Mme le président. La parole est à M. Éric Gold. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Éric Gold. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette convention internationale, qui devait faire l’objet d’une procédure d’examen simplifiée, a finalement droit à sa discussion générale.
Compte tenu des multiples enjeux de la Coupe du monde de football de 2022, je crois qu’il est sain que nous puissions effectivement en débattre.
Signé à Doha le 5 mars 2021, l’accord intergouvernemental que nous examinons aujourd’hui permet la mise en place d’un partenariat relatif à la sécurité de la Coupe du monde organisée cet automne au Qatar.
Il porte sur divers aspects de la sécurité de l’événement, dont le commandement des opérations, le contre-terrorisme ou la cybersécurité. Il prévoit un appui technique de la France, avec des visites d’études, des missions d’expertise ou encore des échanges de bonnes pratiques, ainsi qu’une assistance opérationnelle, avec des exercices et la mise à disposition d’experts et de matériels.
Le Qatar étant l’un des pays les plus sûrs au monde, notamment du fait de sa culture et de son système judiciaire, il est peu préparé à de potentiels débordements. Cet accord prévoit donc une coopération policière de la France, financée par le Qatar.
Mais cette convention bilatérale est pour nous l’occasion de débattre plus largement des conditions d’attribution et de préparation de la Coupe du monde.
Ce petit émirat est connu pour son gaz, son pétrole et ses buildings ; plus globalement, donc, pour son empreinte carbone désastreuse. Mais, pour ceux qui l’ignoraient jusqu’alors, l’organisation de la Coupe du monde a été l’occasion de découvrir un autre désastre, humanitaire cette fois, avec la fameuse pratique de la kafala et des conditions de travail infernales ayant entraîné la mort de plusieurs dizaines d’ouvriers. Je dis « plusieurs dizaines », car l’opacité est telle sur le sujet qu’il nous est impossible d’en connaître le chiffre exact.
À l’instar des jeux Olympiques d’hiver de Pékin, certains ont naturellement appelé au boycott de la Coupe du monde 2022. Elle est, à n’en pas douter, une aberration écologique, avec des structures pharaoniques construites ex nihilo et promises à une quasi-inactivité une fois la compétition achevée.
Comme lors des championnats du monde d’athlétisme organisés en 2019 au Qatar, les stades seront dotés de superclimatiseurs. Mais ni ces climatiseurs ni le changement de calendrier ne garantissent des conditions météorologiques acceptables pour le corps humain. On se souvient ainsi du triste record du marathon féminin de 2019, avec 40 % d’abandons.
Cette compétition est également le théâtre de multiples violations des droits humains, notamment ceux des ouvriers asiatiques qui subissent des conditions de travail et de vie indécentes, des privations de droits, de la discrimination…
Mais doit-on pour autant boycotter l’événement, tandis que les échanges commerciaux avec le Qatar, et notamment les ventes d’armes, se poursuivent ? Rappelons que le système de la kafala a été aboli en 2020 sous la pression internationale, et que les premières élections de portée nationale ont été organisées en octobre au Qatar. La Coupe du monde est un accélérateur de la modernisation et de l’ouverture du pays.
D’ailleurs, les organisations non gouvernementales (ONG) n’appellent pas au boycott de cette compétition. Elles demandent que l’on s’en serve comme d’un levier pour améliorer la situation sociale et écologique dans le pays, parce que le boycott pénalise avant tout les sportifs et que la politique de la chaise vide a ses limites.
Nous devons toutefois remettre sérieusement en question les procédures d’attribution de ces grands événements. Peut-on encore s’obstiner dans cet apolitisme de façade et cette absence de conditionnalité qui ne correspondent pas du tout à l’éthique du sport ?
Une véritable régulation est à opérer au sein des organisations sportives internationales. Elles ne peuvent plus se contenter d’être des chambres d’enregistrement du sportswashing, et doivent enfin prendre des mesures drastiques pour conditionner l’organisation des grandes compétitions sportives au respect de certaines valeurs largement partagées par les sportifs du monde entier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme le président. La parole est à M. Mickaël Vallet.
M. Mickaël Vallet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons nous contenter d’examiner le projet de loi qui nous occupe aujourd’hui, pour technique ou formel qu’il puisse paraître, sans nous interroger sur le contexte.
Sur le texte et ses effets juridiques proprement dits, le propos est simple : la France est un partenaire ancien du Qatar et, à ce titre, partage son expertise dans des domaines répondant précisément aux besoins de ce pays qui n’a pas, autant que nous l’avons, l’expérience de la gestion de l’ordre public lors de grands événements sportifs.
La seule évocation d’une coupe du monde de football nous renvoie, nous Français, à des expériences heureuses, en termes tant d’organisation que de résultats sportifs. Cette coopération doit permettre de « valoriser les compétences de nos services et faire rayonner nos pôles d’expertise », pour reprendre les termes de l’exposé des motifs.
Il y est également rappelé que les quelque 200 milliards de dollars d’enjeux économiques liés à une coupe du monde ne sont pas sans offrir des perspectives à nos entreprises dans cette cité-État qui ne représente pas moins que le sixième excédent commercial français. Les domaines de l’armement et de la défense y sont particulièrement bien représentés.
Ajoutons à cela que l’accord prévoit la prise en charge par la partie bénéficiaire de la coopération de l’intégralité du financement et que nos personnels seront juridiquement sécurisés dans leur cadre d’intervention, comme l’a souligné Mme la ministre : garantie du droit à un procès équitable en cas de mise en cause et impossibilité de mettre en œuvre à leur endroit la peine de mort, encore en vigueur dans cet État. À ce stade, si j’ose dire, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Toutefois, autour du texte se trouve le contexte. Se pose alors la question de savoir si l’intérêt de la France n’est pas d’abord de rester crédible dans ses choix de coopération. Voilà une idée qui paraît simple et c’est ainsi, chacun le sait désormais, qu’il faut voler « vers l’Orient compliqué »…
Disons donc les choses simplement : cette coopération s’inscrit dans le cadre d’une compétition que certains ont qualifiée de « Coupe du monde de la honte », celle dont les conditions d’attribution et de mise en œuvre ont heurté à bon droit l’opinion et interrogent sur l’opportunité d’un tel niveau de coopération et sur sa signification politique.
Le processus d’attribution de l’événement fait l’objet dans plusieurs pays, dont le nôtre, de procédures judiciaires lourdes. Les magistrats du parquet national financier (PNF) ont ouvert une information judiciaire pour « corruption active et passive » et « recel et blanchiment ». Des procédures similaires ont actuellement cours aux États-Unis et en Suisse. Et c’est à très haut niveau que ces faits de corruption sont présumés, dans l’entourage des plus illustres supporters français du PSG.
Interrogent également, et même scandalisent, les conditions de travail épouvantables des milliers de travailleurs étrangers sur les chantiers de construction des stades et des différentes infrastructures nécessaires à un tel événement. Pas un de nous ici ne tiendrait dans des conditions pareilles.
L’Organisation internationale du travail (OIT) et certaines ONG saluent des avancées ces dernières années, notamment l’abolition de la kafala, qui revient en fait à l’instauration d’un salaire minimum, ou l’ouverture d’un bureau de l’OIT dans le pays. Mais nombreuses sont les organisations de défense des droits de l’homme qui continuent de les trouver profondément insuffisantes et surtout de mettre en doute le nombre de « morts au travail ». Les conditions de travail des ouvriers doivent toujours être défendues avec une vision internationaliste.
Et que dire de la débauche énergivore de l’événement, nonobstant le discours qatarien – le Qatar n’est d’ailleurs pas le seul à le tenir – consistant à repeindre en vert les modalités de construction des stades et bâtiments ?
Le Qatar, que nous allons assister dans cette Coupe du monde, est le champion mondial des émissions de CO2 par habitant. Pendant ce temps, on exhorte les Français qui comptent ce qui leur reste à la fin du mois à tendre vers la sobriété…
Enfin, quand cet accord, dans les dix grandes fonctions autour desquelles s’articule la coopération – vous les avez rappelées, madame la ministre –, met en avant la lutte contre le terrorisme et l’expertise en cybersécurité, on ne peut que s’interroger sur la fin de non-recevoir adressée récemment aux services de renseignement français à la suite de leur demande de cessation de financement, par des fonds qatariens, de certaines mosquées, écoles ou associations impliquées dans la diffusion de l’islamisme politique.
Cet événement et sa mise en œuvre appelaient-ils, dès lors, un tel degré d’implication de la diplomatie française ?
De tous ces sujets – corruption, travailleurs ou lutte contre l’islamisme politique –, il n’a pas été publiquement question lors de la tournée de la délégation française dans le Golfe en décembre dernier, conduite par le Président de la République en personne.
Il est aisé de comprendre que notre groupe, au regard du décalage constaté entre cet accord de coopération accepté par le Gouvernement et les pratiques inadmissibles entourant cette coupe du monde de football, ne pourra voter ce texte.
Seule la protection offerte à nos coopérants militaires et civils nous empêche de voter contre. Nous ne nous l’interdisons que pour eux et pour eux seuls. En conséquence, le groupe socialiste s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes amenés à débattre d’un texte et d’un contexte.
Le contexte est celui des détestables soupçons de corruption et d’escroquerie qui jettent l’opprobre sur la FIFA. Ce scandale pollue, depuis plusieurs années, ces moments festifs de communion nationale footballistique. La prochaine Coupe du monde n’en est pas exempte, ce que je regrette.
Pourtant, il n’est pas aujourd’hui question de voter sur le choix du pays organisateur de la prochaine coupe du monde, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, cette décision ne relève pas de notre compétence de législateur, comme l’a rappelé notre collègue rapporteur Olivier Cadic, que je félicite pour son travail et la justesse de son propos. Cette compétence est celle d’une instance privée, la FIFA.
Ensuite, ce choix, qui remonte à douze ans, est désormais acquis. La Coupe du monde se tiendra cette année. En disant cela, je ne nie absolument pas les conséquences écologiques qui découleront de l’emploi des climatisations géantes prévues pour contrer des conditions météorologiques difficiles pour la pratique du football de haut niveau. Cela n’est pas sans faire écho aux critiques formulées contre les actuels jeux Olympiques d’hiver, au cours desquels l’usage de la neige artificielle bat son plein.
Je ne nie pas non plus les enquêtes qui ont révélé les coûts humains des préparatifs de cette Coupe du monde de football. Ils ne sont jamais excusables. Nous avons tous été profondément choqués.
Je ne nie pas non plus que la perspective de cette compétition ait pu encourager le Qatar à se moderniser et à s’ouvrir. Face aux critiques récurrentes quant aux conditions de travail des ouvriers sur les chantiers de la Coupe du monde, le Qatar a opéré depuis trois ans d’importantes réformes de son droit du travail, en coopération avec le Bureau international du travail, afin de se conformer aux normes internationales.
Cette marche doit se poursuivre. Il reste du chemin à parcourir pour atteindre pleinement nos standards en matière de droit du travail comme de droits de l’homme. Nos recommandations, lors de l’examen périodique universel (EPU) de l’Organisation des Nations unies (ONU), en mai 2019, constituent une bonne feuille de route. C’est en bonne voie et je salue les premières améliorations.
Ainsi, le Qatar a été le premier pays de la région à instaurer, en 2020, un salaire minimum pour les expatriés non qualifiés. Il a aussi été le premier, fin 2016, puis en 2020, à abroger la kafala, système honteux de parrainage contraignant qui discriminait les travailleurs étrangers et prévoyait d’autres exigences qui leur déniaient toute liberté de mouvement. Fait encourageant, ce pays a été récemment suivi par l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis.
Notre pays doit poursuivre ce dialogue constructif, étroit, régulier et exigeant, pour accompagner le Qatar dans la poursuite de ses progrès.
Ce premier instrument juridique conclu entre nos deux pays en matière de sécurité intérieure témoigne de l’ancienneté et de la qualité de notre coopération en termes de conduite de grands événements sportifs.
Ce cadre de partenariat s’appliquera définitivement et spécifiquement le temps de la prochaine Coupe du monde de football, pour en assurer la sécurité. Il témoigne de l’expertise française face à des enjeux auxquels le Qatar n’est pas habitué, tels que le hooliganisme, la gestion des « fan zones », la menace terroriste et les cyberattaques, la contrefaçon ou la consommation d’alcool. Il contribuera à faire rayonner nos pôles d’expertise et à dynamiser notre coopération. Je me félicite qu’il vienne apporter de fortes et précieuses garanties de protection juridique à nos agents français du ministère de l’intérieur déployés au Qatar dans le cadre de ces activités de coopération.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera en faveur de cet accord.
Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la Coupe du monde de football est un événement majeur qui, tous les quatre ans, fait vibrer des millions de personnes.
Depuis 2002, le pays organisateur est choisi par un vote des 211 nations membres de la Fédération internationale de football. Le pays organisateur est mis sur le devant de la scène et bénéficie de nombreuses retombées.
En 2010, le Qatar a été chargé de l’organisation de la Coupe du monde 2022. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, à l’approche de cet événement, la France a conclu un accord visant à garantir, par son assistance technique et opérationnelle, un haut niveau de sécurité.
Les jeux Olympiques ou le Rallye Dakar nous ont rappelé que les événements sportifs pouvaient être la cible d’attaques. Le Qatar n’a pas été épargné, ces dernières années, par le terrorisme. La France dispose d’une expertise particulière en matière de sécurisation de grands événements, comme elle l’a prouvé lors de la Coupe du monde 1998 et de l’Euro 2016, dans un contexte sécuritaire difficile. Et Paris se prépare à accueillir prochainement la Coupe du monde de rugby et les prochains jeux Olympiques.
Il est tout à fait judicieux que la France propose son assistance au Qatar. Cela contribuera non seulement à assurer les meilleures conditions de sécurité lors de l’événement, mais aussi à maintenir et perfectionner l’expertise de nos services compétents.
Je comprends que nos collègues communistes aient souhaité que nous ayons un débat sur ce texte. N’oublions pas que la désignation de la Russie et du Qatar comme pays organisateurs des coupes du monde 2018 et 2022 s’est déroulée dans un contexte de suspicion de corruption.
Le choix du Qatar, en raison de ses conditions climatiques particulières, pose évidemment d’autres questions. Il est inédit qu’un pays arabe puisse organiser un tel événement, dans une région souffrant de conflits armés.
Nos collègues communistes nous rappellent que diverses sources font état de la mort de plusieurs milliers de travailleurs immigrés au Qatar. Certains étaient employés sur les chantiers des installations destinées à la Coupe du monde. Nous souhaitons que toute la lumière soit faite sur ces décès.
Les conditions climatiques du Qatar sont particulièrement dures pour l’organisme ; le calendrier de la compétition a d’ailleurs été adapté pour cette raison.
À l’heure actuelle, beaucoup de ces décès sont identifiés comme résultant de causes naturelles. Il est difficile de l’accepter quand il s’agit d’hommes dans la fleur de l’âge. Ce n’est pas la première fois que ces faits se produisent : des scandales de même nature ont entouré la Coupe du monde 2014 au Brésil.
C’est notamment la responsabilité de la FIFA de s’assurer que ces situations dramatiques cessent de se répéter : nous lui adressons un appel. Aucun jeu ne peut valoir la vie d’un homme. La préservation de la vie humaine doit rester la première des priorités.
Certains ont pu appeler à un boycott de la compétition. Historiquement, le football a renforcé les liens de paix entre les nations en respectant l’identité de chaque pays. Dans ce contexte, le Gouvernement a maintenu une diplomatie d’ouverture, sans pour autant transiger sur nos valeurs, ce que nous soutenons – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur. D’ailleurs, il n’a pas été question de boycotter les Jeux de Pékin.
Ces événements ne sont pas seulement des rencontres sportives. Ils sont des moments d’échange, au cours desquels nous pouvons faire rayonner nos valeurs et tenter d’influencer pour le mieux nos homologues. C’est tout à fait l’esprit de l’accord en question : coopérer en faveur de l’intérêt commun.
La participation à un événement sportif ne signifie pas apporter son soutien à la politique d’un État. La sécurité des travailleurs et la liberté des individus doivent être mieux protégées. Il nous semble, en la matière, que des échanges réguliers sont plus à même de faire évoluer les choses dans un sens qui nous paraît favorable.
« Le secret pour gagner : une action après l’autre, une balle après l’autre, un match après l’autre, une saison après l’autre », disait Luis Fernandez. Nous sommes convaincus que cela vaut également en matière de diplomatie : allons-y pas à pas.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires souhaite que le Qatar protège davantage les travailleurs immigrés. Pour autant, l’esprit de coopération porté par l’accord nous conduit à voter en faveur du texte.
Mme le président. La parole est à M. Gilbert Bouchet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gilbert Bouchet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le retour à la procédure d’examen normale pour cette convention entre la France et le Qatar nous offre l’occasion d’un débat qui, je l’espère, apportera des réponses à nos questions.
Le présent texte est un accord de coopération bilatérale entre la France et le Qatar établissant un partenariat sur la sécurité de la Coupe du monde de football, qui aura lieu dans quelques mois au Qatar – une première dans cette zone géographique.
Avant d’aller plus loin, mes chers collègues, permettez-moi, au nom de mon groupe et à titre personnel, de saluer tous les athlètes qui, après deux années de pandémie, vont pouvoir participer à cette compétition internationale et nous apporter joie et espoir. Ils incarnent les valeurs essentielles et universelles que sont la pugnacité, la discipline, l’humilité, le dépassement de soi et le fair-play sur lesquelles nous ne devons pas céder.
Le contexte géopolitique de cet événement est marqué par de nombreux défis sécuritaires. C’est l’un des premiers fondements de cet accord qui s’inscrit dans une logique de coopération bilatérale ayant commencé dans les années 1990.
Comme l’a souligné notre rapporteur Olivier Cadic et comme le mentionne l’étude d’impact, la France et le Qatar ont signé en décembre 2017 des accords relatifs à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent.
Cette coopération s’est accompagnée de la mise en place d’un dialogue stratégique en 2019.
Ces deux actes sont déterminants pour la sécurité de la France et pour celle des autres pays, dans la mesure où le terrorisme islamiste et son financement menacent la paix entre les nations et fragmentent les sociétés.
Madame la ministre, nous savons que le Qatar apporte un appui logistique conséquent à la force conjointe du G5 Sahel. Pourriez-vous nous préciser quelles mesures concrètes sont mises en place par le Qatar depuis 2017, dans le cadre de la lutte contre le financement international du radicalisme, notamment au travers des établissements religieux et des associations ?
Parallèlement à la coopération en matière de lutte contre le terrorisme, je souhaite revenir un instant sur un autre aspect important de cet accord : le partage de l’expertise française dans la gestion de cet événement et dans des fonctions clés telles que la planification, le contre-terrorisme, le renseignement, la sécurité civile, la cybersécurité…
Ce sont autant de secteurs dans lesquels nos fonctionnaires des services de gendarmerie, de police, de secours et de logistique pourront instaurer des liens professionnels à long terme, développer leur expertise, diffuser leur savoir-faire reconnu, mais non exempt de concurrents.
Enfin, certains de nos collègues se sont interrogés, en commission, sur les droits des travailleurs et leurs conditions pour la préparation et l’accueil de cet événement.
En tant que membre du groupe d’études « Pratiques sportives et grands événements sportifs » du Sénat et de la commission des affaires étrangères, je peux comprendre ces questionnements. Toutefois, ils ne relèvent pas du texte qui nous est soumis. Nous resterons attentifs aux réponses que vous voudrez bien nous apporter sur ces sujets, madame la ministre.
L’objectif premier de l’accord reste la sécurité de la compétition, tout en permettant à nos deux pays d’approfondir leur coopération dans la lutte contre le terrorisme à différents niveaux. Pour cette raison, et dans sa majorité, notre groupe votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, des milliers de vies humaines emportées – 6 500 morts, selon The Guardian –, les pires conditions de travail constatées depuis l’abolition de l’esclavage, 200 milliards de dollars engloutis dans des stades pharaoniques à usage unique, une dépense énergétique invraisemblable pour refroidir de 40 à 15 degrés l’air ambiant de stades ouverts : après les innommables jeux Olympiques d’hiver de Pékin, voilà le coût de ce Mondial de la honte, attribué à la surprise générale et dans des conditions plus que douteuses par la FIFA, avec l’entregent funeste de l’ancien président Nicolas Sarkozy. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Cette FIFA, qui demande aujourd’hui le même statut défiscalisé que l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) pour s’implanter à Paris, et devant laquelle le Gouvernement déroule le tapis rouge !
C’est une bien triste année que 2022 pour les valeurs du sport, devenues le paillasson d’un capitalisme sans vergogne. (Mêmes mouvements.)
Que l’on ne vienne pas me dire que les écologistes sont des ennemis du sport ! C’est justement parce que nous défendons les valeurs du sport, de l’olympisme et les principes de tolérance, de paix, de fair-play et de noble émulation visant à la création d’une société pacifique que nous nous élevons contre cette aberration mercantile.
Quels footballeurs peuvent se satisfaire de ce détournement de leur sport ?
Quels footballeurs peuvent trouver du plaisir à jouer dans des stades plus imprégnés par l’odeur de la mort que par celle de la célébration ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est parce que les écologistes chérissent et défendent le sport qu’ils condamnent cette folie meurtrière !
Alors que le boycott, a minima diplomatique, s’impose, le Gouvernement nous propose au contraire de faire participer la France à la sécurité de cet événement… Ce cynisme est insoutenable !
Jusqu’où devrons-nous fermer les yeux pour écouler nos Rafale ? Combien de morts tolérerons-nous ? Combien de prisonniers torturés ? Combien de violations des droits humains nous faut-il accepter pour choyer le troisième plus gros client de notre industrie de défense ?
Ce projet d’accord est moralement inacceptable. Nos forces de l’ordre n’ont rien à faire au Qatar. Laissons l’émirat organiser cet événement qu’il a tout fait pour obtenir, à l’encontre de tout sens commun.
On lit, curieusement, dans le rapport de la commission que cette participation de la France à la sécurité du Mondial permettra de « nous préparer à l’accueil et à la sécurisation de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des jeux Olympiques de 2024 ». Quelle curieuse justification…
La France, qui a organisé un championnat d’Europe de football en plein état d’urgence, quelques mois seulement après les attentats de novembre 2015, ne serait pas capable d’assurer la sécurité d’une Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques ? C’est faire bien peu de cas des capacités de notre pays. Voilà qui est étrange de la part des partisans de la candidate qui défend la « fierté française retrouvée » ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Plus largement, je regrette vivement la position de notre commission et la teneur du rapport que vous avez adopté, mes chers collègues. Mentionner des avancées des droits humains sans rappeler les innombrables violations de ces mêmes droits dont s’est rendu coupable le Qatar me semble donner une vision pour le moins incomplète, pour ne pas dire orientée. Notre commission nous a habitués à davantage d’objectivité.
Il a fallu notre intervention et celle de nos collègues communistes, que je remercie, pour ne pas laisser le Sénat avaliser ce projet en catimini. Car même si l’on se plaçait, comme vous, du côté de la real politik, dénuée d’états d’âme, force est de constater que ce projet d’accord n’est pas plus opportun. Souhaitons-nous vraiment renforcer le partenariat dans la lutte contre le terrorisme avec un pays qui a potentiellement financé des groupes terroristes que notre armée combat encore au Mali ?
Toujours fidèles à nos incohérences, nous allons mettre en place un partenariat bilatéral avec un pays qui a longtemps financé les Frères musulmans sur notre sol et, dans le même temps, continuerons à voter des lois séparatistes pour pouvoir fermer les mosquées concernées dans notre pays, en abîmant au passage des libertés publiques.
Ce projet d’accord compromet tout autant notre dignité que notre sécurité nationale. Le Sénat doit évidemment le rejeter. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette Coupe du monde cristallise toutes les problématiques de nos relations avec le Qatar.
Disons-le d’entrée, son boycott ne nous semble plus pertinent pour plusieurs raisons : sur la forme, cette question aurait dû se poser avant même le premier match des éliminatoires, en mars dernier ; sur le fond, cela revient à faire peser sur les épaules des sportifs la responsabilité de l’État et à leur donner un rôle de diplomates qu’ils n’ont pas.
Ce Mondial sera-t-il celui de la fête ou de la honte ?
Dès son attribution, le doute a plané. Les soupçons de corruption sont étayés par des milliers de mails et renforcés par des présomptions de pressions politiques venant, notamment, de l’Élysée.
Rappelons également que le dossier du Qatar était le moins bien noté par l’expert de la FIFA. Ce triste épisode, qui s’ajoute aux suspicions concernant les éditions 1994, 1998, 2002 et 2010, impose une réelle réflexion sur le mode d’attribution des compétitions sportives internationales. Je rejoins en cela Marie-George Buffet, dans sa tribune publiée dans L’Humanité du 25 janvier dernier.
C’est ensuite la préparation du Mondial qui scandalise. Pour accueillir la compétition, le Qatar doit construire six des huit stades du tournoi, recourant pour cela à des milliers de travailleurs népalais, indiens et bangladais, dont les passeports sont confisqués.
Sous des températures dépassant parfois les cinquante degrés, 6 750 de ces travailleurs ont perdu la vie, quand les autorités qataries n’en concèdent que 37.
Comment jouer sous de telles températures, me demanderez-vous ? Tout simplement en déplaçant la compétition en hiver et en installant des systèmes de climatisation ultrapolluants dans le pays qui émet déjà le plus de CO2 par habitant.
Pendant la compétition enfin, on peut craindre le pire. Au Qatar, l’homosexualité est toujours passible d’une peine de prison. Les femmes, si elles possèdent certains droits, sont toujours placées sous le régime de la tutelle et doivent, depuis 2014, tenir compte d’une liste de vêtements interdits. En ce qui concerne la consommation d’alcool, qui n’est pas formellement interdite, la réglementation est floue.
Dans ce contexte, pourquoi devrions-nous prendre la responsabilité d’envoyer des agents et des matériels pour assister les forces de sécurité qataries avant et pendant l’événement ?
Cette convention, tout comme celle dont l’examen a été repoussé, doit nous interroger sur nos relations avec le Qatar.