M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, concomitante de l’élection présidentielle et des élections législatives, la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) avait tout pour échouer : beaucoup avaient pris soin de le faire remarquer, au point d’en demander le report. Au terme de l’exercice, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, juge le résultat « exceptionnel ». Les chancelleries et l’ensemble de la presse sont du même avis.
M. André Gattolin. Tout à fait !
M. Claude Malhuret. Même si le dénigrement systématique de l’action politique est dans l’air du temps, il n’y a aucune raison de ne pas le dire clairement : la PFUE s’achève par un succès.
Nos diplomates, qu’il faut saluer, et notre gouvernement ont imprimé un rythme effréné à Bruxelles, capitale des compromis, des équilibres et des décisions chronophages. Même si quelques rares dossiers manquent à l’appel, plusieurs accords majeurs en ont forgé le bilan positif.
Les priorités étaient claires : climat, numérique et social.
La directive sur les salaires minimums a pu voir le jour. Avec elle, le cœur de cible de ces urgences a été atteint.
Pour ce qui concerne le climat, la France a su composer et, dans les tout derniers jours, trouver à l’arraché des terrains d’entente pour réduire collectivement nos émissions de gaz à effet de serre.
À ce titre, la vision de mon groupe est celle d’une écologie libérale, de progrès et d’innovations. Le travail relatif à la sobriété énergétique et les réponses industrielles associées seront des atouts importants de demain. Je salue particulièrement les avancées sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), exemple de l’alliance entre le développement économique et les ambitions climatiques.
Enfin, au sujet du numérique, j’approuve ce qu’a très justement déclaré le commissaire Thierry Breton : « Tout ce qui est interdit offline doit l’être online. » Mme la ministre l’a rappelé au commencement de ce débat : la régulation des grandes plateformes numériques est capitale, non seulement pour nos entreprises, mais surtout pour nos citoyens.
Les réseaux antisociaux sont un Far West où se développent complotisme et haine de l’autre. C’est un écosystème de fake news qui abîme nos démocraties et met les jeunes et les moins jeunes à la merci du cyberharcèlement.
La régulation des contenus avec le Digital Services Act (DSA) et l’encadrement des pratiques commerciales avec le Digital Markets Act (DMA) sont les meilleurs moyens de maîtriser notre espace européen. Je forme le vœu que ces textes soient applicables dès la fin de l’année et que l’on continue sans relâche à travailler sur ces sujets.
La performance des six derniers mois est d’autant plus appréciable que cette présidence a été percutée de plein fouet, le 24 février dernier, par la guerre en Ukraine. L’idée de réorienter les priorités ayant été à juste titre écartée, tout a dû être mené de front.
La sale guerre de Poutine a donc été la toile de fond des deux tiers de la présidence française. Elle aurait pu faire voler l’Union européenne en éclats : elle n’a fait, paradoxalement, que la renforcer.
Poutine voulait diviser l’Europe : il la cimente ; ridiculiser l’OTAN : il la retrempe ; humilier les États-Unis : il ressuscite Biden après le revers de Kaboul ; rallier à lui les régimes autoritaires : la Chine s’inquiète, la Turquie montre les dents et le Kazakhstan refuse l’envoi de ses soldats. Il pensait prendre l’Ukraine en trois jours : il est embourbé pour longtemps.
Le principal succès français – il faut y associer la présidente de la Commission – a été, dans des circonstances difficiles, avec certains partenaires à la limite du chantage, de parvenir à maintenir l’unité des Vingt-Sept, de décider de sanctions communes, de réunir une aide militaire et humanitaire efficace à l’Ukraine et, enfin, de renforcer la cohésion avec les États-Unis et l’ensemble des démocraties.
La prochaine étape sera plus difficile. Poutine le sait : il l’attend et l’espère. Elle consiste à relever le défi du long terme, quand la guerre va peu à peu affecter l’économie et renchérir l’inflation et le coût de la vie en augmentant les dépenses d’énergie.
Le défi sera de tenir face aux opinions publiques quand une mauvaise petite musique, bien sûr renforcée par tous les trolls, les bots et les trash media de la cinquième colonne des Le Pen, des Zemmour et des Mélenchon, viendra susurrer que la guerre coûte trop cher, que tout n’est pas noir ou blanc et que, après tout, cette guerre n’est pas la nôtre, alors que bien sûr elle l’est. (M. André Gattolin opine.) Seuls les naïfs ou les agents de désinformation peuvent croire le contraire.
Poutine vient enfin de l’avouer, lors de la célébration du 350e anniversaire de Pierre le Grand : la guerre en Ukraine n’a rien à voir avec la supposée menace occidentale que dénoncent depuis des années ses affidés. Il apporte lui-même la réponse claire et définitive à tous les idiots utiles qui répètent depuis des mois que la Russie n’a fait que répondre aux menaces de l’Europe et de l’OTAN : « L’Ukraine fait partie de la propre histoire, de la culture et de l’espace spirituel de la Russie. » Après Pierre le Grand, « c’est maintenant notre tour de reprendre et de renforcer ce qui appartient à la Russie ».
La guerre en Ukraine n’est rien d’autre qu’une tentative d’annexion ethno-nationaliste, comme en témoigne, depuis deux jours, la délivrance de passeports russes aux Ukrainiens. Le fauteur de cette guerre vient lui-même de l’annoncer. Le masque est tombé.
La guerre vient, enfin, apporter de l’eau au moulin du Président de la République qui, depuis cinq ans, n’a cessé de prêcher, jusqu’alors dans le désert, pour l’Europe puissance.
C’est, là encore, l’un des plus grands échecs de Poutine : avoir ouvert les yeux à des centaines de millions d’Européens qui croyaient que la guerre était une relique et qu’ils étaient parvenus à la paix perpétuelle de Kant, alors qu’ils n’étaient qu’en train de préparer leur sortie de l’histoire.
L’Europe a engagé son réarmement et a adopté sans ciller la boussole stratégique proposée par Emmanuel Macron. Espérons que cette leçon sera retenue plus longtemps que toutes celles qui disparaissent au gré d’une actualité qui ne fait plus qu’exacerber les émotions et s’évanouir la mémoire.
Reste que l’Union européenne devra se garder de céder à la tentation d’un gaullisme du pauvre. Une telle doctrine, qui n’a rien à voir avec le gaullisme, conduirait à prêcher la médiation, voire l’équidistance entre Amérique et Russie, et demain entre Amérique et Chine, sans comprendre qu’il y a d’un côté le camp de la démocratie et de l’autre celui des dictatures.
Cette nouvelle guerre froide avec, à terme, un adversaire chinois beaucoup plus puissant et inquiétant que ne l’était l’Union soviétique sera, à l’instar du climat, une menace majeure pour les générations à venir.
Contrairement à ce que prétendent les tyrannophiles d’extrême droite et d’extrême gauche, ce ne sont pas les démocraties qui en sont à l’origine, mais les dictatures et les systèmes totalitaires, qui portent en eux la guerre comme la nuée porte l’orage.
Prétendre échapper à ce cadre géostratégique ou y occuper une position de neutralité, telle une sorte de grande Suisse qui fut trop longtemps la tentation des Européens, serait une erreur, même le jour lointain où nous nous serons enfin réarmés. Aujourd’hui, ce choix trahirait tout bonnement une incompréhension totale des rapports de force.
La boussole stratégique est bienvenue ; cela étant, elle ne se conçoit que dans une alliance toujours plus étroite avec les démocraties extra-européennes (Mme la ministre acquiesce.) et avec un rôle toujours aussi fondamental de l’OTAN.
La réussite de la présidence française du Conseil de l’Union européenne ne lève pas tous les doutes. Bien sûr, l’avenir de l’Union est problématique. Les nouveaux clivages politiques se dessinent désormais entre pro-européens et populistes. L’avenir de l’Europe reste fragile, car cette dernière continue de vivre sous un régime perpétuel de crises.
Les blocages institutionnels persistent ; nous avons dû faire face à un Brexit qui nous hante, même après le départ du Prime Minister du Get Brexit done ; nous vivons avec la guerre à nos portes et une crise sanitaire qui n’est pas terminée. Nos prises de décisions sont de plus en plus compliquées, nos valeurs sont menacées de l’extérieur et, hélas, de l’intérieur. La Conférence sur l’avenir de l’Europe n’a pas connu l’élan escompté, et, pour l’heure, la refondation des traités européens semble bien compliquée.
Toutefois, je suis certain que le désir d’Europe sera plus fort que tout, comme l’espérait dans son essai Europa Valéry Giscard d’Estaing, lorsqu’il nous demandait de réussir à réaliser le rêve européen ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. André Gattolin, Christian Bilhac et Yves Bouloux applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Cadec. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Cadec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon analyse différera un peu de celle de M. Malhuret, ce qui ne vous surprendra pas.
Le fait que la France occupe la présidence tournante et semestrielle du Conseil de l’Union européenne est un événement d’autant plus notable qu’il est peu fréquent. On se souvient que la dernière présidence française remonte à 2008, et que nous étions alors déjà dans un contexte de crise.
Rappelons au passage que la présidence du Conseil de l’Union européenne coïncidait à l’époque avec celle du Conseil européen. Elle réunissait les chefs d’État et de gouvernement, ce qui conférait à Nicolas Sarkozy, pendant le semestre concerné, la qualité de président de cette institution.
Tel n’est plus le cas depuis le traité de Lisbonne.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Alain Cadec. Le Conseil européen dispose désormais d’une présidence permanente, actuellement assurée par le Belge Charles Michel. Aussi, ce n’est que par abus de langage ou par facilité journalistique que l’on a souvent présenté Emmanuel Macron comme « président du Conseil européen », voire, sans craindre l’emphase, comme « président de l’Europe ».
M. Roger Karoutchi. Eh bien quoi ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Cadec. Il importe également de rappeler la nature véritable de la présidence du Conseil de l’Union européenne.
Cette fonction confie essentiellement aux ministres concernés un rôle d’animation, de modération et, le cas échéant, de bons offices, pour dégager des consensus ou des majorités et fixer la position du Conseil en vue de négociations avec le Parlement qui, dans la plupart des matières, est colégislateur. Ce rôle est certes important, mais il n’est pas décisionnel.
Le document de synthèse du bilan de la présidence française, que j’ai consulté pour préparer ce débat, me semble quelque peu faire fi de ces réalités institutionnelles. J’y vois même une part de forfanterie et d’exagération. Il présente en effet les décisions prises par le Conseil européen, notamment en réaction à l’agression de l’Ukraine, comme liées à cette présidence, voire orchestrées par celle-ci. Or, comme je viens de l’expliquer, il n’en est rien.
Par ailleurs, il met au crédit de la France l’ensemble des avancées législatives accomplies au premier semestre de cette année avec une liste impressionnante de cases cochées – « fait », « fait », « fait »… –, comme autant de missions accomplies. Or la liste ne comporte aucun dossier traité de bout en bout par cette présidence. Certains accords ont pu être menés à terme sur la base d’un travail au Conseil bien engagé sous la présidence précédente. D’autres ne sont pas encore conclus et, à leur sujet, les négociations interinstitutionnelles se poursuivent aujourd’hui sous présidence tchèque.
Nos représentants au Conseil, appuyés par d’excellents fonctionnaires à Paris et au sein de la représentation permanente à Bruxelles, ont certes fait du très bon travail et obtenu de véritables succès. Je salue particulièrement l’adoption des règlements DSA et DMA en matière numérique, celle de l’instrument de réciprocité sur les marchés publics et d’importantes avancées en vue de l’adoption d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.
Toutefois, je ne puis m’empêcher de relever certains raccourcis audacieux, pour ne pas parler de contre-vérités. Je n’en mentionnerai que deux.
Non, madame la ministre, la France n’est pas parvenue à « favoriser la mise en place de normes de production identiques pour les produits fabriqués dans l’Union européenne et pour les produits importés ». Le fameux concept de « clauses miroirs », concocté à Paris pour l’occasion, est considéré par la plupart des experts comme bancal et contestable du point de vue de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
M. Roger Karoutchi. Oh ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Cadec. Il n’a reçu de nos partenaires européens qu’un accueil poli, pour ne pas dire froid ; et, dans un récent rapport, la Commission européenne invite à ne pas former de trop grandes attentes quant à sa mise en œuvre concrète.
Non, madame la ministre, la politique commerciale n’a pas été réorientée sous l’impulsion de la France, « afin notamment de renforcer les exigences environnementales et sociales dans les accords commerciaux ».
La volonté de procéder à un tel renforcement est affichée par la Commission européenne depuis des années. Le rapport, longtemps attendu, qu’elle vient de publier sur ce sujet va encore dans ce sens. Sa lecture attentive révèle néanmoins que des sanctions commerciales pour non-respect de ces exigences par nos partenaires ne pourront être envisagées qu’en tout dernier ressort, à des conditions très difficiles à réunir et au terme de procédures lourdes et complexes.
De plus, ces procédures ne concerneront que les accords commerciaux futurs et non ceux qui ont déjà été conclus ou sont en attente de conclusion – je pense en particulier au Mercosur. Les progrès réels sont donc très limités.
De manière plus générale, la question des accords commerciaux pose problème.
Tout le monde en convient, la France est parvenue, sous sa présidence, à bloquer la conclusion de certains accords : dont acte. Mais, au fil des mois, il est devenu clair que la Commission, sa direction générale du commerce et le groupe des États membres les plus libre-échangistes de l’Union européenne attendaient simplement leur heure.
L’annonce de la conclusion d’un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande est dramatique pour notre agriculture. Elle a été faite en grande pompe par la présidente de la Commission européenne et la Première ministre de Nouvelle-Zélande le 1er juillet dernier, c’est-à-dire dès le lendemain de la fin de la présidence française !
Pis, la nouvelle présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne a inscrit la relance de l’agenda européen de négociations commerciales en tête de ses priorités pour le semestre.
Au titre de la concurrence économique internationale, la présidence française n’aura pas non plus été à même de lever tous les blocages sur la taxation minimale des multinationales ou de convaincre la Hongrie de se joindre au consensus européen. Nous en sommes donc littéralement réduits à espérer que le gouvernement américain, qui entend dénoncer la convention fiscale le liant à Budapest, soit plus efficace sur ce sujet que la présidence française.
Ces constats illustrent, à mon sens, tout ce que les pouvoirs découlant d’une telle présidence peuvent avoir de relatif.
Les autocongratulations dédiées aux succès de la présidence française ne sauraient nous faire oublier que l’Europe, si elle semble désormais avoir davantage conscience d’elle-même, de ses intérêts et de la réalité du monde, se trouve à la croisée des chemins.
Je le répète, la France a sans doute fait du bon travail. Elle n’a pas à rougir de son bilan. Toutefois, un peu de modestie aurait sans doute été plus raisonnable dans la présentation des résultats obtenus. Il est vrai que l’humilité n’est pas la qualité première du Président de la République… (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ces six mois de présidence française du Conseil de l’Union européenne ont été lourdement marqués par un tragique imprévu.
La guerre russe contre l’Ukraine n’est pas seulement l’attaque contre un pays souverain, contre un peuple courageux qui défend ses droits, sa liberté et sa démocratie. C’est aussi le plus grand défi lancé à la sécurité commune en Europe depuis mai 1945 ; c’est une attaque délibérée contre les principes et le mécanisme de coopération et de sécurité en Europe.
La réponse solidaire et déterminée de l’Union européenne a pu surprendre ceux qui misaient sur son inertie et sa mollesse. Concrètement, elle se traduit à la fois par des sanctions et par une aide militaire, financière et humanitaire.
Madame la ministre, cet imprévu tragique a sans doute contribué à renforcer l’esprit de consensus qui marque le bilan du semestre écoulé.
Tant avec le Conseil qu’avec le Parlement européen, de nombreuses avancées ont bel et bien été enregistrées. Pour autant, il ne faudrait pas que ce débat d’évaluation sans vote, auquel le Gouvernement invite les deux chambres, au titre de l’article 50-1 de la Constitution, gomme les aspérités problématiques, les blocages, voire les régressions et les sujets sur lesquels on peine encore à discerner de franches orientations européennes.
Tout d’abord, je déplore les insatisfactions provoquées par certaines absences notables de ministres français. Nous savions que l’articulation de notre calendrier électoral national et de l’agenda de la présidence française pourrait poser problème. De fait, lors de certains débats thématiques du Parlement européen concernant directement la PFUE, la place de plusieurs ministres français est restée vide. Or il était question de sujets majeurs, comme l’État de droit !
Cette absence a produit un effet regrettable, à l’heure où les gouvernements hongrois ou polonais tentent de profiter de la forte tension internationale pour que s’émousse notre vigilance sur la pratique de l’État de droit. Le Président de la République considère pourtant cet héritage comme un « trésor », fondé sur « nos valeurs d’Européens, qui font notre unité, notre fierté et notre force »…
En revanche, avec l’accord sur le paquet Climat, notre pays a incontestablement joué, peu avant de passer la main, un rôle positif pour faire avancer les dispositifs correspondant au rehaussement de l’ambition climatique européenne.
Cela étant, les objectifs 2030 de progression des renouvelables ou de l’efficacité énergétique ne sont pas encore assez nettement dans la trajectoire de 1,5 degré Celsius fixée par les accords de Paris.
Surtout, au-delà de l’affichage d’objectifs, le plus compliqué reste devant nous. Il s’agit de faire bifurquer en conséquence les politiques publiques, par exemple par la fin des subventions aux fossiles et la suppression des quotas gratuits des grands émetteurs industriels, qui ne saurait traîner indéfiniment.
Il faut aussi que les territoires – le Sénat le demande à chaque occasion – aient les moyens de décliner efficacement ces politiques climatiques. Je pense tout particulièrement aux enjeux d’adaptation.
Je souligne à quel point les élus de mon groupe déplorent que la France n’ait pas appuyé la proposition du Parlement européen pour que les ménages soient exclus du marché carbone des transports routiers et du chauffage des bâtiments, et à quel point ils s’inquiètent du rétrécissement du fonds social pour le climat.
Nous savons l’importance décisive des dispositifs d’accompagnement et de réduction des inégalités sociales et territoriales face à ces transitions. La gestion difficile des conséquences énergétiques de la guerre en Ukraine, avec le renchérissement des coûts, pourrait être l’occasion de hâter l’indispensable fin de notre dépendance aux énergies fossiles. Il s’agit là d’une perspective claire ; mais telle n’est pas l’orientation qui se dégage des décisions européennes.
Pour faire face à la hausse des prix de l’énergie, sans doute aurait-il fallu reprendre cette proposition de la Commission européenne : taxer les superprofits des multinationales de l’énergie.
La fin des voitures thermiques neuves, à présent programmée pour 2035, nous oblige à déployer enfin massivement les stratégies industrielles d’innovation, de reconversion et de formation. Ce sont les seules à même d’éviter le désastre social et économique qui nous attend si nous n’anticipons pas, si nous n’entendons que ceux qui s’obstinent à maintenir le plus longtemps possible un modèle industriel périmé.
À mon sens, c’est le même état d’esprit dépassé qui a, hélas, permis aux tenants du gaz fossile et du nucléaire d’obtenir un vote très politique, et si peu scientifique, pour labelliser « durables » ces énergies dans le référentiel pour la finance verte. De ce fait, la fameuse taxonomie va perdre une bonne part de sa crédibilité.
Si le Pacte vert et les ambitions européennes pour le climat et la biodiversité ont besoin du levier de la finance, ils ont également besoin du levier décisif des pratiques agricoles.
Or la présidence française n’a guère fait preuve de volontarisme pour l’actionner, bien au contraire : notre gouvernement s’évertue encore et toujours à obtenir une déclinaison nationale « à la carte » de la politique agricole commune (PAC). Dans le contexte du drame ukrainien, il pèse pour que soient rabotées les ambitions environnementales de la stratégie européenne pour l’agriculture.
Chers collègues de majorité sénatoriale, nos discussions viennent de le prouver une fois de plus, cette question fait débat au sein de notre assemblée. En la matière, votre résolution européenne va dans le sens du Gouvernement ; mais, pour les élus de mon groupe, vous faites fausse route.
Pour ce qui concerne l’accord commercial avec la Nouvelle-Zélande, je tiens à opérer une autre mise au point : non, nous n’en sommes pas encore à la nouvelle génération d’accords annoncée, celle des accords commerciaux vertueux. Pour les normes environnementales, le compte n’y est pas.
Certes, la directive sur les salaires minimums a bien été gérée dans les temps, et ce cadre commun permettra de lutter un peu mieux contre le dumping social. En revanche, les membres de mon groupe déplorent le rôle joué par la France pour ce qui concerne le statut des travailleurs des plateformes.
L’actualité toute récente – je pense à l’enquête menée par le journal Le Monde et ses partenaires – met au jour la nécessité d’une loi de séparation des lobbies et de l’État. Pour la reconnaissance du salariat des Uber et autres Deliveroo, pour l’inversion de la charge de la preuve, la France pèse-t-elle vraiment du bon côté en Europe ? Non. Pour reprendre l’expression de notre collègue Olivier Jacquin, elle freine plutôt des deux pieds.
Pour achever ce tableau des six mois de présidence française, j’insisterai sur trois enjeux déterminants face auxquels l’action de notre gouvernement n’a manifestement pas permis de progresser.
Tout d’abord, je pense à l’enjeu budgétaire. Beaucoup le savent, il serait contre-productif de revenir aux règles budgétaires que Romano Prodi qualifiait de « stupides » et que les années de covid ont achevé de disqualifier. Qui envisagerait sérieusement de mener les investissements de la décarbonation et de l’adaptation dans le carcan du pacte de stabilité ? Le Président de la République envisageait une réforme significative de ces fameux critères : où en est-elle ?
Ensuite, je pense à l’enjeu des ressources propres. Nous savons que l’emprunt commun de la relance s’appuie sur une série de ressources propres à mettre en place. Plus que d’autres États membres, La France avait sans doute la carrure pour faire avancer concrètement ce chantier. L’Union européenne aurait ainsi pu être la première à entériner le projet de taxe sur les multinationales résultant de l’accord de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
L’échec face au blocage hongrois vient, hélas, renforcer l’impression que l’on traîne encore et toujours. Or ces ressources propres sont indispensables si l’on ne veut pas que le remboursement futur de la dette européenne se fasse au détriment des programmes européens et du budget existant.
Enfin, même si elle n’a pas tout à fait rencontré l’écho populaire espéré, la Conférence sur l’avenir de l’Europe, notamment la manière dont des citoyens et des forces vives s’y sont investis, oblige à sortir du statu quo. Il faut bouger pour plus et mieux d’Europe. À l’issue de la présidence française, les conditions sont-elles en place pour que les responsables européens engagent des réponses adaptées à la hauteur des recommandations et des suggestions de cette conférence, qui impliquent de modifier le cadre fixé par les traités ?
Madame la ministre, voilà, dans les quelques minutes qui nous sont imparties, notre contribution au débat relatif à cette PFUE. Si elle vous semble manquer de mesure, en pointant davantage les insatisfactions, c’est parce qu’elle est portée – soyez-en assurée – par des aspirations fortes au renforcement européen. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Pierre Laurent applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président – je salue votre première apparition au plateau –, madame la ministre – je salue votre première apparition au banc du Gouvernement –, mes chers collègues, la présidence française de l’Union européenne, ce n’est pas la présidence de l’Europe par le chef de l’État français. Le titulaire de cette fonction est appelé à jouer un rôle de catalyseur, pour que le travail du Conseil européen avance, sur la base des propositions de la Commission.
Lors du premier semestre de l’année 2022, il importait de faire progresser un certain nombre de dossiers, pour que les trilogues puissent aboutir avant la fin du mandat du Parlement européen et de la Commission. Il était d’autant plus précieux que la présidence du Conseil revienne à un pays disposant d’une administration que l’on sait efficace et mobilisée et qui, pendant ces six mois, n’a pas menti à sa réputation : c’est la clé pour obtenir, sur des sujets souvent techniques, des accords ou des avancées.
Restait, toutefois, la partie politique. Bien entendu, nous avons tous été profondément choqués par l’agression russe contre l’Ukraine. Face à cet événement majeur, nous avons dû nous unir pour prendre des sanctions contre la Russie, accélérer l’élargissement de l’Union européenne, accueillir les réfugiés venus d’Ukraine et actionner la Facilité européenne pour la paix (FEP), afin d’accompagner les forces armées ukrainiennes.
En parallèle, cette agression remet en cause plusieurs de nos fondamentaux.
Je pense tout d’abord au climat : à lui seul, le défi climatique justifie le renforcement de toutes nos politiques communes et l’extension de la solidarité européenne.
Le paquet Fit for 55 a avancé, certes, mais somme toute assez peu. La fin des quotas gratuits a été repoussée pour permettre l’adoption de mécanismes d’ajustement carbone aux frontières, mais la question de l’accompagnement de la compétitivité de nos entreprises à l’export n’est pas encore totalement traitée.
Toutefois, dans le contexte de la guerre en Ukraine, la taxonomie élaborée semble totalement anachronique : je pense notamment à la place du gaz, à l’heure où nous sommes dans l’obligation de renforcer notre indépendance énergétique.
À cet égard, la guerre en Ukraine vient remettre en cause le modèle de développement européen en général et allemand en particulier, qui est fondé depuis plus de vingt ans sur le gaz russe.
Je pense aussi aux effets de la crise alimentaire et à la manière dont la PAC devra y répondre.
Mes chers collègues, j’en viens aux questions d’asile et d’immigration. Pour faire avancer le pacte asile et migrations proposé en 2020 par la Commission européenne, l’on a opté pour une approche assez technique et graduelle.
On a obtenu de petites avancées, mais plutôt sur des textes répressifs, comme le règlement Eurodac. À ce titre, les personnes débarquant après un sauvetage en mer ne sont plus soumises aux règles de l’immigration illégale : elles font désormais l’objet de dispositions spécifiques. C’est précisément grâce à cette avancée que l’Espagne a accepté le texte en question.
N’oublions pas non plus le règlement Filtrage, au sujet duquel le Parlement européen aurait encore beaucoup à dire.
Quant à la déclaration de solidarité européenne, elle reste très faible : les pays qui l’ont signée s’engagent aujourd’hui à quelque 8 000 relocalisations, chiffre insuffisant au regard des besoins.
Au demeurant, les accords obtenus sur ces textes doivent encore être validés par le Parlement européen. Or, nous le savons, un certain nombre de pays continuent d’espérer que cette institution, fidèle à la ligne qu’elle a suivie jusqu’à présent, revienne sur un certain nombre d’acquis obtenus.
Madame la ministre, la protection temporaire a été mise en œuvre en faveur des Ukrainiens. C’est une première. Espérons que cette décision permette de faire évoluer un certain nombre de fondamentaux européens en matière d’asile.
Pour la première fois, des personnes qui viennent demander la protection de l’Europe disposent de la liberté de circulation et ont immédiatement droit au travail. Ces deux avancées méritent d’être prises en compte pour faire évoluer la politique d’asile en Europe.