compte rendu intégral
Présidence de M. Roger Karoutchi
vice-président
Secrétaires :
M. Jacques Grosperrin,
Mme Victoire Jasmin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Attribution à une commission des prérogatives d’une commission d’enquête
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen d’une demande de la commission des affaires sociales tendant à obtenir du Sénat, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qu’il lui confère, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour mener une mission d’information sur le contrôle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
Il a été donné connaissance de cette demande au Sénat lors de la séance du 8 février dernier.
Je mets aux voix la demande de la commission des affaires sociales.
(La demande de la commission des affaires sociales est adoptée.)
M. le président. En conséquence, la commission des affaires sociales se voit conférer, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour mener cette mission d’information.
Le Gouvernement sera informé de la décision qui vient d’être prise par le Sénat.
3
Compétences de la Collectivité européenne d’Alsace
Adoption définitive en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l’article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace (projet n° 410, texte de la commission n° 456, rapport n° 455).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis ici ce matin pour examiner ce projet de loi inscrit dans le prolongement de la loi du 3 août 2019 qui a, vous le savez, acté la création de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA).
Avec l’adoption de cette loi « Alsace », le Gouvernement a su créer un cadre de confiance pour mener à bien cette réforme importante et répondre à des besoins largement exprimés par les Alsaciens et les élus locaux. La loi du 3 août 2019 est le fruit de la volonté de l’État de reconnaître la particularité de ce territoire alsacien, territoire français profondément européen. Nous sommes dans une nouvelle étape de décentralisation et de mise en cohérence des compétences de la CEA avec ses réalités territoriales.
Cette nouvelle étape répond donc à une promesse ancienne de l’exécutif, très attendue par la CEA pour l’exercice de ses responsabilités dans des domaines aussi stratégiques que la gestion des infrastructures et le transport routier.
Les ordonnances dont le Gouvernement vous propose la ratification sont le résultat de longs mois d’échanges et d’une concertation étroite avec les acteurs locaux, que je tiens à remercier. Si l’élaboration de ces ordonnances a été relativement rapide, cette concertation nous a permis d’aboutir à un texte équilibré.
L’enjeu principal du texte, qui tend à ratifier trois ordonnances entrées en vigueur en mai 2021, est de doter la CEA des outils nécessaires pour assumer sa nouvelle compétence dans de bonnes conditions, en vue notamment de réguler les flux de transport routier de marchandises.
L’article 13 de la loi actant la création de la CEA prévoyait l’adoption d’ordonnances.
Il s’agit, d’abord, de donner la possibilité à la CEA de mettre en place une taxe sur le transport routier de marchandises sur certaines voies de son domaine public routier. Les Alsaciennes et les Alsaciens attendent, vous le savez, cette mesure depuis plus de quinze ans. L’article 1er du projet de loi que vous allez examiner procède à la ratification de cette ordonnance.
Il s’agit, ensuite, de préciser et de compléter les dispositions relatives au transfert des routes nationales non concédées. C’est l’objectif de l’article 2.
Il s’agit, enfin, de préciser les conditions dans lesquelles la Collectivité européenne d’Alsace ou l’Eurométropole de Strasbourg continuent d’assurer les engagements de l’État portant sur les routes qui leur sont transférées et qui sont liées à la mise en service de l’autoroute A355. C’est chose faite avec l’article 3.
Trois principes sous-tendent ce projet de loi.
Le premier est, vous l’aurez compris, le dialogue et la cohérence. Le texte prévoit une concertation de la CEA avec les représentants des secteurs concernés, avant la mise en œuvre de la taxe poids lourds.
Le deuxième est la confiance et une forme de liberté d’adaptation. Avec ce projet de loi de ratification, le Gouvernement se fixe un cadre juridique clair tout en laissant d’importantes marges de manœuvre à la CEA, par exemple sur la fixation des paramètres de la taxe sur le transport routier. Il s’agit de permettre l’adaptation des cadres aux contextes locaux.
Le troisième est la préfiguration, avec l’optique d’une taxe sur le transport routier de marchandises, qui est – on le sait – souhaitée par des acteurs voisins. Nous avons eu ce débat en première lecture au Sénat comme à l’Assemblée nationale. Je tenais à affirmer de nouveau que la finalisation des travaux s’agissant de la CEA permettra d’exporter la mise en place de cette taxe dans d’autres régions. C’est l’objet de l’article 137 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience.
La mise en œuvre de la contribution au niveau de la CEA, potentiellement au 1er janvier 2024, préfigurera les travaux pour les autres collectivités volontaires, qui feront l’objet d’un processus ad hoc.
J’entends que les processus peuvent sembler longs. C’est – je le crois – le prix, et vous le savez en tant qu’acteurs de vos territoires, de la concertation et du respect des territoires et de leurs spécificités pour mettre en place des mesures véritablement adaptées qui leur bénéficieront pleinement.
Je tiens également à me féliciter du fait que, au cours de ce long travail et cette réflexion, l’examen parlementaire en première lecture ait permis d’enrichir le texte.
Je pense notamment à la création d’un comité de concertation entre acteurs publics locaux sur la taxation des poids lourds.
Je pense également aux possibilités données à la CEA de moduler le taux kilométrique de la taxe en fonction des saisons, d’utiliser un dispositif adapté pour les redevables occasionnels ou encore d’augmenter les amendes dans certains cas. La rédaction retenue dans ce texte et le cadre qui a été instauré traduisent bien la confiance et la liberté d’adaptation.
Il est prévu que le rapport sur le bilan de l’application de la taxe évaluant les reports de trafic soit remis au bout de trois ans, et non plus cinq ans, après l’entrée en vigueur de cette mesure. Ce calendrier nous permet d’avoir suffisamment de recul et de faire preuve, dans le même temps, de réactivité dans la mise en œuvre.
Vous l’aurez compris, le Gouvernement est tout à fait favorable à cette version du texte. Nous sommes parvenus à un équilibre précieux – et je vous en remercie – qui respecte la liberté d’administration des collectivités locales. Le projet de loi a été voté à l’unanimité le 26 janvier dernier à l’Assemblée nationale. Je souhaite que nous puissions parvenir aujourd’hui à un vote conforme pour que l’examen parlementaire de ce texte aboutisse dans le calendrier que vous connaissez.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’adoption de ce texte est pleinement nécessaire à l’effectivité des ordonnances prises en 2021. Il s’agit d’un projet de longue date qui a fait l’objet d’un dialogue réunissant État et élus locaux dans un travail de concertation étroit, lequel illustre et concrétise la politique de différenciation territoriale promise et appliquée concrètement par le Gouvernement tout au long du quinquennat.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte sur lequel nous avons à nous prononcer aujourd’hui en deuxième lecture s’inscrit dans une démarche de long terme engagée par les Alsaciennes et les Alsaciens voilà plus de quinze ans.
Ce texte comptait initialement trois articles visant à ratifier trois ordonnances, dont l’une a plus particulièrement fait l’objet de débats nourris en première lecture : l’ordonnance relative à l’instauration d’une taxe sur le transport routier de marchandises par la Collectivité européenne d’Alsace.
Depuis 2005 en effet, date de la mise en place d’une taxe sur le transport de marchandises en Allemagne, l’Alsace souffre d’importants reports de trafic sur le réseau routier qui la traverse. Ces reports sont source d’importantes nuisances environnementales et affectent aussi la santé des riverains.
Après de multiples tentatives législatives pour instaurer une taxe sur le transport de marchandises français, dont nous n’avons pas oublié les rebondissements, l’une des trois ordonnances que le présent projet de loi vise à ratifier porte notamment sur la possibilité donnée à la Collectivité européenne d’Alsace de mettre en place une telle taxe sur le domaine routier qui lui a été transféré.
En première lecture, en commission puis en séance publique, le Sénat avait considérablement enrichi le dispositif prévu par l’ordonnance, en introduisant une vingtaine d’articles additionnels sur ce sujet, suivant trois axes.
Premier axe, nous avions cherché à renforcer l’efficacité et le caractère opérationnel du dispositif prévu dans l’ordonnance du 26 mai 2021, afin notamment de le rendre facilement transposable à d’autres collectivités. Comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, l’article 137 de la loi Climat et résilience du 22 août 2021 prévoit en effet la possibilité, pour les régions volontaires, de mettre en œuvre une taxe sur le transport routier de marchandises.
Le deuxième axe de progrès proposé par le Sénat pour améliorer ce texte portait sur les conditions d’un meilleur dialogue entre les collectivités territoriales directement ou indirectement concernées. En effet, plusieurs collectivités limitrophes nous ont fait part de leurs préoccupations quant aux possibles « effets de bord » qui pourraient découler de la mise en place d’une taxe sur le réseau alsacien. Nous avons donc veillé à favoriser, en amont de sa mise en place, la création d’une instance de concertation entre les collectivités et, en aval, une évaluation des reports de trafic.
Troisième et dernier axe : nous avions, en première lecture, veillé à anticiper la révision de la directive Eurovignette dans un double objectif : d’une part, faire en sorte que la taxe puisse prendre en compte les émissions de CO2 des véhicules, afin d’améliorer sa dimension environnementale et, d’autre part, permettre à la Collectivité européenne d’Alsace, d’appliquer la taxe aux véhicules utilitaires légers à partir de 2,5 tonnes. Nous avions bien évidemment prévu que ces évolutions soient mises en œuvre sous réserve de l’entrée en vigueur de la nouvelle version de la directive Eurovignette.
Au terme de son examen en première lecture au Sénat, le texte comptait ainsi 23 nouveaux articles, en plus des trois articles du projet de loi initial. Ces évolutions résultent d’un important travail d’écoute et de concertation, y compris au plus près du terrain, en Alsace. Après son examen à l’Assemblée nationale, le texte nous revient avec 21 articles, dont deux nouveaux articles introduits sur l’initiative de l’Assemblée nationale.
En définitive, il apparaît que l’Assemblée nationale a globalement conforté les apports du Sénat puisqu’elle en a conservé une grande partie. Dix des articles additionnels créés au Sénat ont été adoptés conformes ou modifiés à la marge à l’Assemblée nationale. Ainsi, ont été conservés les articles relatifs à la création d’un comité de concertation des collectivités territoriales en matière de taxation des poids lourds, ou encore à l’aggravation des sanctions en cas de comportements frauduleux.
D’autres articles introduits par le Sénat ont fait l’objet de modifications plus importantes, mais qui ne remettent pas en cause leurs objectifs, comme l’article 1er sexies, qui permet à la Collectivité européenne d’Alsace de mettre en place une solution de ticketing pour les redevables occasionnels de la taxe. J’ai également dialogué avec mon collègue rapporteur à l’Assemblée nationale pour définir des positions de compromis sur quelques dispositions.
S’agissant de l’évaluation de la taxe, par exemple, nous avions souhaité prévoir la remise d’un rapport d’étape après deux ans de mise en œuvre. L’Assemblée nationale a supprimé ce rapport d’étape, mais, faisant preuve d’un esprit de compromis, a en contrepartie réduit de cinq ans à trois ans le délai accordé au Gouvernement pour remettre un rapport d’évaluation au Parlement.
Les députés ont également enrichi le texte de deux nouvelles dispositions qui permettent encore, à la marge, d’améliorer le caractère opérationnel de l’ordonnance.
Je viens d’évoquer des points positifs, dont on peut se réjouir. Ceux-ci ne doivent néanmoins pas occulter un certain nombre de reculs sur des apports du Sénat, qui se traduisent par la suppression de six articles insérés au Sénat et la modification de plusieurs autres. Par exemple, les articles adoptés au Sénat afin d’anticiper la révision de la directive Eurovignette ont été supprimés, l’Assemblée estimant qu’ils portaient atteinte à la lisibilité du droit. Je ne souscris pas à cet argument, et je rappelle que l’entrée en vigueur des dispositions en question était subordonnée à la révision de la directive. Je regrette ces censures qui constituent des reculs significatifs sur certains apports du Sénat.
Je vous propose néanmoins, mes chers collègues, d’adopter ce texte conforme à celui qu’a adopté l’Assemblée nationale en première lecture, pour trois raisons principales.
D’abord, comme je vous l’ai indiqué, je constate que le travail du Sénat n’a pas été dénaturé, ses principaux apports ayant été conservés par l’Assemblée nationale. Ces apports permettent sans aucun doute d’améliorer significativement les ordonnances, et donc de renforcer le caractère opérationnel d’un dispositif attendu depuis longtemps par les Alsaciens. Je vous propose donc, par l’adoption d’un texte conforme, d’accompagner la Collectivité européenne d’Alsace dans sa démarche.
Dans l’absolu, il serait certes envisageable de faire évoluer ce texte afin de rétablir certains articles, mais j’en viens justement à mon deuxième point : le calendrier parlementaire rend difficile d’envisager une troisième lecture, compte tenu de la suspension à compter du 28 février prochain. Par ailleurs, le Premier ministre ne peut convoquer une commission mixte paritaire sur ce texte puisque la procédure accélérée n’a pas été engagée.
En définitive, deux options s’offraient à nous.
Soit modifier ce texte, avec le risque de laisser la navette parlementaire au milieu du gué, et avec pour conséquence le fait que l’ordonnance, déjà entrée en vigueur, ne serait ni modifiée ni ratifiée. Très concrètement, si nous n’adoptions pas ce texte conforme, la Collectivité européenne d’Alsace serait privée de la possibilité de mettre en place une solution de paiement pour les redevables occasionnels.
M. Olivier Jacquin. Mais non !
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. Idem pour le comité de concertation préalable ou encore le rapport évaluant les potentiels reports de trafic. Cette option est peu opportune, car elle conduirait à ne retenir aucun des apports du Sénat, qui ont pourtant fait l’objet d’un important travail de concertation.
Soit, et c’est l’option pour laquelle je plaide aujourd’hui, nous choisissons d’adopter ce texte conforme à celui adopté par l’Assemblée nationale afin de préserver les apports des deux chambres qui permettent, comme je l’ai évoqué, de renforcer le caractère opérationnel du dispositif et de créer les conditions du dialogue entre les collectivités territoriales.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Olivier Jacquin. C’est faux !
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. Enfin, troisième point, l’adoption d’un texte dans les mêmes termes que celui adopté par l’Assemblée nationale permettra de ratifier les trois ordonnances du projet de loi, et donc de sécuriser leurs dispositions en leur conférant une valeur législative. La taxe alsacienne est susceptible de faire l’objet de plusieurs contentieux. Une sécurisation de l’ordonnance par sa ratification est donc opportune pour renforcer ce dispositif.
Pour l’ensemble de ces raisons, je vous propose, mes chers collègues, dans un esprit de responsabilité, d’adopter ce texte sans modification. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Ludovic Haye applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a ce matin conjonction des calendriers de notre Sénat et du Parlement européen : en effet, ils disposent chacun d’un temps important pour faire avancer les principes pollueur-payeur et utilisateur-payeur s’agissant du transport routier de marchandises.
Pour le Parlement européen, ce sera peut-être le moment du vote définitif de la refonte de la directive relative aux redevances routières, autrement dit la directive Eurovignette, transformée par le compromis du 15 juin dernier, insatisfaisant de mon point de vue, qui encadre les conditions dans lesquelles les États peuvent instaurer une taxe.
Pour notre Sénat, c’est donc à présent la deuxième lecture de la loi ratifiant l’ordonnance pour la mise en place de la taxe poids lourds en Alsace. Cette taxe alsacienne devrait être, en dehors des autoroutes concédées à péage, le seul périmètre où s’appliquerait dans notre pays un dispositif relevant de cette directive. Sauf si, à partir de 2024, des régions frontalières décidaient d’utiliser la possibilité de taxer les poids lourds que leur a ouverte la loi Climat et résilience.
Autrement dit, dans une perspective européenne d’harmonisation et de renforcement du principe pollueur-utilisateur-payeur pour le fret routier, c’est l’Alsace qui sera, selon la façon de voir les choses, soit l’exception durable, comme un petit village gaulois atypique qui aurait enfin la capacité de résister à l’afflux de nuisances camionnées, soit la pionnière d’une extension, voire d’une généralisation, à venir.
Que l’un ou l’autre scénario l’emporte, la mise en œuvre alsacienne doit être de toute façon facilitée et accompagnée. Elle a besoin de l’action efficace de l’État pour franchir sans tarder les obstacles et les étapes qui sont encore devant elle avant qu’une taxe à la hauteur de la LKW-Maut allemande ne la protège effectivement, comme elle le veut depuis dix-sept ans. Pour la protéger, ce qui doit être fait est clair : une taxe alsacienne d’un niveau équivalent à celui de la taxe allemande.
Rappelons-le, l’Allemagne, comme la Suisse qui a été pionnière en la matière, n’a pas détruit avec sa taxe les équilibres économiques de ses entreprises de transport. Elle a, au contraire, modernisé sa logistique, amélioré sa performance économique, optimisé ses charges transportées, abondé les moyens d’un report modal qui permet un fret ferroviaire allemand quatre fois plus important que le nôtre et mis en place une stratégie de transition des transports que nous lui envions.
Je parlais à l’instant de la nécessité d’une action efficace de l’État ; je dois donc relever, madame la secrétaire d’État, que si ces ordonnances avaient été publiées par le Gouvernement dans les délais prévus par la loi « Alsace », nous ne serions pas contraints aujourd’hui à un vote conforme obligatoire en deuxième lecture pour tenir le calendrier parlementaire qui s’achève la semaine prochaine.
M. André Reichardt. C’est exact !
M. Jacques Fernique. C’est dommage, car s’il faut saluer le travail des rapporteurs du Sénat et de l’Assemblée, des améliorations étaient, à mon avis, encore à notre portée, pour mieux s’adapter aux possibilités de la directive nouvelle, comme cela a été dit.
Je pense à la lutte contre l’abus des véhicules utilitaires légers assurant du transport pour le compte d’autrui, ou encore à la meilleure prise en compte des riverains du sillon lorrain. C’est dommage. Les conditions précipitées et contraintes de ce travail parlementaire risquent paradoxalement d’aboutir ce matin à empêcher une belle unanimité – il y aura peut-être une petite part de votes négatifs, ce qui est regrettable – sur cette avancée positive concernant une Alsace pleinement volontaire et tellement impatiente.
Pour sa part, le groupe écologiste optera bien évidemment pour le vote conforme,…
M. André Reichardt. Ah !
M. Claude Kern. Très bien !
M. Jacques Fernique. … car les dispositions de ce texte sont somme toute positives et mettent à présent la Collectivité européenne d’Alsace et la région Grand Est face à leurs responsabilités respectives et à la nécessité d’assurer la cohérence de leurs actions. En effet, la CEA devra agir dans le cadre de ses marges de manœuvre pour mettre en œuvre les mesures contenues dans les ordonnances, et la région Grand Est aura, quant à elle, la capacité d’agir à partir de 2024 pour élargir éventuellement le périmètre de ces mesures au sillon lorrain. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, UC et Les Républicains. – M. Ludovic Haye applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il s’agit ici non pas de refaire le débat que nous avons eu en première lecture, mais de porter une appréciation sur le travail d’adaptation conduit par notre rapporteur.
Les adaptations proposées nous semblent conformes aux options retenues par le Sénat en première lecture. Je tiens à mon tour à saluer la qualité du travail produit sous l’égide de notre collègue Jean-Claude Anglars. C’est aussi la raison pour laquelle nous n’avons déposé aucun amendement.
Pour autant, cela ne modifie en rien l’appréciation que nous portons au fond sur ce texte et sur la régionalisation de l’écotaxe, qui ne nous paraît pas être la bonne réponse à un problème pourtant bien réel. Nous comprenons l’impatience des collectivités d’Alsace et, au-delà, des régions traversières qui sont concernées, car elles doivent subir quotidiennement les nuisances de la circulation des poids lourds.
Compte tenu de ces nuisances et des dégâts qu’elles occasionnent, nous comprenons aussi que ces collectivités soient impatientes de recueillir quelques subsides pour compenser ces effets et de pouvoir contribuer au développement de modes de transport alternatifs à la route.
Pour autant, la régionalisation de l’écotaxe ne nous paraît pas être la bonne solution, car toutes les régions de France ne sont pas géographiquement égales. Ainsi, les camions en transit traversent l’Alsace et le Grand Est de la France, mais ce n’est pas le cas pour les régions périphériques, ou pour une région péninsulaire comme la Bretagne ! Ainsi, on vient en Bretagne ou on en part, mais on n’y passe pas. Cependant, cette région a aussi besoin de moyens pour financer des modes de transports alternatifs à la route et une solidarité nationale nous semble indispensable pour mettre en œuvre cette orientation !
Par ailleurs, nous considérons que la réponse au problème rencontré passe aussi par la mobilisation de moyens importants pour développer le fret ferroviaire. En effet, le mode ferroviaire, qui est écologiquement le plus vertueux, est le seul mode de transport qui paye la totalité de ses coûts : infrastructures, péages, etc.
Enfin, s’agissant du produit financier de l’écotaxe, nous ne savons pas si celui-ci ira alimenter la trésorerie des collectivités pour financer l’entretien et le développement des routes ou les modes alternatifs de transport.
Une politique nationale de développement des transports alternatifs à la route devrait, à nos yeux, passer par l’affectation de moyens plus importants à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), qui serait la mieux placée pour pourvoir, par exemple, au financement de nouveaux investissements ferroviaires.
Ce sont là autant de raisons qui nous conduiront à nous abstenir sur ce texte.
M. Claude Kern. Dommage !
M. le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)
M. Claude Kern. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai envie de dire : enfin ! Effectivement, au regard des spécificités du trafic routier en Alsace, caractérisé par un report important de flux de circulation de poids lourds en provenance d’Allemagne à la suite de la mise en place d’une LKW-Maut – la fameuse taxation des poids lourds – sur l’autoroute allemande, le transfert décidé en 2019, et effectif depuis le 1er janvier 2021, de la voirie nationale non concédée à la CEA offre la perspective d’une gestion homogène du trafic et de ses contraintes.
L’enjeu qui nous réunit aujourd’hui est de pourvoir la collectivité des outils nécessaires à l’exercice de cette nouvelle compétence de façon pragmatique.
Je dirais même que, fort opportunément, tous les paramètres convergent donc avec la loi Climat et résilience d’août 2021 qui permet la mise en place d’écotaxes régionales dans les territoires subissant des reports significatifs de circulation des poids lourds, afin d’agir concrètement sur le flux de transport routier de marchandises et, par voie de conséquence, de peser positivement sur la transition écologique.
En effet, l’Alsace subit depuis de trop nombreuses années une dégradation importante de ses infrastructures routières, assortie d’une paralysie du trafic à certaines heures. Il en découle une accidentologie élevée, sans même parler des effets délétères pour la santé publique dus à la forte augmentation de la pollution de l’air et du bruit.
Aussi, en tant que sénateur du Bas-Rhin, et me faisant la voix du territoire que je représente, je me réjouis d’assister à la concrétisation de mesures que feu Adrien Zeller, il y a vingt ans déjà, appelait de ses vœux et que notre collègue député Yves Bur avait fait adopter en 2005, mais qui n’avaient pas pu aboutir en raison des circonstances de l’époque.
Nous ne pouvons donc que nous inscrire dans la ligne constructive qui a prévalu tout au long du processus d’adoption de ce projet de loi.
À ce titre, je salue tout particulièrement, avec les égards qu’il mérite, le rapporteur Jean-Claude Anglars pour son investissement et ses travaux de qualité.
Certes, tout n’est pas parfait et quelques ajustements pratiques n’ont pas permis d’atteindre un consensus total. Je pense en particulier au fait que la CEA ne puisse pas installer un dispositif de contrôle automatisé, ce qui est regrettable. Mais retarder l’adoption d’un texte tant attendu sur le territoire aurait constitué un manquement particulièrement préjudiciable, d’autant que, globalement, ce texte qui arrive au terme de son processus législatif accorde à la CEA une grande souplesse pour adapter ses outils à la réalité de terrain.
Je me réjouis donc de l’occasion qui nous est offerte aujourd’hui et apporte donc bien évidemment mon entier soutien au projet de loi de ratification, qui représente un premier test. Cette expérimentation pourra être généralisée, grâce à une extension aux régions volontaires en vertu de la loi de décentralisation tout récemment votée.
Je ne minimise pas pour autant certaines problématiques qui ne vont pas manquer d’alimenter durablement les débats. Je pense notamment aux transporteurs locaux français qui vont être fortement pénalisés, mais également aux reports vers des axes secondaires gratuits qui vont naturellement et inexorablement avoir lieu.
Mais j’ai confiance dans le dialogue qui va s’instaurer pour dégager des solutions permettant de traiter de manière pragmatique et différenciée l’ensemble de ces situations – condition sine qua non de l’acceptabilité et, in fine, de l’efficacité de cette écotaxe.
Dans ces conditions, et vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, le groupe Union Centriste, au nom duquel j’interviens, votera donc aujourd’hui la ratification de ces ordonnances, qui représentent une avancée importante pour l’Alsace tout en répondant aux préoccupations de nos citoyens en matière de changement climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)