M. le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Claude Kern. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de sa conférence de presse du 9 décembre 2021, le Président de la République avait présenté un programme ambitieux pour la présidence française du Conseil de l’Union européenne, fondé autour de trois mots d’ordre : une Europe plus souveraine, une Europe plus humaine et une Europe fondée sur un nouveau modèle de croissance.
Malgré l’irruption sur notre vieux continent de la guerre, qui a bouleversé le programme que la France s’était fixé, les objectifs définis lors de la conférence du 9 décembre ont pour la plupart été atteints.
Nombre d’observateurs avisés qualifient donc cette présidence de « réussite », car 97 % des objectifs annoncés en décembre ont été atteints. Je pense premièrement à l’accord final sur les textes DMA et DSA, fournissant de nouvelles armes face aux GAFA. Ces deux textes permettront de mieux anticiper les dérives, les abus et les distorsions de concurrence des GAFA.
Les avancées sont réelles sur de nombreux thèmes, tout d’abord sociaux, grâce à l’accord trouvé sur la directive relative aux salaires minimaux adéquats ou celui sur la proportion de femmes dans les conseils d’administration des entreprises cotées en Bourse au sein de l’UE, qui devra atteindre 40 % à l’horizon de 2026.
Les avancées sont réelles également sur le thème de la consommation, avec la mise en place d’un chargeur unique et compatible avec toutes les marques de smartphones, de liseuses ou de casques.
Enfin, je salue les accords trouvés à la toute fin de la présidence française sur les cinq textes phares du plan climat, ayant pour but de réduire de 55 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.
Le tournant qu’a connu votre présidence à partir du 24 février dernier a permis de donner du corps à l’idée française de souveraineté stratégique. L’autre succès à mettre à votre crédit est le maintien de l’union des 27 États membres face à la mise en place des sanctions contre la Russie.
Les Vingt-Sept ont fait preuve de solidarité avec l’Ukraine en sanctionnant Moscou à six reprises, avec des embargos sur le charbon, le gaz et le pétrole. Ils ont également acté les livraisons d’armes à Kiev via la Facilité européenne pour la paix. L’Union européenne a offert un refuge aux Ukrainiens fuyant les bombes russes, grâce à l’activation d’un mécanisme d’accueil d’urgence, utilisé pour la première fois depuis sa création, voilà vingt ans.
C’est également dans ce contexte de guerre aux portes de l’Union européenne que les États membres ont réussi à trouver un accord, le 25 mars, sur leur boussole stratégique en matière de défense. L’accord initial a d’ailleurs été « musclé », au regard des événements auxquels notre continent fait face.
L’un des enjeux derrière ce projet était de parvenir à définir un consensus entre les 27 États membres de l’Union européenne, tant sur la perception des menaces pesant sur leur sécurité que sur les moyens d’y faire face ensemble.
En raison de leur histoire, les pays européens disposent de cultures stratégiques différentes et n’ont pas nécessairement la même analyse des menaces et des priorités en matière de sécurité et de défense. La boussole stratégique consiste donc à identifier les priorités sur lesquelles les Européens sont prêts à s’investir collectivement, à la fois sur le plan géopolitique et en termes opérationnels.
Ce texte, qui sera notre fil conducteur de la politique de sécurité et de défense européenne jusqu’en 2030, constitue donc une véritable avancée pour un esprit européen de la défense.
Enfin, nous avons accordé à l’Ukraine et à la Moldavie le statut de pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne, le 23 juin, dans un délai particulièrement court. Je me félicite de cette décision – signal fort envoyé autant à la Russie qu’à l’Ukraine et à son peuple –, même si, personnellement, je ne suis pas un adepte de l’élargissement trop rapide. Je regrette qu’il n’ait pu en aller de même pour la Géorgie, mais je pense que nous en reparlerons…
La guerre en Ukraine a replacé la sobriété énergétique au sommet des priorités. À ce titre, la question énergétique est en tête des objectifs de la République tchèque, qui occupe la présidence tournante de l’Union européenne depuis le 1er juillet.
Dès le sommet des chefs d’État et de gouvernement de Versailles, qui s’est tenu en mars 2022, la question de l’énergie avait été centrale et les États s’étaient engagés à réduire notre dépendance énergétique, tout en maintenant l’objectif de neutralité climatique d’ici à 2050.
Presque quatre mois après ce sommet, les inquiétudes demeurent. L’invasion de l’Ukraine a un lourd impact sur l’augmentation des prix énergétiques, et l’action perturbatrice de la Russie sur le marché du gaz contribue également à l’augmentation du prix des denrées alimentaires et des matières premières. Les conclusions du dernier Conseil européen sur ce sujet ne sont pas rassurantes. De nombreux constats ont été dressés et plusieurs pistes pour atténuer la hausse des prix énergétiques étudiées, sans que certaines soient définitivement arrêtées.
Alors que les réductions de livraison de gaz russe aux pays de l’Union européenne s’enchaînent, près de 12 États sont désormais touchés par des coupures unilatérales de gaz de la part de la Russie. L’Allemagne restant dans une totale incertitude quant à la réactivation de son gazoduc Nord Stream, nous sommes incapables de proposer des solutions efficaces et efficientes.
La seule avancée que nous pouvons saluer à ce stade est la décision du Parlement européen du 6 juillet dernier d’inscrire le nucléaire et le gaz parmi les énergies « vertes » dans l’Union européenne, afin d’attirer dans ces secteurs les investissements publics et privés.
On nous dit que la Commission travaille à un plan d’urgence de réduction de la demande d’énergie, sans être en mesure, semble-t-il, d’arrêter des décisions.
Dès lors, plusieurs questions s’imposent à nous. Quelles pistes seront privilégiées par la France, notamment le 26 juillet prochain, lors du sommet des ministres de l’énergie ? Comment éviter une fragmentation de nos 27 États membres sur cette question ? Quelles actions sont menées pour nous préparer dès maintenant à une réduction, voire à une coupure complète des approvisionnements russes cet hiver ?
Les réductions de livraison de gaz vers l’Europe opérées au cours des dernières semaines par Moscou laissent craindre le pire. Elles doivent nous inciter à nous préparer dès maintenant à une rupture complète de l’approvisionnement. En cas d’interruption totale, un rationnement pourrait être prononcé dès cet hiver, ce qui entraînerait une destruction de la demande aux conséquences désastreuses pour nos économies.
Dès lors, deux questions se posent. Quels nouveaux partenaires l’Union européenne favorisera-t-elle pour sécuriser ses apports ? Les objectifs de neutralité carbone sont-ils toujours tenables dans ce contexte ?
Par ailleurs, la présidence française de l’Union européenne a enfin vu aboutir la Conférence sur l’avenir de l’Europe, avec un an de retard, crise sanitaire oblige. Cet exercice inédit de réflexion et de débat sur l’avenir de l’Europe, largement encouragé par la France et plus particulièrement par le président Macron, a fait émerger 49 propositions pour rapprocher les institutions européennes des citoyens.
Si, lors de la remise du rapport, le 9 mai dernier, un élan s’était fait ressentir, le sujet n’a été que brièvement abordé au dernier Conseil européen, ne laissant pas présager d’évolutions rapides. Les députés européens avaient pourtant voté une résolution saluant et approuvant ces conclusions, et le travail de cette Conférence sur l’avenir de l’Europe avait été salué par la présidente Ursula von der Leyen.
L’évolution de nos institutions est une nécessité pour répondre aux défis auxquels l’Union européenne est confrontée.
Quels leviers allez-vous activer, madame la ministre, pour soutenir la volonté de mettre fin à la règle de l’unanimité pour certaines décisions prises au sein du Conseil de l’Union européenne, par exemple en matière budgétaire, fiscale ou concernant la politique étrangère et de sécurité commune ?
Ce mode de vote très lourd peut freiner l’action de l’Union européenne. L’idée de le remplacer par un système de vote à la majorité qualifiée pour une partie des décisions prises jusqu’ici à l’unanimité sur des domaines précis paraît inéluctable, surtout si l’Union européenne continue d’accueillir de nouveaux États membres.
Soyez assurée, madame la ministre, que nous resterons très attentifs aux suites qui pourront être données à ces sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, on se souvient d’une présidence française de l’Union européenne en 2008, chahutée par une profonde crise financière. On se souviendra de celle de 2022, focalisée sur la tragédie ukrainienne.
Voilà un peu plus de six mois, la France avait abordé cette présidence de l’Union européenne avec un grand nombre de projets à porter sur plusieurs fronts : sécuritaire, institutionnel, climatique, numérique, etc. Pour le RDSE, profondément attaché à la construction communautaire, tout cela allait dans le bon sens.
Quel bilan peut-on dresser aujourd’hui ? Vous en avez fait le dessin, madame la ministre, et, comme vous l’avez expliqué, le visage de l’Europe a changé en six mois.
Ce sont bien souvent les crises qui accélèrent le projet européen et renforcent la solidarité entre les États membres. Bien entendu, on ne peut pas totalement se réjouir de ce constat, car, s’agissant de la pandémie et de la guerre en Ukraine, le bilan humain est bien trop lourd.
Néanmoins, à l’évidence, l’une des formules employées par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne de 2017 prend tout son sens aujourd’hui : « La seule voie qui assure notre avenir, c’est la refondation d’une Europe souveraine, unie et démocratique. »
On doit en effet reconnaître que la souveraineté de l’Europe, inscrite à l’agenda européen de la présidence française, semble prendre corps dans bien des domaines.
Nous adhérons tout d’abord au renforcement de la souveraineté stratégique de l’Union européenne, une orientation qui peut tout à fait s’accommoder avec les engagements des États membres au sein de l’OTAN.
Notre groupe salue les décisions prises au sommet de Versailles les 10 et 11 mars dernier, qui donnent un nouvel élan à la défense européenne. Toutefois, si les États membres augmentent leurs dépenses militaires, la mise en place de projets capacitaires communs semble patiner.
Dans un autre domaine, la souveraineté énergétique est devenue brutalement un enjeu majeur. La présidence française a fait le vœu d’une meilleure indépendance à l’égard de la Russie, mais il revient désormais à la présidence tchèque de préparer un plan. Il serait souhaitable que ce dernier ne consiste pas seulement à gérer la pénurie qui se profile. La question de la formation du prix du marché de l’électricité ne doit pas être taboue.
En outre, ce plan de sécurisation de l’approvisionnement de l’énergie sera-t-il compatible avec l’accord sur le climat que la présidence française a réussi à boucler ? Disons-le, le défi énergétique posé par la guerre en Ukraine et la nécessaire transition écologique pour atteindre la neutralité carbone en 2050 ne font pas nécessairement bon ménage.
Je salue en tout cas le plan climat, en particulier le principe tant attendu de taxe carbone aux frontières, qui vise à imposer les normes environnementales de l’Union européenne aux entreprises étrangères exportant sur notre territoire.
J’en viens à un autre défi, celui de la souveraineté alimentaire. En dehors des problématiques actuelles liées à l’Ukraine, faut-il rappeler ici, dans la chambre des territoires, que cette souveraineté passe par la sauvegarde de nos exploitations ?
Alors que la question des céréales est au premier plan de l’actualité, l’enjeu agricole semble avoir été délaissé au cours de ces derniers mois.
En outre, Bruxelles semble parfois prendre des décisions en tenant pour secondaire leur impact financier sur le monde agricole. Je pense en particulier à la proposition de révision de la directive du 24 novembre 2010 relative aux émissions industrielles, dite « IED », qui ajoute dans son champ d’application certaines activités non réglementées jusqu’à présent. Ce serait ainsi 185 000 exploitations de bovins qui seraient concernées, contre 20 000 aujourd’hui, pour un coût estimé à 2 400 euros par exploitation et par an.
Si les exploitations doivent bien sûr toutes s’orienter vers des pratiques plus vertueuses sur le plan environnemental, elles doivent, en retour, bénéficier des soutiens nécessaires à leur conversion. J’en profite pour préciser que ces soutiens doivent être plus efficaces et mieux contrôlés, comme vient de le souligner le rapport de la Cour des comptes européenne pointant les fraudes de la politique agricole commune.
Mes chers collègues, je ne puis épuiser tous les chantiers dont s’est emparée la présidence française au cours de ces derniers mois. J’ajouterai donc en quelques mots que le RDSE applaudit l’accord sur la directive relative aux salaires minimaux ou les deux lois sur le numérique réglementant la concurrence sur les grandes plateformes et limitant la diffusion de contenus illicites, haineux ou violents.
Par ailleurs, la mesure consistant à imposer un chargeur unique mérite d’être saluée : elle n’est pas si symbolique que cela ; il s’agit d’une disposition de bon sens, à la fois économique et écologique, touchant directement les consommateurs-citoyens.
On ne peut, en revanche, que regretter le veto hongrois brandi sur la taxation minimale internationale des entreprises. Cet épisode rappelle une fois de plus l’urgence de passer à la majorité qualifiée pour certaines décisions. C’est une nécessité si l’Europe veut s’affirmer davantage en tant que puissance économique.
M. Didier Marie. Très juste !
Mme Véronique Guillotin. Cette question d’ordre institutionnel va devenir d’autant plus prégnante que se profilent des perspectives d’élargissement.
À cet égard, la France restera dans les annales comme le pays qui a ouvert la porte de l’Union européenne à l’Ukraine et à la Moldavie. Dans le contexte actuel, c’était bien évidemment un devoir moral.
Il n’en demeure pas moins que la relance d’un potentiel élargissement devra s’accompagner d’un travail de réflexion sur les règles de fonctionnement de l’Union européenne, d’une part, et sur le concept de communauté politique européenne lancé par le Président de la République, d’autre part. Si ce concept est de nature, notamment, à rassurer les Balkans occidentaux, il mérite d’être précisé.
Enfin, vous le savez, mes chers collègues, l’Europe du quotidien se construit aussi, et surtout, oserai-je dire de manière quelque peu impertinente, dans les territoires transfrontaliers.
Je ne vous rappelle pas les enjeux qui concernent mon propre territoire, situé à la frontière avec le Luxembourg, en matière de fiscalité, de mobilité ou encore de santé. Nous aurons à nous revoir sur ces sujets : les frontaliers en attendent autant de l’Union européenne que du gouvernement français !
Nous passons désormais le flambeau à la République tchèque. Souhaitons que celle-ci fasse preuve du même volontarisme que la France pour affirmer la place de l’Europe. Espérons peut-être aussi que Prague puisse faire comprendre à certains de ses partenaires du groupe de Visegrad où se situe leur intérêt, celui d’appartenir à un espace de paix et déterminé à le rester… (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. André Gattolin et Yves Détraigne applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Didier Marie. Avant toute chose, madame la ministre, je vous souhaite la bienvenue au Sénat et vous assure de l’engagement européen sans faille de mon groupe.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sortons de six mois de présidence française du Conseil de l’Union européenne et nous restons quelque peu sur notre faim, malgré des avancées notables sur lesquelles je reviendrai.
Cette présidence, que M. Emmanuel Macron voulait exceptionnelle pour l’Europe, pour la France et, peut-être aussi, pour sa campagne électorale, l’aura été, mais pour une tout autre raison. En effet, le 24 février, la Fédération de Russie déclenchait la guerre, que certains n’avaient pas voulu voir venir, et agressait sauvagement l’Ukraine.
Cette nouvelle donne géopolitique a confirmé, comme la crise sanitaire avant elle, la capacité des Européens à réagir rapidement, efficacement et en restant unis, ce qui a pu susciter la surprise de nombreux observateurs extérieurs, à commencer par les Russes.
Cette situation a levé les réticences de certains États membres à l’égard des objectifs stratégiques d’autonomie et de souveraineté européennes, devenus centraux et naturels. Du jour au lendemain, le terrible imprévu de la guerre a joué un rôle moteur et permis des avancées dans de nombreux domaines. Paradoxalement, M. Vladimir Poutine aura fait plus pour l’Europe en quelques semaines que les dirigeants européens au cours des dernières années.
La solidarité des Vingt-Sept avec l’Ukraine n’a eu aucune difficulté à s’imposer et s’est concrétisée par un soutien humanitaire, économique et militaire massif. Nous saluons à cet égard la décision de conférer le statut de protection temporaire aux 4,7 millions de réfugiés ukrainiens, tout en nous interrogeant sur les suites qui lui seront données en cas d’enlisement du conflit.
De même, nous nous félicitons de la mise en œuvre, pour 2 milliards d’euros, de la Facilité européenne pour la paix, qui a permis de fournir les armes défensives nécessaires à la résistance ukrainienne.
L’unanimité s’est aussi rapidement faite pour décider des six trains successifs de sanctions visant à faire pression sur les dirigeants et à assécher les sources de financement de l’effort de guerre russe, sans, malheureusement, que cela produise à ce jour les effets escomptés.
De même, les orientations de la boussole stratégique ont été adoptées, actant un réinvestissement militaire. Mais, faute d’anticipation, elles le sont sous parapluie américain, au sein d’une OTAN renforcée, organisation que le Président de la République estimait pourtant « en état de mort cérébrale ». Reste à savoir qui en sera bénéficiaire : la défense européenne, ou seulement les États-Unis et leur industrie d’armement ?
Cette recherche de souveraineté et d’autonomie s’est aussi imposée dans le champ de l’énergie, l’Europe, dépendante des hydrocarbures russes, s’accordant sur le boycott du charbon et du pétrole, mais échouant malheureusement à se mettre d’accord sur un embargo du gaz.
Pour le reste, la France a accompli le travail normal d’une présidence ; endossant le costume de médiateur, elle a pu faire progresser les textes législatifs.
Au nombre des satisfactions, on peut noter, comme vous l’avez fait, madame la ministre, l’accord sur le numérique, avec l’adoption du DMA et du DSA, la réciprocité de l’accès aux marchés publics au sein du commerce international, l’adoption du salaire minimum, l’équilibre entre femmes et hommes dans les conseils d’administration des grandes entreprises ou des progrès sur l’intelligence artificielle.
D’autres succès ont été mis en avant, mais, en examinant ces accords de plus près, nous restons circonspects. Je pense au paquet climat, avec un fonds social pour le climat rétréci, à l’espace Schengen sur les aspects défensifs, aux droits sociaux et à d’autres sujets que mon collègue Jean-Yves Leconte évoquera.
Enfin, notons les échecs, en particulier celui qui concerne la taxation des grandes entreprises à hauteur de 15 % de leurs bénéfices et celui de la réforme du marché de l’électricité, toujours indexé sur le cours du gaz. Remarquons que rien n’a été engagé face à la menace de stagflation et qu’aucune feuille de route n’a été dressée pour un agenda rural, comme le demande la résolution du Sénat dont mon ami et collègue Patrice Joly est à l’origine.
Avant de conclure, madame la ministre, permettez-moi quelques mots sur l’avenir de l’Europe.
Nous nous félicitons que l’Ukraine et la Moldavie aient obtenu le statut de pays candidats à l’Union européenne et que la Géorgie n’ait pas été ignorée. Nous saluons l’initiative à l’égard des Balkans occidentaux, les rassurant sur leur avenir européen. Nous notons avec satisfaction la levée du veto à l’engagement des négociations avec la Macédoine du Nord par le Parlement bulgare, même si cela reste à confirmer.
Toutefois, s’il est opportun d’avancer dans le processus d’élargissement à ces pays que les pressions extérieures menacent, rappelons que celui-ci ne peut se réaliser que dans le cadre des critères de Copenhague et, tout particulièrement, de la primauté de l’État de droit.
Or, à cet égard, l’approbation par la Commission et le Conseil du plan de relance de la Pologne, sans que toutes les garanties sur l’indépendance de la justice aient été données, inquiète. L’unité de l’Europe repose certes sur le dialogue politique, mais aussi, et avant tout, sur le respect de nos valeurs.
S’agissant de nos relations avec les pays candidats et ceux de notre environnement proche, la proposition du Président de la République d’une communauté politique européenne a reçu un accueil allant du glacial au tiède. L’avenir sous présidence tchèque nous dira si cet objet européen non identifié prospérera. Pour ma part, je m’interroge sur son périmètre et sur son contenu.
Plus largement, c’est le fonctionnement même de l’Union européenne qui doit être interrogé. À cet égard, on ne peut que regretter l’absence de prise en compte des conclusions de la Conférence sur l’avenir de l’Europe et des appels du Parlement européen pour ouvrir le chantier d’une révision des traités pour une gouvernance renouvelée de l’Union, dans laquelle les citoyens auraient tout leur rôle à jouer.
Madame la ministre, la France a rempli sa mission, et il convient de féliciter les diplomates qui y ont travaillé. Mais cette présidence s’est terminée assez loin des slogans enthousiastes qu’Emmanuel Macron lançait en décembre 2021 : « Relance, puissance, appartenance ». Le Président de la République parle beaucoup d’Europe et ne manque pas d’idées, mais il y a encore loin des paroles aux actes !
Cette présidence en demi-teinte aura plus été portée par les événements qu’elle ne les aura provoqués. Elle restera malheureusement dans l’histoire comme celle qui aura vu la guerre revenir sur notre continent.
Ces six mois nous auront aussi rappelé que l’Europe est un collectif forgé par la culture du dialogue politique, la recherche du consensus et une action résolue fondée sur nos valeurs : la liberté, la démocratie, la justice sociale et la responsabilité environnementale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, six petits mois ont passé, et déjà l’Union européenne n’est plus ce qu’elle était avant 2022 ! Il ne s’agit pas de lancer un cocorico cocardier pour se faire plaisir… Mais je constate que notre Union européenne a beaucoup progressé, et par gros temps.
La présidence française du Conseil de l’Union européenne marque aussi l’aboutissement d’un certain nombre d’initiatives lancées par le Président de la République dès 2017. On se souvient, sur ces travées, de son discours de la Sorbonne pour une Europe plus souveraine et plus protectrice.
Elle marque également la finalisation de chantiers lancés ou suivis par de précédentes présidences. C’est là le jeu harmonieux de ces passages de flambeau d’un État membre à l’autre chaque semestre.
Et dire, comme le rappelait André Gattolin, que certains recommandaient que la France passe son tour pour cause d’élection présidentielle ! Je souhaite d’ailleurs rappeler au président Jean-François Rapin que, en 1995, déjà, la France présida le Conseil de l’Union européenne alors que des échéances présidentielles avaient lieu.
Certes, le calendrier des événements a été très ramassé. Mais le plus important, c’est le fond, la substance. Le plus important, c’est que le compte y soit et que des progrès majeurs aient été enregistrés.
Ce « succès historique », pour reprendre l’expression de Mme la ministre, revient bien au Président de la République, épaulé bien sûr par l’ensemble des ministres – vous-mêmes, madame la ministre, mais aussi vos prédécesseurs Jean-Yves Le Drian et Clément Beaune ; du secrétariat général de la présidence française – je pense à toutes les équipes animées par Xavier Lapeyre de Cabanes ; de notre représentation permanente auprès de l’Union européenne, sous l’égide de Philippe Léglise-Costa ; du secrétariat général des affaires européennes ; de l’ensemble des agents mobilisés, que ce soit au Quai d’Orsay ou dans les autres ministères ; de notre Haute Assemblée, comme vous l’avez rappelé, monsieur le président.
Tout cela sans oublier les collectivités locales qui ont mis beaucoup d’engagement et de cœur dans l’accueil des événements. Je peux en témoigner, à titre personnel, pour les maires des bonnes villes de Pau, de Dijon, cher François Patriat, de Montpellier ou encore de Strasbourg, cher Ludovic Haye, plus que jamais capitale européenne.
« Relance, puissance, appartenance » : tel était le triptyque de cette présidence française de l’Union européenne. Si celle-ci a effectivement commencé sous le signe de la relance post-covid, l’agression russe sur le sol d’Ukraine et le retour de la guerre sur le continent européen ont, cela s’est très vite vu, porté les thèmes de puissance et d’appartenance au cœur de l’action conduite par cette présidence.
En cela, elle est en adéquation avec le fil rouge tiré par le Président de la République depuis 2017 : celui d’une souveraineté et d’une indépendance européennes accrues. L’idée est tout simplement que nous reprenions le contrôle « en Européens », et non solitairement, comme l’ont tenté nos voisins d’outre-Manche. Ce dont il est question, c’est que nous, Européens, soyons non pas des objets de l’histoire qui s’écrit, mais bien des sujets maîtrisant leur destin et leur avenir.
La présidence française s’est inscrite dans un contexte global marqué naturellement par le conflit en Ukraine, mais aussi par un déplacement du barycentre mondial vers le Pacifique, sur fond de rivalité sino-américaine, et par l’urgence climatique, qui taraude encore et toujours nos sociétés.
Tout au long de cette présidence, l’Union européenne et ses États membres se sont affirmés en tant que puissance politique et géopolitique.
J’en veux pour preuve l’adoption de la boussole stratégique, qui crée une culture stratégique commune, le renforcement des capacités de déploiement rapide de forces, l’augmentation des investissements de défense actée lors du sommet de Versailles, une meilleure tenue de nos frontières externes, avec la création du Conseil Schengen, qui s’est déjà réuni deux fois et qui permettra, je crois, des avancées en matière de coordination.
En outre, dans ce monde marqué en quelque sorte par le retour des empires, l’Europe se pense et se projette dans toute sa vaste dimension. Je fais allusion ici aux outre-mer, cher Michel Dennemont, et aux régions ultrapériphériques qui font de l’Europe un continent-monde et lui donnent une voix particulière à faire entendre dans ce concert mondial.
Que de chemin parcouru depuis la chute du mur de Berlin, depuis la réunification de l’Europe de l’Ouest et de l’Europe de l’Est ! Désormais, c’est la poursuite de l’unification du continent européen qui est en marche.
Je ne puis m’empêcher d’invoquer l’un des penseurs de cette Europe, Denis de Rougemont, qui disait : « L’Europe unie n’est pas un expédient moderne, économique ou politique, c’est un idéal qu’approuvent depuis mille ans tous les meilleurs esprits, ceux qui ont vu loin ». Les Européens et la présidence française ont vu loin !
Le statut de candidat à l’adhésion a ainsi été accordé par les Vingt-Sept à l’Ukraine et à la Moldavie dans un délai particulièrement court après les mots d’encouragement prononcés à Kiev – vous étiez aux côtés du Président de la République, madame la ministre.
Combien de temps cela prendra-t-il maintenant ? Nul ne peut le dire, mais le cap est fixé, et c’est le plus important. Nous n’oublions pas l’importance des Balkans occidentaux, que je sais également chers à notre collègue Alain Richard.
Comme la géographie commande et que seuls 14 petits kilomètres nous séparent de l’Afrique, nous pouvons également nous honorer du partenariat renouvelé avec le continent africain, au travers du sommet de Bruxelles de février, qui a permis d’aller de l’avant en matière de sécurité, d’environnement, de santé et de migrations.
Au-delà, avec certains de nos partenaires, nous avons des défis mondiaux à relever – pour lesquels, très clairement, nous n’avons pas le choix : soit nous y arrivons ensemble, soit nous échouons ensemble.
C’est le cas, par exemple, dans la lutte contre le changement climatique, où nous devons être aux avant-postes. Par nos propres réglementations, nous devons faire évoluer les réglementations des autres ensembles dans le monde. Sous cet angle, je suis persuadé que la taxe carbone aux frontières influera sur les règles dont nos partenaires se doteront.
Outre la dimension géopolitique, la reprise de contrôle a également concerné les domaines économiques, énergétiques, industriels, commerciaux.
C’est par là que l’Europe a commencé, par la construction économique. Il serait absurde aujourd’hui, en 2022, qu’elle se fasse dicter sa loi en la matière et renonce à être une puissance économique. Il était donc très important de forger nos propres standards et de ne pas être les idiots utiles du village global.
Avoir de grands projets industriels européens, par exemple pour les batteries, en lancer de nouveaux dans le cadre de cette présidence française, notamment en matière de santé, développer notre indépendance énergétique et alimentaire, ne pas jouer les naïfs en matière commerciale en nous dotant de nouvelles règles – clauses miroirs ou instrument de réciprocité sur les marchés publics, afin de mettre de l’équité dans la concurrence –, nous a permis de progresser. Si, pendant longtemps, on nous regardait de travers à Bruxelles, cette fois, les résultats sont là.
Enfin, reprendre le contrôle, c’est s’armer face aux géants du numérique et se prémunir contre les pratiques déloyales. De ce point de vue, le paquet législatif sur les services numériques permettra d’encadrer et de réguler.
C’est donc un bilan fourni qui est présenté. Il s’appuie sur le respect tant de l’unité que de la diversité européenne. Nous le savons, c’est notre devise européenne, et la présidence française l’a illustrée de fort belle manière.
Ainsi, l’unité a été préservée dans toutes les prises de décision, avec, cela a été rappelé, six trains de sanctions. Quant à la diversité, dont je note qu’elle a été revendiquée par l’ambassadeur de la République tchèque lorsqu’il s’est exprimé devant notre assemblée, nous avons voulu une présidence en langue française qui respecte le plurilinguisme. De nombreuses actions ont été conduites dans la lignée du rapport du groupe de travail présidé par Christian Lequesne ; elles doivent être poursuivies, car nous partons de très loin. Nous avons d’ailleurs besoin, madame la ministre, de votre entier volontarisme politique pour que ces efforts soient maintenus dans la durée.
Le groupe RDPI salue donc un très bon bilan, qui est à l’honneur et au crédit de la France. Mais nous savons qu’il reste beaucoup à faire, et c’est pourquoi, madame la ministre, tous nos meilleurs vœux vous accompagnent, ainsi que l’actuelle présidence tchèque et la future présidence suédoise. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)