cause tout recours aux possibilités qu’offre le numérique, dont Mme Assassi rappelait l’importance lors de son intervention en discussion générale. Pour autant, des hiérarchies demeurent.
Est-ce que la politique de sécurité intérieure sera à l’avenir fondée sur le numérique, érigé en priorité stratégique ? Ou bien est-ce qu’elle s’appuiera, une fois qu’elle aura été définie et développée, sur les outils numériques ?
Cette volonté d’ériger le numérique en priorité stratégique a fortement attiré notre attention.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. J’émets un avis défavorable, pour les mêmes raisons que celles que j’ai précédemment invoquées.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je comprends votre demande, madame la sénatrice. Si le numérique, comme objet d’intervention d’un service public, était la priorité du ministère de l’intérieur, comme la rédaction du texte semble vous en donner l’impression, je serais prêt à voter cet amendement si j’étais sénateur, mais tel n’est pas l’objet du texte, lequel est de prévoir des moyens.
Dans les services de police, où l’on est obligé de photocopier et d’imprimer sans cesse, une grande partie des policiers demande à pouvoir utiliser les outils numériques, à condition que cela soit simple et efficace. Ils gagneraient beaucoup de temps. Le numérique facilite leur travail.
Madame la sénatrice, le numérique est également une aide pour vous : les ordinateurs et les tablettes vous permettent d’améliorer votre travail parlementaire et de vous concentrer sur les choses les plus importantes.
Cela ne changera sans doute pas votre opinion sur l’amendement et sur le texte, mais le numérique est non pas une fin, mais un moyen. Le ministère de l’intérieur a une dette numérique, comme on dit joliment, très importante, qui contribue fortement à la souffrance au travail et aux difficultés que connaissent les agents de police.
Mme la présidente. L’amendement n° 141, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 87
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Concernant ces partenariats industriels, le ministère s’engagera dans une démarche proactive d’enquête auprès de ces entreprises afin de s’assurer qu’aucun de ses contractants ne soit impliqué – de près ou de loin – dans des activités contraires aux droits de l’homme (fourniture d’équipements de surveillance ou de répression à des dictatures par exemple).
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. La technologie est amenée à prendre de plus en plus de place dans le quotidien des forces de l’ordre. Pour que cet objectif puisse être atteint, il faut naturellement des marchés publics d’équipement.
Il convient d’adjoindre à la technologie et aux marchés publics un certain nombre de garde-fous indispensables, en raison des dérives que l’on a pu connaître récemment en matière de technologies de surveillance.
Il nous semble que l’éthique des marchés publics du ministère de l’intérieur est primordiale. Nous souhaitons poser un principe clair : aucun marché public avec les entreprises qui ne respectent pas les droits de l’homme.
Notre inquiétude est légitime. Nous avons appris par la presse que l’État a envisagé de signer un contrat avec la société israélienne NSO, connue pour son logiciel espion Pegasus, qui, je le rappelle, fait l’objet d’une enquête du Parlement européen et a été utilisé par de nombreuses dictatures à travers le monde pour ficher et contrôler les opposants politiques et la population.
La signature a été évitée de justesse, sur ordre du Gouvernement. Il n’est toutefois pas normal que ce contrat scandaleux ait été empêché par le fait du prince.
Nous souhaitons donc que le ministère de l’intérieur mette en place une politique proactive d’enquête sur ses contractants, en particulier dans le domaine sensible des nouvelles technologies.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Comme je l’ai dit en commission, cet amendement n’est pas opérant.
Comment le ministère pourrait-il vérifier l’ensemble des activités de ses contractants ? Nous sommes obligés d’émettre un avis défavorable sur cet amendement, tel qu’il est rédigé.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur, ma question est sans doute naïve : connaissez-vous un label qui nous permettrait d’effectuer ces contrôles, à l’instar de ce qui se fait pour les entreprises en matière environnementale ?
M. le rapporteur a raison de dire que cette opération de contrôle éthique est complexe.
Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Je vous invite, monsieur le ministre, à regarder du côté des ONG, comme Amnesty International, qui listent fréquemment les entreprises compromises avec des dictatures, qui font des rapports sur l’état de la police en France et les techniques de maintien de l’ordre. Peut-être pourriez-vous vous tourner vers cette organisation ?
Mme la présidente. L’amendement n° 140, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 88
Rédiger ainsi cet alinéa :
Le ministère de l’intérieur devra s’ouvrir au monde universitaire, dans le respect des libertés académiques, en soutenant des travaux de thèses, de post-doctorat ou en s’associant à des chaires, sans exercer de pression ou tenter d’influencer le contenu de ces travaux. Au-delà des domaines relatifs aux nouvelles technologies de la sécurité, le ministère soutiendra avant tout les recherches ayant lieu dans le champ des sciences sociales, particulièrement celles relatives au renforcement du lien police / population.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Telle qu’elle était initialement rédigée, la partie relative aux relations entre le ministère de l’intérieur et le monde universitaire comprenait une injonction étonnante à l’égard des universitaires.
Il était ainsi écrit : « le monde universitaire devra lui aussi nouer des partenariats privilégiés avec le ministère de l’intérieur ». Je remercie mes collègues du groupe socialiste d’avoir rectifié cette injonction en commission en affirmant que, au contraire, c’est au ministère de nouer des partenariats privilégiés avec le monde académique.
En suivant la logique de cette correction, je vous propose d’aller un peu plus loin et de rappeler tout d’abord l’existence des libertés académiques dans notre pays, lesquelles sont, je le rappelle, érigées au rang des principes fondamentaux reconnus par lois de la République (PFRLR). À cet égard, nous rappelons que le déroulement des travaux universitaires ne saurait tolérer la moindre ingérence ou tentative d’influence sur les résultats de la part du ministère.
Nous voulons ensuite préciser que le ministère devra soutenir avant tout les recherches ayant lieu dans le champ des sciences sociales, notamment celles qui sont relatives au renforcement du lien entre la police et la population.
Nous estimons que la véritable priorité est dans ce domaine plutôt que dans celui des nouvelles technologies de sécurité. C’est ce champ-là qui doit être investi de toute urgence pour apaiser nos politiques de sécurité. À cet égard, les universitaires peuvent être d’une grande aide, si on les laisse travailler correctement.
Tel est l’objet de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. J’ai accepté en commission l’amendement du groupe socialiste, car il était fondé. Il visait à préciser qu’il appartient au ministère de l’intérieur d’essayer d’avoir des relations avec le monde universitaire.
Or cet amendement vise de nouveau à intenter un procès d’intention au ministère, qui pourrait exercer des pressions ou que sais-je encore ! (M. Thomas Dossus s’exclame.) J’émets donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 18, présenté par M. Sueur, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte et Marie, Mme G. Jourda, M. Jacquin, Mmes Carlotti, Conconne et Artigalas, MM. Cardon, Cozic et Gillé, Mmes Le Houerou, Meunier, Monier et Rossignol, MM. Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 96, dernière phrase
Supprimer les mots :
et à une réorganisation de la police nationale par filières
II. – Alinéas 136 à 139
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, cet amendement porte sur un sujet que vous savez très sensible : le projet de réforme – contesté – visant à unifier l’ensemble de l’organisation de la police à l’échelon départemental, sous l’égide d’un directeur départemental qui aurait autorité sur l’ensemble des services de police, y compris celui de la police judiciaire.
Nombre de représentants de la police judiciaire ont dit qu’il existait un risque de déconnecter la compétence territoriale de la police du champ d’activité du haut du spectre de la délinquance, notamment la délinquance organisée, le grand banditisme et la délinquance financière, qui intéressent aujourd’hui les directions régionales et interrégionales de la police judiciaire et ne se limitent pas au périmètre départemental.
Monsieur le ministre, vous avez entendu les propos de M. le procureur général près la Cour de cassation et ceux de nombreux professionnels – magistrats et avocats.
D’ailleurs, permettez-moi de faire une suggestion amicale : il aurait été utile que M. le garde des sceaux fût au banc sur un tel sujet. Je pense qu’il ne manquerait pas d’éclairer le débat, mais il n’est pas venu. Nous avons vu le ministre chargé des relations avec le Parlement, qui est parti, mais je lui envoie un message : il serait bon qu’il demande à M. le garde des sceaux d’être également présent sur ce sujet.
Monsieur le ministre, il est normal que vous soyez présent, …
M. Jean-Pierre Sueur. … mais votre collègue pourrait l’être aussi.
Mes chers collègues, vous remarquerez donc que le sujet est tout sauf anodin. C’est pourquoi nous demanderons un scrutin public sur cet amendement, ainsi que sur le suivant.
Mme la présidente. L’amendement n° 19, présenté par M. Sueur, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte et Marie, Mme G. Jourda, M. Jacquin, Mmes Carlotti, Conconne et Artigalas, MM. Cardon, Cozic et Gillé, Mmes Le Houerou, Meunier, Monier et Rossignol, MM. Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 96, dernière phrase
Supprimer les mots :
et à une réorganisation de la police par filière
II. Alinéa 138
Supprimer cet alinéa.
III. – Alinéa 139
Remplacer les mots :
Cette réforme de l’échelon territorial s’accompagne par une réforme de l’administration centrale, qui
par les mots :
L’administration centrale
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, vous avez pu nous éclairer sur ce sujet très sensible, qui suscite beaucoup d’émoi et de protestations et sur lequel vous avez expliqué tout à l’heure votre philosophie.
Vous avez également annoncé que la mise en œuvre éventuelle de cette réforme n’aurait pas lieu avant le second semestre de l’année 2023.
Dans ces conditions, est-il opportun, pour calmer les esprits, de proclamer dès aujourd’hui, dans un rapport annexé, que cette réforme est nécessaire, inéluctable et qu’elle sera faite ?
Monsieur le ministre, émettre un avis favorable n’enlèvera rien à ce que vous avez dit. Si l’on suit la bonne logique législative – on nous parle toujours de l’article 45 de la Constitution –, il n’est absolument pas nécessaire d’aborder cette réforme dans le rapport annexé, alors qu’aucun des articles du projet de loi ne traite de ce sujet.
Monsieur le ministre, vous voyez bien que si vous souteniez l’un de mes amendements – vous pouvez aussi bien soutenir le n° 19 que le n° 18 (Sourires.) –, le message serait le même dans les deux cas : vous accepteriez, d’une certaine façon, de retirer quelque chose qui aujourd’hui suscite de très grandes préoccupations.
Je pense que cela irait dans le bon sens et favoriserait le dialogue indispensable que nous souhaitons avoir à ce sujet.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 75 est présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
L’amendement n° 118 rectifié est présenté par Mme N. Delattre, MM. Gold, Guérini et Guiol, Mme Pantel, MM. Artano, Cabanel, Corbisez et Fialaire et Mme M. Carrère.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 136 à 139
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 75.
M. Guy Benarroche. Notre amendement va dans le même sens que ceux que vient de présenter M. Sueur.
Rarement un projet de réforme a suscité l’opposition aussi unanime d’une si grande variété d’acteurs : associations, syndicats de magistrats et d’agents de la police judiciaire ont exprimé un certain nombre d’interrogations et d’inquiétudes sur cette réforme.
La dernière inquiétude en date est liée au limogeage du directeur régional de la police judiciaire de Marseille, Éric Arella, victime de cette opposition générale, pour avoir laissé ses hommes manifester, de façon très calme, leur opposition justifiée.
Comme toujours, cette réorganisation est présentée comme étant une réforme de bon sens, pragmatique.
La commission des lois s’en est inquiétée au point de créer une mission d’information sur le sujet. Notre groupe, à l’instar du groupe socialiste, a proposé de supprimer toute mention de cette réforme dans le texte qui nous est aujourd’hui soumis ; je suis surpris que la commission des lois ne soit pas d’accord avec nos propositions.
Cette réforme fait l’objet de critiques circonstanciées, certains craignant un traitement dégradé de la délinquance.
La direction départementale de la police nationale (DDPN), attachée à la culture du chiffre et du résultat, risque de renforcer le traitement des dossiers relatifs aux petits litiges et aux contentieux de masse, au détriment des dossiers de la grande criminalité.
Il faut craindre également une disparition progressive de la spécialisation de la police judiciaire au profit des missions de la police du quotidien, d’autant plus que les membres de la police judiciaire pourraient être affectés prioritairement à des missions de sécurité du quotidien. Surchargés de dossiers, ces policiers pourraient voir leurs compétences se diluer.
Ces craintes sont renforcées par les résultats des départements ayant déjà expérimenté la réforme ou de ceux dans lesquelles elle s’applique déjà.
Cette réforme, engagée au nom de la politique du chiffre et du tout-sécuritaire, entraînera de façon insidieuse une confusion entre les pouvoirs judiciaires et administratifs, en établissant des liens forts entre les services de police judiciaire et les préfets, conduisant, à terme, à une soumission des services d’enquête au pouvoir exécutif.
Le secteur souffre d’une crise des vocations et ne parvient plus à fidéliser ses agents. La réforme va accentuer le phénomène de départ et la perte d’attractivité de cette vocation.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour présenter l’amendement n° 118 rectifié.
Mme Nathalie Delattre. Cet amendement fait écho aux inquiétudes des acteurs de la police judiciaire sur l’exercice de leur métier. Ils sont soutenus par les magistrats instructeurs, tout autant préoccupés par l’avenir de la filière judiciaire.
Le choix de bâtir un dispositif à l’échelle du département donne le sentiment d’un abandon de l’investigation zonale, interdépartementale et interrégionale, voire internationale, au bénéfice de la seule gestion des affaires courantes.
Monsieur le ministre, j’ai lu avec grand intérêt votre interview dans Le Parisien de dimanche dernier, dans laquelle vous dites que les affaires liées à la criminalité conserveront la même organisation qu’aujourd’hui, que la cartographique restera la même, que les magistrats pourront continuer à saisir le service enquêteur de leur choix.
Pourquoi donc ne pas accepter d’amender votre rapport ou, en attendant de le réécrire, de supprimer les alinéas concernés, puisque ces derniers sont rendus caducs par vos propos rassurants ? Cela permettrait de restaurer plus facilement le dialogue.
Mme la présidente. L’amendement n° 179, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 137 à 139
Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :
Les policiers doivent faire face à de multiples formes de délinquance et d’incivilité qui constituent à l’évidence un cercle vicieux susceptible à tout moment d’entraîner une spirale de la violence. Privés de la légitimité que confère une relation durable avec des habitants, et de la source de renseignements qu’elle constitue, les policiers paraissent uniquement chargés d’interventions ponctuelles dans des conditions ainsi rendues plus dangereuses. Et chaque intervention fait courir le risque d’une montée de la violence.
Briser ce cercle vicieux appelle une démarche de longue haleine, excluant que chaque situation dramatique donne lieu à un revirement de doctrine et à des annonces spectaculaires. Une politique de sécurité axée sur la police de proximité, sans être l’unique remède à des situations dont les causes sont multiples, est le seul moyen d’y parvenir.
Dans cette perspective, la police de proximité assurera des relations de confiance entre la police et les habitants, dont les attentes guident le travail policier. Elle repose sur la territorialisation de l’action et sur l’autonomie des agents, qui recevront à cet effet une formation spécifique. La gestion des effectifs garantira la valorisation de la fonction de policier de proximité ainsi que l’adaptation de la composition des équipes à la situation du territoire.
Ainsi, pour anticiper et prévenir les troubles à l’ordre public, tout en prenant en compte les attentes de la population, dans le cadre de l’article L. 111-2 du code de la sécurité intérieure, la police nationale formera et encadrera des agents de police de proximité. Chaque agent de police de proximité sera responsabilisé à son secteur, dans le cadre d’un maillage territorial bien identifié et cohérent avec le découpage administratif par quartier ou « secteur ».
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. J’ai présenté cet amendement à plusieurs reprises lors de l’examen de notre proposition de loi visant à réhabiliter la police de proximité. Je considère donc qu’il est défendu.
Mme la présidente. L’amendement n° 133, présenté par MM. Breuiller, Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 137
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Dans un souci d’équité territoriale, les maires doivent être informés annuellement des effectifs déployés sur leur territoire et des critères objectivés conduisant à la répartition des forces de l’ordre sur le territoire national.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement de notre collègue Daniel Breuiller est soutenu par l’ensemble de notre groupe. Il a pour objet de mettre fin à une incohérence à laquelle j’ai souvent été confronté en tant que maire, de la même manière que Daniel Breuiller, qui a longtemps été maire d’Arcueil.
Interrogées sur leurs modalités d’intervention, les forces de l’ordre mettent parfois en avant l’insuffisance de leurs effectifs. Or les élus locaux ont peu ou pas d’information sur les moyens humains attribués au commissariat ou à la gendarmerie dont ils dépendent. Cela peut donner l’impression que certains territoires sont plus dotés que d’autres.
Cet amendement vise donc à fournir aux maires, d’une part, des informations précises et régulières sur les effectifs affectés au commissariat ou à la gendarmerie dont dépend leur commune et, d’autre part, les critères objectivés présidant à la répartition des forces de l’ordre sur le territoire national.
Ces critères existent sans aucun doute : on imagine mal une répartition aléatoire des forces de l’ordre. Leur transmission aux élus permettra de mieux appréhender les modalités de répartition et, le cas échéant, d’en débattre.
Mme la présidente. L’amendement n° 171 rectifié, présenté par MM. Favreau, Belin, J.-B. Blanc, D. Laurent, Cuypers et Savary, Mme Dumont, MM. Laménie, Gremillet et Houpert, Mme Goy-Chavent, MM. Cadec, Burgoa et Genet, Mme Garriaud-Maylam et MM. Cambon, Longuet, Somon, Tabarot et J. P. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéas 138 et 139
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Gilbert Favreau.
M. Gilbert Favreau. Il me semble que le trouble qui atteint un certain nombre de professions, notamment les professions judiciaires, fait l’unanimité.
Certes, ce rapport annexé est important, mais il ne s’agit que d’un rapport annexé. Un sujet de cette importance aurait justifié un projet de loi à part entière.
Le risque existe que la réforme envisagée porte atteinte à la séparation des pouvoirs telle que nous la connaissons dans nos démocraties représentatives.
Je pense, et je partage à cet égard l’avis de mon collègue Sueur, qu’il faut prendre un peu de recul sur ce texte.
Par cet amendement, nous ne nous opposons pas définitivement à ce projet de loi, qui a par ailleurs de grandes qualités. Nous pensons juste, compte tenu du doute qui subsiste sur l’organisation du rapport entre la police judiciaire et le pouvoir exécutif, qu’une étude sur cette réforme et un report de sa mise en œuvre sont justifiés.
Il m’a d’ailleurs semblé, à l’issue de l’examen des amendements en commission, que cette dernière n’avait pas adopté un avis définitif sur la question.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je ne peux pas me lever systématiquement pour donner l’avis de la commission, car je suis dans un état provisoire de mobilité restreinte – je vous remercie de votre compréhension –, mais je vais le faire pour rappeler la position de la commission sur cette très importante question.
La départementalisation de la police envisagée par le ministre est une réforme importante. Il se trouve que mon père était fonctionnaire de police et que j’ai entendu parler de cette réforme dès les années 1990, alors que M. Joxe était ministre – un grand ministre ! – de l’intérieur. Cette réorganisation est de nature réglementaire.
Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Le ministre pense que l’organisation par filières, ou en silos, de la police nationale pose des problèmes d’efficacité. Pour les résoudre et mettre en place une meilleure gouvernance, il lui semble souhaitable de départementaliser certains de ces silos.
La commission a dit clairement que la police judiciaire présente une spécificité dont il faut tenir compte. J’ai été plus clair encore lors de la discussion générale : la police judiciaire doit rester sous l’autorité du procureur de la République – cela va sans dire, mais il est bon de l’écrire – ; elle doit conserver toutes les affaires sensibles – à cet égard, une mutualisation des moyens ne manque pas de susciter des craintes – ; enfin, la délinquance organisée dépassant de plus en plus les frontières d’un département, comme l’a indiqué le ministre, il faut envisager la création de structures zonales, lesquelles permettraient d’avoir une vision plus globale de certaines filières. Je pense en particulier à la délinquance organisée.
Comme je l’ai dit à mes collègues Nadine Bellurot et Jérôme Durain, chargés par le président de la commission, François-Noël Buffet, d’une mission d’information, telles sont, à ce stade, nos orientations. Il ne m’appartient pas d’aller plus loin en tant que rapporteur, au risque de préjuger les conclusions de la mission, qui organise actuellement des auditions.
De notre côté, nous en avons également organisé, auxquelles M. Durain a assisté, comme des collègues d’autres groupes. Tous ont entendu la Conférence nationale des procureurs de la République, le Conseil national des barreaux (CNB), certains responsables de la police judiciaire, mais aussi le directeur régional de la police judiciaire de Paris, à qui cette réforme ne pose pas de gros problème. Nous avons recueilli toutes les opinions sur cette réforme.
Une mission d’information, je l’ai dit, a été créée. J’ai indiqué à Jérôme Durain et à Nadine Bellurot que, s’ils souhaitaient aller plus loin et reprendre les quatre points que je viens d’évoquer, ou d’autres, nous pourrions adopter un amendement en ce sens.
Or là, il nous est demandé d’aller plus loin et de supprimer la départementalisation dans le rapport annexé, qui est un rapport d’orientation, alors que cette réforme, de nature réglementaire, est l’un des axes majeurs de la gouvernance future qu’envisage le ministre. Cela n’est pas conforme à la position de la commission, qui considère, je le répète, qu’il faut tenir compte des spécificités de la police judiciaire.
Cela suppose très clairement, je l’ai dit, que la police judiciaire reste sous l’autorité du procureur de la République lors des enquêtes ou du juge d’instruction lors des enquêtes préliminaires ; que les affaires sensibles restent exclusivement du ressort de la police judiciaire ; de prévoir un moyen d’enjamber les limites départementales pour faire face à la délinquance organisée, en particulier à ses différents trafics : prostitution, trafic de voitures et de drogue.
Telle est ma position et celle de la commission, qui me conduisent à émettre un avis défavorable sur les amendements visant à supprimer la départementalisation.
Par l’amendement n° 179, Mme Assassi propose une police de proximité, mon raisonnement est le même.
L’amendement n° 133 tend à prévoir que les maires doivent être informés de la répartition des effectifs sur leur territoire lorsque sera modifiée la structure de la gouvernance. C’est au ministre qu’il appartient de définir les modalités d’information des maires, mais il a d’ores et déjà indiqué que les élus seraient informés.
En conclusion, je le répète, j’émets un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements et je rappelle de nouveau la position de la commission : nous prenons acte de la volonté du ministre de mettre en œuvre la départementalisation, sous réserve du respect des spécificités de la police judiciaire et dans l’attente des conclusions de la mission d’information demandée par le président de la commission des lois. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Jean-Pierre Sueur. Mieux vaut ne rien écrire dans le rapport annexé dans l’attente des conclusions de la mission !
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Mon cher collègue Sueur, vous connaissez comme moi la procédure parlementaire, nous avons tous deux quelques heures de vol ! (Sourires.) Le texte va ensuite être examiné à l’Assemblée nationale, puis en commission mixte paritaire. D’ici là, la mission d’information de Nadine Bellurot et Jérôme Durain nous permettra de disposer de certains éléments. Nous pourrons alors, je l’ai dit publiquement, adopter des amendements complémentaires.
Pour l’heure, au stade où nous en sommes, je ne peux qu’émettre un avis défavorable sur ces amendements, par cohérence avec la position de la commission.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Il s’agit d’une question très importante, qui mérite que l’on s’y arrête.
Je note que, même si personne n’en parle, on constate une augmentation de la délinquance, que chacun dénonce, et une baisse continue des taux d’élucidation du plus haut du spectre. Je pense notamment aux homicides.
Que faisons-nous sur le fondement de ce constat ? Peut-être sommes-nous mal organisés ? Cela tombe bien : sept rapports sénatoriaux ont été réalisés depuis l’époque où Pierre Joxe, qui n’appartient pas à ma famille politique, était ministre de l’intérieur. Je rappelle qu’il est le premier à avoir eu l’idée de cette réforme. Tous ces rapports – les sept, et je ne parle pas des rapports de la Cour des comptes, de l’Assemblée nationale, ni des témoignages des spécialistes de la spécialité – ont conclu que l’organisation en silos de la police nationale était une mauvaise chose.
Pour préparer notre débat, je me suis intéressé aux auteurs de ces rapports. C’est amusant : le premier rapport publié à la suite de la proposition de M. Joxe, daté du 30 mai 1991, a été réalisé par un sénateur du Rassemblement pour la République (RPR), M. Lucien Lanier.
Puis ont été publiés un rapport de M. Aymeri de Montesquiou, sénateur radical, un rapport de M. René Vandierendonck, un socialiste,…
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Grand sénateur !
M. Gérald Darmanin, ministre. … et un rapport de M. François Pillet, éminent juriste qui siège désormais au Conseil constitutionnel. Tous disent la même chose. Je pourrais multiplier les exemples et évoquer également les travaux de Michel Boutant, ancien sénateur socialiste, et de M. Grosdidier, qui était jusqu’à il y a peu sénateur du groupe Les Républicains. Ces sept rapports disent sept fois la même chose !
Monsieur le sénateur Favreau, il faut cesser de relayer des fake news. Il est très insultant de prétendre que cette réforme porterait atteinte à la séparation des pouvoirs. Cela signifierait que la gendarmerie ou la préfecture de police fonctionneraient depuis deux siècles en totale contradiction avec ce qui fonde un État démocratique. Or c’est le contraire qui est vrai : la direction générale de la police nationale est la seule des trois forces à être organisée comme elle l’est. Arrêtons donc de tenir des propos inexacts.
De plus, monsieur le sénateur, le rapport annexé n’a pas de caractère législatif. Pensez-vous réellement que si la réforme de la police nationale devait porter atteinte au fonctionnement démocratique du pays, nous pourrions la mener seulement au moyen de règlements et d’arrêtés ?
L’article 12-1 du code de procédure pénale est entièrement respecté : le magistrat conserve le libre choix du service instructeur.
Monsieur Sueur, la police judiciaire est un service du ministère de l’intérieur.
M. Jean-Pierre Sueur. Au service de la justice !
M. Gérald Darmanin, ministre. Il est vrai que cela fait l’objet de discussions et que d’aucuns souhaiteraient que la police judiciaire soit placée auprès du ministère de la justice ou que l’administration pénitentiaire relève du ministère de l’intérieur. On peut s’amuser à modifier les organigrammes, mais tel n’est pas l’objet de cette réforme. La PJ a toujours été un service du ministère de l’intérieur et j’espère qu’elle le restera.
Monsieur Sueur, vous êtes trop fin juriste et vous connaissez trop bien ces questions pour être convaincu par votre propre argument. En effet, 90 % des enquêtes judiciaires relèvent de la sécurité publique, donc des commissariats de France. Le choix du service d’enquête relève des procureurs de la République. La police judiciaire représente donc 10 % des enquêtes.
Il faudrait que M. le garde des sceaux réponde à vos questions. Nous l’inviterons bien volontiers, il sera le bienvenu.
La réforme de la police nationale n’entraînera ni un changement de statut de la police judiciaire ni une modification des liens entre les magistrats et ce service du ministère de l’intérieur. Elle ne nécessite qu’une modification réglementaire et ne constitue qu’une petite partie de la réforme de la police nationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez déjà accueilli un Président de la République, un Premier ministre, voire un ministre de l’intérieur sur un tarmac d’aéroport, par exemple. Sont présents un préfet, un gendarme et quatre policiers, qui disent : « bonjour, je suis le directeur départemental de la sécurité publique », « bonjour, je suis le directeur départemental de la police aux frontières », « bonjour, je représente le service départemental de renseignement territorial », etc. On voit bien physiquement qu’il y a un problème !
Tout le monde le sait, et c’est la raison pour laquelle M. Joxe avait eu l’idée de cette réforme de bon sens, mais très difficile à mettre en œuvre : la délinquance est aujourd’hui multiforme, plus encore que dans les années 1990. Elle ne relève pas seulement de la sécurité publique, de la police aux frontières ou du renseignement. Tous ces services doivent travailler ensemble, comme le font les gendarmes et la préfecture de police, sous un commandement unique.
Si l’on perd du temps dans les zones de police, c’est parfois en raison des protocoles mis en place entre services. Je suis à la tête d’une administration qui met en œuvre des protocoles entre directeurs des mêmes services d’un même ministère pour pouvoir se transmettre des informations !
Mon projet n’est pas de renverser la pyramide de Kelsen (Sourires.), il est très pragmatique, et tout le monde s’en est rendu compte. L’immense majorité des syndicats de police sont d’ailleurs favorables à cette réforme, depuis très longtemps.
Je comprends qu’elle suscite des interrogations, et je suis prêt à accepter un amendement, à condition qu’il ne s’agisse pas d’un amendement de suppression, ce qui n’aurait pas de sens.
Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous que l’on inscrive dans le texte, même s’il n’est pas de nature législative, que nous allons laisser aux magistrats le libre choix des services instructeurs et la libre instruction ? Je suis d’accord, même si ce n’est pas l’objet de la réforme.
Il y a 5 000 officiers de police judiciaire sur 150 000 policiers, dont 2 500 relèvent de la direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris et ne sont donc pas concernés par la réforme. Souhaitez-vous, afin de les rassurer, inscrire dans le texte qu’aucun policier de la PJ ne fera autre chose que de la police judiciaire, pour des enquêtes du haut du spectre ? Je suis d’accord !
Souhaitez-vous que l’on écrive que tout ce qui concerne la délinquance financière et la probité des élus sera traité non pas à l’échelon départemental, mais à un niveau régional ou zonal ? Je suis d’accord !
Souhaitez-vous que l’on indique que la cartographie ne sera pas modifiée, que l’on conservera les offices et les antennes régionales, les mêmes qu’aujourd’hui ? Je suis d’accord !
En revanche, je ne suis pas d’accord, quand je constate que la délinquance augmente et que le taux d’élucidation de la direction générale de la police nationale baisse, pour que les services continuent de fonctionner comme au temps de Georges Clemenceau, même si je l’aime beaucoup.
Mme Éliane Assassi. Pas nous !
M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n’est pas le cas de tout le monde, en effet. Pourtant, il fut sénateur !
Pour ma part, j’aime beaucoup Clemenceau, mais le monde change.
Bien sûr, il faut rassurer et je suis prêt à faire cette réforme en discutant avec les organisations syndicales qui auront été nouvellement élues et en écoutant leurs propositions d’amendement.
Si je soumets à délibération le rapport annexé, monsieur le sénateur, c’est par respect pour le Parlement, afin de l’informer de ce que nous allons faire, mais ce rapport n’a aucun caractère législatif. J’aurais pu ne pas le faire figurer dans le projet de loi, mais j’ai préféré être honnête avec le Parlement. Quel drôle de ministre je serais si je préparais une grande réforme sans l’inclure dans ce projet de loi d’orientation et de programmation ! Grâce à cela, nous pouvons en débattre.
Monsieur le rapporteur, au risque de comparer des choses qui ne sont pas comparables, cette réforme de la police nationale est mutatis mutandis de même nature que celle que vous avez connue quand il s’est agi de fusionner la direction générale des impôts et la direction générale de la comptabilité publique.
J’étais ministre des comptes publics après que le gouvernement dont vous étiez membre, monsieur Sueur, a courageusement lancé cette fusion. Nous avons fait face aux mêmes grèves et aux mêmes manifestations. Nous avons entendu dire que le préfet prendrait connaissance des contrôles fiscaux, que tout le monde cesserait d’en faire, parce que, évidemment, nous n’aurions pas envie de sanctionner la fraude, que nous ne ferions plus que de l’aide aux collectivités locales, que le métier changerait.
Qui se plaint aujourd’hui de la direction générale des finances publiques ? Qui peut ignorer qu’il s’agit d’une administration moderne qui prend en compte les difficultés de notre temps ? Le contrôle fiscal était multiforme.
J’ai été trois ans ministre des comptes publics, comme d’autres ici. Les préfets ne commentent pas les contrôles fiscaux visant des élus ou tel ou tel chef d’entreprise. Le secret fiscal, plus que le secret de l’instruction, est absolument gardé. Tout le monde s’intéresse au secret de l’instruction, c’est une très bonne chose, même si son respect ne m’avait pas sauté aux yeux depuis que je suis ministre de l’intérieur.
En tout état de cause, le secret fiscal est respecté, et le préfet n’est pas au courant des contrôles fiscaux effectués par les agents des services compétents, pas plus, d’ailleurs, que ne l’est le directeur départemental des finances publiques, vous le savez très bien.
Je partage l’avis du rapporteur : rien n’empêche de compléter l’orientation de la réforme, mais cela fait quasiment trente-cinq ans que tout le monde essaie de la mettre en place. Je comprends qu’il faille rassurer, j’ai multiplié les signes positifs, mais, de grâce, mesdames, messieurs les sénateurs, ne voyons pas une atteinte à la démocratie là où il n’y a qu’une quête d’efficacité des services !
La véritable atteinte à la démocratie, à la confiance dans notre régime, c’est lorsque l’on ne parvient pas à retrouver l’auteur d’un homicide ou lorsqu’on met en place des protocoles entre services de police et que l’on perd ainsi du temps avant de lancer des écoutes téléphoniques ou des filatures. Cela porte atteinte au respect de l’État de droit.
Encore une fois, cette réforme n’est pas de nature législative, ce qui est la démonstration par l’absurde – la preuve du pudding, c’est qu’il se mange ! – qu’elle n’entraîne aucun changement dans nos rapports avec la justice.
Je le dis donc devant la Haute Assemblée : je suis prêt à accepter les amendements, à condition qu’ils ne tendent pas à supprimer la réforme.
Monsieur Sueur, jamais autant de gens ne se sont intéressés à cette réforme que je propose démocratiquement. Celle-ci fait ainsi l’objet d’un rapport d’évaluation de l’inspection générale de l’administration (IGA), de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) et même de l’inspection générale de la justice (IGJ). On pourrait d’ailleurs demander, au nom de l’égalité de traitement, que l’IGPN ou l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) fasse aussi parfois des rapports avec l’inspection générale de la justice. Ce rapport sera rendu public et j’en discuterai avec les organisations syndicales.
Mme Bellurot et M. Durain préparent également un rapport, comme deux de leurs homologues à l’Assemblée nationale.
Peut-être n’a-t-on pas envie de mener cette réforme ? Dans ce cas, il faut le dire. Il faut dire que l’on veut que la PJ soit rattachée directement au ministère de la justice, car les taux d’élucidation étant en baisse, il faut proposer autre chose. Que proposez-vous d’autre ?
On peut aussi soutenir que M. Joxe et les auteurs des sept rapports sénatoriaux se sont trompés ces trente-cinq dernières années. C’est tout à fait possible, mais alors, il faut vite s’intéresser au fonctionnement de la gendarmerie nationale et de la préfecture de police.
Bien sûr, cette réforme va changer des habitudes. J’ai le plus profond respect pour les policiers de la police judiciaire.
Monsieur le sénateur Benarroche, je ne partage pas votre opinion : on ne manifeste pas masqué ou cagoulé dans des locaux de police. Les contestations, les tracts, les grèves, tout cela est tout à fait normal, mais la police de la République se doit de respecter certaines limites. Mon rôle de chef est de le rappeler.
Indépendamment de cela, je suis prêt à faire la réforme non pas au forceps, mais en étant à l’écoute. Il me semble toutefois que, après trente-cinq ans de discussions, il est temps de conclure !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Ma position est difficile : M. le ministre a pris douze minutes pour détailler sa position, je ne dispose quant à moi que d’un sixième de ce temps. Je vais devoir être lapidaire.
M. le rapporteur nage dans la contradiction. Tout le monde entend que la commission des lois prépare un rapport pour décider s’il faut ou non aller vers une réforme de la police judiciaire. On ne connaît donc pas la position de la commission, on sait juste qu’elle travaille sur le sujet. M. le rapporteur soutient néanmoins qu’il faut inscrire dans le rapport annexé le rattachement de la police judiciaire au directeur départemental. C’est incompréhensible !
M. Jean-Pierre Sueur. Si l’on prépare un rapport sur le sujet, on ne doit pas affirmer une telle position tant que celui-ci n’aura pas été remis.
Ensuite, je connais bien Pierre Joxe, il a beaucoup parlé de réforme de la police, mais il ne me semble pas que l’on puisse trouver dans ses actes ou ses propos le moindre élément qui porterait atteinte, si peu que ce soit, à l’indépendance de la justice. (M. le ministre s’exclame.) Je ne pense pas que vous puissiez enrôler Pierre Joxe dans cette opération.
Enfin, monsieur le ministre, je reconnais que vous avez beaucoup de talent, mais, à mon sens, vous auriez intérêt à accepter nos amendements et à retirer ces quatre alinéas. Vous enverriez ainsi un signe aux policiers de la PJ, vous leur signifieriez qu’un dialogue est possible et que tout n’est pas terminé.
Vous nous dites que ce n’est pas ce que vous allez faire, que l’on peut ajouter deux pages au rapport annexé pour développer votre position plutôt que d’en supprimer quatre alinéas.
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Jean-Pierre Sueur. J’utilise au mieux mon sixième de temps, madame la présidente !
Nous n’irons pas dans ce sens, monsieur le ministre, car ajouter deux pages au rapport serait perçu comme une véritable provocation, alors même que nous nous sommes exprimés dans l’intérêt du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Après les explications que vient de fournir M. le ministre, je souhaite revenir sur le calendrier.
Nous aurions pu, en amont, ajouter non pas deux pages, monsieur Sueur, mais quatre lignes, très claires, à l’amendement de M. Durain et de Mme Bellurot, par lequel ceux-ci prennent date en demandant que nous les laissions mener leur mission d’information.
Leurs principales conclusions seront connues d’ici à la réunion de la commission mixte paritaire. Je m’engage devant vous, après avoir pris l’avis du président de la commission, à défendre en commission mixte paritaire une rédaction du rapport qui tiendra compte des principales conclusions de la mission. Le ministre dit des choses, c’est normal, il est dans son rôle ; la mission d’information, pour sa part, fera des préconisations que le président fera sans doute voter en commission. Nous défendrons cette position en commission mixte paritaire.
En revanche, si nous adoptions vos amendements, nous supprimerions du texte la départementalisation. Or ce n’est pas conforme à la position de la commission, laquelle souhaite que la rédaction du rapport garantisse la prise en compte de la spécificité de la police judiciaire.
J’ai été plus clair encore en indiquant les trois ou quatre points qui me semblent fondamentaux et qui recoupent ce que nous avons entendu durant nos auditions, en particulier de la part du monde judiciaire, mais pas seulement.
À défaut, quelle serait l’utilité d’une mission d’information ? Pourquoi les parlementaires travailleraient-ils pendant des jours et des jours, organiseraient-ils des auditions ? Le ministre défend sa position et concédera les avancées qu’il croit devoir concéder, il est dans son rôle ; le nôtre est d’avancer des propositions afin d’obtenir les garanties que nous souhaitons.
Le ministre vient de le dire : si nous souhaitons adopter un amendement visant à confirmer que la PJ restera sous l’autorité du judiciaire, que les affaires sensibles seront toujours de son ressort, que l’on pourra dépasser les frontières départementales en matière de lutte contre la criminalité ou la délinquance organisée en définissant des structures adaptées, il est d’accord. Comme moi, vous l’avez entendu le dire !
Monsieur Sueur, nous ajouterons donc trois ou quatre phrases, et non deux pages, par voie d’amendement, lors de la réunion de la commission mixte paritaire. Si nous faisions autrement, nous préempterions les résultats de la mission d’information, ce qui n’est pas mon rôle en tant que rapporteur de la commission des lois.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour explication de vote.
Mme Nathalie Delattre. Je retire mon amendement, car je pense que, après les manifestations et la discussion de nos amendements d’appel, qui ont fait écho aux inquiétudes, nous avons été entendus.
Les propos rassurants du ministre, mais aussi les engagements de notre rapporteur concernant la suite du processus, sont de nature à nous permettre d’avancer sur cette question.
Mme la présidente. L’amendement n° 118 rectifié est retiré.
La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je partage les propos de M. Sueur concernant la contradiction du rapporteur.
On crée une mission d’information parce que l’on se pose des questions sur la départementalisation, mais l’on préempte – j’utilise le même mot que vous, monsieur le rapporteur – ses résultats en maintenant la mesure dans le texte en l’état !
Monsieur le rapporteur, vous indiquez que, s’agissant d’une orientation générale du ministère, nous n’aurions pas à en discuter. Dès lors, pourquoi débattons-nous d’amendements sur ce rapport de 86 pages ? Nous ne faisons que cela !
Il s’agit bien d’une orientation, dont nous questionnons les éléments. Nous avons même voté des amendements, qui, sans remettre en cause fondamentalement les points principaux de ce rapport – ce serait compliqué –, les remettent en question.
Nous sommes maintenant parvenus à la mesure principale, que nous contestons. Une mission va mener ses travaux et, bis repetita placent, il nous semble qu’il convient de ne pas préjuger ses conclusions sur la départementalisation.
Je rappelle par ailleurs que beaucoup d’acteurs s’opposent à cette réforme et qu’il nous revient d’émettre un signal. Nous ne le ferons pas en ajoutant seulement quatre conditions.
Pour terminer, j’indique à M. le ministre que les policiers n’étaient pas cagoulés. Ils étaient masqués, certes, mais pas particulièrement menaçants. Je comprends qu’ils encourent des sanctions, cela ne relève pas de ma responsabilité, mais bien de la vôtre. Je l’accepte volontiers.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Sueur, je ne peux pas vous laisser dire que cette réforme porte atteinte aussi peu que ce soit à l’indépendance de la justice. Ce serait faire de la politique et tromper ceux qui nous écoutent, or je sais que telle n’est pas votre intention.
Encore une fois, la réforme de la police nationale n’est pas de nature législative. Or vous savez mieux que quiconque qu’une modification des rapports entre l’autorité judiciaire et les forces de l’ordre relèverait nécessairement de l’échelon législatif.
Le fait qu’aucune disposition législative ne soit nécessaire pour créer la police nationale « nouvelle formule », à l’instar de ce qui a été fait pour la gendarmerie ou la préfecture de police, et mettre en œuvre la départementalisation démontre bien qu’il n’y a aucune modification des rapports entre l’autorité judiciaire et les services qui dépendent du ministère de l’intérieur. Il me paraît nécessaire de le souligner.
Par ailleurs, personne n’a proposé d’autre réforme que la mienne. Cela n’a rien d’étonnant puisque cela fait trente-cinq ans que tout le monde propose la même !
Le taux de résolution des homicides diminue. La délinquance est de plus en plus multiforme, complexe et internationale, notamment pour ce qui concerne les stupéfiants et la délinquance financière. L’époque des gangs « à la papa » est révolue : nous avons désormais affaire à des réseaux extrêmement complexes et « technologisés ». Enfin, tout le monde s’accorde pour dire que notre filière investigation est en souffrance et trop peu efficace, les pouvoirs publics ne faisant pas beaucoup d’efforts pour la remotiver.
Fort de tous ces constats, je vous présente la même réforme que celle qu’ont proposée une grande partie de mes prédécesseurs et la Haute Assemblée elle-même – j’ai déjà évoqué les rapports d’origine variée qui ont été faits sur le sujet. Or on me répond que j’ai raison, mais qu’il ne faut rien changer. Je suis navré, mais la politique, ce n’est pas cela !
Si l’on est d’accord sur le fait que les homicides sont en augmentation, que les trafics de stupéfiants sont de plus en plus complexes et qu’ils pourrissent la vie de nos concitoyens, que l’élucidation n’est pas au rendez-vous et que l’investigation est en souffrance, il faut en tirer des conclusions.
Permettez-moi d’évoquer deux enquêtes récentes sur des trafics de stupéfiants, la première menée par la PJ et la seconde par la sûreté départementale – afin de préserver le secret de l’instruction, je ne divulguerai aucun nom – qui permettent de mieux comprendre la réalité du quotidien.
Au terme d’un long travail, la PJ a saisi 5,5 kilogrammes de drogue, trois véhicules et elle a procédé à cinq mises sous écrou dans un territoire du sud de la France, tandis que dans un département différent, la sûreté départementale a saisi 21 kilogrammes de drogue et procédé à trois mises sous écrou.
Dans ces conditions, comment peut-on affirmer que la PJ n’intervient que sur le haut du spectre et que la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) ne traite, comme je l’ai entendu dire, que le « petit judiciaire » ? C’est non seulement insultant, car je rappelle que les policiers affectés à la sécurité publique sont saisis de 90 % des enquêtes, mais aussi inexact, car ce qui était vrai il y a quarante ans ne l’est plus aujourd’hui : chaque jour, les policiers des commissariats de France saisissent des dizaines de kilogrammes de cannabis et sont saisis de tentatives d’homicide et d’homicides.
Or les policiers affectés à la sécurité publique ne bénéficient pas de la même formation et du même accompagnement que leurs collègues de la police judiciaire, qui sont des policiers très qualifiés. Ils ne sont pas intégrés dans une chaîne judiciaire leur permettant de bénéficier des technologies, d’accéder aux échanges internationaux et aux informations sur lesquels leurs collègues s’appuient.
Sur les 20 000 enquêteurs de police judiciaire que compte la France, 5 000 sont des enquêteurs de la PJ et 15 000 sont dans les commissariats.
Grâce à la réforme que nous proposons, et qui est proposée depuis très longtemps, la PJ comptera non pas 5 000 effectifs comme c’est le cas aujourd’hui, mais 20 000. Cette réforme a pour objectif non pas d’appauvrir la police judiciaire en lui retirant ses 5 000 enquêteurs, mais de la renforcer en rattachant à la filière judiciaire 15 000 enquêteurs qui dépendent actuellement de la sécurité publique.
Si un OPJ peut en effet être amené à traiter du « petit judiciaire », il ne viendrait à l’idée de personne de demander à de grands enquêteurs issus de brigades très spécialisées de traiter des violences intrafamiliales, quoique cela n’ait rien d’infamant. Tel n’est pas le discours que je porte depuis des années – je pense que tout le monde l’aura compris. En revanche, il peut arriver qu’un OPJ particulièrement dynamique repère que le point de deal et le chouf qui se trouvent sur son secteur sont en lien avec un réseau plus important.
Mesdames, messieurs les sénateurs, on peut déployer autant de policiers que vous le souhaitez, mais si l’on n’arrête que les détaillants, jamais les grossistes, on pourra continuer longtemps à augmenter les effectifs ! Le problème, c’est que l’on n’arrête pas suffisamment de grossistes, car ils se trouvent à Dubaï ou en Asie – ils sont sans doute français –, d’où ils commandent, sur leur ordinateur, la cocaïne qui arrive dans nos ports ! Le fait est que, malheureusement, la délinquance s’est beaucoup transformée par rapport à ce que vous avez pu connaître dans différents services de police, si bien que ce qui fonctionnait auparavant ne fonctionne plus et que les services de police ont évolué.
Il y a deux solutions, monsieur Sueur.
Soit vous vous prononcez contre la réforme pour des raisons politiques, et je pourrais le comprendre puisque nous faisons de la politique. Mais, dans ce cas, il est un peu vain de débattre des amendements et des missions.
Soit vous considérez qu’il faut faire cette réforme que tout le monde essaie de mettre en œuvre depuis trente-cinq ans. Je conviens que le contexte est sans doute difficile, puisque les élections professionnelles de la police nationale, comme partout dans la fonction publique, auront lieu dans un mois. J’aurais pu attendre avant de vous proposer cette réforme, mais j’ai choisi de faire ce qui me paraît conforme à l’intérêt général.
Comme l’a dit M. le rapporteur, nous pouvons évaluer les directions territoriales de la police nationale (DTPN) qui existent déjà dans les territoires ultramarins – pas un procureur général ne s’est d’ailleurs plaint de ces directions uniques –, mais aussi les directions départementales de la police nationale qui ont été mises en œuvre, à titre expérimental, dans dix départements de métropole. Certains sénateurs, issus de ces départements, connaissent ces expérimentations.
De plus, deux missions parlementaires travaillent actuellement sur cette question.
Enfin, je vous propose, monsieur le président de la commission des lois, de m’inviter à vous présenter le rapport que j’ai demandé à l’IGJ, à l’IGPN et à l’IGA quand celui-ci me sera remis. Il sera encore temps de modifier certains points de la réforme, puisque, je le répète, celle-ci relève uniquement du domaine réglementaire.
Monsieur Sueur, je vous ai proposé de rectifier votre amendement afin d’y inclure toutes les conditions que vous évoquez. Vous ne saisissez pas la balle au bond, ce qui me conduit à penser que vous souhaitez sans doute davantage contrarier le Gouvernement que réformer la police nationale !
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Les propos de M. le ministre de l’intérieur ayant instillé le doute dans mon esprit, j’ai consulté des archives sur la fameuse réforme de M. Joxe, portée par M. Marchand, puis par M. Quilès, avant d’être annulée par M. Pasqua en 1993.
Si cette réforme prévoyait effectivement une territorialisation, celle-ci concernait non pas quatre, mais trois corps de police, à savoir la police aux frontières, la sécurité publique et les renseignements territoriaux. La police judiciaire n’a jamais été évoquée dans les rapports que vous avez mentionnés. Elle n’a jamais été concernée par les réformes portées par les gouvernements socialistes de l’époque. Je tenais à le préciser, monsieur le ministre. (M. le ministre s’exclame.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Kanner, vous avez vous-même indiqué que plusieurs ministres se sont succédé. La réforme imaginée par M. Joxe – je vous renvoie sur ce point à son discours de 1989 – n’a effectivement pas été celle de M. Marchand, même si ces deux ministres partageaient la même couleur politique.
Quoi qu’il en soit, je trouve que vous défendez désormais avec beaucoup d’énergie l’héritage de M. Pasqua ! (Sourires.) Par un retournement de l’histoire, vous vous trouvez aujourd’hui dans la même position que lui à l’époque. C’est sans doute l’effet de l’expérience qui conduit à se droitiser (Protestations sur les travées du groupe SER. – Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.), même s’il me semble que jusque très récemment, ce n’était pas votre cas.
Par ailleurs, monsieur Kanner, j’ai évoqué les sénateurs qui ont porté des réformes proches de celle que je défends. Je vous renvoie notamment au rapport sénatorial de M. Boutant, de 2018, dans lequel il évoquait l’unification départementale.
M. Jean-Pierre Sueur. J’ai très bien connu MM. Joxe, Marchand et Quilès…
M. Gérald Darmanin, ministre. Notre difficulté est de centrer notre discussion sur l’intérêt général. M. Kanner, qui me connaît assez bien, sait que je peux aussi faire de la politique de mauvaise foi.
M. Rachid Temal. Ah bon ?
M. Gérald Darmanin, ministre. À mes yeux, je le précise, ce n’est pas une insulte. Ce n’était pas une attaque ad hominem.
En tout état de cause, il s’agit d’un sujet très important pour la Nation et pour la sécurité de nos concitoyens. Vos interrogations, de même que celles des acteurs concernés, n’ont rien de médiocre, elles sont légitimes. Dans ce contexte, nous nous efforçons d’avancer en encadrant la discussion.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour la troisième fois, je vous propose de modifier ma propre réforme, notamment afin d’y inclure les critères que vous souhaitez. Je ne peux pas faire mieux ! Vous portez de graves accusations : vous nous accusez de porter atteinte à l’indépendance de la justice, voire de remettre en cause l’État de droit et la démocratie.
Permettez donc que je défende le garde des sceaux, qui est responsable des libertés individuelles, mais aussi le ministre de l’intérieur que je suis, qui est chargé des libertés publiques. Je dispose d’ailleurs d’une direction des libertés publiques représentée ici même, sur le banc du Gouvernement. Comme tout démocrate et tout républicain, je suis très attentif aux libertés publiques.
C’est pourquoi je vous dis : chiche ! Pour vous montrer qu’il n’y a aucun problème et qu’une grande partie des arguments avancés reposent sur des fake news – pour le dire en bon patois tourquennois –, je vous propose de modifier l’amendement afin que vous soyez assurés que l’article 12-1 du code de procédure pénale demeure inchangé. Les magistrats conservent évidemment le libre choix du service d’enquête, leur indépendance n’est nullement remise en cause. En outre, aucun OPJ, aucun service ne fera autre chose que ce qu’il fait actuellement.
Je déduis de vos propos, monsieur Sueur, que la gendarmerie nationale et la préfecture de police évoluent dans un état de droit parallèle qui est une forme de dictature et que nous ne nous en étions pas rendu compte ces deux cents dernières années. Dans ce cas, il est urgent de réformer l’une et l’autre, mais ce n’est pas ce que propose la Haute Assemblée. Ou alors, vous menez un combat politique à la suite des manifestations qui ont été organisées, ce que je peux très bien comprendre.
Puisque vous ne saisissez pas la balle au bond et que vous n’acceptez pas ma proposition, je me vois contraint, comme le rapporteur Daubresse, d’émettre un avis défavorable sur ces amendements de suppression, alors que j’aurais souhaité que nous puissions travailler ensemble.
Je pense profondément, monsieur Sueur, que la police nationale a été créée, non pas pour le ministre de l’intérieur, pour les directeurs ou pour les policiers eux-mêmes, mais pour protéger les gens et pour lutter contre la délinquance.
Nous faisons le constat que cela ne fonctionne pas : sachons en tirer les conséquences, car c’est notre travail, même si cela bouscule des habitudes.
Nous pouvons défendre des visions différentes de ce qu’il faudrait faire. Le groupe écologiste défend notamment une conception particulière, et je le respecte. Mais n’opposez pas de faux arguments à cette réforme, car le sujet mérite un véritable débat. Pour notre part, nous sommes convaincus que cette réforme sera une réussite.
J’ajoute que, en dépit de l’avis défavorable que j’émets, je m’engage à présenter devant la Haute Assemblée le rapport que j’ai demandé à trois inspections, dont celle de la justice, et à débattre avec vous avant le moindre changement réglementaire des textes du ministère de l’intérieur.
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Favreau, pour explication de vote.
M. Gilbert Favreau. La commission fera le nécessaire pour préserver la séparation des pouvoirs et pour trouver une solution qui aille dans le bon sens. Je retire donc mon amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 171 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 18.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. Les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 1 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l’adoption | 93 |
Contre | 242 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je vais mettre aux voix l’amendement n° 19.
M. Jean-Pierre Sueur. Je retire la demande de scrutin public, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 20, présenté par M. Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et Gillé, Mme G. Jourda, M. Jacquin, Mmes Carlotti, Conconne et Artigalas, MM. Cardon et Cozic, Mmes Le Houerou, Meunier, Monier et Rossignol, MM. Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 101, deuxième phrase
Après le mot :
conforté
insérer les mots :
notamment en utilisant les nouvelles possibilités permises par l’intelligence artificielle
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Par cet amendement, nous proposons de compléter l’alinéa 101 du rapport annexé : « La transparence et l’exemplarité de l’action des policiers et gendarmes seront mieux garanties. Le travail des inspections sera conforté et rendu plus lisible pour les citoyens. »
Nous avons débattu précédemment des nouvelles technologies et de leur usage par les forces de sécurité intérieure dans le cadre de leurs activités.
Nous ne sommes pas par principe hostiles aux nouvelles technologies, qu’il s’agisse de la vidéosurveillance ou de l’intelligence artificielle. Nous pensons même qu’elles peuvent contribuer à l’accomplissement de leurs missions par les forces de l’ordre. Elles peuvent ainsi permettre la pacification des actions de police administrative, faciliter la conduite des enquêtes, accroître la qualité des investigations. En cas de litiges ou d’allégations de mauvais comportements, elles peuvent également améliorer le contrôle par les inspections, lorsque des sanctions doivent être prises.
Nous estimons donc utile de compléter l’alinéa 101 afin qu’il puisse être possible de faire appel à l’intelligence artificielle, laquelle peut être utile à la résolution des enquêtes, mais aussi à la défense des usagers des forces de police en cas de litige.
Tel est le sens de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Comme je l’ai indiqué en commission, j’estime que cet amendement aurait davantage sa place dans le projet de loi relatif à l’image qui nous sera prochainement soumis en vue de l’organisation des jeux Olympiques, comme l’a confirmé précédemment le ministre.
Il me semble qu’un tel texte serait le véhicule législatif adéquat, mais si le ministre émettait un avis favorable sur cet amendement, je ne verrais pas de difficulté à ce que la disposition soit introduite dans le présent texte. Dans ce cas, je m’en remettrais à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je souscris aux attendus du sénateur Durain. Les caméras, notamment les caméras-piétons, contribuent non seulement à la résolution des enquêtes et à la protection des policiers, mais aussi au contrôle des actions de la police.
Je suis donc favorable à un recours encadré à l’intelligence artificielle, même si, à ce stade, une telle disposition reste purement déclarative et qu’il nous faudra la décliner en « dur » dans le cadre de la future loi relative à l’image.
J’émets un avis favorable sur cet amendement, si la commission n’est pas trop vexée par cette position ministérielle.
Mme la présidente. Quel est donc l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La commission s’en remet à la sagesse du Sénat. À titre personnel, j’émets un avis favorable.
Mme la présidente. L’amendement n° 144, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 101
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Dans un souci de transparence et d’exemplarité, le ministère de l’intérieur récoltera, analysera et publiera les statistiques relatives aux opérations de contrôle de la population, notamment par zone géographique et par classe d’âge.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Quoi qu’en disent certains dans cet hémicycle, les citoyens et les citoyennes ne sont pas forcément égaux dans leurs rapports avec la police. Selon son lieu de résidence et son âge, le nombre de contrôles d’identité, notamment, est très variable.
À cet égard, je vous invite, mes chers collègues, à interroger les élèves des collèges et des lycées que vous rencontrez dans vos territoires et à leur demander qui a déjà été contrôlé. Vous constaterez que les réponses sont assez variables.
Certains jeunes des quartiers populaires sont contrôlés plusieurs fois par mois, parfois sans aucun motif apparent. Or ces contrôles répétés, voire abusifs, dégradent l’image que ces jeunes ont de la police et de l’État.
Nous proposons donc que les statistiques sur les contrôles d’identité soient rendues publiques par tranche d’âge et par zone géographique. Cela permettrait d’objectiver les faits, de cesser de faire l’autruche et de se référer à des caricatures.
Peut-être que si l’on se rend compte qu’un jeune vivant à La Courneuve a infiniment plus de risques de se faire contrôler qu’un jeune vivant dans le VIe arrondissement de Paris, les politiques et les pratiques sur le terrain commenceront à changer.
Mais peut-être aussi que ces statistiques démontreront l’inverse.
En tout état de cause, seule la publication d’indicateurs objectifs pourra nous éclairer.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Les modalités de réalisation des contrôles d’identité sont précisées à l’article 78-2 du code de procédure pénale, qui est très bien rédigé. Les cas dans lesquels les contrôles peuvent être effectués y sont listés de manière limitative.
Il n’y a donc pas lieu d’ajouter des statistiques et des analyses qui ne feraient qu’accroître les tâches administratives des policiers, alors que nous attendons d’eux qu’ils soient présents au maximum sur le terrain.
Avis défavorable.
M. Thomas Dossus. Tout va bien alors ?
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je suis ébahi d’entendre que tout est parfait et que les contrôles d’identité ne posent aucun problème dans notre pays, alors que tout le monde sait que des difficultés existent, comme en attestent de nombreux témoignages.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas lieu d’effectuer plus de contrôles d’identité à certains endroits en cas de situations délictueuses, mais aujourd’hui aucun critère ne nous permet d’évaluer si ces contrôles d’identité sont réalisés de manière homogène et circonstanciée. Nous demandons simplement de disposer de tels critères.
De fait, une des raisons de la perte de confiance d’un grand nombre de citoyens s’explique par l’impression qu’ils ont que les contrôles d’identité ne sont pas effectués de manière cohérente, qu’ils varient en fonction des différences sociales, raciales, etc. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Disons-le, c’est la vérité ! Tout le monde le sait !
M. Stéphane Ravier. Le mot est lâché !
M. Guy Benarroche. J’utilise les mots qui me viennent, ceux qu’utilisent les gens !
Je vous le dis, les contrôles d’identité ne sont pas effectués comme ils devraient l’être. En tout cas, même s’ils le sont, monsieur le rapporteur, nous souhaiterions disposer des éléments statistiques nous permettant d’en juger afin de réaliser une étude sociologique et d’en tirer des conclusions utiles à tout le monde, y compris au ministère de l’intérieur et à la police ! (M. Stéphane Ravier proteste.)
M. Laurent Burgoa. Peace and love !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur, je pense que vos propos ont dépassé votre pensée, car vous dites clairement qu’une partie de la police de la République est raciste.
Fonder les contrôles que vous dénoncez sur des critères raciaux serait effectivement raciste. Ces propos sont profondément blessants et insultants pour les policiers de la République. Vous ne devez d’ailleurs pas en voir beaucoup pour imaginer, comme vous semblez le faire, que tous ont la même couleur de peau. C’est une insulte à tous ceux qui, issus eux-mêmes de l’immigration, contribuent par leur courage au maintien de l’ordre, et qui, en acceptant d’être gardiens de la paix ou gendarmes, ont épousé les couleurs bleu-blanc-rouge de notre drapeau.
Il est d’ailleurs un peu facile, monsieur le sénateur, de ne pas tenir compte, dans votre discours, des insultes racistes dont ils font l’objet – ce point est tout à fait vérifié. (M. Guy Benarroche s’en amuse.)
Cela n’a rien de drôle, monsieur le sénateur. Vous ne devriez pas vous amuser d’accuser les gens de racisme.
Et ne me tenez pas le discours sur les quartiers populaires, j’en viens. Il me semble que vous n’avez pas l’expérience humaine et politique que j’ai acquise dans ma commune, dont je suis d’ailleurs toujours élu.
Les discours bien-pensants, cela suffit, monsieur le sénateur ! Il est très grave d’accuser les fonctionnaires de la République de racisme.
M. Laurent Burgoa. Bravo !
M. Thomas Dossus. Personne n’a dit cela !
M. Gérald Darmanin, ministre. Bien sûr que vous l’avez dit ! Vous avez une liberté de parole dans cet hémicycle ; permettez-moi pour ma part de défendre les policiers et les gendarmes de la République !
Vos propos sont conformes à ceux de M. Mélenchon de manière générale. Je constate une filiation politique manifeste. Vous êtes toutefois bien isolé au sein de cet hémicycle, car un certain nombre de collègues de votre groupe se sont démarqués de cette prise de position.
Aujourd’hui, monsieur le sénateur, lorsque des policiers ou des gendarmes ont une couleur de peau différente de ceux qu’ils contrôlent, ils sont traités de « harkis ». Pour certains, ce terme est une insulte, mais pour moi ce n’en est pas une. Ils sont traités de « traîtres » alors qu’ils ne font qu’appliquer les lois de la République et qu’ils s’efforcent de protéger leurs concitoyens.
Vous avez tendance à l’oublier, mais c’est d’ailleurs pour cela qu’une grande partie des Français aime sa police nationale. Loin d’être désavouée, celle-ci est l’administration la plus aimée de toutes, mesdames, messieurs les sénateurs.
M. Thomas Dossus. Par la jeunesse ? Vous dites le contraire dans votre rapport.
M. Gérald Darmanin, ministre. Ce qui est sûr, c’est que votre gauche a abandonné les forces de l’ordre, alors qu’elles protègent avant tout les couches populaires, les plus pauvres, qui sont souvent issues de l’immigration et les premières à souffrir des difficultés causées par la délinquance. Les plus riches ont, eux, les moyens d’avoir leurs propres caméras de vidéoprotection, de vivre entre eux dans leurs quartiers et de disposer parfois de leur propre police.
Vous avez abandonné les policiers et les gendarmes de la République, en tenant des discours wokistes et racialistes, et vous leur faites un procès inacceptable, monsieur le sénateur ! (Protestations sur les travées du groupe GEST. – Mme Nadine Bellurot et M. Jean-Raymond Hugonet applaudissent.)
Mme Marie-Christine Chauvin. Très bien !
M. Gérald Darmanin, ministre. C’est ignorer le droit, monsieur le sénateur, vous qui prônez pourtant l’action de la justice, car pas un policier, pas un gendarme de la République n’effectue de contrôle d’identité sans l’autorisation d’un procureur de la République. Vos propos sont non seulement blessants, mais aussi profondément erronés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le ministre, vos propos et votre outrance sont eux aussi profondément blessants.
Par cet amendement, nous demandons simplement de disposer de statistiques. Cela nous permettrait de débattre et d’espérer l’apaisement.
Je comprends à vous entendre que ce n’est pas l’apaisement que vous recherchez, et c’est bien dommage, car je pense que nous en avons besoin. Nous avons besoin de rassembler les Français et nous avons besoin qu’ils renouent avec leur police. Or disposer de statistiques et d’une évaluation précise le permettrait.
Les propos que vous avez tenus ne sont pas de nature à apaiser la situation. Je le regrette d’autant plus que je n’ai pas entendu d’argument permettant d’expliquer le rejet de cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Hervé Gillé applaudit également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein du rapport annexé à l’article 1er, aux amendements en discussion commune nos 183 et 142.
Article 1er et rapport annexé (suite)
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 183, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 103
Rédiger ainsi cet alinéa :
La formation des policiers et gendarmes s’appuiera sur des moyens renforcés, avec le triplement de ses crédits.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Il est retiré, madame la présidente.
Mme le président. L’amendement n° 183 est retiré.
L’amendement n° 142, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 103, dernière phrase
1° Au début, remplacer le mot :
Le
par la phrase et les mots :
Cette utilisation de la vidéoprotection pourra être évaluée par le monde universitaire, aussi bien dans ses finalités que dans sa mise en œuvre ou que dans son aspect relatif aux respects des libertés publiques, à qui il sera garanti un accès aux données et aux documents nécessaires. C’est pourquoi, à ce sujet, mais également pour le reste de ses activités, le
2° Supprimer le mot :
également
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Monsieur le ministre, nous allons évoquer un sujet qui vous est cher, dans tous les sens du terme, à savoir la vidéosurveillance. Il est rappelé, tout au long du rapport, que les crédits consacrés au déploiement des caméras de surveillance par les collectivités seront doublés.
Si les moyens sont largement documentés, l’efficacité et les finalités de ces dispositifs ne sont en revanche mentionnées à aucun moment. Permettez-moi de vous rappeler que la Cour des comptes s’interroge sur ce sujet : dans son rapport d’octobre 2020, l’institution de la rue Cambon pointe l’absence de lien entre vidéosurveillance et baisse de la délinquance. Elle remet ainsi en cause des dispositifs dont le coût est très élevé et dont l’efficacité reste à démontrer.
Une autre étude récente menée en Isère, à la demande du Centre de recherche de l’école des officiers de la gendarmerie nationale, conclut à un apport très marginal de la vidéosurveillance, que ce soit en matière de résolution d’enquêtes judiciaires ou de dissuasion. Plusieurs pistes d’amélioration sont proposées dans ce rapport, mais il est temps d’évaluer sérieusement cette politique de vidéosurveillance.
Il est prévu dans le rapport annexé d’ouvrir les données du ministère et de faire la part belle aux recherches académiques. Nous vous proposons donc de permettre aux chercheurs qui le souhaitent de s’intéresser à la politique de vidéosurveillance du ministère. Leur éclairage est de nature à améliorer la décision et l’évaluation de nos politiques publiques.
Tel est l’objet de cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Nous avons eu le même débat avant la suspension ; pour les mêmes raisons, j’émets un avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 143 rectifié, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 109
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
S’agissant d’un service public essentiel, le ministère de l’intérieur pose ici un principe clair qu’il s’engage à respecter : aucun commissariat ou brigade de gendarmerie ne pourra être fermé sans que le maire de la commune siège soit préalablement consulté.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Le recul des services publics touche l’ensemble des politiques publiques françaises. Dans le cas qui nous concerne – cela a été justement rappelé dans le rapport que nous étudions –, de nombreux commissariats ont été fermés : 500 brigades de gendarmerie ont été supprimées en quinze ans, 20 commissariats fermés depuis 2008, 10 arrondissements supprimés et 9 jumelés depuis 2014… Ce constat devrait tous nous interpeller.
Il est fait preuve dans ce rapport annexé d’une prise de conscience salutaire. Nous proposons d’enrichir le rapport par une simple formule : pas de fermeture de commissariat ou de brigade de gendarmerie sans consultation du maire. Ce principe a été appliqué aux classes d’enseignement primaire et a été chaleureusement accueilli par les élus locaux – sans toutefois, hélas ! avoir été pérennisé.
Pour l’école comme pour la sécurité, les maires connaissent les besoins de leur commune et les problèmes des habitants. Ils sont donc à même d’éclairer la politique d’implantation décidée par l’État central. Si un maire insiste pour garder un commissariat ouvert, c’est qu’il sait que ses moyens en matière de police municipale sont insuffisants pour faire le travail et que la sécurité de ses administrés peut en pâtir.
Le dialogue entre élus locaux et ministère de l’intérieur doit être amélioré : c’est ce que nous vous proposons par cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. J’avais demandé en commission que cet amendement soit rectifié, car il tendait à soumettre la décision à un accord préalable du maire. Il vise désormais à prévoir une simple consultation du maire.
La consultation du maire ou, en cas de fermetures de classes, du conseil municipal, me semble constituer une bonne mesure. Ensuite l’exécutif décidera ce qu’il doit décider.
J’émets donc – pour une fois ! – un avis favorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 143 rectifié.
(L’amendement est adopté.) – (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme le président. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 23 rectifié bis est présenté par MM. Jacquin et Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et Gillé, Mmes Carlotti, Conconne et Artigalas, MM. Cardon et Cozic, Mmes Le Houerou, Meunier, Monier et Rossignol, MM. Tissot et Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 211 rectifié est présenté par M. Paul et Mme G. Jourda, au nom de la commission des affaires étrangères.
L’amendement n° 225 est présenté par MM. L. Hervé et Daubresse, au nom de la commission des lois.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 111
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Afin de garantir la soutenabilité des dépenses des collectivités territoriales liées à la construction de bâtiments destinés à accueillir des brigades, leurs modalités de financement seront adaptées, le cas échéant par l’adoption de dérogations aux règles comptables et budgétaires des collectivités territoriales. Le dispositif de soutien financier sera par ailleurs renforcé.
La parole est à M. Patrice Joly, pour présenter l’amendement n° 23 rectifié bis.
M. Patrice Joly. De nombreux territoires ont besoin de construire des casernes de gendarmerie neuves. Leurs casernes, vétustes, ont besoin d’être remplacées au cours des prochaines années afin que les gendarmes puissent travailler et être hébergés dans de meilleures conditions. C’est le cas en Meurthe-et-Moselle, dans la Nièvre et dans bien d’autres départements.
Ces casernes, situées en milieu rural, ne répondent plus aux normes actuelles de confort et de sécurité, ce qui a des effets sur les conditions de travail et de vie des gendarmes et de leurs familles et nuit à l’attractivité de ces affectations.
Le décret n° 2016-1884 du 26 décembre 2016 relatif aux conditions de réalisation et de financement de casernes de gendarmerie par les organismes HLM prévoit que l’État garantit un loyer au maître d’ouvrage, dont le montant, plafonné, est proportionnel au nombre d’unités de logement de la caserne.
Ce loyer versé au maître d’ouvrage est donc décorrélé de la taille réelle de la caserne, dont les surfaces comprennent, en plus des logements, les locaux indispensables au service.
Ces locaux, nécessaires quelle que soit la taille de la caserne, représentent un coût fixe important, qui pénalise les petites casernes, dont le coût de revient unitaire du logement est par conséquent forcément supérieur à celui d’une grande caserne et donc difficilement finançable.
Dans ces conditions, les auteurs du présent amendement proposent au Gouvernement de modifier le décret n° 93-130 du 28 janvier 1993 relatif aux modalités d’attribution de subventions aux collectivités territoriales pour la construction de casernements de gendarmerie en ajustant les subventions d’investissement aux collectivités en fonction du nombre d’unités de logement de la caserne. Par exemple, les casernes de moins de neuf unités de logement recevraient une subvention d’investissement de 30 %, qui pourrait ensuite être dégressive.
Il est également proposé d’ajuster la durée du bail à celle du remboursement des emprunts contractés par les collectivités territoriales pour la construction de gendarmeries ; c’est ainsi que nous pourrions traiter de manière équitable les territoires ruraux et leur besoin de sécurité.
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l’amendement n° 211 rectifié.
M. Philippe Paul, rapporteur pour avis. Le présent amendement est identique à celui qu’a déposé la commission des lois, avec laquelle nous partageons une même préoccupation.
La création de 200 nouvelles brigades constitue certes une bonne mesure pour permettre à la gendarmerie de se rapprocher des territoires. Cela étant, créer une brigade sur le papier est une chose, construire les locaux professionnels et les logements pour l’accueillir en est une autre. L’échelle de temps n’est pas la même et des moyens d’investissement sont nécessaires, car il n’existe toujours pas de locaux vacants, qu’ils appartiennent aux collectivités territoriales ou à l’État.
Or, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, ces moyens sont souvent fournis par les collectivités locales à travers divers dispositifs juridiques. Même si les textes prévoient certaines aides, ces dépenses ne sont pas neutres financièrement pour les collectivités. Les dépenses d’investissement sont comptabilisées dans les budgets locaux. Il existe donc un risque d’inégalité pour les collectivités face à ces dépenses.
Notre amendement vise ainsi à adapter les règles budgétaires et comptables et à apporter un meilleur soutien financier afin que seuls des critères liés à la délinquance et au besoin de sécurité publique soient pris en compte pour l’installation de ces nouvelles brigades.
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 225.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Notre amendement est strictement identique à ceux que viennent de présenter MM. Joly et Paul.
Monsieur le ministre, lorsque vous déciderez la construction de 200 nouvelles casernes de gendarmerie ou l’agrandissement de casernes dans les territoires pour les besoins des gendarmes et de leurs familles, les investissements seront portés par les collectivités territoriales – communes, intercommunalités –, lesquelles feront parfois appel à des syndicats départementaux, à des bailleurs sociaux, pour le volet immobilier.
La construction de ces casernes, utilisées par la gendarmerie et donc par l’État, représentera une charge financière non négligeable et entraînera des dépenses de fonctionnement, qui seront heureusement souvent compensées par une recette de fonctionnement équivalente, mais les ratios financiers des collectivités pourront être déstructurés.
Les difficultés actuelles pour emprunter sur les marchés incitent les collectivités à ne pas se surendetter. Dans tous nos départements, nous avons été alertés sur ces situations.
L’amendement que nous défendons vise à modifier le rapport annexé, à vous sensibiliser sur cette question, monsieur le ministre, et à essayer de trouver avec Bercy des solutions qui permettront, de manière intelligente, de débudgétiser, ou au moins de traiter à part les dettes et les dépenses et recettes de fonctionnement supplémentaires afin que les ratios budgétaires de nos collectivités ne soient pas trop affectés.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Joly, je ne sais pas si c’est une bonne chose de modifier le décret comme vous le proposez, mais il est certain qu’il y a là un sujet et qu’il faut le traiter de manière positive, en adoptant ces amendements.
J’espère que l’Assemblée nationale ne dénaturera pas trop votre engagement à réfléchir.
Nous devons réfléchir à ce que sera une caserne de gendarmerie de demain. Les militaires voudront-ils toujours vivre avec leur famille dans ces casernes ? Il n’est pas facile de répondre à cette question, car elle tient à la « militarité » de la gendarmerie, mais aussi aux nouvelles compositions familiales. Il est parfois préférable, pour garder des familles dans un territoire, d’accepter qu’elles vivent dans une zone d’habitat diffus plutôt que dans une caserne. Je n’ai pas la réponse à cette question, mais nous y réfléchissons avec la direction générale de la gendarmerie nationale.
Une deuxième question est posée par le rapporteur Hervé : quel est le modèle financier qui permet à la collectivité de participer ? En effet, cela ne me paraît pas délirant que les collectivités participent, d’autant que certaines communes en tirent souvent un retour sur investissement intéressant. Reste que dans 40 % des cas environ, les collectivités locales ont été amenées à réaliser des dépenses trop importantes.
Trois facteurs ont pu jouer : soit la commune portait seule le projet, sans l’intercommunalité ou le département ; soit les taux d’intérêt sur les marchés financiers étaient trop élevés à l’époque ou ont explosé au moment de la dernière crise financière, car il s’agissait de prêts à taux fixe, accordés parfois par des banques étrangères ; soit le coût des travaux de rénovation et les loyers ne correspondaient pas à ce qui avait initialement été prévu.
Il n’existe pas un modèle unique de brigade ou de construction de caserne. Nous devons réfléchir aux modèles qui ont le plus porté atteinte à la vie des militaires. Dans certains cas, les collectivités n’effectuaient même plus les travaux, faute de pouvoir les financer.
Nous réfléchissons, comme cela est indiqué dans le rapport annexé, à la création d’une foncière pour l’ensemble des travaux du ministère de l’intérieur. Cette idée n’est pas neuve, même si l’État ne l’a jamais mise en œuvre,…
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La SNCF l’a fait en son temps.
M. Gérald Darmanin, ministre. … mais elle est intéressante.
Ne faut-il pas créer une foncière pour les ministères qui ont beaucoup de logements – casernes, commissariats, hôtels particuliers des préfectures –, compte tenu des besoins de rénovation énergétique, mais aussi de rénovation des usages, à commencer par la numérisation ? Il pourrait s’agir de foncières propres à la police nationale, à l’administration territoriale de l’État (ATE) ou à la gendarmerie nationale, ou alors d’une foncière propre au ministère de l’intérieur ou pour l’État dans son ensemble.
Nous pouvons tout à fait imaginer que l’État crée sa foncière, mais plus on inclut d’acteurs, plus cela devient complexe et technocratique. Commençons donc par le faire à l’échelle du ministère de l’intérieur, voire de la gendarmerie nationale, qui rencontre sans doute les difficultés immobilières les plus importantes parmi toutes les administrations que j’ai l’honneur de diriger.
Pour répondre à la fois à l’interrogation sur les montages financiers, à celle sur les loyers, lesquels ne correspondent pas forcément au nombre de familles qui habitent dans ces casernes, et aux objectifs en termes d’accueil, de modernité et d’efficacité énergétique, je pense qu’il faut modifier le décret que vous évoquez.
Je ne suis pas en mesure d’apporter une réponse définitive à l’ensemble de vos interrogations, mais vos pistes de réflexion sont intéressantes et j’émets bien volontiers un avis favorable sur vos amendements.
Pour conclure, l’une de nos difficultés tient à ce que nous n’avons sans doute pas assez recours, lorsque l’on exerce des responsabilités locales, à des moyens que la loi permet d’utiliser. Ainsi, il est tout à fait possible de se tourner vers le bailleur social de son département au moment de l’octroi par le ministère de l’intérieur d’une caserne de gendarmerie et de profiter par exemple du 1 % logement.
Il peut être intéressant de solliciter les bailleurs, y compris des bailleurs privés, pour qu’ils construisent l’école, la caserne de gendarmerie ou les logements des militaires, qui sont d’ailleurs en général mieux construits dans ce cas. Par ailleurs, cela permet aux élus d’être maîtres du développement urbain de leur village ou de leur petite ville.
Peut-être n’avons-nous pas suffisamment recours aux bailleurs sociaux, surtout lorsqu’il s’agit d’équipements publics comme les gendarmeries. Quelques-uns le font, mais, pour paraphraser Audiard, ils ne constituent pas la majorité du genre.
Nous sommes donc très ouverts sur le sujet et il est sûr que nous ne pouvons pas continuer ainsi.
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Vous avez été particulièrement bienveillant dans le dossier de la création de la gendarmerie de Tourouvre, monsieur le ministre, mais les chiffres sont sensibles : un emprunt de 1,75 million d’euros doit être contracté, le ministère de l’intérieur contribuant à hauteur de 193 000 euros. Les loyers sont réellement trop bas.
De nombreux efforts ont certes été faits. Ce type de constructions peut désormais bénéficier du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), ce qui n’était pas le cas avant l’année dernière. La loi de finances le permet désormais, ce qui fait une grosse différence dans l’économie de la construction.
Il est toutefois certain, monsieur le ministre, que les loyers qui sont payés par le ministère de l’intérieur sont en général trop faibles pour assurer la pérennité économique des infrastructures.
Quoi qu’il en soit, le cas de la gendarmerie de Tourouvre est réglé, le préfet ayant été très à l’écoute des habitants, qui avaient besoin de cette gendarmerie.
Ces amendements me semblent extrêmement bienvenus et je les voterai.
Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis, pour explication de vote.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis. Nous avons tellement fermé et redéployé d’effectifs, tant en milieu rural qu’en milieu périurbain, que nous n’avons plus de locaux pour en héberger. La création de nouvelles brigades, fixes ou mobiles, permettra d’offrir un meilleur service dans les territoires.
J’ai été sensible aux propos de M. le ministre sur la nécessaire adaptation des hébergements, car la vie des gendarmes a effectivement changé.
Nous nous devons de proposer quelque chose de cohérent. Les logements où les gendarmes sont obligés de résider ne répondent plus aux besoins de la vie moderne telle que nous la concevons. Ils sont même parfois indignes. La rénovation des locaux est donc une question importante.
Le vote de ces amendements est un premier pas ; surtout, il rend crédible le projet de création de 200 brigades supplémentaires afin d’assurer un maillage territorial.
Mme le président. La parole est à M. Olivier Rietmann, pour explication de vote.
M. Olivier Rietmann. Monsieur le ministre, c’est bien de vouloir créer des gendarmeries, encore faut-il que les projets aboutissent.
Vous êtes venu en Haute-Saône l’année dernière poser la première pierre de la gendarmerie de Champagney. Trois projets de gendarmerie sont en cours en Haute-Saône : à Champagney, à Jussey et à Dampierre-sur-Salon. Le projet le plus récent a été lancé il y a quasiment dix ans !
À Jussey, nous avons mis à disposition un terrain, lancé un appel d’offres. Le bailleur social Habitat 70 a obtenu le marché il y a quatre ou cinq ans, alors que j’étais encore maire. Or le permis de construire sera peut-être déposé en fin d’année seulement !
Il faut bien sûr avoir la volonté de construire des gendarmeries : nous ne pouvons d’ailleurs pas faire autrement eu égard à l’état de certains bâtiments, proche de l’insalubrité, faute de moyens et de travaux, comme à la gendarmerie de Jussey. Le problème, c’est que ces projets sont très longs. D’innombrables grains de sable viennent bloquer le projet pour six ou sept mois : la discussion sur le loyer demandé à la gendarmerie par le bailleur social, les conditions d’urbanisme. Or il s’agit de projets d’intérêt général.
Nous disons toujours aux jeunes gendarmes qui arrivent de ne pas s’inquiéter, qu’ils auront une belle gendarmerie dans un an ou deux. Alors que les premiers à qui l’on a dit cela sont partis depuis bien longtemps rejoindre une autre brigade, la construction de la gendarmerie n’a pas même débuté !
Il est très important d’accélérer dans ces dossiers.
Mme le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Il est important d’aborder ces sujets, comme l’ont fait ceux de mes collègues qui viennent de s’exprimer. Le volet humain est fondamental, que ce soit pour les policiers, les gendarmes ou les sapeurs-pompiers.
À la différence des policiers, les gendarmes et leurs familles habitent et travaillent sur place. Dans les Ardennes – je prends cet exemple que je connais bien –, les casernes sont principalement la propriété du département. Seules quelques-unes d’entre elles appartiennent à l’État. Il est compliqué pour le département d’assurer les travaux d’entretien et de maintenance qui sont régulièrement nécessaires. Et je ne parle pas des questions énergétiques qui sont d’actualité. Quelques casernes neuves ont certes été construites récemment, mais la tâche reste immense.
Offrir de bonnes conditions de travail et de logement à l’ensemble des personnels et à leurs familles est une marque de respect à leur égard.
Nous vous faisons confiance pour explorer toutes les pistes pour y parvenir et nous soutiendrons évidemment ces amendements.
Mme le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour explication de vote.
M. Dany Wattebled. Nous partons de loin, car nous avions cessé de prévoir des budgets depuis plusieurs années. Nous avons remis de l’argent lors des deux derniers budgets, ce qui permet de rénover les bâtiments.
Nous connaissons tous bien sûr l’état des voitures, l’état de vétusté des gendarmeries et des commissariats. Paris ne s’est pas fait en un jour, nous ne ferons pas la rénovation en un jour non plus. En revanche, nous pouvons faire des propositions dès demain matin pour rattraper le retard. C’est une question de dignité : votons les budgets nécessaires pour que les travaux puissent être effectués.
Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 23 rectifié bis, 211 rectifié et 225.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme le président. L’amendement n° 215 rectifié ter, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Théophile et Hassani, Mme Phinera-Horth et MM. Dennemont et Rohfritsch, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 111
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Au regard des spécificités des problèmes de sécurité rencontrés par ces territoires, une attention particulière sera apportée dans le choix d’implantation de ces nouvelles brigades en outre-mer.
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Les faits divers tragiques se multiplient et endeuillent les familles en outre-mer : augmentation record du nombre d’homicides par armes à feu et armes blanches, recrudescence des braquages, violences liées au trafic de drogue, féminicides, violences à l’encontre des forces de l’ordre… L’insécurité grandissante gagne toutes les catégories sociales.
Des annonces ont été faites pour endiguer l’insécurité en outre-mer, comme le déploiement de nouveaux moyens humains et matériels.
Tout d’abord, de nouveaux outils technologiques doivent être déployés aux frontières des outre-mer pour lutter contre les trafics : scanners des bagages aux rayons X, scanners corporels, scanners à conteneurs dans les grands ports, moyens nautiques, radars de surveillance…
Ensuite, en matière de lutte contre la délinquance et de protection de l’ordre public, les outre-mer bénéficieront de l’augmentation des effectifs de gendarmes départementaux, de réservistes et d’unités de forces mobiles supplémentaires.
Aussi, l’implantation de 200 brigades de gendarmerie nationale, telle qu’elle est prévue dans la Lopmi, est une mesure rassurante pour restaurer l’ordre républicain dans ces territoires.
Au regard de la dégradation inédite du climat sécuritaire et de nos spécificités, le présent amendement tend à prévoir qu’une attention particulière sera portée aux lieux d’implantation de ces nouvelles brigades en outre-mer.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Comme pour un amendement précédent, j’avais demandé que cet amendement soit rectifié afin qu’il s’intègre mieux dans le projet de loi d’orientation et de programmation.
Il est légitime de poser le problème de la spécificité des outre-mer, d’autant que nous avons face à nous un ministre de l’intérieur et des outre-mer, qui connaît bien cette question.
L’amendement ayant été rectifié, la commission y est favorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. En tant que ministre des outre-mer et de l’intérieur, monsieur le rapporteur, je ne peux qu’émettre un avis favorable sur l’amendement de M. Thani Mohamed Soilihi.
La spécificité ultramarine tient en partie au fait que la population dans les zones de gendarmerie est devenue très importante. C’est une difficulté que nous rencontrons dans nos territoires de la République, mais plus singulièrement à Mayotte. S’il y a un endroit où la question des zones de police et de gendarmerie se pose, c’est bien dans les territoires ultramarins, en particulier ceux qui connaissent une augmentation de leur population en même temps qu’une hausse de la délinquance.
Nous devons étudier des implantations supplémentaires en outre-mer, monsieur le sénateur – ce n’est pas là juste une position de principe que j’adopte pour vous plaire –, afin de tenir compte de la plus forte délinquance que l’on y constate. J’ai annoncé la création de quatre brigades de gendarmerie pour la Guyane. Je reviendrai bientôt à Mayotte où j’aurai l’occasion d’annoncer également la création de quatre nouvelles brigades.
Monsieur Mohamed Soilihi, je n’avais pas eu l’occasion de vous l’annoncer, je profite donc de votre sollicitation pour le faire : si nous leur trouvons rapidement des lieux d’implantation, des militaires de gendarmerie seront disponibles dès l’été prochain.
Mme le président. L’amendement n° 156, présenté par MM. Fernique, Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 111
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Dans un souci de meilleure éducation et formation de nos citoyens au respect de la nature, il convient de développer et de généraliser au niveau national la présence des gardes champêtres, tels qu’ils existent sous le nom de « Brigade Verte », dans les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, depuis 1989. Sur la base de l’article 44 de la loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 d’amélioration de la décentralisation du 5 janvier 1988, les groupements de collectivités réunies dans un syndicat mixte, vont œuvrer pour le développement et la mise en commun de gardes champêtres compétents sur l’ensemble du territoire des communes constituant le groupement. En plus de leurs prérogatives prévues par la loi, leurs périmètres de compétence et d’intervention seront élargis aux domaines de la ruralité et de l’environnement. Un tel dispositif constituera une garantie de la protection des milieux naturels, de la faune et de la flore sauvage sur les territoires des communes qu’il couvre, contribuant à réduire drastiquement les incivilités dans les milieux naturels.
La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Cet amendement tend à renforcer et à généraliser les possibilités de mutualisation intercommunale des gardes champêtres, que l’on appelle en Alsace les « brigades vertes ».
En effet, depuis 1988, grâce à l’adoption d’un amendement du sénateur Henri Gœtschy, à la spécificité de notre droit local et à la forte densité de gardes champêtres en Alsace-Moselle, une dynamique s’est formée dans le Haut-Rhin, d’abord avec une cinquantaine de communes. Désormais, plus de 370 communes sont concernées par la mutualisation, qui est également mise en œuvre dans le Bas-Rhin.
La brigade verte garantit la protection des milieux naturels, de la faune et de la flore sauvages dans les territoires des communes qu’elle couvre. Elle contribue à réduire drastiquement les incivilités dans les milieux naturels. Par ailleurs, elle apporte un appui aux agriculteurs en contribuant à réduire les vols.
Cette organisation répond aux besoins des communes et permet une répartition des coûts, la Collectivité européenne d’Alsace en prenant une part importante.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. J’invite M. Fernique à relire le compte rendu intégral des débats du Sénat. Nous avons longuement parlé de ce sujet lors de l’examen de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés. Sur l’initiative du Sénat, la mutualisation de plusieurs gardes champêtres entre plusieurs EPCI a été rendue possible dans la loi de 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.
Le Sénat s’est à plusieurs reprises prononcé pour la fusion du cadre d’emplois des policiers municipaux et des gardes champêtres. Tous les travaux du Sénat vont donc dans le sens de cette mutualisation.
Pour autant, tel qu’il est rédigé, cet amendement de généralisation porte une atteinte évidente au principe de libre administration des collectivités locales. C’est pourquoi la commission y est défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 157, présenté par MM. Fernique, Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 111
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Aux fins de constater les infractions prévues à l’article 24 du code de procédure pénale, il serait utile de permettre aux gardes champêtres de recourir aux appareils photographiques, mobiles ou fixes. Ces appareils photographiques ne pourraient être disposés que dans des lieux ouverts tels les bois, les forêts ou les propriétés comportant des bâtiments qui ne sont pas à usage de domicile sous réserve d’avoir obtenu l’accord préalable du ou des propriétaires concernés et après en avoir informé le procureur de la République, qui peut s’y opposer. Les clichés photographiques obtenus dans le cadre d’un constat d’infraction seront conservés conformément aux dispositions prévues par le code de procédure pénale.
La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Cet amendement vise à permettre aux gardes champêtres d’avoir recours aux moyens technologiques modernes, tels que les appareils photographiques, dans le cadre de la lutte contre les atteintes aux propriétés rurales et forestières – dépôts sauvages en milieu naturel, vols dans les champs et sur les exploitations agricoles –, et ce afin d’établir la réalité de l’infraction.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, déjà satisfait par la loi pour une sécurité globale préservant les libertés.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 158, présenté par MM. Fernique, Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 111
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Dans un souci d’efficacité de la gestion et du contrôle des collectes des déchets et des déchets sauvages, il convient d’élargir le périmètre des agents pouvant être assermentés en matière de police des déchets, tel que prévu à l’article L. 541-44 du code de l’environnement. Par dérogation à cet article, et sans pour autant en modifier les dispositions, il paraît nécessaire d’opérer un transfert de certains pouvoirs de police administrative spéciale des maires aux présidents d’intercommunalité. En effet, de nombreuses prérogatives en matière de collecte des déchets, habitats, et environnement sont prévues à l’échelle intercommunale et non municipale. Il serait donc cohérent que les décisions de police administrative soient prises à cette même échelle. Il convient donc de permettre au président d’intercommunalité de missionner des agents spécialement assermentés pour rechercher et constater les infractions en matière de collecte des déchets et de déchets sauvages.
La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Cet amendement, qui est demandé par plusieurs intercommunalités, vise à élargir le périmètre des agents pouvant être assermentés en matière de police des déchets.
À de nombreuses reprises, en 2014 comme en 2020, les maires et les présidents d’intercommunalité ont fait obstacle au transfert de police administrative, non pas au motif que cet objectif n’était pas souhaité, mais parce que le cadre juridique actuel compliquait l’effectivité des décisions prises par les présidents auxquels sont transférés des pouvoirs de police.
Cela est particulièrement marqué pour les attributions correspondant au domaine de la collecte des déchets et la gestion des déchets sauvages. En effet, le code de l’environnement restreint la liste des agents pouvant être assermentés pour procéder à la recherche et à la constatation des infractions en la matière : sont visés notamment des agents qui ne sont pas employés par les collectivités locales – agents des douanes ou de la répression des fraudes – ou qui ne le sont que par celles qui disposent d’importants moyens – agents de police judiciaire adjoints, médecins territoriaux, etc.
Sans modifier le code de l’environnement, le présent amendement, s’il était adopté, permettrait au président d’intercommunalité, en complément des possibilités d’ores et déjà prévues par ce code, de missionner d’autres agents spécialement assermentés pour rechercher et constater les infractions aux règlements établis, le cas échéant, en matière de collecte des déchets et de déchets sauvages.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Là encore, ce débat a eu lieu à plusieurs reprises au Sénat, notamment au cours de l’examen des lois de décentralisation.
Ma très estimable collègue Françoise Gatel, qui préside la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, a cette formule, dont je rappelle la substance : laissons l’intelligence territoriale jouer son rôle et les acteurs locaux exercer leurs compétences plutôt que d’imposer autoritairement le transfert des compétences des communes à l’intercommunalité, car ce n’est pas justifié dans tous les territoires. (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Françoise Gatel. Bravo !
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne saurais mieux dire que le rapporteur. Cependant, je fais remarquer que cette possibilité a été adoptée à l’article 293 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, que vous avez votée dans cet hémicycle.
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Je vous invite à relire l’amendement, qui n’a rien à voir avec l’analyse de M. le rapporteur ni avec la mesure adoptée dans la loi Climat et résilience.
Il s’agit simplement de donner la possibilité d’assermenter des personnes pour constater ces délits. Il n’y a aucune obligation et cela relève de la liberté de chaque collectivité.
C’est donc une mesure assez simple, dont l’absence bloque un certain nombre de collectivités et d’intercommunalités.
Je suis prêt à en parler avec Mme Gatel, pour que l’on puisse avancer sur cette question.
Mme le président. L’amendement n° 206, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 125, dernière phrase
Supprimer les mots :
, du fait de la lourdeur de la procédure pénale, d’outils numériques insuffisamment performants et de tâches administratives chronophages
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Cet amendement vise à supprimer dans le rapport annexé le postulat erroné selon lequel la procédure pénale serait une lourdeur inutile, alors qu’elle constitue un ensemble de droits pour les citoyens.
Il convient en outre de souligner que la modification de la procédure pénale, champ de compétence propre du ministère de la justice, n’a pas sa place dans une loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je suis d’accord avec Mme Michelle Gréaume sur les deux aspects qu’elle a pointés ; pour autant, cela n’empêche pas de les mentionner dans le rapport annexé !
Tout l’enjeu de la réforme est d’alléger la procédure pénale pour que policiers et gendarmes soient davantage sur le terrain, sans affaiblir la protection des droits et libertés. Le rapport annexé indique une orientation claire. Pourquoi la supprimer ?
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 101, présenté par MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 126
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette visibilité de l’ensemble des forces de sécurité devra aussi passer par rendre possible l’identification des agents et des agentes, via le port visible de la carte professionnelle ou du RIO (référentiel des identités et de l’organisation) ; cette identification devra être visible tout au long de l’exécution de leurs missions sous peine de sanctions.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Alors que le Gouvernement présente dans ce texte un nécessaire et légitime pacte citoyen de confiance de la population envers l’ensemble de ses forces de sécurité, il convient de garantir explicitement la possible identification des acteurs de la sécurité dans l’exercice de leurs fonctions.
La commission des lois a décidé de ne pas soutenir cet amendement au motif qu’il serait satisfait ; or il s’agit ici d’inscrire dans le présent projet de loi d’orientation et de programmation les axes essentiels qui seront ceux du ministère de l’intérieur pendant cinq ans. À cet égard, nous pensons que l’identification anonymisée des forces de l’ordre en état doit y figurer.
Si la visibilité de la carte professionnelle des agents de la police municipale est garantie par le code de la sécurité intérieure, l’identification de tous ceux qui garantissent la sécurité des citoyens doit également être obligatoire.
Cette mesure est un premier pas fort dans la reconstruction d’un lien de confiance solide entre les forces de l’ordre et les citoyens. Nous souhaitons que l’identification des agents fasse partie de la culture du ministère de l’intérieur, cette identification étant, je le répète, un facteur de confiance des citoyens envers leur police.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Pour une fois, M. Benarroche est pour les contrôles d’identité ! (M. le ministre rit.) Cette mesure existe déjà et figure à l’article R. 434-15 du code de la sécurité intérieure, lequel satisfait sa préoccupation.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 178, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 127 à 133
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Cet amendement vise à supprimer la sous-section 2.3.1 du rapport annexé, qui commence ainsi : « L’objectif de doublement de la présence des forces de l’ordre sur la voie publique impose d’activer un ensemble de leviers complémentaires. »
Les dispositions prévues à ces alinéas consacrent notamment la préférence de « la compensation financière des heures supplémentaires » aux jours de récupération, « l’ouverture d’une discussion sociale sur l’augmentation du temps de travail au sein des forces de sécurité intérieure » demandée par le Président de la République, « la mise en place de la fonction d’“assistant de police et de gendarmerie” et […] l’abandon des tâches périphériques ».
Nous considérons que la préférence donnée à la compensation financière des heures supplémentaires plutôt qu’aux jours de récupération et que l’ouverture d’une discussion sociale sur l’augmentation du temps de travail au sein des forces de sécurité intérieure sont une fuite en avant libérale, qui casse les droits sociaux des policiers et brade les services publics.
La Lopmi prévoit le doublement de la présence des forces de l’ordre sur le terrain d’ici à 2030, notamment via la suppression de missions périphériques. Dans ces conditions, qui s’occupera par exemple du transfert de détenus ? L’administration pénitentiaire déjà surchargée ?
De même, mettre en place la fonction d’assistant de police et de gendarmerie n’est pas un gage d’efficacité. La procédure pénale, même dans son aspect le plus infime, nécessite en effet vigilance et rigueur.
Mme le président. L’amendement n° 21, présenté par M. Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et Gillé, Mme G. Jourda, M. Jacquin, Mmes Carlotti, Conconne et Artigalas, MM. Cardon et Cozic, Mmes Le Houerou, Meunier, Monier et Rossignol, MM. Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 132, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Ce bilan annuel des activités policières par les indicateurs chiffrés permettra de regarder de près comment l’action policière est appréhendée sur la base de tableaux de bord, agrégats statistiques et comptes rendus d’activités, comment ces données sont lues, comment cela affecte l’action policière et quels sont les effets sur les pratiques et les relations de travail.
La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. Marqueur de l’action sécuritaire qui a été menée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la politique du chiffre a été fortement critiquée par les représentants des personnels des gardiens de la paix, principalement en termes d’efficacité pour lutter contre l’insécurité, mais aussi en raison de la pression qui a été mise sur ces policiers de terrain, conduits à se focaliser sur les statistiques plutôt que sur la délinquance.
Pour les représentants des policiers, il s’agit davantage d’une politique d’affichage et de communication conduite au détriment de la santé des policiers que d’une réelle politique de lutte contre la délinquance. L’usage renforcé des indicateurs chiffrés pour mesurer et piloter l’activité policière que le ministre de l’intérieur et des outre-mer veut continuer à mettre en avant s’est pourtant révélé comme l’une des raisons des dysfonctionnements des services de police.
En outre, monsieur le ministre, comme vous le savez, de nombreux sociologues spécialistes des questions de police montrent les limites de ces simples bilans chiffrés et nous invitent à varier l’utilisation de ces chiffres, par exemple en utilisant des expérimentations ou des modélisations, comme cela se fait au Canada ou au Royaume-Uni.
Il convient donc de rappeler dans le rapport annexé que la mesure statistique de l’effectivité de l’action policière, qui accompagnera le doublement de la présence des forces de sécurité sur la voie publique dans les dix ans, ne peut se limiter à la seule communication du relevé chiffré de l’activité policière dans les médias, sachant que les chiffres subissent aussi des effets de conjoncture ou des variations dans le temps des thématiques.
Mme le président. L’amendement n° 74, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 133, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Là encore, il s’agit d’avancer à un rythme non forcé vers le tout-numérique et le tout-distanciel, que, par ailleurs, notre assemblée n’aime pas vraiment puisqu’il a été décidé en interne d’en finir avec les réunions de commission en visioconférence, quand bien même on peut avoir un avis différent sur cette décision.
Le rapport annexé prévoit que les actes d’enquête et les audiences du juge des libertés et de la détention, notamment pour les auditions de placement en centre de rétention administratif, seront effectués en priorité par voie de communication audiovisuelle. Les juges des libertés et de la détention de Marseille et aucune des parties à ces audiences n’ont fait montre d’un enthousiasme démesuré.
Pourtant, les audiences par visioconférence, très développées depuis la pandémie de covid-19, ne permettent pas pleinement d’assurer la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats ou la solennité des audiences, laquelle est également fortement réduite par écrans interposés. La communication audiovisuelle est décriée par plusieurs professionnels de la justice, tant avocats que magistrats – je l’ai constaté à plusieurs reprises – et illustre le choix du Gouvernement de développer une justice que l’on peut qualifier de plus rapide, si l’on y est favorable, ou d’expéditive, si l’on est plus sévère, au détriment des droits des justiciables.
Généraliser cette pratique conduit à porter atteinte à la qualité de la justice rendue. D’ailleurs, nous assistons déjà à une dégradation progressive des audiences en matière de droit des étrangers en France.
Si les actes d’enquêtes impliquent nécessairement la participation d’un justiciable, il convient de maintenir systématiquement une présence physique des agents pour les usagers qui ne souhaitent pas réaliser les actes par voie de télécommunication audiovisuelle.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Le ministre a indiqué à juste titre qu’il voulait doubler la présence des forces de l’ordre sur la voie publique et que cela répondait à une forte attente. Le moins que l’on puisse attendre d’un rapport d’orientation, c’est qu’il explique les modalités qui permettront de doubler la présence des forces de l’ordre sur la voie publique. C’est pourquoi le rapport annexé contient une série de précisions tout à fait pertinentes.
Par conséquent, la commission ne peut qu’émettre un avis défavorable sur l’amendement n° 178, de même que sur l’amendement n° 21. En effet, il faut bien avoir des chiffres pour procéder aux vérifications nécessaires !
La commission est également défavorable à l’amendement n° 74, dont l’objet est de maintenir systématiquement une présence physique des agents pour les usagers ne souhaitant pas réaliser les actes par voie de télécommunications. Pourtant, pour toutes les audiences qui se déroulent ainsi, toutes les garanties sont apportées, en particulier pour les étrangers, avec les moyens de télécommunications audiovisuelles, notamment la confidentialité de la transmission.
Tout cela est donc déjà en vigueur et il est normal que le rapport annexé détaille les modalités permettant d’atteindre cet objectif.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. J’avoue ne pas comprendre ces amendements visant à supprimer certains alinéas, en particulier l’amendement n° 178.
En quoi mettre plus de policiers et de gendarmes dans la rue et accéder ainsi à la demande d’une grande partie de la gauche, à savoir une police plus présente, moins d’interventions et plus d’accompagnement et de présence de proximité – en soi, d’ailleurs, la police doit être de proximité – est une « fuite en avant libérale » ? J’ai du mal à suivre ce raisonnement.
Nous apportons au contraire la démonstration que, par une augmentation d’effectifs, que vous êtes très nombreux à me demander, quels que soient les groupes politiques auxquels vous appartenez, par la réserve opérationnelle, par la suppression d’un certain nombre de tâches périphériques, on mobilise les policiers et les gendarmes pour faire ce pour quoi ils ont été engagés, à savoir être présents sur la voie publique.
Madame la sénatrice, qui s’occupera des extractions judiciaires, demandez-vous ? L’administration pénitentiaire – de même qu’il est normal que les policiers s’occupent de la délinquance. A-t-elle assez de moyens pour le faire ? C’est une question intéressante à laquelle je réponds : hier, non, demain, oui.
Le projet de loi de finances pour 2023 qui sera bientôt soumis à votre examen prévoit en effet, à la suite du rapport conjoint avec le ministère de la justice, la création de 200 équivalents temps plein au sein de l’administration pénitentiaire. Ceux-ci remplaceront les deux ou trois policiers qui, notamment dans toutes les villes de province, sont chargés de procéder à l’extraction d’un détenu de la maison d’arrêt pour qu’il soit présenté devant le juge ou à celle d’un individu du commissariat pour qu’il soit présenté à la maison d’arrêt. Ce n’est pas aux policiers de faire ce travail, qui n’apporte aucune avancée policière.
Il est vrai que, depuis de très nombreuses années, le ministère de l’intérieur supplée au manque de moyens du ministère de la justice. Dans une ville qui compte un tribunal correctionnel, cela signifie que, sur quatre policiers prévus pour la journée, deux sont occupés à procéder aux extractions judiciaires, au lieu de répondre au 17 ou de faire des patrouilles dans le centre-ville ou dans les quartiers populaires.
Je le répète, madame la sénatrice, vouloir augmenter la présence policière n’a rien d’une fuite en avant libérale. Ne voyez pas de l’ultralibéralisme partout, il y en a déjà assez, me semble-t-il. Si je comprends souvent le raisonnement politique du groupe communiste, il me semble qu’il commet là une erreur d’analyse.
J’ai également du mal à suivre votre analyse sur les assistants d’enquête. À l’évidence, vous n’avez pas discuté avec les trois syndicats en charge du personnel administratif : tous, quels qu’ils soient, sont extrêmement favorables à cette mesure, même ceux que je ne citerai pas et qui, pour bien les connaître, ne sont pas très éloignés de votre orientation politique, madame la sénatrice. J’apprécie particulièrement leur façon de se battre en faveur de ces ouvriers administratifs, qui ne sont pas toujours reconnus par les ministères, notamment par le ministère de l’intérieur.
J’en profite pour dire ici à ces syndicats que les personnels administratif, technique et scientifique font partie de la communauté de la police nationale. Souvent, c’est une partie de la police statutaire ou de la gendarmerie statutaire qui n’est pas très favorable à cette évolution, alors même que celle-ci va très largement dans le sens de ce que vous prônez pour la fonction publique, à savoir la montée en formation, en gamme et en promotion des agents des catégories C ou B, qui connaissent les mêmes difficultés que les policiers – ils sont parfois même victimes d’attentats terroristes, comme ce fut le cas de Mme Stéphanie Monfermé à Rambouillet. Ils disposeront donc d’une compétence particulière.
Il ne s’agit pas d’ultralibéralisme : je ne vous ai pas annoncé que l’on allait embaucher des contractuels ou demander à des sociétés privées de le faire ! Ce sont des personnels administratifs du ministère de l’intérieur, qui ont le statut de fonctionnaire.
Je le répète, je pense que vous vous trompez d’analyse et de combat.
J’en viens à l’amendement n° 21, présenté par Éric Kerrouche. Là encore, il y a là, me semble-t-il, une incompréhension collective.
En quoi consiste la politique du chiffre, sinon à fixer à des services des objectifs chiffrés de réussite ? Si je demande que la délinquance baisse de 5 % en Saône-et-Loire ou que la direction départementale de Saône-et-Loire procède à 150 amendes forfaitaires délictuelles (AFD) dans le mois, c’est de la politique du chiffre. Ce n’est jamais ce que j’ai demandé aux services de police et encore moins ce que je demande maintenant !
En tant que ministre de l’intérieur, à l’instar du ministère des comptes publics qui rend publics les chiffres du déficit ou des dépenses publiques ou du ministre du travail qui rend publics les chiffres du chômage, je rends publics un certain nombre de chiffres. Ce n’est pas en soi un objectif, c’est une statistique qui vaut ce qu’elle vaut – vous avez d’ailleurs raison, monsieur le sénateur, il y a des biais statistiques comme partout et les sociologues n’en sont pas exempts, puisque, par définition, tout est subjectif ! On peut d’ailleurs discuter de ces théories et je suis tout à fait ouvert aux analyses scientifiques de l’ensemble de ceux qui réfléchissent au fonctionnement de la police nationale ou de la gendarmerie nationale.
Pour autant, quand je rends publics des chiffres de la délinquance, comme tous mes prédécesseurs et comme tous mes futurs successeurs, je ne fais rien d’autre que révéler l’activité des services, notamment les plaintes déposées dans les commissariats ou les interpellations de trafiquants. Je n’y mets pas d’objectif, je dresse un constat. Fixer des objectifs serait d’ailleurs absurde pour des faits aussi difficilement mesurables, au sens policier du terme, que les violences intrafamiliales.
J’ai tendance à penser que, lorsque les chiffres des violences intrafamiliales augmentent, c’est un drame pour ceux qui les subissent, mais en même temps le révélateur que les services de police et de gendarmerie transforment en plaintes ce qui faisait hier l’objet de mains courantes.
Pour autant, monsieur le sénateur, comme l’a souligné M. le rapporteur, il n’est pas anormal que le ministre de l’intérieur explique comment on va réussir à doubler le nombre de policiers et de gendarmes présents sur la voie publique, sinon ce serait un vœu pieux. Si je ne le faisais pas, vous me le demanderiez !
Je l’ai déjà expliqué, je veux bien le faire de nouveau : pour accroître la présence sur la voie publique, nous avons prévu la création de 8 500 effectifs supplémentaires, la création de la réserve opérationnelle dans la police nationale – nous avons décidé de geler les crédits de réserve de la gendarmerie nationale qui étaient auparavant annulés –, la fin des cycles horaires qui prenaient trop d’énergie et empêchaient les policiers d’être sur la voie publique – c’est notamment la fin du « vendredi fort » de la police nationale, que j’ai eu l’occasion d’évoquer avec le sénateur Dominati –, l’allégement des procédures pénales, grâce aux assistants d’enquête ou aux AFD – on peut en combattre le principe, mais cela participe de la simplification qui crée plus de présence sur la voie publique, je ne reprends pas l’exemple du téléphone que j’ai mentionné tout à l’heure –, la fin des extractions judiciaires, la fin des procurations – une procuration, c’est 10 euros et 10 minutes pour un officier de police judiciaire.
Voilà, monsieur le sénateur, comment on arrive au doublement de la présence policière sur la voie publique.
N’y voyez pas de chiffres statistiques : j’essaie de justifier devant le Parlement des crédits budgétaires, c’est-à-dire l’impôt des Français, que vous m’accorderez, je l’espère ; qui plus est, je serai obligé de justifier l’emploi de cet argent devant la Cour des comptes.
Il faut tout de même que l’on dispose de chiffres, sinon le débat serait vain. Depuis que je suis ministre de l’intérieur et c’était aussi le cas de mes prédécesseurs, il n’a jamais été question de fixer à des chefs de police des taux de réussite : un tel procédé conduirait en effet à ne pas prendre des plaintes et à les transformer en mains courantes, pour essayer de faire baisser les chiffres, ou à retarder les procédures – en ne traitant par exemple celles du mois de novembre qu’au mois de janvier suivant – pour montrer que le ministre de l’intérieur avait raison.
Je suis d’accord avec vous pour refuser une telle manœuvre. En revanche, il me paraît normal que l’on dévoile les chiffres de la délinquance et que l’on en discute, y compris pour que je puisse vous expliquer pourquoi ils augmentent ou baissent si l’on n’est pas d’accord sur le constat. Parvenir à doubler, ce qui est un effort considérable, la présence sur la voie publique sans doubler le nombre d’effectifs de voie publique demandait une démonstration.
Pour qu’il n’y ait pas de difficultés de compréhension entre nous, je répète que les dispositions que je vous présente dans le rapport annexé ne visent pas à revenir à une politique du chiffre, que je ne cautionne pas non plus dans mes autres actions politiques.
Mme le président. L’amendement n° 205, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 134
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Cet amendement vise à supprimer dans le rapport annexé la présentation de la simplification de la procédure pénale comme un levier pour doubler la présence des forces de l’ordre sur la voie publique.
Il est erroné d’assimiler la procédure pénale à une lourdeur administrative, alors qu’elle constitue un ensemble de droits pour les citoyens. En outre, nous considérons que faire de la simplification de cette procédure une priorité, c’est prendre le risque qu’il soit fait fi des garanties procédurales, notamment lors de la garde à vue. On ne valorise pas les métiers de la sécurité intérieure en abaissant l’exigence qui les entoure et qui donne du sens au travail de la police judiciaire.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La lourdeur de la procédure pénale tient au fait qu’un certain nombre de garanties et de droits sont préservés grâce à cette rigidité parfois excessive, mais aussi au fait que de nombreux éléments sont superfétatoires.
Certes, cela relève d’une réforme systémique de la justice que, comme sœur Anne, nous attendons depuis longtemps, après les états généraux de la justice. Pour autant, on ne peut pas empêcher un autre ministre d’alléger un certain nombre de procédures, par exemple les réquisitions, dans le but de supprimer des tâches administratives superfétatoires et de remettre des policiers sur le terrain.
C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Je suis saisie de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 180, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 140 à 148
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Cet amendement vise à supprimer dans le rapport annexé la sous-section 2.4 intitulée « Mettre la victime au centre de l’attention ». Il y est non seulement prévu de refondre le parcours de victime depuis l’accueil jusqu’au suivi de la plainte, en privilégiant la dématérialisation, mais aussi de mettre l’accent sur une prise de plainte hors les murs, accompagnée d’un traitement rapide, et de lancer l’expérimentation de l’utilisation d’un robot d’accueil.
Nous rejetons la dématérialisation du dépôt de plainte et de son suivi. Une prise en charge des plaintes hors les murs est hors de propos et instaure de fait une distance qui ne devrait pas être de mise entre victimes et police.
Mme le président. L’amendement n° 76, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 141
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
Dans un souci de meilleure prise en charge des spécificités des victimes, il convient également de développer la présence des officiers LGBT+, qui existent déjà à Bordeaux ou à Paris, chargés d’accueillir les plaintes et les déclarations des victimes comportant une circonstance anti-LGBT+.
Les officiers de liaison LGBT+ sont en lien permanent avec les victimes et les associations LGBT. Ils assurent le lien avec les référents LGBT dans les commissariats et gendarmeries et peuvent animer des sensibilisations à destination des agents chargés de recevoir les plaintes.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Par cet amendement, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande une présence plus importante d’officiers de liaison dits LGBT+, qui sont formés sur des thématiques LGBTphobies. Cela existe déjà dans un certain nombre de villes, par exemple à Bordeaux et à Paris, où ces personnels sont chargés de recevoir les plaintes et de traiter les procédures liées à l’homophobie et à la transphobie. Ils sont également chargés de former leurs collègues aux violences homophobes. Tout cela permettrait d’unifier les prises en charge des victimes d’homophobie sur l’ensemble du territoire.
Dans les territoires dans lesquels ils sont déjà implantés, ces agents de liaison ont permis une augmentation du taux de plaintes des victimes d’actes homophobes ou transphobes.
Lors de l’examen de cet amendement en commission, les rapporteurs se sont étonnés que cette mesure ne concerne que les LGBT+ et pas d’autres populations fragiles.
Je vous répondrai : chiche, mes chers collègues ! (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Notre groupe vous prend au mot ! Nous voterons tout amendement ou sous-amendement qui visera à généraliser la mise en place d’officiers de liaison accueillant les victimes de populations fragiles, d’autant plus que, là où ils sont en place, ces officiers ont fait la preuve de leur intérêt et de leur efficacité dans la prise en charge des victimes et dans leur accompagnement.
Mme Sophie Primas. Vous discriminez !
Mme Nathalie Goulet. Ce sont des victimes tout de même !
Mme le président. L’amendement n° 131, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :
Alinéa 142
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
Celles-ci se verront proposer un enregistrement de leur déposition dans le respect de leur droit à l’intimité qui leur sera remis sur simple demande. Les filles et femmes victimes de cyberharcèlement à caractère sexiste ou sexuel se verront également proposer un enregistrement de leur audition ou dépôt de plainte dans le respect de leur droit à l’intimité qui leur sera remis sur simple demande.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Cet amendement de Mélanie Vogel vise à permettre un meilleur accueil des victimes de violences sexistes et sexuelles.
Alors qu’une jeune femme sur cinq serait concernée par le cybersexisme à caractère sexuel, nous proposons de rendre accessible aux victimes l’enregistrement audiovisuel du dépôt de la plainte et des preuves.
Vous imagineriez-vous répéter sept ou huit fois, lors d’une procédure devant des personnes non formées à ce que vous avez traversé, que des photos de vous nue ont été volées, qu’elles circulent en ligne et que vous êtes publiquement harcelée ? C’est évidemment douloureux et traumatisant, la répétition ajoutant au malheur.
Il s’agit donc d’étendre la diffusion de cet enregistrement à toutes les victimes.
D’autres mesures permettraient un meilleur accueil des victimes, notamment la présence de spécialistes formés sur ce sujet et la présence d’un avocat lors du dépôt de la plainte.
Il me semble que ces propositions vont dans le sens de l’objectif de ce rapport annexé et de l’intitulé explicite de l’une de ses sous-sections – « Mettre la victime au centre de l’attention » –, qui suppose une meilleure prise en compte des spécificités de ces violences.
Mme le président. L’amendement n° 9, présenté par Mme Vérien, est ainsi libellé :
Alinéa 143
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
À compter de cette date, il sera maintenu a minima une maison de confiance et de protection de la famille dans chaque département.
La parole est à Mme Dominique Vérien.
Mme Dominique Vérien. Les maisons de confiance et de protection de la famille (MCPF), qui sont prévues dans le rapport annexé, sont l’autre nom de structures qui existent déjà et qui sont très utiles pour prendre en charge les victimes. Il y en aurait une par département.
Cela me fait penser aux maisons France Services : il a été décidé d’en installer une par canton et l’on se rend compte aujourd’hui que cela n’est pas suffisant. Tout a changé quand on a inscrit dans la loi « au moins une par canton ».
De la même façon, je souhaite que l’on puisse écrire dans le texte « a minima une maison de confiance et de protection de la famille dans chaque département », de sorte que l’on puisse envisager d’en installer au moins une par circonscription.
Mme le président. L’amendement n° 173 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère et N. Delattre, MM. Gold, Guérini et Guiol, Mme Pantel et MM. Artano, Cabanel, Corbisez, Fialaire, Requier et Roux, est ainsi libellé :
Alinéa 145, deuxième phrase
Remplacer les mots :
et d’ergonomie
par les mots :
, d’ergonomie et d’accessibilité
La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Lors de l’examen du texte par la commission des lois, un certain nombre d’amendements ont été adoptés afin d’inscrire dans le rapport annexé à l’article 1er du projet de loi les objectifs en matière d’accessibilité et d’accueil des personnes en situation de handicap.
En effet, nous ne pouvons que constater – de nombreuses études le rappellent – le retard que la France accuse en matière d’accessibilité universelle, qu’il s’agisse de l’accessibilité des transports, de la voirie, des administrations, des lieux, des espaces dédiés à la santé ou encore au logement.
Des textes sur l’obligation d’accessibilité existent. Pour autant, leur mise en œuvre reste très limitée et pénalise quotidiennement les personnes en situation de handicap. Pourtant, l’accès au service public est essentiel à l’effectivité des droits des personnes en situation de handicap.
Aussi, puisque, dans ce texte, le ministère de l’intérieur souhaite moderniser les locaux des brigades et commissariats pour améliorer la confidentialité et l’ergonomie des points d’accueil, cet amendement vise à ajouter un nouvel objectif : la mise en accessibilité de ces lieux.
Mme le président. L’amendement n° 73, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 145, avant-dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Nous en arrivons à l’expérimentation d’un robot d’accueil dans les locaux de police et de gendarmerie, le Robocop dont on parlait précédemment…
Dans le livre blanc de la sécurité intérieure publié le 16 novembre 2020, il était fait le constat suivant, que nous partageons tous : « améliorer la qualité de l’accueil du public est (…) l’un des vecteurs premiers d’une relation de confiance entre la population et les forces de sécurité intérieure ».
Ces robots d’accueil existent déjà dans certains pays d’Asie et du Moyen-Orient, ce qui nous donne une idée de la manière dont les choses pourraient se passer chez nous. Ils ne représentent en aucun cas une solution pour améliorer l’accueil des victimes.
Le respect de la confidentialité pour les victimes commence dès le préaccueil et l’accueil au comptoir. Elles doivent, à ce stade, énoncer le motif complet de leur plainte. L’attitude et le nombre des policiers et policières au comptoir d’accueil favorisent déjà, ou défavorisent, la confidentialité. C’est pour cela qu’un rapport de la préfecture de police de Paris, publié le 3 mars 2019, préconise que les femmes victimes de violences soient entendues dans un cadre confidentiel.
Un robot, qui ne peut se substituer à un être humain, ne saurait exercer des missions d’accueil, qui sont très importantes pour le bon déroulement du recueil des plaintes. Il me paraît incroyable d’avoir à expliquer cela ! L’accueil constitue en effet la première étape de l’accompagnement des victimes, qui ont souvent du mal à verbaliser leur expérience.
Cette expérimentation pourrait, en fait, dégrader très fortement les conditions d’accueil des citoyens, qui souhaitent privilégier les relations humaines dans des périodes parfois très difficiles de leur vie.
Mme le président. L’amendement n° 130, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :
Alinéa 148, dernière phrase
Après le mot :
ligne)
insérer les mots :
, le cyberharcèlement, notamment à caractère sexiste et sexuel
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Cet amendement vise à améliorer la formation des polices spécialisées.
Lors de l’adoption, cette année, de la loi visant à combattre le harcèlement scolaire, le volet, pourtant essentiel, portant sur la lutte contre le cyberharcèlement et le cybersexisme à caractère sexuel a été exclu du texte. Il fait véritablement défaut, alors qu’une jeune femme sur cinq serait concernée par ces situations.
Les données nous manquent pour évaluer l’ampleur exacte du phénomène, mais ses conséquences sont dramatiques et réelles : des jeunes filles mineures se suicident, victimes de harcèlement scolaire et de cyberharcèlement. Des photos d’elles nues ayant fuité circulent sur des réseaux sociaux et sur Internet.
Hors collèges et lycées, le cybersexisme est omniprésent sur nos réseaux et sur Internet et il a un impact sur le bien-être et la sécurité des jeunes filles et des femmes.
Ces situations nous rappellent que nous devons faire appliquer, comme l’a annoncé le ministre de l’éducation, l’obligation de dispenser des cours d’éducation à la sexualité et au consentement afin d’enseigner l’égalité de genre et de lutter contre les stéréotypes et les violences sexuelles dès l’école.
Vous proposez, dans le rapport annexé, que la police spécialisée dans la protection des enfants puisse sensibiliser les élèves aux violences sexistes et sexuelles, au harcèlement scolaire et au cyberharcèlement dans les écoles. Je vous propose d’inclure dans ces sessions les spécificités du cybersexisme à caractère sexuel, car cette thématique est encore trop méconnue dans la formation des polices spécialisées.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Ils sont de natures diverses, madame le président !
L’amendement n° 180 porte essentiellement sur le développement de l’application Ma sécurité. J’avoue que je ne la connaissais pas. Je l’ai téléchargée sur mon téléphone portable et je la trouve intéressante et efficace. À mon avis, elle constitue une amélioration pour les victimes. Je suis donc défavorable à la suppression des alinéas qui la concernent.
Sur l’amendement n° 76, le ministre nous donnera son avis, mais je pense qu’il est tout à fait favorable au développement de la présence d’officiers de liaison LGBT+. Le déploiement qui se poursuit actuellement est plutôt une réussite. Toutefois, si nous l’inscrivons dans le rapport, il faudra aussi y inscrire d’autres catégories.
L’amendement n° 131 a pour objet de permettre l’enregistrement des dépositions effectuées par les femmes dans des conditions respectueuses de leur intimité. De telles conditions sont déjà assurées pour les mineurs, mais paraissent moins justifiées pour les femmes adultes : lorsque plusieurs auditions se succèdent, c’est en principe pour obtenir des précisions et des compléments d’information. Et il ne faut pas sous-estimer les moyens techniques et les locaux qu’il faudrait mobiliser pour mettre en œuvre cet amendement. L’avis de la commission est donc défavorable.
L’amendement n° 9 tend à prévoir le maintien d’une maison de confiance et de protection de la famille dans chaque département à compter de 2024. L’idée me paraît bonne, mais j’attends de connaître l’avis du ministre. S’il y est favorable, nous y serons également favorables.
L’amendement n° 173 rectifié a pour objet de renforcer l’accessibilité des brigades et des commissariats. C’est cohérent avec d’autres amendements que nous avons adoptés. L’avis de la commission est donc favorable.
L’amendement n° 73 a pour objet de supprimer l’expérimentation de robots d’accueil dans les commissariats et brigades. Mais ce n’est qu’une expérimentation ! Il n’y aura évidemment pas de robots d’accueil dans tous les commissariats pour remplacer le personnel. De telles expérimentations sont d’ailleurs conduites dans d’autres services publics. Je pense à des mairies – j’ai été maire pendant vingt-neuf ans – ou à certains établissements pour personnes âgées. Ces robots apportent une aide significative, mais ne sauraient en aucun cas remplacer la présence humaine : ce n’est d’ailleurs pas ce qui est prévu dans le rapport. J’émets donc un avis défavorable.
J’en viens enfin à l’amendement n° 130. Des actions de prévention contre les violences sexuelles et sexistes, le harcèlement, notamment en ligne, sont explicitement prévues dans le rapport. L’amendement me semble donc satisfait, la commission est donc défavorable à cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. L’amendement n° 180 concerne l’application Ma sécurité, que je vous recommande de télécharger pour voir de quoi nous parlons.
Cette application permet de savoir quel est le service de police et gendarmerie le plus proche de chez vous. C’est pratique de connaître leurs coordonnées et leurs horaires d’ouverture. Cela ne me semble pas très attentatoire aux libertés.
Il est aussi possible d’y déposer une préplainte en ligne, comme on peut déjà le faire sur un ordinateur. Là encore, c’est pratique, et cela n’attente guère aux libertés.
Cette application permet enfin de discuter en direct avec un policier ou un gendarme. Vous pouvez le faire pendant que nous parlons : il est possible de poser des questions sur le droit, sur la démarche à suivre pour déposer une plainte, sur les documents dont il faut se munir, etc.
Si vous êtes une femme et que l’on est en train de vous importuner dans les transports en commun, si vous n’osez pas appeler le 17 et demander de l’aide à voix haute, au risque peut-être de devoir patienter en ligne, vous pouvez contacter la police discrètement, comme si vous envoyiez des messages à un ami.
Cette application permet donc de renforcer la sécurité, elle n’est pas destinée à remplacer le rapport à la victime par le tout-numérique. Elle est simplement l’un des outils permettant de répondre à un certain nombre de besoins de nos concitoyens. J’ai donc du mal à comprendre l’amendement n° 180.
Sur l’utilisation des robots, permettez-moi de vous lire le texte du rapport, que j’ai en grande partie écrit moi-même. Je me souviens très bien que je n’ai pas proposé le remplacement des femmes et des hommes de la police nationale par des robots !
À la première ligne et en caractères gras, il est écrit : « Les accueils physiques des brigades et des commissariats seront modernisés. » Puis : « la brigade et le commissariat de 2030 ne ressembleront en rien à ceux d’aujourd’hui. » Je l’espère ! Il est question en particulier des espaces d’accueil, qui ne sont pas ce qu’on fait de mieux dans les services publics : l’accueil d’un commissariat de police ou d’une brigade de gendarmerie, où l’on ne passe pas forcément des moments agréables, que l’on soit victime ou accusé, n’est pas toujours très humain ou très accueillant, il faut bien l’avouer. On n’y est pas toujours reçu de la manière la plus riante qui soit, nous pouvons le constater ensemble. Enfin, il est indiqué dans le rapport qu’un « effort conséquent en termes de confidentialité et d’ergonomie dans les accueils des brigades et casernes sera réalisé. »
Je signale qu’il n’est plus nécessaire, désormais, d’énoncer sa plainte devant tout le monde. À l’accueil de chaque commissariat, lequel est d’ailleurs souvent tenu par un personnel civil – de même que dans beaucoup de gendarmeries –, ont été installés depuis plus d’un an un rond orange et un rond bleu. Si vous êtes une femme victime de violences, vous ne dites même pas qui vous êtes, vous n’évoquez même pas la raison de votre présence, vous n’avez donc pas à formuler votre plainte, vous n’avez qu’à désigner le rond et les services de police vous conduisent immédiatement devant un officier de police judiciaire.
Cette idée émane de policiers du Mans qui avaient compris la difficulté qu’avaient certaines femmes à venir déposer plainte et à dire devant plusieurs personnes, devant plusieurs victimes potentielles, qu’elles étaient victimes de violences conjugales par exemple. J’ai rencontré ces policiers et nous avons généralisé leur dispositif. Nous n’autorisons donc plus les policiers à demander l’intégralité de l’intitulé de la plainte à l’accueil.
Il est aussi dit dans le rapport que, « au-delà des efforts nécessaires en termes immobiliers, il s’agira de généraliser la prise de rendez-vous en ligne, d’accentuer le déploiement des bornes d’accueil, la diffusion vidéo de contenus pour optimiser les temps d’attente ».
Il n’est pas anormal, en effet, que, durant le temps d’attente, des vidéos vous expliquent vos droits, vous indiquent que le policier ne peut pas vous refuser la présence d’un avocat lorsque vous déposez plainte ou vous informent que vous devez apporter un certain nombre de documents pour déposer une plainte, comme une pièce d’identité… On n’y pense pas forcément lorsque l’on vient déposer plainte et que l’on est en état de choc. Dans n’importe quel lieu ou service public, on diffuse ce type de vidéos sur les démarches administratives. C’est une forme de modernité, de même que le robot d’accueil, comme l’a bien dit le rapporteur.
Un robot d’accueil suffit, par exemple, lorsqu’il ne s’agit que d’obtenir des informations. Bien des personnes entrent dans un service de police pour des raisons qui n’ont rien à voir avec des enquêtes : pour demander leur chemin, pour obtenir des copies de documents égarés, pour déclarer la perte d’une pièce d’identité… Est-il indispensable de prendre du temps d’un policier pour traiter ces requêtes ? C’est possible si vous n’avez aucune envie de discuter avec une borne numérique, mais cette dernière est la plupart du temps beaucoup plus pratique. Il vaut mieux que le policier consacre son temps à des affaires plus complexes, qui demandent plus de pâte humaine, plus de travail d’enquêteur.
D’ailleurs, la Poste fait la même chose : si vous souhaitez acheter des timbres ou déposer des chèques, vous pouvez utiliser une borne numérique ; pour des opérations plus complexes, vous pouvez vous adresser à une personne physique. Les temps d’attente sont ainsi réduits et tout le monde est content ! Le choix demeure : personne n’est obligé d’utiliser la borne numérique. On voit cela aussi dans les mairies, dans la plupart des services publics et dans la plupart des pays qui nous entourent.
J’ai donc du mal à comprendre comment on peut s’opposer à des évolutions aussi évidentes.
Il est aussi indiqué dans le rapport que « plus systématiquement qu’aujourd’hui, la pratique dite du mystery shopping ou “usager mystère” sera développée. » Je suis en effet le premier ministre de l’intérieur à demander à des usagers mystères du service public de se rendre dans les commissariats, dans les brigades de gendarmerie, et de me faire remonter directement ce qu’ils ont vu. Je le ferais moi-même, si je ne commençais à être un peu connu des services de police – même s’il en existe encore qui ne me reconnaissent pas tout à fait ! (Sourires.) Quand vous arrivez très tard le soir, sans prévenir personne, vous voyez comment vous êtes accueilli dans le service public de police ou de gendarmerie.
Il est évident qu’il faut pouvoir contrôler la qualité du service public. D’ailleurs, aussi bien sur les moteurs de recherche dits américains que sur le site service-public.fr, les commissariats et brigades de gendarmerie ne sont pas les plus mal notés des administrations pour leur accueil. Il arrive effectivement qu’on y soit mal reçu, je ne dis pas le contraire, mais des efforts très importants ont été faits.
Je le répète, j’ai du mal à comprendre l’amendement n° 180, sur lequel j’émets donc un avis défavorable.
J’émets à l’inverse un avis favorable sur l’amendement n° 76 de M. Benarroche, quoiqu’il soit légèrement redondant par rapport à ce qui figure déjà dans le texte. Mais comme le rapporteur ne s’y oppose pas et que le thème est important…
J’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 131, car l’article 15-3 du code de procédure pénale prévoit déjà une remise systématique et immédiate de la copie du procès-verbal de la plainte. Cet amendement est donc largement satisfait, comme l’a dit le rapporteur. Je m’engage bien volontiers, monsieur le sénateur, à renouveler mes instructions aux services de police dans les cas où les situations constatées ne correspondraient pas au droit.
J’émets un avis favorable sur l’amendement n° 9, qui me paraît frappé au coin du bon sens. Le Nord est un grand département, parmi les plus peuplés de France. C’est celui qui compte le plus grand nombre de parlementaires. Il mérite donc plusieurs maisons d’accueil pour les enfants et pour les femmes, puisqu’on y déplore beaucoup de violences intrafamiliales. Il serait absurde de se limiter à une maison d’accueil par département.
Pour les mineurs, le sujet n’est pas tant la création des maisons de confiance et de protection de la famille que la question de savoir comment les policiers ou les gendarmes traitent les auditions des enfants. Les procureurs de la République demandent, pour ce type d’audition seulement, une retranscription au mot près. Or, pour entendre un enfant de 4 ans ou 5 ans qui a subi des viols, il faut beaucoup de temps d’audition, afin d’obtenir un maximum d’informations qui pourront aider dans la suite de la procédure pénale. En conséquence, il arrive que des policiers ou des gendarmes passent jusqu’à dix heures à retranscrire une audition particulièrement difficile, alors que celle-ci a été filmée et enregistrée. Nous pourrions auditionner bien plus d’enfants et aller plus vite si nous pouvions produire des procès-verbaux synthétiques, à charge pour le procureur de la République de visionner les images ou d’écouter la bande-son des moments qui l’intéresseraient. Nous devons progresser sur ce point avec les services du ministre de la justice, car le mieux est l’ennemi du bien.
Pour être plus efficaces face à l’augmentation des violences sur les mineurs, nous devons aussi mobiliser les nouvelles technologies. Par exemple, l’intelligence artificielle ou encore les logiciels de reconnaissance vocale permettent d’obtenir automatiquement des comptes rendus d’audition. Les utiliser serait une mesure de bon sens pour accélérer la procédure.
De manière extrêmement technocratique, le ministère de l’intérieur et l’État profond qu’il abrite indiquent que l’amendement n° 173 rectifié est satisfait et qu’il faut donc le rejeter. Pour ma part, j’y verrais plutôt une raison de l’adopter… J’émets donc un avis favorable sur cet amendement, qui porte sur l’accueil dans les commissariats et brigades de gendarmerie des personnes à mobilité réduite. L’accessibilité est notre objectif principal, et nous ne sommes pas l’administration la plus en retard sur ce point. Chacun doit pouvoir se rendre devant les services de police et de gendarmerie.
Je ne reviendrai pas sur les robots d’accueil et j’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 73. J’émets enfin un avis favorable sur l’amendement n° 130 relatif au cyberharcèlement et à la formation des correspondants de police et de sécurité de l’école, pour les mêmes raisons que sur l’amendement n° 173 rectifié : puisqu’il est satisfait, autant l’adopter.
Mme le président. L’amendement n° 214 rectifié bis, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Richard, Théophile, Patriat et Hassani, Mme Phinera-Horth, MM. Dennemont, Rohfritsch et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 153
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Au regard des nombreuses spécificités, une attention particulière sera apportée aux violences intrafamiliales en outre-mer, notamment dans la formation des agents et l’accompagnement des victimes.
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Depuis 2017, le Gouvernement a placé la lutte contre les violences faites aux femmes au cœur de ses priorités. Des progrès significatifs et indéniables ont été accomplis ces dernières années dans la lutte contre ce fléau, mais celui-ci persiste, demeure et tue, surtout dans les territoires ultramarins.
L’enquête du Conseil économique, social et environnemental (Cese), menée en 2017, ou encore le rapport d’information réalisé par nos collègues Annick Billon et Michel Magras en 2020 dressaient déjà ce triste constat : les violences intrafamiliales sont plus répandues en outre-mer que dans l’Hexagone.
Toutes les catégories sociales sont touchées par les violences physiques, sexuelles, mais aussi psychologiques et économiques et dans tous les espaces de vie. Les traditions, les influences culturelles et religieuses peuvent rendre plus difficile pour les femmes la possibilité d’engager des démarches judiciaires ou de quitter le conjoint violent. L’exiguïté du territoire et la proximité des familles sont aussi des spécificités à ne pas négliger.
Des moyens sont mis en œuvre pour aider les victimes et sensibiliser les professionnels. Je pense notamment à la publication, en juillet 2022, d’un nouveau guide sur les violences faites aux femmes dans les outre-mer, élaboré par la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) à destination des professionnels ou à la mise en service du 3919, joignable 24 heures sur 24 et sept jours sur sept en outre-mer.
Néanmoins, les efforts doivent être poursuivis et les moyens renforcés afin de lutter contre les violences intrafamiliales en outre-mer, pour un accueil, une orientation et une protection des victimes plus efficaces.
Aussi, au regard de ces nombreuses spécificités, notre amendement vise à prévoir qu’une attention particulière sera portée aux violences intrafamiliales outre-mer dans la formation des agents et l’accompagnement des victimes.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Nous comprenons tout à fait la préoccupation de l’auteur de cet amendement, car nous connaissons bien la situation particulière dans les territoires d’outre-mer, où les violences intrafamiliales dépassent parfois tout ce qu’on peut imaginer.
Nous craignons toutefois qu’en stigmatisant les outre-mer, nous n’aboutissions à l’effet contraire à celui qui est recherché. Il est déjà demandé à tous les agents, dans tous les territoires, et spécifiquement dans les outre-mer, de prendre tout particulièrement en compte cet aspect.
Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis sera défavorable, non pas pour des raisons de fond, mais en raison du risque de stigmatiser les territoires ultramarins.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je comprends bien votre amendement, monsieur le sénateur de Mayotte. Les plus importantes hausses de violences conjugales et intrafamiliales sont malheureusement constatées dans les outre-mer, pour les raisons que vous avez évoquées.
Faut-il pour autant distinguer sur le territoire de la République une zone où la loi doit prévoir davantage de moyens et d’objectifs que dans d’autres ? Il ne me semble pas que ce soit un service à rendre aux territoires ultramarins, d’autant plus que l’augmentation de cette délinquance n’y est pas uniforme : ce qui est vrai à la Réunion, à Mayotte, en Martinique et en Guyane l’est moins ailleurs, notamment dans le Pacifique, par exemple. Les territoires ultramarins ne sont pas tous logés à la même enseigne.
Tout en émettant un avis défavorable sur votre amendement, monsieur le sénateur, je souhaite vous rassurer en m’engageant devant vous à mettre davantage d’OPJ dans les zones concernées, ainsi que dans le Nord-Pas-de-Calais, monsieur le rapporteur Daubresse, et en Seine-Saint-Denis. Nous savons bien que la carte des violences conjugales est souvent, mais pas exclusivement, une carte de la misère.
Vous devriez, dans la suite du texte, donner au ministre de l’intérieur la faculté d’affecter directement les OPJ. Pour autant, il ne me semble pas raisonnable de faire une discrimination entre les territoires de la République.
Mme le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.
M. Thani Mohamed Soilihi. Seuls les engagements formulés par le ministre me conduisent à retirer mon amendement.
Permettez-moi, en effet, de ne pas être d’accord avec l’argument de la discrimination. En effet, je me suis appuyé sur des rapports dans lesquels il est bien précisé que les violences sont plus importantes dans ces territoires. Je ne vois donc pas pourquoi il faudrait avoir peur de les stigmatiser en décrivant cette situation.
Cela étant, je m’en remets aux engagements du ministre et je sais qu’ils seront tenus.
Mme le président. L’amendement n° 214 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 22, présenté par Mmes de La Gontrie, Rossignol et Meunier, MM. Kanner, Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et Gillé, Mme G. Jourda, M. Jacquin, Mmes Carlotti, Conconne et Artigalas, MM. Cardon et Cozic, Mmes Le Houerou et Monier, MM. Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 159
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
Afin de mieux détecter et de mieux réprimer les violences sexuelles et sexistes infligées aux femmes et aux enfants, une juridiction spécialisée sera créée à titre expérimental pour une durée de trois ans, dans le ressort de deux cours d’appel au moins. Cette juridiction sera en charge des violences sexuelles, intrafamiliales et conjugales. Cette juridiction sera compétente pour juger les faits de viol, d’inceste et d’agressions sexuelles, d’outrage sexiste et de recours à la prostitution. Cette nouvelle juridiction aura également à connaître des violences physiques, sexuelles et morales, commises au sein du couple ou sur un enfant de la cellule familiale. Une compétence civile de la juridiction lui permettra de prendre des décisions rapidement concernant les modalités de l’autorité parentale, du droit de visite et d’hébergement ainsi que de statuer sur l’ordonnance de protection. Cette expérimentation se fera par redéploiement des moyens existants et apportera en conséquence aux magistrats engagés de nouveaux leviers pour améliorer la réponse pénale et civile vis-à-vis des violences sexuelles, intrafamiliales et conjugales.
Dans les deux ans à compter de l’entrée en application de cette réforme, il sera procédé à une évaluation de la mise en place de cette juridiction.
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Ces dernières années, plusieurs projets ou propositions de loi visant à renforcer la lutte contre les violences conjugales intrafamiliales ou de nature sexuelle ont permis des avancées significatives. Je pense à la pénalisation accrue des violences sexuelles sur mineurs de 15 ans, à la qualification pénale de l’inceste, à la reconnaissance de l’abus d’autorité en matière d’agression sexuelle, à l’allongement des délais de prescription ou encore à l’augmentation de la portée de l’ordonnance de protection.
Toutefois, en matière de lutte contre les violences conjugales, ces progrès sont encore insuffisants dans la lutte contre les violences infligées aux femmes et aux enfants : tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son compagnon ou de son ex-compagnon.
Inspirée notamment par l’exemple espagnol, l’instauration d’une juridiction spécialisée dans la lutte contre les violences faites aux femmes, rassemblant juge aux affaires familiales, juges des enfants et juge pénal est une nécessité désormais partagée tant par les associations et les différentes tendances politiques que par les principaux candidats à l’élection présidentielle.
Or, bien que le projet de loi prévoie notamment le renforcement de la lutte contre les violences intrafamiliales, cette nécessité n’est pas prise en compte.
Cet amendement a donc pour objet de proposer l’expérimentation de juridictions en charge des violences sexuelles intrafamiliales et conjugales. Cette juridiction serait compétente pour juger des faits de viol, d’inceste et d’agression sexuelle, d’outrage sexiste et de recours à la prostitution. Elle aurait également à connaître des violences physiques, sexuelles et morales commises au sein du couple ou sur un enfant de la cellule familiale.
Une compétence civile lui permettrait de prendre des décisions rapidement concernant les modalités de l’autorité parentale, du droit de visite et d’hébergement, ainsi que de statuer sur l’ordonnance de protection.
Cette expérimentation se ferait par redéploiement des moyens existants et apporterait en conséquence aux magistrats engagés dans l’amélioration de la réponse pénale et civile aux violences sexuelles intrafamiliales et conjugales un levier juridique mobilisable immédiatement.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Afin de réprimer plus efficacement les violences sexuelles et sexistes, les violences conjugales et les violences intrafamiliales, il est régulièrement proposé de créer, sur le modèle de l’Espagne, une juridiction spécialisée.
Cet amendement vise à inscrire dans le rapport annexé le principe de l’expérimentation d’une telle juridiction, avant son éventuelle généralisation, sur le modèle de la démarche qui avait été retenue récemment pour les cours criminelles départementales.
En tant que rapporteurs, nous ne sommes pas opposés à cette idée et la voie de l’expérimentation nous paraît intéressante. Néanmoins, il nous semble difficile de trancher une question aussi complexe au détour d’un amendement, sans avoir mené aucune audition ni aucun travail préparatoire, en amont de la discussion en séance publique. En outre, nous n’avons abordé cette question qu’à deux reprises au sein de la commission des lois.
Si le présent amendement n’est pas dépourvu de lien avec le texte – en particulier en matière d’outrage sexiste –, vous conviendrez qu’un amendement réformant l’organisation judiciaire aurait davantage sa place dans un texte défendu par la Chancellerie plutôt que par le ministre de l’intérieur.
De plus, sur le fond, de nombreuses questions restent en suspens, concernant notamment la procédure : cette juridiction spécialisée appliquerait-elle les procédures de droit commun en vigueur devant le juge aux affaires familiales, devant le tribunal correctionnel, devant la cour d’assises ?
Il nous faut également réfléchir au champ des compétences de cette juridiction spécialisée : doit-elle reconnaître toutes les violences sexuelles et sexistes ou s’intéresser plutôt au champ des violences conjugales et intrafamiliales ?
Cette question est très difficile à trancher, faute d’avoir entendu les acteurs concernés. Vous n’êtes pas sans savoir, d’abord, que certains professionnels expriment des réserves à l’égard de ces juridictions spécialisées et que, par ailleurs, le Gouvernement a confié une mission à notre collègue Dominique Vérien et à la députée Émilie Chandler sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Leur travail, qui va durer six mois, permettra d’éclairer les enjeux et de répondre aux nombreuses questions techniques et juridiques d’un tel projet.
Avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Cette question est très importante. Je me suis moi-même exprimé à titre personnel en faveur de ces tribunaux spécialisés, qui vont très certainement transformer le travail de la police. Je le fais à présent au nom du Gouvernement puisque la Première ministre s’est également exprimée dans ce sens.
Le meilleur argument que je puisse vous donner – en tant que commissaire aux lois, il va vous toucher – est que je ne peux défendre, dans un texte portant sur la sécurité, des transformations profondes du fonctionnement de l’autorité judiciaire. Cela ne serait ni réfléchi, comme l’a dit le rapporteur Hervé, ni logique.
Je ne vous oppose pas un non de principe, monsieur le sénateur, mais vous comprendrez que je ne peux être favorable à cet amendement sans piétiner les compétences du garde des sceaux.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. Vous avez compris l’importance de ce sujet pour notre groupe et pour les auteurs de l’amendement, en particulier pour notre collègue de La Gontrie.
Cela étant, nous ne souhaitons pas abîmer, par un vote, un projet qui suscite finalement un assez large consensus sur nos travées, jusqu’au ministre lui-même. Nous retirons donc l’amendement.
Je ne présuppose pas que ce qui a été dit ce soir vaille engagement pour la suite. Ce sujet reviendra et nous l’aborderons avec force détermination. La cause justifie que la mission parlementaire en cours et les réflexions que nous mènerons ensemble nous conduisent à aller au bout de cette démarche.
Mme le président. L’amendement n° 22 est retiré.
L’amendement n° 145, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 160
Rédiger ainsi cet alinéa :
2.6 L’inclusion de la jeunesse : un levier – parmi d’autres – pour renforcer le lien police/population
II. – Alinéa 161, deuxième phrase
Remplacer le mot :
La
par les phrases et les mots :
Cette image, qui conduit à une relation dégradée, est multifactorielle : logique parfois purement répressive dans certains quartiers, discriminations face aux contrôles de police, familiarité de langage de la part des agents… Toutes ces questions doivent être traitées sérieusement et en priorité. De manière marginale, la
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. En réaction à votre grande tirade de tout à l’heure, je suis navré de vous dire, monsieur le ministre, qu’il doit y avoir aussi de dangereux wokistes dans votre ministère !
La partie du rapport relative à la jeunesse dresse un constat que vous avez nié. Or la réalité y est écrite noir sur blanc : l’image de nos forces de sécurité est aujourd’hui dégradée auprès des jeunes.
Effectivement, il est assez absurde de justifier cette situation, comme le fait le rapport, en arguant que les effectifs de police ne ressembleraient pas assez à la jeunesse. C’est oublier les nombreux témoignages de jeunes, notamment des quartiers populaires, sur les violences injustifiées, les relations peu respectueuses des agents avec eux parfois, la répression violente des manifestations ou la multiplication des contrôles.
Nous considérons qu’expliquer la dégradation de l’image de la police auprès des jeunes par le seul manque de ressemblance entre les agents et la jeunesse est une forme de déni assez extrême, même si nous avons bien compris que ce déni était partagé sur les travées de cet hémicycle.
Plutôt que de fantasmer sur une reconquête républicaine, il faut traduire en actes les principes de la République, notamment son principe cardinal d’égalité.
Nous proposons donc de nous intéresser d’abord au cœur du problème, c’est-à-dire à la logique parfois purement répressive à l’œuvre dans certains quartiers, aux discriminations face aux contrôles, aux familiarités de langage de la part des agents et à une doctrine de maintien de l’ordre qui permet des déviances.
Bref, nous proposons de prendre en compte la parole de ceux qui sont confrontés, parfois quotidiennement, aux agents des forces de sécurité, de mettre la tête hors du sable et d’affronter les problèmes en face.
Il faut revoir en profondeur le rapport que la police entretient avec la jeunesse. Pour cela, il faut commencer par ne pas détourner le regard.
Un sénateur du groupe Les Républicains. On se demande qui est dans le déni !
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Depuis le début de ce débat, nos collègues du groupe écologiste sont dans le procès d’intention et la stigmatisation. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.) Ils attisent les tensions, avec la volonté d’aggraver les fractures.
La République a pour principe l’égalité, mais elle a aussi pour principe la fraternité. Le rapport annexé explique un certain nombre de choses sur la ressemblance entre la jeunesse et les forces de police. Il ne nie pas la dégradation des relations, mais il explore les moyens de rapprocher, souder, unir ou rassembler, plutôt que de diviser et de toujours opposer.
Je suis désolé, mais je préfère le texte d’orientation du ministère à cet amendement discriminant et haineux ! Avis fortement défavorable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé, rapporteur, applaudit également.)
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je remercie M. le rapporteur de sa remarque ; je n’aurai donc pas à formuler la même.
Monsieur le sénateur, que la jeunesse de France, comme toutes les jeunesses, soit pour partie rétive à l’autorité n’a rien d’extrêmement nouveau. Vous présentez ce phénomène comme s’il était la conséquence des mois et des années précédentes.
Vous l’avez dit, nous avons le même âge. À l’époque de notre jeunesse – nous avions alors le temps d’écouter des chansons –, un certain nombre de rappeurs très célèbres évoquaient la police nationale en termes peu amènes. C’était il y a vingt ans, à la fin des années Mitterrand. On ne peut pas dire que le pouvoir était alors particulièrement technocratique et autoritaire. C’est d’autant plus vrai que des communistes participaient au pouvoir. Le maintien de l’ordre devait alors être absolument parfait et il ne devait donc pas y avoir de difficultés particulières.
À l’âge où nos parents étaient plus jeunes, à la fin des années 1970, au début des années 1980, ils écoutaient Renaud. On ne peut pas dire non plus que l’intégralité du répertoire de Renaud Séchan soit extrêmement favorable à la police et à la gendarmerie nationale, même s’il a fini par embrasser un flic, finalement !
Voilà ce que je retiens. Sans doute est-ce le fruit de l’âge et de l’expérience… Peut-être embrasserons-nous tous un jour un policier, quel que soit notre bord politique !
Il ne faut pas non plus, monsieur le sénateur, présenter les choses comme étant les conséquences des mois et des années précédentes, comme si l’action du Gouvernement et du Président de la République expliquait la situation actuelle.
De manière générale, une partie de la jeunesse choisit l’autorité, le service de la patrie, une aventure humaine et collective – j’en ai fait la démonstration précédemment et celle-ci n’est pas discutable, puisque ce sont bien des jeunes qui sont militaires, policiers ou gendarmes –, tandis qu’une autre partie est rétive à cette autorité.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Cela ne date pas d’aujourd’hui !
M. Gérald Darmanin, ministre. Cette situation est normale et consubstantielle au fonctionnement de la société. Elle ne date pas d’aujourd’hui et vaut depuis que l’autorité et la jeunesse existent et cohabitent.
En réalité, les propos du rapporteur Daubresse sont révélateurs de la teneur de vos amendements. Le fait est qu’on cherche vos amendements favorables à la police nationale et à la gendarmerie !
Vous n’êtes pas dans l’équilibre – vous êtes le seul groupe dans ce cas, c’est un constat –, vous êtes toujours dans le contrôle ou la sanction, non pas des voyous, mais des policiers, selon une sorte de démonstration inversée. (M. Thomas Dossus proteste.) Vous dites que vous aimez la police, mais votre inconscient s’exprime à travers votre langage corporel et démontre le contraire ! (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
Mme le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Polémiquer n’est pas mon genre, mais à un moment donné, nous devons nous exprimer. Il ne faut tout de même pas faire le procès permanent des forces de sécurité, policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers.
Vous évoquez les jeunes, mais il y a aussi les quartiers urbains ou le monde rural et nous pouvons comprendre les problèmes de société qui s’y posent.
Toutefois, il y a un point que nous n’avons pas encore abordé. Chaque année, nous, parlementaires, sommes associés, sous l’autorité du ministère de l’intérieur, avec les représentants de l’État et dans l’ensemble des départements et territoires, à des journées nationales en mémoire des sapeurs-pompiers, policiers ou gendarmes décédés en service. Je suis attaché à ce devoir de mémoire. Nos forces de sécurité méritent respect et reconnaissance.
M. Laurent Burgoa. Très bien !
Mme le président. L’amendement n° 25, présenté par Mme Harribey, M. Durain, Mme de La Gontrie, MM. Bourgi, Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et Gillé, Mme G. Jourda, M. Jacquin, Mmes Carlotti, Conconne et Artigalas, MM. Cardon et Cozic, Mmes Le Houerou, Meunier, Monier et Rossignol, MM. Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 167
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
La focalisation trop importante sur les centres éducatifs fermés nuit aux autres solutions plus limitées, mais parfois plus efficaces et territorialisées. Les centres éducatifs fermés peuvent être efficaces pour permettre une prise en charge renforcée hors cadre pénitentiaire, mais nécessitent une conjonction de facteurs de réussite qui s’avère difficile à réunir. En partenariat avec le ministère de la justice, le ministère travaillera à la mise en place d’une méthodologie d’évaluation des résultats des mesures mises en œuvre et la réorientation des moyens prévus pour la création de nouveaux centres éducatifs fermés vers les dispositifs existants plus adaptés aux besoins de terrain.
La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Cet amendement vise à donner corps à l’une des préconisations du rapport d’information sur la délinquance des mineurs, fait au nom de la commission de la culture et de la commission des lois par trois de mes collègues et moi-même, et présenté le 21 septembre dernier. Il s’agit de mettre en place une indispensable évaluation des différentes mesures éducatives.
La focalisation sur les centres éducatifs fermés (CEF) nous paraît en effet excessive. S’ils peuvent être incontestablement efficaces dans la prise en charge renforcée hors cadre pénitentiaire, ces centres nécessitent une conjonction de facteurs de réussite – équipe, équipement, articulation avec le milieu ouvert –, qui se révèle difficile à réunir.
Une attention plus grande doit être portée aux autres solutions proposées par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), plus limitées, mais parfois plus efficaces et plus territorialisées. Cette évaluation, dont les critères devront être définis avec les acteurs concernés, pourrait conduire à la réorientation des moyens prévus pour la création de nouveaux CEF vers les nombreux dispositifs existants, plus pertinents.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. L’inspiration et la rédaction de cet amendement nous semblent pertinentes. Avis favorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Ces dispositions relatives à des personnes qui purgent leur peine, même si c’est en centre éducatif fermé, relèvent non pas de mes services, mais de l’évaluation des politiques publiques du garde des sceaux.
Je comprends les motivations qui sont à l’origine de votre amendement, madame la sénatrice, mais je ne peux, en tant que ministre de l’intérieur, que m’en remettre à la sagesse du Sénat.
Mme le président. L’amendement n° 111, présenté par MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 167
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Pour améliorer l’attractivité des métiers de la sécurité civile, le Gouvernement engagera aussi une réflexion qui portera notamment sur les conditions dans lesquelles l’engagement en tant que jeune sapeur-pompier ou jeune marin-pompier ainsi que le fait d’être titulaire du brevet national de jeune sapeur-pompier ou de jeune marin-pompier ouvrent droit à des points de bonification pour l’obtention des diplômes de l’enseignement secondaire.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Puisqu’il est question des jeunes, voici un amendement – nous l’avions d’ailleurs déjà déposé sur un texte précédent – dont la tonalité, vous l’attendiez, vous paraîtra plus positive.
Il vise à valoriser l’engagement des élèves sapeurs-pompiers ou marins-pompiers en leur octroyant des points de bonification pour l’obtention des diplômes de l’enseignement secondaire.
Les jeunes sapeurs-pompiers constituent un vivier majeur et indispensable pour le volontariat. Il nous semble pertinent de récompenser les qualités humaines de ces jeunes volontaires en leur octroyant des points de bonification lors des examens nationaux, comme le brevet ou le baccalauréat.
Monsieur le rapporteur, je n’ai toujours pas compris que, alors que le ministre était prêt à accepter qu’une expérimentation concluante soit inscrite dans sa programmation pour les cinq ans à venir, vous ayez émis un avis défavorable sur l’amendement relatif à l’accueil en commissariat des LGBT+. Il faudra m’expliquer !
J’en reviens au présent amendement. Là encore, vous pourriez me demander pourquoi nous soutiendrions une certaine catégorie de personnes et pas les autres. Eh bien, nous sommes disposés à soutenir également les autres !
En tout état de cause, nous voyons dans cette proposition une façon d’avancer, pour ces jeunes, dans un plan d’orientation et de programmation ministérielle, qui pourra aller plus loin dans les cinq ans à venir. Aussi, je ne comprendrais pas que cet amendement reçoive un avis défavorable, à l’heure où, de surcroît, le Gouvernement annonce une campagne de recrutement massif de pompiers volontaires.
J’en ai discuté, à Marseille, avec Grégory Allione et le contre-amiral des marins-pompiers. Cela fait partie selon eux des moyens d’atteindre les objectifs que vous leur avez vous-même fixés. La campagne de communication doit être accompagnée d’initiatives complémentaires. La présente proposition en est une. Cette forme de volontariat n’est pas moins intéressante que la musique ou que toute autre option permettant de gagner des points.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je le redis : je veille à la cohérence de nos débats. Nous avions déjà débattu ce point dans le cadre de la discussion de la loi Matras du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels.
Nous avions alors rejeté un amendement quasi identique, au motif que si l’engagement des jeunes sapeurs-pompiers doit bien sûr être valorisé, il ne faut pas introduire, par ce dispositif, une distorsion à l’égard des jeunes qui exercent d’autres activités bénévoles.
En outre, le principe d’une bonification va à l’encontre du caractère désintéressé de l’engagement comme jeune sapeur-pompier. Avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. J’ajouterai, monsieur le sénateur, que votre amendement tend à aider à obtenir des diplômes secondaires, dont le baccalauréat. Cela pose tout de même des difficultés d’organisation.
Le Gouvernement a déjà prévu que les jeunes sapeurs-pompiers puissent rentrer ces bonifications dans la plateforme Parcoursup. Cela me semble très positif.
Je me rangerai donc à l’avis de M. le rapporteur, considérant qu’une grande partie de votre demande de reconnaissance est exaucée. Avis défavorable.
Mme le président. L’amendement n° 79, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 174
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Une réflexion de fond sera menée sur l’encadrement légal et la pratique des contrôles d’identité afin de lutter contre leur banalisation, notamment en précisant les motifs légaux pouvant justifier un contrôle, et par la mise en place de récépissés de contrôle d’identité.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Nous abordons de nouveau un sujet qui vous irrite et je vous prie de m’en excuser, mais dans la mesure où je constate que nos amendements positifs ne sont pas non plus acceptés…
Selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), les forces de l’ordre ont un pouvoir d’appréciation extrêmement étendu sur l’opportunité de contrôler ou non une personne. La Défenseure des droits a reconnu pour sa part que l’enchaînement systématique des contrôles d’identité revenait à généraliser, dans certaines zones du territoire, des pratiques de contrôle d’identité discrétionnaires.
Ce sont non pas des gauchistes wokistes qui le disent, mais la Commission nationale consultative des droits de l’homme et la Défenseure des droits.
Les contrôles d’identité abusifs ou discriminatoires sont une réalité quotidienne pour bon nombre de personnes en France. Le contrôle au faciès fait qu’un même individu peut être contrôlé trois ou quatre fois dans la même semaine. Cette pratique a pour effet évident de provoquer des tensions entre les forces de l’ordre et la population.
Le 9 novembre 2016, la Cour de cassation – dont les membres ne sont pas non plus des wokistes gauchistes – a rappelé qu’un contrôle d’identité fondé sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, était discriminatoire : il s’agit d’une faute lourde qui engage la responsabilité de l’État.
Le Conseil constitutionnel a rappelé également que « la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires » était « incompatible avec le respect de la liberté individuelle ».
Pour lutter contre ces pratiques abusives, la CNCDH et la Défenseure des droits recommandent la mise en place d’un système de traçabilité des contrôles d’identité par le biais de la remise d’un récépissé à l’usager après chaque contrôle.
Cette mesure est défendue par des associations depuis plusieurs années. Si elle ne constitue pas la solution miracle pour lutter contre les discriminations, elle est un moyen pour limiter la latitude importante dans la sélection des personnes à interpeller.
Nous comprendrions que la formulation de l’amendement ne vous convienne pas, mais le rapport annexé est une feuille de route pour les prochaines années. Il paraît plus que temps d’y intégrer une réflexion sur les conditions et les dérives des contrôles qui empoisonnent la vie de certains, rarement dans le XVe arrondissement de Paris.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Nous avons eu ce débat tout à l’heure. Les rapporteurs et le ministre ont donné de longues explications qui restent valables : toutes les modalités de réalisation des contrôles d’identité sont précisées de manière limitative et respectueuse des droits de l’homme à l’article 78-2 du code de procédure pénale.
Les contrôles d’identité sur l’initiative d’un policier ou d’autres choses de ce type n’existent pas. Je suis désolé, mais je suis le ministre du logement qui a imposé aux agents immobiliers la charte de non-discrimination dans l’accès au logement pour des raisons liées au faciès. Je sais donc de quoi je parle et, franchement, je trouve que vous poussez le bouchon très loin ! Avis défavorable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. On peut ne pas être d’accord. L’expérience de M. le rapporteur est sûrement tout à fait légitime, la mienne l’est tout autant. Celle de la Cour de cassation, celle de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, celle de la Défenseure des droits ou encore celle du Conseil constitutionnel me paraissent aussi dignes d’être écoutées.
On ne peut de la sorte rejeter la proposition d’un revers de la main, sous des prétextes quelconques. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Rietmann. Mais si !
M. Guy Benarroche. Les derniers chiffres en attestent, il existe une disparité territoriale énorme, comme on l’a vu par exemple dans la façon dont se sont déroulés les contrôles des attestations covid, variables selon les endroits où ils avaient lieu. Chacun d’entre nous a pu le constater. Cela nuit à l’efficacité du travail d’enquête et de poursuite pénale. Cela nuit également à la confiance entre les citoyens et la police.
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce débat est récurrent. Depuis plusieurs années, nous voyons les tensions et l’incompréhension s’accroître entre une partie de la population, jeune ou pas jeune d’ailleurs, et nos forces de l’ordre.
Dans certains cas, minoritaires certes – je l’ai observé moi-même –, on a parfois le sentiment d’un acharnement, qui peut d’ailleurs naître d’une certaine difficulté, pour les forces de l’ordre, à appréhender les problèmes auxquels ils doivent faire face.
Pendant un moment, on nous a expliqué que les caméras embarquées allaient offrir des garanties. Or j’observe que, dans certains territoires et dans certains cas, nous n’avons toujours pas atteint le seuil de confiance réciproque entre les citoyens et les forces de l’ordre qui est nécessaire dans une République.
Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas expérimenter ni mettre en œuvre des procédés qui existent ailleurs et qui n’ôtent rien à l’autorité des forces de police, dès lors qu’ils sont généralisés et que leur pratique est reconnue.
Nous verrons d’ailleurs que, dans certains cas, les gens exagèrent : il n’y a pas autant de contrôles qu’on le dit. Je ne vois pas en quoi cette transparence serait de nature à affaiblir la relation entre la police et la population, ni même l’autorité de la police. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis toujours frappé par ce débat, au cours duquel on s’éloigne de la réalité du droit.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il s’agit de la réalité des faits !
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la sénatrice, j’ai beaucoup de respect pour votre engagement, mais vous avez dit une bêtise sur le plan juridique : les policiers et gendarmes ne procèdent pas, de leur propre initiative, à des contrôles d’identité. Ils ne le font – il en est ainsi depuis que les magistrats autorisent des contrôles d’identité – que sous l’autorité du procureur de la République.
Ils procèdent à ces contrôles – c’est le premier cas – sur réquisition du procureur de la République, dans des lieux particulièrement criminogènes, par exemple dans les gares. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) Il s’agit d’une politique pénale !
Lors de l’examen de la réforme de la police nationale, vous m’avez tous expliqué pendant deux heures qu’il fallait respecter l’indépendance de la justice et se garder de commenter les instructions des procureurs de la République et des magistrats.
Je vous dis là que lorsque les policiers et les gendarmes procèdent à des contrôles d’identité, par exemple autour des gares ou dans les stations de métro, ils le font sur réquisition du procureur de la République. Soit la justice est indépendante, soit elle ne l’est pas ! Les policiers et gendarmes contrôlent quand ils ont reçu des réquisitions de contrôle.
Les policiers et gendarmes peuvent ensuite contrôler l’identité d’une personne dans un deuxième cas : lorsqu’ils sont officiers de police judiciaire. Ces contrôles sont tout de même assez rares dans la vie de tous les jours, même si cela peut arriver, des OPJ étant présents dans les effectifs des brigades anticriminalité (BAC). Lorsqu’ils ne respectent pas les principes déontologiques et les règles de contrôle, ces OPJ se voient retirer leur habilitation. Il arrive ainsi très souvent que le procureur exerce, en opportunité, un tel contrôle.
Je rappelle que c’est non pas moi qui délivre l’habilitation, mais le procureur de la République, après avis d’une commission présidée par un magistrat.
Un policier peut enfin – troisième et dernière situation – effectuer un contrôle de sa propre initiative lorsqu’il constate une infraction, un crime ou un délit. Quelqu’un viendrait-il à dire, à la sortie du palais du Luxembourg, avoir été témoin d’un meurtre ou victime d’un vol de sac à main que le policier – dont les actes seront ensuite contrôlés par le juge des libertés – procéderait alors aux contrôles d’identité nécessaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la loi française ne permet pas aux policiers d’effectuer des contrôles de leur propre initiative. Si vous pensez, pour les raisons que vous avez évoquées, que ces contrôles sont trop nombreux, il faut soit le dire à l’occasion d’un futur débat de politique pénale – vous avez vous-même autorisé ces contrôles en votant les lois de la République –, soit expliquer – ce n’est pas ce que vous avez dit, madame la sénatrice, mais bien ce que vous avez dit, monsieur le sénateur – qu’une partie des procureurs de la République organisent sciemment en France des contrôles à répétition de certaines personnes, pour des raisons raciales ou en raison de leur faciès.
Je le répète : ce ne sont pas les services de police qui sont à l’initiative des contrôles. Ils sont sous l’autorité d’un magistrat.
Monsieur le sénateur, feriez-vous la même démonstration si je vous disais que la plupart des contrôles fiscaux s’appliquent aux personnes qui gagnent le plus d’argent ? (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) C’est exactement la même démonstration : ceux qui se rendent coupables de fraude fiscale sont en plus grande proportion les personnes qui gagnent le plus d’argent !
M. Guy Benarroche. Soyons sérieux ! Cela n’a rien à voir !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis très sérieux ! Lors du débat portant ici même sur la fraude fiscale, votre groupe m’avait interpellé et demandé d’augmenter le nombre de contrôles fiscaux. Quelles sont les personnes que nous devrions alors contrôler ? On peut se poser la question. Cette démonstration par l’absurde démonte votre propre argument.
La vérité, c’est que vous ne faites pas confiance aux forces de l’ordre.
La vérité, c’est que, pour vous, la parole de la personne contrôlée vaut celle du contrôleur.
La vérité, c’est que pour vous, un individu en uniforme, qu’il soit un homme ou une femme, est par nature suspect !
La vérité, c’est que ce ne sont pas les jeunes qui n’aiment pas l’autorité, c’est votre groupe politique ! (M. Thomas Dossus se récrie. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. L’amendement n° 129, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :
Alinéa 174
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Afin de lutter contre les contrôles d’identité discriminatoires pouvant avoir lieu dans les quartiers dits sensibles dans des zones n’étant pas assez attractives comme l’Île-de-France, des moyens sont mis en place pour fidéliser les personnels de police expérimentés, afin que ceux-ci puissent encadrer les personnels de police plus jeunes.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Je citerai de nouveau la Commission nationale consultative des droits de l’homme, selon laquelle « les forces de l’ordre ont un pouvoir d’appréciation extrêmement étendu sur l’opportunité de contrôler ou non une personne ».
Dans son avis sur les rapports entre police et population visant à rétablir la confiance entre la police et la population, cette même commission relève que les jeunes policiers en fonction dans certains quartiers dits sensibles témoignent d’un manque d’encadrement par des policiers plus seniors. N’étant pas originaires d’Île-de-France et ne souhaitant pas y rester, ils peuvent être conduits à mener des actions de type contrôle au faciès.
Dans son rapport de décembre 2019, la Cour des comptes souligne notamment que la préfecture de police de Paris « souffre d’une faible attractivité, d’un déficit en personnel confirmé et d’un grave sous-encadrement ».
Cet amendement vise donc à aider nos forces de l’ordre. Il vise à prévoir un renforcement de l’encadrement des jeunes policiers dans les quartiers dits sensibles par des policiers plus seniors, afin d’augmenter l’attractivité de ces zones et de réduire le mal-être policier.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 88, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires est ainsi libellé :
Après l’alinéa 175
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Afin de prévenir de bavures policières ou d’accidents mortels lors des interpellations policières, le Gouvernement prend des mesures visant à interdire définitivement les techniques d’immobilisation qui auraient pour effet d’entraver les voies respiratoires, telles que le pliage, la clé d’étranglement et le placage ventral.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Mes propos vont encore vous faire plaisir – je le sens –, mais je vous prie de m’en excuser : quand nous citons un certain nombre d’organismes, y compris gouvernementaux et officiels, pour tenter de résoudre certains problèmes, nous sommes accusés, en retour, d’être des extrémistes gauchistes !
Cet amendement, inspiré des travaux de l’association Action sécurité éthique républicaine (ASER) et de la proposition de loi de notre collègue député François Ruffin – ce n’est pas un bon point pour moi, je le sais… –, enjoint au ministère de l’intérieur de renoncer aux pratiques d’immobilisation létales qui ont conduit à de nombreux accidents mortels.
Ainsi, Cédric Chouviat est décédé le 5 janvier 2020, après son interpellation, à la suite d’une fracture du larynx provoquée par une clé d’étranglement et un maintien au sol.
Le 16 novembre 2017, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour la mort de Mohamed Boukrourou du fait d’un « traitement inhumain et dégradant » et à la suite de son interpellation et de son immobilisation.
Le 19 juin 2018, la Cour européenne des droits de l’homme a de nouveau reconnu la responsabilité de la France pour négligence dans le décès d’Ali Ziri, dont la mort serait due à un pliage ventral.
En 2007, la Cour européenne des droits de l’homme avait déjà condamné la France pour le décès de Mohamed Saoud, qui avait été maintenu au sol pendant trente-cinq minutes dans une position susceptible d’entraîner la mort par asphyxie, une forme d’immobilisation hautement dangereuse.
Toutes ces techniques très controversées ont conduit le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, à entériner dans une note de service le renoncement en toutes occasions aux techniques de la clé d’étranglement et du plaquage ventral.
Le plaquage au sol est également une technique policière controversée : il a provoqué au moins quatre cas mortels en France depuis 2005. Interdit en Suisse, en Belgique et dans certaines villes des États-Unis, il reste toujours autorisé et pratiqué en France.
Si certaines de ces pratiques ont déjà été prohibées par la direction générale de la police nationale dans des notes d’instructions, elles ont encore été pratiquées sur le terrain à certaines occasions.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Cet amendement entre dans le champ d’une mission d’information en cours, la mission sur les moyens d’action et les méthodes d’intervention de la police et de la gendarmerie, dont Mmes Carrère et Di Folco sont rapporteures.
Comme je l’ai déjà indiqué, il me semble préférable d’attendre les conclusions de cette mission avant d’adopter une position. C’est pourquoi la commission est défavorable à cet amendement.
M. Philippe Mouiller. Très bien !
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. J’ai bien entendu l’argument du rapporteur. Or le Sénat a précédemment inséré dans ce projet de loi d’orientation et de programmation des dispositions sur la police judiciaire, alors même que la commission des lois a lancé une mission d’information sur ce sujet… Par cohérence, on pourrait en faire de même avec cet amendement !
J’ajoute que, si certaines des pratiques en question sont déjà prohibées par la direction générale de la police nationale – je l’ai dit –, le groupe écologiste demande leur prohibition formelle par le ministère de l’intérieur via une inscription dans la loi.
Nous espérons a minima une clarification à venir de la doctrine du ministère de l’intérieur. Si les techniques d’immobilisation sont un outil nécessaire pour les forces de l’ordre, il reste que leurs conséquences potentielles doivent être prises en compte dans leur mise en œuvre – ce serait une bonne orientation pour le ministère.
Il est dommage de ne pas vouloir interdire les plus dangereuses d’entre elles pour faire l’économie d’une formation initiale plus complète et plus complexe et d’une formation continue plus adaptée et plus fréquente.
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 82, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 175
Insérer neuf alinéas ainsi rédigés :
Dans un souci de rétablir la confiance des citoyens avec les organes de contrôle des forces de l’ordre, le Gouvernement s’engage vers une réforme en profondeur de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) et de l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Cette réforme permettrait notamment, en parallèle de l’existence de l’IGPN et de l’IGGN, la création d’un déontologue des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs missions et des forces de sécurité privées, bénéficiant d’un pouvoir d’investigation en cas d’infraction pénale commise par un membre des forces de l’ordre.
Le Déontologue des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs missions et des forces de sécurité privées est nommé sur proposition du Défenseur des droits par le Premier ministre, après avis conforme des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, en indiquant qu’il doit s’agir d’un magistrat de l’ordre judiciaire. Il est chargé :
1° De superviser le traitement des plaintes contre les forces de police et de gendarmerie nationale ;
2° De veiller au respect par les forces de l’ordre des lois et règlements et du code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale ;
3° D’enquêter sur le fonctionnement, les activités et les méthodes des services de police et de gendarmerie nationale sur l’ensemble du territoire ;
4° D’instruire les affaires disciplinaires concernant les forces de l’ordre ;
5° De procéder à des investigations en cas d’infraction pénale commise par un membre des forces de l’ordre.
Le Déontologue des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs missions et des forces de sécurité privées est chargé d’évaluer et de mettre à jour la pertinence et l’efficacité des formations initiale et continue des forces de l’ordre et leurs méthodes de recrutement. Il veille à la prévention des risques psychosociaux et à la lutte contre le harcèlement. Il veille à la bonne organisation et au bon fonctionnement des services de police grâce à des études et des évaluations des règles et pratiques professionnelles relatives à la déontologie. En conséquence, il soumet annuellement au ministre de l’intérieur la révision des normes de conduite applicables par les forces de police dans leurs relations avec le public.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement, inspiré de la proposition de loi de notre ancienne collègue Sophie Taillé-Polian, aujourd’hui députée, visant à rétablir la confiance entre les citoyens et les forces de l’ordre, a pour objet de demander au Gouvernement la création d’une autorité indépendante, rattachée au Défenseur des droits, chargée de la déontologie des forces de l’ordre.
Les instances actuelles chargées d’enquêter sur les bavures policières – IGPN et IGGN – ne remplissent pas leur rôle : défaut de célérité des enquêtes, manque d’impartialité et de transparence.
Le Défenseur des droits le répète depuis de nombreuses années : le respect de la déontologie par les forces de l’ordre constitue un élément central de la confiance des citoyens à l’égard des institutions.
En 2019, les réclamations contre la déontologie des forces de l’ordre ont augmenté de 29 %. La police des polices s’est vu confier 1 460 enquêtes judiciaires la même année, dont plus de la moitié vise des accusations de violences de la part des forces de l’ordre.
Le Défenseur des droits a demandé l’engagement de poursuites disciplinaires dans trente-six dossiers. Or aucune de ses demandes n’a été suivie d’effet. Aucune !
Quant aux sanctions pour discriminations, elles sont, selon la CNCDH, quasi inexistantes.
Le Président de la République, Emmanuel Macron, avait annoncé la création d’un organe de contrôle parlementaire des forces de l’ordre, aux contours encore indéfinis, lors d’un discours à l’école de police de Roubaix, le 14 septembre 2021. Cette annonce n’a pas été suivie d’effet. Notre groupe propose au Gouvernement d’inscrire son projet dans sa programmation.
La réforme d’ampleur de l’IGPN annoncée par le précédent ministre de l’intérieur le 8 juin 2020 semble, selon les mots du professeur de droit Olivier Cahn, avoir rejoint le vaste cimetière des promesses de circonstance destinées à apaiser l’opinion publique après une bavure.
L’État doit de toute urgence réformer la culture policière, ce qui suppose de modifier en profondeur les organes de contrôle compétents.
Mme le président. L’amendement n° 121, présenté par M. Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Gillé et Jacquin, Mmes Le Houerou, G. Jourda et Artigalas, M. Cozic, Mmes Conconne, Meunier et Carlotti, M. Cardon, Mmes Monier et Rossignol, MM. Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 175
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
Réforme de l’organisation et du fonctionnement des corps d’inspection des forces de l’ordre nationales
La réforme de l’organisation et du fonctionnement des corps d’inspection des forces de l’ordre nationales sera engagée. Elle se traduira par l’élaboration d’un modèle reposant sur un organisme public indépendant qui exercera ses missions, en coordination avec les inspections générales (inspection générale de la police nationale, inspection générale de la gendarmerie nationale et inspection générale de l’administration). Cet organisme public indépendant sera doté d’un pouvoir d’initiative d’enquêtes et sera composé de membres appartenant aux corps respectifs de la police et de la gendarmerie nationales, du Défenseur des droits et de personnalités qualifiées.
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Cet amendement est le premier d’une série de trois qui concernent la question des relations entre la police et la population.
Le paragraphe 2.7 du rapport annexé s’intitule : « Garantir la transparence et l’exemplarité de l’action des forces de l’ordre ». Il souligne, à juste titre, que la demande sociale d’exemplarité dans le comportement des forces de sécurité s’accroît et qu’elle s’exprime à travers une revendication d’indépendance et de transparence des organes de contrôle. Nous avons évidemment abordé ces sujets, qui font souvent l’actualité, dans le cadre du Beauvau de la sécurité.
Malheureusement, il me semble que les pistes qui sont envisagées par le ministère n’empruntent pas cette direction, même si nous prenons acte de la création d’un comité d’éthique auprès du ministère de l’intérieur et de la modernisation annoncée des plateformes de signalements effectués auprès des inspections générales.
Il est rappelé à raison dans le rapport annexé que les mécanismes actuels de contrôle interne des forces de l’ordre sont l’objet de critiques récurrentes, justifiées par leur manque d’indépendance qui entretient un soupçon de partialité et ne favorise pas toujours l’amélioration des relations entre la population et les forces de sécurité.
Nous en connaissons les raisons. Outre l’effet de corps lié à la composition actuelle des organes de contrôle, qui comprennent majoritairement des policiers et des gendarmes, ces derniers sont rattachés organiquement au ministère de l’intérieur via les directions générales de la police et de la gendarmerie nationales.
De ce fait, il y a une forme d’entre soi professionnel qui entretient une culture qu’on pourrait qualifier de corporatiste.
Il nous semble que nous pouvons nous inspirer de ce qui a été proposé lors du Beauvau de la sécurité, en particulier de l’exemple britannique emblématique de l’Independant Office for Police Conduct (IOPC). Cet office indépendant est chargé d’instruire les affaires les plus graves, il peut s’autosaisir, il ne rend pas compte à l’exécutif, il dispose de son propre budget et de ses propres enquêteurs, lesquels ne sont pas rattachés à un service actif de la police, et ses directeurs ne peuvent pas, du fait de la loi, être des policiers.
Le critère d’indépendance du contrôle de l’usage de la violence par la police est essentiel dans un État de droit. C’est la condition d’un retour en légitimité, dont les autorités de contrôle n’auraient jamais dû se départir.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Les auteurs de ces deux amendements ne mentionnent pas le fait qu’une réforme des inspections a d’ores et déjà été lancée pour rendre leur travail plus lisible et plus efficace.
Le rapport annexé prévoit déjà la publication des rapports des inspections, ce qui améliorera la transparence, le renforcement de la formation en matière de déontologie des policiers et des gendarmes ou encore l’instauration au sein de l’inspection générale de la police nationale d’un comité d’évaluation de la déontologie incluant des représentants de la société civile.
L’avis est donc défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Les sénateurs Durain et Benarroche soulèvent ici une question très importante, même si l’amendement n° 82, certes tempéré par celui de M. Durain, ne constitue pas vraiment une marque de confiance envers les forces de l’ordre… Monsieur Benarroche, vous semblez être pris d’une folie de contrôles et de sanctions, emporté par une sorte d’autoritarisme finalement, qui ne ressemble guère à la manière dont vous abordez d’autres sujets…
L’absence de fait divers dans l’actualité récente devrait nous permettre d’avoir une discussion apaisée sur ce sujet.
Je soulignerai d’abord un paradoxe : ce sont les magistrats instructeurs qui saisissent librement – c’est l’article 12-1 du code de procédure pénale – le service qui mène une enquête. C’est bien de manière tout à fait libre que le procureur de la République ou le juge d’instruction saisit l’IGPN, l’IGGN ou tout autre service de police judiciaire. L’IGPN et l’IGGN, en tant que services enquêteurs, ne s’autosaisissent pas, elles sont saisies par un magistrat.
Or je pense pouvoir dire que nous sommes tous très attachés au libre choix du service enquêteur par le magistrat instructeur.
J’ajoute que si l’IGPN ou l’IGGN ne respectaient pas les règles déontologiques ou démocratiques, celles d’un État de droit, les magistrats instructeurs ne les saisiraient pas !
Par ailleurs, votre intervention, monsieur Durain, me paraît datée. Depuis le Beauvau de la sécurité, j’ai nommé un magistrat à la tête de l’IGGN comme à celle de l’IGPN, en l’occurrence dans cette dernière une ancienne procureure de la République.
Ces nominations n’ont pas de précédent dans l’histoire du ministère de l’intérieur ! Je le redis, c’est la première fois que le ministre de l’intérieur nomme à ces postes des personnes qui ne sont ni des policiers, ni des gendarmes, ni des préfets, ni des fonctionnaires du ministère de l’intérieur. Ce sont donc bien des magistrats, qui plus est de l’ordre judiciaire, qui sont dorénavant chefs des inspections, c’est-à-dire responsables des enquêtes qui sont menées.
Ces nominations, qui découlaient directement des débats que nous avons eus lors du Beauvau de la sécurité, n’ont pas suscité de contestation dans les rangs des policiers ou des gendarmes.
Par conséquent, il est désormais faux de dire que ce sont des policiers ou des gendarmes qui dirigent les inspections.
Par ailleurs, l’IGPN et l’IGGN ne sont pas seulement des services d’enquête, ce sont aussi des services d’inspection à la disposition des directeurs d’administration centrale et du ministre de l’intérieur, comme cela existe dans d’autres ministères avec l’inspection générale de la justice, l’inspection générale des finances (IGF) ou encore l’inspection générale de l’environnement et du développement durable.
C’est donc « mon » inspection, si j’ose dire, et elle me rend des rapports à ce titre. Ainsi, personne n’a contesté le fait que l’IGPN était qualifiée pour rédiger un rapport sur la réforme de la police judiciaire.
Il me semble que vos amendements devraient distinguer clairement les fonctions d’enquête et d’inspection de ces services. Personne n’imagine que l’inspection générale de la justice soit indépendante du ministre de la justice ou que l’inspection générale des finances le soit du ministre de l’économie et des finances. C’est le principe même d’un service d’inspection de dépendre de son ministre de tutelle !
J’ajoute que l’IGF peut, comme l’IGPN et l’IGGN, être saisie par la justice pour effectuer un contrôle, par exemple lorsque la question du secret fiscal se pose. Ce n’est pas très fréquent, mais cela existe. Personne ne dit dans ce cas que l’IGF est juge et partie.
Il est vrai qu’il existait un certain nombre de difficultés dans le fonctionnement de l’IGPN et de l’IGGN, par exemple le faible nombre d’enquêteurs – nous l’avons augmenté –, l’absence de publication des rapports – comme le rapporteur l’a indiqué, j’ai décidé la publication de tous les rapports – ou encore l’absence de délai fixé aux directeurs généraux pour réagir à ces rapports – je leur ai demandé de prendre, dans un délai de deux mois, les sanctions demandées par l’IGPN ou l’IGGN.
Je pense que ces améliorations, notamment la nomination de magistrats à la tête des inspections, ont été largement relevées, y compris par la Défenseure des droits – je l’en remercie.
Autre critique que j’ai entendue : le Gouvernement n’a pas créé d’organe de contrôle parlementaire. C’est tout de même une drôle de critique, sachant qu’il y a séparation des pouvoirs ! Il ne revient évidemment pas à l’exécutif d’intervenir dans le fonctionnement des assemblées. Nous sommes favorables, de notre place, à la création d’un tel organe de contrôle, comme cela existe pour les services de renseignement, mais c’est au Sénat et à l’Assemblée nationale de prendre cette décision, s’ils le souhaitent. Cette critique s’adressait donc non pas à l’exécutif, mais plutôt à votre assemblée !
Il se trouve en outre que l’IGPN et l’IGGN ne sont pas la reproduction du corps des policiers et des gendarmes, qui ont d’ailleurs souvent une image assez peu positive des inspections.
Ainsi, le film Bac Nord ne met pas vraiment à l’honneur l’IGPN : on a l’impression que les policiers sont broyés par un service d’inspection technocratique venu de Paris, les « bœufs carottes » comme on les appelle dans la police.
Cela ne fait évidemment plaisir à aucun policier ou gendarme de répondre de ses actes devant l’IGPN ou l’IGGN. Ce sont de véritables services enquêteurs, avec une grande conscience professionnelle, et il n’est guère agréable de devoir leur répondre.
À partir de là, il est vrai, monsieur Durain, qu’il existe un débat de société : devons-nous créer sur ce sujet, comme nous l’avons fait sur beaucoup d’autres, une autorité administrative indépendante ? L’exécutif doit-il se dessaisir de son pouvoir disciplinaire ?
Je n’ai rien contre les autorités administratives indépendantes, mais nous rognons, en les créant, les pouvoirs de l’exécutif et du législatif. Vous n’aurez pas le débat que nous avons en ce moment même dans l’hémicycle avec le président d’une autorité administrative indépendante – il ne pourrait pas répondre à cette place à vos interpellations ou à vos critiques. Il n’est pas possible d’avoir ces mêmes échanges qu’avec un membre du Gouvernement.
Réfléchissons donc bien avant de transférer un tel pouvoir. La démocratie britannique a aussi des défauts et je ne suis pas certain que toutes ses qualités soient transposables dans la nôtre.
De plus, devons-nous dissocier la mission d’enquête des missions de conseil et d’audit ? Je ne le pense pas, parce que, lorsque nous constatons qu’une personne a commis une erreur ou une faute, nous devons bien sûr en tirer les conséquences pour cette personne, mais aussi pour la chaîne de commandement et l’organisation de la profession, par exemple en termes de formation, de matériel ou de formalisation des ordres.
Lorsqu’une sanction est prise contre un policier ou un gendarme, l’administration s’interroge également sur son propre fonctionnement et elle engage le cas échéant un certain nombre d’évolutions dans ses procédures.
Si nous séparons les missions d’enquête, d’une part, de conseil et d’audit, d’autre part, nous n’assurons pas cette fluidité.
J’ajoute que la Défenseure des droits, une autorité administrative indépendante, peut déjà être saisie de manquements sans passer par l’IGPN ou l’IGGN et qu’elle contrôle l’action des inspections – elle publie des rapports sur ce sujet, elle a d’ailleurs participé au Beauvau de la sécurité.
Bien sûr, tout n’est pas parfait, mais les réformes que nous avons engagées – nomination de magistrats à la tête des inspections, publication des rapports, délai de deux mois pour prendre des sanctions, etc. – ont permis d’améliorer les choses. Nous essayons de nous inspirer des bonnes pratiques que nous voyons ailleurs, mais il ne me paraît pas cohérent de demander au ministre de l’intérieur, et à lui seul, de se séparer de son service d’inspection.
Prenons le temps de voir ce que ces réformes, mises en œuvre voilà seulement quelques mois, changeront dans la pratique, d’autant qu’elles constituent déjà une révolution pour la maison.
Telles sont les raisons pour lesquelles je suis défavorable à ces amendements.
Mme le président. L’amendement n° 122, présenté par M. Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Gillé et Jacquin, Mmes Le Houerou, G. Jourda et Artigalas, M. Cozic, Mmes Conconne, Meunier et Carlotti, M. Cardon, Mmes Monier et Rossignol, MM. Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 175
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
Mise en œuvre de la doctrine du maintien de l’ordre au regard des règles de déontologie
La multiplication des tensions et des incidents, parfois graves, entre les forces de l’ordre et les participants aux manifestations conduira à s’interroger sur les conséquences de la doctrine du maintien de l’ordre et de sa mise en œuvre au regard des règles de déontologie qui s’imposent en la matière. Plusieurs recommandations seront formulées en vue d’apaiser la gestion du maintien de l’ordre, notamment en améliorant la formation des forces de l’ordre, en encadrant davantage l’usage des armes de force intermédiaire et en distinguant mieux les missions de police administrative de celles relevant de la police judiciaire.
La parole est à M. Lucien Stanzione.
M. Lucien Stanzione. À la lecture du rapport annexé, nous avons ressenti une certaine déception, car les sujets du maintien de l’ordre et du meilleur encadrement des interventions de police ne sont pas du tout abordés au fond.
Pourtant, la multiplication des tensions et des incidents, parfois graves, entre les forces de l’ordre et les participants aux manifestations auraient dû conduire le ministère à s’interroger sur les conséquences de la doctrine modifiée du maintien de l’ordre et de sa mise en œuvre.
Cette doctrine a apporté des garanties, mais elle prévoit le durcissement des conditions du maintien de l’ordre dans une logique de confrontation pouvant aboutir à de très fortes tensions.
Au contraire, la relation entre la police et la population devrait être fondée sur une recherche de confiance, en privilégiant le contact avec la population.
Ce constat s’inscrit dans une logique d’ensemble que nous avons dénoncée – notre amendement n° 21 contre les risques de réintroduire la politique du chiffre en était l’illustration. Cette logique conduit à évaluer les agents des forces de sécurité non pas selon leur rapport étroit avec la population et leur bonne connaissance des foules qu’ils côtoient, mais selon l’atteinte de certains indicateurs, par exemple le nombre des interpellations.
Il est nécessaire de recentrer le maintien de l’ordre sur sa mission de prévention et d’accompagnement des manifestations. Le choix du modèle dit de désescalade permettrait de diminuer la conflictualité. Cela suppose que les services de renseignement connaissent les profils et les motifs qui sont au cœur de la contestation.
Cette orientation suppose de développer le dialogue et la concertation, conditions d’une amélioration des relations entre la police et la population, de réexaminer avec courage l’équipement des policiers et des gendarmes, en le prenant en compte dans les stratégies du maintien de l’ordre, et enfin de renforcer la formation initiale et continue des agents des forces de sécurité.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Comme l’amendement n° 88, cet amendement entre dans le champ de la mission d’information sur les moyens d’action et les méthodes d’intervention de la police et de la gendarmerie, dont Mmes Carrère et Di Folco sont rapporteures.
L’avis est donc défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai moi-même évoqué une crise de l’ordre public, monsieur le sénateur.
Nous devons améliorer la formation – j’ai déjà indiqué que nous avions porté de huit à douze mois la durée de la formation initiale et que nous recrutions 750 formateurs pour les seuls besoins en formation continue.
Nous devons aussi améliorer le matériel. Je ne partage pas complètement l’idée selon laquelle la désescalade ne se fait que par le matériel. À certains moments, il n’est pas nécessaire que les policiers ou les gendarmes du maintien de l’ordre aient un matériel lourd – cela peut être perçu de manière non positive et contribuer à l’escalade. À d’autres moments, cela se justifie. Il y a aussi un aspect pratique des choses : plus le matériel est lourd, moins les policiers ou les gendarmes sont mobiles…
Le meilleur moyen pour améliorer le maintien de l’ordre, une science particulièrement difficile, c’est de disposer de plus d’effectifs !
Certes, il faut définir un schéma d’intervention. Cela a été fait, mais la première version de ce schéma a été retoquée par le Conseil d’État, si bien que nous l’avons réécrite. Je pense que ce schéma, qui n’est évidemment pas parfait, constitue une véritable avancée – il a d’ailleurs été validé par la profession.
Mais il faut d’abord davantage d’effectifs spécialisés dans le maintien de l’ordre public. Par conséquent, j’espère, monsieur le sénateur, que vous voterez la restauration de onze unités de forces mobiles. Avec plus de policiers et de gendarmes, vous permettez à chacun d’eux de se reposer et de se former. Quand il n’y a pas assez de policiers, on les fait trop travailler. Or je disais tout à l’heure que le ministère doit déjà cinq semaines de congés payés aux forces mobiles, qui sont fatiguées.
Ces agents font des centaines de kilomètres dans des fourgonnettes pas toujours très reluisantes, ils vivent souvent loin de leurs familles et ont peu de week-ends de repos, ils sont parfois insultés à longueur de manifestation – il arrive que des manifestants n’aiment pas la police, cela existe –, ils agissent parfois dans un climat de violence, voire d’hyperviolence, et sont désormais surveillés à chaque instant – ils sont filmés, sans aucun contrôle pour le coup de la CNIL… Ils exercent donc un métier extrêmement difficile.
Si en plus on sollicite des policiers dont la spécialité est non pas l’ordre public, mais la sécurité publique, on en arrive aux difficultés que nous connaissons.
C’est pourquoi il est si important de recréer des unités de gendarmerie et de CRS – les précédents gouvernements en ont malheureusement supprimé 15 en vingt ans, c’est donc une grande nouvelle pour la République ! Cela permettra aux gendarmes et aux policiers de bénéficier de temps de repos.
C’est aussi le nombre de policiers et de gendarmes déployés sur le terrain qui permet d’assurer le calme d’une manifestation : plus il y en a, moins les gens cherchent la confrontation. S’il n’y a pas assez d’effectifs, le dispositif montre des faiblesses et alors les policiers peuvent paniquer – c’est tout à fait possible – ou des manifestants, en particulier ceux qui sont venus non pas pour défendre une cause, mais pour casser du flic, peuvent avoir encore plus envie d’en découdre…
Le débat soulevé par cet amendement est extrêmement intéressant, mais je me range à l’avis de la commission pour l’ensemble des raisons que je viens d’évoquer : ce n’est pas tout à fait l’objet du texte, votre commission a lancé des travaux et nous avons nous-mêmes déjà pris un certain nombre de mesures. J’espère en tout cas que vous voterez, monsieur le sénateur, en faveur des augmentations d’effectifs et des recréations d’unités de forces mobiles que nous proposons.
Mme le président. L’amendement n° 123, présenté par M. Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Gillé et Jacquin, Mmes Le Houerou, G. Jourda et Artigalas, M. Cozic, Mmes Conconne, Meunier et Carlotti, M. Cardon, Mmes Monier et Rossignol, MM. Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 175
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
Réexamen de la législation relative à l’usage des armes par les forces de l’ordre
Depuis la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique et l’introduction de l’article L. 435-1 dans le code de la sécurité intérieure visant à mettre en place un cadre commun de l’usage des armes par les forces de l’ordre, les relevés statistiques montrent l’augmentation des tirs mortels sur les conducteurs ou passagers de véhicule en mouvement à la suite d’un refus d’obtempérer ou dans les cas d’interpellations. Cette augmentation des homicides déclenche un très légitime débat public autour des causes d’un tel phénomène. Au vu de ces faits, dans une approche pragmatique, il est nécessaire de reconsidérer la pertinence du champ d’application de la législation en vigueur permettant de recourir à la force armée pour arrêter la fuite d’une personne qui ne serait que probablement dangereuse au regard des informations dont les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale disposent au moment où ils font usage de leurs armes.
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. La commission des lois a fait le choix d’aborder la question du refus d’obtempérer par un accroissement des sanctions – c’est l’objet du nouvel article 7 bis du projet de loi.
Je vais essayer de peser mes mots, parce que c’est un sujet extrêmement délicat, qui touche à des vies humaines, celles des policiers qui se trouvent parfois mis en danger par des refus d’obtempérer et celles de ceux qui sont dans les véhicules, qu’ils soient auteurs des faits ou passagers.
Je veux aussi éviter la litanie des exemples récents de personnes ayant été tuées dans de telles circonstances.
Fait aggravant, si je puis dire, le nouveau cadre légal de 2017 sur l’usage des armes est une loi socialiste. Je ne l’ignore pas et je ne souhaite pas que nous ayons un débat sur qui a voté quoi… Selon des études récentes, la modification de la loi a sans doute induit plus de tirs policiers lors de refus d’obtempérer. Un certain nombre de vies humaines sont perdues à cause de cela.
Nous avons déjà eu une discussion sur ce sujet avec le ministre dans un autre cadre. Il est évident que les policiers agissent pour se défendre et que leur propre vie est brisée par de tels événements.
Pour autant, on constate une augmentation des tirs mortels lors de refus d’obtempérer, ce qui n’est pas le cas dans les autres situations, ainsi qu’une augmentation plus forte du nombre de personnes tuées dans ces circonstances que celle du nombre des refus d’obtempérer eux-mêmes – leur nombre augmente, on ne peut le contester.
C’est pourquoi nous proposons de réfléchir à une modification de la loi de 2017. Cela ne résoudra sans doute pas complètement les difficultés, mais ce sujet est central pour améliorer la qualité des relations entre la police et la population – je le dis avec gravité et solennité. Nous devons trouver une solution pour améliorer les choses et éviter cette triste et malheureuse actualité de policiers qui tuent des contrevenants.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. En moyenne, il y a 75 refus d’obtempérer par jour, ce qui représente une augmentation de 28 % depuis 2015.
Mme Sophie Primas. C’est un fléau !
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Le ministre l’a lui-même dit, les policiers aux funérailles desquels il assiste sont très souvent décédés à la suite d’un refus d’obtempérer. Et on voudrait désarmer les policiers ? C’est inconcevable !
Selon les auteurs de cet amendement, des études montrent l’incidence de la loi de 2017. Pour ma part, j’ai lu des études qui disent le contraire !
La commission est défavorable à cet amendement, d’autant qu’elle a adopté, sur ma proposition, un nouvel article, l’article 7 bis, qui vise à réprimer plus sévèrement les refus d’obtempérer. Il me semble que cette mesure sera plus efficace que si nous adoptions l’amendement n° 123.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. J’apprécie le travail réalisé par Marc-Philippe Daubresse sur ce texte, mais je crois que nous devons garder de la dignité dans nos débats – en tout cas, c’est ce à quoi nous nous efforçons.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Nous aussi !
M. Jérôme Durain. Il ne s’agit aucunement dans cet amendement de « désarmer » les policiers !
Le fait est que la situation sociale est parfois tendue et qu’elle pourrait s’aggraver dans les temps à venir pour un certain nombre de raisons qui sont extérieures à ce débat.
Dans ce contexte, laisser prospérer des situations lors desquelles on confronte la population aux policiers n’est pas responsable. Encore une fois, je le dis de manière d’autant plus sereine que la loi dont il est question a été votée lors d’un quinquennat socialiste. Si nous continuons à connaître des faits de ce type, l’efficacité promise tout à l’heure par Marc-Philippe Daubresse ne sera pas au rendez-vous.
Nous estimons que durcir le quantum des peines ne suffira pas et que nous devons travailler autrement. Le ministre a eu l’occasion de dire qu’il n’y avait pas de solution intermédiaire entre ne rien faire et tirer.
En ce qui me concerne, j’ai confiance dans les études et les travaux de fond qui sont menés sur ces sujets, qui montrent que la loi entraîne sans doute une perte de contrôle dans certaines circonstances. D’ailleurs, des commissaires, qui reconnaissent que cela leur pose un problème, estiment eux-mêmes que certains policiers ont parfois fait un usage inadapté de leur arme.
Nous avons la responsabilité, en tant que parlementaires, de poser cette question de fond et de ne pas en rester à des solutions faciles qui ne seront pas efficaces.
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur, je ne suis pas intervenu plus avant sur votre amendement, parce que nous aurons un débat demain ou après-demain sur les refus d’obtempérer à l’occasion de l’examen de l’article 7 bis du texte, qui a été inséré sur l’initiative du rapporteur, je le rappelle, et non du Gouvernement.
La question est extrêmement difficile.
Personne ne peut se satisfaire d’un décès, pas plus de celui d’un policier ou d’un gendarme victime d’homicide – il n’y a pas d’autre mot – que de celui de toute personne, contrevenante ou accompagnante, qui viendrait à perdre la vie lors d’un contrôle routier.
Personne ne peut non plus accepter que l’autorité de l’État soit à ce point bafouée. C’est pourtant le cas quand on ne s’arrête pas lorsqu’un policier ou un gendarme dit « stop ! ». Force doit rester à la loi. Alors que faire devant un refus d’obtempérer ? Car il y en a désormais toutes les demi-heures, en zone de police comme de gendarmerie.
Je vous prie de bien vouloir excuser cette tautologie, mais peut-être faut-il rappeler cette évidence à nos concitoyens : il faut s’arrêter quand un policier ou un gendarme vous demande de le faire. C’est le b.a.-ba ! Je sais que vous n’avez pas dit l’inverse, monsieur le sénateur, mais on ne parle pas d’une situation où il y aurait en quelque sorte égalité entre le policier et celui qui ne se serait pas arrêté.
Dans le cas d’espèce, une personne a commis un délit, à savoir un refus d’obtempérer. Lorsqu’elle est arrêtée, d’une manière ou d’une autre, on constate malheureusement très souvent qu’elle conduit sans permis ou sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants, ou qu’elle devrait être en prison ou encore qu’elle a dans sa voiture de la drogue ou d’autres substances illicites. Ceux qui décident de ne pas s’arrêter à un contrôle de police alors même qu’ils n’ont rien à se reprocher, comme on dit dans le langage policier, sont extrêmement rares. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.) Cette remarque vaut également pour nos amis douaniers, qui vivent les mêmes situations.
Nous ne sommes manifestement pas d’accord sur les statistiques, mais nous aurons peut-être l’occasion d’en reparler d’ici à la présentation de l’amendement proposé par le président Bruno Retailleau et le rapporteur Marc-Philippe Daubresse, car il est important de confronter nos chiffres. À ma connaissance, il n’y a pas eu davantage de tirs par les policiers et par les gendarmes en 2021 qu’avant la loi portée par votre majorité – il y en a même eu moins, si j’ai bonne mémoire, en 2021 qu’en 2017. Durant les années covid, c’est-à-dire en 2020 et 2021, durant lesquelles le nombre de voitures en circulation était censé avoir diminué, il y a eu plus de 150 tirs. On constate donc des refus d’obtempérer même quand on interdit aux gens de conduire, ce qui n’est pas totalement illogique…
Il est donc statistiquement faux, me semble-t-il, de dire que les policiers et les gendarmes tirent plus à cause de la disposition législative que vous avez fait voter ou en raison d’un défaut de formation, alors même que, comme le rapporteur l’a rappelé, le nombre de refus d’obtempérer a augmenté. Pour résumer, le nombre de tirs a légèrement diminué et celui des refus d’obtempérer s’est accru. Mais il est vrai qu’il y a eu davantage de tirs mortels, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.
La question à se poser est donc triple.
Les policiers et les gendarmes causent-ils plus de décès en tirant en raison d’une mauvaise formation au maniement des armes ?
Les personnes refusant d’obtempérer prennent-elles de plus en plus de risques en fonçant délibérément sur les forces de l’ordre, au lieu de simplement chercher à les éviter, ce qui pousse ces dernières à tirer devant ce que l’on peut appeler – il revient bien sûr à la justice de qualifier les faits, mais j’évoque cette possibilité pour les besoins de ma démonstration – une tentative d’homicide ?
À l’école de police, on apprend qu’il ne faut pas tirer lorsqu’une voiture prend la fuite sans foncer sur le policier. En revanche, si elle se dirige à vive allure vers l’agent, il peut, dans le respect de certaines règles déontologiques, sortir son arme et tirer.
Devons-nous considérer que nous n’avons pas trouvé les moyens techniques permettant d’arrêter des véhicules autrement que par des armes à feu ? On a inventé le LBD pour que les policiers et les gendarmes ne tirent pas avec des armes à feu sur les manifestants. On peut toujours discuter de son utilisation, mais force est de constater qu’elle emporte moins de risques létaux qu’un revolver : nous disposons donc d’une arme intermédiaire pour les manifestations. Aujourd’hui, le ministre de l’intérieur que je suis n’a pas d’arme intermédiaire à proposer, entre l’arme à feu et ne rien faire, pour arrêter un véhicule.
La loi pour une sécurité globale a permis une avancée, puisqu’il est désormais possible d’utiliser des stop sticks sans autorisation judiciaire. Jusque-là, personne, y compris les policiers municipaux, ne pouvait y recourir sans être officier de police judiciaire. C’était absurde, je vous le concède, et, avec le rapporteur Marc-Philippe Daubresse, nous avons supprimé la mesure dans cette loi. Mais c’est insuffisant.
Nous devons être un peu moins définitifs dans l’analyse des tirs mortels ou des tentatives d’homicide, selon la façon dont on regarde les choses. Monsieur le sénateur, il est plus facile d’avoir ce débat lors d’une soirée sénatoriale comme celle-ci ou dans la moiteur et le confort de mon bureau. De même, j’ai beaucoup de respect pour les commissaires de police, que vous avez évoqués, mais il se trouve que ce sont rarement eux qui se retrouvent, à deux heures du matin, avec le policier adjoint, sur une route du Lot-et-Garonne : même si certains commissaires le font, ce sont le plus souvent les gardiens de la paix ou les brigadiers-chefs qui effectuent des contrôles en pleine nuit.
Je le répète, c’est toujours facile de juger quand on n’est pas face à une voiture qui roule à 150 kilomètres à l’heure, la nuit sans phares, et qui fonce sur un de vos collègues.
Soyez-en convaincu, je suis toujours le premier à demander des précisions : quelle est la formation suivie par ces policiers ? Comment ont-ils tiré et fallait-il vraiment utiliser quinze cartouches ? Pourquoi ont-ils tiré sur le passager ? Dispose-t-on d’une vidéo ? Pourquoi n’ont-ils pas utilisé leur caméra ?
Mais je me mets aussi un instant à la place des policiers et des gendarmes quand ils m’expliquent qu’à 3 heures du matin, après cinq heures de contrôle dans le froid et déjà trois refus d’obtempérer, ils n’ont eu que quelques secondes pour décider d’utiliser ou non leur arme devant le danger représenté par une voiture fonçant dans le noir sur un de leurs collègues.
J’ai du mal à jeter l’opprobre sur eux, monsieur le sénateur, et je ne dis d’ailleurs pas que c’est ce que vous faites. On aura beau faire des études statistiques et sociologiques, examiner les modalités de la formation – et il faut sans doute les faire –, à la fin des fins, ce n’est pas nous qui sommes devant ces véhicules qui foncent à 150 kilomètres à l’heure, quand les pères et mères de famille que sont les policiers et les gendarmes se demandent comment réagir.
Leur réaction peut parfois être considérée comme excessive, mais c’est à la justice d’en décider ; mais quelquefois on se dit que leur comportement est compréhensible. Je constate d’ailleurs qu’une affaire évoquée par les médias ne fait souvent plus parler d’elle au bout de quelques jours, alors qu’il serait intéressant de regarder dans le calme ce qu’il en est.
C’est parce que l’IGPN et l’IGGN ont une bonne réaction en mettent systématiquement en garde à vue les policiers ou les gendarmes qui ont tiré, même si ceux-ci sont parfaitement dans leur droit. Elles attendent ensuite par précaution la décision du procureur de la République pour savoir s’ils sont mis en examen, ce qui peut arriver. Cela montre bien qu’on ne laisse pas faire n’importe quoi à des gens qui incarnent la violence légitime.
On ne peut pas dire non plus, mais vous le savez bien, monsieur le sénateur, qu’il ne se passe rien quand un policier tire. Pour lui, c’est toujours un problème personnel, humain et juridique.
Je le répète, à mes yeux, ce sujet est très important. J’entends bien que certains réclament un meilleur encadrement, mais il faut aussi prendre en compte la détresse de ceux qui incarnent l’autorité de l’État, policiers ou gendarmes, lorsqu’une personne ne s’arrête pas devant leurs injonctions. La question se pose à tous ceux qui sont au pouvoir, quelles que soient leurs sensibilités politiques.
Mme le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, il est un peu plus de minuit ; je vous propose de prolonger notre séance jusqu’à minuit et demi afin d’aller plus avant dans l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 146, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 177
Rédiger ainsi cet alinéa :
Un comité d’éthique indépendant sera créé pour évaluer l’action du ministère de l’intérieur. Sous la présidence du Défenseur des droits et composé de représentants du monde universitaire – chercheurs en criminologie, en sociologie et dans toutes les branches des sciences humaines et sociales intéressées par les questions de sécurité –, de représentants du monde associatif et de la population, il pourra se saisir de tous les sujets concernant les prérogatives du ministère. Il sera structuré en collèges thématiques (par exemple, maintien de l’ordre, technologies, interventions des forces de l’ordre, rétention, relation police/population, etc.). Les recommandations émises par le comité seront immédiatement prises en compte par le ministère qui rendra compte de son action dans ces domaines auprès de lui. Il remettra un rapport annuel sur son activité au Parlement. Sa mise en place sera effective au plus tard un an après la promulgation de la présente loi.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Le comité d’éthique prévu dans le rapport annexé relève d’une excellente idée. L’évaluation de l’action du ministère de l’intérieur par une instance spécialisée va, selon nous, dans le bon sens.
Néanmoins, comme souvent, et c’est valable pour d’autres parties du rapport, la rédaction actuelle ne permet pas d’avoir les garanties nécessaires pour assurer un fonctionnement efficace.
Il est précisé que le comité sera placé auprès du ministère de l’intérieur : nous voulons, au contraire, qu’il soit indépendant. Nous souhaitons également qu’il soit présidé par le Défenseur des droits, dont les missions nous semblent parfaitement en adéquation avec les attendus du comité. Cela permettra d’avoir les garanties nécessaires pour son indépendance.
Il est prévu que le comité sera composé de personnalités qualifiées indiscutables. Nous trouvons que cette rédaction est, elle, particulièrement discutable, ou plutôt vide de sens. C’est pourquoi nous proposons qu’il soit composé non seulement de représentants du monde universitaire, chercheurs en criminologie, en sociologie et dans toutes les branches des sciences humaines et sociales intéressées par les questions de sécurité, mais aussi de représentants du monde associatif et de la population, afin d’avoir une véritable représentation au service de l’efficacité du comité.
Nous voulons également ajouter quelques sujets parmi les exemples de thématiques qu’il pourrait avoir à traiter, comme le maintien de l’ordre ou les relations police-population.
Nous souhaitons par ailleurs que les recommandations émises par ce comité soient rapidement prises en compte par le ministère. Rien ne serait plus inutile que de transformer ce comité en usine à produire des rapports que personne ne lit ou ne met en œuvre.
Enfin, il nous apparaît nécessaire que l’action du comité d’éthique fasse l’objet d’un compte rendu annuel au Parlement, afin de nous permettre, dans l’hémicycle et en commission, de nourrir davantage nos réflexions sur le contrôle de l’action du Gouvernement en matière de sécurité.
Créer un véritable comité d’éthique efficace et indépendant : telle est notre ambition !
Mme le président. L’amendement n° 80, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 177, après la première phrase
Insérer deux phrases ainsi rédigées :
Parce qu’il appartient à l’État de garantir la liberté de manifestation, le Gouvernement entend revoir les modalités du maintien de l’ordre dans les manifestations. En privilégiant les stratégies de désescalade, notamment par la mise en œuvre de sommations plus compréhensibles, par l’annonce de l’emploi imminent des armes dont disposent les forces de l’ordre, par un usage de la force plus proportionné et par l’interdiction des nasses.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Le droit de manifester est une composante de nos libertés fondamentales et ne doit souffrir d’aucun compromis. Nous sommes, me semble-t-il, tous d’accord sur ce point. Tout citoyen est libre de manifester pacifiquement, sans avoir à craindre d’être fiché, fouillé et identifié par les autorités publiques. Or cette pratique est aujourd’hui limitée par les violences au sein des cortèges et par un recours parfois disproportionné à l’usage de la force et des armes par les forces de l’ordre. Ces tensions découragent les personnes vulnérables, accompagnées d’enfants ou âgées, de participer à des manifestations.
Il est temps de mettre en œuvre, nous semble-t-il, une autre doctrine du maintien de l’ordre qui permettrait, à la fois, d’avoir un recours plus proportionné à la force, et de privilégier une approche destinée à pacifier les rapports entre la police et la population et à sortir d’une logique de confrontation permanente.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires appelle de ses vœux l’interdiction de la pratique des nasses, qui consiste à enserrer les manifestants à l’intérieur d’un cordon policier. Cette pratique représente un réel danger en cas de mouvement de foule.
Il appelle également à encadrer l’usage des grenades lacrymogènes lors des manifestations, leur utilisation abusive pouvant conduire à de grandes tensions, mouvements de foule et blessures, comme cela a été montré dans le rapport d’information du Sénat sur les incidents au Stade de France, le 28 mai 2022, à Saint-Denis.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Sur tous les amendements relatifs à l’IGPN et au maintien de l’ordre, l’avis est défavorable pour les raisons que j’ai précédemment exposées.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 83, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 179
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Une plateforme unique de signalement des manquements à la déontologie, commune au Défenseur des droits, à l’inspection générale de la police nationale et à l’inspection générale de la gendarmerie nationale sera mise en place pour faciliter les signalements.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement découle d’une proposition de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans son avis du 11 février 2021 sur les rapports entre police et population.
Concernant les enquêtes administratives, la commission s’est interrogée sur la pertinence, pour la compréhension et la lisibilité du système, de l’existence d’une pluralité d’acteurs susceptibles de recevoir un signalement.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande donc au Gouvernement de mettre en place une plateforme unique, commune au Défenseur des droits, à l’IGPN et à l’IGGN, de signalement des manquements à la déontologie.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je remarque que les avis sont de plus en plus brefs. Je ne comprends pas pourquoi la commission et le Gouvernement sont défavorables à mon amendement. Certes, il est tard mais nous sommes encore là pour un certain temps – demain et après-demain –, et le sujet est grave.
J’aimerais entendre les arguments du rapporteur, au-delà du rapport – attendu – qu’il a déjà cité, et du ministre.
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Mon cher collègue, je le répète, une mission d’information a été lancée sur ce sujet. Je ne comprends pas que vous défendiez des amendements qui préjugent les résultats de ses travaux en matière de propositions et de garanties. Vous cassez le travail de vos collègues de cette mission, qui a d’ailleurs été composée de façon pluraliste.
Voilà pourquoi les avis sont défavorables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. L’amendement n° 201, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 180
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Instaurer un délai maximal de traitement des plaintes par l’inspection générale de la police nationale de 3 mois, avec une obligation de suivi
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le rapporteur, je me permets de vous faire remarquer que nous ne faisons qu’user de notre droit d’amendement. Certaines questions sont peut-être redondantes et une mission d’information est certes en cours, mais rien ne nous empêche de déposer des amendements pour éclaircir un point ou avancer sur un certain nombre de questions.
Le droit d’amendement est constitutionnel, je vous le rappelle !
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Et c’est mon droit de donner un avis défavorable !
Mme Éliane Assassi. Aujourd’hui, si une personne pense être victime ou témoin d’un comportement illégal d’un agent de la police nationale, elle peut saisir l’IGPN en remplissant un formulaire de signalement en ligne. Néanmoins, ce n’est que si elle le souhaite qu’elle sera informée des suites données à celui-ci. L’information est donc facultative.
En revanche, il est précisé sur la plateforme que toute dénonciation mensongère est systématiquement signalée à l’autorité judiciaire et peut faire l’objet d’une plainte du ministère de l’intérieur. On passe donc d’un signalement, à l’issue incertaine pour la victime, du comportement illégal d’un agent de police à une dénonciation systématique en cas de potentielle dénonciation mensongère.
C’est pourquoi nous souhaitons garantir l’effectivité du suivi des plaintes à l’IGPN en instaurant un délai de traitement de ces plaintes de trois mois, calqué sur le modèle de la plainte judiciaire, avec une obligation de suivi.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la présidente Assassi, il n’est ni illogique ni choquant que la dénonciation calomnieuse soit réprimée, comme elle l’est pour chacune et chacun d’entre nous.
Votre amendement consiste grosso modo à garantir une réponse assez rapide. Je ne peux pas y donner un avis favorable de principe, parce que je ne sais pas si un délai de trois mois est envisageable, mais je peux m’engager à vous communiquer le délai moyen de traitement de ces dossiers et à donner l’instruction de les raccourcir s’ils s’avèrent trop longs. Je ne sais pas si c’est le cas, car je n’ai pas pu obtenir ces chiffres avant de venir ici.
L’une des difficultés que nous rencontrons, c’est que les plaignants ne fournissent pas toutes les informations nécessaires lors de leur signalement sur la plateforme. Il faut donc enquêter pour savoir si c’est bien tel policier, s’il travaillait effectivement ce jour-là, s’il avait sa caméra-piéton. Cette phase d’instruction rend difficile la production de statistiques globales.
Lorsque le Président de la République avait évoqué la plateforme contre les discriminations, beaucoup ont cru que la police nationale et la gendarmerie nationale seraient les premières institutions mises en cause. Sachez que nous étions la dernière administration dénoncée pour discriminations, loin derrière, si j’ai bonne mémoire, celles qui s’occupent du logement, de la santé et de l’accès à un certain nombre de services publics, dont l’emploi, mais vous connaissez ces sujets mieux que moi.
Nous devions représenter environ 7 % de l’ensemble des signalements. C’est toujours 7 points de trop – je ne le nie pas –, mais ce pourcentage apporte, en quelque sorte, un démenti à une idée largement répandue.
Je me rends compte que j’ai manqué à tous mes devoirs : j’aurais dû publier l’important rapport sur les discriminations dans les forces de sécurité intérieure de M. Vigouroux, qui est un honorable conseiller d’État, que je lui avais demandé voilà plusieurs mois.
Le rapport évoque trois types de discrimination.
D’abord, celles dont les auteurs sont les forces de sécurité intérieure elles-mêmes, et qui peuvent être fondées sur le nom, le faciès, l’orientation sexuelle, le genre ou le sexe. Personne ne nie ces dernières. Le rapport, très documenté, que M. Vigouroux a rédigé avec un collègue du Conseil d’État, préconise, bien sûr, de les combattre et nous allons mettre en place un certain nombre de mesures pour ce faire, mais il constate qu’elles ne sont pas massives.
Ensuite, les discriminations au sein même des forces de sécurité. Dans les services de police et de gendarmerie, des agents subissent aussi de tels comportements, parce que ce sont des femmes ou des homosexuels, ou encore parce qu’ils sont de telle ou telle origine géographique. En tant qu’employeur, je ne peux pas ignorer ces faits. Ces discriminations ne sont pas importantes, mais elles existent et peuvent parfois être à l’origine de suicides ou de difficultés poussant des agents à quitter l’uniforme. Je me sens responsable à cet égard.
Enfin, les discriminations que subissent les forces de l’ordre. Quand des femmes contrôlent certains endroits un peu difficiles, elles ont des difficultés à faire respecter non pas l’uniforme qu’elles portent, mais le genre qu’elles représentent. C’est la même chose pour les agents dont la couleur de peau est différente ou dont on croit déceler l’orientation sexuelle – à tort ou à raison, là n’est pas le problème. C’est un comportement inacceptable qui revient à attaquer l’uniforme de la République.
Madame la sénatrice, je sais que vous n’avez pas dit le contraire, mais je vous encourage à examiner toutes les discriminations, quelles qu’elles soient.
Monsieur le président de la commission des lois, je m’engage donc à vous transmettre le rapport de M. Vigouroux afin que vous le communiquiez à l’ensemble des membres de votre commission, et peut-être du Sénat. Il est extrêmement instructif et nous suivrons ses recommandations.
Mme le président. L’amendement n° 199, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 180
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Doter l’inspection générale de la police nationale du statut d’autorité administrative indépendante
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Si j’use de mon droit de défendre des amendements quand il le faut, je sais aussi les retirer quand c’est nécessaire.
Je retire ainsi l’amendement n° 199 pour éviter d’être redondante, M. Durain ayant eu l’occasion de défendre notre position, ainsi que l’amendement n° 200, qui était une erreur de notre part, une magistrate ayant déjà été nommée à la tête de l’IGPN.
Mme le président. L’amendement n° 199 est retiré.
L’amendement n° 200, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 180
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Mettre à la tête de l’Inspection générale de la police nationale un directeur général, magistrat de profession
Cet amendement vient d’être retiré.
L’amendement n° 84, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 182
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Le devoir de réserve n’est pas opposable aux agents des forces de l’ordre ayant signalé ou divulgué des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général dans le cadre de leurs activités professionnelles. Ils n’ont pas à s’adresser prioritairement à leur hiérarchie pour divulguer de telles informations.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Le 24 janvier dernier, Amar Benmohamed, lanceur d’alerte ayant dénoncé des actes de racisme et de maltraitance commis régulièrement par des agents de police dans les cellules du dépôt du tribunal judiciaire de Paris, a été sanctionné pour avoir témoigné de son vécu à l’Assemblée nationale.
Son engagement à faire cesser ces faits de racisme et de maltraitance a débuté par un signalement en interne, puis par un signalement aux autorités compétentes, dont l’IGPN. Sans retour des autorités, et après avoir subi des pressions en interne, M. Benmohamed a dévoilé les faits dans les médias. Son combat, ainsi que celui d’autres lanceurs d’alerte dans la police et la gendarmerie, relève pourtant de l’intérêt général. Il y va de la dignité de nos concitoyens et de la confiance entre les forces de l’ordre et la population.
Les agents de la police et de la gendarmerie sont soumis, comme tout fonctionnaire, à un devoir de réserve, mais ils sont souvent confrontés à une absence de réaction de leur hiérarchie lorsqu’ils transmettent des informations et des dysfonctionnements internes. Exposés à des risques de pression et à des menaces, ils sont dissuadés de dénoncer des faits dont ils sont témoins. Certains agents se trouvent prisonniers de l’article 40 du code de procédure pénale, qui ne leur permettrait qu’un signalement judiciaire et ne protège pas vraiment le déclarant.
Pour ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande que la protection du statut de lanceur d’alerte, telle qu’elle résulte de la loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, soit accordée aux agents des forces de l’ordre.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La loi du 21 mars 2022 sur les lanceurs d’alerte a fait l’objet d’un large débat qui a été tranché par notre commission, puis par le Parlement dans son ensemble.
Par ailleurs, l’article 40 du code de procédure pénale est très clair.
Cet amendement étant satisfait, l’avis est défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Même avis.
Mme le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 66 amendements au cours de la journée ; il en reste 138.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
8
Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée aujourd’hui, mercredi 12 octobre 2022 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente :
Suite du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (procédure accélérée ; texte de la commission n° 20, 2022-2023).
À vingt et une heures trente :
Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur la politique énergétique de la France.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 12 octobre 2022, à zéro heure vingt-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER