Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Pierre Cuypers, Mme Victoire Jasmin.

1. Procès-verbal

2. Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

3. Questions d’actualité au Gouvernement

mesures d’urgence en matière d’énergie

M. François Patriat ; Mme Élisabeth Borne, Première ministre.

renvoi du garde des sceaux devant la cour de justice de la république

Mme Marie-Pierre de La Gontrie ; M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement ; Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

prise en charge des surcoûts énergétiques pour les collectivités

M. Jean-Pierre Corbisez ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. Jean-Pierre Corbisez.

situation judiciaire du garde des sceaux

M. Guillaume Gontard ; Mme Élisabeth Borne, Première ministre ; M. Guillaume Gontard.

conséquences économiques de la hausse des prix de l’énergie

M. Dany Wattebled ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.

relations franco-arméniennes

M. Étienne Blanc ; Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

suites données par le gouvernement au rapport sur l’industrie pornographique

Mme Annick Billon ; Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances.

difficultés financières des collectivités face à l’augmentation du coût de l’énergie

Mme Céline Brulin ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; Mme Céline Brulin.

port du voile à l’école

Mme Jacqueline Eustache-Brinio ; Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre des armées et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de la jeunesse et du service national universel ; Mme Jacqueline Eustache-Brinio.

réduction drastique des visas en afrique

Mme Hélène Conway-Mouret ; Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; Mme Hélène Conway-Mouret.

répartition des étrangers sur le territoire

M. Stéphane Sautarel ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales ; M. Stéphane Sautarel.

montée du sentiment anti-français en afrique

M. Stéphane Demilly ; Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

collectivités territoriales et finances locales

M. Charles Guené ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales ; M. Charles Guené.

précarité étudiante en période de rentrée

Mme Martine Filleul ; Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ; Mme Martine Filleul.

évacuation du square de forceval à paris

Mme Catherine Dumas ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer ; Mme Catherine Dumas.

situation de la ligne entre clermont-ferrand et paris

M. Jean-Marc Boyer ; M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports ; M. Jean-Marc Boyer.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard

4. Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l’homme en Iran. – Débat d’actualité

M. le président

Mme Annick Billon

Mme Esther Benbassa

Mme Guylène Pantel

Mme Joëlle Garriaud-Maylam

M. Claude Malhuret

Mme Mélanie Vogel

Mme Samantha Cazebonne

Mme Marie-Arlette Carlotti

M. Pierre Laurent

M. Laurent Lafon

Mme Valérie Boyer

Mme Laurence Rossignol

M. Hugues Saury

Conclusion du débat

Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères

Suspension et reprise de la séance

5. Place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale. – Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Mme Annick Petrus, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer

M. Philippe Folliot, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer

Débat interactif

M. Stéphane Artano ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer ; M. Stéphane Artano.

Mme Marta de Cidrac ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer ; Mme Marta de Cidrac.

M. Joël Guerriau ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer ; M. Joël Guerriau.

M. Joël Labbé ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.

M. Dominique Théophile ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.

Mme Gisèle Jourda ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.

Mme Michelle Gréaume ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.

M. Philippe Folliot ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer ; M. Philippe Folliot.

PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol

M. Guillaume Chevrollier ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.

Mme Victoire Jasmin ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.

Mme Lana Tetuanui ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.

Mme Annick Petrus ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.

Mme Viviane Artigalas ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer ; Mme Viviane Artigalas.

M. Dominique de Legge ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer ; M. Dominique de Legge.

Mme Vivette Lopez ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.

M. Didier Mandelli ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.

Conclusion du débat

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Suspension et reprise de la séance

6. Régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Guy Benarroche

M. Gilbert Favreau

M. Franck Menonville

M. Stéphane Artano

M. Dominique Théophile

M. Jérôme Durain

Mme Éliane Assassi

M. Philippe Bonnecarrère

Clôture de la discussion générale.

Articles 1er et 2 (supprimés)

Article 3 – Adoption.

Vote sur l’ensemble

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent

7. Conférence des présidents

Conclusions de la conférence des présidents

8. Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique. – Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la commission des affaires économiques

Mme Amel Gacquerre, au nom de la commission des affaires économiques

M. Franck Montaugé, au nom de la commission des affaires économiques

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie

M. Daniel Gremillet ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; M. Daniel Gremillet.

M. Franck Menonville ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.

M. Joël Labbé ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; M. Joël Labbé.

M. Jean-Baptiste Lemoyne ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; M. Jean-Baptiste Lemoyne.

Mme Florence Blatrix Contat ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; Mme Florence Blatrix Contat.

M. Fabien Gay ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; M. Fabien Gay.

Mme Catherine Morin-Desailly ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; Mme Catherine Morin-Desailly.

M. Stéphane Ravier ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.

M. Henri Cabanel ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; M. Henri Cabanel.

M. Serge Babary ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; M. Serge Babary.

M. Sebastien Pla ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; M. Sebastien Pla.

Mme Anne-Catherine Loisier ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; Mme Anne-Catherine Loisier.

M. Jean-François Rapin ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.

Conclusion du débat

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Pierre Cuypers,

Mme Victoire Jasmin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

M. le président. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur, une délégation conduite par M. Hendrik Wüst, ministre-président du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie et plénipotentiaire de la République fédérale d’Allemagne chargé des relations culturelles franco-allemandes. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que les membres du Gouvernement, se lèvent.)

La délégation est accompagnée par notre collègue Ronan Le Gleut, président du groupe d’amitié du Sénat, et par M. Hans-Dieter Lucas, ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne en France.

Je tiens à souligner l’importance de la coopération étroite, et de longue date, entre le Sénat et le Bundesrat au service de la relation franco-allemande. Nous aurons l’occasion de réaffirmer solennellement cette amitié en 2023, en célébrant le soixantième anniversaire du traité de l’Élysée.

La dimension culturelle devra y occuper une place renouvelée, alors que l’apprentissage et la pratique de la langue, de part et d’autre, tendent à se faire moins fréquents. Nous devons réfléchir à de nouvelles initiatives permettant de conforter des expressions culturelles convergentes. Sans culture partagée, la relation franco-allemande perdrait de sa singularité.

De façon plus générale, il est crucial que nos deux assemblées œuvrent à la nécessaire solidarité entre les États membres de l’Union européenne face aux défis majeurs auxquels elle est aujourd’hui confrontée.

Je pense, en particulier, que la crise énergétique qui sévit aujourd’hui appelle de notre part une réponse commune et solidaire afin de préserver l’unité de la zone euro et la force de nos économies.

Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à M. Hendrik Wüst et à sa délégation la plus cordiale bienvenue au Sénat français. (Applaudissements.)

3

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Au cours de nos échanges, chacun d’entre vous sera attentif à son temps de parole et veillera au respect des uns et des autres.

mesures d’urgence en matière d’énergie

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. François Patriat. Ma question fera écho à vos propos, monsieur le président, puisqu’elle porte sur les prix de l’énergie. C’est un sujet qui préoccupe et inquiète nos concitoyens, que ce soient les particuliers, les entrepreneurs, les agriculteurs ou encore les maires et l’ensemble des élus locaux.

Je mesure l’effort qui a été fait par le Gouvernement au cours des derniers mois pour faire face à ce défi. Les réponses ont été nombreuses, elles ont été efficaces : je pense notamment au bouclier tarifaire, à la maîtrise des prix de l’énergie ou à la charte des fournisseurs qui a été signée ce matin même.

Cet effort nous a permis, d’une part, de juguler l’inflation – la France est le pays européen ayant le plus bas taux d’inflation – et, d’autre part, de préserver le pouvoir d’achat.

Chacun sait bien que ces mesures à court terme ne suffiront pas. Il faudra la participation de tous, un changement d’attitude, de la sobriété. Il faudra inventer de nouvelles pistes.

Vendredi dernier, les ministres européens en charge de l’énergie, dont Mme Agnès Pannier-Runacher, se sont réunis au sein du Conseil de l’Union européenne et ont abouti à certaines conclusions positives, notamment la mise en place d’une contribution sur les entreprises productrices d’énergie.

Nous ne pouvons pas en rester là. Vous avez évoqué des pistes de travail, monsieur le président. L’essentiel se jouera, pour partie, au Conseil européen qui se tiendra à la fin de cette semaine et qui devra notamment évoquer les questions du prix de l’électricité et d’un plafond pour les prix du gaz. (La question ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

Je rappelle que l’effort que j’ai évoqué au début de mon intervention, en particulier les différents boucliers tarifaires mis en place pour les collectivités, les entreprises et les particuliers, coûtera 100 milliards d’euros sur trois ans à notre pays.

Madame la Première ministre, quelles sont les pistes de travail qui seront évoquées par la France vendredi prochain pour relever le défi énergétique ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur François Patriat, je mesure parfaitement l’inquiétude des entreprises et des collectivités face à la flambée des prix de l’énergie. De nombreuses communes, malgré des efforts de sobriété importants, se demandent si elles pourront payer leurs factures et maintenir ouverts tous leurs services publics dans les prochains mois.

Les membres du Gouvernement et moi-même avons échangé avec de nombreux élus locaux et avec les représentants de leurs associations. Tous portent le même message, et le Gouvernement le porte avec eux : cette situation n’est pas tenable. Nous devons agir et nous agissons !

Nous agissons d’abord à la racine pour faire baisser les prix. Ceux-ci ne retrouveront pas les niveaux artificiellement bas que nous avons connus durant la crise du covid-19, mais ils ne peuvent pas non plus rester à des niveaux artificiellement hauts, tirés par la spéculation.

Nous devons ramener les prix de l’électricité à des niveaux cohérents avec les coûts de production. Pour cela, nous agissons d’abord au niveau européen. Nous y travaillons et nous avançons bien.

Vous l’avez mentionné, la Commission européenne a ouvert la porte, lors du Conseil des ministres de l’énergie vendredi dernier, à l’élargissement du dispositif qui a permis de diviser le prix de l’électricité par trois en Espagne. Le Président de la République s’est entretenu cette semaine avec le Chancelier allemand et la présidente de la Commission européenne. Cette dernière a annoncé ce matin que la Commission ferait des propositions pour le plafonnement du prix du gaz lors du Conseil européen ce vendredi.

Nous travaillons en parallèle, au niveau français, à d’autres mécanismes pour ramener les prix à des niveaux raisonnables.

Nous agissons aussi pour protéger les consommateurs. Le bouclier tarifaire, dont j’ai annoncé mi-septembre la prolongation en 2023, est la mesure la plus protectrice d’Europe. La hausse de la facture de l’énergie pour les ménages, mais aussi pour les très petites entreprises et les petites communes, sera limitée à 15 %.

Et je prends un engagement devant vous : aucune collectivité locale, aucune entreprise ne sera laissée dans une impasse. Je pense en particulier aux collectivités les plus exposées, comme celles qui connaissent des activités saisonnières ou qui gèrent de gros équipements. Les ministres chargés de l’économie et de la transition énergétique ont réuni ce matin les fournisseurs d’énergie : les engagements pris vont permettre qu’il n’y ait plus d’entreprise ou de collectivité sans fournisseur d’énergie ; des offres seront faites à chacun et la Commission de régulation de l’énergie (CRE) va publier des indicateurs de prix pour que chacun puisse vérifier que les offres ne sont pas abusives.

Par ailleurs, s’agissant des entreprises, nous allons améliorer les aides exceptionnelles pour les gros consommateurs d’énergie.

S’agissant des collectivités, elles bénéficient d’ores et déjà d’acomptes pour soutenir leur trésorerie et le filet de sécurité mis en place pour traiter les cas les plus difficiles sera renforcé – le Gouvernement présentera prochainement des propositions.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, nous protégeons nos compatriotes, nous protégeons nos collectivités, nous protégeons nos entreprises et nous veillerons à ne laisser personne sans solution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

renvoi du garde des sceaux devant la cour de justice de la république

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la Première ministre, le 3 mars 2017, Emmanuel Macron affirmait publiquement un principe : tout ministre mis en examen devra quitter le Gouvernement. Cet engagement fut repris par Édouard Philippe, Premier ministre, et fut appliqué – François Bayrou se le rappelle, puisqu’il dut quitter sa fonction de garde des sceaux quelques jours après sa nomination.

Quelques années plus tard, nous apprenons – c’était il y a deux jours – que le garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, ici présent, est renvoyé devant la Cour de justice de la République pour des faits commis pendant l’exercice de ses fonctions comme ministre de la justice.

Et… rien ! Simplement la réaffirmation de la confiance que, madame la Première ministre, vous lui accordez. Quel motif explique que le principe affirmé par le Président de la République soit désormais renié ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. (Exclamations sur plusieurs travées.)

M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Je vous remercie pour votre question, madame la sénatrice. Puissiez-vous être aussi prompte à dédouaner une personne qui, une fois mise en examen, serait innocentée que vous l’êtes aujourd’hui, dans cet hémicycle, à demander son exclusion pour le simple motif qu’elle est mise en examen, donc par définition loin d’être condamnée.

Madame la sénatrice, il est souvent fait référence à la jurisprudence du gouvernement Balladur qui avait donné lieu à l’éviction systématique de tout ministre mis en examen. Je ne veux pas vous dire de bêtises, mais il me semble que, sur les quatre ministres contraints à l’époque à la démission, parce que mis en examen, un seul avait été condamné – trois auront donc été privés injustement, en tout cas aux yeux de la justice, de la capacité de servir l’intérêt général et l’État.

M. Rachid Temal. Dites-le au Président !

M. Olivier Véran, ministre délégué. Madame la sénatrice, gardons-nous de jeter un opprobre systématique sur les serviteurs de l’État sous prétexte qu’ils ne partageraient pas nos idées politiques. (Protestations.) Le nuage radioactif qui découle de telles attaques irradie finalement l’ensemble de la classe politique et des serviteurs de l’État. En définitive, c’est la démocratie elle-même qui s’en trouve attaquée et affaiblie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées des groupes INDEP et UC.)

Le législateur, dans sa grande sagesse, a souhaité modifier la loi pour remplacer le terme « prévenu » par l’expression « mis en examen ». Si vous lisez les comptes rendus des débats du Sénat, on comprend – c’est intéressant – que le mot « prévenu » semblait trop préjuger du fait que la personne était coupable ou responsable de ce qui lui était seulement reproché à ce stade, tandis que l’expression « mis en examen » disait les choses plus justement : on regarde s’il y a lieu ou non de prononcer une culpabilité.

À ma connaissance, personne n’a été condamné dans l’affaire que vous évoquez, madame la sénatrice. Qui plus est, il y a un pourvoi en cassation, ce qui veut dire que, de manière factuelle et à l’heure où je vous parle, M. Dupond-Moretti n’est même plus mis en examen (Protestations sur les travées du groupe SER.) parce que cette mise en examen a été suspendue, en attendant la décision de la Cour de cassation.

J’espère, madame la sénatrice, avoir répondu à votre question. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour la réplique.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Tout d’abord, je note que le ministre qui a répondu au nom du Gouvernement désavoue le Président de la République et Édouard Philippe, Premier ministre. Dont acte ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Ensuite, je crains – je le dis avec solennité – que vous n’ayez pas très bien compris ce qui est en train de se passer. Nous parlons d’éthique gouvernementale, nous parlons du fait que, tous ici, nous sommes considérés par les citoyens français comme des personnes qui ne sont pas honnêtes. Nous avons besoin de réaffirmer l’éthique en politique !

Je citerai simplement ce qu’a dit François Bayrou, lorsqu’il a démissionné du Gouvernement ; je pense que ce sera la réponse la plus efficace : « Je pars, car je choisis de ne pas exposer le Président de la République et le Gouvernement que je soutiens. » Or c’est exactement ce qui est en train de se passer.

Un garde des sceaux renvoyé devant la Cour de justice de la République pendant l’exercice de ses fonctions, c’est totalement inédit, et cela va alimenter encore plus le populisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)

prise en charge des surcoûts énergétiques pour les collectivités

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Pierre Corbisez. Ma question concerne, elle aussi, la situation de nos communes qui doivent faire face à l’augmentation des coûts de l’énergie.

Déjà fortement impactées par l’inflation en 2022, les collectivités locales le seront encore en 2023 avec une prévision au-dessus de 4 %.

La loi de finances rectificative pour 2022 a mobilisé une enveloppe de 430 millions d’euros pour accompagner les collectivités, mais nous savons déjà que cette enveloppe sera insuffisante, même portée à 1 milliard d’euros, d’autant qu’elle vise aussi à compenser l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires.

Par ailleurs, la mise en œuvre de cette mesure inquiète fortement les élus locaux. Les clés de répartition entre les différents niveaux de collectivités ne sont pas connues ; les modalités opérationnelles restent floues ; l’évolution de l’épargne brute, l’un des critères retenus, ne pourra être connue qu’avec le compte administratif 2022, c’est-à-dire au mieux en juillet 2023 – comment gérer d’ici là l’impact de la crise énergétique sur la trésorerie de nos collectivités ?

Si la situation en reste là, les élus seront confrontés à des choix cornéliens : augmenter les impôts, diminuer les investissements ou fermer certains équipements. On a parlé des piscines, mais qu’en sera-t-il des salles accueillant les clubs sportifs ou les associations culturelles ou – pire ! – de nos écoles ? Comment préserver tout cela sans mettre en péril les finances des collectivités locales qui, à la différence de celles de l’État, doivent être équilibrées ?

Les collectivités ont déjà largement contribué à l’effort national ; il est temps de leur renvoyer l’ascenseur ! Au minimum, les dotations qui leur sont versées devraient être indexées sur l’inflation, comme le réclame à bon droit l’Association des maires de France (AMF).

Concrètement, monsieur le ministre, quelles mesures d’urgence et de moyen terme – nous devons déjà penser à l’hiver 2023-2024 – entendez-vous prendre pour concrétiser la solidarité avec les communes ? Je rappelle que le Président de la République leur rend hommage à chacune de ses visites au congrès des maires de France… (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Je voudrais d’abord vous dire, monsieur le sénateur, dans la continuité des propos tenus il y a quelques instants par Mme la Première ministre, que notre action doit être globale.

Nous devons coordonner nos efforts à l’échelle européenne pour faire baisser les prix et éviter que les mécanismes mis en place, comme les boucliers tarifaires, n’alimentent une rente. En outre, nous devons mettre en place un dispositif européen de récupération, comme cela se fait pour partie dans notre pays pour l’électricité.

Ensuite, en ce qui concerne l’année en cours, le comité des finances locales (CFL) a été saisi ce matin du projet de décret qui permettra de répartir l’enveloppe de 430 millions d’euros dont vous avez parlé et qui a été votée cet été. Nous devrons préciser les règles du jeu et aussi prendre en compte, en cette année transitoire, le décalage lié à la date d’adoption des comptes administratifs, le cas échéant par un dispositif d’avance – vous l’avez évoqué également.

Sur ce sujet, il existe en fait trois catégories de collectivités.

D’abord, toutes les communes ayant moins de 10 agents et moins de 2 millions d’euros de budget sont protégées par les dispositifs de bouclier tarifaire, 4 % puis 15 %, que nous avons mis en place.

Ensuite, si les départements et les régions sont également confrontés à l’inflation des prix de l’énergie, ces collectivités le sont dans une moindre mesure que le bloc communal.

Enfin, les communes qui n’appartiennent pas à la première catégorie que j’ai évoquée à l’instant sont davantage concernées, parce qu’elles gèrent souvent des équipements publics importants.

Au-delà de nos efforts visant à faire baisser les prix, nous prévoyons des dispositifs de soutien dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023. Pour la première fois depuis treize ans, l’enveloppe de la dotation globale de fonctionnement (DGF) vous est proposée à la hausse. Je sais que certains aimeraient que ce soit davantage, mais ces 210 millions d’euros marquent une rupture par rapport à la période passée.

Par ailleurs, face à une situation que nous considérons comme n’étant pas tenable, Mme la Première ministre l’a dit, nous sommes en train de finaliser le travail qui permettra de soutenir les communes qui ne sont plus couvertes par un contrat d’approvisionnement négocié avant le début de la crise et auxquelles on propose des tarifs plus élevés, que leur budget ne permet pas de financer. Je rappelle que certaines collectivités sont encore couvertes par des tarifs pluriannuels négociés avant la crise. En tout cas, nous travaillons sur cette question et vous aurez très bientôt une réponse. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le ministre, je vous rappelle qu’il y a peu vous étiez encore maire de cette belle ville d’Angers : auriez-vous accepté de présenter un compte administratif en déficit ? L’inquiétude actuelle des élus locaux va se transformer en colère en juin 2023 au moment du vote du compte administratif, c’est-à-dire à trois mois du renouvellement du Sénat… Je vous laisse imaginer les conséquences !

situation judiciaire du garde des sceaux

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guillaume Gontard. À écouter à l’instant M. Véran, il est nécessaire et certainement utile de répéter deux fois une citation d’Emmanuel Macron : « Dans le principe, un ministre doit quitter le Gouvernement lorsqu’il est mis en examen. » En avril, il ajoutait que le principal danger pour la démocratie était la persistance de manquements à la probité parmi des responsables politiques.

Le président Macron a conservé cette conduite six semaines, entre mai et juin 2017, le temps d’obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale…

Depuis, les affaires se succèdent à un rythme effréné. La banalisation est maintenant de mise, allant même jusqu’à la nomination au Gouvernement de personnes lourdement accusées. La République exemplaire est devenue la République des affaires !

Cette semaine, un nouveau cap a été franchi avec la mise en examen du secrétaire général de l’Élysée, une première, et le renvoi du garde des sceaux devant la Cour de justice de la République, une première également !

Madame la Première ministre, connaissant la probité qui est la vôtre, allez-vous enfin l’appliquer à votre gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président Gontard, comme j’ai eu l’occasion de le dire hier à l’Assemblée nationale, j’ai pris acte de la décision rendue lundi de renvoyer Éric Dupond-Moretti devant la Cour de justice de la République. Comme chacun d’entre vous, je suis attachée à la séparation de l’exécutif, du législatif et de l’autorité judiciaire. Je ne commenterai donc pas cette décision.

En revanche, je veux rappeler deux éléments fondamentaux pour notre État de droit. Le premier, c’est l’indépendance de la justice – l’un des piliers de notre démocratie.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On parle du garde des sceaux !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Le second, c’est la présomption d’innocence ; elle aussi protège chacun, elle aussi est primordiale dans un État démocratique. Ces principes n’appellent ni commentaire ni exception.

Dès lors, une seule question se pose : cette situation affecte-t-elle le fonctionnement du ministère de la justice ? (Oui ! sur plusieurs travées.) Ma réponse est claire et se fonde sur plusieurs mois de travail avec le ministre. Le ministère de la justice se réforme, se transforme, avance et il voit ses moyens atteindre des niveaux inédits.

M. Guy Benarroche. Quel rapport ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Des réformes profondes s’engagent, notamment à la suite des États généraux de la justice. L’engagement du ministre est résolu, solide et indéfectible.

M. Jean-Pierre Sueur. Cela n’a rien à voir avec le sujet.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Pour les dossiers où Éric Dupond-Moretti est un justiciable comme les autres…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il est garde des sceaux, pas un justiciable comme les autres…

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. … ou pour ceux qu’il a pu connaître en tant qu’avocat, nous avons mis en place un dispositif de déport exigeant et efficace. Ce dispositif me conduit à piloter en direct une série de sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.

M. Guillaume Gontard. Madame la Première ministre, je pense que vous n’avez pas bien compris.

Ici, le sujet n’est pas la présomption d’innocence, mais le respect de la parole donnée, qui plus est celui de la parole présidentielle.

Le sujet, c’est de ne pas ternir l’image du gouvernement de la France.

Le sujet, c’est de disposer de ministres à temps plein au service des Françaises et des Français.

Le sujet, c’est la sérénité dans laquelle doit être prise la décision de justice, a fortiori quand le justiciable est le garde des sceaux.

Le sujet, c’est la préservation de l’indépendance de la justice.

Emmanuel Macron nous avait promis l’exemplarité politique, de mise sous François Hollande, mais il nous ramène aux pratiques délétères des présidences de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), alors que la crise démocratique est plus profonde que jamais, que l’extrême droite est aux portes du pouvoir et que les fascistes l’ont conquis de l’autre côté des Alpes.

Votre responsabilité devant l’Histoire est considérable, madame la Première ministre, et il est encore temps de prendre la bonne décision ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

conséquences économiques de la hausse des prix de l’énergie

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Dany Wattebled. Depuis trente ans, faute de politiques publiques adéquates, la France fait face à la perte de son industrie. Nous en avons enfin pris conscience ces dernières années et nous avons commencé à prendre des mesures.

Pourtant, face à l’explosion des prix de l’énergie, cette menace est de nouveau d’actualité. Le mégawattheure de gaz naturel redescend difficilement sous la barre des 200 euros. Les prix de l’électricité s’envolent. Après dix ans d’excédents, la balance commerciale de la zone euro a lourdement chuté.

Tous les secteurs sont concernés, du verre à l’aluminium, en passant par le ciment ou l’acier. Aux difficultés, évoquées depuis des mois, des collectivités, des agriculteurs et bien sûr des familles s’ajoutent celles des entreprises. Elles organisent leur activité des prochains mois à la baisse. Les PME annoncent des fermetures.

Aux licenciements s’ajouteront des fragilités importantes sur des secteurs clés et des importations obligatoires en provenance d’autres continents. Notre souveraineté est menacée sur bien des aspects, notamment industriels et alimentaires. Certaines pénuries sont à craindre, ce qui risque de nuire non seulement au pouvoir d’achat, mais aussi à notre puissance économique.

C’est un choc majeur de compétitivité pour l’Europe. L’écart n’est plus entre pays européens, mais entre l’Europe et le reste du monde, ce qui laisse craindre de nouvelles délocalisations.

Alors que l’urgence est à la solidarité européenne, les discussions sur le découplage des prix du gaz et de l’électricité rencontrent des difficultés et des actions unilatérales fragilisent notre ensemble. Je comprends la volonté de nos amis allemands, avec leur bouclier anti-inflation, mais au-delà de cette amitié, nous ne pouvons pas continuellement subir leurs choix en matière énergétique.

Monsieur le ministre, quelles actions comptez-vous mener pour éviter cette catastrophe économique tant au niveau français qu’au niveau européen ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Wattebled, comme l’a indiqué Mme la Première ministre précédemment, le Président de la République et le Gouvernement sont pleinement mobilisés pour faire baisser les prix de l’énergie sur le marché européen. Des échanges et des réunions extrêmement importantes se sont tenus à cet égard.

Nous avons une responsabilité et notre objectif est d’empêcher que la crise de l’énergie se traduise par des difficultés économiques supplémentaires.

Cet objectif nous anime depuis plus d’un an maintenant et nous avons d’ores et déjà pris des mesures, notamment le bouclier tarifaire ou d’autres plus spécifiques comme sur le tarif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), pour soutenir le secteur industriel. Ces mesures ont permis de sauver 45 000 emplois industriels en 2022 dans 150 établissements.

Nous devons continuer à agir, en refroidissant le marché de l’énergie, et la France présente un certain nombre de propositions sur cette question pour découpler le prix de l’électricité de celui du gaz. Bruno Le Maire a annoncé des mesures ce matin même.

Ensuite, nous devons accompagner les entreprises qui sont particulièrement fragilisées, parce que grosses consommatrices d’énergie. Une enveloppe de 3 milliards d’euros a été votée par le Parlement cet été pour soutenir les entreprises qui ne bénéficient pas du tarif réglementé. Les chefs d’entreprise ont à leur disposition un simulateur sur le site internet impots.gouv.fr et les aides peuvent aller jusqu’à 50 millions d’euros. Au départ, les critères étaient trop restrictifs, nous les avons élargis et nous travaillons au niveau européen pour les élargir davantage.

Nous travaillons à d’autres mesures qui pourraient soutenir nos entreprises.

Vous le voyez, depuis un an, nous avons agi et permis à nos entreprises de tenir. Cette action va se poursuivre et s’amplifier. Agir pour les entreprises, c’est agir pour les Français. C’est leur permettre de conserver leur emploi et c’est permettre à notre économie de rester dynamique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

relations franco-arméniennes

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Étienne Blanc. La semaine dernière, une délégation du groupe d’amitié France-Arménie du Sénat, conduite par son président, Gilbert-Luc Devinaz, s’est rendue à Erevan. Nous avons effectué ce déplacement alors que l’Azerbaïdjan se livrait à sa énième attaque contre le peuple et le territoire arméniens.

Quelques jours auparavant, Mme von der Leyen s’était rendue à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, et avait signé un accord gazier pour assurer la sécurité des livraisons de gaz au profit de l’Europe.

La concordance de ces deux événements ne saurait être fortuite pour le peuple arménien.

Madame la Première ministre, le gouvernement français se sent-il solidaire de cet accord, que l’on peut juger indigne ?

Par ailleurs, l’Arménie exprime régulièrement son souhait d’obtenir des livraisons d’armes de défense. La France accepte-t-elle aujourd’hui d’être le fer de lance d’un dispositif permettant à l’Arménie d’avoir des armes pour assurer la protection de son peuple et de son territoire ?

Enfin, la France préside le Conseil de sécurité de l’ONU. Une demande prégnante de l’Arménie est d’obtenir des Nations unies la présence d’une force d’observation et d’interposition sur sa frontière avec l’Azerbaïdjan.

Madame la Première ministre, pouvez-vous aujourd’hui prendre au nom de M. le Président de la République l’engagement que la France déploiera des efforts incessants pour qu’une telle force se mette en place ? C’est en effet la condition de la protection de l’Arménie et de son peuple, dont nous sommes si proches historiquement. (Applaudissements prolongés.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Mme Catherine Colonna, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Blanc, vous le savez, la France est pleinement solidaire du peuple arménien. Elle l’a toujours été – vous l’avez dit –, parce que nos histoires ont été liées, depuis que notre pays a accueilli les rescapés du génocide arménien de 1915. Elle est au côté du peuple arménien, et elle le restera jusqu’à ce que nous parvenions à un règlement négocié et pacifique du conflit qui l’oppose à l’Azerbaïdjan.

Les armes ont assez parlé. Les incursions armées de l’Azerbaïdjan et les frappes menées contre le territoire internationalement reconnu de l’Arménie constituent une violation de la Charte des Nations unies. Elles doivent cesser ; nous l’avons déjà dit.

Nous nous mobilisons aussi pour obtenir la libération des prisonniers de guerre arméniens. Je vous informe que dix-sept d’entre eux ont été libérés hier par l’Azerbaïdjan.

La France, avec l’Union européenne, est engagée dans un processus de dialogue entre les deux pays. Ce dialogue continue en ce moment même, et le Président de la République le poursuivra demain avec un certain nombre de ses collègues européens. C’est l’attachement à la paix et au droit international qui guide notre action. C’est ainsi que sera garanti le droit de l’Arménie à vivre libre.

Nous avons enfin réuni le Conseil de sécurité de l’ONU, sous présidence française, à deux reprises, les 15 et 16 septembre. Vous avez raison, monsieur le sénateur : le Conseil de sécurité peut avoir un rôle. Mais la priorité immédiate est de faire baisser les tensions. Pour cela, il faut établir un constat objectif de la situation à la frontière. Nous œuvrons donc concrètement pour l’envoi rapide d’une mission d’établissement des faits de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) : j’ai saisi son président en exercice de cette demande voilà quelques jours à peine.

suites données par le gouvernement au rapport sur l’industrie pornographique

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Billon. Ma question s’adresse à Mme la Première ministre.

Dans notre rapport sénatorial Porno : lenfer du décor, présenté avec mes trois collègues corapporteures, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, nous avons, pour la première fois dans l’histoire du Parlement, révélé les dessous sordides de l’industrie de la pornographie.

Une industrie qui génère des milliards d’euros de chiffre d’affaires chaque année, dans des conditions opaques.

Une industrie qui a fait de la marchandisation du corps et de la sexualité des femmes un business à l’échelle mondiale.

La consommation de porno est aujourd’hui massive. Elle représente plus d’un quart de tout le trafic vidéo en ligne dans le monde. Le site Pornhub cumule à lui seul plus de 40 milliards de visites annuelles et près de 220 000 vidéos vues chaque minute dans le monde !

Notre rapport dresse un tableau très sombre, mais réaliste, des pratiques de cette industrie : violences systémiques envers les femmes ; exploitation de leur précarité économique et sociale ; actes de torture et de barbarie. Les deux affaires judiciaires en cours en France en témoignent. Elles ne sont que la partie émergée de l’iceberg.

Nous appelons à sortir de toute vision datée, faussée, édulcorée du porno. Aujourd’hui, ce sont majoritairement des contenus violents, dégradants, humiliants, de surcroît facilement et massivement accessibles aux mineurs : deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers des moins de 12 ans ont déjà vu des images pornographiques !

La délégation sénatoriale aux droits des femmes défend unanimement vingt-trois propositions pour lutter contre les violences pornographiques et leurs conséquences.

Madame la Première ministre : comment comptez-vous vous emparer de ces propositions ? (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances.

Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, je vous remercie de votre question. J’en profite pour saluer la qualité du travail que vous avez mené avec vos collègues Laurence Rossignol, Alexandra Borchio Fontimp et Laurence Cohen.

Votre rapport est extrêmement utile, parce qu’il permet de mettre un coup de projecteur sur les dérives d’une industrie, qui, pour reprendre vos mots, est une machine à broyer les femmes, une industrie qui a banalisé les violences sexistes et sexuelles. Oui, le porno est un enfer pour les femmes !

Vous proposez des solutions concrètes pour protéger non seulement nos enfants, mais aussi les actrices de cette industrie. Certaines de vos recommandations rejoignent le travail qui a d’ores et déjà été entrepris par le Gouvernement. Mon collègue Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale, et moi-même nous sommes saisis, dès notre arrivée au Gouvernement, du chantier de l’éducation à la sexualité. Il est grand temps que la loi de 2001 soit appliquée dans nos écoles.

Je pense aussi aux travaux pilotés par Jean-Noël Barrot et Charlotte Caubel sur le contrôle parental sur les smartphones. Mais nous pouvons aller plus loin, et votre rapport alimentera grandement les travaux que nous mènerons prochainement avec mes collègues chargés de la justice, de l’intérieur, de la culture, du numérique et de la protection de l’enfance.

Madame la sénatrice, nous nous rencontrons le 18 octobre, et je sais que nous avancerons ensemble de manière constructive. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

difficultés financières des collectivités face à l’augmentation du coût de l’énergie

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Céline Brulin. Madame la Première ministre, les réponses que le Gouvernement apporte depuis le début de cette séance montrent que vous ne mesurez ni l’urgence ni l’ampleur de ce qui attend nos collectivités, comme nos concitoyens et nos entreprises, en matière de facture énergétique, et ce malgré les nombreuses alertes formulées, notamment, par toutes les associations d’élus.

Les 430 millions d’euros du projet de loi de finances rectificative que vous évoquez ont été arrachés cet été par les parlementaires que nous sommes. Malheureusement, du fait des critères que vous avez retenus, moins de 8 000 communes vont en bénéficier ! Vous vous réjouissez que les fournisseurs aient signé une charte ce midi ? Mais, hier encore, les mêmes menaçaient des communes de leur couper toute fourniture d’énergie si elles ne payaient pas à des tarifs qui s’apparentent – certains élus locaux l’ont dit – à du racket !

Les sommes en jeu sont telles qu’il ne suffira pas d’éteindre l’éclairage public ou de baisser d’un degré le chauffage dans nos écoles. Nous risquons de connaître des coupures de service public dans nos territoires. Le comble, c’est que nos collectivités sont en train de repousser des investissements qui permettraient précisément de réaliser des économies d’énergie.

Madame la Première ministre, allez-vous enfin entendre ce cri d’alerte et examiner les propositions qui sont sur la table, comme le retour aux tarifs réglementés de l’énergie pour les collectivités ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, nous avons tellement conscience des tensions et des inquiétudes de nos collectivités que nous consacrons l’essentiel de notre temps – je le soulignais voilà un instant – à agir face à l’emballement des prix de l’énergie. Ma collègue Agnès Pannier-Runacher pourrait vous en parler, puisqu’elle passe ses soirées et ses nuits à Bruxelles (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) pour négocier les avancées sur le marché de l’électricité, et elle commence ses journées – c’était encore le cas ce matin – avec les fournisseurs en France, précisément pour lutter contre les pratiques que vous évoquez.

Oui, nous avons pleinement conscience du phénomène ! Je le redis, la première priorité – et nous sommes en train d’aboutir – est la réforme du marché européen de l’électricité pour faire baisser les prix. (M. Fabien Gay sexclame.) La deuxième est de soutenir et d’accompagner les collectivités locales. Mon collègue Christophe Béchu le rappelait à l’instant, nous avons saisi aujourd’hui le Comité des finances locales du projet de décret faisant suite au dispositif du filet de sécurité, que le Sénat a adopté et même enrichi grâce, notamment, au travail du rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson.

Je peux vous l’annoncer aujourd’hui, les collectivités locales pourront faire une demande d’acompte dès la semaine prochaine. Cet acompte pourra leur être versé entre la fin du mois de novembre et le début du mois de décembre. On parle ici d’une prise en charge jusqu’à 70 % de la hausse des prix de l’énergie ou de l’alimentation pour les collectivités, ou jusqu’à 50 % de la hausse de la masse salariale liée aux mesures sur le point d’indice.

Le tarif réglementé s’applique pour 30 000 des 36 000 communes, celles qui ont moins de 10 salariés ou moins de 2 millions d’euros de budget. Pour les autres, nous avons mis en place le filet de sécurité cette année. Nous allons plus loin avec le projet de loi de finances pour 2023 en prévoyant, comme Christophe Béchu l’a aussi rappelé, une revalorisation de la DGF de 210 millions d’euros, de sorte que 70 % des communes verront leur dotation augmenter l’année prochaine. Nous continuerons à travailler – c’est un point sur lequel nous pourrons nous retrouver dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances – à de nouveaux dispositifs qui pourraient s’inspirer du filet de sécurité pour soutenir les collectivités face aux difficultés liées aux tarifs de l’énergie.

Vous le voyez, nous sommes mobilisés pour faire baisser le prix et pour continuer à renforcer l’accompagnement des collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.

Mme Céline Brulin. Non, monsieur le ministre, toutes les collectivités n’ont pas accès au tarif réglementé, notamment s’agissant du gaz !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

Mme Céline Brulin. Au demeurant, le tarif réglementé va bientôt disparaître, et ce pour tout le monde. Il est question que plus personne n’en bénéficie à partir du mois de juillet 2023. Vous pourrez faire signer toutes les chartes que vous voulez, si vous privez la puissance publique de moyens d’agir, les phénomènes que nous connaissons aujourd’hui vont s’accélérer ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

port du voile à l’école

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. « Femmes, vie, liberté ! » Ces trois mots se propagent à travers le monde en soutien aux courageuses Iraniennes qui brûlent leur voile pour réclamer l’abolition d’une loi les obligeant à se couvrir, symbole de la soumission et de l’oppression des femmes dans une société patriarcale dirigée par un pouvoir théocratique dont elles ne supportent plus le carcan.

Alors que le voile semble être la pierre angulaire du régime des mollahs en Iran, le Gouvernement va-t-il enfin admettre qu’il s’agit d’un étendard politico-religieux ?

Je regrette encore l’opposition du Gouvernement à tous les amendements que nous avions proposés lors de l’examen du projet de loi dit Séparatisme, amendements que vous aviez alors qualifiés d’« amendements textiles ». Aujourd’hui, clairement, les entraves à la laïcité dans nos écoles augmentent de manière inquiétante. Les abayas et les qamis fleurissent dans les lycées. Autant de signes de l’influence islamiste, en particulier celle des Frères musulmans, qui se diffuse dans l’esprit d’une partie de notre jeunesse !

Quand le Gouvernement aura-t-il enfin un discours et des directives très clairs sur le sujet ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la jeunesse et du service national universel.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat auprès du ministre des armées et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de la jeunesse et du service national universel. Madame la sénatrice Eustache-Brinio, nous connaissons votre engagement pour la laïcité. La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, défendue par Gérald Darmanin et Marlène Schiappa, contient des avancées réelles (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) et nous permet de porter des coups aux atteintes à la laïcité.

Vous avez raison : il y a aujourd’hui des atteintes à la laïcité au sein de nos établissements scolaires. Nous sommes déterminés à les combattre pied à pied.

D’abord, il convient de faire appliquer en totalité la loi adoptée en 2004. Ni les signes religieux ni les tenues qui pourraient être considérées comme tels n’ont leur place au sein de nos établissements scolaires. Nous voulons poursuivre le travail entrepris par Jean-Michel Blanquer. C’est pour cela que nous souhaitons objectiver le phénomène. Nous avons besoin de chiffres. Le ministre Pap Ndiaye a décidé de les rendre publics chaque mois.

M. Jacques Grosperrin. C’est à lui de répondre !

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat. Au sein de nos établissements, nous agissons en toute clarté, en nous appuyant, entre autres, sur le vade-mecum La laïcité à lécole, dans lequel il est rappelé qu’une tenue peut être considérée comme un signe religieux par destination si elle est portée de manière régulière et si le jeune refuse de l’enlever.

Madame la sénatrice, vous le savez, pour nous, l’école est un sanctuaire (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), un sanctuaire républicain ! Nous n’y accepterons aucune atteinte aux valeurs de la République. À cette fin, des équipes soutiennent les chefs d’établissement, ainsi que les enseignants. Nous appliquons la loi de 2004, toute la loi de 2004, avec transparence et clarté. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour la réplique.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Il n’est plus temps de faire semblant, madame la secrétaire d’État.

Notre pays se fracture sur le sujet depuis ces dernières années, et vous y avez contribué en refusant tout discours de fermeté. Des enseignants sont abandonnés ou livrés à eux-mêmes et, parfois, se censurent sur leurs programmes face à des exigences communautaristes de plus en plus fortes. Le monde du sport fait face aux mêmes difficultés.

L’ambiguïté des discours et l’absence de directives claires ont abouti à des situations de plus en plus ingérables et de moins en moins supportées par la grande majorité des Français.

Lorsqu’un ministre ose dire que les problèmes peuvent être réglés en faisant appel au bon sens et à l’expérience des équipes pédagogiques, cela revient à dire : « Débrouillez-vous ! »

On ne négocie pas avec la laïcité, émancipatrice de la jeunesse ! Le voile est la vitrine des islamistes, qui savent tirer parti de notre tolérance et de notre faiblesse. Les Iraniennes nous démontrent chaque jour, au péril de leur vie, face à la police des mœurs, qu’il est de notre devoir d’avoir enfin du courage ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

réduction drastique des visas en afrique

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Hélène Conway-Mouret. Notre diplomatie revendique d’avoir des partenariats privilégiés avec l’Afrique. Si l’actualité la plus récente oblige à en douter, je concède néanmoins qu’il existe bien des échanges humains, culturels, éducatifs et économiques intemporels. Or la décision, prise par le Président de la République en conseil de défense voilà un an, de réduire le nombre de visas de 50 % pour les ressortissants marocains et algériens et de 30 % pour les Tunisiens touche précisément ceux qui tissent et entretiennent de tels liens.

Une telle politique du chiffre, qui se veut la démonstration de votre volonté de réduire l’immigration, a deux conséquences délétères.

D’abord, elle est vécue comme une punition collective par ceux qui ne présentent aucun risque migratoire et qui, pour certains, se rendent en France depuis des décennies à des fins familiales ou professionnelles. Les perdants se sentent humiliés et en expriment une aigreur et un ressentiment ; la presse nationale s’en faisait encore l’écho ce matin.

Ensuite, ce sont des appels d’offres perdus, parce que l’investisseur étranger n’obtient pas le visa nécessaire. Il se tourne alors vers un autre pays plus accueillant. L’Espagne, l’Autriche, l’Italie en tirent aujourd’hui des bénéfices économiques et vous en remercient.

De toute évidence, les mesures mises en place depuis un an se révèlent inefficaces. Les États concernés n’ont pas accepté de reprendre leurs ressortissants en situation irrégulière. L’immigration illégale n’a toujours pas cessé. Quant aux effets politiques et électoraux que vous en attendiez, les dernières élections auront montré la vanité de votre démarche.

Il est temps de laisser de nouveau le soin aux personnels expérimentés de nos consulats d’instruire toutes les demandes dont ils sont saisis et de refuser celles qui doivent l’être.

Il est temps de négocier des accords bilatéraux en matière d’immigration. Sans cela, le tissu affectif et charnel qui nous lie à l’Afrique disparaîtra, et ce sans lendemain. Qu’en pensez-vous, madame la ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Mme Catherine Colonna, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Madame la sénatrice, trois pays du Maghreb, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, ont fait l’objet, depuis le mois de septembre 2021, de mesures restrictives sur la délivrance des visas.

De telles mesures ont été décidées par le Gouvernement – vous l’avez rappelé, madame la sénatrice – en réponse au constat d’une forte baisse du nombre de laissez-passer consulaires délivrés par ces pays dans le cadre des mesures d’éloignement prononcées à l’encontre des étrangers en situation irrégulière sur notre territoire par le ministère de l’intérieur.

Je tiens à le souligner, les discussions récentes entre le ministre de l’intérieur français et ses homologues des pays concernés en matière de coopération migratoire sont positives ; il y a eu une réelle amélioration. Elles se poursuivent de manière constructive. Avec le ministre de l’intérieur, nous nous réjouissons. Des progrès ont été accomplis, encore tout récemment avec le Maroc. Nous souhaitons pouvoir continuer d’avancer, afin de mettre un terme à une telle situation.

Je veux également rappeler que les mesures restrictives avaient été mises en œuvre avec le souci de préserver au maximum les publics prioritaires, notamment les étudiants, les entrepreneurs, les artistes ou d’autres.

Enfin, au-delà du sujet spécifique des mesures concernées et de leur évolution en cours ou à venir, je ne méconnais pas l’enjeu des délais de traitement des demandes de visa dans nombre de nos consulats. Ils sont effectivement parfois trop longs – nous l’entendons de tous côtés –, mais c’est parce que nous sortons de deux années contraintes par la pandémie de covid-19. Mon ministère est mobilisé pour les réduire. J’ai décidé que des renforts seraient envoyés dans les pays qui en ont le plus besoin. Nous créerons rapidement un centre de soutien spécifique dédié à ces missions. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour la réplique.

Mme Hélène Conway-Mouret. Au vu de la montée du sentiment anti-français sur le continent africain, je crois qu’il est urgent d’agir. À mon sens, lorsque la politique migratoire touche aux relations entre États, elle ne peut pas être du ressort du seul ministre de l’intérieur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

répartition des étrangers sur le territoire

M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Sautarel. Ma question s’adresse à Mme la Première ministre, puisqu’elle fait suite à une déclaration du Président de la République qui concerne de nombreuses politiques publiques, de la question migratoire à celles de l’aménagement du territoire, de l’éducation nationale ou du logement.

Le combat pour la ruralité, son développement, sa modernisation, son attractivité, est au centre des préoccupations du Sénat, sur toutes les travées de cet hémicycle.

Alors que la reconquête de cette ruralité, qui a cruellement manqué de vision politique pendant des années, est aujourd’hui possible, nous avons été nombreux à être sidérés par les déclarations du Président de la République devant les préfets voilà quelques jours. En effet, il a proposé une meilleure répartition des étrangers accueillis sur le territoire, notamment dans les « espaces ruraux, qui, eux, sont en train de perdre de la population », et où « nous devrons fermer des classes, vraisemblablement des écoles et des collèges ». Dans ces régions, « les conditions de leur accueil seront bien meilleures que si nous les mettons dans des zones qui sont déjà densément peuplées, avec une concentration de problèmes économiques et sociaux massifs », a-t-il ajouté.

Madame la Première ministre, je vous remercie de bien vouloir préciser devant la représentation nationale votre vision de la ruralité, comme d’ailleurs de l’immigration, à la suite de ces déclarations, ainsi que les intentions du Gouvernement pour les mettre en œuvre. Y a-t-il des projets de quotas territoriaux ? Y a-t-il un conditionnement du maintien des services publics à l’accueil de migrants ? Si oui, lesquels ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, la politique migratoire de la France est l’un des axes prioritaires de l’action du ministère de l’intérieur. Des débats sont d’ailleurs prévus dans les semaines à venir, au Sénat et à l’Assemblée nationale, avant la présentation d’un projet de loi par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, en début d’année prochaine.

Nous le savons, notre politique migratoire doit évoluer. Pour cela, nous devons être plus fermes avec celles et ceux qui n’ont pas leur place sur le sol français et, dans le même temps, mieux intégrer celles et ceux qui ont vocation à y rester. L’intégration des étrangers en situation régulière est un enjeu majeur de notre politique migratoire, et c’est l’honneur de la France. Or le système actuel, qui conduit à une trop forte concentration sur certains territoires, n’est pas satisfaisant. Il suffit d’en parler aux élus locaux concernés, qui se tournent régulièrement vers l’État pour les accompagner face à ces situations humainement compliquées à gérer.

Nous devons donc mieux organiser les flux et les accueils de migrants pour mieux intégrer ces derniers. Le mécanisme de répartition territoriale existe déjà. Il fonctionne et a fait ses preuves pour les demandeurs d’asile. Nous l’avons d’ailleurs mis en œuvre à grande échelle avec l’accueil des personnes déplacées d’Ukraine. (Rien à voir ! sur des travées du groupe Les Républicains.) Une grande partie d’entre elles avaient afflué en quelques jours dans les hubs de Paris, Strasbourg et Nice. Une fois l’accueil d’urgence garanti, nous leur avons proposé d’être hébergées partout sur le territoire, et cela a fonctionné.

Cette politique, il faut donc aujourd’hui la développer, notamment à travers des mécanismes incitatifs. C’est le travail que nous conduisons, là encore, en étroite concertation avec les territoires, les associations, les élus locaux, qui sont mobilisés pour répondre aux enjeux d’intégration, d’emploi, de formation et d’attractivité.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour la réplique.

M. Stéphane Sautarel. Je vous remercie, madame la ministre, mais vous n’avez pas répondu à la préoccupation que j’essayais de vous faire partager.

La ruralité n’est pas un sous-territoire, ni pour les immigrés ni pour ceux qui y vivent. Le problème de l’immigration n’est pas celui d’une répartition territoriale. C’est une question de contrôle, de maîtrise et d’application des textes.

Notre ruralité accueille déjà de nombreux étrangers, en particulier des réfugiés ukrainiens, de manière choisie et humaine. La ruralité n’a pas aujourd’hui le cœur en berne, mais ce n’est pas le sujet sur lequel je vous interrogeais. Nous refusons de devenir une réserve où l’on parquerait les étrangers.

Au moment où nous nous battons pour la prise en compte de quelques sujets majeurs pour notre ruralité – services publics, écoles, santé, eau, zéro artificialisation nette (ZAN) –, nous renvoyer une telle vision de la ruralité est cruel et méprisant. Il semble que, pour certains, nous ne soyons destinés qu’à accueillir les migrants pour soulager les banlieues – vous l’avouez presque ! – et les éoliennes pour éclairer les urbains.

La ruralité comme sous-territoire de la France, c’est non ! Je ne crois pas que ce soit le message envoyé par les Français au moment de l’élection présidentielle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

montée du sentiment anti-français en afrique

M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Stéphane Demilly. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Bamako, Bangui, Yaoundé, Dakar, N’Djamena, et, samedi dernier, Ouagadougou : partout en Afrique, le sentiment anti-français grandit et se manifeste de plus en plus violemment.

Les contestataires, d’une part, exigent le retrait des institutions françaises de la gestion du franc CFA et, d’autre part, s’opposent à la présence militaire de notre pays sur leur continent. Les réseaux sociaux, massivement utilisés dans une guerre de l’information et de la manipulation, amplifient évidemment le phénomène. Et la présence sur le continent africain de puissances comme la Chine ou la Russie contribue à changer la donne. La Russie se présente ainsi comme un partenaire alternatif face à l’impasse militaire française au Sahel, via une société paramilitaire privée que je n’ai pas besoin de nommer. Ironie de l’Histoire, nous avons vendu l’immeuble du ministère de la coopération à des Russes, qui l’ont eux-mêmes ensuite revendu à l’État chinois pour abriter son ambassade. Certains y voient un symbole de notre politique à l’égard de l’Afrique.

Bref, il y a, et vous le savez mieux que quiconque, une spirale exponentielle d’un sentiment et d’actes anti-français sur place. Les milliards d’euros d’aide publique au développement ne changent pas la donne, car ce jugement est irrationnel, et le malaise extrêmement profond.

Par maladresse peut-être, par manque de communication assurément, nous ne parvenons pas à convaincre ou tout simplement à rassurer les populations locales sur nos louables intentions. Il y a vingt ans, en Afrique, les slogans anti-français étaient du style : « On en a marre ! » ; aujourd’hui, le slogan récurrent est : « France dégage ! ». Nous sommes donc en droit de nous inquiéter sur la nature du slogan de demain.

Madame la ministre, comment interrompre un tel processus de dégradation de l’image de notre pays, qui a des répercussions directes sur nos entreprises présentes sur place – on leur laisse parfois quarante-huit heures pour quitter le territoire ! – et sur nos quelque 250 000 compatriotes expatriés présents sur ce continent ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Mme Catherine Colonna, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Demilly, vous avez raison, la France est victime d’une scandaleuse campagne de désinformation en Afrique, dans laquelle certains se laissent entraîner et qui produit des effets nocifs. Nous prenons ce phénomène très au sérieux. Nous allons y répondre, mais pas en recourant aux instruments de ceux qui cherchent à nous nuire. Nous allons tout simplement dire et répéter la vérité.

La vérité, c’est que la France a doublé son aide publique au développement depuis 2017 et que celle-ci est très largement concentrée dans les pays d’Afrique les plus fragiles.

La vérité, c’est que nous agissons concrètement dans la lutte contre le changement climatique, pour la santé, pour le renforcement des systèmes agricoles.

La vérité, c’est que nous soutenons la culture, le sport, la jeunesse, l’éducation, les entrepreneurs.

La vérité, c’est aussi que nous nous interdisons toute ingérence, comme nous l’avons montré au Burkina Faso ces derniers jours.

Malgré cela, oui, nous sommes la cible de campagnes de désinformation. Elles sont orchestrées, professionnelles, peut-être organisées ; je ne reviens pas sur vos propos.

Nous y répondrons en mettant mieux en valeur ce que le partenariat avec la France apporte aux pays qui en font le choix.

Tel est le sens du programme de renforcement de nos capacités de diplomatie publique en Afrique, lancé cet été seulement au sein de mon ministère. Ce programme nous permettra de rappeler les paramètres du partenariat avec la France : un partenariat respectueux, d’égal à égal, avec les États comme avec les sociétés civiles et qui peut aussi s’appuyer – nous le ferons – sur les diasporas présentes chez nous. (M. François Patriat applaudit.)

collectivités territoriales et finances locales

M. le président. La parole est à M. Charles Guené, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Charles Guené. Au mois de juillet dernier, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, le Sénat a amélioré le filet de sécurité proposé pour les communes et les intercommunalités les plus fragiles, en le portant à 430 millions d’euros, afin de leur permettre de résister à l’inflation et au dégel du point d’indice. Le Gouvernement nous avait alors précisé que le filet de sécurité bénéficierait à 22 000 communes sur les 35 000 que compte notre pays.

Les collectivités ont de plus en plus de doutes quant à l’efficacité du filet, dont je précise que le Comité des finances locales a refusé les termes ce matin. Elles goûtent assez peu les fuites de notes confidentielles, parvenues opportunément à la presse, selon lesquelles elles seraient en pleine santé !

Pouvez-vous nous assurer, madame la ministre, qu’au terme du processus engagé, ces 430 millions d’euros parviendront bien aux collectivités locales ?

Surtout, comment expliquez-vous que le chiffre de 22 000 communes évoqué au mois de juillet soit désormais réduit à moins de 9 000, selon les propos tenus par un membre du Gouvernement devant notre commission des finances voilà moins de dix jours ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Charles Guené, si l’on veut mettre les choses au clair, il faut dire que, au début de l’année 2022, les finances des collectivités se portaient plutôt bien,… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Ce n’est pas bien de dire des mensonges !

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. … même si cette situation générale dissimulait déjà des disparités.

La forte inflation que nous connaissons va dégrader leurs finances en 2022 et pèsera encore plus sur les budgets en 2023, de manière plus ou moins forte selon les catégories de collectivités et la part des dépenses d’énergie dans leur budget.

Or il est essentiel – nous le savons tous – que les collectivités préservent des marges de manœuvre financières pour pouvoir assurer des services publics de qualité et investir massivement dans la transition écologique.

Le Gouvernement est pleinement conscient que l’État a besoin des collectivités locales et doit donc être à leurs côtés.

C’est dans ce sens que, avec Christophe Béchu et Gabriel Attal, nous avons construit le projet de loi de finances pour 2023, après avoir consulté l’ensemble des associations d’élus dans une méthode de concertation qu’elles semblent avoir saluée. Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’y revenir ensemble.

D’ores et déjà, un filet de sécurité pour les communes les plus fragilisées par l’inflation en 2022 a été adopté dans le cadre de la loi de finances rectificative. Son décret d’application a été présenté ce matin au Comité des finances locales ; vous y étiez présent, monsieur le sénateur.

Selon nos estimations, plus de la moitié des communes et les trois quarts des groupements de communes seront éligibles au filet de sécurité. Il conviendra évidemment d’attendre la clôture des comptes de 2022 pour savoir qui bénéficiera effectivement de la compensation. Toutefois, dès la parution du décret, un acompte pourra être demandé. Pour qu’il puisse être versé avant la fin de l’année, la demande devra être adressée avant le 15 novembre aux services de l’État.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. Le filet de sécurité pourra d’ailleurs, comme Christophe Béchu l’a rappelé tout à l’heure, inspirer un nouveau dispositif de soutien pour 2023, si le Parlement en décide ainsi lors des discussions budgétaires.

M. le président. La parole est à M. Charles Guené, pour la réplique.

M. Charles Guené. Madame la ministre, après les augmentations qui plombent leurs finances, les collectivités se voient désormais demander un effort supplémentaire, supérieur à celui que l’État s’impose à lui-même, qui pèsera sur leur budget de fonctionnement. Celui-ci devra diminuer de 0,5 % de moins que l’inflation, soit un effort de 9 milliards d’euros.

Tout cela les conduira à diminuer leurs investissements, alors qu’elles assurent à elles seules près de 70 % de l’investissement public.

Or, contrairement à l’État, les collectivités ne peuvent pas se laisser aller à la facilité de voter un budget de fonctionnement en déficit et de le financer par de la dette.

Contrairement à l’État, elles ont fait des efforts de gestion pour reconstituer leur autofinancement.

Or vous prenez aujourd’hui argument de ces efforts pour les sanctionner. C’est leur bonne gestion que vous vous apprêtez à sanctionner !

Cette méthode n’est pas la bonne. D’abord, le changement permanent des règles rend de plus en plus difficile une vision à long terme pour les élus locaux. Ensuite, les collectivités ne méritent pas d’être les boucs émissaires d’un État incapable de s’engager comme elles dans une véritable rationalisation de sa gestion, ainsi qu’en témoigne le projet de loi de finances pour 2023. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

précarité étudiante en période de rentrée

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Martine Filleul. Toutes les enquêtes convergent pour dire que cette rentrée universitaire sera la plus chère de ces vingt dernières années.

L’Union nationale des étudiants de France (UNEF) estime la hausse du coût de la vie étudiante à 400 euros : les frais d’inscription explosent, et le prix des pâtes, base de l’alimentation des étudiants, a augmenté de 21 % en un an.

Ainsi, 56 % des étudiants ne mangeraient pas à leur faim ; je dis bien 56 % ! À Lille, un tiers des étudiants vivent déjà sous le seuil de pauvreté.

Oui, en France, les étudiants ont faim. L’inflation est pour eux un coup de grâce.

Oui, en France, les étudiants ont froid. Ils vont subir un nouvel hiver dans les logements délabrés des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), qui seront encore moins bien chauffés cette année.

Oui, en France, les étudiants ont peur. Le traumatisme de l’enseignement à distance ressurgit. Certaines universités, comme celle de Strasbourg, envisagent une fermeture pour faire des économies d’énergie. Ils ont peur également de Parcoursup, dont l’algorithme opaque les hante, et de la sélection à l’entrée en master, véritable épée de Damoclès.

Le Gouvernement fait des annonces, mais elles sont sans commune mesure avec l’ampleur, la gravité et l’urgence de la situation.

Les étudiants sont-ils encore une priorité pour ce gouvernement ? Quelle université voulons-nous pour demain ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Sylvie Retailleau, ministre de lenseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, je voudrais d’abord vous remercier d’avoir choisi d’évoquer un tel sujet : en cette rentrée, dans le contexte d’inflation que nous connaissons, c’est une vraie question.

Je veux directement répondre à votre question : oui, les étudiants restent au cœur de la politique de notre gouvernement ; les étudiants et notre jeunesse sont clairement une priorité pour nous !

Nous avons déjà partiellement répondu à cette situation avant l’été, par des mesures d’urgence qui sont appliquées actuellement. Je voudrais vous les rappeler, parce qu’il est bon que tous les connaissent.

Je rappellerai d’abord que nous avons gelé les droits d’inscription, et ce depuis plusieurs années ; les loyers des Crous ont aussi été gelés.

Nous avons aussi augmenté de 4 % le montant des bourses ; l’aide personnalisée au logement (APL) a pour sa part été revalorisée de 3,5 %. Les étudiants recevant des aides annuelles du Crous, ainsi que tous les étudiants bénéficiaires des APL ont par ailleurs reçu une aide exceptionnelle de solidarité de 100 euros. S’y ajoute évidemment la reconduite des repas à un euro pour toute l’année universitaire, ce qui représente 100 euros d’économie par mois pour un étudiant. Plus de la moitié des étudiants sont concernés par ces mesures d’urgence dès la rentrée.

Je voudrais faire passer ce message, parce que je suis d’accord avec vous quant à l’importance de cette question. Un étudiant en situation de précarité pourra, s’il s’adresse au Crous, avoir accès très rapidement aux repas à un euro et à des aides d’urgence.

J’en viens à présent aux problèmes énergétiques. Le message est clair pour tous les établissements : rien ne doit se faire au détriment des étudiants. Il n’y aura ni remise à distance des enseignements ni blocage de gros projets d’investissement de nos établissements, en particulier pour la rénovation thermique et énergétique, ou pour le plan de sobriété. Les messages ont été passés et les établissements seront accompagnés au cas par cas pour que cela ne se reproduise pas. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.

Mme Martine Filleul. Madame la ministre, merci de votre réponse, mais changer quelques paramètres, comme vous le suggérez, n’est malheureusement pas suffisant.

Je vous en donne quelques exemples : 77 % des étudiants sont exclus du repas à un euro ; la majorité des boursiers perçoit l’échelon 0 bis, soit la somme dérisoire de 100 euros mensuels.

Il faut donc une refonte complète du système des bourses, comme le président Macron s’y était engagé en 2017, car le système des aides sociales aux étudiants est à bout de souffle. On ne peut pas se dispenser plus longtemps d’investir dans la jeunesse ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)

évacuation du square de forceval à paris

M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Dumas. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.

Monsieur le ministre, ce matin, vous avez ordonné l’évacuation du « campement du crack », situé dans le square de Forceval à Paris, le prolongement de la « colline du crack », cette colline de l’enfer. Après ce qui a été annoncé comme une opération d’envergure de la lutte contre la drogue dans la capitale, des questions demeurent. Où sont-ils allés ? Où vont-ils aller ? Seront-ils soignés ?

Les opérations de ces dernières années ont montré que les consommateurs de drogue et leurs dealers changeaient d’endroit rapidement, souvent d’ailleurs peu de temps avant le passage des forces de l’ordre. Cette situation reste un drame humain considérable pour ces centaines de personnes qui se droguent sous nos yeux. À cela s’ajoutent des scènes d’une violence inouïe, qui se déroulent tous les jours dans la capitale : l’agression d’un bébé, de policiers, d’un pharmacien, d’une opticienne, une femme poussée sur les rails du métro, sans oublier, tout dernièrement, celle, extrêmement violente, d’un homme de 92 ans, roué de coups par une toxicomane.

À Paris, c’est une évidence : le plan crack est un échec, car le problème n’est pas traité ; il est juste déplacé du dix-neuvième au dix-huitième arrondissement, ou inversement.

Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour éradiquer définitivement le trafic et la consommation du crack à Paris ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur et des outre-mer. Madame la sénatrice, en effet, tôt ce matin, à peu près un millier de policiers étaient dans le dix-neuvième arrondissement de Paris pour procéder à la destruction, après réquisition des services de la Ville de Paris, de ce qu’on pourrait appeler une « ville parallèle », depuis la « colline du crack », que vous avez évoquée, jusqu’au square de Forceval, mais également pour interpeller les personnes qui y passent la nuit, dont vous savez qu’elles sont à peu près 200 ; entre 600 et 700 y sont présentes le jour, en fonction d’un certain nombre d’aléas, puisque nous avons compté jusqu’à 17 points de deal de crack dans cette zone.

Il me faut rappeler que, cette année, depuis le 1er janvier, 772 affaires ont été traitées par la police parisienne, et 584 personnes interpellées. Cela montre à chacune et à chacun le travail qui était déjà effectué auparavant.

Cependant, après m’en être ouvert auprès de Mme la Première ministre, j’ai décidé de lancer cette opération, qui permettra de laisser pendant plusieurs jours, plusieurs semaines, voire plusieurs mois, s’il le faut, des centaines de policiers entre la place de la Bataille-de-Stalingrad, à Paris, et les villes d’Aubervilliers et de Pantin, pour empêcher la reconstitution de ces villages de drogue à ciel ouvert : il s’agit non pas de les déplacer, mais bien d’y mettre fin.

Ce matin, 211 contrôles d’identité ont été effectués : 52 individus étaient en infraction à la législation sur les étrangers, c’est-à-dire en séjour irrégulier sur le territoire national ; ils sont donc en train d’être conduits dans des centres de rétention administrative (CRA). Nous avons réservé 70 places de CRA pour pouvoir y mettre ces personnes jusqu’à leur expulsion du territoire national. On a mis à l’abri 62 autres personnes, notamment des femmes particulièrement vulnérables. La police a effectué 39 interpellations, dont 17 fiches de recherche ; 6 infractions à la législation sur les stupéfiants ont été relevées, 11 personnes avaient des armes et un pistolet automatique a d’ailleurs été retrouvé ce matin très tôt. Enfin, il a été procédé à 5 hospitalisations d’office.

Madame la sénatrice, l’État a pris ses responsabilités pour mettre fin à ce désordre, que les Parisiens ne pouvaient plus accepter. Il faut désormais que les collectivités locales, en lien bien sûr avec les autorités de santé, prennent aussi leurs responsabilités. C’est le sens des appels que j’ai eus avec Mme la maire de Paris, que j’ai prévenue hier. C’est aussi le sens du travail partenarial auquel Mme la Première ministre et moi-même appelons, avec la région Île-de-France et la Ville de Paris pour que l’ordre soit maintenu, bien évidemment, mais aussi pour que le suivi sanitaire soit assuré. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour la réplique.

Mme Catherine Dumas. Je prends note de ces éléments, qui sont censés répondre à l’inquiétude ou, plutôt, à la colère des riverains, mais aussi à l’impatience des élus parisiens. Avec les élus du groupe Changer Paris, sous la présidence de Rachida Dati, nous prendrons d’ailleurs une initiative lors du prochain conseil de Paris. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)

À cette occasion, nous comptons sur le plein soutien du préfet de police Laurent Nuñez, d’autant que l’exécutif parisien a montré toutes ces dernières années son incompétence et son inefficacité en la matière.

Alors, monsieur le ministre, votre responsabilité est grande. Ne laissez pas perdurer dans notre capitale le plus grand marché à ciel ouvert de crack en France ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

situation de la ligne entre clermont-ferrand et paris

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Marc Boyer. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé des transports.

Les 17 millions d’habitants du territoire auvergnat et du Massif central se désespèrent d’être les enfants pauvres des mobilités de la République, au point que, sur une carte isochrone de la France, Marseille se retrouve au nord de Clermont-Ferrand pour le temps de trajet vers Paris.

Les ministres passent, et les trains sont toujours très en retard sur la ligne Clermont-Paris… Depuis de nombreuses années, de manière récurrente, des incidents et des retards importants pénalisent fortement la desserte de notre territoire auvergnat. Cette situation était déjà inadmissible ; elle devient aujourd’hui totalement incompréhensible et révoltante. Les retards ont été jusqu’à dix-sept heures au mois de juillet dernier !

Monsieur le ministre, comment pouvez-vous venir sur notre territoire et nous dire la même chose, mot pour mot, que votre prédécesseur voilà trois ans, sur l’aspect financier du problème, sur les travaux tant attendus ?

En effet, les améliorations nécessaires de la ligne n’avancent pas et le calendrier n’est pas respecté. Pire encore, vous exigez désormais une étude environnementale qui retardera encore les travaux de deux ans, alors qu’il manque déjà 130 millions d’euros pour l’électrification de la ligne.

Alors, monsieur le ministre, envisagez-vous de respecter le calendrier initial et les financements des travaux prévus pour 2025 ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.

M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Monsieur le sénateur Boyer, vous avez raison d’insister sur l’importance de cette ligne dite « d’équilibre du territoire ». Il est exact qu’elle a connu historiquement d’importantes difficultés ; vous avez rappelé un épisode particulièrement désagréable du mois de juillet dernier. J’avais eu alors un échange avec le maire de Clermont-Ferrand, ville dans laquelle je me suis rendu au mois de septembre.

Cette ligne est importante. C’est pourquoi l’État a engagé ces dernières années un effort absolument exceptionnel, qui est maintenu et déployé. Je veux rappeler qu’aucun autre projet, sinon une autre ligne d’équilibre du territoire de même importance, la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT), ne fait l’objet d’un tel investissement : l’État apporte 1,2 milliard d’euros pour la modernisation et la régénération du réseau et pour le renouvellement intégral du matériel roulant.

Je le confirme : les engagements seront tenus. C’était déjà le sens de ma visite à Clermont-Ferrand. Certes, je ne l’ai pas caché, des difficultés de calendrier se posent. L’Autorité environnementale a exigé une étude préalable. Ce n’est pas le Gouvernement qui en est responsable ; nous respectons simplement les procédures prévues par l’Autorité environnementale, qui s’imposent à nous tous. Je déplore que cela ajoute une procédure, mais il en est ainsi, et nous devons le respecter. Les délais supplémentaires qui découlent de cette décision de l’Autorité environnementale seront précisés ; je les partagerai en toute transparence d’ici à la fin de l’année. En revanche, ils n’empêcheront pas le déploiement de l’intégralité du nouveau matériel roulant.

La rénovation du réseau est en cours de réalisation. J’y insiste, nous tiendrons là aussi nos engagements et nous assurerons nos financements.

Un dernier point demeure, à la fois pour la ligne POLT et pour la ligne Paris-Clermont, lié à la situation industrielle que vous connaissez. Le renouvellement du matériel roulant est assuré par une entreprise, CAF, qui produit en France et qui connaît des difficultés industrielles, comme beaucoup d’entreprises. Je recevrai la semaine prochaine son PDG pour préciser les délais de livraison.

Vous avez relevé, en faisant un clin d’œil bienveillant à ma visite du 15 septembre à Clermont-Ferrand, que je n’y avais pas annoncé d’éléments nouveaux. Ma responsabilité est de tenir les engagements et de réduire les calendriers. Nous le ferons. Surtout, en attendant, je m’engage à améliorer la qualité de service. À cette fin, nous instaurerons un comité de suivi mensuel, à partir de la fin du mois d’octobre, qui réunira tous les élus intéressés, de toutes les sensibilités – j’espère que tout le monde y participera – pour améliorer le fonctionnement de cette ligne, qu’il s’agisse de connexions, de propreté, ou de sa régularité, qui s’est d’ailleurs améliorée depuis le début de l’année. Nous y sommes totalement engagés et je me rendrai de nouveau à Clermont-Ferrand avant la fin de l’année pour assurer ce suivi. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour la réplique.

M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le ministre, votre réponse est décevante ; elle n’est pas à la hauteur des attentes du territoire. À ce désastre ferroviaire s’ajoute le désengagement d’Air France, qui a réduit la fréquence de ses vols pour Clermont-Ferrand de huit à trois allers-retours quotidiens. Quel mépris pour notre territoire, qui n’est pourtant pas à moins de deux heures de la capitale en train !

Le TGV Paris-Orléans-Clermont-Lyon doit donc redevenir une priorité pour l’avenir économique du Massif central, seul territoire non desservi par une ligne à grande vitesse. Le président de l’association TGV Grand Centre Auvergne, notre collègue Rémy Pointereau, y travaille très sérieusement.

Monsieur le ministre, face à ce constat désespérant, je vous le demande avec gravité : engagez avec tous les partenaires un véritable plan de désenclavement ferroviaire et aérien du centre de la France et du Massif central ! C’est un cri ; c’est une urgence ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Éric Jeansannetas applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 12 octobre 2022, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Alain Richard.)

PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l’homme en Iran

Débat d’actualité

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat d’actualité sur le thème : « Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l’homme en Iran ».

Madame la ministre, mes chers collègues, par ce débat, retenu par le président du Sénat sur le fondement des propositions des groupes politiques, le Sénat souhaite rappeler la mémoire de Mahsa Amini, décédée le 16 septembre dernier en Iran, après avoir été arrêtée pour une mèche de cheveux qui dépassait de son voile, et celle de Hadis Najafi, exécutée par la police parce qu’elle réclamait sa liberté en tant que femme et Iranienne.

Nous souhaitons, lors de ce débat, rendre hommage à l’ensemble des victimes de la répression du puissant mouvement de contestation en Iran et à toutes ces femmes et ces hommes qui revendiquent aujourd’hui leur liberté et dont nous saluons unanimement le courage.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.

Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Billon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 16 septembre dernier, la mort de Mahsa Amini, âgée de seulement 22 ans, après son arrestation par la police des mœurs pour avoir porté une tenue jugée non appropriée, nous a profondément choqués.

Depuis lors, l’Iran connaît une contestation populaire d’une ampleur inédite. Des femmes, des hommes, la jeunesse iranienne manifestent chaque jour dans les villes d’Iran pour exprimer leur colère.

Le mouvement de contestation entre dans sa troisième semaine et ne faiblit pas, tout comme la répression sanglante organisée par le pouvoir en place.

Les dernières nouvelles qui parviennent à sortir du pays, malgré les coupures d’internet organisées par le gouvernement, font état d’une centaine de morts et de plus d’un millier d’arrestations arbitraires.

La police n’hésite plus à entrer dans les universités pour réprimer les étudiants soupçonnés d’apporter leur soutien à la lutte pour le droit des femmes.

La persécution des femmes en Iran perdure depuis de nombreuses années. Si l’on a pu espérer quelques améliorations de leur statut sous le mandat de Hassan Rohani, l’élection du président Ebrahim Raïssi a mis un terme aux espoirs de progrès en faveur du droit des femmes.

Dans son dernier rapport annuel sur l’Iran, Amnesty International est sans concession. Les discriminations envers les femmes sont nombreuses : mariage, divorce, emploi, succession ou encore accès aux fonctions politiques… Les inégalités perdurent.

Les droits des femmes et des filles sont bafoués par le régime iranien. Par exemple, l’âge légal du mariage est toujours fixé à 13 ans. Les pères peuvent même obtenir des autorisations pour marier leurs filles à un âge encore plus jeune.

Le port du voile, imposé par la loi, est synonyme de harcèlement quotidien, d’invisibilisation des femmes, de détentions arbitraires, d’actes de torture et d’autres mauvais traitements de la part des gardiens de la révolution.

Ces contestations, qui se sont levées à la mort de Mahsa Amini, ne reflètent pas seulement le recul du droit des femmes ; elles dénoncent tout un régime et ses abus.

« Femmes, vie, liberté ! » : nous devons faire nôtre ce magnifique slogan des manifestantes et manifestants qui ont le courage de défier le pouvoir en place pour mettre fin aux terribles discriminations dont sont victimes les femmes iraniennes.

La communauté internationale, si elle est attachée à la défense des droits des femmes, doit envoyer un signal fort et unanime pour soutenir cette contestation historique.

Madame la ministre, quelles actions en faveur de la contestation populaire iranienne le Gouvernement compte-t-il mettre en place ? Le sujet fera-t-il l’objet d’échanges lors de la réunion informelle des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne ? Des sanctions semblent être en discussion. Qu’en est-il ?

Que penser de l’élection de l’Iran à la Commission de la condition de la femme des Nations unies en 2021 alors que la persécution des femmes y est systématique ? Ce pays a-t-il vraiment sa place dans une instance internationale ayant pour objet de promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes ?

Faisons nôtre ce slogan : « Femmes, vie, liberté ! » (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, en Iran, depuis la mort de Mahsa Amini, interpellée voilà trois semaines par la police des mœurs parce qu’une mèche dépassait de son foulard, la contestation ne retombe pas.

Elle touche l’ensemble du pays. La répression est féroce ; le nombre de morts et de personnes arrêtées augmente chaque jour.

Les revendications dépassent la seule question du port du voile : le Guide suprême et le régime sont désormais remis en question.

De son côté, que fait la France ? Notre président se drape dans un silence opportuniste. On ne touche pas trop à l’Iran, utile en cette période de guerre à l’est, avec le probable retour sur le marché international de ce grand vendeur de pétrole.

Au cours de son entretien, à New York avec le dirigeant ultraconservateur iranien Ebrahim Raïssi en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, le Président de la République a juste demandé une enquête transparente sur la mort de Mahsa Amini, les échanges se concentrant sur le dossier nucléaire iranien.

Les manifestants, femmes et hommes, s’organisent actuellement hors partis ; c’est à la fois leur force et leur faiblesse. Une telle spontanéité pousse des cinéastes, athlètes, musiciens et artistes à exprimer leur solidarité.

Le pouvoir annonce qu’il s’en prendra aux célébrités qui auront soufflé sur les braises. Le réalisateur Asghar Farhadi, deux fois oscarisé, a invité « tous les artistes, cinéastes, intellectuels, militants des droits civiques du monde entier à exprimer leur solidarité ». Et l’artiste franco-iranienne Marjane Satrapi d’insister : « Il faut envoyer un signal fort. »

En France, une cinquantaine de personnalités et d’artistes femmes ont diffusé une vidéo dans laquelle elles se coupent une mèche de cheveux en soutien aux femmes iraniennes. J’appelle tout le milieu artistique français et les personnalités à rejoindre largement cette mobilisation.

Quant à nous, les politiques, ne devons-nous pas, au-delà des protestations d’usage, faire pression avec vigueur et conviction sur l’exécutif pour qu’il sorte de sa frilosité ?

Mobilisons-nous et évitons d’instrumentaliser la lutte des Iraniennes pour régler nos différends intérieurs sur la question du voile en France.

L’enjeu de nos engagements est clair : la liberté et les droits humains. Je regrette qu’il y ait aujourd’hui si peu de collègues présents dans l’hémicycle quand nous devrions converger par des actes symboliques pour manifester notre soutien aux Iraniennes et aux Iraniens. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel. (M. André Guiol applaudit.)

Mme Guylène Pantel. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, au nom du groupe RDSE, je remercie les organisateurs de ce débat d’actualité ô combien fondamental pour quiconque se réclame de l’humanisme.

À plus ou moins cinq heures d’avion de Paris, la mort à 22 ans de la jeune Mahsa Amini le 16 septembre dernier a déclenché un grand mouvement de libération des femmes et de contestation contre le régime autoritaire de la République islamique d’Iran.

La disparition de la jeune fille d’origine kurde résulte d’une arrestation violente de la police locale des mœurs ayant pour motif un « port de vêtement inapproprié ». Le média d’opposition en exil Iran International a diffusé un scanner de son crâne mettant en évidence une fracture osseuse, une hémorragie et un œdème cérébral compatibles avec un passage à tabac.

Le rappel d’une telle tragédie est fondamental pour prendre la mesure de la mécanique infernale d’oppression instaurée dans ce pays.

Voilà de quoi il retourne lorsque l’on parle d’atteintes aux droits des femmes et des hommes en Iran : un État totalitaire et répressif !

Selon plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), les femmes, les personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres (LGBT) et les membres de minorités ethniques ou religieuses font face à des violences et discriminations quotidiennes dans toutes les sphères de la société, et ce, naturellement, avec l’approbation et les encouragements des autorités politiques et religieuses, dont les relations sont particulièrement poreuses.

Les observateurs constatent également des atteintes au droit aux libertés d’expression, d’association et de réunion. L’interdiction de partis politiques indépendants, de syndicats et d’organisations de la société civile et la censure des médias sont monnaie courante.

Idem en ce qui concerne le système judiciaire : l’égalité devant la loi, la séparation des fonctions, le secret de l’instruction, les droits de la défense, la présomption d’innocence, la possibilité de voies de recours et le principe du contradictoire sont totalement piétinés. La peine de mort y est pratiquée impunément, à l’issue de procès grotesques.

Compte tenu de tels éléments, et dans le contexte de mobilisation citoyenne, les informations qui nous parviennent au compte-gouttes ne peuvent que provoquer notre stupeur. En effet, bien que l’accès aux réseaux sociaux soit devenu presque impossible en Iran depuis le début de la contestation, des images et des vidéos édifiantes parviennent à franchir la censure et soulignent le danger auquel les manifestants s’exposent.

Au-delà de l’émotion éprouvée à juste titre, notre pays se doit d’être à la manœuvre pour promouvoir les valeurs que nous portons fièrement dans notre devise républicaine.

Notre premier réflexe doit être d’envoyer un message d’unité et de solidarité dans le combat pour le droit des femmes à disposer de leur corps, à arborer leur chevelure, à interrompre une grossesse non désirée, à circuler librement, à accéder au marché du travail… Ces combats sont universels, contre un patriarcat qui tue, mutile et blesse psychologiquement.

Notre deuxième réflexe doit être de se coordonner à l’échelon européen et d’élaborer une stratégie diplomatique pour soutenir concrètement les populations en danger. Dans cette optique, nous devons manipuler avec une très grande précaution les mesures restrictives, car elles peuvent avoir pour effet pervers d’appauvrir les plus fragiles.

Il nous semblerait par exemple cohérent, au vu des risques avérés de persécution, d’accorder une protection, en France ou dans d’autres pays européens, aux Iraniens qui en ont besoin. Cette protection doit être maintenue jusqu’à la mise en conformité du droit interne iranien avec le droit international.

En outre, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies doit être saisi pour ouvrir une enquête indépendante sur place, afin de recueillir des preuves des agissements du régime à l’encontre de son peuple et d’engager ainsi des poursuites en temps utile.

Le recueil de preuves d’exactions peut aussi être facilité via une stratégie d’offensive numérique d’accompagnement aux initiatives permettant à la population de retrouver un accès normal à internet et de communiquer avec le reste du monde.

Quelles que soient les mesures engagées par notre pays, leurs finalités doivent être : « L’humain d’abord ! » et « Femmes, vie, liberté ! » (M. André Guiol, Mme Marie-Arlette Carlotti et Mme Nassimah Dindar applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 16 septembre, pour avoir « mal porté son voile » dans les rues de Téhéran, une jeune femme, Mahsa Amini, est morte aux mains de la police des mœurs : pour avoir « mal porté son voile » ! La futilité confondante des raisons ayant mené à son décès ne rend celui-ci que plus révoltant, plus avilissant pour ceux qui s’en sont rendus coupables.

Ce drame vient rappeler au monde, s’il en était besoin, la réalité de ces millions d’Iraniennes qui vivent sous le joug de la révolution islamique. Il expose aux yeux de tous la brutalité des sbires de ce régime anachronique, qui considère – littéralement ! –, au travers de la diyya, que la vie d’une femme ne vaut que la moitié de celle d’un homme. Il souligne également le profond mépris des mollahs pour les minorités du pays, dont les cultures n’ont, depuis longtemps, plus droit de cité en Iran.

Car Mahsa Amini, en plus d’être une femme, avait un autre tort : celui d’être kurde. Sa mort aura été l’étincelle qui a embrasé la contestation qui couvait, d’abord, dans sa région natale du Kurdistan, puis presque immédiatement, à Téhéran, à Mechhed, deuxième ville du pays, et, comme une traînée de poudre, dans tout l’Iran.

La mobilisation n’a cessé depuis. Cette « révolution des femmes », comme certains n’hésitent pas à la nommer, provoque des scènes que nous aurions tous crues impensables voilà encore quelques semaines : des Iraniennes descendant en masse dans la rue, tête nue, sous les acclamations de la foule ; d’autres se coupant les cheveux ou brûlant ce voile ayant coûté la vie à l’une des leurs et illustrant, plus que tout autre symbole, le statut d’infériorité dans lequel a voulu les enfermer un islam rigoriste et théocratique. Ces femmes iraniennes sont – il est fondamental de le rappeler – soutenues et accompagnées par les hommes iraniens.

Leur appel, qui s’exprime au cri de « Femmes, vie, libertés ! » est plus qu’un cri de colère. C’est évidemment un rejet, mais c’est aussi un projet, car il est porteur de valeurs, ces valeurs qu’elles incarnent là-bas, avec un courage étourdissant, et que nous défendons ici, parfois bien timidement face aux coups de boutoir qu’elles ne cessent de subir depuis ces dernières années !

Quelle peut être l’issue de ce mouvement ? Nous nous souvenons des grandes manifestations de 2017, puis de 2019, qui, déjà, avaient violemment remis en cause le pouvoir en place.

Les émeutes actuelles, d’une ampleur plus importante et d’une nature plus profonde, préfigurent le vacillement d’un régime contesté dans son essence et les prémices de son effondrement.

Une certitude s’est rapidement imposée : la réponse des autorités sera féroce, et ne fera, pour reprendre les mots du chef du système judiciaire iranien, « preuve d’aucune indulgence ». Elle s’est déjà traduite par des milliers d’arrestations, des dizaines de morts et des centaines de blessés. Pour ajouter à l’intolérable, elle menace désormais la stabilité régionale en projetant la violence au-delà du territoire iranien. Téhéran, prétextant la crise, a frappé à coups d’artillerie, de drones et de missiles balistiques les locaux des partis d’opposition kurdes réfugiés de l’autre côté de la frontière avec l’Irak, accusés de souffler sur les braises de la contestation contre le régime.

Le gouvernement iranien vient en outre de lancer un avertissement sans équivoque à ceux qui, dans les médias, ont pris fait et cause pour le mouvement, qu’il s’agisse de journalistes, d’acteurs, de musiciens ou de sportifs. On pense notamment à ces joueurs de l’équipe nationale de football qui ont assené publiquement cette phrase lourde de sens : « Les cheveux de nos filles sont recouverts d’un linceul. »

Cette répression est avant tout une meurtrissure faite au peuple iranien et une nouvelle insulte aux valeurs de liberté et de dignité, que nous avons en partage avec les manifestantes et manifestants d’Iran.

Nous ne pouvons donc pas rester sans réaction et nous tenir à l’écart de ce qui est plus qu’un soubresaut de l’Histoire, même si nos moyens d’action sont – il faut bien le reconnaître – très limités.

Il est probable que l’Union européenne adopte des sanctions, comme elle le fait à chaque nouvelle violation grave des droits de l’homme en Iran. Malgré leur absence prévisible d’effets concrets, il est indispensable que de telles mesures soient prises, car nous ne pouvons plus nous contenter des nécessaires condamnations de principe émises jusqu’à présent.

La France, madame la ministre, devra jouer un rôle majeur dans ce processus européen, mais aussi dans la mobilisation internationale, en œuvrant à ce que toutes les instances compétentes des Nations unies se saisissent d’urgence de la situation iranienne.

Cela ne suffira sans doute pas à infléchir le cours des événements, et encore moins la nature profonde du régime iranien, mais il est essentiel que ce dernier, mis sous pression de l’intérieur, le soit également de l’extérieur.

Surtout, il est fondamental que les Iraniennes sentent qu’elles ne sont pas seules, qu’elles sachent que le monde les regarde et est à leurs côtés. Il faut, en d’autres termes, faire nôtre le précepte du philosophe Ali Shariati, cité par Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix iranienne, dans son ouvrage La cage dorée : « Si vous ne pouvez éliminer l’injustice, au moins, racontez-la à tous. » (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le temps des dictateurs est revenu. Les démocraties, au terme d’une lutte implacable, avaient vaincu au XXe siècle les deux totalitarismes aux dizaines de millions de morts. Certains les croyaient disparus à jamais.

Sous nos yeux, l’internationale des tyrans se reforme. Le boucher de Moscou, le génocidaire des Ouïghours en Chine, le docteur Folamour de Corée du Nord, le massacreur de femmes de Téhéran et quelques autres se sont regroupés. Leur seul but : se venger, abattre l’Occident, mettre à bas la liberté et, en premier lieu, celle des femmes.

Le pire est que, comme au siècle précédent, ils comptent des alliés dans nos propres pays : les adorateurs de Poutine, indifférents au massacre des Ukrainiens ; les complices de Xi, qui se moquent des Ouïghours et de Taïwan ; les alliés de Khamenei, expliquant, au moment où les Iraniennes meurent, que le voile est seyant ; en un mot, les populistes de tous bords, qui partagent une idée fixe avec les despotes : la haine de la démocratie.

Depuis le début de la révolte en Iran, et jusqu’à la manifestation de dimanche dernier à Paris, ces professionnels de l’indignation, ceux qui battent le pavé chaque semaine pour crier que la police tue ou dénoncer le racisme systémique en France, avaient disparu. Où étaient-ils lors des deux premiers rassemblements en soutien des femmes iraniennes ? En week-end sans doute, comme lors des manifestations pour l’Ukraine ! Leurs comptes Twitter, qui dénoncent chaque jour le patriarcat et l’islamophobie, sont devenus muets : pas un mot de soutien, pas un appel contre la « mollarchie » et sa police des mœurs ! Pendant qu’à Téhéran, les femmes meurent sous les coups et les balles, ils préfèrent dénoncer le virilisme du barbecue, faire l’éloge d’un gifleur ou juger les harceleurs dans des « comités de transparence », qui sont l’oxymore le plus grotesque inventé depuis la dictature du prolétariat.

Quelques-uns d’entre eux ont réapparu dimanche dernier lors du rassemblement place de la République à Paris. Les Iraniens et les Iraniennes présents leur ont donné une grande leçon de laïcité. En signifiant à Mme Rousseau qu’elle n’était pas la bienvenue, ils ont rendu clair pour tout le monde cette évidence : on ne peut pas en même temps être pour le voile à Paris et défendre celles qui brûlent leur voile à Téhéran. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.) En sifflant Mme Manon Aubry, ils ont signifié qu’un parti ne peut pas marcher avec les islamistes en 2019 et soutenir les victimes de la République islamiste en 2022. En un mot, ils nous ont montré qu’on ne peut à la fois être communautaristes et universalistes : il faut choisir.

En Iran, des femmes risquent leur vie pour se débarrasser du voile. Ici, les intersectionnels le présentent comme une liberté. Écoutons ce que leur répond Chantal de Rudder : « Le voile n’est pas un objet cultuel, mais un objet politique. C’est le produit phare de l’islamisme. Et c’est désormais une affirmation anti-occidentale et antidémocratique. »

Ce morceau d’étoffe, Bourguiba l’appelait « l’épouvantable chiffon ». Aux naïfs qui croient que se voiler est un choix, aux décoloniaux qui n’ont jamais lu un livre d’histoire, il faut rappeler que la lutte contre le voile n’est pas une oppression néocoloniale : les grands dirigeants musulmans ayant compris que la soumission de la femme était l’une des causes principales du déclin de leur pays l’ont combattu. Atatürk, le premier, l’a interdit dans les années 1920 en Turquie ; puis, ce fut Reza Chah dans les années 1930 en Iran, et Bourguiba plus tard en Tunisie. Nasser, en Égypte, s’en moquait publiquement devant le grand mufti d’al-Azhar.

Ce combat, gagné par eux, a été perdu depuis la révolution islamique de 1979. Les femmes iraniennes reprennent aujourd’hui ce flambeau contre les mollahs, les ayatollahs, les dictateurs, les talibans et leur police des mœurs.

C’est un coup de poignard dans le dos de ces combattantes qu’enfoncent certaines néoféministes en condamnant toute critique du voile au prétexte de ne pas nourrir l’islamophobie. C’est un coup de poignard dans le dos lorsque Sandrine Rousseau déclare que le voile peut être un « embellissement » ou que Rokhaya Diallo ose affirmer : « La liberté peut aussi être dans le hijab. »

Combien faudra-t-il de morts à Téhéran pour que l’héroïsme des Iraniennes les force à ouvrir les yeux et les oreilles et pour qu’elles cessent de danser le moonwalk de Michael Jackson en faisant semblant de faire avancer la cause des femmes tout en la faisant reculer ?

Le XXIe siècle s’annonce aussi dangereux que le précédent ; il est temps de s’en rendre compte. Ceux qui croient que nous ne sommes pas en guerre ou qui, pour se rassurer, se forcent à le croire commettent une erreur tragique, car les dictateurs et les ayatollahs, eux, savent qu’ils sont en guerre contre nous.

Puissent les admirables femmes iraniennes, les héroïques soldats ukrainiens et les courageux dissidents chinois nous convaincre de nous rallier à leur cri : « Liberté ! » (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, mes chers collègues, je me permets de commencer par quelques mots qui ne sont pas de moi :

« Pour danser dans la rue

« Pour toutes les fois où nous avons peur de nous embrasser

« Pour ne plus avoir honte d’être pauvres

« Pour l’enfant qui, jusque dans ses rêves, doit fouiller dans les poubelles

« Pour respirer un air pur

« Pour les arbres qui meurent […]

« Pour ces larmes qui ne cessent de couler

« Pour les étudiants, pour leur avenir

« Pour les enfants afghans

« Pour cette petite fille qui rêve d’être un garçon

« Pour femmes, vie, liberté ! »

Ces paroles sont celles d’une chanson de Shervin Hajipour, emprisonné après l’avoir publiée. Il ne l’a pas composée, puisqu’elle est formée à partir de tweets postés courageusement par celles et ceux qui se dressent en Iran contre l’oppression. Ces paroles démontrent une chose qui est insupportable pour le pouvoir en place : ce qui se passe en Iran est profondément différent de ce qui a pu se passer lors des dernières révoltes.

Car, précisément, il ne s’agit pas d’une révolte. On avait déjà vu, dans le passé, une partie de la société iranienne, plutôt la jeunesse des villes, courageuse, engagée, réprimée, se mobiliser.

Nous assistons à quelque chose d’une tout autre dimension. Un mouvement de masse, guidé par des femmes, est en train d’agréger tout ce que la société iranienne compte de personnes qui veulent être libres et vivre dignement : les femmes, d’abord ; les hommes aussi ; les minorités ethniques, politiques, religieuses, sexuelles, de genre ; les jeunes, qui ne voient pas d’avenir ; les pauvres, qui ne peuvent pas survivre, dans un pays où l’inflation est de plus de 40 % ; les universitaires, qui ne peuvent pas enseigner ; les paysans, qui ne peuvent pas cultiver leurs champs à cause de la gestion désastreuse de l’eau ; toutes celles et tous ceux qui, au fond, veulent simplement respirer, vivre, aimer.

Le féminisme – la lutte féministe – déploie en ce moment même en Iran, et je pèse mes mots, sa puissance révolutionnaire !

Ce qui est en train de se passer en Iran n’est pas une révolte. C’est une révolution : une révolution pour la démocratie, pour la justice, contre la tyrannie religieuse ; une révolution pour les femmes, pour la vie et pour la liberté. Or une révolution ne se calme pas, elle ne passe pas ; elle se fait.

Ce sont donc les femmes qui entraînent et entraîneront, un jour ou l’autre – je ne sais pas quand –, la chute de ce régime.

Ce sont les femmes qui, en luttant pour leurs droits, pour leurs libertés, tracent en ce moment même le chemin des droits et des libertés tout court.

Ce sont les femmes qui, en réclamant l’égalité pour elles, peuvent conquérir l’égalité tout court.

En France, comme ailleurs dans le monde, on entend souvent dire que les féministes mènent des combats marginaux, que les luttes des femmes sont secondaires, qu’il y a plus urgent et mieux à faire, que la vraie, la grande et la sérieuse politique, c’est autre chose.

Les Iraniennes, qui, au prix et au péril de leur vie, brûlent leur foulard, dansent dans la rue et crient à la fin de la dictature font en ce moment même la démonstration puissante, bouleversante et irréfutable que, dans notre monde, les combats des femmes sont l’avant-garde des combats pour toutes et tous. Les valeurs pour lesquelles se battent les Iraniennes et les Iraniens, réprimés dans le sang, ne sont pas des valeurs occidentales, importées des États-Unis ou d’Israël. Ce sont des valeurs universelles, bien ancrées en Iran. Ce sont leurs valeurs, et nous les partageons.

Aussi, face à cette révolution, face à sa répression dans le sang, face à ces morts pour la liberté, nous devons, bien sûr, relayer leurs voix, mais nous devons aussi agir.

Lorsque Vladimir Poutine a envahi l’Ukraine le 24 février 2022, le soir même, les dirigeants européens se réunissaient pour s’accorder sur un premier train de sanctions, entré en vigueur dès le lendemain, le 25 février. Or, nous sommes au dix-neuvième jour de la révolution ; cela fait dix-neuf jours qu’un régime massacre son peuple ! Jusqu’à présent, pas grand-chose n’a été fait. (Mme la ministre de lEurope et des affaires étrangères le conteste.) Les négociations relatives au nucléaire iranien continuent comme si de rien n’était. Il n’y a pas à l’échelon européen de nouvelles sanctions. On entend dire qu’il s’en préparerait pour la réunion du Conseil des ministres des affaires étrangères le 17 octobre prochain, soit un mois après le début de la révolution… Ce n’est pas possible ! Il faut agir !

Cet après-midi, en plus de débattre ici, nous pouvons faire autre chose : écouter sans crainte quelques instants l’hymne révolutionnaire qu’il est interdit d’écouter librement en Iran. (Loratrice diffuse, à laide de son téléphone portable, un extrait sonore de la chanson quelle a citée au début de son intervention.) Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne.

Mme Samantha Cazebonne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 16 septembre dernier, une jeune femme de 22 ans est morte alors qu’elle était aux mains de la police des mœurs iranienne pour « port de vêtements inappropriés ».

Depuis lors, les femmes et la jeunesse iraniennes se soulèvent massivement dans la rue et dans les universités pour crier une révolte légitime. En réponse, l’appareil sécuritaire iranien réprime ces manifestations avec brutalité.

Si nous sommes toutes et tous réunis aujourd’hui dans cet hémicycle, c’est parce que l’arrestation, puis la mort de Mahsa Amini et la répression des manifestations, que nous déplorons, nous choquent profondément.

D’aucuns pourraient penser que débattre de l’atteinte aux droits des femmes et aux droits de l’homme à 5 000 kilomètres de Téhéran, comme nous le faisons aujourd’hui, est inutile et vain. Je pense tout le contraire, car c’est de la liberté qu’il est question. Je veux croire que la liberté n’est jamais acquise, qu’elle ne se décrète pas, mais qu’elle s’exerce et qu’il est important d’en débattre encore ici aujourd’hui.

Si ce débat nous permet de condamner la mort de Mahsa Amini et la répression violente des manifestations qui a suivi, il est surtout l’occasion de rappeler que les combats pour la liberté et contre les violences faites aux femmes sont loin d’être gagnés.

Aussi la France doit-elle utiliser toute son influence pour promouvoir l’universalisation de la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, qui représente aujourd’hui l’instrument international le plus abouti dans cette lutte indispensable contre les violences faites aux femmes. Sans doute faut-il aussi, avec nos partenaires européens, envisager la possibilité de recourir au régime de sanctions de l’Union européenne en matière de droits de l’homme.

Par ailleurs, en tant que sénatrice des Français de l’étranger, comment ne pourrais-je pas évoquer les quelque 1 500 de nos concitoyens qui vivent aujourd’hui en Iran ? Plus de 80 % d’entre eux sont des binationaux. Or l’Iran ne reconnaît pas la double nationalité. Autrement dit, les binationaux qui y sont retenus ne peuvent pas bénéficier de l’assistance consulaire de la France. Le contexte actuel fait que cette communauté binationale, naturellement très sensible à la question des droits de l’homme et des droits des femmes, est particulièrement exposée. Elle court le risque d’une arrestation et d’une détention arbitraires et d’un jugement inéquitable. Ces derniers jours, la presse s’est d’ailleurs fait l’écho de l’annonce du ministère iranien du renseignement indiquant que neuf ressortissants étrangers auraient été arrêtés, dont au moins un Français. Je veux ici relayer la vive inquiétude de la communauté française en Iran et dire que la France doit tout mettre en œuvre pour protéger ses ressortissants.

Notre groupe condamne fermement l’arrestation et la mort de Mahsa Amini, ainsi que la répression violente des manifestations qui a lieu aujourd’hui en Iran. Nous soutenons vivement cette demande de liberté des femmes iraniennes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC, SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Arlette Carlotti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sang coule en Iran, et c’est d’abord celui des femmes ! La révolte que connaît l’Iran depuis trois semaines porte le nom de Mahsa Amini, morte le 16 septembre, après avoir été arrêtée à Téhéran parce que son voile couvrait mal ses cheveux. Elle avait 22 ans ! Son visage martyr est devenu le symbole puissant de l’iniquité et de la brutalité du régime iranien.

Nous avons la gorge serrée en regardant les images qui nous parviennent. On y voit des femmes qui arrachent leur voile pour le jeter au feu, qui se coupent les cheveux, bravent la police de mœurs et entonnent Bella Ciao. Ce chant, par nature émouvant tant il évoque le courage et l’esprit de résistance chant, devient profondément bouleversant lorsqu’il est entonné par les Iraniennes, dont les sœurs descendent dans la rue pour dénoncer l’obscurantisme du régime, au risque de perdre la vie.

En février 1979, avant même l’instauration de la République islamique d’Iran, l’ayatollah Khomeiny considérait déjà la liberté de la femme comme le principal obstacle à son projet politique. En uniformisant les femmes en rendant obligatoire le port du voile, en leur faisant porter un manteau et en leur imposant un code couleur, on a voulu réprimer leur identité, les transformer en l’ombre d’elles-mêmes, les priver de leur statut social et les reléguer aux confins de la vie publique.

Depuis l’élection de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, au mois de juin 2021, c’est-à-dire depuis que l’aile la plus dure du régime a mis la main sur le système, la situation des femmes s’est encore plus dégradée.

Pendant toutes ces années, d’horribles crimes ont été commis contre les femmes : le vitriol pour refus de mariage, la décapitation pour soupçon de flirt, la lapidation pour délit d’adultère… La femme a été sacrifiée au nom de l’honneur de l’homme, de la famille, de la société, de l’État. Mais les femmes n’ont jamais baissé les bras ! Aujourd’hui, elles sont aux avant-postes du soulèvement, car elles ne supportent plus ce voile qui les entrave. Au fil des jours, la révolte féministe a pris une autre dimension, celle de la contestation du régime théocratique.

Le soulèvement a d’abord touché les étudiants, qui sont toujours les plus prompts à réagir, avant de gagner toutes les catégories sociales, toutes les villes et toutes les provinces. Aujourd’hui, les protestataires descendent dans les rues en criant : « Mort au dictateur ! »

Pour cette raison, je pense moi aussi que le mouvement est assez différent de ce qui s’est passé en 2017 et en 2019. Désormais, le renversement du régime des mollahs est réclamé et son système corrompu est dénoncé, alors que 50 % à 80 % de la population, selon les territoires, virent en dessous du seuil de pauvreté.

Les femmes sont opprimées en Iran, mais tout le monde l’est également. Les avocats sont emprisonnés, les manifestations d’enseignants sont réprimées, la liberté d’association est entravée et la liberté de la presse n’existe pas !

Le rapporteur spécial de l’ONU, qui a dénoncé la situation des minorités, se dit alarmé par le nombre d’exécutions arbitraires, en particulier de Baloutches et de Kurdes. La République islamique, qui a pourtant hérité d’un empire pluriethnique, s’est employée à réprimer toutes les revendications régionales. Elle défend un centralisme autoritaire, hostile aux minorités, et développe la violence d’État contre toute forme d’opposition. Dans les prisons iraniennes se côtoient toutes les composantes de la société civile : militants politiques, syndicalistes, enseignants, cinéastes et journalistes… Depuis l’arrivée au pouvoir de Raïssi, c’est l’escalade : les arrestations arbitraires sont encore plus nombreuses. La population, excédée par les privations de toutes sortes, aspire à plus de liberté.

Le régime sait qu’une nouvelle épreuve l’attend tôt ou tard : la succession du Guide suprême, qui est actuellement un octogénaire à la santé chancelante, mais qui trouve tout de même suffisamment d’énergie pour condamner la communauté internationale et l’accuser d’ingérence ! Dans ce contexte, il est peu enclin à discuter. La police répond par la violence ; elle recourt, semble-t-il, aux armes létales et tue à chaque manifestation.

Je ne sais pas ce que va devenir ce mouvement de révolte, s’il va porter la révolution, tant les leaders de toutes les oppositions ont été emprisonnés, tués, poussés à l’exil. Mais je sais assurément que ces femmes font preuve d’un incroyable courage et que nous, responsables politiques, devons être à leur hauteur. Nous avons été un peu lâches durant ces quarante-trois ans d’oppression.

La France et l’Union européenne doivent parler plus fort, madame la ministre, pour dénoncer cette répression sanglante. Où en est votre proposition de geler les avoirs et d’interdire de voyages les responsables de la répression ? Ces mesures seront-elles mises en œuvre, alors que le régime se sert des négociations sur le nucléaire iranien pour obtenir le silence de la communauté internationale ?

La France doit rester dans son rôle, c’est-à-dire défendre ceux qui se battent pour la liberté ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis trois semaines, le cri de colère et d’espoir « Femmes, vie, liberté ! » retentit dans les rues iraniennes. Je salue avec émotion ce cri de dignité et d’humanité au nom de tout le groupe CRCE. Nous devons soutenir de toutes nos forces cet appel à la liberté.

Le 16 septembre dernier, Mahsa Amini a été odieusement assassinée par la police des mœurs, cet instrument d’oppression du régime des mollahs. Elle est devenue le symbole de la révolte populaire. Son crime ? Avoir « mal porté » le foulard, symbole de la soumission imposée aux femmes par le pouvoir théocratique à la tête de la République islamique d’Iran.

Depuis 1979, les femmes iraniennes n’ont cessé d’être exposées aux violences sexistes et patriarcales, à celles d’un régime politique et religieux obscurantiste qui a fait de la soumission des femmes un instrument de domination de la société tout entière. La situation s’est encore aggravée depuis l’arrivée au pouvoir de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi au mois de juin 2021. Certains médias iraniens ont récemment révélé l’intention du régime de recourir à l’intelligence artificielle pour identifier les femmes qui ne porteraient pas le voile ou ne le porteraient pas correctement.

Les sévices et les humiliations frappent toute la société iranienne. Ils s’exercent violemment contre les femmes, mais également contre de larges fractions du peuple, contre la population kurde, la jeunesse et toutes les forces du mouvement ouvrier, au profit exclusif des cercles dirigeants du pouvoir et des oligarchies prédatrices qui les soutiennent.

La répression des femmes qui jettent avec courage leur foulard, qui les brûlent et qui se coupent les cheveux, mais aussi de la jeunesse et de tous ceux qui se joignent au mouvement est féroce. On dénombre des dizaines de morts et des milliers d’arrestations arbitraires.

Ce soulèvement des femmes iraniennes est un signe de courage et d’espoir pour les femmes qui luttent dans le monde entier contre les oppressions sexistes et patriarcales, qu’elles soient ou non religieuses : pour les femmes kurdes en lutte dans tous les pays de la région, notamment dans la Turquie voisine ; pour les femmes en Afghanistan, en Arabie saoudite ou dans les pays du Golfe ; pour les femmes victimes du viol utilisé comme une arme de guerre sur toute la planète ; pour les femmes victimes des réseaux mondiaux de prostitution, mis à nu dans le remarquable rapport du Sénat sur ce sujet ; pour les femmes du monde en lutte contre toutes les violences sexistes et contre les attaques qui s’amplifient contre le droit à l’IVG, notamment en Europe et aux États-Unis.

Oui, la lutte des femmes en Iran est partie prenante de ce mouvement mondial pour libérer toute l’humanité des dominations sexistes et patriarcales. Nous la soutenons pleinement.

Les femmes en Iran ne secouent pas seulement leurs voiles. Elles secouent également le régime répressif, théocratique et obscurantiste qui étouffe la civilisation de ce grand pays de 84 millions d’habitants.

Depuis dix ans, l’Iran est traversé par des mouvements de contestation des politiques sociales du régime, que ce soit en 2009, en 2017, en 2018 ou 2019. Aujourd’hui, d’autres secteurs de la société rejoignent le mouvement des femmes pour dénoncer la dictature politique.

Le peuple iranien ne veut plus de ce carcan dictatorial. L’Iran connaît de profondes mutations. Son peuple, urbanisé et sécularisé, n’a cessé d’élever son niveau d’éducation, en particulier celui des femmes alors que ses structures politiques se sont fossilisées. La paix du monde a besoin que l’Iran retrouve la voie de la démocratie et de la justice sociale.

Force est de le constater, la mise au ban de l’Iran par les États-Unis, à la suite de leur retrait unilatéral en 2018 de l’accord sur le nucléaire iranien, et les sanctions américaines ont nourri, et non combattu, la radicalisation répressive du régime, qui se déchaîne aujourd’hui contre les femmes. Tout le peuple paie cher une terrible crise économique, à laquelle s’ajoute le lourd tribut du covid-19 : un jeune sur quatre est au chômage et la moitié de la population a plongé dans la pauvreté.

Madame la ministre, la solidarité avec les femmes d’Iran, nous devons l’inscrire aussi bien dans la lutte mondiale pour l’émancipation des femmes contre tous les obscurantismes que dans celle pour un nouvel ordre mondial juste, dans lequel le peuple d’Iran puisse trouver la voie d’un développement démocratique, solidaire et en paix avec ses voisins. La France doit agir clairement en ce sens.

Comme le dit le proverbe iranien : « Quand la corde de l’injustice grossit outre mesure, elle se déchire ». Puissent toutes ces injustices se déchirer. Le plus tôt sera le mieux.

M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon.

M. Laurent Lafon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mort de Mahsa Amini, quelques jours après son arrestation pour « port de vêtements inappropriés », est l’élément déclencheur d’un mouvement plus global de contestation du régime en place. Son nom est devenu un symbole de ralliement pour tout le peuple iranien désireux de vivre dans un État de droit.

Depuis la révolution de 1979, ces femmes et ces hommes subissent les pressions d’un pouvoir autoritaire et répressif. Comme l’ont rappelé ma collègue Annick Billon et de nombreux orateurs, l’instauration de leur constitution les a privés d’une grande partie de leurs droits les plus absolus et fondamentaux.

Cette mainmise des autorités sur leurs droits est renforcée par le recours à la censure. L’accès aux médias et aux réseaux sociaux est très restreint. Cet été, le Parlement a précipité la préparation d’une proposition de loi pour ériger en infraction la production et la diffusion d’outils permettant de contourner la censure.

Ainsi, des milliers de personnes ont été interrogées, poursuivies ou détenues, et des centaines d’autres sont emprisonnées simplement pour avoir exprimé leurs convictions. Parmi eux, des journalistes, des artistes, des avocats ou des enseignants, comme la chercheuse franco-iranienne Farina Adelkhah, condamnée à cinq ans de prison pour atteinte à la sécurité nationale, ou le chercheur suédo-iranien Ahmadreza Djalali, condamné à mort.

La violence est admise et systématique, et la peine de mort est devenue un instrument de répression des dissidents et des minorités.

Aujourd’hui, les contestations provoquées par la mort de Mahsa Amini ne cessent de prendre de l’ampleur. Les universités sont devenues le théâtre de violents affrontements. Enseignants et étudiants y sont particulièrement exposés. Des vidéos témoignent de la violence des répressions et des arrestations alors que les étudiants scandaient : « Les étudiants préfèrent la mort à l’humiliation. »

La répression est menée jusqu’au cœur de la prestigieuse université Sharif, à Téhéran. Selon des témoins cités par le site d’informations indépendant IranWire, dimanche dernier, des étudiants ont été battus ; d’autres ont essuyé des tirs lors de l’intrusion des forces de police, qui ont bouclé le bâtiment, armées de lanceurs de paintballs, de gaz lacrymogènes et de fusils à pompe. Plusieurs jeunes seraient blessés.

Si une partie des étudiants ont alors pu quitter l’université, d’autres sont restés bloqués à l’intérieur. Des témoins attestent avoir vu des arrestations de plusieurs dizaines d’étudiants et professeurs. Des vidéos qui circulent montrent des jeunes, cagoule noire sur la tête, embarqués dans des fourgons de police.

Étudiants et professeurs de nombreux pays ont exprimé leur colère à la suite de ces événements inqualifiables et exigent la libération de leurs camarades détenus par la police. Notre inquiétude est grande pour toutes celles et tous ceux qui manifestent et se soulèvent aujourd’hui en Iran.

L’organisation non gouvernementale Iran Human Rights fait état d’un bilan particulièrement lourd et évoque plus de 90 morts, tandis que le ministère des renseignements iranien revendique l’arrestation de neuf ressortissants de pays européens, dont la France, pour leur rôle dans les manifestations.

L’avocate iranienne et prix Nobel de la paix Shirin Ebadi a récemment soutenu qu’il revient aux pays occidentaux de réduire leurs contacts avec l’Iran parce qu’un « pouvoir qui est aussi sourd aux demandes de son peuple doit être totalement boycotté d’un point de vue politique ». À l’unanimité, les différents groupes politiques du Sénat vous le demandent également aujourd’hui, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Mme Vivette Lopez applaudit.)

Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, deux semaines après la mort de la jeune Mahsa Amini en Iran, des femmes courageuses, avec l’appui de certains hommes, poursuivent leur révolution au péril de leur vie.

Mais, alors que nous saluons à juste titre le courage de ces Iraniennes, je profite de ce temps de parole pour vous dire à quel point je regrette que nous ne parlions pas davantage des femmes arméniennes, actuellement torturées, démembrées, violées, tuées et filmées par les Azéris, fiers de leur forfait. Je pense en particulier à Anush Apetyan, et à toutes les autres.

Cette barbarie se déroule dans l’indifférence générale. Or il ne peut pas y avoir de hiérarchie de l’horreur. Le sang des Arméniens coule comme celui des Ukrainiens ou des Iraniens. Ne les abandonnons pas ! (Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit.)

La France d’Emmanuel Macron veut servir d’exemple en matière de respect des droits des femmes. Mais qu’en est-il ?

Alors que l’Union européenne et le Conseil de l’Europe enchaînent les campagnes de communication pro-voile – avec le slogan La liberté dans le hijab ou des photos de petites filles voilées ! –, le Gouvernement ne proteste pas. Doit-on voir dans ces campagnes la marque de la Turquie d’Erdogan, toujours membre du Conseil de l’Europe, ou d’organisations islamistes, comme les Frères musulmans, qui tentent depuis des années d’imposer des programmes de recherche, d’agir sur nos institutions ?

Comment accepter ce détournement de fonds publics des institutions démocratiques et leur utilisation pour normaliser non pas une liberté religieuse, mais un enfermement dans le sexe, une négation de la personne, un interdit de liberté, un interdit d’égalité, un interdit de fraternité ? (Mme Esther Benbassa sexclame.)

L’Europe, si prompte à remettre en question les valeurs, ne peut pas être le cheval de Troie de l’islam politique. Pourtant, vous pratiquez toujours la politique du « en même temps » ! Vous nous dites agir, mais aucune sanction n’a jamais été envisagée contre l’Union européenne ou le Conseil de l’Europe ni contre des associations, voire des organismes publics, qui font en France la promotion du voile en posant avec des femmes voilées.

Aucune enquête n’a jamais été réalisée pour savoir d’où viennent ces promotions indignes. Pire encore, depuis que les Iraniennes se révoltent, nous entendons de nouveau dans notre pays cette petite musique sur la liberté de ne pas porter le voile, sur celle de le porter.

À l’heure où les femmes iraniennes bravent l’interdit, certains dans notre pays devraient méditer l’exemple de ces militantes de la liberté. Comme si le voile n’était en France qu’un vêtement, un embellissement ou une liberté…

Si Mahsa Amini a été tuée, ce n’est pas pour un simple bout de tissu. Accepter cette prétendue mode, c’est conforter le communautarisme dans notre pays. C’est choisir le camp des oppresseurs. C’est choisir le camp des islamistes. C’est abandonner les femmes d’Iran, d’Afghanistan et d’Arabie, qui sont obligées de se voiler, mais aussi celles d’Algérie, de Tunisie, de Syrie ou d’ailleurs, qui cèdent à la pression sociale, comme celles de nos quartiers !

Ne nous leurrons pas, la bataille du voile est l’expression la plus visible de la volonté des intégristes de marquer leur territoire et de soumettre les femmes comme les hommes. Cette forme de purification vestimentaire en est le marqueur !

Aujourd’hui, nous voyons dans notre pays non pas des zones de non-droit, mais des zones « d’un autre droit », où l’islamisme s’affiche en uniforme et organise un véritable contrôle social.

D’ailleurs, pendant que des Iraniennes héroïques arrachent leur voile pour sentir le vent dans leurs cheveux, des adolescents revêtent des tenues islamistes dans nos écoles. Pourtant, le ministre de l’éducation nationale préfère déplorer à l’étranger l’absence en France « de débats nuancés » sur « les questions ethno-raciales » et découvre ce que nous dénonçons depuis des années : l’école n’est malheureusement plus le sanctuaire de notre République. Elle devient le théâtre de revendications communautaires et, pire encore, des menaces islamistes. (Mme Esther Benbassa sexclame.) Comment ne pas penser à Samuel Paty ? L’école construit ; l’islamisme détruit.

Comme l’a dit Vincent Trémolet de Villers : « Hier, c’était là qu’on faisait des Français ; aujourd’hui, c’est à l’école que la France se défait. »

Votre faiblesse et votre inaction inquiètent les Français. Mener la bataille contre le voile islamiste, c’est mener une bataille pour l’humanité et pour la liberté. Car en enlevant aux femmes leur identité, leur visage, on leur enlève leur humanité.

Et pourtant, vous vous êtes toujours opposés aux propositions que nous avons formulées. Je pense notamment à celles que nous avons faites dans le cadre de la loi confortant le respect des principes de la République, dite loi Séparatisme. Vous nous avez alors accusés d’avoir déposé des « amendements textiles » ! Quel mépris !

M. Xavier Iacovelli. Et sur l’Iran ?

Mme Valérie Boyer. Je pense à l’interdiction du voile pour les accompagnatrices scolaires et les mineures ou encore à celle du burkini.

Il est de notre responsabilité de dire haut et fort que nous ne pouvons pas accepter que, en France comme ailleurs, une petite fille porte ce signe d’infériorisation. Car c’est de cela qu’il s’agit ! Nous le devons aux Français. Nous le devons à nos jeunes filles. Nous le devons à celles et ceux qui risquent leur vie pour la liberté. Nous le devons aussi à celles et ceux qui se réfugient en France pour cette liberté. Nous le devons à toutes ces femmes à travers le monde qui risquent leur vie avec courage en refusant de porter le voile.

« Femmes, vie, liberté ! » C’est un beau slogan, en France comme ailleurs. Comme l’a dit Périclès : « Il n’est point de bonheur sans liberté ni de liberté sans courage. » Alors aujourd’hui, faisons preuve de courage et de cohérence : soutenons les femmes iraniennes, mais refusons aussi les marques d’infériorisation dans notre pays ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Voilà quarante-trois ans que les Iraniennes et les Iraniens, qui avaient fait tomber la dictature du Shah, vivent sous une autre dictature ; quarante-trois ans que les mollahs ont confisqués les révoltes populaires et les aspirations démocratiques de 1978 et 1979 ; quarante-trois ans que nous accueillons nos amis féministes, démocrates, syndicalistes, kurdes, homosexuels ; quarante-trois ans que nous lisons leurs livres, que nous voyons leurs films et que nous faisons ce que nous pouvons pour que l’on ne s’habitue pas à la répression, aux pendaisons, aux décapitations et aux persécutions ; quarante-trois ans que la République islamique d’Iran impose à son pays et au monde sa haine des femmes et des juifs.

Alors aujourd’hui, nous pleurons d’émotion. Nous tremblons de peur. Chaque matin, nous regardons les vidéos que, au péril de leur vie, des Iraniennes et des Iraniens ont tournées pendant les manifestations, dans les universités, dans les collèges, dans les rues.

C’est une révolution féministe qui a émergé aujourd’hui en Iran : une révolution féministe qui entraîne une insurrection générationnelle et qui recueille le soutien d’une grande partie de la population.

Les femmes, qui sont l’obsession des islamistes partout, sont aussi leurs premières menaces, parce que leur combat est universel, parce que ce sont elles qui sont le ferment de la rébellion. En fait, les Iraniennes ne s’y trompent pas : personne n’est libre dans un pays où les femmes ne le sont pas.

Beaucoup de nos collègues avant moi ont eu des mots très beaux, très forts, pour dire leur solidarité avec le peuple iranien, pour dire leur crainte du lendemain, leur crainte d’apprendre que ces jeunes gens que l’on connaît pour les avoir vus dans des vidéos ont disparu et que leur corps a été rendu à leur famille. Tout le monde tremble, sachant que la répression sauvage peut s’abattre sur tout un chacun.

Je dirai toutefois en toute courtoisie à certains de nos collègues – je peux me le permettre, car personne ne m’a jamais prise en défaut lorsqu’il s’est agi de qualifier le voile islamique, l’abaya, le hijab, tous ces oripeaux, pour ce qu’ils sont : les outils d’un projet religieux et politique, qui tous portent en eux l’oppression et la domination des femmes – que nous ne devons pas aujourd’hui poursuivre nos discussions franco-françaises, voire franco-européennes, en saisissant le prétexte de la révolte en Iran. Nous aurons l’occasion de poursuivre ces discussions, ne vous inquiétez pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Pierre Laurent et d’autres ont cité les femmes d’Afghanistan. Valérie Boyer a évoqué les femmes d’Arménie. En fait, le problème se pose à peu près partout sur cette planète.

Je veux dire également que les fous de Dieu ne sont pas tous islamistes. Il y a des fous de Dieu à la Cour suprême aux États-Unis, où ils privent les femmes de leur droit d’avorter. Il y en a dans les favelas de Rio, où ils drainent les voix des classes populaires en faveur d’un fasciste, Bolsonaro, qui menace non seulement son peuple, mais toute la planète… Combattre des fous de Dieu, c’est notre responsabilité, partout, sans choisir les dieux ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Saury.

M. Hugues Saury. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Malala Yousafzai avait 15 ans lorsque des talibans lui ont tiré une balle dans la tête alors qu’elle se rendait à l’école. Amina Ali avait 17 ans lorsque des mercenaires de Boko Haram l’ont enlevée, avec 219 autres jeunes filles, alors qu’elle était au lycée. Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs, avait 22 ans lorsqu’elle est morte dans les geôles iraniennes alors qu’elle avait laissé s’échapper quelques mèches de cheveux de son voile. Toutes avaient en commun de vouloir vivre libres dans des États où le pouvoir religieux, militaire ou politique le leur interdisait parce qu’elles étaient des femmes.

La mort de Mahsa Amini nous bouleverse comme elle a bouleversé son pays. Elle a suscité une vague de courage admirable chez des femmes et des hommes que tout menace. À ce jour, plus de soixante personnes ont donné leur vie après que Mahsa a perdu la sienne, et ils sont des milliers à la risquer dans les rues en Iran, au nom de la plus haute idée qu’ils se font de la dignité humaine.

Dans notre pays, où les allégories de la liberté prennent si souvent les traits de femmes, le cri des Iraniennes résonne avec un écho particulier. En Occident, nous savons combien le chemin vers la liberté est ardu, long et exigeant, jamais garanti, bien qu’il habite notre philosophie depuis des siècles. Nous savons également ce que la lutte pour les droits des femmes suppose de cette même exigence.

S’il veut honorer cette promesse faite au monde, cette assurance qu’il se battra toujours pour que chacun, quel qu’il soit, puisse vivre sans crainte pour son existence et que jamais une femme ne meure du simple fait d’être femme, l’Occident se doit profondément d’être cohérent face à un État qui a fait de l’oppression des femmes un marqueur de sa politique. Il y va de ce que nous sommes.

L’histoire récente de l’Iran nous montre que rien n’est acquis. Il nous incombe d’œuvrer pour que de telles menaces ne prennent jamais racine sur notre territoire. La radicalité, qu’elle soit religieuse ou politique, n’a sa place ni dans les principes qui nous fondent, ni dans les traités qui nous régissent, ni dans les lois que nous élaborons. Nous devons aux femmes iraniennes de ne pas laisser se répandre chez nous ce qu’elles veulent tant voir disparaître chez elles.

Madame la ministre, le radicalisme politique et religieux qui s’attaque aux droits de l’homme en Iran s’embarrasse peu des frontières. Nous savons bien qu’il pèse aussi, à moindre degré, en Europe et dans notre pays. On ne peut pas indéfiniment chérir les causes dont on déplore les conséquences.

Le temps mis pour expulser Hassan Iquioussen, l’augmentation du nombre de signalements d’atteintes à la laïcité à l’école, que le ministre Pap Ndiaye confirmait la semaine dernière, ou encore la campagne de communication du Conseil de l’Europe La liberté dans le hijab ne sont que quelques exemples d’un entrisme inquiétant opéré parfois avec le concours passif de l’État. (Mme Valérie Boyer applaudit.)

Madame la ministre, cet événement tragique interroge notre cohérence. La condamnation unanime que nous portons contre un tel acte ne suffit pas. Il revient à votre gouvernement de défendre les principes qui nous fondent et qui nous portent. Vous engagez-vous à propager la voix des Iraniennes, les valeurs de liberté et d’égalité dans les instances nationales, européennes et internationales, en luttant notamment pour que les principes radicaux qui régissent aujourd’hui des systèmes étatiques oppressifs comme l’Iran tendent à disparaître ?

Vous engagez-vous, partout où notre pays s’investit, à œuvrer pour qu’aucune forme de soutien, ni économique, ni moral, ni politique, ne soit offerte aux partisans de telles idéologies ? Vous engagez-vous à envoyer un signal clair à Malala Yousafzai, à Amina Ali, à Mahsa Amini, celui que jamais nous ne tendrons la main, de quelque façon que ce soit, à ce qui a voulu les détruire ?

Le courage des Iraniens et des Iraniennes appelle aujourd’hui le nôtre. (Applaudissements.)

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Catherine Colonna, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ce débat et de vos interventions, très largement convergentes entre elles, et avec nos propres lignes.

Vous l’avez tous rappelé, le 16 septembre dernier, Mahsa Amini est morte, à 22 ans, sous les coups de la police des mœurs de la République islamique d’Iran, qui l’avait arrêtée au prétexte qu’elle aurait mal porté son voile. Une vie détruite. Et pourquoi ? Pour une mèche de cheveux dépassant d’un voile…

Quelques jours plus tard, une autre jeune fille, puis tant d’autres étaient victimes de la même violence, lorsque la répression du régime s’abattit brutalement sur les manifestantes et les manifestants partout en Iran : de Saqqez, la ville natale de Mahsa Amini, à la ville sainte de Qom ; de Mashhad à Téhéran, de Chiraz à Ispahan ou à Karaj. Tant de vies détruites parce que ces jeunes femmes osaient revendiquer leur liberté, parce qu’elles osaient affirmer que leur dignité valait non pas moins, mais autant que celle d’un homme.

C’est aujourd’hui un même cri qui retentit : « Femmes, vie, liberté ! » C’est ce cri que le régime cherche à étouffer par la censure et par la violence.

À ce jour, les ONG ont fait état de plus de 100 victimes – sans doute le chiffre réel est-il supérieur – et de plus de 1 000 arrestations de militantes et de militants, d’avocats et d’avocates, de journalistes, de citoyens, de femmes et d’hommes unis par la même volonté d’émancipation.

« Femmes, vie, liberté ! » C’est ce cri aussi que la diaspora iranienne entonne en écho de Paris à San Francisco, de Londres à Rome ou à Erbil.

Dès le 19 septembre, la France a condamné avec la plus grande fermeté les violences ayant entraîné la mort de Mahsa Amini et la violence utilisée contre les manifestants.

Comme je l’ai rappelé hier à l’Assemblée nationale, nous avons appelé les autorités iraniennes à respecter le droit de manifester pacifiquement, le droit au rassemblement, ainsi qu’à respecter l’exercice de leur métier par les journalistes. Nous l’avons fait officiellement, et je l’ai fait moi-même auprès de la presse en marge de l’assemblée générale des Nations unies ou ici en France à plusieurs reprises.

Les autorités iraniennes ont considéré qu’il s’agissait d’une forme d’ingérence que de rappeler les principes fondamentaux des droits de l’homme. Elles ont cru bon de le faire savoir à notre ambassade sur place. J’ai donc décidé de faire convoquer le chargé d’affaires de l’ambassade d’Iran à Paris – il n’y a pas en ce moment d’ambassadeur d’Iran –, qui a été reçu vendredi dernier au Quai d’Orsay, où il lui a été clairement dit ce que nous pensons des méthodes iraniennes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui se joue dans les rues de Téhéran et dans les autres villes iraniennes, c’est la liberté. Il y a d’un côté la répression : une répression brutale que nous condamnons dans les termes les plus forts ; une répression menée contre des femmes et des hommes qui manifestent pour le respect de leurs droits et de leur dignité ; une répression que nous avons dénoncée à plusieurs reprises et – je peux vous rassurer sur ce point – que nous continuerons à dénoncer. Nous le faisons au Conseil des droits de l’homme, à Genève. Nous le faisons dans toutes les enceintes internationales. Nous le faisons dans chacun de nos échanges bilatéraux, quel qu’en soit le niveau.

Rappelons aussi que l’Iran a lui-même souscrit aux principes fondamentaux que nous défendons ici, puisqu’il a adhéré au Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies en 1975.

Madame Billon, l’Iran a effectivement été élu à la commission de la condition de la femme des Nations unies, comme le voulait la règle majoritaire qui prévaut au sein de chaque groupe géographique. Au demeurant, cet organe est utile, car il produit des documents de référence sur la situation des droits des femmes dans les pays, ce qui permet de mieux savoir ce qui se passe.

En face des autorités, il y a une aspiration à la liberté, non seulement face aux auteurs de la répression, mais partout. Car cette aspiration à la liberté, nous la voyons s’exprimer partout. Les femmes d’Iran veulent vivre libres, et un grand nombre d’Iraniens les suivent désormais. Des villages kurdes d’Iran aux métropoles du Baloutchistan, de la Caspienne au Golfe, les femmes d’Iran veulent vivre libres. Les femmes d’Iran veulent que leurs droits soient garantis. Les femmes d’Iran aspirent à ce que leur égale dignité soit respectée. Le courage des femmes iraniennes force l’admiration et nous oblige. Nous soutenons leurs aspirations et nous continuerons à les soutenir, mesdames, messieurs les sénateurs.

Nous sommes en première ligne pour agir avec nos partenaires européens. Notre réponse doit être à la hauteur de l’enjeu. En ce sens, nous avons lancé dès la semaine dernière, avec nos partenaires européens, des travaux afin de sanctionner les auteurs de la répression. Il s’agira de geler les avoirs et de retirer le droit de voyager aux individus identifiés comme responsables des violences. Madame la sénatrice Carlotti, nous espérons que ce soit fait d’ici huit à dix jours. Mais – dois-je le rappeler ? – nous sommes vingt-sept pays.

Madame Vogel, les négociations sur le retour au Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) se sont conclues par la présentation d’un texte que l’Iran n’a pas, pour l’heure, accepté. En d’autres termes, elles ne se déroulent pas. La conclusion d’un accord aurait un fort intérêt pour empêcher l’Iran d’accéder au seuil nucléaire, ce qui – chacun en conviendra – serait de loin préférable.

Nous resterons totalement mobilisés aux côtés des Iraniens qui se battent pour leur droit à la dignité. Comme vous le savez, les violations des droits de l’homme en Iran n’ont – hélas ! – pas attendu les événements récents. Nous continuerons d’appeler l’Iran à mettre fin aux discriminations et à toutes les formes de violence envers les femmes et les filles, à interdire les mariages précoces et à permettre l’accès des Iraniennes à leurs droits en matière de santé sexuelle et reproductive.

Il ne s’agit pas seulement de l’obligation de porter le voile. L’oppression que subissent les femmes iraniennes est brutale, inscrite dans les lois de la République islamique autant que profondément enracinée dans les mœurs du régime. Aucune société, nous le savons, ne peut se développer sereinement si elle n’assure pas l’égalité entre femmes et hommes, qui est une condition du développement et le gage d’une société libre, un élément fondamental de la justice indispensable à nos vies.

Ce combat essentiel n’est donc pas notre seul combat, parce qu’une société injuste avec les femmes est, tout simplement, une société injuste pour tous.

Nous continuerons à dénoncer les arrestations arbitraires de cinéastes, de militants des droits de l’homme, de femmes et d’hommes engagés pour la défense de la liberté d’expression, d’étudiants, de journalistes. Nous continuerons à dénoncer les exécutions auxquelles il est procédé, y compris les exécutions de mineurs.

Nous le faisons et nous le ferons, parce que c’est notre responsabilité. Nous le faisons et nous le ferons, parce que nous avons le droit moral et politique de défendre les valeurs qui sont les nôtres.

Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, nous le disons tous ensemble : la femme est l’égale de l’homme, en Iran comme ailleurs ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat d’actualité sur le thème : « Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l’homme en Iran ».

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

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Place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale

Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de notre délégation aux outre-mer, sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale.

Les orateurs de la délégation ayant demandé le débat se sont partagé le temps de parole.

Dans le débat, la parole est à Mme Annick Petrus, au nom de la délégation aux outre-mer.

Mme Annick Petrus, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2017, la France s’est dotée par décret d’une stratégie nationale pour la mer et le littoral conçue pour une durée de six ans.

Les outre-mer représentant 97 % de l’espace maritime français, la délégation aux outre-mer du Sénat a souhaité évaluer cette politique publique, qui se situe à la croisée de tous les grands enjeux actuels : les enjeux géopolitiques et sécuritaires, mais aussi les enjeux de valorisation économique, énergétique et scientifique, les enjeux de communication, avec la question des transports maritimes et du câblage sous-marin, sans oublier les enjeux climatiques et environnementaux.

Avec mes collègues rapporteurs Philippe Folliot, et Marie-Laure Phinera-Horth, je fais globalement un constat paradoxal et préoccupant : notre stratégie nationale, pourtant indissociable des outre-mer, ne les associe pas à la hauteur de leurs atouts et de leur potentiel.

C’est pourquoi nous estimons que, pour la prochaine stratégie en cours de préparation, la méthode et les orientations devront être radicalement revues si nous voulons construire la puissance maritime à laquelle la France peut légitimement prétendre.

Pour cela, nous formulons dans notre rapport vingt propositions, articulées autour de trois axes majeurs.

Premièrement, il convient de replacer les outre-mer au cœur de notre stratégie maritime nationale. Selon nous, les orientations de cette stratégie doivent absolument être rehaussées et faire l’objet d’un grand débat devant le Parlement, précédé naturellement par une concertation dans les territoires concernés.

Deuxièmement, nous devons consolider notre souveraineté maritime pour crédibiliser les ambitions françaises avec des moyens adaptés, notamment aux plans militaire et technologique.

Troisièmement, il faut faire de la stratégie maritime le moteur de la transition économique des outre-mer, afin d’en faire un levier de développement pour nos territoires encore insuffisamment tournés vers la mer.

Ces deux derniers volets vont être à présent développés par mes deux collègues rapporteurs.

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, au nom de la délégation aux outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Folliot, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur la question des enjeux de souveraineté relatifs à la stratégie maritime et à la déclinaison de celle-ci dans les outre-mer, si nous avions mis un point d’interrogation à la fin de notre rapport, j’aurais répondu par un mot congru !

Les outre-mer ne sont pas considérés à la hauteur des enjeux qui les concernent. Comme cela a été rappelé, ils représentent 97 % de notre zone économique exclusive.

Les premiers enjeux se posent en matière de souveraineté. Nous avons eu des échanges avec des marins-pêcheurs de Guyane qui nous ont fait part de la façon dont ils étaient agressés dans leur quotidien. Nous avons pu constater aussi un certain nombre de difficultés, réelles, au regard de l’exercice de la souveraineté.

Monsieur le ministre, vous le savez mieux que quiconque, nous sommes face à un trou capacitaire pour surveiller notre zone économique exclusive. Certaines zones sont oubliées ou totalement laissées à l’abandon, comme La Passion-Clipperton.

Nous devons nous poser une question simple. Pour notre pays, est-ce important ou non ? L’absence de réponse depuis de nombreuses années est délétère, tout comme le manque de moyens affectés. Les forces de souveraineté, par exemple, sont passées d’un peu plus de 8 000 effectifs en 2008 à tout juste 7 000 aujourd’hui. Est-ce satisfaisant, au vu des enjeux géopolitiques du moment ? On parle d’Indo-Pacifique, mais ce ne sont que des mots ! Il est urgent que notre pays décline une stratégie avec des actes. Et ces actes ne pourront exister qu’au travers de l’atout exceptionnel que représentent nos outre-mer.

Notre délégation aux outre-mer souhaite qu’il y ait une réelle prise de conscience de tels enjeux et une réelle volonté d’y répondre. Jusqu’à présent, cela n’a pas été le cas. Espérons qu’il en aille différemment demain. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth, au nom de la délégation aux outre-mer.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis ravie de prendre la parole pour évoquer la situation de nos territoires ultramarins. Notre rapport, tout comme les autres rapports publiés par notre délégation sénatoriale, met en lumière des problématiques souvent propres aux outre-mer et malheureusement parfois méconnues à l’échelon national.

J’en veux pour preuve la situation des ports dans nos régions. Grâce à leur position stratégique, ces infrastructures pourraient devenir des pôles importants pour le transport mondial. Pourtant, à l’exception de Port-Réunion, qui figure parmi les quatre meilleurs ports français, les autres exigent un sérieux effort de modernisation.

Au travers de la réforme portuaire de 2012, marquée par la création des grands ports maritimes, le législateur a grandement amélioré le fonctionnement des ports. Toutefois, ces poumons économiques sont en manque de moyens alors qu’ils doivent s’adapter à l’explosion du trafic par porte-containers. En Guyane, par exemple, les navires sont déchargés essentiellement avec les grues de bord, faute de portique ou de grue sur les quais. La lenteur de ces opérations impacte le coût du fret et, par conséquent, grève le budget des ménages guyanais. Nous devons garder à l’esprit que ces ports permettent de sécuriser l’approvisionnement des biens de consommation et des matériaux de construction pour des populations extrêmement dépendantes de l’extérieur.

Très riche et instructif, le rapport de la délégation préconise de nombreuses pistes, comme un port flottant extérieur pour le plateau des Guyanes ou l’évolution du statut du port de Longoni à Mayotte, lorsqu’un certain nombre de freins auront été levés.

Chers collègues, nous avons le devoir de rester vigilants, car ces ports demeurent la principale, et parfois l’unique porte d’entrée de nos territoires.

J’entends profiter de ma présence à cette tribune pour évoquer un autre dossier sensible : la pêche. Les professionnels guyanais ont profité des auditions pour exposer une situation catastrophique. Ils doivent faire face à une baisse importante de la production en raison d’une pêche qui est illégale, non déclarée et non réglementée. Cette activité intensive est généralement le fait de navires étrangers venus du Brésil ou du Suriname. Nonobstant les efforts de la marine nationale, les moyens doivent être réajustés pour accroître la pression sur les navires étrangers. Actuellement, l’État ne consacre que 120 jours à cette lutte dans les eaux guyanaises, contre une présence de 300 jours dans le canal du Mozambique. Cette différence de traitement interpelle les professionnels, qui doivent faire face à des pêcheurs étrangers de plus en plus violents. Même les actions en mer de la marine nationale sont comparées à des opérations de guerre.

Chers collègues, j’en parle ici avec émotion, car la filière a perdu il y a quelques mois son chef de file, Georges-Michel Karam, qui s’était battu pour la préservation de la pêche en Guyane. Et cette filière assure encore l’approvisionnement de la population en produits de la mer. Mais pour combien de temps ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à saluer le travail substantiel des rapporteurs et à vous remercier de m’avoir invité.

À la question de savoir si les outre-mer sont à la hauteur des enjeux, je répondrais que c’est la prise en compte des outre-mer partout et tout le temps, par l’ensemble des décideurs publics français, qu’il nous faut améliorer, et pas simplement sur la mer. Il y a là un enjeu fort.

La France dispose du deuxième espace maritime mondial ; elle le doit à ses outre-mer. Mieux : elle est le seul pays au monde à être présent sur les quatre océans. Cette profondeur stratégique unique lui confère un rôle central dans le concert international.

Le premier enjeu de la place des outre-mer dans la stratégie maritime est effectivement celui de la souveraineté. Les vastes espaces maritimes et littoraux de la France d’outre-mer sont aussi des joyeux de la biodiversité marine et littorale, qui s’étend du pôle Nord au pôle Sud, de la forêt boréale de Saint-Pierre-et-Miquelon aux colonies de manchots empereurs des Terres australes, en passant par le merveilleux lagon de Mayotte. Ces joyaux, que je connais tous, sont convoités. En plus, ils font face au défi du changement climatique. Leur préservation doit constituer une priorité absolue.

Par ailleurs, les outre-mer sont très dépendants de la mer pour assurer le développement économique et la vie quotidienne des populations. La création de valeur, qui est désormais mon leitmotiv, passe nécessairement par le développement d’une économie bleue durable et résiliente et par des ports en bonne santé.

Votre rapport met au premier plan l’enjeu de la souveraineté. C’est une priorité que je partage. Si la France n’est pas capable d’assurer sa pleine souveraineté dans ses espaces maritimes, il est inutile de parler d’environnement et, plus encore, de développement économique. Assurer la souveraineté de nos espaces maritimes, c’est d’abord être en capacité de les surveiller par la terre, par la mer et dans les airs. La France assure une présence militaire permanente dans la quasi-totalité des territoires, y compris ceux qui sont inhabités. Cette présence est plus forte dans le canal du Mozambique, où les enjeux de souveraineté sur la mer sont plus importants, qu’au large de la Guyane.

Depuis 2017, la marine nationale déploie de nouveaux navires mieux adaptés aux besoins des outre-mer. C’est un renouvellement sans précédent : treize nouveaux bâtiments dédiés uniquement aux outre-mer auront été livrés au 1er janvier 2026.

Les moyens aériens traditionnels sont, eux aussi, en cours de renouvellement. Ceux-ci doivent être complétés par d’autres équipements, comme les drones ; le ministère des armées y travaille.

Nos vastes ZEE donnent à la France des droits exclusifs d’exploration, d’exploitation, de préservation et de gestion des ressources. Il faut les protéger contre les appétits de tout un chacun à l’extérieur, mais également mieux les connaître.

On met souvent en avant le fait que les outre-mer représentent 97 % de notre espace maritime. Mais on oublie souvent que leur part dans la biodiversité française est de 80 %. Pourtant, s’il est un domaine où les outre-mer devraient être montrés en exemple, c’est bien celui de la protection de la biodiversité.

Comme vous le savez, la France prend des initiatives fortes pour la protection des coraux et des mangroves. Grâce à la réserve naturelle nationale des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), notre pays a déjà atteint l’objectif de classer 30 % de ses espaces maritimes et terrestres en aires protégées. C’est un apport considérable des outre-mer à la stratégie française.

Préserver la biodiversité, c’est aussi mieux la connaître. Les îles Éparses constituent de magnifiques espaces d’observation du changement climatique et font l’objet de débats internationaux. Avec la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, je signerai bientôt une feuille de route permettant de pérenniser les efforts de la recherche dans ces îles. Les moyens importants du plan France 2030 consacrés à la connaissance des grands fonds marins ont pleinement vocation à être utilisés dans les outre-mer. Je pense ici au Pacifique, mais aussi à la surveillance du volcan sous-marin de Mayotte.

La connaissance et la protection des milieux marins figurent au cœur des perspectives de développement de l’économie bleue. Celle-ci occupe déjà une part non négligeable de l’économie des outre-mer. Dans les départements et régions d’outre-mer, elle représente ainsi entre 5 % et 10 % du PIB. Elle est principalement centrée sur le triptyque port – beaucoup reste à faire –, pêche et tourisme, ces trois domaines devant s’adapter aux enjeux du XXIe siècle : changement climatique et souverainetés économique, énergétique et alimentaire.

La fonction centrale des ports dans l’approvisionnement des territoires doit être consolidée. Ceux-ci doivent également accélérer leur transition écologique. L’activité des bateaux de croisière sera développée uniquement si tous les ports sont électrifiés. À défaut, il y aura des réactions hostiles, et cela ne marchera pas.

J’ai la conviction que les grands ports ultramarins peuvent jouer le rôle d’accélérateurs de la transition énergétique outre-mer, notamment en termes d’emploi de carburants alternatifs. Les ports veulent également s’adapter aux évolutions des normes de transport. Je pense aux annonces récentes de la Compagnie maritime d’affrètement-Compagnie générale maritime (CMA-CGM) sur la desserte des Antilles ; nous y reviendrons.

Le secteur de la pêche figure au cœur du défi de l’autonomie alimentaire dans les outre-mer. Il est ahurissant que plus de 80 % du poisson consommé aux Antilles soit importé. Les pêcheurs ultramarins doivent pouvoir pêcher mieux. C’est le sens de notre combat en faveur du renouvellement des flottes.

L’économie bleue dans les outre-mer comprend aussi des secteurs en devenir, comme l’industrie navale ou les énergies marines renouvelables, pour lesquelles les outre-mer font preuve d’excellence ; c’est déjà le cas de la Polynésie, et cela le sera bientôt pour la Guyane.

Il est difficile de résumer en quelques minutes 97 % de la puissance maritime française. Je vous remercie de la faire valoir dans le cadre de votre rapport et de ce débat ; c’est fondamental. Si ces sujets ne sont pas suffisamment évoqués, nous en sommes tous responsables.

La création de valeur dans les outre-mer, mon leitmotiv, et la définition d’une feuille de route économique pour chaque territoire sont au cœur de la mission que le Président de la République m’a confiée. Je m’attelle à la remplir. Il y aura nécessairement une forte nuance bleue, tant la mer est liée aux outre-mer, et réciproquement.

L’État – c’est votre souhait, et c’est le mien – accompagnera les territoires dans le développement d’une économie bleue durable et résiliente, pour que les outre-mer soient réellement au cœur de la stratégie maritime de la France. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SER.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Le port de Saint-Pierre-et-Miquelon est le dernier port d’intérêt national ultramarin directement géré par un service déconcentré de l’État, la direction des territoires, de l’alimentation et de la mer (DTAM).

Tous les acteurs dénoncent unanimement l’absence de cohérence et, parfois, de coordination dans la prise de décisions, et des infrastructures vieillissantes nécessitant une rénovation ou d’importantes opérations de maintenance. Les besoins sont structurels et les atouts demeurent inexploités. Pourtant, le maintien des liaisons maritimes est vital pour l’archipel, ne serait-ce que pour le ravitaillement de la population. L’absence de stratégie de l’État en matière d’économie bleue est particulièrement frappante pour l’archipel et le condamne au repli.

La stratégie nationale adoptée en 2017 prévoyait l’élaboration d’un document stratégique par bassin. Celui-ci n’a jamais vu le jour, malgré l’élaboration d’un diagnostic. Sur mon territoire, la création d’un établissement public portuaire, souhaitée par l’ancienne ministre de la mer, n’est pas la réponse aux difficultés. Le simple respect des institutions existantes comme le conseil portuaire serait déjà un minimum.

Le rapport de la préfiguratrice du grand port maritime formule des hypothèses de recettes inquiétantes, que je ne cautionnerai jamais. Je pense aux droits d’anneaux de plaisance exorbitants ou à une possible taxe sur les transports locaux de passagers à bord des ferries. Il est prévu que l’équilibre d’ensemble repose sur un nombre d’usagers insuffisant.

Avant même d’évoquer la gouvernance, l’État doit livrer sa vision sur la place qu’il souhaite accorder à notre archipel en matière maritime.

Monsieur le ministre, pouvez-vous me confirmer que Saint-Pierre-et-Miquelon fera partie de la stratégie nationale et qu’il y aura un ambitieux volet de remise à niveau des infrastructures fortement dégradées de l’archipel ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur Artano, vous connaissez mon attachement à cet archipel.

La loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, a habilité le Gouvernement à créer par voie d’ordonnance un grand port maritime à Saint-Pierre-et-Miquelon. Entre 2017 et 2022, l’État a investi 30 millions d’euros, dont 6 millions d’euros pour la rénovation des digues, 15 millions d’euros pour la construction d’un quai de croisière et 3 millions d’euros pour engager la rénovation des quais de Miquelon et celle des quais de commerce à Saint-Pierre.

Les discussions en vue d’autres investissements seront menées lors du prochain contrat de plan, que nous allons bâtir ensemble.

Faut-il un grand port maritime géré directement par l’État sous la forme d’une concession ? Nous aborderons ce sujet lors de mon prochain déplacement à Saint-Pierre-et-Miquelon, et nous déciderons ensemble en optant pour ce qui sera le plus efficace ; il n’y a aucun interdit.

La desserte maritime, interne comme externe, en passagers comme en marchandises, est un vrai sujet. Le droit en la matière est clair. Dans son avis du mois de juin dernier, le Conseil d’État a rappelé que le transport des marchandises relevait de l’État et que celui des passagers relevait de la collectivité territoriale.

À la suite de la réunion du 7 septembre dernier avec le Président de la République, peut-être faudra-t-il envisager des évolutions.

Le préfet a engagé, à ma demande et à celle du secrétaire d’État chargé de la mer, un travail conjoint avec la collectivité territoriale en vue d’expérimenter le transport de fret par les ferries de la collectivité sur une courte durée. Nous devons travailler avec nos voisins et, souvent, amis canadiens. Ce sera l’objet principal de mon déplacement à Miquelon, qui aura lieu à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour la réplique.

M. Stéphane Artano. Certes, l’État a investi 15 millions d’euros dans un port de croisière, dont aucun acteur local ne voulait. C’était une décision de Manuel Valls, alors Premier ministre, qui n’avait pas tenu compte de l’avis des instances existantes, comme le conseil portuaire. Une telle somme aurait pu être utilisée pour préserver les quais de commerce ou les digues. Or cela n’a pas été le cas.

Plutôt que de s’interroger sur la création d’un grand port maritime à Saint-Pierre-et-Miquelon, posons-nous les questions des investissements structurants visant à sécuriser les approvisionnements de l’archipel.

M. Bernard Fournier. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac.

Mme Marta de Cidrac. Ainsi que différents orateurs l’ont rappelé, la préservation environnementale du milieu marin et de sa biodiversité figure parmi les enjeux de notre stratégie maritime. Et n’oublions pas, bien entendu, son importance géopolitique, économique, scientifique ou énergétique.

Détentrice du deuxième domaine maritime mondial, la France possède de nombreux atouts pour bâtir sa stratégie maritime, qui passe également par une prise en compte accrue de nos spécificités ultramarines. Toutefois, leur statut de régions ultrapériphériques (RUP), qui marque leur appartenance à l’Union européenne, est source d’un certain nombre de contraintes liées à l’insularité et à l’éloignement de l’Hexagone. Une législation européenne, certes pertinente pour le continent, leur interdit de traiter et d’exporter des déchets dans leur zone de proximité géographique.

Derrière ce sujet se cachent de sérieuses menaces pour l’environnement et la biodiversité de milieux naturels souvent uniques au monde. Chacun sait à quel point les écosystèmes insulaires sont fragiles : l’histoire est là pour nous le rappeler.

Monsieur le ministre, ces problématiques sont connues. Il est urgent d’agir. Il me semble que beaucoup d’entre nous partagent ce constat. Au-delà du déploiement d’une économie circulaire adaptée à nos outre-mer, quel dialogue comptez-vous engager, notamment à l’échelon européen, pour que nos spécificités ultramarines soient entendues ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, je suis heureux de constater qu’une élue des Yvelines s’intéresse à l’outre-mer. Mais cela ne m’étonne pas de vous. Si tout le monde faisait de même, on progresserait !

La gestion des déchets dans les outre-mer est un vrai sujet. Voilà quelques mois, j’ai constaté lors d’un déplacement que Mayotte envoyait des déchets en métropole. Ce système est un peu ahurissant.

Le problème est le même que pour de nombreuses décharges implantées le long du littoral français, pas seulement ultramarin. La hausse du niveau de la mer et l’érosion des traits de côte augmentent le risque que ces déchets se retrouvent en mer. Ce n’est pas acceptable. Lors du One Ocean Summit qui s’est tenu à Brest, le Président de la République s’est engagé à traiter le problème des décharges abandonnées sur les littoraux sous dix ans, avec un premier financement de 30 millions d’euros.

Parmi les 55 décharges prioritaires identifiées, 14 sont situées outre-mer. Le travail a débuté, notamment à l’Anse Charpentier en Martinique.

Le sujet principal – vous l’avez souligné –, ce sont les normes européennes. Certains d’entre vous le savent, je me rendrai à Bruxelles les 16 et 17 novembre prochains pour faire appliquer l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) en vue d’une sorte de « ratissage » des normes inadaptées. J’ai demandé à mes services d’en lister une vingtaine.

De plus, nous devons travailler partout sur les combustibles solides de récupération (CSR) ; je ne connais pas exactement l’avancée du dossier en Guadeloupe et je sais que des problèmes financiers sont apparus à La Réunion. En plus d’être une bonne mesure, le recours à ces combustibles contribue à faire des économies d’énergie.

Au-delà des mots, il me semble que tous nos concitoyens ultramarins sont favorables au réemploi des objets. Je compte favoriser l’émergence d’une économie circulaire dans tous mes déplacements. Je sais qu’un rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer est en cours sous l’égide de Viviane Malet. Comme d’habitude, d’importantes marges de progrès sont possibles. Nous écouterons tous les points de vue.

M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.

Mme Marta de Cidrac. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Je compte sur vous pour être un interlocuteur exigeant auprès des instances européennes.

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. La stratégie maritime nationale doit répondre à une double contrainte : assurer notre souveraineté et protéger notre patrimoine. La France doit être en mesure de contrôler ses espaces marins, qui constituent un important facteur de développement.

Il est facile d’oublier que notre territoire s’étend à l’Atlantique nord, aux Caraïbes, à l’océan Indien, à l’océan Pacifique ou encore aux TAAF. Comme vous l’avez rappelé, la quasi-totalité de la ZEE se situe autour de nos territoires ultramarins.

Ces espaces font d’ores et déjà l’objet d’une compétition entre les États, particulièrement dans la région indo-pacifique. Des contentieux territoriaux et maritimes se multiplient à mesure que le centre de gravité du monde se déplace. Dans cette zone, et partout où se trouvent ses intérêts, la France doit maintenir une présence et des capacités crédibles. Compte tenu de l’immensité des espaces maritimes, il semble bien illusoire de penser que la France peut à elle seule développer des capacités militaires semblables à celles de la Chine ou des États-Unis. Notre pays a des moyens bien plus limités.

Toutefois, la voie de la coopération avec les puissances qui partagent nos intérêts nous est ouverte. Je pense à l’accord militaire de soutien logistique conclu au mois de juin dernier entre la France et Singapour. Nos deux pays bénéficient ainsi de leur complémentarité mutuelle.

La France est le seul pays de l’Union européenne à disposer de territoires dans la zone indo-pacifique, mais toute l’Europe y a des intérêts.

Monsieur le ministre, de nouveaux partenariats européens et internationaux sont-ils envisageables pour renforcer notre stratégie maritime et mieux protéger nos ressources outre-mer ?

On entend parfois que le nouveau porte-avions ne se ferait pas. Pouvez-vous également nous rassurer à cet égard ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur Guerriau, la défense de la souveraineté, notamment mais pas seulement maritime, de nos outre-mer est une priorité ; vous êtes nombreux à l’avoir souligné.

Sommes-nous en mesure d’y parvenir seuls ? Pour partie, oui ! Le ministre des armées, qui connaît bien l’outre-mer, veille à affecter des moyens visant à assurer notre présence dans les outre-mer dans le cadre de la loi de programmation militaire et la définition de notre stratégie militaire.

La question qui se pose – je rencontrerai prochainement le ministre et le chef d’état-major des armées – est celle de l’équilibrage entre une présence terrestre et une présence maritime. La présence terrestre est indispensable en Guyane et sur les îlots du canal de Mozambique. Dans les autres territoires, c’est un accompagnement. Il faut développer la présence du régiment du service militaire adapté (RSMA). Mais, en Guadeloupe, il semble plus utile de renforcer nos forces maritimes que de prévoir la présence massive de troupes de l’armée de terre.

Sébastien Lecornu, qui a d’ailleurs été ministre des outre-mer, m’a confirmé voilà quelques jours que le porte-avions se ferait en coopération avec plusieurs pays européens, comme cela a pu être le cas en matière aéronautique.

Comme je vous l’ai déjà indiqué, je me rendrai à Bruxelles les 16 et 17 novembre prochains pour évoquer l’article 349 du TFUE, la pêche – j’aurai l’occasion de me fâcher devant la Commission européenne –, les RUP et la défense de la biodiversité. J’ai reçu voilà peu l’ambassadrice d’Australie à Paris. Elle est prête à coopérer sur ces sujets et vient d’ailleurs d’ouvrir un consulat général à Nouméa. Avec Catherine Colonna, nous favorisons l’ouverture de consulats généraux de pays amis dans les outre-mer français en vue de renforcer la défense collective de cette richesse française, européenne et mondiale que représentent ces territoires.

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.

M. Joël Guerriau. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

Je tiens beaucoup à la notion de partenariat, mais je souhaite que notre porte-avions porte haut les couleurs de la France. Je voudrais vraiment être rassuré sur le sujet.

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le ministre, le Morbihan s’intéresse aussi aux outre-mer !

Comme vous l’avez souligné, ceux-ci représentent 80 % de la biodiversité française et regroupent 93 % de nos aires marines protégées. Ces zones sont riches d’une biodiversité exceptionnelle, et la valeur des récifs coralliens et des mangroves est inestimable. Pourtant, contrairement aux recommandations de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), ni la pêche industrielle ni le chalutage de grand fond, qui constitue une véritable menace pour la biodiversité, ne sont interdits dans la plupart de nos aires marines. Ces pratiques sont seulement prohibées dans les aires marines strictement protégées. Or la France accuse un retard important dans le déploiement de ces zones. En 2021, lors du One Planet Summit, le Gouvernement s’est fixé l’objectif de 10 % de zones du territoire national sous protection forte en 2030, alors que ce pourcentage s’élève dès aujourd’hui à 39 % pour le Royaume-Uni et à 24 % pour les États-Unis.

Comme l’a rappelé le rapport de la délégation aux outre-mer, ces aires protégées doivent disposer de moyens importants pour être effectives. Or ceux de la marine nationale ou de l’Office français de la biodiversité (OFB) sont aujourd’hui très insuffisants dans les outre-mer. Les parcs naturels marins de Martinique, de Mayotte ou des îles Glorieuses ne comptent qu’un seul agent pour 2 000 kilomètres carrés d’océan.

Monsieur le ministre, alors que la COP15 de la convention sur la diversité biologique des Nations unies débutera dans quelques semaines à Montréal, quels moyens le Gouvernement mettra-t-il en œuvre, en lien avec les collectivités, pour protéger la biodiversité outre-mer et rendre effectif l’objectif de 10 % de ces zones placées sous protection forte ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, sur l’objectif, il n’y a aucun souci ; la question porte sur les moyens à mettre en œuvre.

Le rapport entre la France et sa ZEE est extraordinaire dans le monde : il y a – nous venons de l’évoquer – un problème de coopération.

L’armée a obtenu 3 milliards d’euros supplémentaires dans la loi de programmation militaire. C’est considérable. Nous ne pourrons pas faire dix fois plus.

Le principe de l’interdiction totale est à réfléchir. Je préfère une exploitation raisonnée des ressources à une interdiction totale. Je pense à la pêche à la légine dans les TAAF. Privilégions la coopération en vue de fixer des objectifs raisonnables que nous pouvons tenir dans la durée. La réponse réside dans la coopération. Compte tenu du rapport entre la surface de ses terres émergées et celle de ses ZEE, la France n’y arrivera pas seule.

Le canal du Mozambique est le seul endroit où notre souveraineté terrestre est contestée. Nous signerons bientôt avec les Pays-Bas une convention pour régler une contestation portant sur une petite partie de la frontière à Saint-Martin.

M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.

M. Dominique Théophile. Je salue nos collègues Marie-Laure Phinera-Horth, Annick Petrus et Philippe Folliot pour leur excellent rapport sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale. Le travail qu’ils ont fourni est de grande qualité.

Au-delà des recommandations formulées par nos collègues, auxquelles souscrit notre groupe, le rapport met en avant la place prépondérante de la pêche traditionnelle ou artisanale en outre-mer, a fortiori en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane.

Malheureusement, ce secteur est confronté à de nombreuses difficultés. Il doit faire face au vieillissement de la profession. En Guadeloupe, 65 % des actifs travaillant dans le secteur de la pêche sont âgés de plus de 50 ans. La dégradation des conditions de travail conduit à une importante perte d’attractivité du métier, qui est amplifiée par de faibles rémunérations, de l’ordre de 500 euros à 600 euros. Enfin, le vieillissement de leur flotte complète le tableau des difficultés auxquelles font face nos pêcheurs.

Sur ce dernier point, le soutien public à l’augmentation des capacités des moyens de pêche est en principe contraire au droit de l’Union européenne. Le Président de la République, Emmanuel Macron, et Jean-Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne, s’étaient toutefois engagés à autoriser le financement du renouvellement des flottes de pêche dans les régions ultrapériphériques, lors de la conférence des présidents de RUP organisée à Cayenne en 2017.

Monsieur le ministre, vous avez rencontré au mois de septembre le commissaire européen à l’environnement, aux océans et à la pêche, afin d’attirer son attention sur l’urgence du renouvellement de la flotte de pêche des RUP et sur l’impérieuse nécessité d’aider nos pêcheurs. Pourriez-vous nous indiquer l’état d’avancement des négociations sur cette question, qui suscite une forte attente de la filière ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir posé cette question, qui est effectivement centrale.

La pêche, ce sont des emplois et de la souveraineté alimentaire. J’ai rappelé tout à l’heure la part qu’occupent les poissons importés dans les outre-mer.

Monsieur le président, si vous le permettez, je prendrai quelques secondes supplémentaires pour détailler la situation en cours à Mayotte. Les réglementations s’additionnent, à tel point que les pêcheurs en pirogue sont contraints d’utiliser des engins de plage, ce qui est interdit, pour pouvoir se rendre dans leurs zones de pêche habituelles. Je me suis mis en colère lorsque j’ai pris connaissance de ce problème, et j’ai donné des instructions claires à la direction générale des affaires maritimes pour que la situation change. Le préfet Thierry Suquet m’a dit qu’il y serait mis un terme très rapidement.

Grâce à l’action du Président de la République, l’État peut verser des aides en vue du renouvellement d’une partie de la flotte dans chaque département et région d’outre-mer. Cela a été confirmé durant la présidence française de l’Union européenne. Malgré cela, le commissaire européen et certains de ses fonctionnaires exigent au préalable un inventaire précis, qui durera cinq ans si l’on veut respecter les normes européennes. L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) contribuera à la réalisation de cet inventaire. Le coût sera assez élevé.

Que faire en attendant ? J’ai indiqué au commissaire européen – il est letton – que je préférais les pêcheurs au poisson. Cessons de considérer que les pêcheurs ultramarins seraient là uniquement pour nuire à l’écologie maritime ! Pendant ce temps, des pêcheurs hauturiers provenant d’autres pays ratissent tranquillement au large des côtes de la Guyane, de La Réunion et de Mayotte.

Avec le secrétaire d’État chargé de la mer, Hervé Berville, nous avons décidé d’écrire au commissaire européen en vue d’obtenir une autorisation précise – ou plutôt, dans son esprit, une dérogation aux règles européennes –, territoire par territoire, type de pêche par type de pêche et type de bateau par type de bateau. Le courrier, dont l’élaboration a suscité quelques difficultés, partira demain. Le commissaire européen m’a promis que notre demande serait examinée par le conseil scientifique de la Commission européenne au mois de novembre. Avec mon accord, une collectivité a décidé de verser l’aide avant la décision de la Commission. Le conflit pourrait alors être tranché devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Je trouve insupportable d’en arriver là. Il me semble logique qu’une collectivité aide ses pêcheurs à construire leur bateau. Sans bateaux, pas de pêcheurs.

Je suis plutôt confiant. La discussion avec le commissaire européen a été franche. J’adresserai une copie de cette lettre à tous les députés européens et à tous les parlementaires ultramarins pour qu’ils soutiennent notre demande, qui me semble fondée. C’est une injustice : les bateaux mauriciens et espagnols peuvent ratisser tranquillement au large de Mayotte, tandis qu’on nous interdit de construire des bateaux ! Je vous prie de bien vouloir excuser la fermeté de ma réponse.

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda. Quelle place réelle voulons-nous donner à nos outre-mer face aux enjeux géopolitiques d’aujourd’hui ?

Grâce à nos forces de souveraineté outre-mer présentes sur les quatre océans, la France appartient au club très restreint des États disposant d’une présence militaire globale ; elle y figure même à la troisième place.

Ces forces assurent cinq fonctions stratégiques : protection du territoire national ; prévention des conflits ; connaissance et anticipation ; intervention ; dissuasion. Convenons-en : ce ne sont pas des fonctions accessoires.

Pourtant, les forces outre-mer sont placées en bas de la liste des priorités des armées, avec une fatigue criante des équipements et des effectifs en précarisation presque continue depuis la fin de la guerre froide.

Dans un environnement opérationnel contraint par de nombreux défis se profile un risque important de rupture capacitaire, qui pourrait entraîner l’État à ne plus pouvoir remplir effectivement l’ensemble de ses missions et fonctions stratégiques.

Le rapport de mes éminents collègues propose en conséquence de faire des outre-mer la priorité de l’actualisation de la loi de programmation militaire.

Pouvons-nous compter sur vous, monsieur le ministre, pour faire avancer cet aspect des choses ? Est-il prévu d’actualiser et de rééquilibrer, prochainement et rapidement, nos capacités militaires outre-mer pour retrouver cet indispensable socle capacitaire, mais également pour moderniser et adapter nos forces à la géopolitique du XXIe siècle et faire de nos outre-mer de véritables points d’appui ? C’est indispensable.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. À la question : « Pouvez-vous compter sur moi ? », la réponse est oui ! Je me bats au sein du Gouvernement, de même que, en relation avec mon prédécesseur, Sébastien Lecornu, je fais en sorte de renforcer la présence de notre marine militaire outre-mer. J’ai confiance dans le fait que nous allons y arriver. La situation n’est pas aussi dégradée, me semble-t-il, que vous le dites.

Comme une question sur les ports de pêche va bientôt m’être posée, je vous répondrai à cette occasion sur le sujet…

Mme Gisèle Jourda. Peut-on compter sur vous pour faire des outre-mer des points d’appui dans notre stratégie militaire, notamment dans la zone indo-pacifique ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Je l’ai dit : M. Lecornu et moi-même sommes en phase sur ce point, en accord avec le Président de la République, qui attache la plus grande importance à la défense de nos territoires situés dans cette zone, de leur domaine maritime, de leurs ports, de leur agriculture. Le message est le même que pour les autres collectivités d’outre-mer : à côté de leur défense militaire, il faut veiller au bien-être de leurs populations.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. Monsieur le ministre, le 4 janvier 2022, le Sénat débattait en séance publique de la souveraineté maritime française. Le mois suivant était publié le rapport qui fonde notre débat d’aujourd’hui ; il est consacré à la place des outre-mer dans cette souveraineté maritime. Ce rapport, particulièrement riche, évoque les différents enjeux, notamment sécuritaires, économiques, énergétiques, environnementaux et climatiques.

Nous considérons effectivement que le combat pour la préservation des océans est important. Mais quel sens donner à notre souveraineté maritime si nous ne portons pas un regard particulier sur ces territoires ?

Ce qui saute aux yeux à la lecture du rapport, c’est l’absence de référence à ceux qui sont en première ligne, c’est-à-dire, notamment, les populations et leurs élus.

Comment donner toute la place aux outre-mer sans répondre à leurs besoins ? Si nous voulons valoriser la présence de la France, il est nécessaire d’agir vite, de donner des moyens humains, capacitaires, et de rassembler l’ensemble des acteurs pour une réelle réflexion stratégique.

Il est important de répondre, avec les élus, aux manques de moyens pour surveiller ces territoires, par exemple en leur octroyant du matériel amphibie, essentiel en cas de catastrophe naturelle, en comblant le manque de frégates de surveillance ou en accélérant l’adaptation aux nouvelles technologies, par exemple par l’utilisation de drones marins.

Monsieur le ministre, je vous ai écouté, mais je veux vous interroger sur ces points.

Comment mettre en œuvre une nouvelle politique de la mer et agir en faveur d’une meilleure protection et gouvernance des océans sans ouvrir son élaboration aux populations et sans renforcer les partenariats régionaux ?

La question de l’ingénierie est abordée dans le rapport. Ne pensez-vous pas que la mise en place d’un organe commun dédié à cette expertise serait utile ? D’autant plus que la Cour des comptes nous pousse à développer les capacités propres d’expertise des collectivités d’outre-mer. Que comptez-vous mettre en place pour y remédier ?

L’abstention a été très forte lors des élections présidentielle et législatives. Ce n’est pas un bon signe…

La mer n’est pas un nouvel eldorado, comme l’indique le rapport. Cette référence aux enquêtes prédatrices doit être abandonnée au profit d’une conception rassembleuse, respectueuse des hommes et des éléments.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Premier élément de réponse, à la suite de l’appel de Fort-de-France du 7 septembre, je peux vous indiquer que les stratégies pour la création de valeur dans les outre-mer se construiront avec les élus. Des courriers explicitant notre démarche ont été rédigés.

C’est bien dans cette différenciation-responsabilisation des collectivités d’outre-mer que se trouve une partie de la réponse, la mer entrant bien évidemment dans notre stratégie.

Deuxième élément de réponse, une étude prospective sur l’économie bleue dans les départements et régions d’outre-mer vient d’être finalisée. Les orientations qui s’en dégagent seront partagées avec tous les territoires afin d’alimenter nos futurs échanges.

C’est bien à la demande du ministère chargé des outre-mer – je l’indique d’autant plus volontiers que je n’étais pas en fonction à ce moment-là – qu’ont été inscrits dans la stratégie nationale pour la mer et le littoral le tourisme côtier, avec une dimension ultramarine spécifique, le rôle des canaux et des mangroves, notamment pour la défense du climat, et l’aquaculture.

Je le répète, l’étude prospective sur l’économie bleue dans les départements et régions d’outre-mer sera un des éléments des discussions qui vont s’engager à la suite de l’appel du 7 septembre. Néanmoins, et je le dis très honnêtement, je ne suis pas tout à fait certain qu’il faille interroger toute la population sur la présence ou non d’un porte-avions, de corvettes ou de frégates dans les océans. En revanche, l’associer à travers une démarche de responsabilisation-différenciation, ce que nous sommes en train de faire, me semble une évidence, en admettant que la stratégie bleue fait partie d’une stratégie globale.

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Monsieur le ministre, ma collègue Nassimah Dindar, qui a dû s’absenter et qui m’a demandé de la remplacer, souhaitait vous interroger sur un certain nombre de points. En particulier, elle avait prévu de vous poser une question, essentielle à ses yeux, sur l’ouverture des outre-mer à leur environnement régional.

La France est membre d’un certain nombre d’organisations internationales. À cet égard, quelle est la réelle stratégie de notre pays en la matière ? Le Gouvernement a-t-il la volonté d’associer les collectivités territoriales ultramarines aux échanges qui ont lieu au sein de ces différentes instances à l’échelle régionale ?

L’un de vos prédécesseurs a marqué l’histoire de la République : Michel Rocard, alors ministre du plan, avait choisi de soustraire les échanges entre les outre-mer et l’Hexagone au principe de l’exclusif. Pouvez-vous donc nous rassurer quant à la place des collectivités territoriales au sein de ces conférences régionales ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, c’est le leitmotiv du Président de la République et de Gérald Darmanin, avec qui je travaille quasi quotidiennement sur ces questions : oui, il faut casser le lien biunivoque entre la France hexagonale et les territoires ultramarins, qui doivent pouvoir exister dans leur environnement !

Néanmoins, il est vrai que les situations diffèrent selon les zones géographiques. Dans le Pacifique, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie disposent déjà de la capacité de nouer des accords, notamment des accords de libre-échange.

En accord avec Mme la Première ministre et le ministre de l’intérieur, nous nous employons, en relation avec les présidents des collectivités concernées, à ouvrir les territoires, nos îles, à leur environnement régional, y compris par des accords, notamment commerciaux, d’État à État.

Quelles seraient les conséquences pour la France d’un accord de libre-échange avec, par exemple, Anguilla ? Il n’y a pas de solution pour les territoires ultramarins s’ils ne sont pas dans leur environnement. Tous les élus que j’ai rencontrés sont d’accord sur ce point.

Je m’en suis entretenu avec Mme Colonna. Je ferai de même demain avec mon collègue chargé du commerce extérieur.

Ce matin, j’ai rencontré François Asselin, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), car cela se joue non pas seulement entre les élus des territoires et l’État, mais également avec les chefs d’entreprise, qui doivent y aller « plein pot ». Ont été évoqués des problèmes de normes. Nous travaillons à une modification de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Le sujet est global. Création de valeur, insertion dans l’environnement, rôle des collectivités, rôle des entreprises : c’est cet ensemble qui est au cœur de la mission que m’a confiée le Président de la République ; à tout le moins, c’est le sens de la feuille de route que m’a tracée M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer, stratégie validée par Mme la Première ministre.

Monsieur le sénateur, je vous communiquerai cette lettre de mission, que j’ai déjà transmise à plusieurs de vos collègues.

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour la réplique.

M. Philippe Folliot. Monsieur le ministre, cet enjeu est important, parce que les choses bougent. Ainsi, dans la partie sud de l’océan Indien, l’île Maurice se rapproche de l’Inde, la Chine a des visées sur les Seychelles et la Tanzanie, tandis que Madagascar flirte avec la Russie. Par conséquent, les collectivités doivent être associées à ces questions géostratégiques, mais pas seulement. Ainsi, comment pouvons-nous être crédibles si nous n’avons pas une vision globale ? Par exemple, les Comores bénéficient de notre aide au développement. Or l’on sait très bien que l’émigration clandestine y est très importante, comme elle l’est depuis le Suriname vers la Guyane. Ces enjeux sont essentiels.

(Mme Laurence Rossignol remplace M. Alain Richard au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre, nos outre-mer permettent à la France de disposer d’une véritable richesse en matière de biodiversité marine. Ces territoires représentent ainsi 80 % de la biodiversité nationale et englobent des enjeux particuliers, comme la protection des coraux et des mangroves.

Cette biodiversité est pourtant plus que jamais menacée par le dérèglement climatique. Ces dernières années, l’acidification des océans liée au réchauffement climatique a engendré des épisodes de plus en plus importants et récurrents de blanchiment des coraux.

Entre 2009 et 2018, 14 % des coraux de la planète ont disparu, soit 11 700 kilomètres carrés.

Ces écosystèmes jouent un rôle essentiel de nurserie pour les poissons, et leur perte provoque d’ores et déjà un véritable effondrement de la chaîne alimentaire, qui se répercute sur l’accès à la nourriture, ainsi que sur les activités économiques, comme la pêche et le tourisme.

Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), si le réchauffement climatique atteint 1,5 degré, entre 70 % et 90 % des récifs coralliens pourraient disparaître, ce taux atteignant 99 % si le réchauffement atteint 2 degrés.

Notre pays dispose de la deuxième zone économique exclusive au monde, qui représente 8 % des mers du globe. À ce titre, il est de notre responsabilité d’agir en faveur de la protection de la biodiversité et de ces zones.

Depuis 2010, la France a renforcé la création d’aires marines protégées, qui ne représentaient que 0,8 % de la zone économique exclusive en 2009, contre 24 % dix ans plus tard.

Néanmoins, le rapport de la mission d’information sénatoriale met en exergue le manque de moyens humains et matériels pour protéger de manière effective ces zones. Je souhaiterais donc connaître les actions menées par le Gouvernement pour protéger cette biodiversité menacée. Quels sont, concrètement, les moyens mis à disposition des aires marines protégées ? En fait, il s’agit de garantir notre souveraineté sur nos espaces maritimes, notamment avec le concours des forces armées, mais aussi de tous ceux qui agissent pour la préservation de la biodiversité.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, la question que vous soulevez est au cœur de nos débats. Je vais donc m’efforcer de vous apporter des éléments de réponse supplémentaires.

Oui, les outre-mer ont un rôle exemplaire à jouer dans la protection de la biodiversité. L’objectif de classer 30 % des espaces terrestres et maritimes sous juridiction française en aires protégées a déjà été dépassé grâce à l’extension de la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises, qui, avec 1,5 million de kilomètres carrés, est désormais la deuxième plus grande aire marine protégée au monde. Il nous appartient désormais de les préserver.

Autre dossier : la protection des îles Éparses de l’océan Indien. Le parc naturel marin de Mayotte est le plus grand de France.

Notre pays entend poursuivre ses efforts en la matière, dans la perspective de la prochaine conférence des Nations unies sur les océans, que notre pays organisera et accueillera, en liaison avec le Costa Rica, pays exemplaire en matière d’écologie et de défense de l’environnement.

Dans la dynamique du One Ocean Summit organisé à Brest cette année, je m’attacherai à ce que les outre-mer y prennent toute leur place.

En relation avec Françoise Gaill et Olivier Poivre d’Arvor, nous tentons de mettre sur pied une sorte de « GIEC des océans ». Ce projet, lancé voilà deux ans, est très complexe, mais je pense que nous allons pouvoir progresser.

Par ailleurs, j’ai rencontré M. Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), à qui j’ai demandé de m’indiquer dix actions exemplaires faciles à mener et qui feraient la fierté des outre-mer et la fierté de la France. À six d’entre elles j’ai donné mon agrément, même si elles nécessitent quelques financements.

Mme la présidente. Votre temps de parole est épuisé, monsieur le ministre.

La parole est à Mme Victoire Jasmin.

Mme Victoire Jasmin. Je remercie tout d’abord la délégation sénatoriale aux outre-mer, et particulièrement son président, Stéphane Artano, d’avoir pris l’initiative d’organiser un tel débat.

Monsieur le ministre, à la suite du passage de la violente tempête Fiona en Guadeloupe les 23 et 24 septembre dernier, je souhaite vous interroger au sujet de la politique littorale menée par le Gouvernement pour prendre en compte les effets du réchauffement climatique en outre-mer.

Le réchauffement climatique constitue un des défis fondamentaux de la stratégie maritime nationale. Son impact sur l’habitat littoral est très important en outre-mer, où les rives sont de plus en plus urbanisées.

Les outre-mer sont des territoires pour la plupart insulaires, en proie à de violents aléas naturels, particulièrement d’origine maritime, désormais plus fréquents et plus dévastateurs du fait du bouleversement climatique. Aux tempêtes, il faut ajouter les échouages réguliers d’algues sargasses.

Face à cet enjeu climatique, il convient de revoir les orientations des documents stratégiques de bassin maritime (DSBM) pour y inclure une fiche sur l’habitat littoral.

Cette bande littorale, héritage du passé colonial de la France, fait encore partie du domaine maritime de l’État et bénéficie à ce titre de garanties spécifiques. Ainsi, elle ne peut pas être cédée sans une procédure de déclassement particulière.

Les agences des 50 pas géométriques sont donc des acteurs essentiels, comme l’a souligné le rapport de la délégation sénatoriale consacré au logement dans les outre-mer, qui évoque également la question de l’habitat indigne, particulièrement aux Antilles.

L’urgence est donc le relogement de ces familles sans droit ni titre exposées à un risque naturel majeur, de plus en plus prévisible compte tenu des différents aléas.

Monsieur le ministre, je souhaite connaître les actions que vous entendez engager pour clarifier et pérenniser les missions de ces agences des 50 pas géométriques, mais aussi pour protéger les familles.

Dans un rapport récent, le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), préconisait de « reconsidérer le cadre de l’action publique sur les 50 pas géométriques ».

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice Jasmin, vous le savez, je connais ce sujet.

Il est prévu de reporter à 2025 le transfert de la zone des 50 pas géométriques aux collectivités territoriales. La question est particulièrement complexe à Saint-Martin.

D’ici là, il convient, d’une part, de finaliser la cartographie desdites zones, ce qui nous permettra d’engager le processus de régularisation là où c’est possible – il faut savoir ce qui est régularisable au profit des habitants –, et, d’autre part, d’engager les démarches en vue du relogement des personnes habitant en zone dangereuse.

Pour ce qui concerne Saint-Martin, je m’en suis entretenu avec le président Mussington et Mme Petrus. Je me rendrai sur place la semaine prochaine ; je ne passerai pas par la Guadeloupe, je m’en excuse (Sourires.), mais je m’y déplacerai en novembre. Le message sera celui-ci : on délimite pour régulariser et reloger, puis on transfère.

Mme la présidente. La parole est à Mme Lana Tetuanui.

Mme Lana Tetuanui. Monsieur le ministre, à mon tour, je tiens à saluer les travaux de nos trois collègues : ils dressent le constat que la nation française peine à valoriser cet immense potentiel, situé à 97 % dans ses outre-mer.

Je souscris pleinement aux recommandations du rapport pour faire face aux défis qui nous attendent demain, défis assurément maritimes dans notre zone.

Mon interrogation porte plus particulièrement sur la zone indo-pacifique, au vu de l’actualité dans cette partie de la planète devenue un centre de gravité stratégique, économique et financier. On ne peut que rappeler que la France détient un statut majeur dans cet espace maritime grâce à ses territoires ultramarins et à sa ZEE.

Aujourd’hui, les Américains se mobilisent fortement à nouveau dans la zone face à l’expansionnisme de la Chine. Ainsi, la semaine dernière, la Polynésie française, représentée par son président, Édouard Fritch, a été invitée par le président Biden à participer, en sa qualité de membre à part entière du Forum des îles du Pacifique, au rassemblement organisé à Washington de tous les États insulaires de la zone.

En effet, les États-Unis confirment leur appui et leur soutien financier aux États insulaires pour les aider dans leur vulnérabilité liée au réchauffement de la planète et pour une meilleure et plus grande coopération à leur développement durable.

Ainsi, alors que l’Océanie est convoitée, alors que les enjeux géostratégiques prennent une importance grandissante, est-il envisagé un renforcement de nos bases militaires dans nos collectivités d’outre-mer, plus particulièrement en Polynésie française, où, depuis l’arrêt des essais nucléaires, les moyens maritimes de l’armée ont été redéployés en grande partie hors de notre territoire ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, je me suis entretenu avec le président Fritch pendant qu’il se trouvait à Washington. Avec l’aide de notre ambassadeur Philippe Étienne, nous sommes parvenus à un accord prenant acte de la nécessaire présence de la France dans cette zone grâce à ces territoires ultramarins, en veillant néanmoins à ce qu’ils ne prennent pas parti sur certaines questions, par exemple la présence, empreinte d’activisme, de la Chine dans le détroit de Taïwan.

En tout cas, depuis le Brexit, la France est le seul pays membre de l’Union européenne présent dans la région. D’où l’importance de la coopération européenne.

Je ne peux pas me prononcer à la place du ministre des armées, mais je rappelle que la marine nationale a largement renouvelé les équipements dont elle dispose dans les territoires ultramarins : pas moins de treize navires neufs ont été mis en service, dont neuf dans la zone indo-pacifique, trois à La Réunion, trois en Polynésie et trois en Nouvelle-Calédonie.

À ce jour, pas moins de quatre frégates patrouillent dans la zone, et je ne compte pas les missions effectuées dans les zones exclusives ultramarines par les bâtiments de la marine basés dans l’Hexagone.

Au-delà de la question des moyens, l’enjeu essentiel est de renforcer les coopérations avec nos partenaires amicaux. Il faut multiplier les exercices militaires conjoints, lutter contre la pêche illégale, renforcer les moyens de réponse aux catastrophes naturelles et aux effets du changement climatique, stimuler la diplomatie économique, essayer d’impliquer davantage l’Europe dans notre stratégie régionale. Ce sera le sujet de la réunion qui se tiendra à Nouméa le 22 novembre prochain autour des pays et territoires d’outre-mer (PTOM) de l’Union européenne, si la Commission accepte toujours d’accorder les crédits nécessaires à l’association qui en est à l’initiative.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Petrus.

Mme Annick Petrus. Monsieur le ministre, à ce jour, le secteur de la pêche ne constitue pas encore une véritable filière agricole à Saint-Martin. À la fin de 2021, vingt et un pêcheurs professionnels seulement exerçaient sur l’île. La pêche constitue une activité non régulière dont une part significative est informelle ; environ un tiers.

Elle a une valeur traditionnelle et artisanale, essentiellement liée au loisir ou à la subsistance. L’île possède un marché aux poissons qui fournit les restaurateurs et les habitants en produits locaux.

Une part importante de la consommation provient également d’Anguilla, île voisine. L’absence d’équipements de transformation du poisson ne permet malheureusement pas de répondre à une demande locale croissante.

Dans le cadre de l’économie bleue, de la structuration du secteur de la pêche et de ses acteurs, le décret du 10 juin 2016 offre un cadre réglementaire à la création d’un comité territorial des pêches à Saint-Martin, en donnant notamment à la chambre consulaire interprofessionnelle de Saint-Martin la possibilité d’installer, d’animer et d’organiser cette structure.

Si le comité n’existe pas à ce jour, un processus de conventionnement est en cours, et sa mise en œuvre est attendue par les professionnels du secteur, notamment le syndicat des marins-pêcheurs et des aquaculteurs.

Afin de développer le secteur du nautisme à Saint-Martin et toutes les activités qui y sont liées, la collectivité achève un programme de formation lié à aux métiers de la mer, afin de sensibiliser et de former nos jeunes saint-martinois.

Grâce au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp) couvrant la période 2021-2027, il devrait être possible de dégager une enveloppe de 3,8 millions en faveur du secteur. Toutefois, l’État pourrait-il nous accompagner financièrement, notamment pour l’aménagement de deux points de débarquement, la mise en place d’une zone technique de pêche, mais aussi pour aider à l’installation de jeunes pêcheurs et dans le renouvellement et la modernisation de la flotte ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Je précise que le Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture (Feampa) prend la suite du Feamp. Les crédits en faveur de Saint-Martin passeront de 700 000 euros à 3,8 millions d’euros pour la période 2021-2027. J’ai confiance dans notre capacité à les déployer rapidement.

Autre sujet : avant la fin du mois, je l’espère, nous notifierons à Bruxelles le détail du régime d’aide au renouvellement de la flotte de Saint-Martin, ce qui n’avait été fait jusqu’à présent.

Certes, le même problème d’effectivité se posera, mais nous serons alors dans le cadre du projet global que je négocie avec Bruxelles.

Il faut donc, premièrement, pour ce qui concerne le fonds de 3,8 millions d’euros, que nous agissions avec le comité que vous avez évoqué, deuxièmement, que Saint-Martin entre dans le système d’aide au renouvellement de la pêche – à cette fin, commençons par notifier le régime d’aides afin qu’il s’applique à ce territoire –, et, troisièmement, que ce système fonctionne. Je vous renvoie à ma précédente intervention.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas.

Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, les îles Éparses, situées dans le canal du Mozambique et dépendantes de l’administration des TAAF, représentent seulement 43 kilomètres carrés de surface terrestre cumulée. Mais leurs eaux sous juridiction française totalisent plus de 640 000 kilomètres carrés, soit environ 6 % du territoire maritime français.

De par leur isolement, ces îles n’ont jamais été perturbées par l’activité humaine. Elles sont de ce fait des sanctuaires pour une exceptionnelle biodiversité marine et l’étude d’écosystèmes encore fonctionnels. Les arrêtés de 1975 et de 1994 les classent en réserves naturelles et y interdisent toute pêche.

Cette zone est l’une des régions d’aire primaire constituant l’avenir du patrimoine mondial marin. Elle doit être protégée et préservée, ce que la France s’attache à faire grâce au déploiement d’une présence militaire permanente.

Or, depuis cinquante ans, les îles Éparses font l’objet d’une double contestation territoriale de la part de Madagascar et de l’île Maurice. Leurs ressources halieutiques, énergétiques et minières, que la France s’est attachée à ne pas exploiter, suscitent des convoitises et des revendications.

Les îles Éparses sont donc devenues, pour la France, un enjeu de souveraineté. Entendez-vous poursuivre les efforts engagés par le président François Hollande et son homologue malgache pour négocier une solution équilibrée répondant aux enjeux de sécurité, de défense de la biodiversité et de lutte contre la pêche illicite dans cette zone ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, l’ensemble des îles du canal de Mozambique sont effectivement une richesse extraordinaire. La possession française fait l’objet de contestations territoriales.

Sur ce sujet, le président Macron est clairement sur la même ligne que le président Hollande : la défense de la souveraineté française.

La commission mixte avec Madagascar se réunira très prochainement pour parler de ce différend territorial ; nous n’allons pas déclencher une guerre tout de suite ! Parallèlement, une feuille de route applicable à l’ensemble des organismes de recherche actifs sur les îles Éparses sera signée très bientôt.

Vous l’avez souligné, l’armée française, notamment notre armée de terre, y est présente. Il n’est absolument pas dans l’intention du Président de la République de baisser la garde, tant s’en faut. Négocions avec Madagascar – c’est l’objet de la commission mixte qui va se réunir – et rendons ces îles utiles en matière de recherche. La feuille de route sera signée dans les tout prochains jours ou, du moins, avant la fin de l’année.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.

Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, avec trois de mes collègues sénateurs, j’ai participé à la tournée de souveraineté dans les îles Éparses. J’ai pu constater combien ces territoires, petits, mais précieux, qui aiguisent les appétits des puissances étrangères, sont directement liés à la place stratégique de la France.

Je suis d’accord avec vous : nous devons nous montrer vigilants, poursuivre notre gestion avec détermination et réaffirmer la souveraineté de la France sur ces îles.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge.

M. Dominique de Legge. Monsieur le ministre, les précédents orateurs l’ont rappelé : grâce à ses forces de souveraineté, la France est présente sur tous les océans. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage aux 8 500 personnels militaires déployés sur l’ensemble des océans et, au-delà, à tous les personnels civils qui contribuent à l’accomplissement de leurs missions.

Les zones de responsabilité permanente dont nous avons la charge concernent une quarantaine de pays avec lesquels nous entretenons des partenariats et coopérations. Ces États sont souvent en voie de développement.

En quoi et comment l’Agence française de développement (AFD) vient-elle en soutien de nos forces de souveraineté ? De quelle manière coopère-t-elle avec elles au profit des pays avec qui elles sont en relation ? Et parvient-elle, ce faisant, à faciliter l’exercice de leurs missions par une meilleure acceptation et compréhension de leur présence ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, je suis en relation fréquente avec l’AFD, notamment avec son directeur général, M. Rioux, et je donne la priorité à son action dans les territoires ultramarins. Je pense notamment au Pacifique, où nous avons réellement besoin de cet organisme.

Avec M. Rioux et Mme la ministre Catherine Colonna, nous sommes convenus de travailler précisément à ces coopérations pour aider les pays concernés.

C’est l’un des sujets du dossier de l’immigration. D’après mes informations, à Madagascar, le SMIC chargé est d’environ 40 euros. Je ne sais même pas si le SMIC existe dans les îles des Comores. À Saint-Domingue, le salaire chargé d’un travailleur du tourisme s’élève à 400 euros. En Guadeloupe, monsieur Lurel, on est un peu au-delà, et heureusement !

C’est l’intérêt de la France de travailler avec ces pays pour qu’ils se développent et pour que les salaires y augmentent. À cette fin, nous devons mieux insérer les économies ultramarines dans leur zone régionale.

L’action de l’AFD doit être coordonnée avec notre propre objectif de développement. Je me suis accordé sur ce point avec M. Rioux, au-delà de l’amélioration de l’action de l’AFD sur un certain nombre de points, dans les territoires eux-mêmes.

Ainsi, je travaille actuellement avec lui à un système d’affacturage public qui permettrait aux petites entreprises de bénéficier d’un apport de trésorerie dans l’attente de leur paiement par les collectivités territoriales. En général, ces dernières payent, mais elles mettent un peu de temps à acquitter leurs factures, ce qui entraîne d’importants écarts de trésorerie. Cet affacturage public apporterait un bol d’air considérable aux économies ultramarines.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.

M. Dominique de Legge. Monsieur le ministre, je me réjouis que vous soyez en relation avec l’AFD, mais – pardonnez-moi de vous le dire – cela ne suffit pas.

Je me suis rendu il y a peu à La Réunion. J’ai remis ce matin à la commission des finances un rapport sur l’engagement de nos forces de souveraineté.

Ce qui m’a été dit très clairement, c’est que les difficultés que nous pouvons rencontrer avec les pays voisins pourraient être largement atténuées si l’action de nos forces de souveraineté et, de manière plus générale, la présence française étaient mieux coordonnées avec la politique de coopération, en particulier avec le travail de l’AFD.

J’entends votre engagement, mais il y a beaucoup de progrès à faire : je compte sur vous !

Mme la présidente. La parole est à Mme Vivette Lopez.

Mme Vivette Lopez. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis particulièrement heureuse du débat qui nous rassemble aujourd’hui.

La mer, ses richesses et les perspectives qui y sont liées méritent de s’inscrire profondément dans notre pays. La stratégie maritime 2023-2029 doit s’y employer.

À cet égard, je m’attacherai plus particulièrement à la préconisation n° 7 du rapport de notre délégation aux outre-mer : il s’agit de développer les classes Enjeux maritimes dans les établissements scolaires, par des partenariats avec les grandes fondations et les personnalités engagées dans le monde maritime.

En effet, il serait judicieux de pousser notre jeunesse vers le large en l’incitant, par le biais de projets scolaires, à s’inscrire dans des démarches de sensibilisation aux enjeux maritimes. C’est souvent grâce aux jeunes vocations que les projets décisifs prennent vie, qu’ils aient trait à la science, à l’industrie, à l’aménagement du territoire ou encore à la défense.

Je tiens d’ailleurs à saluer le commandant et l’équipage du Marion-Dufresne, qui, en collaboration avec l’Ifremer, ont embarqué avec eux une centaine de jeunes de Mayotte et de La Réunion pour mieux leur faire connaître la mer et les métiers qui s’y rattachent. Leur aventure a duré un mois.

Les classes Enjeux maritimes sont nées au lycée français de Barcelone de la rencontre de deux femmes issues du monde de l’enseignement et de l’industrie navale. Elles ont pour vocation de faire prendre conscience à des élèves de quatrième, de troisième et de seconde qu’ils sont les citoyens d’une grande puissance maritime. Il s’agit également de leur donner les clés de lecture pour comprendre que les mers et les océans sont les théâtres de tous les défis de demain, qu’ils soient écologiques, économiques ou géopolitiques.

Cette création est très récente, mais vingt-sept projets sont déjà lancés à l’échelle nationale. Dans mon département, trois établissements se sont engagés. En revanche, je constate avec regret qu’une seule classe est répertoriée à ce jour dans l’ensemble de nos territoires d’outre-mer.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Vivette Lopez. L’éducation nationale prend actuellement toute sa part de cette ambition maritime.

Pouvez-vous m’indiquer les orientations que vous entendez prendre pour créer de telles classes outre-mer…

Mme Vivette Lopez. … et ainsi développer cet attrait ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame Lopez, je constate que la Vidourle est devenue un enjeu ultramarin, et je m’en réjouis ! (Sourires.)

Les outre-mer montrent la voie – c’est bien normal – du développement des classes Enjeux maritimes dans les établissements scolaires.

Vous avez salué l’initiative Écoles bleu outremer, et je vous en remercie. Le mérite de ce projet en revient avant tout au ministère de l’outre-mer, qui l’a organisé de A à Z, avec, bien sûr, l’aide de tous les participants.

Nous allons tenter de renouveler, d’autant que ce fut un succès, d’ailleurs suivi d’une réunion des divers chefs de service, qui ont ainsi été sensibilisés au sujet. C’était, de plus, sur le canal de Mozambique, dont beaucoup ici se préoccupent.

Je vous signale le projet de construction d’un lycée de la mer à La Réunion. L’ouverture de cet établissement est prévue pour la rentrée 2027. La construction d’un lycée professionnel maritime est également prévue à Mayotte, pour une ouverture prévue en 2028.

Nous sommes en train de réformer notre système de subvention aux diverses associations. Pour en savoir davantage, il vous suffit de téléphoner au ministère et de demander ma directrice adjointe de cabinet, qui est chargée de tous les sujets éducatifs. Je puis vous assurer que vous recevrez un bon accueil.

Enfin, je suis prêt à me rendre dans le Gard – vous savez combien ce département est cher à mon cœur – pour expliquer tout l’intérêt de cette démarche dans les établissements scolaires.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli.

M. Didier Mandelli. Au terme de ce débat, je souhaite évoquer le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, texte qui arrivera au Sénat dans quelques jours et dont je suis le rapporteur. En effet, je voudrais aborder la place des énergies marines renouvelables dans les territoires ultramarins.

Manque de gisements fonciers, faible interconnexion aux réseaux électriques continentaux, dépendance aux énergies fossiles importées, vulnérabilité face au changement climatique… tous ces facteurs rendent l’accélération de la transition énergétique plus urgente encore en outre-mer que dans l’Hexagone.

La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a fixé un objectif d’autonomie énergétique des départements d’outre-mer d’ici à 2030, via une croissance rapide des énergies renouvelables.

Force est de constater que cet objectif ne sera pas atteint : en moyenne, les énergies renouvelables représentent toujours moins de 30 % du mix électrique dans ces territoires, avec de fortes variations que l’on peut évidemment comprendre. En Guyane, le mix électrique est composé à plus de 50 % d’énergies renouvelables, tandis qu’à Mayotte et à la Martinique, le taux demeure inférieur à 10 %.

D’après une étude menée en 2020 par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), l’autonomie énergétique serait atteignable dans nos outre-mer d’ici à 2035, à condition d’accompagner dans la durée le développement des énergies renouvelables, non seulement terrestres, mais maritimes, en particulier l’éolien offshore et l’énergie thermique des mers.

Selon cette étude, au maximum de leur potentiel, les énergies marines renouvelables pourraient représenter jusqu’à 30 % du mix électrique à Mayotte et en Guyane, 10 % à La Réunion, en Guadeloupe et à la Martinique.

Or, pour l’heure, ces énergies occupent une place très marginale dans nos territoires ultramarins, alors même que la France leur doit la richesse de son domaine maritime. Il existe pourtant un vaste potentiel, qu’il s’agisse de l’éolien offshore posé ou d’énergies plus émergentes comme l’éolien flottant, l’énergie houlomotrice et hydrolienne ou l’énergie thermique des mers.

Les expériences novatrices existent, mais elles sont rares et se heurtent à des difficultés techniques et financières. En parallèle, la nécessité d’adapter les technologies aux spécificités de chaque territoire ralentit le développement de filières industrielles pérennes.

Monsieur le ministre, à l’heure où nos outre-mer œuvrent à la révision de leurs programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE), que prévoit le Gouvernement pour accentuer le développement des énergies marines renouvelables, au-delà du texte qui s’annonce, dans l’ensemble de ces territoires ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, vous l’avez dit vous-même : tout commence par les PPE. Or seule La Réunion l’a fait l ! Je lance donc un appel : tous ces territoires doivent accélérer la signature des PPE. On ne peut pas sans cesse changer de partition. Il faut arrêter de tourner en rond !

Les énergies renouvelables, auxquelles je suis extrêmement favorable, seront prises en compte dès lors qu’il y aura des PPE, que ce soit de gré à gré ou dans le cadre d’appels d’offres.

J’ai fait part de mon mécontentement au ministère de la transition énergétique, car, jusqu’à présent, les appels d’offres sur les énergies renouvelables de base n’étaient pas lancés. Ce sera bientôt chose faite.

Cela étant, ces appels d’offres ne doivent pas cacher l’absolue nécessité, quel que soit le développement des énergies renouvelables, de garder une énergie bioliquide et les grandes usines qu’elle implique.

Cette énergie est indispensable pour stabiliser et sécuriser les approvisionnements. C’est tout le problème en Guyane, avec la centrale du Larivot ; il en est de même en Corse et dans les autres zones non interconnectées (ZNI).

La Commission de régulation de l’énergie (CRE) agit en ce sens, de même que le Gouvernement, au travers de la contribution au service public de l’électricité (CSPE). En complément des énergies renouvelables, il faut accepter de payer une usine fonctionnant au minimum, afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement.

J’en viens aux énergies marines outre-mer. Lorsque j’étais président de la CRE, les décisions étaient, à ma demande, prises en comité interministériel de la mer. Ainsi, dès lors qu’une PPE entrait en vigueur, toutes les études relatives à l’implantation d’éoliennes en mer étaient financées par la CSPE. Mais encore faut-il que les PPE soient votées…

Enfin, les régions ultramarines doivent être fières des innovations qu’elles recèlent en matière d’énergie. Je pense aux Sea Water Air Conditioning (SWAC) de La Réunion, à la centrale à hydrogène de Saint-Laurent-du-Maroni et à nombre d’initiatives encore. Mais l’État ne saurait tout faire : les opérateurs ont aussi un rôle à jouer et – j’y insiste –, pour qu’ils puissent entrer en action, il faut que les PPE soient votées. Pardonnez-moi mon léger mouvement d’humeur à ce sujet…

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à vous remercier de ces échanges très riches. Les problématiques abordées au cours de ce débat ne concernent pas seulement l’outre-mer ; il s’agit en réalité de la place de la France dans le monde.

Je salue l’engagement remarquable de nos trois rapporteurs, Annick Petrus, Philippe Folliot et Marie-Laure Phinera-Horth, qui ont fait un travail à la fois d’évaluation et de proposition, résumé dans leurs quarante recommandations.

L’ambition de la délégation que j’ai l’honneur de présider est de replacer l’outre-mer au cœur de la stratégie maritime nationale, ce qui, nous semble-t-il, a fait défaut en 2017.

Monsieur le ministre, nous appelions un tel débat de nos vœux, afin de donner un élan commun et coordonné à la légitime ambition maritime de notre pays. Nous espérons que vous ne vous arrêterez pas là, que le Parlement sera pleinement associé à l’élaboration de la prochaine stratégie maritime et que nos territoires ultramarins pourront y apporter leurs contributions, indispensables.

Hier, lors du débat sur les fonds marins, le secrétaire d’État chargé de la mer a qualifié le Conseil national de la mer et des littoraux (CNML) de « Parlement de la mer ». Toutefois, comme l’a rappelé Annick Petrus, cette instance ne saurait se substituer aux assemblées parlementaires. Le Sénat et l’Assemblée nationale sont seuls légitimes à se prononcer sur les orientations d’une telle politique, déterminante pour notre avenir.

Notre conviction est aussi qu’il faut, sans tarder, engager une révolution culturelle autour de l’océan. L’espace maritime ultramarin est en effet au confluent de tous les grands enjeux actuels.

Je pense tout d’abord aux enjeux géopolitiques, sécuritaires et diplomatiques. La France est bordée de 23 000 kilomètres de frontières maritimes avec près de trente États, ce qui la place – faut-il le rappeler ? – dans une situation unique au monde. C’est aussi le seul pays présent sur les quatre océans : l’Atlantique, avec la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, et Saint-Pierre-et-Miquelon ; l’océan Indien, avec La Réunion et Mayotte ; l’océan Austral, avec les TAAF ; et l’océan Pacifique, avec la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, sans oublier l’île de La Passion-Clipperton, chère à notre collègue Philippe Folliot.

Il faut aussi prendre en compte les enjeux relatifs aux communications. Au total, 90 % du commerce mondial est assuré par voie maritime. Les câbles sous-marins voient même transiter 95 % du trafic mondial de données ; c’est colossal.

S’y ajoutent les enjeux énergétiques, avec l’objectif de développement des énergies marines renouvelables, sur lequel M. le ministre a insisté, les enjeux scientifiques et de recherche, avec notamment l’exploration des grands fonds, qui sont encore largement méconnus – je vous renvoie à cet égard à notre débat d’hier sur les abysses et à l’excellent rapport de nos collègues Michel Canévet et Teva Rohfritsch –, et les enjeux climatiques et environnementaux, qui ne sont pas les moindres, les outre-mer représentant 80 % de la biodiversité française.

Il est plus que jamais nécessaire d’encourager massivement l’acculturation au fait maritime, dans l’Hexagone comme dans nos outre-mer. C’est important de le souligner.

Pour y parvenir, deux leviers sont indispensables : l’éducation et la formation. Ils ont été insuffisamment mobilisés jusqu’à présent. Notre collègue Vivette Lopez, que je salue, a insisté à juste titre sur les classes Enjeux maritimes.

Notre rapport avance toute une série de propositions de bon sens sur le sujet. Nous suggérons ainsi de promouvoir le brevet d’initiation à la mer dans tous les collèges et lycées, en particulier dans les régions maritimes, de réaliser des études de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC), territoire par territoire, pour mieux orienter les jeunes vers les métiers de la mer ou encore de généraliser les plateformes des métiers du maritime dans les territoires ultramarins.

À cet égard, l’année 2022 offrait a priori un contexte exceptionnellement favorable pour promouvoir une ambition maritime plus conforme aux réalités géographiques de notre pays. La conjonction inédite de la double présidence du Conseil de l’Union européenne et la conférence des RUP par la Martinique devait permettre de mettre en avant les atouts que représentent nos outre-mer pour l’Europe et de défendre des orientations tenant compte de leurs besoins et de leurs réalités.

La présidence des RUP courant jusqu’en novembre 2022, le bilan est encore prématuré. Mais nous ne manquerons pas de le dresser en fin d’année.

En attendant, comme vous le savez, les collectivités ultramarines souhaitent notamment être mieux associées aux visites et réunions de haut niveau organisées par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères lorsqu’elles concernent le bassin océanique. Ce serait déjà un grand pas pour l’efficacité de notre diplomatie si nous parvenions à cette approche coordonnée.

J’insiste à mon tour sur l’opportunité de faire des outre-mer un levier pour la stratégie indo-pacifique. On en a beaucoup parlé au cours du dernier quinquennat. Selon nous, cette stratégie ne doit pas se limiter à la dimension militaire.

Le secrétaire d’État chargé de la mer a utilisé hier le terme d’Indo-Océanie, qui traduit peut-être une approche plus française des réalités géostratégiques de cette région : on peut s’en féliciter. Cette région est présentée comme le nouveau centre de gravité du monde. Beaucoup d’indicateurs vont effectivement dans ce sens. Elle concentre 60 % de la population mondiale, un tiers du commerce international et, d’ici à 2030, représentera 60 % du PIB mondial.

Malheureusement, comme nous l’ont indiqué les responsables territoriaux lors de nos auditions, cette stratégie nationale reste aujourd’hui très étato-centrée, sans réelle association des collectivités ultramarines. Plusieurs de nos collègues ont insisté sur la nécessité de mettre un terme à une telle situation.

Ce qui est vrai pour l’Indo-Pacifique l’est pour la stratégie maritime dans son ensemble.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, notre message est clair : il faut changer d’optique. Les outre-mer sont la clé de la réussite de la stratégie maritime française. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures vingt-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce
Discussion générale (suite)

Régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce
Articles 1er et 2

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, présentée par Mme Nathalie Goulet (proposition n° 768 [2021-2022], texte de la commission n° 902, rapport n° 901).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons en urgence une proposition de loi déposée par notre collègue Nathalie Goulet, que je tiens à remercier de sa vigilance.

Il s’agit de régler diverses questions liées à l’éligibilité des juges consulaires des tribunaux de commerce, avant les élections annuelles que le Gouvernement a décalées, à dessein, à la fin du mois de novembre prochain.

C’est la deuxième fois et, je l’espère, la dernière que notre collègue est conduite à prendre une telle initiative quant à l’élection des juges consulaires des tribunaux de commerce.

À l’automne dernier, nous avions déjà adopté un texte visant à corriger les malfaçons héritées de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte.

La loi du 11 octobre 2021 permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, texte voté conforme par les deux chambres en première lecture, a ainsi permis de faire revenir les membres en exercice et anciens membres des tribunaux de commerce dans le vivier des candidats aux élections des juges consulaires. Il s’agirait aujourd’hui de renouveler l’exercice. En effet, la conférence générale des juges consulaires de France et le ministère de la justice ont de nouveau relevé des difficultés relatives au régime d’élection des juges consulaires.

Je tiens à vous rassurer tout de suite : les travaux que j’ai menés n’ont pas mis en lumière de risque d’invalidation du mandat des juges consulaires ou de disparition des tribunaux de commerce, comme certains l’évoquent. Il n’y a eu, semble-t-il, aucun contentieux remettant en cause les élections organisées depuis 2019.

L’enjeu est de corriger certaines erreurs de plume, mais surtout d’élargir le vivier des candidats en permettant aux cadres dirigeants de se présenter aux futures élections.

Avant l’adoption de la loi Pacte, en 2019, les cadres dirigeants salariés faisaient partie du corps électoral des délégués consulaires. À ce titre, ils étaient éligibles aux fonctions de juge consulaire.

La suppression et le remplacement des délégués consulaires par les membres élus des chambres de commerce et d’industrie (CCI) et des chambres des métiers et de l’artisanat (CMA) ont mis, indirectement, un terme à leur éligibilité. Or leurs compétences spécialisées, en droit bancaire ou cambiaire par exemple, et leur disponibilité sont précieuses pour la résolution des litiges soumis aux juridictions commerciales. La conférence générale des juges consulaires de France estime ainsi que les cadres dirigeants salariés représentent actuellement plus de 40 % des juges consulaires en exercice dans les tribunaux de commerce de grande taille.

La commission a jugé opportun de rétablir l’éligibilité des cadres dirigeants salariés, étant rappelé que ceux-ci seraient soumis aux mêmes règles déontologiques et disciplinaires que l’ensemble des juges composant les tribunaux de commerce. Elle a toutefois estimé que l’article 1er apportait une modification dépassant cet objectif, car celui-ci vise à changer le corps électoral des chambres de commerce et d’industrie en permettant aux cadres dirigeants salariés de l’intégrer.

C’est la raison pour laquelle elle a supprimé cet article et modifié l’article 3, lequel porte sur l’éligibilité des juges consulaires, pour intégrer les cadres dirigeants à cette catégorie.

L’article 2 de la proposition de loi abordait un tout autre sujet : il visait à créer une cinquième cause de cessation des fonctions des juges consulaires en cas de refus de siéger sans motif légitime. La commission a estimé que ce sujet n’était pas frappé du sceau de l’urgence.

Par ailleurs, dans un précédent rapport publié l’année dernière, François Bonhomme et moi-même avions relevé qu’une réponse disciplinaire pouvait être apportée à la situation de refus de siéger et avions recommandé que les chefs de cour se saisissent de leur pouvoir disciplinaire.

Dans ces conditions, la commission a préféré limiter les débats à la problématique qui fonde l’urgence de la proposition de loi, à savoir le vivier des candidats aux élections des juges des tribunaux de commerce. L’article 2 a ainsi été supprimé dans le texte issu de ses travaux. Ce sujet aurait plutôt sa place dans le projet de loi sur la justice du quotidien, qui est envisagé en réponse au rapport du comité des États généraux de la justice.

L’article 3, qui traite des conditions d’éligibilité aux fonctions de juge consulaire, est le cœur de cette proposition de loi. Il vise à rectifier certaines malfaçons issues de la loi Pacte.

Il s’agit, en particulier, de clarifier la question de l’inscription sur les listes électorales des chambres de commerce et d’industrie (CCI) et des chambres de métiers et de l’artisanat (CMA). Le législateur de 2019 n’a pas souhaité imposer une obligation de double inscription. La commission a donc approuvé la modification de rédaction.

L’article 3 vise également à permettre aux juges en exercice et aux anciens juges présentant six ans d’ancienneté d’être réélus dans leur tribunal ou dans un tribunal limitrophe, sans condition de résidence, tout en prévoyant un régime dérogatoire spécial fixé par décret en Conseil d’État pour les tribunaux non limitrophes.

En l’état de la législation, les juges en exercice et les anciens juges doivent justifier dans tous les cas d’une domiciliation ou d’une résidence dans le ressort du tribunal où ils candidatent ou d’un tribunal limitrophe.

Je confesse une hésitation sur cette dernière question, car les conditions actuelles résultent de la loi du 11 octobre 2021 permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, et il pouvait paraître injustifié de les retoucher aussi rapidement en l’absence d’élément nouveau.

Toutefois, le ministère de la justice et la Conférence générale des juges consulaires de France ont fait valoir que 307 juges consulaires ne pourraient plus se représenter aux élections si la règle était maintenue. Il s’agit de personnes qui étaient domiciliées dans le ressort du tribunal dans lequel elles étaient élues en raison de leur activité professionnelle et qui, après la retraite, ne disposent plus de cette domiciliation. Il leur serait donc désormais difficile de se porter candidat, sauf à se faire domicilier chez un tiers.

Compte tenu de cette information, la commission a choisi une solution d’équilibre : elle a levé la condition de résidence lorsque le juge veut se représenter dans son tribunal d’origine ou dans un tribunal limitrophe. Elle a cependant maintenu cette condition pour les candidatures dans des tribunaux non limitrophes. Il lui apparaît en effet nécessaire que le candidat conserve un lien géographique minimal avec le tissu économique local du tribunal dans lequel il souhaite exercer.

Tel est, mes chers collègues, le texte modifié que la commission vous invite à adopter. Je forme le vœu qu’il permette aux juridictions commerciales de bénéficier d’un vivier élargi de candidats aux fonctions de juge consulaire.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons ce soir afin de débattre ensemble de la proposition de loi de votre excellente collègue de l’Orne, Nathalie Goulet, qui porte sur un sujet crucial pour notre économie dans le contexte que nous connaissons : la justice commerciale.

Les siècles d’existence de la justice commerciale sont une preuve indiscutable de son efficacité, mais aussi de son adaptabilité. Elle a su se renouveler maintes et maintes fois pour relever sans cesse de nouveaux défis, jusqu’à aujourd’hui. Elle joue un rôle essentiel, souligné avec insistance par le rapport du comité des États généraux de la justice, à la rédaction duquel le président de votre commission, François-Noël Buffet grandement participé – je veux ici l’en remercier chaleureusement.

La présente proposition de loi vient donc tout d’abord élargir le vivier de candidatures des juges des tribunaux de commerce. Vous l’aurez compris, le Gouvernement y est très favorable.

Suivant la même logique d’élargissement du vivier des candidats juges consulaires, la présente proposition de loi vise à supprimer la condition de résidence à l’égard des juges consulaires et des anciens juges se présentant à leur propre réélection.

S’il est indispensable que, lors de la première élection, les juges consulaires aient leur entreprise au sein du ressort du tribunal de commerce, cette condition n’est plus nécessaire lors des mandats suivants.

En effet, de nombreux juges consulaires cessent leur activité professionnelle en cours de mandat et ne possèdent plus d’entreprise, non plus que de résidence dans le ressort du tribunal où ils ont été élus. Cette situation est très fréquente dans les grandes régions, par exemple en Île-de-France, en Provence-Alpes-Côte d’Azur ou dans les Hauts-de-France.

Ainsi, l’état du droit actuel aurait pour effet d’empêcher la réélection des juges les plus expérimentés dans un ressort dont ils connaissent pourtant toutes les spécificités : ils y ont exercé leur activité professionnelle depuis de nombreuses années et en connaissent parfaitement le tissu économique.

Or c’est précisément de ces juges que nous avons besoin : ceux qui ont une expérience juridictionnelle confirmée et qui connaissent charnellement, si j’ose dire, leur ressort. Ils y occupent fréquemment les postes stratégiques de président de tribunal de commerce ou de président de chambre.

L’adoption de la proposition de loi enrichie par les apports de la commission des lois du Sénat, dont je veux ici saluer le rapporteur Thani Mohamed Soilihi et son excellent travail, permettra de lever cet obstacle.

Permettez-moi d’insister sur l’importance d’une adoption rapide de cette proposition de loi afin que ce texte s’applique aux prochaines élections, prévues entre le 21 novembre et le 4 décembre 2022.

Acteurs de terrain indispensables, les juges consulaires accompagnent et soutiennent nos entreprises dans les périodes difficiles. C’est la raison pour laquelle, au-delà de tout clivage partisan, le Gouvernement apporte son soutien plein et entier à la présente proposition de loi.

Enfin, permettez-moi de saluer également le travail de coconstruction réalisé avec le Conseil national des tribunaux de commerce et la Conférence générale des juges consulaires de France.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux saluer le travail de notre collègue Nathalie Goulet qui, grâce à son attention particulière à la situation des juges consulaires, permet de veiller à la sécurité juridique de leurs conditions d’exercice, ainsi qu’à leur pérennité, alors que l’ensemble de la justice est souffrante.

Il est heureux que le Gouvernement puisse compter sur une telle alliée pour couvrir, si ce n’est une négligence, du moins plusieurs oublis.

Nous nous retrouvons ici, car le temps presse, avec la tenue prochaine de nouvelles élections consulaires. Plus de 130 tribunaux ont la responsabilité d’étudier près de 140 000 affaires par an. Outre les difficultés communes au système judiciaire – problèmes de moyens financiers, recrutements nécessaires, notamment de greffiers, etc. –, ces tribunaux ont aussi subi des modifications importantes et successives sous les derniers mandats, par exemple au travers de la loi Pacte.

Cette loi, qui se voulait simplificatrice, a réformé les modalités d’élection des juges consulaires, qui seront désormais élus par les membres des CCI et des CMA, en plus des juges et anciens juges du tribunal. Elle a donc emporté des conséquences importantes sur le corps électoral, dont celle d’écarter les cadres dirigeants salariés des entreprises.

Aussi, le présent texte, sur lequel la commission s’est retrouvée, propose de permettre de nouveau à ces cadres d’être électeurs directs de ces formations juridictionnelles.

Cette modification se justifie d’autant plus qu’il a été rappelé que 40 % des juges consulaires en exercice sont des cadres dirigeants salariés. À l’heure où la participation citoyenne et démocratique est en grande difficulté dans notre pays, il apparaît plus que raisonnable de permettre une plus grande participation aux institutions de notre quotidien, ou plutôt de maintenir cette participation active aux tribunaux de commerce.

Dans ce même esprit, tenant à la fois du bon sens et de la rustine face au manque de magistrats, la commission a accepté de lever les conditions de résidence, lesquelles, au vu des relocalisations suivant les retraites, auraient asséché le vivier que constituent les juges à la retraite susceptibles de continuer à exercer dans leur juridiction d’origine ou dans les tribunaux limitrophes.

Le choix de valoriser l’expérience des anciens juges ou des juges déjà en exercice reste équilibré, mais nous devons éviter l’écueil d’une trop grande professionnalisation. L’équilibre recherché est difficile à trouver, entre réelle implication dans la vie locale et besoin de renouvellement, mais il ne doit pas être perdu de vue.

Plusieurs rapports ont déjà mis en avant les difficultés de la justice commerciale, dont l’un a été présenté en mai 2021 par notre rapporteur Thani Mohamed Soilihi, Le droit des entreprises en difficulté à lépreuve de la crise, et ces difficultés ont été confirmées lors des travaux des États généraux de la justice.

Si la confiance dans l’institution judiciaire vous est chère, monsieur le garde des sceaux, vous comprendrez que cette proposition de loi n’est qu’une petite pierre à l’édifice de travaux certes colossaux, mais nécessaires.

Nous resterons attentifs à l’équilibre obtenu en commission et, surtout, aux efforts qui seront faits pour aller vers la confiance dans la justice, voire, selon les mots de Mme la Première ministre, vers « l’amélioration de la justice du quotidien ».

En attendant, ce texte réparant les manquements des rédactions précédentes et conservant le vivier d’éligibilité des cadres dirigeants constitue une première mesure d’urgence équilibrée, ce qui permet au groupe GEST de le voter. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Favreau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Gilbert Favreau. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, les tribunaux de commerce sont des institutions vénérables, créées par un édit de 1563 du roi Charles IX.

Leur statut d’origine a été souvent modifié au cours des siècles, mais la proposition de loi qui nous occupe vise simplement à actualiser le régime de réélection des juges consulaires organisé par la loi Pacte du 22 mai 2019, laquelle avait réformé le système électoral concernant ces derniers.

La loi du 11 octobre 2021 permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce avait déjà apporté certaines corrections au texte de 2019, mais celui-ci méritait qu’on lui en apporte quelques-unes de plus : d’abord, en clarifiant les conditions d’éligibilité des juges pour faciliter le renouvellement des magistrats consulaires, parfois en nombre insuffisant ; ensuite, en créant une nouvelle cause de cessation des fonctions de ces juges ; enfin, en corrigeant quelques erreurs commises dans les lois précédentes.

Cela précisé, la proposition de loi qui nous occupe a fait l’objet de trois amendements en commission – deux amendements de suppression et un amendement de modification. Les trois articles de cette proposition de loi, courte et simple, sont concernés par ces trois amendements, que la commission des lois a adoptés.

L’adoption des deux premiers amendements entraîne, certes, la suppression des mesures prévues par les articles 1er et 2 de la proposition de loi. Mais la suppression de l’article 1er est compensée par l’adoption de l’amendement n° 3 et celle de l’article 2 ne crée aucun problème urgent, la question du refus de siéger pouvant être résolue, comme elle l’est actuellement pour la même situation devant le conseil des prud’hommes, par l’article 1442-12 du code du travail.

L’amendement n° 3 visait utilement à permettre d’élire d’abord des juges ayant déjà exercé pendant au moins six ans et domiciliés dans le ressort du tribunal concerné ou des tribunaux limitrophes, mais également des cadres exerçant des fonctions de direction dans les entreprises situées dans le ressort du tribunal concerné ou des tribunaux limitrophes.

En résumé, l’adoption des trois amendements déposés permet d’atteindre de façon pragmatique les objectifs de la proposition de loi.

Les deux premiers sont des amendements de suppression. Le premier tend certes à supprimer l’article 1er de la proposition de loi, mais son contenu est repris dans l’amendement n° 3. Le deuxième vise à régler ultérieurement le problème du refus de siéger, comme il l’est actuellement en ce qui concerne les juridictions prud’homales. Enfin, le troisième, au-delà de quelques corrections de pure forme, tend à permettre d’accueillir dans les tribunaux d’anciens membres des tribunaux de commerce et des cadres d’entreprises.

Les modifications intervenues permettront à la fois de conforter les tribunaux de commerce qui viendraient à manquer de juges et de tenir dans les délais les élections qui devraient avoir lieu au mois de décembre prochain. Tel était l’objectif premier de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà un an, nous avions approuvé un texte encadrant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce. Il s’agissait de pallier certaines imperfections de la loi Pacte, qui avait été adoptée de façon hâtive.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à compléter la loi du 11 octobre 2021 permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, en apportant de nouvelles modifications rectificatives.

Pour la seconde fois, notre collègue Nathalie Goulet prend une initiative sur la question du renouvellement des juges consulaires des tribunaux de commerce. Nous saluons son engagement.

Ce sujet est capital dans notre économie. La justice commerciale ou la justice consulaire est une institution de notre système judiciaire vieille de cinq siècles. Les juridictions consulaires ont ainsi été créées par un édit de 1563 du roi Charles IX, pris sur l’initiative du chancelier Michel de L’Hospital, dont la statue domine cette tribune et nos débats. Une telle longévité démontre toute l’importance de cette justice.

Le texte qui nous est soumis entend donc remédier aux insuffisances de la retouche législative que nous avions apportée l’année dernière, car des difficultés relatives au régime d’élection des juges consulaires ont été une nouvelle fois relevées.

L’article 1er clarifiait ainsi certaines conditions d’éligibilité des juges consulaires. L’article 2 entendait régler la question du refus de siéger en s’inspirant d’une disposition déjà en vigueur pour les conseils de prud’hommes. Enfin, l’article 3 traitait de l’éligibilité des juges consulaires et apportait plusieurs corrections à la loi Pacte, notamment la suppression de la condition de la double affiliation à la CCI et à la CMA pour être candidat à un premier mandat de juge au tribunal de commerce.

La commission a apporté plusieurs modifications au texte, et nous partageons sa position, qui a consisté à se concentrer sur le problème urgent de l’éligibilité, notamment dans l’article 3.

Je me réjouis qu’elle ait trouvé opportun de rétablir l’éligibilité des cadres dirigeants aux fonctions de juge consulaire, élargissant ainsi le corps des candidats, et je tiens donc à saluer le travail de son rapporteur, notre collègue Thani Mohamed Soilihi.

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi apporte de nouvelles réponses fort utiles aux imperfections de la loi Pacte. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires la votera bien évidemment.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme l’avait très justement souligné notre collègue Maryse Carrère l’an dernier lors de l’examen du précédent texte sur l’élection des juges consulaires, nous aurions tort de considérer les dispositions techniques comme des éléments de second rang. Nous l’observons très souvent, celles-ci sont la condition du bon fonctionnement d’un système entier, en ce qu’elles permettent son accomplissement cohérent.

Aussi, je veux tout d’abord souligner le travail et la persévérance de notre collègue Nathalie Goulet, qui porte le sujet de l’élection des juges consulaires et travaille à en perfectionner les mécanismes. Je veux également saluer les travaux de notre commission des lois et de notre rapporteur, Thani Mohamed Soilihi, qui y a apporté bon nombre d’ajustements.

Voilà donc une problématique qui peine à s’éteindre. Par une première loi, il y a un an, nous avions précisé les modalités de réélection de certains juges consulaires, ainsi que certaines inéligibilités à ces fonctions, corrigé une interprétation du Conseil d’État s’agissant du délai de viduité et fixé des précisions quant aux conditions imposées par la loi pour faire partie du collège électoral des juges consulaires.

Dans la continuité de ces travaux, le texte de la commission dont nous discutons aujourd’hui révise les conditions d’éligibilité des juges en exercice et des anciens juges dans leur tribunal de commerce d’origine ou dans un tribunal limitrophe. Il n’y a pas lieu de s’opposer à ces dispositions, qui vont être débattues.

Cela étant, mes collègues du groupe du RDSE et moi-même regrettons cette répétition de textes. Elle est le symptôme d’un travail législatif trop hâtif ces dernières années et trop volumineux au regard du temps dont nous disposons. Il est inutile de redire tout ce que l’inflation législative a pu avoir de nuisible.

Il a souvent été question de « rustine » durant les travaux préparant cet examen. La loi de l’an dernier en était une première ; celle-ci serait la seconde. S’il fallait filer la métaphore, j’ajouterais que, quand la jante est trop abîmée, il faut songer à la remplacer. Je forme le vœu que nous n’aurons pas à revenir une nouvelle fois sur la problématique de l’élection des juges consulaires.

Ces observations faites, le groupe du RDSE votera en faveur de cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile.

M. Dominique Théophile. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier notre collègue Nathalie Goulet d’avoir déposé cette proposition de loi.

Ce texte est technique. Il n’en revêt pas moins une importance particulière, dans la mesure où il vise à faire en sorte que la loi Pacte, l’une des lois majeures du précédent quinquennat, soit expurgée de ses dernières malfaçons et appliquée conformément à la volonté du législateur.

Ce texte présente aussi le grand avantage d’élargir le vivier des candidats aux fonctions de juge consulaire, via le rétablissement de l’éligibilité des cadres dirigeants.

Le groupe RDPI ne peut que souscrire à ces objectifs, dont la concrétisation est d’autant plus urgente que les prochaines élections consulaires doivent se tenir entre le 21 novembre et le 4 décembre prochain. Dans quelques semaines, la réforme du collège électoral des juges des tribunaux de commerce entrera en vigueur, ce dont je me félicite.

Pour la première fois, les juges consulaires seront élus par les membres des chambres de commerce et d’industrie et par les membres des chambres de métiers et de l’artisanat, en plus des juges en exercice et des anciens juges. Il faut espérer que la suppression du régime électoral à deux degrés conduira à une hausse du taux de participation.

Après que la présente proposition de loi aura été définitivement adoptée, il conviendra d’engager une réforme en profondeur de la justice commerciale.

Depuis les années 2000, cette justice du quotidien et de proximité, parfois considérée à tort comme périphérique, a connu plusieurs améliorations. Ainsi, notamment, l’extension de la compétence des tribunaux de commerce aux litiges entre artisans a été permise par la loi de 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

Nous devons poursuivre ce mouvement de réforme. À cet égard, les propositions formulées par le comité des États généraux de la justice constituent une bonne base de travail. Tout le monde s’accorde sur l’impérieuse nécessité de rendre plus lisible l’organisation des juridictions commerciales.

Aussi, je me réjouis que le comité ait proposé d’expérimenter le remplacement de tribunaux de commerce par des tribunaux des affaires économiques, dont la compétence serait élargie aux agriculteurs, aux professions libérales et aux associations.

Par ailleurs, je trouve particulièrement intéressante la proposition du comité de créer un référé sauvegarde de l’entreprise, sur le modèle du référé-liberté des juridictions administratives. Les juges consulaires seraient ainsi dotés d’un outil leur permettant de répondre à des situations urgentes.

Enfin, une solution devra impérativement être apportée aux difficultés financières des tribunaux de commerce. La justice commerciale souffre d’un manque criant de moyens. Il faudra probablement poser la question du maintien de sa gratuité et étudier la possibilité de mettre en place un droit de timbre barémisé, qui serait acquitté par la partie requérante à peine d’irrecevabilité de l’instance.

Toutes les pistes de réflexion qui ont été mises sur la table par le comité des États généraux de la justice sont très innovantes. Nous aurons l’occasion d’en débattre l’an prochain, dans le cadre d’un projet de loi.

En attendant ce grand débat sur la réforme de la justice commerciale, le groupe RDPI votera pour la présente proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jérôme Durain. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la justice consulaire n’est pas périphérique. Elle ne l’a jamais été. Les « gigacrises » récentes – vous me pardonnerez ce néologisme, calqué sur « mégafeux » – et leurs implications la rendent de plus en plus centrale dans la vie économique comme dans la vie tout court de nombre de nos concitoyens.

Lors de l’examen de la première proposition de loi vouée à pallier les dysfonctionnements identifiés dans la loi Pacte, nous avions tous le covid et la crise sanitaire en tête.

Aujourd’hui, nous avons toujours le covid à l’esprit, beaucoup d’entre nous l’ont même contracté, mais nous devons aussi composer avec l’instabilité internationale née de la guerre en Ukraine et la crise climatique et énergétique. Les prêts garantis par l’État doivent être remboursés, même si des facilités peuvent être offertes dans certains cas. L’inflation est de retour.

Je n’irai pas plus loin sur les aspects conjoncturels, les laissant à nos collègues des commissions des finances et des affaires économiques, bien plus diserts que moi en la matière.

Ce contexte est présent dans la tête des dirigeants d’entreprises que nous rencontrons partout dans nos territoires. Les difficultés sont là, et l’intervention de la justice consulaire les accompagne parfois.

À l’approche des prochaines élections des juges consulaires des tribunaux de commerce, la proposition de loi de notre collègue Nathalie Goulet, rectifiée favorablement par le rapporteur, que je félicite de son travail, permettra de rétablir les cadres dirigeants salariés comme partie intégrante du corps électoral des délégués consulaires, donc de les rendre pleinement éligibles aux fonctions de juge consulaire.

Les questions disciplinaires et des considérations plus générales sur la justice consulaire méritent sans doute d’être examinées dans le cadre du projet de loi faisant suite aux États généraux de la justice, donc dans un calendrier moins contraint.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain apportera son plein soutien à cette proposition de loi, pour défendre la pérennité et l’efficacité de la juridiction consulaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi de Mme Nathalie Goulet dont nous discutons en cette fin d’après-midi est un texte d’actualisation et de précision à la marge. Elle vise à corriger des erreurs introduites par la loi Pacte et à éclairer les conditions d’élection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce.

Cette proposition de loi ne bouleverse aucunement le fonctionnement des tribunaux de commerce, ce n’est pas son objectif. Sur le fond, cela nous semble d’ailleurs problématique : nous nous cantonnons à la forme, alors que c’est bien sur le fond qu’il serait pertinent d’intervenir, car ce texte confirme la volonté de sanctuariser la juridiction commerciale et ne prend pas en considération les critiques régulièrement émises quant à sa composition, les salariés n’y étant pas inclus.

Les risques de conflits d’intérêts demeurent prégnants dans un microcosme où tout le monde se connaît et fait des affaires. Le contexte est celui d’une autarcie totale, et nous continuons d’adouber une juridiction non paritaire, car, je le répète, les salariés en sont écartés, et non éclairée.

Est-ce là l’idée que nous nous faisons de la justice et du principe d’impartialité ? Je ne le crois pas. Certains reconnaissent que nous en sommes malheureusement bien loin, mais aucune évolution n’est envisagée. La modestie dans l’action ne nous aidera pas à être à la hauteur de notre mandat, d’autant que la France est capable de se doter de tribunaux paritaires efficaces et impartiaux, tels que les tribunaux prud’homaux.

Toutefois, malgré les critiques que nous avons formulées sur cette proposition de loi, je tiens à saluer le travail de notre collègue Nathalie Goulet. Notre groupe votera le texte, en attendant que se tienne un débat de fond sur la composition des tribunaux de commerce en France, qui n’a d’équivalent nulle part en Europe et qui ne saurait nous satisfaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je porte une appréciation très favorable sur les tribunaux de commerce, sur leur sérieux et sur leur implication, de par la connaissance à la fois théorique et concrète que j’en ai. Je ne partage donc pas, en tant qu’ancien praticien, les réserves que Mme Assassi vient de formuler.

Le texte porte sur trois questions.

La première concerne la composition du corps électoral, un sujet dont nous avons largement débattu : il serait regrettable de se priver de 40 % de ce vivier électoral, composé de cadres expérimentés qui ont une connaissance pertinente de la vie des entreprises. Nous ne pouvons donc qu’approuver la proposition de notre collègue Mme Goulet, améliorée grâce au travail de la commission.

La deuxième question, celle de la déchéance, ne me semble pas concerner beaucoup de magistrats, car ils sont peu nombreux à refuser d’exécuter leurs activités. Le risque est d’autant plus contenu que les magistrats devant le tribunal de commerce doivent exercer pendant deux ans avant de pouvoir disposer d’un mandat complet.

En outre, j’ai pris le temps de consulter les articles L. 724-1 et suivants du code de commerce et j’ai pu constater, non sans un certain étonnement, l’importance du dispositif de déontologie qui s’applique aux tribunaux de commerce, notamment au regard des atteintes possibles à la probité. Il me semble donc que le Conseil national des tribunaux de commerce, structure faîtière en matière de déontologie, a largement les moyens de résoudre ce problème.

J’ai même été favorablement impressionné par l’étendue des obligations, en particulier par le dispositif prévu en matière d’incompatibilités. J’avoue, monsieur le garde des sceaux, que j’ignorais complètement que le mandat de juge consulaire fût incompatible avec celui de conseiller municipal, sans parler de celui de conseiller départemental et des obligations de déclaration d’intérêts. Par conséquent, les obligations qui pèsent sur les juges consulaires restent très importantes.

La troisième et dernière question porte sur la domiciliation. Vous avez proposé d’instaurer un critère limitrophe, dans une logique facile à comprendre. Les chiffres qu’a donnés M. le rapporteur montrent qu’il serait dommage de se priver de magistrats compétents.

Mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera ce texte, sans surprise puisqu’il a été porté par l’un de ses membres.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce
Article 3 (début)

Articles 1er et 2

(Supprimés)

Articles 1er et 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce
Article 3 (fin)

Article 3

I. – L’article L. 723-4 du code de commerce est ainsi modifié :

1° A (nouveau) Au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;

1° Au 1°, la deuxième occurrence du mot : « et » est remplacée par le mot : « ou » ;

1° bis (nouveau) Aux 3° et 4°, après le mot : « procédure », sont insérés les mots : « de sauvegarde, » ;

2° Au 4° bis, la première occurrence du mot : « fait » est supprimée ;

2° bis (nouveau) Au 5°, après le mot : « qualités », sont insérés les mots : « et fonctions » ;

3° Le dernier alinéa est remplacé par un II ainsi rédigé :

« II. – Sont également éligibles, s’ils sont âgés de trente ans au moins et satisfont aux conditions prévues aux 2° à 5° du I du présent article :

« 1° Les membres en exercice des tribunaux de commerce ainsi que les anciens membres de ces tribunaux ayant exercé les fonctions de juge de tribunal de commerce pendant au moins six années et n’ayant pas été réputés démissionnaires. Lorsque ces personnes se portent candidates dans un tribunal non limitrophe de celui dans lequel elles ont été élues, elles doivent être domiciliées ou disposer d’une résidence dans le ressort du tribunal où elles candidatent ou dans le ressort des tribunaux limitrophes ;

« 2° Les cadres qui exercent des fonctions impliquant des responsabilités de direction commerciale, technique ou administrative au sein des entreprises ou des établissements inscrits au répertoire des métiers ou mentionnés au II de l’article L. 713-1 situés dans le ressort du tribunal de commerce ou dans le ressort des tribunaux limitrophes. Les candidats doivent être employés dans l’un de ces ressorts. »

II (nouveau). – Au 2° du II de l’article L. 723-4 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la présente loi, les mots : « répertoire des métiers » sont remplacés par les mots : « registre national des entreprises en tant qu’entreprise ou établissement du secteur des métiers et de l’artisanat ».

III (nouveau). – Le II du présent article est applicable à compter du 1er janvier 2023.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3.

(Larticle 3 est adopté).

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Pierre Laurent.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce
 

7

Conférence des présidents

M. le président. Mes chers collègues, les conclusions adoptées par la conférence des présidents réunie ce jour sont consultables sur le site du Sénat.

En l’absence d’observations, je considère ces conclusions comme adoptées.

Conclusions de la conférence des présidents

SEMAINE DE CONTRÔLE

Jeudi 6 octobre 2022

À 10 h 30

- vingt-neuf questions orales

À 14 h 30

- Débat sur les conclusions du rapport « Transformer l’essai de l’innovation : un impératif pour réindustrialiser la France » (demande de la MI « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française »)

• Temps attribué à la mission d’information : 8 minutes

• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure

• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute

• Temps de réponse du Gouvernement : 5 minutes

• Conclusion par la mission d’information : 5 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 5 octobre à 15 heures

- Débat sur le thème : « Quelle place donner aux acteurs du médico-social dans l’organisation des soins de demain sur nos territoires ? » (demande du groupe RDPI)

• Temps attribué au groupe RDPI : 8 minutes

• Réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :

2 minutes, y compris la réplique

Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

Possibilité pour le Gouvernement de répondre à une réplique pendant 1 minute et à l’auteur de la question de répondre de nouveau pendant 1 minute

• Conclusion par le groupe RDPI : 5 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 5 octobre à 15 heures

SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT

Mardi 11 octobre 2022

À 14 h 30 et le soir

- Projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (procédure accélérée ; texte de la commission n° 19, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale avec une saisine pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 10 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 11 octobre matin et début d’après-midi et mercredi 12 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 10 octobre à 15 heures

=> En outre, de 14 h 30 à 15 heures :

Scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République

Ce scrutin secret se déroulera, pendant la séance, en salle des Conférences.

• Les candidatures devront être remises à la direction de la séance au plus tard le lundi 10 octobre à 15 heures.

• Délai limite pour le dépôt des délégations de vote : mardi 11 octobre à 12 h 30

Mercredi 12 octobre 2022

À 15 heures

- Questions d’actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 12 octobre à 11 heures

À 16 h 30

- Suite du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (procédure accélérée ; texte de la commission n° 19, 2022-2023)

À 21 h 30

- Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution sur la politique énergétique de la France

• Intervention des orateurs des groupes, à raison d’un orateur par groupe, par ordre décroissant des effectifs des groupes, avec 14 minutes pour le groupe Les Républicains, 12 minutes pour le groupe Socialiste, écologiste républicain, 10 minutes pour le groupe Union Centriste et 8 minutes pour les autres groupes, ainsi que 3 minutes pour les sénateurs non-inscrits

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 11 octobre à 15 heures

Jeudi 13 octobre 2022

À 10 h 30 et à 14 h 30

- Suite du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (procédure accélérée ; texte de la commission n° 19, 2022-2023)

SEMAINE SÉNATORIALE

Mardi 18 octobre 2022

À 14 h 30 et le soir

- Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (procédure accélérée ; texte de la commission n° 19, 2022-2023)

• Temps attribué aux orateurs des groupes pour les explications de vote, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour chaque groupe et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe

• Délai limite pour les inscriptions de parole : lundi 17 octobre à 15 heures

• Délai limite pour le dépôt des délégations de vote : mardi 18 octobre à 12 h 30

- Proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale afin de lutter contre « les déserts médicaux », présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 11, 2022-2023) (demande du groupe Les Républicains)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 13 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 18 octobre début d’après-midi

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 17 octobre à 15 heures

- Débat sur les finances locales (demande de la commission des finances)

• Temps attribué à la commission des finances : 10 minutes

• Temps attribué au Gouvernement : 10 minutes

• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure

• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute

• Temps de réponse du Gouvernement : 5 minutes

• Conclusion par la commission des finances : 5 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 17 octobre à 15 heures

- Proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, présentée par Mme Éliane Assassi, M. Arnaud Bazin et plusieurs de leurs collègues (texte n° 720, 2021-2022) (demande de la CE Cabinets de conseil)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 10 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 12 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 17 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 18 octobre début d’après-midi

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 17 octobre à 15 heures

Mercredi 19 octobre 2022

À 15 heures

- Questions d’actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 19 octobre à 11 heures

De 16 h 30 à 20 h 30

(Ordre du jour réservé au GEST)

- Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, présentée par Mme Mélanie Vogel et plusieurs de ses collègues (texte n° 872, 2021-2022)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 10 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 12 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 17 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 19 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 18 octobre à 15 heures

- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à faire évoluer la formation de sage-femme (texte de la commission n° 16, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 13 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 19 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 18 octobre à 15 heures

Éventuellement, le soir

- Suite de la proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, présentée par Mme Éliane Assassi, M. Arnaud Bazin et plusieurs de leurs collègues (texte n° 720, 2021-2022)

Jeudi 20 octobre 2022

De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures

(Ordre du jour réservé au groupe UC)

- Proposition de loi créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, présentée par Mme Valérie Létard et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 22, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 13 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 19 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 19 octobre à 15 heures

- Proposition de loi visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste, présentée par Mme Denise Saint-Pé (texte de la commission n° 24, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 13 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 19 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 19 octobre à 15 heures

De 16 heures à 20 heures

(Ordre du jour réservé au groupe Les Indépendants)

- Proposition de loi en faveur du développement de l’agrivoltaïsme, présentée par MM. Jean-Pierre Decool, Pierre-Jean Verzelen, Pierre Médevielle, Daniel Chasseing, Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 14, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires économiques.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 13 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 19 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 19 octobre à 15 heures

- Proposition de loi visant à mieux valoriser certaines des externalités positives de la forêt, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues (texte n° 867, 2021-2022)

Ce texte a été envoyé à la commission des finances.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 10 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 12 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 17 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 19 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 19 octobre à 15 heures

SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT

Mardi 25 octobre 2022

À 10 h 30

- Questions orales

À 14 h 30 et le soir

- Sous réserve de sa transmission, projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (procédure accélérée ; texte A.N. n° 219)

Ce texte sera envoyé à la commission des affaires sociales.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 17 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 19 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 24 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 25 octobre 13 h 30 et à la suspension du soir, mercredi 26 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 24 octobre à 15 heures

Mercredi 26 octobre 2022

À 15 heures

- Questions d’actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 26 octobre à 11 heures

À 16 h 30

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (procédure accélérée ; texte A.N. n° 219)

À 21 h 30

- Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution relative à la guerre en Ukraine et aux conséquences pour la France

• Intervention des orateurs des groupes, à raison d’un orateur par groupe, par ordre décroissant des effectifs des groupes, avec 14 minutes pour le groupe Les Républicains, 12 minutes pour le groupe Socialiste, écologiste républicain, 10 minutes pour le groupe Union Centriste et 8 minutes pour les autres groupes, ainsi que 3 minutes pour les sénateurs non-inscrits

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 25 octobre à 15 heures

Jeudi 27 octobre 2022

À 10 h 30, 14 h 30 et, éventuellement, le soir

- 5 conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :

=> Projet de loi autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives (texte de la commission n° 894, 2021-2022)

=> Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord pour la mise en place d’un mécanisme d’échange et de partage de l’information maritime dans l’océan Indien occidental et de l’accord régional sur la coordination des opérations en mer dans l’océan Indien occidental (texte de la commission n° 757, 2021-2022)

=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord de siège entre le Gouvernement de la République française et la Banque des règlements internationaux relatif au statut et aux activités de la Banque des règlements internationaux en France, et de l’accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et la Banque des règlements internationaux (texte de la commission n° 898, 2021-2022)

=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention portant création de l’Organisation internationale pour les aides à la navigation maritime (texte de la commission n° 8, 2022-2023)

=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du Traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée (texte de la commission n° 896, 2021-2022)

• Délai limite pour demander le retour à la procédure normale : mardi 25 octobre à 15 heures

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (procédure accélérée ; texte A.N. n° 219)

SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT

Mercredi 2 novembre 2022

À 15 heures

- Questions d’actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 2 novembre à 11 heures

À 16 h 30, le soir et, éventuellement, la nuit

- Sous réserve de sa transmission, projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 (procédure accélérée ; texte A.N. n° 272)

Ce texte sera envoyé à la commission des finances avec saisine pour avis de la commission des affaires sociales.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : mercredi 26 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : jeudi 27 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 31 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 2 novembre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 31 octobre à 15 heures

Jeudi 3 novembre 2022

À 10 h 30, 14 h 30, le soir et, éventuellement, la nuit

- Projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (procédure accélérée ; texte n° 889, 2021-2022)

Ce texte a été envoyé à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable avec une saisine pour avis de la commission des affaires économiques et de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 24 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 26 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 31 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 2 novembre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 2 novembre à 15 heures

Vendredi 4 novembre 2022

À 9 h 30, 14 h 30 et, éventuellement, le soir

- Suite du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (procédure accélérée ; texte n° 889, 2021-2022)

Lundi 7 novembre 2022

À 16 heures

- Sous réserve de sa transmission, projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 (discussion générale ; texte A.N. n° 274)

Ce texte sera envoyé à la commission des affaires sociales avec une saisine pour avis de la commission des finances.

• Réunion de la commission pour le rapport : mercredi 2 novembre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 4 novembre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : lundi 7 novembre à 13 h 30 et à la suspension du soir et mardi 8 novembre en début d’après-midi et à la suspension du soir

• Temps attribué à la rapporteure générale de la commission des affaires sociales dans la discussion générale : 10 minutes

• Temps attribué aux rapporteurs de branche et au rapporteur pour avis : 5 minutes

• Temps attribué à la présidente de la commission des affaires sociales : 5 minutes

• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure 30

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 4 novembre à 15 heures

Le soir et la nuit

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 (discussion des articles ; texte A.N. n° 274)

Mardi 8 novembre 2022

À 14 h 30, le soir et la nuit

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 (texte A.N. n° 274)

Mercredi 9 novembre 2022

À 15 heures

- Questions d’actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 9 novembre à 11 heures

À 16 h 30, le soir et la nuit

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 (texte A.N. n° 274)

Jeudi 10 novembre 2022

À 10 h 30 et de 14 h 30 à 18 heures

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 (texte A.N. n° 274)

Samedi 12 novembre 2022

À 9 h 30, 14 h 30 et, éventuellement, le soir

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 (texte A.N. n° 274)

SEMAINE DE CONTRÔLE

Lundi 14 novembre 2022

À 15 heures et le soir

- Sous réserve de son dépôt et de sa transmission, projet de loi de finances rectificative pour 2022 (demande du Gouvernement en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution)

Ce texte sera envoyé à la commission des finances.

• Réunion de la commission pour le rapport : mercredi 9 novembre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 10 novembre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : lundi 14 novembre matin en début d’après-midi

• Temps attribué au rapporteur général de la commission des finances dans la discussion générale : 10 minutes

• Temps attribué au président de la commission des finances : 5 minutes

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : jeudi 10 novembre à 15 heures

Mardi 15 novembre 2022

À 14 h 30

- Sous réserve de sa transmission, explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 (texte A.N. n° 274)

• Temps attribué aux orateurs des groupes pour les explications de vote, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour chaque groupe et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe

• Délai limite pour les inscriptions de parole : lundi 14 novembre à 15 heures

• Délai limite pour le dépôt des délégations de vote : mardi 15 novembre à 12 h 30

- Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, visant à appliquer des sanctions à l’encontre de l’Azerbaïdjan et exiger son retrait immédiat du territoire arménien, à faire respecter l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020, et favoriser toute initiative visant à établir une paix durable entre les deux pays, présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues (texte n° 3, 2022-2023) (demande du Président du Sénat)

• Temps attribué à l’auteur de la proposition de résolution : 10 minutes

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 14 novembre à 15 heures

• Les interventions des orateurs vaudront explications de vote

- Débat sur la situation et les perspectives des collectivités territoriales (demande du groupe Les Républicains)

• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes

• Réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :

2 minutes, y compris la réplique

Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

Possibilité pour le Gouvernement de répondre à une réplique pendant 1 minute et à l’auteur de la question de répondre de nouveau pendant 1 minute

• Conclusion par le groupe Les Républicains : 5 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 14 novembre à 15 heures

- Débat sur l’enseignement professionnel (demande du groupe Les Républicains)

• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes

• Réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :

2 minutes, y compris la réplique

Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

Possibilité pour le Gouvernement de répondre à une réplique pendant 1 minute et à l’auteur de la question de répondre de nouveau pendant 1 minute

• Conclusion par le groupe Les Républicains : 5 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 14 novembre à 15 heures

Le soir

- Débat sur « Quel bilan pour Parcoursup ? » (demande du groupe CRCE)

• Temps attribué au groupe communiste républicain citoyen et écologiste : 8 minutes

• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure

• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute

• Temps de réponse du Gouvernement : 5 minutes

• Conclusion par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste : 5 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 14 novembre à 15 heures

Mercredi 16 novembre 2022

À 15 heures

- Questions d’actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 16 novembre à 11 heures

De 16 h 30 à 20 h 30

(Ordre du jour réservé au groupe RDSE)

- Proposition de loi visant à permettre aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d’agression, présentée par Mme Nathalie Delattre et plusieurs de ses collègues (texte n° 631, 2021-2022)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 7 novembre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 9 novembre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 14 novembre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 16 novembre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 15 novembre à 15 heures

- Proposition de loi visant à compléter les dispositions relatives aux modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises, présentée par M. Jean-Claude Requier et plusieurs de ses collègues (texte n° 647, 2021-2022)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 7 novembre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 9 novembre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 14 novembre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 16 novembre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 15 novembre à 15 heures

Jeudi 17 novembre 2022

À 10 h 30

- deux conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié (demande du Gouvernement) :

=> Sous réserve de sa transmission, projet de loi autorisant l’approbation de l’accord signé en France entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la restructuration de la plate-forme douanière de Saint-Louis-Bâle sur l’autoroute A35 (procédure accélérée ; texte A.N. n° 175)

=> Projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour (texte de la commission n° 6, 2022-2023)

• Délai limite pour demander le retour à la procédure normale : mardi 15 novembre à 15 heures

Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, portant sur le développement économique de la filière du chanvre en France et l’amélioration de la réglementation des produits issus du chanvre, présentée par M. Guillaume Gontard et plusieurs de ses collègues (texte n° 769, 2021-2022) (demande du GEST)

• Temps attribué à l’auteur de la proposition de résolution : 10 minutes

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 16 novembre à 15 heures

• Les interventions des orateurs vaudront explications de vote

Prochaine réunion de la Conférence des Présidents :

mercredi 2 novembre 2022 à 18 heures

8

Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique

Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la commission des affaires économiques

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires économiques, sur les conclusions du rapport d’information intitulé Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes : l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre chargé de l’industrie, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

La parole est tout d’abord aux orateurs de la commission qui a demandé ce débat.

La parole est Mme Amel Gacquerre, au nom de la commission des affaires économiques. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme Amel Gacquerre, au nom de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier, c’était le paracétamol, les masques et les puces électroniques ; aujourd’hui, c’est la moutarde, l’huile de tournesol et le gaz. Alors que les crises économiques, sanitaires et sécuritaires s’enchaînent, notre pays se redécouvre vulnérable.

Comment avons-nous pu en arriver là ? Surtout, au-delà des constats, comment sortir de cet état de dépendance qui nous coûte et nous contraint ?

Ce sujet fondamental de souveraineté a occupé notre commission pendant près de six mois.

Le rapport que j’ai présenté avec la présidente Sophie Primas et notre collègue Franck Montaugé a permis d’identifier précisément nos vulnérabilités dans différents secteurs. Le constat est alarmant, car il révèle une perte d’autonomie transversale et profonde.

À l’heure où la guerre frappe aux frontières de l’Europe, où l’arme nucléaire n’est plus un tabou, où les frontières entre l’économie réelle et l’économie numérique se brouillent, où la valeur de l’énergie continue d’augmenter et où la concurrence internationale en matière de talents fait rage, il nous faut avoir le courage de regarder les choses en face : reconstruire notre souveraineté doit être, au même titre que la transition écologique, la priorité majeure de nos politiques publiques.

C’est la raison pour laquelle notre commission a appelé à passer à l’acte, du sursis au sursaut, via cinq plans stratégiques.

Je veux revenir sur les trois postulats sur lesquels reposent ces plans.

Il s’agit premièrement de ne pas opposer les souverainetés, car la France a besoin de l’Europe pour être plus forte. Il faut donc que nous agissions ensemble, avec nos voisins, pour mobiliser davantage de moyens et d’innovations.

Nombre de nos recommandations concernent l’action de l’Union européenne en matière de télécommunications, de législation environnementale ou de projets industriels communs. Par exemple, 99 % du réseau internet mondial transite via des câbles sous-marins, contrôlés pour la majorité d’entre eux par les Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Pour des raisons évidentes de sécurité et de gestion des risques, il nous faut travailler à l’établissement d’un réseau indépendant de câbles sous-marins de télécommunication reliant entre eux les pays de l’Union européenne.

Dans ce même registre, la part du transfert de données hors de France et de l’Union européenne ne cesse de croître, de sorte qu’il faut rendre obligatoires la localisation et le stockage des données personnelles des citoyens et des entreprises européennes sur le sol de l’Union européenne.

Le deuxième principe qui nous servira à garantir notre souveraineté repose sur une meilleure exploitation de nos forces et nos ressources, qu’elles soient minières, humaines ou agricoles, et cela dans le respect de l’environnement. On évitera ainsi la dépendance aux importations et la pollution qui en découle.

Vous le savez, la France dépend à 100 % de la Chine pour les terres rares et à 80 % de l’Amérique du Sud pour le lithium. Il nous semble donc essentiel d’intensifier le soutien au recyclage des métaux critiques et des biens industriels pour réduire notre dépendance.

La question des compétences est également fondamentale. En effet, alors que nous nourrissons de fortes ambitions pour notre industrie, un employé sur trois de ce secteur partira à la retraite d’ici à 2030, et 50 % des métiers de l’industrie sont en tension.

Nous envisageons le développement de la filière nucléaire. Mais disposons-nous des compétences suffisantes pour le mettre en œuvre ? Il nous faut de manière urgente repenser les filières et les diplômes de demain vers les métiers en tension, dans des secteurs comme le numérique, la métallurgie ou l’électronique.

Troisièmement, dans le cadre de ce rapport, nous recommandons de poursuivre l’effort de compétitivité et d’ancrage de notre tissu économique.

Notre souveraineté ne repose pas seulement sur les grandes entreprises françaises, même si celles-ci jouent un rôle moteur pour l’économie et qu’il convient de les protéger. C’est aussi l’ensemble des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), comme les start-up innovantes ou les exploitants agricoles, qui garantissent au quotidien la résilience de notre économie et de notre société.

Il faut leur assurer un environnement compétitif dans lequel ils pourront se développer sans craindre l’injustice fiscale ou la concurrence déloyale étrangère. Commençons par faire respecter, par exemple, les normes de production instaurées au sein de l’Union européenne.

Tels sont les trois principes sur lesquels reposent les plans stratégiques, que nous avons transmis au Gouvernement pour qu’il les mette en œuvre urgemment, afin de reconstruire notre souveraineté. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, au nom de la commission des affaires économiques. (Applaudissements.)

M. Franck Montaugé, au nom de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’occasion de ce débat, nous voudrions comprendre quelle est la politique de souveraineté du Gouvernement en matière d’industrie, d’agriculture et de numérique.

Alors même que les conséquences négatives des délocalisations étaient perçues par tous depuis des années, les premières études relatives à la dépendance des filières industrielles en intrants importés n’ont été réalisées qu’au moment de la crise liée au covid-19.

Quelle est donc, dans le domaine des industries, la politique de souveraineté du Gouvernement ? Les constats ont été faits. Il faut désormais en tirer tous les enseignements nécessaires.

En s’appuyant sur les comités stratégiques de filière, l’État pourrait jouer le rôle d’animateur, par exemple d’agrégateur, pour faciliter l’achat et le stockage d’intrants stratégiques.

En réalité, nous considérons qu’il faut réinvestir la politique industrielle dans tous les secteurs, dont celui de l’énergie, où l’on manque aujourd’hui de solutions pour être à la hauteur des enjeux. Nous vous attendons sur ce point, monsieur le ministre.

Décomposer les chaînes de valeur, mieux les comprendre pour les réorganiser dans l’intérêt national, tel est l’impératif qui s’impose à nous, de même que nous devrons prendre en compte la totalité du cycle de vie des produits que nous consommons, depuis les métaux critiques jusqu’aux produits finaux.

Nous appelons aussi le Gouvernement à développer fortement le recyclage des matières premières. Alors qu’elle pourrait être un levier d’emploi, de décarbonation et d’indépendance industrielle, l’activité reste sous-dimensionnée.

L’approvisionnement est aussi un enjeu majeur pour l’agriculture et la filière agroalimentaire.

Après la désindustrialisation que nous avons connue pendant des décennies, la dégradation constante et historique du solde extérieur de notre agriculture témoigne, pour de trop nombreux produits de base et de moyenne gamme, d’une dépendance accrue de la France. La souveraineté alimentaire française est donc aussi en question.

Notre rapport met en évidence des dépendances fortes notamment en matière d’alimentation animale, de protéines végétales et d’engrais. Le cheptel français se réduit d’année en année. Si l’on veut que l’agriculture française continue de nourrir notre population, il nous faut veiller à la compétitivité de notre production, à l’équité des conditions commerciales et à maintenir un équilibre juste entre protection environnementale et souveraineté alimentaire.

Quelle est la politique du Gouvernement pour recouvrer les positions perdues ?

Enfin, monsieur le ministre, dans le domaine du numérique, comment appréciez-vous la souveraineté de la France ? Le Sénat plaide pour un débat sur l’opportunité de localiser les données à caractère personnel des citoyens et les données sensibles des entreprises sur le territoire de l’Union européenne, dans le cadre de politiques de sécurité spécifiques, dont l’actualité récente nous rappelle l’urgente nécessité – je pense aux cyberattaques qu’ont subies certains hôpitaux.

Cette localisation des données doit aussi s’accompagner d’une politique de localisation des infrastructures sur le territoire de l’Union européenne. En effet, 80 % des données générées par les internautes français sont aujourd’hui hébergées aux États-Unis. Il est temps de construire des infrastructures européennes pour nos propres usages numériques.

Sur terre, il nous faut notamment planifier l’implantation de serveurs et de centres de données. En mer, nous devons doter l’Union européenne d’un réseau résilient et indépendant de câbles sous-marins, pour contourner celui qui est détenu par les Gafam et par lequel entre 96 % et 99 % du trafic internet mondial transitent. Dans l’espace, nous devons soutenir l’initiative d’une constellation européenne de satellites pour sécuriser nos communications.

Enfin, nous estimons que les investissements en faveur de la souveraineté en matière de logiciels doivent être développés. La protection des brevets logiciels français devrait aussi faire l’objet d’une attention particulière. Est-ce le cas monsieur le ministre ?

Si le cloud européen Gaïa-X ne répond pas, selon nous, à l’impératif de souveraineté des États membres, la stratégie de certification SecNumCloud, développée par le Gouvernement, favorise plutôt les logiciels américains. Pour assurer notre autonomie technique, il faut développer les investissements en faveur d’une filière européenne du logiciel et de la donnée, dont les entreprises seront immatriculées sur le territoire de l’Union européenne.

Où en est la réflexion sur tous ces sujets numériques dont dépend de plus en plus la souveraineté nationale ? Quel est le plan d’action du Gouvernement en matière de souveraineté numérique ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Mesdames, messieurs les sénateurs, je félicite vos rapporteurs du travail absolument colossal qu’ils ont mené. Leur rapport de plus de 300 pages sera extrêmement utile, car il cartographie les forces et les faiblesses de l’industrie française, ainsi que les dépendances de cette dernière par rapport à l’international, de manière extraordinairement détaillée, grâce à un travail dense et de grande qualité.

Nous sommes d’accord avec l’essentiel de vos préconisations. Je le dis d’autant plus volontiers que le Gouvernement a déjà commencé à mettre en œuvre un grand nombre d’entre elles ! Nous partageons donc les constats de votre rapport et approuvons très largement les solutions que vous proposez.

En revanche, je vous trouve sévères à l’encontre du Gouvernement (Sourires.), même si c’est de bonne guerre, et l’on pourrait facilement critiquer certains titres du rapport.

Ainsi, quand on lit : « Des fragilités de l’industrie dénoncées de longue date, mais renforcées à la faveur de la naïveté ou, pire, de l’inaction des pouvoirs publics », on ne peut que se dire que vous avez un ou deux quinquennats de retard… En effet, nous nous sommes attelés à réduire la dépendance de notre pays depuis déjà cinq ans, et l’on peut considérer que la réindustrialisation a commencé à cette même date. Nous aurons sans doute l’occasion d’en reparler ce soir.

Autre regret, sans doute plus fondamental, vous mentionnez assez peu l’attractivité de notre pays, alors que celui-ci est classé depuis trois ans comme la première destination des investissements étrangers.

Il s’agit là d’un atout important. Il montre que la souveraineté industrielle est une force, qui doit non seulement garantir notre autosuffisance, mais aussi nous permettre de conquérir le monde. Je reste convaincu que la protection n’est pas forcément synonyme de protectionnisme. Et je serai heureux d’en débattre avec vous.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi quau banc des commissions. – M. Fabien Gay applaudit également.)

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la vie d’un pays repose sur deux enjeux : d’une part, il faut que l’assiette soit pleine, pour nourrir l’homme ; d’autre part, il faut de l’énergie, si l’on veut qu’il y ait de la vie.

Je veux remercier mes trois collègues de leur rapport, qui décrit de manière très claire la situation dans laquelle se trouve notre économie.

Je limiterai mon propos au dossier énergétique, car ses conséquences sont terribles pour l’ensemble des secteurs d’activité. En cette période, comme vous l’avez très bien montré, mes chers collègues, le dossier énergétique ne se résume pas à la crise ukrainienne. Quel que soit le secteur d’activité, l’énergie est un élément clé de la compétitivité.

Or, monsieur le ministre, nous continuons de nous en référer à la planification et à la stratégie d’indépendance énergétique grâce au nucléaire, stratégie bâtie par général de Gaulle.

Les chiffres sont clairs.

En 2009, le coût de l’électricité française était inférieur de 29 % à la moyenne européenne pour les entreprises et de 30 % si l’on inclut les ménages.

En 2012, on était encore à 27 % grâce à la politique d’indépendance par le nucléaire, mais aussi par l’hydraulique – n’oublions pas que notre pays est compétitif en matière d’énergie hydraulique.

En 2018, juste avant la pandémie, alors que le coût de l’électricité était de 0,18 euro par kilowattheure en France, il était à 0,30 euro, soit presque le double, en Allemagne, qui est souvent en compétition avec nous pour la relocalisation et la production industrielle.

Enfin, en 2020, une année que l’on peut difficilement prendre comme référence, dans la mesure où elle a été très perturbée, notre avantage en matière de coût de l’électricité était encore de 38 % par rapport à la moyenne européenne.

Or sur le marché spot de lundi dernier, le mégawattheure était à 300 euros en France, contre 243 euros en Allemagne.

Par conséquent, alors que nous voulons gagner en compétitivité et développer l’activité économique des entreprises dans nos territoires, tout ce que nous avons construit pendant ces dernières années grâce aux effets de cette politique énergétique, avec des avancées sociales bien plus importantes que dans les autres pays de l’Union européenne, notamment pour le coût de l’heure travaillée, se trouve désormais dans une situation de grande fragilité.

Encore une fois, tous les secteurs d’activité sont concernés, pas seulement les plus énergivores. Nous avons déjà perdu certaines activités industrielles, parce que le prix de l’énergie ne permettait même plus la production. Même les entreprises de plus petite taille sont menacées, et nous sommes tous confrontés dans nos territoires à des situations de précarité et de fragilité qui résultent de l’augmentation du prix de l’énergie, conduisant parfois même à un arrêt de l’activité.

Le dossier est plus complexe qu’il ne semble. Certes, monsieur le ministre, des mesures ont été prises, mais leurs conséquences sur l’activité industrielle n’ont été que très limitées, car la plupart des entreprises n’ont pu en bénéficier. Même si vous avez dernièrement amélioré le critère d’éligibilité du pourcentage par rapport au chiffre d’affaires, de nombreuses entreprises restent exclues du dispositif.

La commission des affaires économiques ambitionne de relocaliser l’activité économique dans les territoires. Or chacun sait que le prix de l’énergie est un élément déterminant lorsqu’une entreprise fait le choix d’investir dans tel pays ou dans tel territoire. Il est temps de rassurer.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Gremillet. Quand le président de la République annonce six EPR, il en faudrait quatorze, voire plus, pour développer une ambition industrielle. Il convient de rassurer, mais il faut aussi favoriser l’investissement industriel dans la politique énergétique de notre pays, si l’on veut améliorer notre compétitivité. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Daniel Salmon proteste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Gremillet, je reconnais bien volontiers votre précision technique. Vous connaissez les chiffres par cœur et vous maîtrisez ce marché comme personne.

Vous avez mis en lumière les contraintes de très court terme auxquelles nous sommes soumis, qui sont liées non seulement à la crise en Ukraine, mais aussi à des difficultés plus anciennes, avec pour conséquence que désormais l’on ne produit plus assez d’électricité en France. Nous le regrettons tous et nous travaillons sur le sujet.

Le Gouvernement protège-t-il suffisamment l’industrie ? Non, de sorte que nous y travaillons encore. Soyons très clairs sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs : l’industrie française ne sera pas une victime collatérale de la guerre en Ukraine. Nous avons mis en place un fonds de soutien, dont bénéficient déjà un certain nombre d’entreprises, mais dont les critères d’accès ne sont pas assez flexibles et, surtout, dont l’ambition reste insuffisante. Des négociations sont en cours à Bruxelles pour en doubler les plafonds, de sorte qu’ils passeront rapidement de 2, 25 et 50 millions d’euros à 4, 50 et 100 millions d’euros.

Nous souhaitons également adapter les critères d’éligibilité pour aider les entreprises qui doivent faire face à des hausses de facture extrêmement importantes – nous l’avons constaté sur le terrain.

Toutefois, ce fonds se limite à corriger a posteriori des pertes quasiment insurmontables pour les entreprises. Or l’enjeu majeur est surtout de réduire les coûts en amont, c’est-à-dire le prix de l’énergie, de l’électricité et du gaz. À ce sujet, nous avons engagé des discussions très fermes à Bruxelles, dont j’espère qu’elles aboutiront rapidement, pour que nous puissions plafonner le prix de l’électricité.

En effet, à ce jour, le déséquilibre de la production d’électricité nucléaire en France et le nécessaire recours au gaz allemand ont pour conséquence qu’il faudrait baisser le prix du gaz pour réduire celui de l’électricité. Nous examinons un dispositif « à l’espagnole », que je pourrai vous expliquer plus en détail ultérieurement. Nous sommes fortement mobilisés pour accompagner les entreprises aux niveaux européen, national et local.

Enfin, les entreprises qui rencontrent des difficultés dans vos territoires peuvent s’adresser aux commissaires au redressement et à la productivité (CRP), qui les aideront à renégocier les contrats et – espérons-le – à faire baisser les prix.

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour la réplique.

M. Daniel Gremillet. Monsieur le ministre, que répondez-vous aux entreprises qui sont acculées parce qu’elles sont en rupture de contrat ?

Par ailleurs, il nous faut accélérer la procédure d’investissement. Je regrette que nous n’ayons pas de débat parlementaire sur le développement et les choix stratégiques en matière de nucléaire, sans oublier non plus l’hydroélectricité.

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise du covid-19, la guerre en Ukraine, les tensions d’approvisionnement ou la désindustrialisation sont autant de problématiques auxquelles notre pays est confronté.

Malheureusement, ces phénomènes ne sont que le révélateur d’une fragilité qui s’est installée depuis de nombreuses années. Le présent rapport, dont je veux saluer la qualité, entend en tirer les conséquences en proposant cinq plans d’action.

Deux chiffres illustrent malheureusement notre perte de souveraineté et la gravité de la situation. Premièrement, la part de l’industrie dans le PIB a été divisée par deux depuis 1974. Deuxièmement, 40 % de nos intrants industriels sont importés, contre 29 % il y a vingt ans.

Notre balance commerciale en souffre. En effet, 900 produits importés génèrent 80 % du déficit commercial de la France, et celui-ci croît – il devrait franchir la barre des 100 milliards d’euros en 2022.

Le rapport d’information indique que notre industrie et notre agriculture sont fortement dépendantes d’importations critiques, telles que les protéines végétales destinées à l’alimentation animale, les métaux ou certaines substances chimiques. La sécurisation de notre accès à ces intrants est cruciale. Oui à l’indépendance, non à la monodépendance !

Je voudrais tout d’abord évoquer la question des traités commerciaux. Nous souhaitons une ratification systématique par les parlements, avant leur application, des accords commerciaux mixtes. En effet, cela renforce le contrôle démocratique et la ratification permet de prendre en compte l’ensemble des conséquences d’un accord, notamment stratégiques. Je crois nécessaire d’aller plus loin, en procédant à des évaluations continues dans le temps.

Par ailleurs, je voudrais revenir sur l’extraterritorialité, préoccupante, de certaines législations étrangères. Les auteurs du rapport d’information soulignent que nous disposons de trop peu d’informations sur les conséquences économiques de ces mesures.

Des amendes faramineuses ont été infligées à des fleurons français et européens, menant parfois à des acquisitions assez discutables. Nous devons protéger nos entreprises, car il n’est pas acceptable qu’une souveraineté étrangère empiète sur celles de la France et de l’Europe, sans capacité de réciprocité.

Notre souveraineté économique passe également par le secteur de l’énergie. La France est condamnée à la dépendance dans la mesure où elle doit importer les matériaux nécessaires à la production de son énergie. Pour autant, cette dépendance n’est pas incompatible avec notre souveraineté si nous parvenons à nous approvisionner auprès de sources diversifiées et sûres.

Le nucléaire, dont la place est indispensable dans le mix énergétique français, est une chance pour notre pays. Depuis de nombreuses années, nous avons malheureusement tourné le dos à cette énergie décarbonée, dont nous avions la pleine maîtrise. Il est nécessaire de préserver nos capacités matérielles et en termes de savoir-faire.

Les temps qui viennent s’annoncent difficiles. Des financements et des investissements importants en matière d’énergie nucléaire sont essentiels pour garantir durablement notre souveraineté énergétique, qui devra autant que possible être renforcée par le développement des énergies renouvelables, mais aussi par la recherche d’économies d’énergie, la rénovation énergétique et le développement de technologies plus sobres.

Mes chers collègues, il nous faut également bâtir une souveraineté européenne qui nous permettra de conjuguer transition écologique et défense de nos valeurs et de nos intérêts.

Pour développer des solutions efficaces et pérennes, il nous faut travailler de concert avec nos partenaires européens et retrouver la maîtrise de nos dépendances, réformer plus vite le marché européen de l’énergie et revoir notre politique de concurrence pour favoriser l’émergence de leaders mondiaux dans différents domaines, tels que l’industrie et l’énergie.

Nous devons absolument nous donner les moyens de passer de l’innovation à la réalisation de succès industriels et économiques. La France doit réarmer ses capacités industrielles ; elle doit maîtriser les technologies de demain et veiller à ce que les chaînes de valeur se déploient sur l’ensemble de son territoire.

Nous devons tous être conscients que notre modèle social ne peut être financé que par un haut niveau de performance économique, ce qui fait défaut depuis plusieurs années. L’industrie, l’énergie et l’agriculture ont un combat commun : l’innovation et la compétitivité. Il est urgent d’agir ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.  M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le sénateur, le plan France 2030, qui permet d’accompagner les investissements d’avenir et stratégiques, notamment en matière d’innovation, prévoit une enveloppe de 54 milliards d’euros sur ces sujets.

Nous avons élaboré, dans ce cadre, une cartographie très précise des dépendances dans cinq secteurs stratégiques : l’alimentation, la santé, l’électronique, les métaux et la chimie. Pour ces secteurs, l’objectif de France 2030 est bien de déployer des crédits, afin de répondre aux vulnérabilités qui ont été identifiées.

Des appels à projets ont déjà été lancés. Près de 300 millions d’euros sont disponibles pour le secteur de l’alimentation, et 5 milliards d’euros sont destinés à renforcer notre souveraineté dans l’électronique.

En ce qui concerne les métaux, le rapport de Philippe Varin propose de créer un fonds stratégique pour investir et sécuriser l’approvisionnement en ressources partout dans le monde, y compris en Europe et en France. Nous souscrivons à cette idée et nous travaillons à sa mise en œuvre.

S’agissant de notre capacité à protéger nos fleurons, nous avons sans doute été naïfs pendant trop longtemps, mais, vous le savez, la loi Pacte a permis de renforcer les dispositions sur les investissements étrangers dans notre pays.

Aujourd’hui, les contrôles sont plus systématiques qu’auparavant et concernent davantage de secteurs. En 2021, le nombre des contrôles s’est accru de 20 % : quelque 328 dossiers ont été examinés, dont 124 étaient jugés sensibles ; 67 d’entre eux ont été acceptés sous conditions, et certains ont été refusés. Sachez que ces statistiques sont assez similaires à celles des États-Unis.

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. Joël Labbé. La crise du covid-19 et la guerre en Ukraine ont révélé nos vulnérabilités et nos dépendances dans des secteurs stratégiques essentiels. Les aléas climatiques à venir et l’instabilité internationale ne manqueront malheureusement pas de venir aggraver ces difficultés.

Il est donc essentiel d’agir en urgence pour renforcer notre souveraineté, et nous remercions la commission des affaires économiques du Sénat de s’être saisie de ce sujet. Son rapport d’information pointe l’insuffisance des réponses politiques actuelles sur ces questions.

Nous partageons ainsi une partie des éléments présentés par ce rapport : la faiblesse des ambitions et des actions de l’État sur la relocalisation des filières stratégiques, la nécessité de développer le recyclage et les énergies renouvelables, ou encore la nécessaire indépendance face aux Gafam.

Cependant, pour de nombreux axes de ce rapport, nous considérons que la transition vers des systèmes sobres, durables et écologiques est insuffisamment prise en compte et que les solutions présentées pérennisent certaines dépendances, alors même qu’il faudrait construire une véritable résilience.

C’est globalement par la sobriété et le développement de solutions de rechange en matière d’énergie, d’agriculture et d’économie circulaire que nous pourrons créer des systèmes vertueux et résilients.

Ainsi, cela ne vous surprendra pas, mes chers collègues, nous ne pensons pas que la relance nucléaire soit la solution, dans un monde de plus en plus incertain, pour assurer notre souveraineté énergétique. Je pense aux questions d’approvisionnement en matières premières, de risques majeurs, en particulier dans la période instable que nous connaissons, et de gestion des déchets. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir très largement lors des débats législatifs à venir.

Nous pensons également que cette réflexion sur la souveraineté doit toujours, dans un contexte de forte inflation, aller de pair avec une réflexion sur la justice sociale, car les tensions que nous connaissons actuellement se répercutent avant tout sur les plus pauvres.

Je voudrais maintenant développer plus précisément les questions agricoles, qui constituent le cœur de notre souveraineté alimentaire.

Ici encore, nous partageons une partie des recommandations du rapport d’information et nous encourageons le Gouvernement à s’en saisir.

Nous estimons ainsi que la souveraineté de la France doit passer par une forte relocalisation des ressources alimentaires, en lien notamment avec un soutien renforcé aux projets alimentaires territoriaux et aux filières de protéines végétales, avec la mise en place d’une transparence sur l’origine des aliments pour le consommateur.

Nous soutenons avec force un renforcement du contrôle des produits importés, mais, pour cela, il faut dégager des moyens suffisants.

En ce qui concerne les importations, nous nous devons de rappeler le triste anniversaire du Ceta, l’accord commercial bilatéral de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, entré en vigueur en septembre 2017 et toujours non ratifié par notre assemblée à ce jour.

Nous demandons au Gouvernement d’agir pour mettre un coup d’arrêt à ces accords aux conséquences délétères.

Nous demandons aussi au Gouvernement, à l’inverse de ce que propose ce rapport, de soutenir la mise en œuvre des objectifs de la stratégie européenne dite « de la ferme à la fourchette ». Sa remise en cause au nom de la souveraineté serait pour nous une erreur stratégique. Que ce soit sur la réduction de l’usage des engrais et des pesticides, sur l’augmentation des surfaces en agriculture biologique ou sur la biodiversité, il nous faut amorcer d’urgence la transition, si l’on veut assurer notre souveraineté.

L’agroécologie est une alternative crédible pour relever les défis climatiques et ceux de la biodiversité. Remettre en cause le pacte vert, au nom du « produire toujours plus », c’est accentuer la crise climatique et l’effondrement de la biodiversité. Rappelons que les engrais azotés minéraux sont de véritables bombes climatiques et que les pesticides qui vont avec sont responsables de l’effondrement des pollinisateurs, qui sont nécessaires à la production agricole.

Nous attendons donc une prise de position forte du Gouvernement en faveur du pacte vert européen, mais aussi d’un règlement communautaire exigeant sur les pesticides. (M. Daniel Salmon applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur, je crois pouvoir dire que nous serons d’accord pour acter nos désaccords sur certains sujets que vous avez évoqués… Nul n’en sera surpris !

Parmi nos points d’accord, je citerai simplement le recyclage des matières premières. C’est un sujet essentiel pour assurer une économie plus durable et plus soutenable, mais aussi pour renforcer la souveraineté de la France.

De manière plus générale, nous dépendons trop de l’étranger pour certaines matières premières, parfois extrêmement importantes, par exemple celles qui sont utilisées dans les batteries.

C’est pour cette raison que nous souhaitons inclure dans la proposition de règlement européen sur les batteries le principe selon lequel le lithium inclus dans les batteries fabriquées ou vendues en Europe soit, à terme, à 90 % recyclé, ce qui donnerait un avantage important à l’industrie européenne et nous protégerait contre certaines importations sauvages, ainsi que contre les dépendances.

En ce qui concerne le nucléaire, nous ne serons évidemment pas du tout d’accord ! En effet, nous restons profondément convaincus que cette énergie constitue une solution fondamentale pour assurer notre indépendance et produire de l’électricité bas-carbone et à bas coût, comme l’a souligné M. Gremillet.

Pour autant, ce n’est pas la seule solution que nous devons promouvoir, et vous aurez très bientôt l’occasion d’en débattre dans cet hémicycle. Nous soutenons également fermement le développement des énergies renouvelables, en particulier le solaire et l’éolien en mer.

C’est en s’appuyant sur ces différentes ressources que nous rendrons la France autonome et que nous pourrons accompagner l’augmentation de la demande d’électricité – comme vous le savez, cette augmentation sera extrêmement forte dans les années qui viennent.

Vous estimez que nous n’avons pas suffisamment protégé les plus démunis. Rappelons tout de même que l’inflation française est deux fois moins élevée que la moyenne européenne. Nous sommes le pays qui a le mieux protégé ses ménages, y compris les plus démunis, contre l’inflation – soyons-en fiers !

Enfin, j’évoquerai le Ceta. Vous avez raison de dire que cet accord n’a pas été soumis au vote du Sénat. Mais il a bien été ratifié par l’Assemblée nationale – j’étais député et je faisais partie de la majorité qui l’a voté ! Jean-Baptiste Lemoyne s’en souvient, puisqu’il était membre du Gouvernement.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas suffisant !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Ce n’est pas suffisant, en effet. Il faudrait certainement que cet accord soit également examiné au Sénat.

Pour autant, le Ceta est en vigueur depuis cinq ans maintenant, et son bilan, certes provisoire, est extrêmement favorable pour l’économie française et pas défavorable pour notre agriculture. (Protestations sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.

M. Joël Labbé. Nous devons en effet acter, monsieur le ministre, que nous nous entendons sur certaines choses, mais pas sur d’autres.

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Plans, reconstruction, souveraineté : voilà des mots qui sont de nouveau ancrés dans nos politiques publiques, singulièrement depuis 2017, et c’est heureux.

Nous devons élaborer des plans, car la main invisible chère à Adam Smith ne résout pas tout, loin de là – c’est quelqu’un qui est attaché aux libertés économiques qui vous le dit… Gouverner, c’est prévoir, mais prévoir, c’est planifier !

Il faut reconstruire, car des destructions massives ont eu lieu dans un certain nombre de secteurs économiques. Elles sont le résultat à la fois de choix faits par les entreprises elles-mêmes – je pense aux années 1980-1990 et aux fameuses « entreprises sans usines »… – et de décisions prises à mauvais escient par l’État.

La notion de souveraineté, enfin, est essentielle, car il est temps de reprendre le contrôle de notre destin. Il faut la recouvrer au niveau tant national qu’européen, sans opposer ces deux perspectives.

Je me réjouis, dans ce contexte, des travaux conduits par notre assemblée, en particulier par la commission des affaires économiques, qui aboutissent à la boussole qui nous a été présentée, avec de véritables feuilles de route thématiques. Le groupe RDPI partage les objectifs de cette boussole stratégique. C’est d’ailleurs le fil rouge que tire le Président de la République depuis 2017 : celui d’une souveraineté et d’une indépendance accrues. (Mme Catherine Morin-Desailly ironise.)

Notre idée est de reprendre le contrôle en tant que Français bien sûr, mais aussi en tant qu’Européens, et non pas comme on l’a tenté de l’autre côté de la Manche, c’est-à-dire de façon solitaire. Soyons non pas des objets de l’histoire qui s’écrit, mais bien des sujets qui maîtrisent leur avenir.

Rebâtir la souveraineté économique et l’indépendance industrielle de la France est au cœur des politiques conduites depuis 2017. Et les résultats sont là, tangibles et réels. Je pense notamment aux baisses de l’impôt sur les sociétés, qui seront poursuivies par la diminution de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

La France est dorénavant le premier État de l’Union européenne en termes d’investissements directs étrangers. Désormais, on ouvre dans notre pays plus d’usines que l’on n’en ferme, et de l’emploi industriel est recréé.

En outre, l’État s’est réarmé – je pense notamment aux plans France relance et France 2030. Exemple très concret, nous investissons massivement, face à la concurrence sino-américaine, dans la filière microélectronique. Et le site de STMicroelectronics à Crolles en Isère accueillera une nouvelle usine de semi-conducteurs, qui créera 1 000 emplois supplémentaires d’ici à quatre ans – c’est l’un des plus grands investissements industriels de ces dernières années.

Voilà qui n’est pas une « maigre annonce » ou un « affichage politique », pour reprendre les termes inutilement taquins utilisés dans le rapport d’information de la commission. Ce sont des mesures qui conduiront à une réindustrialisation massive de la France, avec pour objectif de retrouver en 2030 un niveau d’industrialisation manufacturière de 12 % – nous sommes tombés autour de 9 % –, ce qui permettra la création de 431 500 emplois.

À l’échelon européen, le réveil a sonné également. L’Europe a commencé comme une construction économique, et il serait absurde qu’elle se fasse dicter sa loi et qu’elle renonce à être une puissance économique qui s’assume comme telle.

Comment faire ? En forgeant nos propres standards et en évitant d’être les idiots utiles du village global. Il faut pour cela mener un certain nombre de révolutions coperniciennes, en conduisant par exemple des politiques industrielles au niveau européen, ce qui était inenvisageable il y a seulement quelque temps, ou en nous dotant de nouvelles règles en matière de politique commerciale, pour ne pas être ouverts aux quatre vents, sans réciprocité.

Réciprocité : voilà un terme qui était encore un gros mot il y a quelques années dans les instances européennes et qui est enfin à l’ordre du jour avec les « clauses miroirs », qui visent à garantir la réciprocité des normes environnementales et avec l’instrument de réciprocité sur les marchés publics, le fameux IPI, qui a été adopté après plus de dix ans de négociations et qui réinstaure des conditions de concurrence équitable pour les entreprises européennes vis-à-vis de leurs homologues étrangères.

Pour l’avenir, les sénateurs du groupe RDPI seront heureux d’être au rendez-vous sur bon nombre des recommandations issues du rapport d’information de la commission des affaires économiques.

En matière de souveraineté des approvisionnements, nous devons consolider l’effort public en direction de l’exploration de notre sous-sol, pour connaître précisément ses ressources.

Dans le domaine agricole, nous ne voulons pas remettre totalement en cause la stratégie dite de la ferme à la fourchette, comme le craint Joël Labbé, mais nous sommes favorables à des ajustements. Le ministre de l’agriculture a récemment rappelé que cette stratégie avait été adoptée six mois avant la guerre en Ukraine. Un débat doit être envisagé au niveau européen sur cette stratégie.

En matière d’infrastructures énergétiques, nous devons assurer et consolider notre souveraineté nucléaire.

En matière de souveraineté des métiers et des compétences, nous devons assurer un financement pérenne et ambitieux de l’apprentissage. Nous avons déjà obtenu des résultats, et l’objectif d’un million de contrats sera atteint grâce à l’enveloppe de 5 milliards d’euros qui est prévue dans le prochain budget.

En matière de souveraineté commerciale, nous sommes évidemment favorables, je l’ai dit, au déploiement de clauses miroirs dans les législations européennes.

En matière de souveraineté des entreprises, la cinquième feuille de route proposée par les rapporteurs, nous devons mettre en place une véritable démarche d’intelligence économique.

C’est un sujet qui m’est cher, et sur lequel je travaille avec Marie-Noëlle Lienemann : les Français doivent muscler leur jeu, par exemple en créant un programme national d’intelligence économique impliquant l’ensemble des acteurs, afin de mieux assurer la défense et la promotion de nos intérêts économiques, industriels et scientifiques. Les Américains agissent fermement en ce sens, et nous gagnerions à examiner cette question de plus près, de manière transpartisane.

Pour conclure, je dirais que la prise de conscience a eu lieu en matière de souveraineté et que des actions ont déjà été lancées. Il nous faut maintenir l’effort et même accélérer. Il existait les douze travaux d’Hercule ; nous avons maintenant les cinq plans de souveraineté du Sénat ! Nous serons aux côtés de la commission et du Gouvernement pour avancer.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. J’évoquerai uniquement la question de l’intelligence économique, qui semble vous tenir particulièrement à cœur, monsieur le sénateur.

Des dispositifs, y compris préventifs, ont déjà été mis en place en la matière. Il existe par exemple au ministère de l’économie et des finances un service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse), qui fait un suivi des vulnérabilités, des mouvements de capitaux et des investissements étrangers, de manière à assurer une veille stratégique et, le cas échéant, à alerter les pouvoirs publics.

En cas de projet de montée au capital dans une entreprise que nous jugeons stratégique ou même d’intérêt marqué pour une telle entreprise, nous pouvons intervenir. Nous avons créé un fonds pour cela, le French Tech Souveraineté.

Enfin, j’en ai déjà parlé, la procédure de contrôle des investissements étrangers en France a été renforcée.

Je suis tout à fait prêt à reconnaître que l’on peut sans doute faire mieux et je suis évidemment disposé à travailler avec vous et les autres sénateurs intéressés par ce sujet, pour encore mieux structurer notre démarche.

Pour autant, n’oublions pas que la frontière entre la naïveté, qui a certainement prévalu trop longtemps en Europe, et le protectionnisme, auquel je suis personnellement opposé, est ténue. Je le redis, je suis certain que nous pouvons travailler ensemble sur ces questions.

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour la réplique.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Au-delà de ce qui a été mis en place à Bercy, je crois que nous devons donner une impulsion supplémentaire et créer une dynamique interministérielle, parce qu’il s’agit d’un sujet éminemment transversal et que plusieurs ministères sont directement concernés – on peut bien sûr penser au ministère des armées ou au ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi quau banc des commissions.)

Mme Florence Blatrix Contat. Nous sommes ici pour interpeller le Gouvernement sur la base du travail réalisé au sein de notre commission des affaires économiques en vue de reconstruire la souveraineté économique en France et en Europe. Cela me donne l’occasion de souligner la qualité des travaux de nos rapporteurs.

La pandémie a conduit à un retour au premier plan de la souveraineté économique. Il ne s’agit pas d’une souveraineté qui s’opposerait aux échanges et à l’ouverture : il s’agit de réduire nos dépendances vis-à-vis de productions essentielles.

L’enjeu est de définir les biens et services stratégiques et de mettre en œuvre une méthode pour recouvrer l’indépendance nécessaire.

Parmi les secteurs essentiels, le numérique est particulièrement important. Alors que notre économie et notre société ont été profondément transformées par les évolutions technologiques, la question de la souveraineté numérique s’est posée avec acuité. Je travaille d’ailleurs sur ce sujet avec notre collègue Catherine Morin-Desailly, une pionnière en la matière, dans le cadre de la commission des affaires européennes du Sénat.

Nous avons proposé à la Commission européenne différentes résolutions visant à la régulation des marchés et des grandes plateformes ou à l’amélioration du projet de « boussole numérique », qui traduit les ambitions numériques de l’Union européenne pour 2030.

À l’approche économique s’ajoutent les enjeux de sécurité, mais également des questions éthiques et sociétales. La dépendance aux acteurs américains et chinois n’est pas seulement catastrophique d’un point de vue économique, elle est incompatible avec nos valeurs et la vision de la démocratie que nous portons.

Pour assurer notre souveraineté, il faut tout d’abord sécuriser l’approvisionnement. Le rapport d’information articule justement les actions des autorités européennes et françaises. La démonstration est sans équivoque : nous avons besoin de plus d’Europe, mieux ciblée, active et efficace.

Dans la négociation des accords commerciaux internationaux, les institutions européennes doivent mieux protéger et promouvoir les productions et réalisations européennes.

Par leur capacité de financement direct, via des fonds spécialisés, ou indirect, via des prêts, les institutions européennes doivent contribuer, en coordination avec les États membres, à l’émergence d’écosystèmes industriels et sectoriels européens d’avenir, comme cela a été mis en place pour la défense.

Nous avons besoin d’un véritable système de cloud européen souverain, d’un Gaïa-X qui ne soit pas sous influence et d’un euro numérique qui ne soit pas géré par Amazon…

Aujourd’hui, la confusion règne : voulons-nous vraiment nous donner les moyens de faire sans les Gafam ? Comment votre gouvernement, monsieur le ministre, compte-t-il agir pour limiter notre dépendance aux acteurs extraeuropéens ?

Mme Florence Blatrix Contat. Pour recouvrer autonomie stratégique et souveraineté, l’investissement dans les compétences est essentiel. « Il n’est de richesse que d’hommes », écrivait Jean Bodin. Nous devons tenir compte des difficultés de recrutement du secteur et adapter nos formations en matière de numérique, et cela à tous les niveaux – bac pro, BTS, BUT, mais aussi ingénieur – et en développant l’apprentissage.

À cet égard, je suis particulièrement inquiète de la baisse du niveau en mathématiques de nos élèves, qui sera préjudiciable pour le secteur du numérique – cette baisse a été attestée par de récentes études internationales.

Il s’agit de repenser l’offre de formation dans le domaine du numérique pour la réorienter vers les secteurs stratégiques de demain : le cloud, l’intelligence artificielle ou encore l’informatique quantique.

Comment le Gouvernement compte-t-il agir afin de permettre au secteur numérique d’être doté du capital humain essentiel à son développement ?

La puissance publique doit, elle aussi, montrer l’exemple. Je pense ici à la plateforme des données de santé ou aux logiciels utilisés dans l’éducation nationale ou dans les administrations publiques.

Enfin, le rapport d’information insiste sur le caractère hautement stratégique et les interactions entre les infrastructures énergétiques et numériques. Je veux insister sur le caractère essentiel de la complémentarité entre ces deux domaines d’activité.

Les activités numériques et digitales, nos entreprises en général, sans parler de nos collectivités, ont besoin d’un approvisionnement électrique stable, sûr et avec une visibilité en termes de prix.

Avec le conflit en Europe orientale, l’indépendance énergétique redevient un sujet d’actualité. Sans indépendance énergétique, il ne saurait y avoir de politique économique et industrielle souveraine et encore moins de réindustrialisation.

En France et en Europe, nous devons programmer les investissements pour organiser la transition énergétique vers les énergies décarbonées. Au-delà de l’urgence, il s’agit de répondre aux besoins de moyen et long terme. À cet égard, la question du projet national pour EDF, bientôt 100 % publique, sera centrale et devra être publiquement débattue au Parlement et dans le pays.

Le rapport d’information qui nous est soumis trace un chemin. Il nous faut désormais une volonté ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Je vais concentrer mon propos sur la question du numérique. Comme vous, madame la sénatrice, je préférerais que nous ayons un cloud souverain français ou européen. Google, Microsoft et quelques autres sont encore seuls sur le marché, et j’espère que nous aurons bientôt des fournisseurs non américains qui soient des champions dans leur secteur.

Dans le cadre du projet de cloud souverain, auquel Bruno Le Maire et Jean-Noël Barrot sont très attachés, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) va mettre en place une procédure qui constituera une véritable muraille de Chine européenne pour protéger les données et éviter l’extraterritorialité américaine. Nous souhaitons que ces données soient clairement isolées, même si les fournisseurs ne sont pas européens.

J’espère que cela vous rassurera. Sachez en tout cas que nous sommes parfaitement conscients de la situation.

Vous avez aussi évoqué la question de l’apprentissage des mathématiques. Nous sommes absolument convaincus que nous avons besoin de plus d’ingénieurs, hommes et femmes – j’insiste sur le fait que nous devons aussi former des femmes à ce métier. C’est l’un de mes combats, parce que notre capacité à former de tels spécialistes sera un facteur déterminant du succès de l’industrie de notre pays.

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour la réplique.

Mme Florence Blatrix Contat. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, mais je ne suis pas complètement convaincue des modalités de votre cloud souverain.

Je pense vraiment qu’il faut promouvoir les acteurs français et européens en la matière et leur faire confiance. On a perdu trop de pépites qui sont parties à l’étranger. Nous devons renforcer notre action sur ce point.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au début des années 1990, les libéraux ont pensé que la fin de l’Histoire était arrivée. Le capitalisme était triomphant, et tout devait être géré par le marché libre et non faussé. La libéralisation des secteurs de l’énergie, des transports et des communications allait faire baisser les prix et permettre d’innover. L’État, surtout, ne devait être ni interventionniste, ni protectionniste, ni même régulateur.

Il n’y eut alors plus aucune limite, ni frontière, ni barrière douanière, dans les profits et dans l’exploitation du vivant et de la nature. La grande compétition internationale allait faire des gagnants, et quelques perdants, le tout étant de se spécialiser dans les produits finis à haute valeur ajoutée, en accord avec les préceptes de Ricardo. Pis, on pensait que l’idéal, c’était une France sans usine, comme Serge Tchuruk, alors PDG d’Alcatel, en avait fait le rêve.

Pendant trente ans, nous avons assisté à la désindustrialisation du pays, persuadés qu’une France des services nous placerait aux premiers rangs des grands gagnants.

Seulement, la crise sanitaire et la crise énergétique nous ont ramenés à une triste réalité. Nous avons manqué de tout, et lorsque l’usine du monde, la Chine, a été à l’arrêt, nous nous sommes retrouvés en difficulté sur tout, même sur les biens de première nécessité.

Notre affaiblissement n’est pas qu’industriel. Il est aussi agricole et énergétique, mais il est surtout dans toute la chaîne de valeur de l’industrie. Lorsque l’on ne maîtrise plus cette dernière et que l’on dépend de pièces fabriquées de l’autre côté de la planète pour, par exemple, réaliser un moteur, nous nous mettons en difficulté pour construire nos propres voitures. Cette désindustrialisation, ce déclin de nos savoir-faire et de nos compétences est un drame dont nous sommes nous-mêmes responsables.

La croyance en la dérégulation de l’économie nous a conduits à l’affaiblissement, et nous avons renforcé notre dépendance envers l’extérieur. Or quand on agit ainsi, on concède chaque fois un peu plus de souveraineté.

Prenons le cas d’un secteur dans laquelle nous avions tout pour fonder un potentiel français : le numérique. Après la privatisation de France Télécom, la France a vendu Alcatel-Lucent à Nokia, achevant ainsi de démanteler le patrimoine industriel nécessaire à cette innovation technologique.

Aujourd’hui, nous continuons à reproduire les mêmes erreurs. Parlons du Health Data Hub tant attendu. Cette plateforme centralisée des données de santé françaises aurait pu être une aubaine pour nos développeurs français du digital. A-t-on choisi l’un d’entre eux pour développer le projet, comme OVH, par exemple ? Non ! C’est à Microsoft qu’il a été attribué, sans même passer par un appel d’offres. (Mme Catherine Morin-Desailly approuve.)

Voyez le message que nous envoyons à nos entreprises françaises à propos d’occasions exceptionnelles ! Voyez les dégâts que nous infligeons à notre propre souveraineté ! Il nous faut, comme le propose ma collègue Marie-Noëlle Lienemann, un véritable programme national d’intelligence économique.

En ce qui concerne l’approvisionnement en intrants, en matière de souveraineté alimentaire, faisons le bilan de tous ces traités de libre-échange – Ceta, Jefta, avec le Mercosur, avec Singapour et, encore récemment, avec la Nouvelle-Zélande.

C’est le choix d’un modèle dans lequel on importe des produits dopés à des substances interdites dans l’Union européenne. C’est le choix de dire à nos filières agricoles, européennes et françaises, que tous les efforts qu’on leur demande ne payeront pas devant les consommateurs, puisque ceux-ci achèteront du moins cher, moins bon et venu d’ailleurs. C’est un non-sens économique et écologique.

En outre, quand nous parlons de souveraineté économique, gardons en tête que la politique commerciale de la Commission européenne n’écarte toujours pas la possibilité que des investisseurs puissent assigner un État devant un tribunal de justice. Cet aspect du Ceta, dont nous espérons un jour débattre, en est le parfait exemple.

Le tout-libéral et le marché dérégulé n’ont rempli aucune de leurs promesses. Pis, ils nous ont fait décliner. La crise de l’énergie nous en apporte un nouvel exemple.

L’affaiblissement d’EDF au profit d’opérateurs privés qui se sont enrichis sans investir dans la production, ainsi que les tergiversations des gouvernements sur le nucléaire, nous ont conduits précisément à l’état du parc nucléaire que nous connaissons aujourd’hui et à la perte de notre souveraineté énergétique.

Cependant, il n’y a pas de fatalité. Nous pouvons reprendre le contrôle de notre économie, en relocalisant, en conditionnant toutes les aides publiques à la sauvegarde de l’emploi et de l’industrie et en sortant les secteurs stratégiques comme l’énergie du secteur marchand.

Enfin, dans des domaines importants comme l’énergie, encore, le numérique, le spatial, les télécoms, la santé et les produits pharmaceutiques, bâtissons, non pas dans la compétition, mais dans la coopération et la solidarité, de grands champions européens, pour nous permettre de réussir la transition énergétique tout en préservant la souveraineté économique de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Gay, je pense que nous pouvons prendre sur nous collectivement une partie des erreurs que vous pointez.

Cela fait une trentaine d’années que l’on désindustrialise la France, ou plutôt que l’on désindustrialisait la France, parce que cette tendance à la baisse s’est inversée. On doit encore accélérer, mais on a créé des usines – trois fois plus d’usines ouvertes en France en 2021 que d’usines fermées –, ainsi que 50 000 emplois dans l’industrie en cinq ans. C’est insuffisant, mais ce sont tout de même des créations d’emplois.

Évidemment, je ne serai pas d’accord avec vous sur tout. Je ne souhaite pas forcément jeter le bébé de la concurrence avec l’eau du bain du libéralisme exacerbé. Je ne suis pas un libéral sauvage, mais je pense que la concurrence a des vertus. Vous avez parlé d’Orange. Cette entreprise nationale est aujourd’hui un champion reconnu dans le monde entier. Et aujourd’hui, grâce à la concurrence, on paye aujourd’hui en Europe nos téléphones et nos abonnements, y compris à des données extrêmement utiles, cinq fois moins cher qu’aux États-Unis, le prétendu pays du libre-échange et du libre marché… La concurrence a donc des vertus.

Là où vous avez raison, c’est quand vous rappelez que le fabless, la fameuse usine sans usine de l’ancien patron d’Alcatel, que vous avez bien voulu citer, était une chimère. Nous avons effectivement besoin, non seulement pour des raisons économiques, mais aussi, j’en suis convaincu, pour des raisons politiques, d’une colonne vertébrale industrielle dans nos territoires.

Ma feuille de route est simple : on m’a demandé de réindustrialiser dans les territoires, partout et pour toutes et tous. C’est un enjeu de formation extrêmement important, un enjeu d’attractivité du territoire et un enjeu de travail, que je dois prendre à bras-le-corps, en collaboration avec l’ensemble des élus locaux, régionaux et nationaux. France 2030, avec ses 54 milliards d’euros – ce n’est tout de même pas rien –, va nous permettre de réussir ce pari.

Monsieur le sénateur, je pense que nous sommes alignés sur les objectifs, à défaut de l’être sur toutes les solutions. En ce qui concerne l’industrie, nous portons tous le même maillot, et j’espère que nous jouerons dans le même sens.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.

M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, je ne sais pas si nous avons le même maillot, mais, ce qui est sûr, c’est que nous n’avons pas la même passion pour le libéralisme.

Il faut tout de même faire le bilan de toutes ces libéralisations et de toutes ces ventes forcées. Vous me dites que vous êtes en train de réindustrialiser. Très bien, mais le président Macron a été au cœur de la vente de Technip et des dossiers Nokia et General Electric, dans un certain nombre de domaines stratégiques où nous sommes aujourd’hui en difficulté.

Je ne nie pas les efforts réalisés avec le plan de relance et France 2030, mais on peine à en voir les effets réels aujourd’hui dans les territoires. Vous prétendez que de l’emploi industriel a été recréé, mais, pour l’instant, on continue à en perdre, notamment dans de grandes entreprises percutées par la crise énergétique.

C’est le cas de Duralex ou d’Arc International, qui ne vont plus pouvoir produire, la facture électrique pesant trop lourd à cause de la libéralisation de ce secteur. Dans ces conditions, ils préfèrent mettre un certain nombre de salariés au chômage partiel. Voilà le triste bilan de la libéralisation de pans entiers de l’économie !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis de l’organisation de cet échange de réflexions sur un sujet tout à fait essentiel, qui est aujourd’hui au cœur des débats. Je m’en réjouis d’autant plus que j’ai été – je le dis en toute humilité –, l’une des premières à avoir alerté sur la perte de souveraineté qui menaçait l’Europe dès 2013, dans un rapport intitulé LUnion européenne, colonie du monde numérique ?.

Le numérique est non pas une industrie, mais toutes les industries. Toute l’activité humaine étant amenée à se numériser, notre groupe ne cesse de dire qu’il y a là un défi stratégique pour le devenir de nos sociétés. Internet est désormais un terrain d’affrontement mondial, dont l’enjeu est la domination du monde par l’économie et la connaissance.

Or, jusque-là, les gouvernants ont laissé des acteurs extra-européens s’imposer sur le marché et constituer des menaces, à terme systémiques, pour notre économie, ainsi que des risques pour les États dans leurs fonctions régaliennes : risques d’ingérence et de manipulation de la part de pays étrangers, cyberattaques en tout genre, désinformation gangrenant les réseaux sociaux.

Il aura fallu l’accélération de la numérisation de notre économie avec la crise sanitaire et le confinement pour prendre conscience du besoin de développer nos infrastructures, en particulier celles qui sont liées au cloud.

Le cloud, ce sont des câbles, des data center, mais aussi des briques de logiciels : tout cela représente un énorme marché et des milliers d’emplois. Or tout ce segment à très forte valeur ajoutée est aujourd’hui cannibalisé par des entreprises étrangères, que nous encourageons même, nous privant de faire émerger un écosystème européen indépendant.

Du sursis au sursaut ? En effet, il est plus qu’urgent de prendre en main notre destin numérique, pour reprendre le titre d’un autre de mes rapports portant sur l’urgence de la formation, et de pousser tous les curseurs.

L’Union européenne a adopté le Digital Markets Act et le Digital Services Act, textes de règlement sur les marchés et services numériques permettant enfin une régulation, donc le développement d’un marché aux conditions plus équitables et loyales. C’est très bien, mais il faut aussi et surtout mener une politique industrielle du multi-cloud pour rééquilibrer les rapports de force, protéger la donnée, devenue un actif stratégique majeur, et sécuriser le patrimoine économique et industriel dans le cloud. C’est absolument vital !

Cela apparaît peu, hélas, dans le plan d’action horizon 2030, appelé « boussole numérique », dont on ne sait comment il sera financé. Par ailleurs, quelles seront les modalités permettant d’atteindre les objectifs de reconquête d’autonomie ?

Il y a aussi les plans de relance. Comme les Américains, les Russes et les Chinois ont su le faire pour eux-mêmes, il faut faire de la commande publique le premier levier pour doper la compétitivité du cloud français et européen et cesser d’acheter des technologies étrangères, surtout quand les marchés de ces pays nous sont fermés !

Depuis 2013, je plaide pour un Small Business Act à la française et pour un Buy European Act, afin de soutenir et développer un tissu d’entreprises à l’origine de technologies innovantes, de solutions de cloud sécurisées et responsables en matière environnementale.

Monsieur le ministre, cela suppose une doctrine de responsabilité, inexistante aujourd’hui au sein de la direction interministérielle du numérique (Dinum), et un rôle proactif de la part de l’État actionnaire. Pour cela, il faut structurer le dialogue entre ces services et l’écosystème français des PMI et ETI du cloud. Est-ce en train de se faire ?

Nous avons noté le récent changement de discours de la part de Bruno Le Maire. En aurait-on enfin fini avec le dénigrement de nos propres entreprises, cultivé par l’ancien secrétaire d’État au numérique, Cédric O, dont la stratégie à contretemps du cloud dit « de confiance » a consisté à confier la gestion des données les plus sensibles de la Nation aux géants américains, et cela en l’absence d’accord européen de transfert de nos données vers les États-Unis ? Ce fut le cas, par exemple, de la plateforme des données de santé, confiée à Microsoft, alors que, derrière les questions de recherche, ce sont toute l’économie de la santé et le secteur assurantiel et prudentiel qui sont en jeu.

Le récit selon lequel nous aurions trois décennies de retard est insupportable et inexact. Dans quel autre secteur industriel entretient-on ainsi l’image que les Français sont mauvais ? Aujourd’hui, nos entreprises se rebiffent et se mobilisent. Elles ont bien raison !

Récemment, Hexatrust a remis à Jean-Noël Barrot un manifeste, que j’ai soutenu, plaidant pour ces mesures. Euclidia, regroupement des entreprises européennes de cloud récemment réunies à Bruxelles, porte les mêmes revendications.

Du sursis au sursaut, monsieur le ministre, ne croyez-vous pas qu’il est vraiment temps de passer du slogan de la start-up nation au plan d’action de l’infrastructure nation ? (Applaudissements au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Madame la sénatrice Morin-Desailly, la start-up nation, est-ce que c’est si mal ? Aujourd’hui, c’est tout de même un million d’employés en France…

Ce n’est peut-être pas la réponse à tout, mais reconnaissons ensemble que, depuis une dizaine d’années, dès le quinquennat de M. Hollande, la French Tech est un vrai succès. Le problème du cloud souverain n’est pas résolu – j’ai répondu tout à l’heure sur ce point particulier. En attendant que l’on dispose d’un champion français – certains ont essayé, ils n’ont pas réussi –, on a mis en place des « murailles de Chine » qui nous permettent de protéger les données et d’éviter qu’elles ne soient captées par des Américains. (Mme Catherine Morin-Desailly fait un signe de dénégation.)

Je vois que vous n’êtes pas d’accord, madame la sénatrice, mais vous pourrez sans doute me répondre… L’Anssi permet tout de même d’assurer cette protection.

La French Tech, ce sont ainsi 8 milliards d’euros de fonds levés cette année, soit dix fois plus qu’en 2017. Je le répète, c’est un million d’emplois ; ce sont des start-up industrielles dans lesquelles nous souhaitons investir, avec un objectif extrêmement ambitieux : 1 500 start-up industrielles, avec 100 nouvelles usines par an à construire.

J’ai rencontré un certain nombre d’entrepreneurs extrêmement dynamiques. Ces entreprises vont irriguer nos territoires. Soyons fiers de la French Tech, soyons fiers de la start-up nation ! Tous les problèmes ne sont pas résolus, mais, aujourd’hui, nous avons un moteur performant.

En ce qui concerne les PME, vous avez raison, il n’y a pas de Small Business Act, ni à la française ni à l’européenne. Les achats sont à mes yeux un élément essentiel de ma mission, et j’y reviendrai dans mes remarques terminales. Je voudrais tout de même rappeler que, dans le cadre de France 2030, avec ses 54 milliards d’euros, 50 % des fonds doivent aller à des PME.

Aujourd’hui, nombre de PME répondent avec beaucoup d’énergie à tous nos appels à projets (AAP). Nous sommes très heureux de pouvoir aider les PME françaises, elles aussi, à innover et à épouser les révolutions technologiques que nous souhaitons pousser dans le cadre de France 2030.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.

Mme Catherine Morin-Desailly. Bien entendu, la start-up nation correspond à des emplois, mais à quoi bon si ces start-up, que l’on aide au démarrage, sont rachetées assez rapidement, faute de plans de développement et d’infrastructures ?

Si l’on a relativement peu d’argent à investir, autant qu’il aille dans des secteurs éminemment stratégiques. J’y insiste, les enjeux sont devenus politiques et géopolitiques, monsieur le ministre, et vous aurez beau construire toutes les « murailles de Chine » que vous voudrez, la législation américaine, Cloud Act et Foreign Intelligence Surveillance Act (Fisa), fait que, de toute façon, en l’absence du Privacy Shield, invalidé voilà plusieurs mois par l’arrêt Schrems II, nos données les plus stratégiques et les plus sensibles sont fragilisées, quoi que l’on en dise et quoi que fasse l’Anssi.

Je vous le dis, mais tous les meilleurs spécialistes et les meilleurs juristes le disent aussi. C’est un pis-aller que d’acheter des licences coûteuses pour développer des technologies européennes. Investissons plutôt dans nos entreprises existantes. On peut acquérir des briques de logiciels et construire progressivement cet écosystème dont nous avons tant besoin aujourd’hui.

Voilà pourquoi c’est dans l’infrastructure nation qu’il faut investir aujourd’hui. Actuellement, en France et en Europe, nombre de PME et d’ETI se sentent très éloignées des préoccupations de la direction générale des entreprises (DGE) de Bercy. Elles demandent à vous rencontrer pour pouvoir jouer leur partition dans cet enjeu éminemment stratégique. On n’a plus le droit de se tromper. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Catherine Morin-Desailly. La loi Fisa est là pour nous rappeler que le cloud de confiance est un leurre pour la souveraineté.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je voudrais féliciter les rapporteurs de ces propositions précises. La qualité du travail de notre assemblée est à la hauteur des défis que nous traversons. Pourvu que les actes suivent les rapports, monsieur le ministre…

Toutefois, venons-en au fond. Je voudrais rappeler que le terme « souveraineté » nous vient du latin superus, qui signifie « dessus ». Pour votre gouvernement, monsieur le ministre, c’est l’Union européenne qui est superus, qui est le dessus de tout. C’est là, si j’ose dire, que le bât blesse. En effet, selon la Constitution, la souveraineté est nationale et appartient au peuple français. La souveraineté signifie liberté, autonomie et protection. C’est pourquoi elle ne se partage pas et ne souffre d’aucune concurrence.

Le présent rapport aurait donc dû s’appeler Reconstruire la souveraineté économique française. Certes, cette souveraineté nationale n’empêche pas une coopération européenne dans de nombreux domaines – je l’appelle même de mes vœux –, mais elle reste incompatible avec le projet fédéraliste européen.

Depuis des décennies, les gagnants de la mondialisation ont ridiculisé jusqu’à l’usage de ce terme de « souveraineté », sans prendre la mesure de l’effondrement français qui était en cours : désindustrialisation, délocalisations, détresse paysanne, concurrence déloyale, dumping social, recours massif aux travailleurs détachés.

Résultat, nous avons perdu tant de nos savoir-faire et de nos outils de production que nous sommes dépendants de l’étranger. Le déficit commercial de la France a atteint 71 milliards d’euros au premier semestre de 2022. Un record absolu, extrêmement inquiétant !

Les crises révèlent au grand jour nos dépendances. C’est « La Cigale et la fourmi » à l’échelle d’une nation. Nous avons été incapables de prévoir l’orage durant le beau temps. Les crises nous font découvrir que les États ne sont pas automatiquement ni éternellement des partenaires bien intentionnés.

Le présent rapport évoque l’importance de réformes structurelles, sans questionner notre soumission juridique à l’Union européenne.

Depuis trente ans, sous couvert de libéralisme, les gouvernements français ont cessé de défendre et de planifier les intérêts régaliens. À l’État stratège a succédé l’État obèse voulant s’occuper de tout et désormais trop impotent pour investir dans les secteurs clés. Lundi, la Première ministre a annoncé vouloir « reconquérir notre souveraineté ». C’est bien l’aveu qu’elle était perdue et que l’intérêt national n’était plus au cœur de notre politique.

Ces cinq plans sur la souveraineté économique proposés par mes collègues ne peuvent être décorrélés du rapport sénatorial de cette semaine sur la souveraineté alimentaire : notre pays est passé du rang de deuxième à celui de cinquième exportateur mondial en vingt ans, et nous importons désormais 50 % des denrées alimentaires consommées dans notre pays.

Aujourd’hui, les mécanismes de l’Union européenne n’empêchent pas les hyperpuissances étatiques comme la Chine et les pays du Golfe de racheter des pans entiers de notre territoire. La Commission n’est pas non plus crédible pour nous défendre face à la voracité des Gafam. Il faut le retour d’un pouvoir régalien pleinement souverain pour endiguer les vues des hyperpuissances privées sur nos données personnelles et nos vies.

Le pilotage de l’industrie devrait se faire non pas depuis un ministère délégué, mais depuis un super-ministère dédié. Puisse la crise, monsieur le ministre, nous permettre de retrouver un État stratège audacieux et courageux, une vision véritablement indispensable à la reconquête de la souveraineté économique de notre pays.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Ravier, s’il y a bien un sujet sur lequel on n’est pas d’accord, c’est le rapport à l’Union européenne.

Je reste convaincu, et c’est d’ailleurs pour cette raison que je me suis engagé en politique, voilà un peu plus de cinq ans, que l’Europe fait partie des solutions et pas des problèmes. Elle n’est pas parfaite, même si elle a beaucoup évolué depuis cinq ans, mais si vous aviez été au pouvoir depuis trente ans, nous n’aurions pas l’euro, et sans cette monnaie, aujourd’hui, nous serions sans doute dans une situation extrêmement défavorable. (M. Stéphane Ravier sexclame.)

Si votre candidate avait été élue voilà cinq ans, nous serions sortis de la zone euro, ce qui aurait été une catastrophe – demandez à nos amis britanniques s’ils se sentent bien mieux aujourd’hui. Nous n’aurions pas de plan de relance européen, un plan qui a permis à l’Europe de répondre de manière extrêmement forte à la crise sanitaire. Nous n’aurions pas pu acheter des vaccins ensemble, et il y aurait sans doute des pays qui seraient moins bien vaccinés, cela dit en pensant à des États dont vous êtes plus proches… Enfin, la réaction de défense face à la crise ukrainienne ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui.

Pour ma part, je suis extrêmement fier que la France, aujourd’hui, pour des enjeux de souveraineté importants, s’inscrive dans un cadre européen de coopération, pour faire de l’Europe une zone qui sera un exemple pour le monde en matière de développement économique, financier, environnemental et social.

Ensuite, quand vous entrez dans le détail pour parler de liberté, d’autonomie et de protection, votre triptyque répété à l’envi, nous y répondons, peut-être avec des objectifs et des outils un peu différents des vôtres.

La liberté, nous la défendons – peut-être même un peu plus que vous si vous étiez au pouvoir. L’autonomie, nous la renforçons, avec toutes les stratégies que j’ai essayé de vous présenter ce soir. Enfin, s’agissant de la protection, ne nous dites pas que nous n’avons pas protégé les Français ! Nous le faisons depuis cinq ans de manière extrêmement forte pour l’inflation ou à l’occasion de la crise sanitaire, dont la gestion et le bilan ne doivent pas nous faire rougir.

Franchement, je pense que la France fait partie des nations qui ont plutôt bien géré les crises successives. Heureusement que le Président de la République était à la manœuvre, plutôt que d’autres.

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la souveraineté économique en France, et même en Europe, est un vaste débat politique qui concerne nos modèles économiques et sociaux. Les rapporteurs ont ouvert ce débat, et je veux saluer l’excellence de leurs cinq plans de reconstruction.

Avant de nous y engager, nous devons poser les enjeux : indépendance et liberté de choix ; emploi et formation ; savoir-faire et d’expertise ; revalorisation des métiers.

Ensuite, il faut faire le constat, qui est sans appel. Si l’on se met des œillères, on s’attarde sur le contexte sanitaire et géopolitique de ces derniers mois, avec le drame de la guerre en Ukraine. Ces deux événements ont marqué nos vies et chamboulé le confort de nos sociétés, mais, non, ils ne sont pas à l’origine de tous les maux.

Aujourd’hui, qu’il s’agisse de la hausse des prix, de la crise de l’énergie, de l’absence d’un produit dans un magasin ou du silence radio d’une administration, c’est soit la faute du covid-19, soit la faute de la guerre en Ukraine. Les Français en plaisantent même, conscients d’être bernés par des décideurs qui n’assument pas les erreurs du passé.

Comme l’indique très bien ce rapport, l’absence de masques n’a fait que révéler une absence de stratégie plus ancienne. Aucune crise n’est anticipée, et la France a vu son indépendance énergétique, industrielle et agricole s’étioler au fils des décennies. Pas de culture de prospective, pas d’analyse des risques. La France s’était engagée dans la désindustrialisation, répondant au chant des sirènes : produire au moindre coût et délocaliser.

Au sein de cet hémicycle, nous nous relayons pour débattre, alerter et proposer, car l’objet est non pas de jeter la pierre, mais d’apporter une pierre à l’édifice pour coconstruire.

Je m’attacherai à décliner cinq domaines.

Notre politique commerciale, tout d’abord. Il va falloir que l’Union européenne montre sa détermination face à certains pays que l’on dit « émergents », mais qui vont nous submerger. Comment ? En adoptant des règles qui protègent les entreprises de l’Union pour restaurer leur compétitivité. Quid du Ceta et des autres accords à venir ? Seront-ils débattus au Sénat ?

L’approvisionnement, ensuite. Pour son agriculture, la France est fortement dépendante des protéines végétales. Le choix a été fait d’importer plutôt que de produire, sans en prévoir aucunement les conséquences. Idem pour les substances chimiques et les métaux critiques. Aujourd’hui, nous le payons au prix fort.

Pourquoi nous arcboutons-nous sur des postures politiciennes, plutôt que, à partir de constats évidents, repenser nos modèles par filière ?

Par ailleurs, il faut protéger nos entreprises. Nous détenons une grande richesse en expertise scientifique, médicale et dans l’innovation, mais, lasses de la paperasserie, des blocages, des lenteurs dans les procédures franco-françaises, nombre d’entreprises font le choix de s’expatrier. Des cerveaux et des savoir-faire disparaissent, et cela n’est pas admissible. Nous avons besoin de plus de simplification administrative.

J’ai fait l’expérience de réunir des chefs d’entreprise héraultais d’univers différents : hôtellerie de luxe, services médicaux, horticulture, énergies renouvelables, agroalimentaires. Nous avons passé à la loupe les mesures de simplification. Résultat, ces décideurs ont pointé du doigt les vrais problèmes et les vrais besoins de simplification non identifiés.

N’ayons pas peur d’ouvrir de grands chantiers, même si cela bouscule les institutions et les administrations. N’oublions pas que nous sommes au service de l’intérêt général et laissons de côté les effets d’annonce et le buzz. Soyons enfin performants !

Pour cela, changeons de méthode ! Sortons de leurs bureaux les « sachants » qui pensent les stratégies dont les effets ne changent rien à leurs fins de mois. Qu’ils aillent dans les champs, dans les entreprises et dans les laboratoires pour comprendre !

Pour l’énergie, l’absence de prospective est criante. Nous avons voté 40 % d’énergies fossiles en moins pour 2030, mais avec quels moyens, selon quelle feuille de route ? Le résultat, aujourd’hui, c’est que, en totale panique, nous rouvrons des centrales à charbon et rappelons des salariés licenciés. Quelle image pour les citoyens !

Et que dire de la fermeture de la moitié des réacteurs nucléaires ? Certes, les accidents de Tchernobyl et de Fukushima et le choix politique de l’Allemagne de sortir du nucléaire nous ont rendus frileux, mais comment abandonner une solution avant d’avoir totalement fait aboutir les autres ?

Concernant le numérique, il faut absolument une prise de conscience européenne, pour ne plus dépendre des Gafam.

Enfin, il faut insister sur les compétences et métiers de demain. En perdant notre leadership, nous perdons aussi nos métiers et nos savoir-faire. La formation, mais aussi l’orientation scolaire, est essentielle. Le problème de la souveraineté est transversal. Tous les ministères doivent y être associés.

Vous l’aurez compris, ce rapport ouvre des perspectives. Pour qu’il ne soit pas un rapport de plus sans suite, nous attendons une détermination de ce gouvernement à étudier et suivre ces propositions.

Partageons les constats, définissons les enjeux, réunissons les parties prenantes et agissons avec des moyens réels. Vous l’avez déjà fait avec les états généraux de l’alimentation et de la justice. Mais Bercy ne doit pas décider seul de la position du curseur. C’est aux politiques de gouverner en fonction des enjeux, sinon, la France perdra le peu de souveraineté qui lui reste, et ce n’est pas ce que, collectivement, nous voulons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Cabanel, quand on se compare, on se console tout de même un peu. Je pense que nous avons tous une propension à battre notre coulpe collectivement. C’est peut-être à notre honneur…

Oui, pendant vingt-cinq ans, la France s’est désindustrialisée. Oui, nous avons eu du mal à anticiper la plus grave crise sanitaire depuis cent ans. Pourtant, quand je compare la réaction de la France à cette crise sanitaire et, plus largement, celle de l’Europe à celle d’autres pays, je pense que nous pouvons être plutôt assez fiers du résultat. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas tirer des leçons. C’est d’ailleurs l’objectif de ce rapport, et c’est ce qui m’a plu.

Les auteurs de ce rapport se projettent essentiellement vers l’avenir, et je nous engage à le faire maintenant. Battre notre coulpe, c’est bien. Regretter les vingt-cinq ans de désindustrialisation, c’est bien aussi, mais il faut que, ensemble, nous travaillions pour réindustrialiser la France, et ce, vous avez raison, partout dans les territoires.

Au moins une fois par semaine, je suis dans un territoire pour visiter des usines et des entreprises. Certaines vont très bien ; elles sont aujourd’hui dans une logique de développement extrêmement porteuse, ce dont il faut être fier. D’autres, comme Arc International et Duralex, que M. Gay a mentionnées tout à l’heure et que j’ai également visitées, font face à des situations difficiles. C’est véritablement en tenant les deux bouts de la chaîne que nous allons réussir à réindustrialiser la France, c’est-à-dire en accompagnant tant les entreprises en transition dans les secteurs difficiles que celles qui évoluent dans les secteurs d’avenir.

Vous parliez de la simplification administrative : ce sera l’un de mes combats également. Je pense que l’on peut déjà faire des choses à droit constant, mais nous nous interrogeons, Bruno Le Maire et moi-même, et nous aurons sans doute l’occasion d’échanger avec vous à ce sujet, sur l’opportunité de passer par la loi pour simplifier de manière drastique les installations industrielles. Je suis sûr que cette question soulèvera de nombreux débats sur ces travées et dans d’autres enceintes.

En attendant, nous souhaitons accélérer au cas par cas. J’ai demandé que l’on cartographie le foncier, de manière extrêmement fine, partout en France.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Enfin !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Ainsi, nous pourrons proposer à des investisseurs, nationaux ou internationaux, du foncier déjà catégorisé, correspondant à leurs besoins. Comme vous le savez, nous travaillons avec les régions, les départements et les communautés de communes pour rendre ce foncier disponible. Nous avons déjà identifié un certain nombre de sites industriels disponibles, dès aujourd’hui, clefs en main.

Bref, nous sommes au travail pour simplifier les installations industrielles. Je le répète : ce sera le cas partout, pour tous et pour toutes.

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour la réplique.

M. Henri Cabanel. Je vous remercie de cette réponse, monsieur le ministre. Je vous l’ai dit : ayons davantage la culture de la prospective, pour nous positionner et voir un petit peu plus loin !

Il nous a fallu connaître tous ces événements pour réaliser combien la France était dépendante. Aujourd’hui, il faut travailler. J’ai insisté sur la simplification, qui me paraît essentielle, mais il faut aussi, au fil du temps, évaluer les politiques que nous mettons en place afin de corriger éventuellement les erreurs que nous avons faites et de ne plus connaître les mêmes situations.

M. Roland Lescure, ministre délégué. C’est vrai !

M. le président. La parole est à M. Serge Babary. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. Serge Babary. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le constat dressé par nos rapporteurs est très alarmant.

Ce travail approfondi confirme malheureusement les inquiétudes que nous exprimons, depuis maintenant de nombreuses années, au sein de la commission des affaires économiques. La crise sanitaire a mis en lumière ce que nous redoutions : notre économie est de plus en plus dépendante et vulnérable.

Je me bornerai à aborder la question de la souveraineté financière, en mettant l’accent sur trois éléments.

Premièrement, cela a déjà été rappelé, il faut renforcer le contrôle de l’investissement étranger dans les secteurs stratégiques. La loi Pacte a posé les jalons d’une politique de contrôle. Nous devons aller plus loin, et d’abord en pérennisant l’abaissement temporaire, à 10 % des droits de vote, du seuil de détention déclenchant le contrôle et en élargissant les secteurs contrôlés. Cet abaissement de seuil ne doit pas être réservé aux seules sociétés françaises cotées : nos PME doivent bénéficier du même degré de protection que nos sociétés cotées.

Il importe également d’être vigilant sur la question des fonds de pension. Pendant la crise sanitaire, un tiers des entreprises de taille intermédiaire (ETI) ont été approchées par des fonds de pension anglo-saxons, qui supposaient qu’elles avaient des difficultés et leur proposaient une aide financière. Avec la délégation aux entreprises, je viens d’auditionner les représentants du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti) : ils évoquent désormais une proportion de 40 % des ETI qui ont été ainsi approchées, soit plus de 2 000 entreprises sur 5 500.

Cela nous impose d’être extrêmement vigilants. Pour nous prémunir contre ce type de prédation, nous devons renforcer les possibilités d’intervention de fonds souverains nationaux.

Deuxièmement, il faut évidemment renforcer la commande publique et soutenir les entreprises innovantes et les start-up, mais aussi faciliter l’accès de nos PME aux appels d’offres, afin que les attributions n’aillent pas toujours à de grands groupes, parfois étrangers. La commande publique doit s’ouvrir aux PME. Cela ne pourra se faire sans l’adoption d’un Small Business Act européen, comme Mme Morin-Desailly l’a rappelé.

Troisièmement, il est impératif de mettre en place les conditions du maintien des ETI dans nos territoires. Deux chiffres méritent d’être cités : 50 % des ETI sont des entreprises familiales ; 25 % des chefs d’entreprise ont plus de 60 ans.

Il est donc urgent de moderniser la transmission des entreprises pour lutter contre leur rachat par des investisseurs étrangers, dans une pure logique de captation de brevets et de savoir-faire, sans considération pour la pérennité de l’entreprise elle-même ou de l’emploi dans nos territoires.

Je souscris à l’évidence pleinement à l’objectif du Gouvernement de faire émerger 500 ETI pendant ce nouveau quinquennat, mais la question de la transmission et, partant, du maintien des ETI existantes reste entière.

Pour ces trois éléments de défense de la souveraineté financière – le contrôle de l’investissement étranger, le renforcement de la commande publique et le maintien de nos ETI –, il faut maintenant des réformes structurantes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Babary, je vais vous corriger sur un point : vous trouvez ce rapport alarmant ; moi, je le trouve extrêmement motivant !

Je souhaite véritablement que nous nous mettions d’accord, en partant de constats qui sont certes sévères, mais qui tracent un dessin juste de la réalité telle qu’elle est aujourd’hui, pour aller ensemble de l’avant.

La France a des forces, la France a des atouts ! Je m’excuse de le répéter, mais nous avons mis en place au cours des cinq dernières années un certain nombre de dispositifs nous ayant permis d’inverser plusieurs tendances qui jusqu’alors paraissaient inéluctables.

J’ai commencé à travailler au ministère de l’économie et des finances il y a trente ans ; « politique industrielle », à cette époque-là, c’était un gros mot ! Il n’y en avait que pour la politique macroéconomique et la politique monétaire. On travaillait à la mise en place de l’euro, ce qui était un excellent choix stratégique et historique, mais qui n’a pas empêché la désindustrialisation. Les choses ont changé : aujourd’hui, nous sommes prêts ! Concernant les investissements étrangers en France, que vous avez évoqués, nous avons renforcé la législation, nous contrôlons ces flux financiers.

N’oublions pas pour autant que l’attractivité de la France fait partie de ses atouts. Vous avez mentionné les fonds de pension anglo-saxons. Pour ma part, je vois presque chaque semaine de grands investisseurs étrangers – des investisseurs opérationnels, de grandes entreprises pharmaceutiques, chimiques ou industrielles, américaines ou asiatiques – qui souhaitent venir investir en France, parce que notre pays est attractif. Il faut garder cela à l’esprit quand on affine notre politique de protection des intérêts stratégiques.

Je pense que nous avons trouvé avec la loi un bon équilibre, comme je l’ai déjà dit tout à l’heure ; cela a déjà commencé à donner des résultats.

J’entends que le seuil de 10 % de participations étrangères reste à préciser. Ce seuil est en vigueur jusqu’à la fin de l’année. Il faudra évaluer s’il convient ou non de le pérenniser ; cela fera sans doute partie des discussions que nous aurons ici lors de l’examen du budget.

Quant au manque d’investisseurs institutionnels, vous avez raison. Pendant dix ans, j’ai été le numéro 2 d’une grande caisse de retraite québécoise, qui était le plus gros investisseur dans les entreprises de cette province et qui permettait d’y développer des PME et des ETI. On manque encore cruellement d’investisseurs publics de long terme en France.

Nous avons créé la Banque publique d’investissement, Bpifrance, qui est aujourd’hui un acteur reconnu. Nous avons aussi lancé, sous l’égide du Président de la République, l’initiative Tibi, qui a fait que les assureurs français se sont impliqués. Ce fonds investit aujourd’hui à hauteur de 6 milliards d’euros dans des entreprises de taille modeste en France. Il a pour vocation de les accompagner.

Nous devons aller plus loin encore. Je ne pense pas que l’on ouvrira le sujet des fonds de pension en France ; je dis cela pour attirer l’attention de M. le sénateur Gay, qui sera heureux de l’entendre ! (Sourires.) Nous devons évidemment trouver du capital de long terme, qui n’est pas disponible sous la forme de retraites ; il faut recourir à d’autres moyens, et les assureurs font sans doute partie des candidats.

M. le président. La parole est à M. Serge Babary, pour la réplique.

M. Serge Babary. Si nous sonnons l’alarme, c’est évidemment du fait du constat que nous faisons et d’un certain nombre d’inquiétudes, mais c’est aussi parce que nous souhaitons, par ambition pour notre pays, nous projeter avec vous dans l’avenir. Nous ne sommes pas tournés simplement vers le constat des difficultés passées.

M. Roland Lescure, ministre délégué. Très bien !

M. Serge Babary. Cette alarme exprime aussi ce que nous entendons sur le terrain, au cours de notre travail d’élu dans nos territoires.

Nous nous faisons donc plutôt les porte-parole des PME et des ETI, qui ont quelque peu le sentiment d’être laissées de côté, alors que leurs dirigeants sont très entreprenants et animés d’une volonté de développement. Il leur semble que les facilités vont plutôt aux grandes entreprises…

D’ailleurs, si l’on compare notre situation à celle de pays voisins comme l’Allemagne ou l’Italie, où nous nous sommes rendus, on constate une différence dans l’organisation du système : le succès à l’exportation des PME et ETI de ces pays vient du fait que les entreprises travaillent en meute, c’est-à-dire que les grandes sociétés entraînent dans leur sillage les PME et les ETI. Voilà ce que nous souhaitons, voilà le sens de notre alarme !

M. le président. La parole est à M. Sebastien Pla. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi quau banc des commissions.)

M. Sebastien Pla. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture française, troisième pilier de notre économie, avec 81 milliards d’euros de chiffre d’affaires, reste, en valeur, la première puissance agricole de l’Union européenne, devant l’Allemagne et l’Italie.

Néanmoins, derrière cette comparaison flatteuse se cache une réalité bien plus inquiétante : l’excédent de notre balance agricole est assis essentiellement sur la production vitivinicole. La moitié des produits qui sont dans notre assiette sont importés ; la France reste par ailleurs dépendante à 45 % de l’étranger pour les protéines végétales.

Depuis plus de vingt ans, la production agricole française recule. Nous avons perdu 25 % de parts de marché, et les agriculteurs désertent les campagnes : 10 000 exploitations agricoles disparaissent tous les ans, et il faudrait chaque année 7 000 nouveaux agriculteurs pour compenser les départs à la retraite. Or le métier n’attire plus !

Cette crise de vocation est associée à la fracture territoriale, aux difficultés de la vie en zone rurale face au retrait des services publics, aux difficultés d’accès aux soins, aux transports et au numérique. Mais elle est aussi et surtout liée à la faiblesse des revenus de celles et ceux qui cultivent la terre.

Les aides de la Politique agricole commune (PAC) constituent désormais, pour bien des fermes, la majeure partie de leur revenu. Or la PAC est complètement décorrélée de la création de valeur ajoutée et ne parvient pas à relier les enjeux de l’agriculture et de l’alimentation.

Dans un contexte géopolitique mondial tendu, nous devrions redoubler de vigilance pour garantir la qualité et la transparence de l’origine des produits distribués sur le marché, ainsi que notre sécurité alimentaire.

De nombreux outils pourraient être activés, comme l’instauration de clauses miroirs dans les accords de libre-échange, ou encore une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. Manifestement, on demande aujourd’hui aux producteurs français de réussir un exploit : adopter des pratiques toujours plus durables, mais coûteuses, tout en rivalisant avec les systèmes d’élevages intensifs étrangers, présents notamment sur le continent américain.

La France, qui a fait le choix d’un élevage durable et familial, ne peut continuer d’accepter une mise en concurrence de ses exploitations avec des fermes-usines américaines de 60 000 bovins engraissés aux antibiotiques, que l’on risque de retrouver dans nos assiettes grâce à ce superbe accord qu’est le Ceta !

Si nous voulons assurer la sécurité alimentaire des Français tout en maintenant notre rang de premier producteur agricole de l’Union européenne, de nouvelles politiques alimentaires et agricoles s’imposent. Il faut qu’elles soient en phase avec les enjeux du moment, sans obérer la stratégie européenne Farm to Fork.

Nous devons améliorer les conditions de travail de nos exploitants en garantissant leur revenu, en accompagnant leur transition agroécologique et en pérennisant des dispositifs permettant de répondre à la pénurie de main-d’œuvre, notamment l’exonération de charges patronales pour l’emploi des travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi agricoles (TO-DE).

Nous devons relocaliser l’ensemble de la chaîne de production, depuis les intrants jusqu’à la transformation et l’emballage, mais aussi reterritorialiser la consommation.

Il faut également en finir avec la surtransposition des règles et des normes par rapport aux autres pays européens, car à chaque nouvelle contrainte imposée aux seuls producteurs français succède une vague d’importations de produits étrangers.

Vous savez comme moi, monsieur le ministre, que la France exporte des animaux entiers et importe des morceaux découpés, qu’elle exporte des pommes de terre et importe des chips, qu’elle exporte du blé et importe de la farine et des pâtes. Cela n’est pas logique, cela n’est plus acceptable !

Une politique de patriotisme alimentaire doit être véritablement assumée, pour répondre au double enjeu de souveraineté alimentaire et de lutte contre le changement climatique. Mais prenons garde : à trop nous focaliser sur le soutien à la production, nous oublions de renforcer nos capacités de transformation, indispensables à la conquête de nouveaux débouchés et gages de création de valeur et de compétitivité.

Le risque est d’inciter les distributeurs à s’approvisionner ailleurs, voire de provoquer une désindustrialisation agroalimentaire accélérée. Si l’agriculture n’est pas délocalisable, l’industrie l’est, avec autant de conséquences pour notre souveraineté alimentaire.

Enfin, monsieur le ministre, n’oubliez pas qu’il est important d’être fort sur le marché domestique si l’on veut être compétitif à l’extérieur. Les réponses politiques devront donc cesser de n’être qu’agricoles pour devenir agricoles, agroalimentaires et alimentaires.

Le secteur agricole, un fleuron de notre économie et de notre souveraineté, est actuellement en grand danger ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Pla, vous êtes quelque peu sorti de ma zone d’excellence, puisque vous avez essentiellement consacré votre intervention à l’agriculture…

Certes, j’ai suivi de près ce secteur quand je présidais la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale, mais vous comprenez bien que mon collègue Marc Fesneau pourrait sans doute répondre bien mieux que moi aux questions que vous posez aujourd’hui, qui sont pertinentes.

Nous avons tout de même en partie répondu à vos préoccupations. Dans le cadre du plan France Relance, plus de 600 millions d’euros d’investissements ont d’ores et déjà été consacrés à l’amélioration de notre souveraineté alimentaire. Notre dépendance en matière de protéines végétales a déjà diminué de 5 % ; ce n’est pas grand-chose, mais c’est tout de même déjà quelque chose. Nous avons relocalisé un certain nombre d’intrants critiques, et nous allons continuer à le faire. Dans le cadre de France 2030, quelque 2,3 milliards d’euros sont destinés à la relocalisation des tourteaux et des acides aminés, ou encore des engrais.

Aussi, faut-il fermer les frontières françaises à l’agriculture étrangère et rester essentiellement dans une logique d’autosuffisance ? Je ne le crois pas. Je ne suis pas sûr qu’il faille fabriquer en France toutes les pâtes alimentaires que l’on mange dans notre pays, parce que je suis persuadé que l’agriculture française peut plutôt reprendre des couleurs à l’international.

Vous avez rappelé, après plusieurs autres orateurs, que la balance commerciale agricole s’est fortement détériorée au cours des dernières décennies, mais ce n’est pas une fatalité. Nous devons investir davantage dans l’agriculture et la rendre plus efficace.

Nous devons aussi, peut-être, la faire mieux connaître, car le modèle agricole français, qui est souvent fondé sur la qualité et sur des exploitations de taille réduite, comme vous l’avez noté vous-même, est insuffisamment marqué hors de notre pays. Allez dans un supermarché à peu près partout dans le monde ; vous y trouverez à coup sûr un rayon italien, mais seulement, parfois, du brie, du bordeaux ou du bourgogne… Je ne veux pas faire de jaloux, pardonnez-moi de n’avoir cité qu’un fromage et deux vins ! (Sourires.)

Il me semble donc que l’on doit mieux faire pour vendre la nourriture française, l’excellence française, en tant que telle, pour développer la marque France dans l’agroalimentaire. Je suis persuadé que c’est possible et souhaitable. J’en ai déjà parlé avec mes collègues Marc Fesneau et Olivier Becht ; nous allons y travailler.

Toutefois, si l’on veut pouvoir exporter la marque France, il va aussi falloir, parfois, importer la marque Italie ou la marque Espagne ! Peut-être importera-t-on toujours des pâtes italiennes, mais j’espère que l’on exportera toujours plus de nourriture française.

M. le président. La parole est à M. Sebastien Pla, pour la réplique.

M. Sebastien Pla. Je vous remercie de vos réponses, monsieur le ministre, dont je pressentais plus ou moins la teneur !

Ce que vous faites depuis quelques années sur les questions agricoles est très bon, et nous partageons souvent vos orientations sur ces travées. Mais tout ne fonctionne pas tout à fait correctement aujourd’hui ! Nous avons de moins en moins d’agriculteurs et nous continuons à perdre des exploitations, à tous les niveaux. Je vous l’ai dit d’entrée : l’excédent de la balance commerciale agricole repose essentiellement sur les produits vinicoles, qui ne sont pas à proprement parler des produits agroalimentaires, au sens où ils ne constituent pas une nourriture nécessaire pour la vie humaine.

La question qui est posée est celle de la souveraineté alimentaire. Aussi, quid des céréales, de l’élevage, des tomates, du maraîchage, de l’ensemble des productions alimentaires ? Comment les relocaliser sur le territoire français, pour éviter à la fois un impact carbone catastrophique pour la planète et une dépendance à des marchés extérieurs très sensibles ?

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parmi les cinq axes déterminants pour la souveraineté de notre pays, nos trois collègues, dont je salue le travail, ont bien évidemment développé le sujet du numérique.

Je voudrais revenir sur cet enjeu incontournable pour nos sociétés de l’information, en nous projetant dans l’avenir, monsieur le ministre, et en y ajoutant la dimension spatiale. En effet, alors que dans de nombreux champs du numérique, notamment les données, notre souveraineté française et européenne est compromise par la domination des Gafam, Big Five et autres BATX – Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi – asiatiques, en revanche, pour ce qui est des réseaux et du domaine spatial, les cartes ne sont pas encore jouées et la conquête d’une souveraineté reste possible, comme l’a bien compris notre commissaire européen Thierry Breton, très investi sur ce sujet.

Les récents travaux de nos commissions des affaires européennes et des affaires économiques nous éclairent tout particulièrement sur les enjeux de souveraineté liés aux projets de constellation européenne de satellites.

La résolution européenne adoptée par le Sénat sur ce sujet met en évidence tout l’intérêt d’assurer une connectivité sécurisée et indépendante pour les usages gouvernementaux, notamment militaires, mais également pour les usages commerciaux, tels que la chirurgie à distance, les véhicules autonomes, le guidage de précision des bateaux et des avions, ou, de façon plus pratique, la couverture des zones blanches et des territoires ultramarins.

Le Sénat préconise une approche stricte de la préférence européenne. Autrement dit, les satellites de la constellation européenne devront être déployés par des lanceurs européens, depuis des bases de lancement situées sur le territoire de l’Union européenne.

Il s’agit là d’un enjeu primordial de maîtrise de nos télécommunications, mais aussi d’un levier pour doper technologiquement et financièrement nos industries.

M. Jean-François Rapin. C’est cela, la souveraineté !

Mme Anne-Catherine Loisier. Affirmer la préférence européenne en matière d’infrastructures spatiales, c’est soutenir le développement et l’innovation des industries spatiales françaises et européennes, acteurs pivots historiquement établis, mais aussi faire émerger les start-up du New Space à même d’apporter des solutions sécurisées aux entreprises comme aux particuliers et aux services publics. C’est enfin soutenir le déploiement de nouvelles technologies numériques émergentes, comme le quantique, qui a déjà été évoqué.

Bref, la constellation européenne de satellites constitue une brique essentielle dans le modèle économique européen du XXIe siècle, bien au-delà du seul domaine spatial.

Monsieur le ministre, quelle place auront demain la France et l’Europe à la table des relations internationales si, contrairement aux autres grandes puissances, elles ne disposent pas d’une constellation de satellites autonomes ? Comment pourrions-nous concevoir le déploiement d’infrastructures spatiales gouvernementales par des lanceurs américains ou des acteurs extraeuropéens ?

Toutefois, cette préférence européenne stratégique ne se fera pas sans engagements réciproques de la part des entreprises et de l’industrie spatiales européennes, qui devront assurer la cadence et la fluidité des lancements européens, mais aussi de la part des opérateurs d’infrastructures terrestres européens, qui devront être capables d’accueillir ces nouveaux flux de connectivité dans des délais serrés.

En effet, monsieur le ministre, si l’Europe veut acquérir cette souveraineté en matière de télécommunications, elle doit aujourd’hui faire vite : 2 700 satellites Starlink sont déjà en orbite ; OneWeb en a déjà lancé 200 ; enfin, Kuiper, la constellation d’Amazon, est en phase de lancement par Arianespace.

Monsieur le ministre, la préférence européenne et même la localisation, dont nous parlons beaucoup, constituent-elles selon vous un véritable rempart, notamment au regard des droits extraterritoriaux, notamment du droit américain, évoqué par nos collègues de la commission des affaires européennes dans leur rapport sur cette résolution, qui fait toujours planer des menaces de contrôle et de sanctions sur nos fleurons technologiques du simple fait de l’usage du dollar dans les transactions ?

Je remercie vraiment nos collègues rapporteurs de la commission des affaires économiques et je salue leur travail, qui pointe avec réalisme les faiblesses que nous devons compenser, tout autant que les atouts que nous pouvons valoriser. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Madame la sénatrice Loisier, le moment que je craignais est arrivé : je n’ai pas de réponse à vos questions, en tout cas pas de réponse satisfaisante à mon goût ! (Sourires.)

On me dit que plusieurs projets de constellation existent en Europe : l’un d’entre eux doit être lancé par Thales et Telesat, pour 3 milliards d’euros ; un autre vise à créer une constellation de satellites 5G ; enfin, la Commission a annoncé un projet en mars dernier.

J’ai bien conscience, madame la sénatrice, que cette réponse est assez insatisfaisante. Je m’engage donc à vous en apporter une plus circonstanciée par écrit dans les jours qui viennent.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.

Mme Anne-Catherine Loisier. J’en suis ravie, car j’ai fait mon travail ! Je vous invite, monsieur le ministre, à prendre connaissance des rapports que M. le président de la commission des affaires européennes et moi-même avons produits sur ce sujet.

En effet, il me semble que toutes les ambitions que nous évoquons aujourd’hui sont largement conditionnées à une véritable souveraineté sur nos télécommunications. Et le domaine spatial constituera demain la voie royale pour celles-ci.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est effectivement urgent pour notre pays de reconquérir sa souveraineté dans le domaine économique. Nous savons gré à la commission des affaires économiques, à sa présidente et à ses rapporteurs d’avoir tiré la sonnette d’alarme.

Je ne reviendrai pas sur leur excellent rapport. Je veux simplement rappeler que la France a accepté de partager sa souveraineté avec les autres États membres de l’Union européenne ; à ce titre, la reconquête de sa souveraineté se joue largement à l’échelle européenne.

Il aura fallu la crise sanitaire et le conflit ukrainien pour prendre la pleine mesure des dépendances stratégiques de l’Union européenne et des fragilités et menaces que ces dépendances constituent pour ses citoyens et ses entreprises.

C’est à ces deux électrochocs, à cet égard salutaires, que nous devons la feuille de route tracée à Versailles en mars dernier par les 27 États membres pour matérialiser la souveraineté européenne en matière de défense, mais aussi de santé, d’alimentation, d’énergie, de matières premières critiques, de numérique, de technologies fondamentales et, comme Mme Loisier l’a rappelé, dans le domaine spatial. C’est un chantier au long cours, mais il est heureux que l’Union européenne en ait fini avec la naïveté, enfin !

En effet, ce n’est qu’à cette échelle que nous pouvons espérer construire une souveraineté durable. L’Union est aujourd’hui entrée dans le réarmement de ses politiques, avec tous les outils dont elle dispose : concurrence, financements et politique commerciale.

Des projets importants d’intérêt européen commun (Piiec) ont été lancés, qui dérogent aux règles en matière d’aides d’État pour promouvoir l’innovation dans plusieurs domaines industriels stratégiques : batteries, semi-conducteurs, cloud, hydrogène, voilà autant de Piiec auxquels l’industrie française participe. Le prochain Chips Act doit aussi permettre à l’Europe de redevenir leader mondial des semi-conducteurs.

La présidente de la Commission européenne promet en outre un nouveau fonds européen pour la souveraineté, qui permettra de financer d’autres projets industriels stratégiques de manière à sécuriser nos approvisionnements en matières premières critiques. Un plan européen vient aussi d’être annoncé.

Deux textes européens majeurs pour réguler les marchés et services numériques – le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) – ont été récemment adoptés ; eux aussi constituent des outils importants de reconquête de notre souveraineté dans ce domaine.

Saluons enfin, en matière spatiale, la création prochaine d’une constellation de connectivité sécurisée européenne. Monsieur le ministre, en lisant notre rapport sur ce sujet, vous serez pleinement au fait de l’actualité !

En outre, pour protéger le marché intérieur de la concurrence déloyale, un règlement mettant fin aux subventions étrangères faussant la concurrence sera bientôt adopté. Pour sauvegarder nos industries stratégiques du point de vue de l’ordre public et de la sécurité, un cadre commun a aussi été mis en place, permettant de filtrer les investissements directs étrangers dans l’Union.

La commission des affaires européennes soutient vigoureusement toutes ces initiatives et prend soin de les orienter. Elle plaide aussi pour aller plus loin, tout d’abord en matière énergétique. L’envolée des prix de l’énergie nous menace d’une nouvelle vague de désindustrialisations et risque de briser le sursaut provoqué par la pandémie. En Allemagne et maintenant en France, des usines ralentissent, étranglées par leur facture énergétique, ce qui freine la relocalisation tout récemment engagée des chaînes de valeur.

Tout en soutenant une réforme du marché européen de l’énergie, nous appelons l’Union européenne à reconnaître sans attendre le nucléaire comme une pièce maîtresse de la transition énergétique et de la souveraineté énergétique européenne, car il s’agit d’investissements de très long terme.

Nous subissons aujourd’hui le choix de nos voisins de produire leur électricité à partir du gaz, choix qui met à mal aussi bien nos objectifs climatiques que notre compétitivité et notre indépendance énergétique. Je salue le retournement à 180 degrés qu’a accompli le Gouvernement sur la question nucléaire ; je relisais tout à l’heure les comptes rendus de certaines commissions – vous présidiez d’ailleurs l’une d’entre elles, monsieur le ministre –, et la question du nucléaire n’était pas posée aussi clairement qu’elle l’est aujourd’hui…

Ensuite, en matière agricole, nous ne cessons de le répéter, ne sacrifions pas notre souveraineté alimentaire sur l’autel de la transition écologique ! Nous ne pouvons pas nous ranger à une vision décroissante de notre agriculture et limiter notre stratégie agricole à encourager la montée en gamme de nos filières, au risque de devoir accroître nos importations.

Enfin, en matière bancaire et financière, nous rappelons la nécessité de consolider ce qui est la colonne vertébrale de notre souveraineté économique.

Il s’agit tout d’abord d’achever le dernier pilier de l’union bancaire pour améliorer la résilience des banques de la zone euro, ce qui passe par un système européen de garantie des dépôts. Il convient ensuite de relancer l’union des marchés de capitaux, pour mettre fin à la fragmentation des marchés financiers européens. Il importe enfin de consolider le rôle international de l’euro, vecteur de souveraineté.

Sur ces différents sujets, nous portons haut et fort la voix du Sénat à Bruxelles, au service d’une souveraineté retrouvée. Monsieur le ministre, pouvons-nous aussi compter sur la détermination du Gouvernement à défendre ces priorités ? À vous écouter ce soir, je n’en doute pas. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Je souscris à 98,5 % à votre intervention, monsieur Rapin… Et pour le reste, j’aurai bientôt la réponse ! (Sourires.)

L’agenda européen est extrêmement ambitieux, et nos réponses devront évidemment s’inscrire dans ce cadre. Ma conviction, lorsque nous parlons d’industrie française, c’est que nous portons tous le même maillot – je l’ai dit dans cet hémicycle et ailleurs, sur les travées de gauche comme de droite, dans ma position comme dans la vôtre.

Bien sûr, certains élus, d’un extrême ou un d’un autre, n’aiment pas beaucoup l’entreprise ni l’industrie, par méconnaissance, ou pire, parce qu’ils doivent en partie leur succès au déclin de l’industrie depuis des décennies. Mais ici, au Sénat, après avoir entendu les prises de parole, je crois pouvoir dire que presque tout le monde aime l’industrie française. Pour l’essentiel, nous sommes alignés sur les mêmes objectifs.

Je partage plusieurs des constats formulés dans votre rapport. Quant aux recommandations, je le répète, la plupart sont déjà appliquées ou figurent sur notre feuille de route.

En revanche, je veux être clair : la protection, oui ; le protectionnisme, non. L’industrie française, pour être forte, doit être solide sur ses bases, mais aussi capable de conquérir des marchés dans une logique de réciprocité loyale – vous êtes nombreux à avoir insisté sur cette loyauté, qui est effectivement importante.

L’industrie française doit aussi être capable d’attirer des investisseurs internationaux. À cet égard, le sommet Choose France est une vraie réussite ; nous allons accélérer sur ce point.

Ce rapport, très fouillé, nous sera utile, car il établit un panorama et dresse une feuille de route de nos collaborations à venir, sur des sujets très concrets, tels que la simplification des installations industrielles.

Je veux affirmer mon engagement très fort à agir sur deux points.

Le premier a été abordé et figure dans le rapport : c’est la mobilisation de la commande publique. Nous avons voté ensemble – j’étais alors député, donc je peux recourir à la deuxième personne du pluriel – des dispositions concrètes, dans la loi Pacte, dans la loi dite Asap ou dans la loi Climat et résilience. Il faut désormais les appliquer.

Trop souvent, les acheteurs publics n’osent pas les utiliser. Nous devons les rassurer : oui, nous devons acheter durable et innovant ; oui, nous pouvons acheter local et en circuit court. Respecter ces critères, ce n’est pas systématiquement acheter français, mais cela commence tout de même à y ressembler…

J’ai rencontré et mobilisé la direction des achats de l’État et l’Union des groupements d’achats publics et des acheteurs publics. Nous allons former davantage, faire du sourcing, promouvoir nos start-up et PME et faciliter les échanges en amont des procédures.

Par ailleurs, nous devons impérativement accélérer sur la question de la formation. Le quinquennat qui s’est achevé a engrangé des succès : nous n’avons jamais eu autant d’apprentis en France – nous en comptons autant que l’Allemagne. Nous devons aller plus loin encore et donner envie à de jeunes femmes et de jeunes hommes de rejoindre l’industrie et les y former, à un âge plus précoce qu’actuellement. Je m’y attacherai et j’espère que vous nous y aiderez.

Notre industrie connaît une actualité forte avec la crise de l’énergie, qui agit comme un nouveau choc pétrolier. Je le dis très clairement : l’industrie française ne sera pas la victime collatérale de la guerre en Ukraine. Mon rôle est de la protéger, de l’aider, de l’accompagner et de la soutenir partout où je le puis.

Mon cabinet travaille d’arrache-pied avec les commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises, les fameux CRP, qui, dans les régions, aident les entreprises à naviguer parmi les dispositifs d’aide, encore trop complexes malgré notre effort de simplification.

Le Gouvernement travaille à l’échelle européenne pour parfaire l’arsenal de protection de l’industrie française. Nous avons signé ce matin une charte avec les distributeurs d’énergie, de manière qu’ils informent bien en amont, offrent systématiquement des contrats et permettent, notamment à nos PME, qui souffrent aujourd’hui du prix de l’énergie, de faire jouer à plein la concurrence.

Le Gouvernement a pris des mesures ambitieuses pour les entreprises, mais les prix de l’énergie, c’est un fait, ne seront plus jamais aussi bas. C’est la fin d’une disponibilité abondante et sans limites, raison pour laquelle nous devons œuvrer à guérir notre industrie de sa dépendance aux hydrocarbures. L’industrie de la décarbonation sera le nouveau fer de lance de l’économie française et européenne.

En conclusion, nous tenons un cap stratégique et y affectons des moyens au travers des plans France Relance et France 2030. Sans naïveté, nous nous montrons offensifs. Depuis 2017, l’effort collectif que nous avons fourni avec les chefs des entreprises industrielles a permis de créer plus de 50 000 emplois nets.

De la même manière que la désindustrialisation résulte de trente ans de cécité collective, la réindustrialisation sera le fruit d’une vision commune. Vous y prendrez toute votre part, ici, à Paris, mais surtout dans vos territoires, où je me rends semaine après semaine et où je serai très heureux de vous accompagner. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques. (Applaudissements.)

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie sincèrement de ces échanges, qui nous ont permis de partager et d’approfondir les conclusions de ce rapport.

En préambule de ce propos conclusif, je me permets de formuler quelques commentaires sur notre politique énergétique. Monsieur le ministre, il est urgent, et même urgentissime, de définir enfin une véritable stratégie de l’énergie et de fixer un cap clair. Malgré les belles et optimistes paroles entendues ce soir, je ne vois pas la preuve de l’engagement du Gouvernement sur cette voie.

Par exemple, je regrette que le Gouvernement ait choisi de légiférer en la matière dans la panique et le désordre.

Dans la panique, tout d’abord, car nous avons été sommés de légiférer cet été en urgence : quinze jours d’examen d’une loi sur le pouvoir d’achat pour remettre à plat notre régulation nucléaire et notre sécurité d’approvisionnement, clairement, ce n’est pas sérieux.

Dans le désordre, ensuite, car il eût fallu examiner la loi de programmation de l’énergie au préalable, pour définir une véritable vision de notre politique énergétique, avant de travailler, ensuite et seulement ensuite, aux lois d’exécution de cette stratégie, par le truchement des projets de loi d’accélération du nucléaire ou des énergies renouvelables. Or nous faisons l’inverse.

Au regard de ses répercussions, la politique énergétique ne s’improvise pas : elle nécessite une vision, des convictions, du courage, de la constance et de l’anticipation.

Par exemple, la relance du nucléaire, tant attendue, est encore au milieu du gué. Des fautes graves ont été commises dans le passé, certes, mais la reconversion préélectorale du président n’a rien changé : les annonces de discours de Belfort sont très insuffisantes. Notre commission a en effet évalué nos besoins de nouveaux réacteurs à quatorze unités, alors que seulement six sont prévues.

Le développement massif de l’hydrogène issu de l’énergie nucléaire, pourtant nécessaire, n’a pour sa part pas été clairement annoncé. Pour cela, nous devons redonner à la filière des moyens financiers, bien sûr, mais aussi humains, et présenter à nos jeunes une perspective positive de leur avenir.

Par ailleurs, que dire des énergies renouvelables, si ce n’est que le Sénat vous presse d’agir ? Depuis 2020, notre commission a fait adopter quelque trente solutions de simplification dans les domaines de l’hydroélectricité, de l’hydrogène, du biogaz, de l’éolien, du photovoltaïque…

Lors de l’élaboration de ce rapport, nous avons orienté nos travaux vers les deux impensés du renouvelable : l’insuffisance du stockage des énergies renouvelables et notre dépendance minière en métaux stratégiques indispensables.

Ces aspects relèvent pour l’heure du débat d’experts, se tenant en quelque sorte à huis clos. En responsabilité, nous devons partager ce débat avec nos concitoyens et leur expliquer que, s’il faut bien sûr recycler, il est aussi important de se poser la question en France de l’extraction des métaux rares, notamment du lithium.

Nous allons devenir de gros consommateurs, et il nous faut non seulement assurer notre approvisionnement, mais aussi prendre nos responsabilités éthiques, en ne transigeant pas sur les conditions sociales et environnementales d’extraction.

Au bout du compte, les ménages comme les entreprises ont besoin d’une énergie disponible, abordable et décarbonée. C’est à la fois nécessaire pour notre vie économique et sociale et impératif au regard de nos engagements climatiques.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, en conclusion, je crois que nos échanges témoignent de deux choses.

Tout d’abord, la prise de conscience est là : débattre des vulnérabilités de notre économie n’est plus tabou. Cela nous permet de regarder en avant, ce qui constitue la première étape de la reconstruction attendue. L’impératif de souveraineté économique est désormais présent dans toutes les têtes – enfin !

Ensuite, cette politique de souveraineté n’est pas la caricature que certains veulent en faire : elle n’implique ni repli, ni contrainte, ni décroissance. Elle est porteuse d’espoir, et non source de division, et elle doit être menée à l’échelle européenne.

Que ce soit sur la question de la souveraineté industrielle, du numérique ou de l’énergie, notre assemblée peut et sait transcender les différences politiques : rédigé à six mains, voté à l’unanimité des membres de notre commission, ce rapport le démontre. Nous partageons un objectif de résilience, un projet pour refaire société et reconstruire ensemble le sens de notre nation.

Au-delà de l’exercice de ce soir, monsieur le ministre, j’émets le vœu que vous continuiez à associer pleinement le Parlement à ces débats essentiels, vous qui connaissez la vertu du travail parlementaire. Cela n’a pas été le cas pour la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP), dont le cahier des charges, annexé à la loi Pacte, était une tartufferie, ni pour la vente des Chantiers de l’Atlantique, ni pour le débat autour des traités de libre-échange, ni, plus récemment, pour les discussions sur l’avenir d’EDF.

Enfin, je remercie les équipes de la commission des affaires économiques et nos collaborateurs, qui nous ont permis de produire un rapport de cette qualité.

Monsieur le ministre, je le réaffirme devant vous : le Sénat est prêt à être une force d’engagement et de propositions pour amorcer la nécessaire reconstruction de notre souveraineté. J’espère que le Gouvernement saura se montrer à l’écoute. (Applaudissements.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport intitulé Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique.

9

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 6 octobre 2022 :

À dix heures trente :

Vingt-neuf questions orales.

À quatorze heures trente :

Débat sur les conclusions du rapport Transformer lessai de linnovation : un impératif pour réindustrialiser la France ;

Débat sur le thème : « Quelle place donner aux acteurs du médico-social dans l’organisation des soins de demain sur nos territoires ? »

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quarante.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER