M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne.
Mme Samantha Cazebonne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 16 septembre dernier, une jeune femme de 22 ans est morte alors qu’elle était aux mains de la police des mœurs iranienne pour « port de vêtements inappropriés ».
Depuis lors, les femmes et la jeunesse iraniennes se soulèvent massivement dans la rue et dans les universités pour crier une révolte légitime. En réponse, l’appareil sécuritaire iranien réprime ces manifestations avec brutalité.
Si nous sommes toutes et tous réunis aujourd’hui dans cet hémicycle, c’est parce que l’arrestation, puis la mort de Mahsa Amini et la répression des manifestations, que nous déplorons, nous choquent profondément.
D’aucuns pourraient penser que débattre de l’atteinte aux droits des femmes et aux droits de l’homme à 5 000 kilomètres de Téhéran, comme nous le faisons aujourd’hui, est inutile et vain. Je pense tout le contraire, car c’est de la liberté qu’il est question. Je veux croire que la liberté n’est jamais acquise, qu’elle ne se décrète pas, mais qu’elle s’exerce et qu’il est important d’en débattre encore ici aujourd’hui.
Si ce débat nous permet de condamner la mort de Mahsa Amini et la répression violente des manifestations qui a suivi, il est surtout l’occasion de rappeler que les combats pour la liberté et contre les violences faites aux femmes sont loin d’être gagnés.
Aussi la France doit-elle utiliser toute son influence pour promouvoir l’universalisation de la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, qui représente aujourd’hui l’instrument international le plus abouti dans cette lutte indispensable contre les violences faites aux femmes. Sans doute faut-il aussi, avec nos partenaires européens, envisager la possibilité de recourir au régime de sanctions de l’Union européenne en matière de droits de l’homme.
Par ailleurs, en tant que sénatrice des Français de l’étranger, comment ne pourrais-je pas évoquer les quelque 1 500 de nos concitoyens qui vivent aujourd’hui en Iran ? Plus de 80 % d’entre eux sont des binationaux. Or l’Iran ne reconnaît pas la double nationalité. Autrement dit, les binationaux qui y sont retenus ne peuvent pas bénéficier de l’assistance consulaire de la France. Le contexte actuel fait que cette communauté binationale, naturellement très sensible à la question des droits de l’homme et des droits des femmes, est particulièrement exposée. Elle court le risque d’une arrestation et d’une détention arbitraires et d’un jugement inéquitable. Ces derniers jours, la presse s’est d’ailleurs fait l’écho de l’annonce du ministère iranien du renseignement indiquant que neuf ressortissants étrangers auraient été arrêtés, dont au moins un Français. Je veux ici relayer la vive inquiétude de la communauté française en Iran et dire que la France doit tout mettre en œuvre pour protéger ses ressortissants.
Notre groupe condamne fermement l’arrestation et la mort de Mahsa Amini, ainsi que la répression violente des manifestations qui a lieu aujourd’hui en Iran. Nous soutenons vivement cette demande de liberté des femmes iraniennes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Arlette Carlotti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sang coule en Iran, et c’est d’abord celui des femmes ! La révolte que connaît l’Iran depuis trois semaines porte le nom de Mahsa Amini, morte le 16 septembre, après avoir été arrêtée à Téhéran parce que son voile couvrait mal ses cheveux. Elle avait 22 ans ! Son visage martyr est devenu le symbole puissant de l’iniquité et de la brutalité du régime iranien.
Nous avons la gorge serrée en regardant les images qui nous parviennent. On y voit des femmes qui arrachent leur voile pour le jeter au feu, qui se coupent les cheveux, bravent la police de mœurs et entonnent Bella Ciao. Ce chant, par nature émouvant tant il évoque le courage et l’esprit de résistance chant, devient profondément bouleversant lorsqu’il est entonné par les Iraniennes, dont les sœurs descendent dans la rue pour dénoncer l’obscurantisme du régime, au risque de perdre la vie.
En février 1979, avant même l’instauration de la République islamique d’Iran, l’ayatollah Khomeiny considérait déjà la liberté de la femme comme le principal obstacle à son projet politique. En uniformisant les femmes en rendant obligatoire le port du voile, en leur faisant porter un manteau et en leur imposant un code couleur, on a voulu réprimer leur identité, les transformer en l’ombre d’elles-mêmes, les priver de leur statut social et les reléguer aux confins de la vie publique.
Depuis l’élection de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, au mois de juin 2021, c’est-à-dire depuis que l’aile la plus dure du régime a mis la main sur le système, la situation des femmes s’est encore plus dégradée.
Pendant toutes ces années, d’horribles crimes ont été commis contre les femmes : le vitriol pour refus de mariage, la décapitation pour soupçon de flirt, la lapidation pour délit d’adultère… La femme a été sacrifiée au nom de l’honneur de l’homme, de la famille, de la société, de l’État. Mais les femmes n’ont jamais baissé les bras ! Aujourd’hui, elles sont aux avant-postes du soulèvement, car elles ne supportent plus ce voile qui les entrave. Au fil des jours, la révolte féministe a pris une autre dimension, celle de la contestation du régime théocratique.
Le soulèvement a d’abord touché les étudiants, qui sont toujours les plus prompts à réagir, avant de gagner toutes les catégories sociales, toutes les villes et toutes les provinces. Aujourd’hui, les protestataires descendent dans les rues en criant : « Mort au dictateur ! »
Pour cette raison, je pense moi aussi que le mouvement est assez différent de ce qui s’est passé en 2017 et en 2019. Désormais, le renversement du régime des mollahs est réclamé et son système corrompu est dénoncé, alors que 50 % à 80 % de la population, selon les territoires, virent en dessous du seuil de pauvreté.
Les femmes sont opprimées en Iran, mais tout le monde l’est également. Les avocats sont emprisonnés, les manifestations d’enseignants sont réprimées, la liberté d’association est entravée et la liberté de la presse n’existe pas !
Le rapporteur spécial de l’ONU, qui a dénoncé la situation des minorités, se dit alarmé par le nombre d’exécutions arbitraires, en particulier de Baloutches et de Kurdes. La République islamique, qui a pourtant hérité d’un empire pluriethnique, s’est employée à réprimer toutes les revendications régionales. Elle défend un centralisme autoritaire, hostile aux minorités, et développe la violence d’État contre toute forme d’opposition. Dans les prisons iraniennes se côtoient toutes les composantes de la société civile : militants politiques, syndicalistes, enseignants, cinéastes et journalistes… Depuis l’arrivée au pouvoir de Raïssi, c’est l’escalade : les arrestations arbitraires sont encore plus nombreuses. La population, excédée par les privations de toutes sortes, aspire à plus de liberté.
Le régime sait qu’une nouvelle épreuve l’attend tôt ou tard : la succession du Guide suprême, qui est actuellement un octogénaire à la santé chancelante, mais qui trouve tout de même suffisamment d’énergie pour condamner la communauté internationale et l’accuser d’ingérence ! Dans ce contexte, il est peu enclin à discuter. La police répond par la violence ; elle recourt, semble-t-il, aux armes létales et tue à chaque manifestation.
Je ne sais pas ce que va devenir ce mouvement de révolte, s’il va porter la révolution, tant les leaders de toutes les oppositions ont été emprisonnés, tués, poussés à l’exil. Mais je sais assurément que ces femmes font preuve d’un incroyable courage et que nous, responsables politiques, devons être à leur hauteur. Nous avons été un peu lâches durant ces quarante-trois ans d’oppression.
La France et l’Union européenne doivent parler plus fort, madame la ministre, pour dénoncer cette répression sanglante. Où en est votre proposition de geler les avoirs et d’interdire de voyages les responsables de la répression ? Ces mesures seront-elles mises en œuvre, alors que le régime se sert des négociations sur le nucléaire iranien pour obtenir le silence de la communauté internationale ?
La France doit rester dans son rôle, c’est-à-dire défendre ceux qui se battent pour la liberté ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis trois semaines, le cri de colère et d’espoir « Femmes, vie, liberté ! » retentit dans les rues iraniennes. Je salue avec émotion ce cri de dignité et d’humanité au nom de tout le groupe CRCE. Nous devons soutenir de toutes nos forces cet appel à la liberté.
Le 16 septembre dernier, Mahsa Amini a été odieusement assassinée par la police des mœurs, cet instrument d’oppression du régime des mollahs. Elle est devenue le symbole de la révolte populaire. Son crime ? Avoir « mal porté » le foulard, symbole de la soumission imposée aux femmes par le pouvoir théocratique à la tête de la République islamique d’Iran.
Depuis 1979, les femmes iraniennes n’ont cessé d’être exposées aux violences sexistes et patriarcales, à celles d’un régime politique et religieux obscurantiste qui a fait de la soumission des femmes un instrument de domination de la société tout entière. La situation s’est encore aggravée depuis l’arrivée au pouvoir de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi au mois de juin 2021. Certains médias iraniens ont récemment révélé l’intention du régime de recourir à l’intelligence artificielle pour identifier les femmes qui ne porteraient pas le voile ou ne le porteraient pas correctement.
Les sévices et les humiliations frappent toute la société iranienne. Ils s’exercent violemment contre les femmes, mais également contre de larges fractions du peuple, contre la population kurde, la jeunesse et toutes les forces du mouvement ouvrier, au profit exclusif des cercles dirigeants du pouvoir et des oligarchies prédatrices qui les soutiennent.
La répression des femmes qui jettent avec courage leur foulard, qui les brûlent et qui se coupent les cheveux, mais aussi de la jeunesse et de tous ceux qui se joignent au mouvement est féroce. On dénombre des dizaines de morts et des milliers d’arrestations arbitraires.
Ce soulèvement des femmes iraniennes est un signe de courage et d’espoir pour les femmes qui luttent dans le monde entier contre les oppressions sexistes et patriarcales, qu’elles soient ou non religieuses : pour les femmes kurdes en lutte dans tous les pays de la région, notamment dans la Turquie voisine ; pour les femmes en Afghanistan, en Arabie saoudite ou dans les pays du Golfe ; pour les femmes victimes du viol utilisé comme une arme de guerre sur toute la planète ; pour les femmes victimes des réseaux mondiaux de prostitution, mis à nu dans le remarquable rapport du Sénat sur ce sujet ; pour les femmes du monde en lutte contre toutes les violences sexistes et contre les attaques qui s’amplifient contre le droit à l’IVG, notamment en Europe et aux États-Unis.
Oui, la lutte des femmes en Iran est partie prenante de ce mouvement mondial pour libérer toute l’humanité des dominations sexistes et patriarcales. Nous la soutenons pleinement.
Les femmes en Iran ne secouent pas seulement leurs voiles. Elles secouent également le régime répressif, théocratique et obscurantiste qui étouffe la civilisation de ce grand pays de 84 millions d’habitants.
Depuis dix ans, l’Iran est traversé par des mouvements de contestation des politiques sociales du régime, que ce soit en 2009, en 2017, en 2018 ou 2019. Aujourd’hui, d’autres secteurs de la société rejoignent le mouvement des femmes pour dénoncer la dictature politique.
Le peuple iranien ne veut plus de ce carcan dictatorial. L’Iran connaît de profondes mutations. Son peuple, urbanisé et sécularisé, n’a cessé d’élever son niveau d’éducation, en particulier celui des femmes alors que ses structures politiques se sont fossilisées. La paix du monde a besoin que l’Iran retrouve la voie de la démocratie et de la justice sociale.
Force est de le constater, la mise au ban de l’Iran par les États-Unis, à la suite de leur retrait unilatéral en 2018 de l’accord sur le nucléaire iranien, et les sanctions américaines ont nourri, et non combattu, la radicalisation répressive du régime, qui se déchaîne aujourd’hui contre les femmes. Tout le peuple paie cher une terrible crise économique, à laquelle s’ajoute le lourd tribut du covid-19 : un jeune sur quatre est au chômage et la moitié de la population a plongé dans la pauvreté.
Madame la ministre, la solidarité avec les femmes d’Iran, nous devons l’inscrire aussi bien dans la lutte mondiale pour l’émancipation des femmes contre tous les obscurantismes que dans celle pour un nouvel ordre mondial juste, dans lequel le peuple d’Iran puisse trouver la voie d’un développement démocratique, solidaire et en paix avec ses voisins. La France doit agir clairement en ce sens.
Comme le dit le proverbe iranien : « Quand la corde de l’injustice grossit outre mesure, elle se déchire ». Puissent toutes ces injustices se déchirer. Le plus tôt sera le mieux.
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon.
M. Laurent Lafon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mort de Mahsa Amini, quelques jours après son arrestation pour « port de vêtements inappropriés », est l’élément déclencheur d’un mouvement plus global de contestation du régime en place. Son nom est devenu un symbole de ralliement pour tout le peuple iranien désireux de vivre dans un État de droit.
Depuis la révolution de 1979, ces femmes et ces hommes subissent les pressions d’un pouvoir autoritaire et répressif. Comme l’ont rappelé ma collègue Annick Billon et de nombreux orateurs, l’instauration de leur constitution les a privés d’une grande partie de leurs droits les plus absolus et fondamentaux.
Cette mainmise des autorités sur leurs droits est renforcée par le recours à la censure. L’accès aux médias et aux réseaux sociaux est très restreint. Cet été, le Parlement a précipité la préparation d’une proposition de loi pour ériger en infraction la production et la diffusion d’outils permettant de contourner la censure.
Ainsi, des milliers de personnes ont été interrogées, poursuivies ou détenues, et des centaines d’autres sont emprisonnées simplement pour avoir exprimé leurs convictions. Parmi eux, des journalistes, des artistes, des avocats ou des enseignants, comme la chercheuse franco-iranienne Farina Adelkhah, condamnée à cinq ans de prison pour atteinte à la sécurité nationale, ou le chercheur suédo-iranien Ahmadreza Djalali, condamné à mort.
La violence est admise et systématique, et la peine de mort est devenue un instrument de répression des dissidents et des minorités.
Aujourd’hui, les contestations provoquées par la mort de Mahsa Amini ne cessent de prendre de l’ampleur. Les universités sont devenues le théâtre de violents affrontements. Enseignants et étudiants y sont particulièrement exposés. Des vidéos témoignent de la violence des répressions et des arrestations alors que les étudiants scandaient : « Les étudiants préfèrent la mort à l’humiliation. »
La répression est menée jusqu’au cœur de la prestigieuse université Sharif, à Téhéran. Selon des témoins cités par le site d’informations indépendant IranWire, dimanche dernier, des étudiants ont été battus ; d’autres ont essuyé des tirs lors de l’intrusion des forces de police, qui ont bouclé le bâtiment, armées de lanceurs de paintballs, de gaz lacrymogènes et de fusils à pompe. Plusieurs jeunes seraient blessés.
Si une partie des étudiants ont alors pu quitter l’université, d’autres sont restés bloqués à l’intérieur. Des témoins attestent avoir vu des arrestations de plusieurs dizaines d’étudiants et professeurs. Des vidéos qui circulent montrent des jeunes, cagoule noire sur la tête, embarqués dans des fourgons de police.
Étudiants et professeurs de nombreux pays ont exprimé leur colère à la suite de ces événements inqualifiables et exigent la libération de leurs camarades détenus par la police. Notre inquiétude est grande pour toutes celles et tous ceux qui manifestent et se soulèvent aujourd’hui en Iran.
L’organisation non gouvernementale Iran Human Rights fait état d’un bilan particulièrement lourd et évoque plus de 90 morts, tandis que le ministère des renseignements iranien revendique l’arrestation de neuf ressortissants de pays européens, dont la France, pour leur rôle dans les manifestations.
L’avocate iranienne et prix Nobel de la paix Shirin Ebadi a récemment soutenu qu’il revient aux pays occidentaux de réduire leurs contacts avec l’Iran parce qu’un « pouvoir qui est aussi sourd aux demandes de son peuple doit être totalement boycotté d’un point de vue politique ». À l’unanimité, les différents groupes politiques du Sénat vous le demandent également aujourd’hui, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Mme Vivette Lopez applaudit.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, deux semaines après la mort de la jeune Mahsa Amini en Iran, des femmes courageuses, avec l’appui de certains hommes, poursuivent leur révolution au péril de leur vie.
Mais, alors que nous saluons à juste titre le courage de ces Iraniennes, je profite de ce temps de parole pour vous dire à quel point je regrette que nous ne parlions pas davantage des femmes arméniennes, actuellement torturées, démembrées, violées, tuées et filmées par les Azéris, fiers de leur forfait. Je pense en particulier à Anush Apetyan, et à toutes les autres.
Cette barbarie se déroule dans l’indifférence générale. Or il ne peut pas y avoir de hiérarchie de l’horreur. Le sang des Arméniens coule comme celui des Ukrainiens ou des Iraniens. Ne les abandonnons pas ! (Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit.)
La France d’Emmanuel Macron veut servir d’exemple en matière de respect des droits des femmes. Mais qu’en est-il ?
Alors que l’Union européenne et le Conseil de l’Europe enchaînent les campagnes de communication pro-voile – avec le slogan La liberté dans le hijab ou des photos de petites filles voilées ! –, le Gouvernement ne proteste pas. Doit-on voir dans ces campagnes la marque de la Turquie d’Erdogan, toujours membre du Conseil de l’Europe, ou d’organisations islamistes, comme les Frères musulmans, qui tentent depuis des années d’imposer des programmes de recherche, d’agir sur nos institutions ?
Comment accepter ce détournement de fonds publics des institutions démocratiques et leur utilisation pour normaliser non pas une liberté religieuse, mais un enfermement dans le sexe, une négation de la personne, un interdit de liberté, un interdit d’égalité, un interdit de fraternité ? (Mme Esther Benbassa s’exclame.)
L’Europe, si prompte à remettre en question les valeurs, ne peut pas être le cheval de Troie de l’islam politique. Pourtant, vous pratiquez toujours la politique du « en même temps » ! Vous nous dites agir, mais aucune sanction n’a jamais été envisagée contre l’Union européenne ou le Conseil de l’Europe ni contre des associations, voire des organismes publics, qui font en France la promotion du voile en posant avec des femmes voilées.
Aucune enquête n’a jamais été réalisée pour savoir d’où viennent ces promotions indignes. Pire encore, depuis que les Iraniennes se révoltent, nous entendons de nouveau dans notre pays cette petite musique sur la liberté de ne pas porter le voile, sur celle de le porter.
À l’heure où les femmes iraniennes bravent l’interdit, certains dans notre pays devraient méditer l’exemple de ces militantes de la liberté. Comme si le voile n’était en France qu’un vêtement, un embellissement ou une liberté…
Si Mahsa Amini a été tuée, ce n’est pas pour un simple bout de tissu. Accepter cette prétendue mode, c’est conforter le communautarisme dans notre pays. C’est choisir le camp des oppresseurs. C’est choisir le camp des islamistes. C’est abandonner les femmes d’Iran, d’Afghanistan et d’Arabie, qui sont obligées de se voiler, mais aussi celles d’Algérie, de Tunisie, de Syrie ou d’ailleurs, qui cèdent à la pression sociale, comme celles de nos quartiers !
Ne nous leurrons pas, la bataille du voile est l’expression la plus visible de la volonté des intégristes de marquer leur territoire et de soumettre les femmes comme les hommes. Cette forme de purification vestimentaire en est le marqueur !
Aujourd’hui, nous voyons dans notre pays non pas des zones de non-droit, mais des zones « d’un autre droit », où l’islamisme s’affiche en uniforme et organise un véritable contrôle social.
D’ailleurs, pendant que des Iraniennes héroïques arrachent leur voile pour sentir le vent dans leurs cheveux, des adolescents revêtent des tenues islamistes dans nos écoles. Pourtant, le ministre de l’éducation nationale préfère déplorer à l’étranger l’absence en France « de débats nuancés » sur « les questions ethno-raciales » et découvre ce que nous dénonçons depuis des années : l’école n’est malheureusement plus le sanctuaire de notre République. Elle devient le théâtre de revendications communautaires et, pire encore, des menaces islamistes. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Comment ne pas penser à Samuel Paty ? L’école construit ; l’islamisme détruit.
Comme l’a dit Vincent Trémolet de Villers : « Hier, c’était là qu’on faisait des Français ; aujourd’hui, c’est à l’école que la France se défait. »
Votre faiblesse et votre inaction inquiètent les Français. Mener la bataille contre le voile islamiste, c’est mener une bataille pour l’humanité et pour la liberté. Car en enlevant aux femmes leur identité, leur visage, on leur enlève leur humanité.
Et pourtant, vous vous êtes toujours opposés aux propositions que nous avons formulées. Je pense notamment à celles que nous avons faites dans le cadre de la loi confortant le respect des principes de la République, dite loi Séparatisme. Vous nous avez alors accusés d’avoir déposé des « amendements textiles » ! Quel mépris !
M. Xavier Iacovelli. Et sur l’Iran ?
Mme Valérie Boyer. Je pense à l’interdiction du voile pour les accompagnatrices scolaires et les mineures ou encore à celle du burkini.
Il est de notre responsabilité de dire haut et fort que nous ne pouvons pas accepter que, en France comme ailleurs, une petite fille porte ce signe d’infériorisation. Car c’est de cela qu’il s’agit ! Nous le devons aux Français. Nous le devons à nos jeunes filles. Nous le devons à celles et ceux qui risquent leur vie pour la liberté. Nous le devons aussi à celles et ceux qui se réfugient en France pour cette liberté. Nous le devons à toutes ces femmes à travers le monde qui risquent leur vie avec courage en refusant de porter le voile.
« Femmes, vie, liberté ! » C’est un beau slogan, en France comme ailleurs. Comme l’a dit Périclès : « Il n’est point de bonheur sans liberté ni de liberté sans courage. » Alors aujourd’hui, faisons preuve de courage et de cohérence : soutenons les femmes iraniennes, mais refusons aussi les marques d’infériorisation dans notre pays ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Voilà quarante-trois ans que les Iraniennes et les Iraniens, qui avaient fait tomber la dictature du Shah, vivent sous une autre dictature ; quarante-trois ans que les mollahs ont confisqués les révoltes populaires et les aspirations démocratiques de 1978 et 1979 ; quarante-trois ans que nous accueillons nos amis féministes, démocrates, syndicalistes, kurdes, homosexuels ; quarante-trois ans que nous lisons leurs livres, que nous voyons leurs films et que nous faisons ce que nous pouvons pour que l’on ne s’habitue pas à la répression, aux pendaisons, aux décapitations et aux persécutions ; quarante-trois ans que la République islamique d’Iran impose à son pays et au monde sa haine des femmes et des juifs.
Alors aujourd’hui, nous pleurons d’émotion. Nous tremblons de peur. Chaque matin, nous regardons les vidéos que, au péril de leur vie, des Iraniennes et des Iraniens ont tournées pendant les manifestations, dans les universités, dans les collèges, dans les rues.
C’est une révolution féministe qui a émergé aujourd’hui en Iran : une révolution féministe qui entraîne une insurrection générationnelle et qui recueille le soutien d’une grande partie de la population.
Les femmes, qui sont l’obsession des islamistes partout, sont aussi leurs premières menaces, parce que leur combat est universel, parce que ce sont elles qui sont le ferment de la rébellion. En fait, les Iraniennes ne s’y trompent pas : personne n’est libre dans un pays où les femmes ne le sont pas.
Beaucoup de nos collègues avant moi ont eu des mots très beaux, très forts, pour dire leur solidarité avec le peuple iranien, pour dire leur crainte du lendemain, leur crainte d’apprendre que ces jeunes gens que l’on connaît pour les avoir vus dans des vidéos ont disparu et que leur corps a été rendu à leur famille. Tout le monde tremble, sachant que la répression sauvage peut s’abattre sur tout un chacun.
Je dirai toutefois en toute courtoisie à certains de nos collègues – je peux me le permettre, car personne ne m’a jamais prise en défaut lorsqu’il s’est agi de qualifier le voile islamique, l’abaya, le hijab, tous ces oripeaux, pour ce qu’ils sont : les outils d’un projet religieux et politique, qui tous portent en eux l’oppression et la domination des femmes – que nous ne devons pas aujourd’hui poursuivre nos discussions franco-françaises, voire franco-européennes, en saisissant le prétexte de la révolte en Iran. Nous aurons l’occasion de poursuivre ces discussions, ne vous inquiétez pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Pierre Laurent et d’autres ont cité les femmes d’Afghanistan. Valérie Boyer a évoqué les femmes d’Arménie. En fait, le problème se pose à peu près partout sur cette planète.
Je veux dire également que les fous de Dieu ne sont pas tous islamistes. Il y a des fous de Dieu à la Cour suprême aux États-Unis, où ils privent les femmes de leur droit d’avorter. Il y en a dans les favelas de Rio, où ils drainent les voix des classes populaires en faveur d’un fasciste, Bolsonaro, qui menace non seulement son peuple, mais toute la planète… Combattre des fous de Dieu, c’est notre responsabilité, partout, sans choisir les dieux ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Saury.
M. Hugues Saury. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Malala Yousafzai avait 15 ans lorsque des talibans lui ont tiré une balle dans la tête alors qu’elle se rendait à l’école. Amina Ali avait 17 ans lorsque des mercenaires de Boko Haram l’ont enlevée, avec 219 autres jeunes filles, alors qu’elle était au lycée. Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs, avait 22 ans lorsqu’elle est morte dans les geôles iraniennes alors qu’elle avait laissé s’échapper quelques mèches de cheveux de son voile. Toutes avaient en commun de vouloir vivre libres dans des États où le pouvoir religieux, militaire ou politique le leur interdisait parce qu’elles étaient des femmes.
La mort de Mahsa Amini nous bouleverse comme elle a bouleversé son pays. Elle a suscité une vague de courage admirable chez des femmes et des hommes que tout menace. À ce jour, plus de soixante personnes ont donné leur vie après que Mahsa a perdu la sienne, et ils sont des milliers à la risquer dans les rues en Iran, au nom de la plus haute idée qu’ils se font de la dignité humaine.
Dans notre pays, où les allégories de la liberté prennent si souvent les traits de femmes, le cri des Iraniennes résonne avec un écho particulier. En Occident, nous savons combien le chemin vers la liberté est ardu, long et exigeant, jamais garanti, bien qu’il habite notre philosophie depuis des siècles. Nous savons également ce que la lutte pour les droits des femmes suppose de cette même exigence.
S’il veut honorer cette promesse faite au monde, cette assurance qu’il se battra toujours pour que chacun, quel qu’il soit, puisse vivre sans crainte pour son existence et que jamais une femme ne meure du simple fait d’être femme, l’Occident se doit profondément d’être cohérent face à un État qui a fait de l’oppression des femmes un marqueur de sa politique. Il y va de ce que nous sommes.
L’histoire récente de l’Iran nous montre que rien n’est acquis. Il nous incombe d’œuvrer pour que de telles menaces ne prennent jamais racine sur notre territoire. La radicalité, qu’elle soit religieuse ou politique, n’a sa place ni dans les principes qui nous fondent, ni dans les traités qui nous régissent, ni dans les lois que nous élaborons. Nous devons aux femmes iraniennes de ne pas laisser se répandre chez nous ce qu’elles veulent tant voir disparaître chez elles.
Madame la ministre, le radicalisme politique et religieux qui s’attaque aux droits de l’homme en Iran s’embarrasse peu des frontières. Nous savons bien qu’il pèse aussi, à moindre degré, en Europe et dans notre pays. On ne peut pas indéfiniment chérir les causes dont on déplore les conséquences.
Le temps mis pour expulser Hassan Iquioussen, l’augmentation du nombre de signalements d’atteintes à la laïcité à l’école, que le ministre Pap Ndiaye confirmait la semaine dernière, ou encore la campagne de communication du Conseil de l’Europe La liberté dans le hijab ne sont que quelques exemples d’un entrisme inquiétant opéré parfois avec le concours passif de l’État. (Mme Valérie Boyer applaudit.)
Madame la ministre, cet événement tragique interroge notre cohérence. La condamnation unanime que nous portons contre un tel acte ne suffit pas. Il revient à votre gouvernement de défendre les principes qui nous fondent et qui nous portent. Vous engagez-vous à propager la voix des Iraniennes, les valeurs de liberté et d’égalité dans les instances nationales, européennes et internationales, en luttant notamment pour que les principes radicaux qui régissent aujourd’hui des systèmes étatiques oppressifs comme l’Iran tendent à disparaître ?
Vous engagez-vous, partout où notre pays s’investit, à œuvrer pour qu’aucune forme de soutien, ni économique, ni moral, ni politique, ne soit offerte aux partisans de telles idéologies ? Vous engagez-vous à envoyer un signal clair à Malala Yousafzai, à Amina Ali, à Mahsa Amini, celui que jamais nous ne tendrons la main, de quelque façon que ce soit, à ce qui a voulu les détruire ?
Le courage des Iraniens et des Iraniennes appelle aujourd’hui le nôtre. (Applaudissements.)
Conclusion du débat