compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Victoire Jasmin,
Mme Marie Mercier.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat (projet n° 817, texte de la commission n° 828, rapport n° 827, avis nos 825, 826 et 822).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le président, madame la rapporteure, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous retrouver ce matin pour vous présenter avec Olivier Dussopt les principales mesures de ce paquet pouvoir d’achat, qui comporte un projet de loi et un projet de loi de finances rectificative.
Son objectif – je n’aurai de cesse de le rappeler au Sénat, comme je l’ai fait à l’Assemblée nationale – est de protéger nos compatriotes face à l’augmentation des prix sans équivalent depuis plusieurs années qui les touche dans leur vie quotidienne. Augmentation du prix des carburants, de l’alimentation… la vie chère est une souffrance et un profond facteur d’inquiétude pour des millions de nos compatriotes.
Nous avons déjà apporté des réponses depuis plusieurs mois sur l’électricité et le gaz. Je pense au plafonnement des prix de l’électricité, au gel des prix du gaz ou au bouclier énergétique, qui a permis de contenir l’inflation, dont je rappelle que le taux en France est, à l’heure où je vous parle, le plus faible de tous les pays de la zone euro. Toutefois, face au pic inflationniste, nous devons adopter de nouvelles mesures pour continuer de protéger nos compatriotes. Elles doivent obéir à une vision politique ; il ne s’agit pas de les prendre au petit bonheur la chance.
Nous estimons en premier lieu que la valorisation du travail et la reconnaissance de tous ceux qui travaillent restent la meilleure réponse au problème du pouvoir d’achat. Je sais que ce point est aussi important pour de nombreux groupes de cette assemblée.
Nous continuerons donc à valoriser le travail, avec le triplement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA) – nous vous proposons de la porter à 6 000 euros –, le soutien à l’intéressement et à la participation, dispositifs qui devront être soutenus massivement dans les mois à venir, la baisse des cotisations sociales pour les indépendants, la revalorisation de 4 % de la prime d’activité et la hausse de 3,5 % du point d’indice des fonctionnaires.
Outre les dispositions que je viens d’énumérer, nous avons enrichi le texte d’un certain nombre d’apports proposés par des députés issus de groupes autres que le groupe majoritaire. Je pense à la monétisation des RTT, qui me paraît très positive, ou au relèvement du plafond des heures supplémentaires, qui est passé de 5 000 euros à 7 500 euros. Je sais que certains parmi vous veulent graver ces deux mesures dans le marbre : cela me semble judicieux.
Il y a également des propositions sur la désocialisation des heures supplémentaires, au-delà de la défiscalisation. Nous devons avoir une discussion constructive sur le sujet en faisant très attention à cibler le dispositif sur les petites et moyennes entreprises. Nous devrions pouvoir avancer ensemble.
Dans ce paquet pouvoir d’achat, nous avons également décidé de maintenir le bouclier énergétique. Alors que les prix du gaz et de l’électricité n’ont jamais été aussi élevés, il nous paraît essentiel, avec le Président de la République et la Première ministre, Élisabeth Borne, de maintenir le gel du prix du gaz et le plafonnement de l’augmentation du prix de l’électricité à 4 % jusqu’à la fin de l’année 2022. Je veux le redire ici, aucun rattrapage ne sera effectué en 2023 sur la facture des consommateurs.
Nous avons par ailleurs trouvé un compromis à l’Assemblée nationale sur le fioul. Des députés d’autres groupes que le nôtre ont insisté sur la nécessité de mieux prendre en compte le coût supporté par les Français qui doivent actuellement remplir leur cuve alors que les prix ont fortement augmenté. Nous avons adopté une aide de 230 millions d’euros pour tous nos compatriotes qui utilisent ce combustible pour se chauffer, tout en prenant aussi des mesures pour accélérer la transition et permettre à chacun de changer sa chaudière. Mais, comme un appareil ne peut pas se changer en deux semaines, nous avons accepté cette aide destinée à tous nos compatriotes qui se chauffent au fioul. Elle est chiffrée à 230 millions d’euros. Ainsi que je l’ai indiqué, nous lèverons le gage lors des débats au Sénat, car nous voulons répondre aux situations d’urgence.
Je souhaite également évoquer l’aide que nous avons proposée pour le carburant. Nous avons tout d’abord mis en place une remise de 18 centimes d’euros par litre. Puis, nous avons suggéré de lui substituer une aide plus ciblée pour les salariés, l’indemnité compensatrice pour les travailleurs.
Certains groupes politiques à l’Assemblée nationale, notamment le groupe Les Républicains, ont estimé qu’une mesure plus simple et plus massive serait préférable. Nous avons donc trouvé un compromis, en portant la remise de 18 centimes à 30 centimes d’euro par litre à compter du 1er septembre. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE.)
M. Fabien Gay. Cela a dû être difficile ! (Sourires sur les mêmes travées.)
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons opté pour une remise de 30 centimes d’euro par litre au 1er septembre, 30 centimes en octobre, 10 centimes en novembre et 10 centimes en décembre. Cette aide, je le rappelle, sera complétée par les remises faites par les distributeurs et les pétroliers, notamment les 20 centimes d’euro par litre proposés par Total à partir du 1er septembre.
Certes, nous négocions, nous discutons… Mais, au bout du compte, la seule chose qui intéresse vraiment nos compatriotes, c’est le prix du litre d’essence ou de diesel à la rentrée. Or, en cumulant toutes les mesures, nous pourrons alors avoir un litre à 1,50 euro environ. Tous nos débats sont très constructifs et utiles. Mais, in fine, ce qui compte, c’est la vie de nos compatriotes. Or elle sera améliorée par cette mesure ! (M. Roger Karoutchi acquiesce.)
Je le dis donc avec beaucoup de clarté, je souhaite que nous puissions préserver ce compromis et que nous ne rouvrions pas le débat. Nos compatriotes ont entendu que le litre d’essence pouvait être à 1,50 euro à la rentrée. Revenir sur ce point causerait plus de difficultés qu’autre chose.
Enfin, je rappelle que les parlementaires ont été sensibles à la situation des petites stations-service rurales et de leurs clients. Ils ont proposé 15 millions d’euros pour les accompagner et les aider à se transformer. Je souhaite également que cette bonne mesure soit maintenue.
Je le sais, certains groupes au Sénat jugent nos mesures insuffisantes et souhaiteraient en plus une taxation des superprofits. (Oui ! sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) Je veux redire mon opposition à toute nouvelle taxe dans notre pays, pour des raisons très profondes. (Exclamations sur les mêmes travées.) En France, dès qu’une entreprise réussit, le réflexe pavlovien consiste à vouloir immédiatement la taxer. (Mêmes mouvements.) Pourtant, dans un pays où le niveau des prélèvements obligatoires est le plus élevé de tous les pays développés,…
Mme Cathy Apourceau-Poly. La France est aussi championne d’Europe des dividendes !
M. Bruno Le Maire, ministre. … la bonne voie n’est pas l’augmentation des impôts, des taxes ou des prélèvements obligatoires ; la bonne voie, c’est la réduction des impôts, des taxes ou des prélèvements obligatoires ! (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) Une taxe n’est pas une réponse à la situation économique de notre pays. Par ailleurs, taxer les entreprises nationales n’est pas la meilleure manière de renforcer notre économie, notre capacité à créer de la richesse et des emplois. (Mêmes mouvements.)
Ceux qui réclament aujourd’hui des taxes sur les entreprises réalisant des bénéfices ne s’alarmaient pas hier quand ces mêmes entreprises connaissaient des difficultés économiques, accumulaient des pertes et avaient du mal à investir. (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est de la provocation !
M. Bruno Le Maire, ministre. J’estime donc que nous devons tenir notre ligne, qui est aussi l’une des lignes directrices de la majorité : baisser les impôts, et ne pas considérer les taxes comme la solution aux difficultés des Français. Vous pouvez vous faire plaisir en réclamant des taxes, mesdames, messieurs les sénateurs. Je préfère faire plaisir à nos compatriotes en obtenant des remises qui vont directement dans leurs poches, plutôt que dans celles du Trésor public ! Cela restera ma philosophie et ma ligne de conduite. (Vives protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Nous proposons enfin la suppression de la contribution à l’audiovisuel public. C’est toute la différence avec vous : nous maintenons notre ligne de baisse des taxes et des impôts, et nous rendons par cette mesure 138 euros de pouvoir d’achat à chaque ménage.
Enfin, j’imagine que l’un des sujets de discussion importants dans cet hémicycle portera sur la réponse à apporter aux inquiétudes des collectivités locales. Nous avons retenu la proposition de la députée socialiste Christine Pires Beaune. C’est d’ailleurs la preuve que nous avons trouvé des compromis avec tous les groupes politiques de l’Assemblée nationale ! (Marques d’ironie sur les travées des groupes SER et CRCE.) Vous pouvez ironiser, mais, comme le disait quelqu’un que vous êtes nombreux à admirer dans cette assemblée, les faits sont têtus ! Oui, nous avons retenu l’amendement de Mme Christine Pires Beaune, qui prévoit 180 millions d’euros de dispositifs ciblés pour les quelque 6 000 communes en difficulté faisant face à la hausse du prix de l’énergie et du point d’indice, et 120 millions d’euros pour compenser la hausse du revenu de solidarité active (RSA) pour les départements !
Olivier Dussopt, Gabriel Attal et moi-même sommes particulièrement attentifs à la situation des collectivités locales ; je veux le dire devant cette assemblée. Toute la difficulté – nous la connaissons – consiste à établir un diagnostic aussi précis que possible de la situation des différentes collectivités. Je vous demande pardon de le dire avec autant de franchise, mais il n’est pas mauvais non plus de tenir compte de la bonne ou de la mauvaise gestion de ces dernières. Il me paraît essentiel de soutenir celles qui ont des difficultés malgré une bonne gestion. Mais les communes qui se sont distinguées par une bonne gestion ne doivent pas payer pour les autres. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Les textes que nous vous présentons proposent également des crédits pour reprendre à 100 % le contrôle de notre service public de l’énergie. EDF est un outil industriel fondamental pour l’approvisionnement énergétique et la souveraineté de notre pays. Mais l’entreprise fait face à des défis de modernisation importants : augmentation de la demande d’électricité, impératif de produire une énergie décarbonée, nécessité absolue de relancer le programme nucléaire ; le Président de la République a proposé à Belfort la construction de six nouveaux réacteurs EPR. Pour cela, nous avons besoin d’une unité de commandement totale sur EDF. Tel est l’objectif de cette nationalisation, que nous vous demandons d’approuver, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je rappelle enfin que le paquet pouvoir d’achat prévoit d’ouvrir 12 milliards d’euros de crédits pour faire face à l’augmentation de la charge de la dette. En effet, 10 % de la dette française est indexée sur l’inflation, dont deux tiers sur le niveau moyen d’inflation de la zone euro, celui-ci étant plus élevé que le nôtre.
Je le redis donc avec beaucoup de gravité : chaque euro compte, et le rétablissement des finances publiques françaises n’est pas négociable.
Le Président de la République s’est d’ailleurs engagé, en fixant un calendrier : 3 % de déficit en 2027, amorce de la diminution de la dette publique à partir de 2025. Je suis le garant du respect de l’engagement de retour à l’équilibre de nos finances publiques.
M. Jérôme Bascher. Et que se passe-t-il si cela ne marche pas ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous devrons donc veiller au cours des débats à ce que chaque euro soit bien employé.
Lors des discussions à l’Assemblée nationale, le combat fut rude pour les députés de la majorité, pour ceux qui refusaient la dérive de nos comptes publics et pour les ministres au banc du Gouvernement. Nous avons réussi à maintenir le cap. Nous sommes entrés avec 20 milliards d’euros de propositions d’aides pour nos compatriotes. Nous avons discuté des dizaines d’amendements, représentant des dizaines de milliards d’euros de dépenses additionnelles, dépenses qui nous sont apparues – je le dis – irresponsables au regard de l’état de nos finances publiques. Nous sortons de l’Assemblée nationale avec un texte qui engage précisément 350 millions d’euros de dépenses supplémentaires. Cela me paraît responsable et raisonnable.
Pour fixer dès à présent le cap des débats au Sénat, je souhaiterais que le volume des dépenses supplémentaires votées ici soit comparable, de l’ordre de 350 millions d’euros, soit au total un paquet pouvoir d’achat de 20,7 milliards d’euros. Cela nous permettrait de contenir le déficit public à 5 % en 2022.
En matière de finances publiques, il me semble essentiel d’avoir des lignes claires et des objectifs chiffrés. La majorité, le Président de la République, la Première ministre et moi-même souhaitons tenir ce cap des 5 % de déficit public en 2022. Cela doit nous conduire à limiter les dépenses supplémentaires votées par le Parlement pour le paquet pouvoir d’achat à 700 millions d’euros.
Il est fondamental que nous ayons un débat serein et approfondi – c’est toujours le cas dans cet hémicycle, ce dont je vous remercie – sur les grandes lignes politiques du projet de loi : l’énergie, la valorisation du travail et la protection des collectivités locales face à l’inflation. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, nous entamons le débat portant sur ce que nous appelons le paquet pouvoir d’achat, composé d’un premier texte, le présent projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, et d’un second, le projet de loi de finances rectificative (PLFR), que Bruno Le Maire et Gabriel Attal défendront devant vous.
Ces deux textes comportent un grand nombre de dispositions. Ils ont évidemment un lien entre eux, mais – je le précise d’emblée – ils ne couvrent pas l’intégralité des mesures que nous prenons en matière de pouvoir d’achat, certaines relevant du domaine réglementaire. Par exemple, le Gouvernement n’a pas besoin de solliciter du Parlement une autorisation législative particulière pour la revalorisation du point d’indice de la fonction publique ou pour l’aide de solidarité exceptionnelle versée aux foyers fiscaux bénéficiaires de minima sociaux à la rentrée.
Les textes que nous vous présentons ont vocation, d’une part, à mettre en place de nouveaux outils en matière de pouvoir d’achat, de partage de la valeur, de revalorisation des revenus du travail, d’énergie ou de logement – d’autres collègues viendront ultérieurement défendre des textes sur ces sujets devant vous –, et, d’autre part, à prévoir les crédits et les dispositions fiscales nécessaires à la mise en œuvre de ces mesures ; ce sera l’objet du PLFR. Bien entendu, il faudra veiller à la cohérence d’ensemble du dispositif pour que les différentes mesures soient les plus efficaces possible.
Votre assemblée examine donc ce matin le premier texte, qui comporte différentes mesures de protection du pouvoir d’achat des Français. Certains items sont spécifiquement orientés autour du partage de la valeur et des revenus du travail.
Le texte issu de l’Assemblée nationale a été enrichi durant son examen en commission. Je tiens avant tout à saluer la qualité de ces travaux, en précisant d’emblée que nous ne proposerons pas de revenir sur la plupart des modifications apportées en commission ; celles-ci améliorent très nettement le texte qui vous a été transmis. Je pense aux apports introduits à l’article 2 quant aux exonérations de cotisations pour les travailleurs indépendants, aux dispositions en matière de déblocage des parts d’épargne salariale ou encore à celles qui permettent de clarifier le cumul emploi-retraite pour certains de nos concitoyens occupant des fonctions d’élu local.
Mais je voudrais aussi, à l’occasion de cette intervention liminaire, évoquer les trois points de divergence ou de débat qui subsistent encore entre le Gouvernement, l’Assemblée nationale et votre commission ; ils concernent les six premiers articles du texte.
Le premier concerne la pérennité de la prime de partage de la valeur pour les entreprises de plus de cinquante salariés, telle que votre commission l’envisage à l’article 1er. Vous le savez, le Président de la République s’est engagé à tripler le plafond de la prime de pouvoir d’achat. Les entreprises pourront donc verser une prime de 3 000 euros par an et par salarié, exonérée de cotisations sociales, voire de 6 000 euros en cas de signature d’un accord d’intéressement. Cette mesure exceptionnelle de pouvoir d’achat, que nous reconduisons pour la troisième année consécutive, concerne les salariés percevant moins de trois fois le SMIC, et ce jusqu’à la fin de l’année 2023.
Nous avons aussi souhaité, en particulier après l’avis du Conseil d’État, créer un nouveau dispositif, pérenne celui-là, de partage de la valeur pour toutes les entreprises et tous les salariés, sans plafond de rémunération, assujetti au régime fiscal et social de l’intéressement. La commission des affaires sociales a fait le choix de le maintenir jusqu’au 31 décembre 2023 et d’en réserver ensuite le bénéfice aux seules entreprises de moins de cinquante salariés. Comme j’ai eu l’occasion de l’indiquer à Mme la rapporteure lors d’une séance de préparation du texte, le Gouvernement proposera le rétablissement de la pérennité du dispositif. Nous aurons donc très vite l’occasion d’en débattre.
Nous partageons également l’essentiel des aménagements apportés par la commission des affaires sociales à la baisse des cotisations sociales pour les travailleurs indépendants, prévue à l’article 2. Cette baisse pérenne se traduira par un gain pouvant aller jusqu’à 550 euros pour les artisans-commerçants et les professionnels libéraux rémunérés à hauteur du SMIC.
Par ailleurs, compte tenu des amendements qui ont été adoptés, les micro-entrepreneurs bénéficieront d’un dispositif adapté à leurs spécificités leur permettant de profiter également de cette diminution de cotisations. Elle sera d’un montant différent de celui qui est prévu par le texte pour les travailleurs indépendants, les modalités de calcul des cotisations des micro-entrepreneurs étant spécifiques. J’aurai l’occasion d’apporter quelques précisions lors du débat. Mais j’indique d’emblée que cette exonération de cotisations sera intégralement compensée à la sécurité sociale par l’État, comme j’ai eu l’occasion de le dire devant l’Assemblée nationale.
L’article 3 du projet de loi vise à faciliter le recours à l’intéressement, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. Notre objectif est de lever un maximum de blocages identifiés comme étant des freins au développement et au déploiement des accords d’intéressement.
Nous accueillons très favorablement l’ajout de la commission, qui prévoit de réduire à quatre mois la durée maximale de la procédure d’agrément des accords de branches relatifs au dispositif de partage de la valeur. J’aurai toutefois l’occasion de vous proposer un amendement visant non pas à modifier l’économie générale du texte adopté par la commission, mais à préserver les seuls délais d’opposition à la main des partenaires sociaux. Je relaie bien évidemment ici une demande de ces derniers, qui sont attachés au maintien des délais d’opposition. Pour le reste, les dispositions adoptées par la commission des affaires sociales nous paraissent relever d’une véritable simplification.
Le deuxième point de divergence concerne l’article 4, que la commission des affaires sociales a fait le choix de supprimer. Je proposerai de le réintégrer. Il concerne la restructuration des branches professionnelles disposant de minima conventionnels durablement inférieurs au niveau du SMIC. Une telle mesure me paraît utile. Si l’action combinée des partenaires sociaux et de l’État a heureusement permis de résorber le nombre de branches pouvant être immédiatement concernées, un tel outil me semble efficace pour empêcher à l’avenir que des branches ne restent durablement bloquées avec des minima conventionnels inférieurs au SMIC.
Par ailleurs, sur ce même article 4, l’Assemblée nationale a adopté une proposition permettant de réduire à quarante-cinq jours le délai imparti à la branche pour ouvrir des négociations, au lieu de quatre-vingt-dix jours actuellement. Nous considérons que cet ajout est également utile.
La commission a validé la proposition du Gouvernement d’avancer les revalorisations des pensions de retraite et des prestations sociales prévues au 1er janvier et 1er avril prochains. La revalorisation, qui sera de 4 %, vient s’ajouter à celle de 1,1 %, qui est intervenue le 1er janvier dernier, et celle de 1,8 %, qui est intervenue le 1er avril dernier.
Je le précise devant vous, toutes les prestations, y compris la prime d’activité, seront concernées ; Bruno Le Maire l’a rappelé. Nous avons en effet souhaité la revaloriser au même rythme que l’ensemble des minima sociaux, de manière à préserver l’écart entre les revenus du travail au niveau du SMIC et les minima sociaux.
Je ne reviens pas sur l’article 15, qui prévoit les modalités de réembauche de salariés dans le cadre de la réouverture provisoire de la centrale à charbon de Saint-Avold. Je précise néanmoins que cette réouverture est temporaire, qu’elle dépend des conséquences de la guerre en Ukraine et que la réembauche des salariés concernés s’effectuera uniquement sur la base du volontariat.
Enfin, nous avons une troisième divergence, sur laquelle le Sénat, le Gouvernement et l’Assemblée nationale peuvent, me semble-t-il, travailler. La commission des affaires sociales a adopté un dispositif d’exonération forfaitaire de cotisations patronales sur les heures supplémentaires, dont le coût, pour une déduction forfaitaire de 50 centimes par heure supplémentaire, s’élèverait à 300 millions d’euros, donc à 1,5 milliard d’euros si la déduction s’élevait à 1,50 euro.
À nos yeux, il s’agit d’un dispositif non pas véritablement de pouvoir d’achat, mais plutôt de compétitivité. Il peut éventuellement se révéler utile s’il est ciblé sur les petites entreprises, comme le ministre de l’économie et des finances vient de l’indiquer. Le projet de loi de finances rectificative adopté par l’Assemblée nationale prévoit d’ores et déjà le relèvement du plafond des heures supplémentaires exonérées de 5 000 euros à 7 500 euros.
Afin que le débat en matière d’exonération de cotisations sur les heures supplémentaires puisse prospérer, je vous proposerai de supprimer l’article additionnel adopté par la commission des affaires sociales. La discussion pourra ainsi avoir lieu avant le début de l’examen du projet de loi de finances rectificative sur ce point, et nous pourrons conserver à l’ensemble de ces textes une cohérence, les dispositions relatives aux heures supplémentaires étant d’ores et déjà intégrées dans le collectif budgétaire.
Je rappelle que le texte prévoit aussi une méthode et un calendrier de déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Je connais l’investissement de votre assemblée sur le sujet ; je pense notamment au rôle très actif du sénateur Philippe Mouiller. Nous aurons l’occasion d’en débattre ; j’en suis convaincu. Le Gouvernement a pris l’engagement de ne pas dépasser le 1er octobre 2023 pour l’entrée en vigueur de la mesure. À chaque fois que nous pourrons gagner du temps, nous le ferons.
Je forme le vœu que nos échanges permettent d’améliorer encore le texte sur l’ensemble de ces sujets, afin de préparer dans les meilleures conditions la navette, en espérant qu’elle soit la plus productive possible, que le projet de loi soit rapidement adopté et que les mesures puissent être mises en œuvre au bénéfice des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Frédérique Puissat, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en 2022, le taux d’inflation devrait atteindre au moins 5,5 %, un niveau que la France n’avait pas enregistré depuis 1985. Nous avions collectivement fini par oublier les conséquences d’une forte inflation. Mais elles se rappellent brutalement aux Français, qui voient grimper en flèche le coût de la vie dans tous les territoires.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a justement pour objet d’apporter une partie de la réponse des pouvoirs publics à une très forte demande sociale, parallèlement au collectif budgétaire qui est examiné par la commission des finances. Nous connaissons les attentes légitimes de nos concitoyens à cet égard.
Or, loin d’y répondre, nombre d’articles du projet de loi transmis au Sénat la semaine dernière formaient un ensemble hétéroclite, ne présentant qu’un lien ténu avec l’enjeu de préservation du pouvoir d’achat des ménages.
Notre commission a souhaité modifier le texte en partant d’un principe simple : apporter une réponse immédiate et concrète aux difficultés de nos concitoyens face à l’inflation, tout en privilégiant à cette fin la valorisation du travail.
Ainsi, nous avons revu l’article 1er pour faire en sorte que la prime que vous proposez d’instaurer, messieurs les ministres, permette aux employeurs de soutenir de manière tangible leurs salariés sans se substituer à d’autres éléments de rémunération. Nous avons rebaptisé celle-ci « prime de pouvoir d’achat ». Nous l’avons bornée dans le temps, au 31 décembre 2023, sauf pour les entreprises de moins de cinquante salariés, et, tout en permettant aux employeurs de fractionner le versement dans l’année, nous avons limité à quatre le nombre de versements.
Cette même approche nous a conduits à introduire un article 1er bis, qui prévoit une réduction de cotisations sociales patronales sur la majoration de salaire au titre des heures supplémentaires. Car, pour que les salariés qui le souhaitent puissent récolter les fruits de leur travail, il faut que leur employeur soit en mesure de les payer.
Dans un esprit de responsabilité pour nos finances publiques, l’article laisse au Gouvernement le soin de fixer par décret le montant de la réduction.
L’allégement des cotisations sociales des indépendants, prévu à l’article 2, s’inscrit lui aussi dans une logique de soutien au pouvoir d’achat des travailleurs, pour un gain de l’ordre de 550 euros par an au niveau du SMIC.
La commission a tenu à mieux encadrer le dispositif, à en corriger les imperfections et à en garantir la pérennité, sans oublier le cas spécifique des micro-entrepreneurs, qu’a abordé M. le ministre.
Je regrette toutefois l’effet de seuil lié à la forte augmentation du taux de cotisation prévu par le Gouvernement, entre 17 000 euros et 25 000 euros de revenus. Ce n’est pas a priori de nature à inciter au travail.
Du reste, les travailleurs indépendants ne percevront les frais d’une telle mesure qu’à compter du début de l’année 2023. Cette échéance est bien lointaine au regard de l’urgence de la situation.
L’article 5 prévoit une revalorisation de 4 % des prestations sociales au 1er juillet. Je le rappelle, il ne s’agit que d’une avance sur la revalorisation prévue par la loi au 1er janvier ou au 1er avril 2023. Ainsi, un soutien non négligeable sera apporté notamment à nos aînés, dont le pouvoir d’achat s’est particulièrement érodé au cours des dernières années, du fait des différentes mesures de sous-indexation des pensions mises en œuvre par le Gouvernement. Bien que cette revalorisation ne suffise pas, tant s’en faut, à compenser la dégradation du niveau de vie des retraités depuis 2017, elle n’en est pas moins bienvenue.
J’aimerais évoquer les autres prestations concernées. Il est permis de s’interroger – je pense que nous aurons l’occasion de le faire – sur l’uniformité de la revalorisation proposée, compte tenu de l’objectif de valorisation du travail affiché par le texte.
La commission a par ailleurs adopté, à l’article 3, quelques ajustements bienvenus au régime de l’intéressement en entreprise. Ceux-ci visent à faciliter son développement, même si l’effet ne sera – vous l’avez concédé lors de notre entretien, monsieur le ministre – que très indirect sur le pouvoir d’achat des salariés.
Dans le prolongement des mesures de simplification proposées, nous avons prévu également de raccourcir les délais d’agrément des accords de branche sur l’intéressement et la participation. Ceux-ci doivent être rapidement applicables, afin que les petites entreprises les utilisent pour développer l’intéressement.
Nous avons introduit dans le texte une mesure de déblocage exceptionnel de l’épargne salariale, qui apportera un soutien immédiat aux salariés dont les revenus sont insuffisants face à la hausse des prix. Ils pourront demander jusqu’au 31 décembre 2022 le déblocage des sommes placées sur un plan d’épargne entreprise, dans la limite de 10 000 euros pour l’achat de biens ou la fourniture de services.
Le projet de loi apporte en revanche une réponse peu convaincante à la problématique des bas salaires. Au 1er août prochain, le SMIC connaîtra sa quatrième revalorisation en un an, sous l’effet de l’inflation.
Dans ce contexte – j’insiste sur ce terme –, de nombreuses branches professionnelles présentent des grilles de minima salariaux dont les plus bas échelons sont dépassés par le SMIC. Afin d’éviter un tassement des rémunérations au niveau du SMIC, l’article 4 entend inciter les partenaires sociaux à se saisir de la question par le biais du processus de restructuration des branches professionnelles. Il introduit une confusion entre un chantier structurel, qui doit engager toutes les parties prenantes, et les réponses conjoncturelles qu’appelle la protection du pouvoir d’achat des Français.
La commission a considéré que les partenaires sociaux d’une branche éprouvant des difficultés structurelles à négocier sur les salaires ne seront probablement pas sensibles à la menace d’une hypothétique fusion.
De surcroît, un tel mécanisme, qui concernerait seulement des situations marginales – je serais tentée de dire « extrêmement marginales » –, jette l’opprobre sur les branches, qui, dans l’ensemble, assument leurs responsabilités dans la situation particulière actuelle.
La commission a donc supprimé cet article. Elle a en revanche proposé, dans un nouvel article 4 bis, une accélération des délais pour l’entrée en vigueur et l’extension des accords portant exclusivement sur les salaires lorsque plusieurs revalorisations du SMIC interviennent dans l’année.
Ce projet de loi sert par ailleurs de véhicule à plusieurs dispositions visant à remédier à certaines situations inéquitables. L’article 5 bis, inséré en séance publique à l’Assemblée nationale, vient clore le long débat sur la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), dans lequel le Sénat a été précurseur, en particulier grâce à l’action de notre collègue Philippe Mouiller et à celle d’autres sénateurs.
Le revirement du Gouvernement, dont nous nous félicitons, rend possible la mise en œuvre de cette réforme au plus tard le 1er octobre 2023. Cette date semble un peu lointaine, mais elle peut se justifier par la complexité technique de l’opération ; nous aurons l’occasion d’y revenir.
Un mécanisme transitoire protège les perdants de la réforme, en leur permettant de bénéficier de l’AAH sous sa forme actuelle, jusqu’à l’expiration de leurs droits à l’allocation si cette modalité leur est plus favorable. Nous attendons encore des garanties du Gouvernement. Nous proposerons un certain nombre d’amendements sur les modalités d’application du mécanisme.
En outre, nous avons souhaité donner une base légale à l’instruction ministérielle permettant aux retraités exerçant un mandat électoral local de constituer des droits à pension de retraite en contrepartie des cotisations qu’ils versent. Les élus concernés pourront ainsi bénéficier en toute légalité des prestations sans devoir liquider leurs droits auprès de l’institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (Ircantec).
Enfin, la commission a approuvé l’article 15, qui permet l’embauche de salariés pour la réouverture temporaire de centrales à charbon. Le cadre dérogatoire au droit du travail ainsi prévu permet de répondre à une situation inédite pour notre souveraineté énergétique tout en assurant une protection satisfaisante des salariés et de l’employeur concernés. Toutefois, humainement, cette réouverture doit nous interroger sur ce que ces décisions contradictoires du Gouvernement ont fait vivre à ces territoires, ainsi qu’aux hommes et aux femmes concernés.
Messieurs les ministres, vous l’aurez compris, notre commission s’est saisie de ce texte de manière à la fois critique et constructive.
J’espère que nos débats permettront de l’enrichir et que la suite de la navette nous permettra surtout de nous montrer à la hauteur des attentes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)