M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Féret. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis pour débattre d’un sujet majeur et pourtant largement méconnu, celui de la prise en charge de ces millions de Français qui souffrent d’un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.
Je ne vous cache que je suis triste ce soir : j’aurais aimé que nous avancions et légiférions enfin pour aider tous ceux qui sont aujourd’hui en attente d’un diagnostic, en attente de poser des mots sur ce trouble neuro-développemental qui les mine au quotidien.
Quel dommage de ne pas avoir profité de la proposition de loi de Jocelyne Guidez ! Certes, elle était imparfaite, mais nous aurions pu l’amender, pour aider toutes ces familles, dans le Calvados comme ailleurs, qui aimeraient que leur enfant soit pris en charge par des professionnels de santé spécialisés, qui aimeraient surtout que l’école soit plus douce, plus accueillante, bienveillante avec leur enfant trop souvent considéré comme un élément perturbateur, le mauvais élève, dissipé, celui qui n’écoute rien.
Oui, c’est triste, car, dans un pays comme la France, des familles emmènent chaque jour leur enfant à l’école avec la boule au ventre, avec l’espoir que tout se passe bien, qu’il n’y ait pas une énième punition, un énième mot dans le carnet, en espérant aussi que leur enfant ne soit pas laissé de côté, isolé, voire harcelé… En tant que parlementaires, nous avons tous reçu, notamment par mail, les témoignages de familles ou de personnes directement concernées qui attendaient tant de l’examen d’une proposition de loi spécifiquement consacrée au TDAH. C’est un rendez-vous manqué et je le regrette !
Combien de personnes sont concernées ? On estime que ce handicap touche entre 3 % et 5 % des enfants d’âge scolaire, auxquels il convient d’ajouter les adultes, encore trop peu diagnostiqués.
Certes, la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a permis la reconnaissance de ce trouble en tant que handicap. Cependant, beaucoup reste à faire et nous avons ce soir le devoir de parler vrai et concret.
Ce faisant, je souhaite ici pointer trois grandes difficultés, en centrant volontairement mes propos sur la situation des enfants et des adolescents TDAH.
Tout d’abord, force est de constater que l’on ne connaît pas suffisamment ces enfants et adolescents, leur nombre réel, leur parcours scolaire… Le problème est que beaucoup d’entre eux compensent : leurs stratégies font que leurs troubles peuvent apparaître comme légers, dissimulant des difficultés plus importantes uniquement identifiables au travers de bilans pluridisciplinaires, réalisés par des spécialistes. Aussi, une telle compensation par l’élève ne dure qu’un temps et le risque pour lui est d’échouer durablement, de décrocher au fil du temps.
Les enfants concernés font souvent une dépression à l’adolescence, car ils ont tiré sur la corde et fait d’énormes efforts pour compenser. Ils peuvent vite être en échec lorsque personne ne reconnaît leur valeur ou leurs efforts.
Il est bien sûr nécessaire de mieux recueillir la parole des familles, notamment pour savoir comment l’école est vécue. Il faut aussi comprendre qu’il y a une vie en dehors de l’école et prendre conscience des difficultés rencontrées au quotidien avec l’enfant en situation de handicap. Les familles sont encore trop souvent pointées du doigt et culpabilisées.
Sur ce premier volet, je pense qu’il est surtout nécessaire de mettre enfin un terme à certains amalgames. Les enfants TDAH, je pourrais dire la même chose des « dys », ne sont pas autistes. De même, il n’y a aucun effet de mode à être diagnostiqué TDAH. Je trouve dommage que l’on en soit encore là, en France, en 2022.
Je regrette qu’il existe une stratégie nationale globalisante pour l’autisme et les troubles du neuro-développement. Cette situation est selon moi susceptible d’entretenir des confusions.
Ensuite, la question du diagnostic est importante, voire centrale.
De trop nombreuses familles sont en errance, ne comprenant pas ce qu’a leur enfant. « Indiscipliné », « fainéant », « ne voulant pas travailler ni faire des efforts » ? Non, il est peut-être TDAH.
La précocité du diagnostic et des interventions est un facteur clé de prévention du surhandicap : illettrisme, sortie du système scolaire, conduites à risques, non-accès au marché du travail… On voit bien qu’il faut encore réfléchir à ce qui permettrait d’éviter des années d’errance, perdues par les enfants et leur famille, donc de mieux dépister, puis de diagnostiquer.
Un point de vigilance tout de même : je sais qu’il peut y avoir de la part des familles de la défiance à l’égard des CMP ou CMPP, dont les personnels, d’obédience psychanalytique, ne sont pas suffisamment formés aux troubles TDAH. C’est un véritable sujet.
En pratique, l’enfant, le jeune a souvent besoin d’un bilan pluridisciplinaire, au coût élevé. Beaucoup de familles ne peuvent assumer ce coût et ne connaissent pas les dispositifs existants. Les plateformes de coordination et d’orientation, qui existent depuis 2019, ne sont encore pas suffisamment connues.
On ne va pas se le cacher : il y a surtout un réel manque de professionnels spécialisés – orthophonistes, ergothérapeutes, neuropsychologues, psychomotriciens… – pour diagnostiquer, puis prendre en charge ces enfants. Pis, même avec des diagnostics posés, certaines maisons départementales des personnes handicapées rechignent à reconnaître d’un point de vue administratif le handicap de l’enfant. En plus de la question des délais de traitement des dossiers, cette disparité selon les départements est aussi un réel problème.
Enfin, j’évoquerai spécifiquement l’école, car c’est le lieu où l’enfant passe au minimum huit heures par jour. Il y a encore fort à faire pour améliorer la détection, puis la prise en charge par les équipes éducatives.
Pour cela, il conviendrait de revoir la formation des enseignants, qui devraient mieux connaître les troubles du neuro-développement. Il faut une véritable montée en compétences et non une simple sensibilisation aux difficultés des enfants. J’aurais pu évidemment dire la même chose pour les accompagnants, les AESH et les autres personnels présents au sein de l’école.
En amont du diagnostic, le rôle de l’enseignant est majeur, car il devrait être à même de repérer les troubles, en d’autres termes de détecter des signes, et non pas de diagnostiquer. Il devrait ensuite pouvoir orienter la famille vers un diagnostic et laisser aux spécialistes le soin de réaliser un bilan pluridisciplinaire, avec des préconisations adaptées sur lesquelles s’appuyer.
On parle beaucoup d’école inclusive, mais, même lorsque le diagnostic est posé, il y a encore trop de disparités dans les accompagnements et les prises en charge, selon les écoles, les classes… Aujourd’hui, les aménagements relèvent encore trop de la bonne volonté de l’enseignant, laquelle s’exprime très souvent.
Je terminerai sur une note positive, car j’ai appris qu’un avis favorable au remboursement de la Ritaline pour l’adulte avait été adopté récemment lors de la réunion de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé. Il est indispensable que ces traitements soient enfin remboursés pour les plus de 18 ans qui en ont besoin.
Telles sont, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler dans le cadre de ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. « Hyperactifs » : c’est souvent le terme employé, même s’il est réducteur, pour désigner les enfants qui sont quelque peu turbulents, parfois distraits, ou qui peinent à maintenir leur attention ; un terme trop souvent utilisé à tort ou à raison, sans bien savoir à quelle pathologie il renvoie ni comprendre les implications que cela entraîne pour des enfants et leurs familles. Derrière ce mot pluriel se cache un parcours du combattant singulier.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la réalité est pourtant plus complexe et le débat que nous avons aujourd’hui dans notre hémicycle permettra, en partie, d’y répondre, à tout le moins d’envoyer un signal fort à ces milliers de personnes souffrant parfois en silence d’un manque de reconnaissance : vous n’êtes pas seuls.
Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité est encore largement méconnu. Il l’est chez les enfants, il l’est encore plus chez les adultes. Il est méconnu, puisque toute la difficulté réside dans le repérage et le diagnostic du TDAH.
Ainsi, l’association TDAH France rappelle que le diagnostic du TDAH ne s’appuie pas sur un examen simple – une prise de sang, par exemple –, permettant de trancher de manière catégorique. C’est bien plus complexe : c’est la persistance des symptômes au fil du temps, leur présence dans différents environnements et leur retentissement au quotidien qui caractérisent ce trouble.
La Haute Autorité de santé précise qu’il s’agit d’un trouble, d’un syndrome associant trois symptômes, dont l’intensité varie selon la personne.
Au déficit d’attention sont associées une hyperactivité motrice, qui se manifeste souvent par une agitation intense ou par l’incapacité à rester en place, ainsi qu’une impulsivité, c’est-à-dire une difficulté à attendre, le besoin d’agir ou la tendance à interrompre les activités des autres.
Le TDAH toucherait ainsi 2 millions de personnes, dont 800 000 enfants. Il concerne 3 % à 5 % des enfants scolarisés et peut être une source de souffrance, car il engendre souvent des difficultés et une frustration.
Le repérage et la prise en charge effective sont donc deux éléments fondamentaux et indissociables pour permettre aux enfants et aux adultes d’appréhender ce trouble et d’atténuer ses effets sur leur vie quotidienne.
Agir plus précocement auprès des enfants constitue un enjeu majeur, puisqu’un retard de diagnostic et une absence de prise en charge peuvent avoir des conséquences dommageables.
Sur le plan psychologique, tout d’abord, puisque l’enfant qui n’arrive pas à se concentrer ou à terminer une tâche peut perdre confiance en lui et se refermer sur lui-même.
Sur le plan scolaire, ensuite, avec des redoublements plus fréquents, alors même qu’un accompagnement personnalisé permettrait un épanouissement scolaire des enfants atteints de TDAH.
Sur le plan familial, aussi, puisque les parents ne sauront comment comprendre et appréhender l’attitude de leur enfant, engendrant ainsi des situations de conflits.
Sur le plan social, enfin, les enfants atteints d’un TDAH ayant parfois plus de difficultés relationnelles.
Ce retard de diagnostic et l’absence de prise en charge peuvent ainsi avoir des conséquences sur la vie entière de la personne, notamment en matière d’accès à l’emploi ou d’insertion sociale.
Construire une société toujours plus inclusive reste la priorité du Gouvernement et de la majorité présidentielle.
C’est pourquoi, dès 2018, le Gouvernement a lancé la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement, qui a permis des avancées concrètes, notamment dans le champ du repérage, grâce à la mise en place d’un parcours de bilans et d’interventions précoces.
Celui-ci permet de poser un diagnostic précis, avant 7 ans, en associant médecin traitant, médecin de crèche ou de PMI, médecin scolaire, psychologues et psychomotriciens. Il vise par ailleurs à éviter toute avance de frais par la famille.
Les plateformes de coordination et d’orientation permettent de guider l’ensemble des personnes susceptibles de présenter des troubles du neuro-développement.
Vous avez souhaité, madame la secrétaire d’État, élargir ces plateformes aux 7-12 ans, ce qui permet de répondre plus précisément aux besoins des enfants, puisque nous savons désormais que l’école élémentaire tend à rendre plus visibles les signes évocateurs du TDAH.
Il s’agit d’une mesure forte, qui permettra d’améliorer le quotidien des enfants et des familles : 9 millions d’euros seront consacrés au renforcement de ces plateformes afin d’accélérer encore les démarches de diagnostic.
Vous avez par ailleurs publié lundi un livret pédagogique à destination des professionnels et des parents. Celui-ci permettra d’aboutir à un repérage précoce des écarts inhabituels de développement chez les enfants âgés de 0 à 3 ans, d’identifier les besoins spécifiques de l’enfant et de mieux orienter les parents, qui, parfois, se sentent démunis et peu accompagnés.
En quelques minutes, je viens de citer de multiples avancées concrètes qui permettent d’assurer une prise en charge exhaustive et facilitée des personnes atteintes de TDAH. Il est essentiel de poursuivre ces efforts, madame la secrétaire d’État.
Je me réjouis donc de la tenue de ce débat au sein de notre hémicycle, même si j’aurais préféré que nous discutions d’une proposition de loi. Je remercie d’ailleurs nos collègues, Mmes Guidez et Jacquemet, ainsi que le groupe Union Centriste, de nous donner l’occasion de mettre en lumière ce sujet essentiel.
Mes chers collègues, nous avons tous reçu d’innombrables témoignages de familles touchées par le TDAH. Certains ont dans leur entourage des enfants atteints de ce trouble ; il s’agit parfois de leurs propres enfants. Ce débat revêt donc une importance cruciale. Il s’agit d’un sujet de société qui a des effets sur le quotidien de très nombreux enfants dans notre pays. Ce trouble a des répercussions lourdes pour eux et leurs familles.
La formation du personnel éducatif et des professionnels de la petite enfance joue un rôle majeur. Vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État : il est essentiel d’agir le plus tôt possible pour garantir une prise en charge effective des enfants.
Il est également nécessaire de mieux sensibiliser la société tout entière au TDAH. Ce débat permettra, je l’espère, de démontrer notre implication en faveur d’une meilleure reconnaissance de ces troubles.
À cet égard, la journée nationale des TDAH, dont la première édition s’est tenue le 12 janvier 2021, et qui aura désormais lieu chaque année, permettra d’éveiller les consciences et de changer le regard sur ces troubles.
« Hyperactifs » doit être plus qu’un terme lancé parfois aux détours des conversations ; c’est une réalité qui nécessite tout notre engagement pour améliorer le diagnostic, l’accès aux soins et l’accompagnement de tous.
M. le président. Il faut conclure !
M. Xavier Iacovelli. Pourriez-vous, madame la secrétaire d’État, dresser un bilan des trois années de mise en œuvre de la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement, en particulier sur l’accompagnement des familles dans leurs démarches de diagnostic et d’intervention précoce ?
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je félicite Jocelyne Guidez et Annick Jacquemet d’avoir déposé et rapporté la proposition de loi visant à améliorer la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, et d’avoir mené des auditions très approfondies.
Il s’agit d’un problème relativement fréquent, puisque 5 % des enfants et 2,5 % des adultes sont concernés. Ce texte a été rejeté par la commission. J’y étais pour ma part favorable, mais je comprends la volonté de renforcer la concertation auprès des associations d’enfants autistes.
Le TDAH se caractérise par trois composantes : l’hyperactivité motrice, l’inattention et l’impulsivité. Les difficultés de concentration sont souvent associées à une opposition permanente, à des dyslexies. Ce trouble du neuro-développement a parfois des conséquences importantes sur la scolarité et la vie sociale de l’enfant, puis de l’adulte, le risque de décrochage scolaire et de désinsertion professionnelle étant plus important pour ces personnes.
Le délai moyen de diagnostic est de deux à trois ans en France, avec souvent des errances. Le dépistage précoce est pourtant primordial, mais nous avons un manque évident de personnel médical, en particulier de pédopsychiatres, et paramédical, c’est-à-dire d’orthophonistes et de psychomotriciens, pour assurer une prise en charge pluriprofessionnelle.
L’accompagnement de l’enfant est souvent coûteux pour les parents. Les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) et les centres médico-psycho-pédagogiques se trouvent souvent démunis, faute de personnel adéquat.
Pour une véritable école inclusive, nous devons aussi renforcer la présence d’auxiliaires de vie scolaire formés, tout au long de la journée scolaire et périscolaire, y compris à la cantine.
Les enseignants sont les premiers à signaler aux parents des problèmes d’inattention en classe et d’agitation. Les élèves concernés peuvent être mis de côté et les parents sont parfois en très grande souffrance. Nous devons mieux les accompagner pour les aider à comprendre les troubles de leur enfant et leur permettre d’adopter une attitude positive. Il faut également, bien entendu, proposer des soins pour l’enfant.
Une stratégie nationale pour l’autisme et les troubles du neuro-développement a été lancée en 2018. Elle vise précisément à renforcer l’information des professionnels et la coordination des soins, mais aussi à diminuer le reste à charge pour les familles.
Nous saluons ces avancées pour repérer, mais nous devons aussi renforcer la prise en compte des TDAH et former les professionnels de santé comme les enseignants.
L’article 3 de la proposition de loi prévoyait d’instaurer deux consultations de dépistage obligatoire des troubles du neuro-développement. Je rappelle qu’il existe, en plus du bilan à 3 ans, un bilan de santé à 6 ans. La Cour des comptes indique toutefois dans son dernier rapport sur la médecine scolaire que 18 % seulement de ces visites ont été réalisées en 2018, faute de médecins scolaires disponibles. Avant d’ajouter de nouvelles visites médicales obligatoires, nous devons régler le problème de la pénurie de médecins scolaires et permettre à tous les enfants d’effectuer leur bilan de santé avant 6 ans.
Madame la secrétaire d’État, j’attire également votre attention sur les élèves que l’on appelle « surdoués » ou « à haut potentiel », dont certains présentent ce trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Certains pays identifient très tôt ces enfants et leur proposent une scolarité adaptée. La solution proposée historiquement en France, qui consistait à faire sauter une ou plusieurs classes, n’est pas forcément idéale. Il faudrait décloisonner davantage la scolarité de ces élèves sans forcément brûler les étapes, en nous inspirant des initiatives qui ont fait leurs preuves à l’international.
Pour conclure, je remercie le groupe Union Centriste de nous avoir offert cette occasion de débattre de la prise en compte des TDAH dans leurs différents aspects. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les écologistes se félicitent qu’un débat sur le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité remplace la proposition de loi qui en est à l’origine.
Non que le sujet ne mérite pas notre intérêt – nous avons entendu le désarroi des familles, l’errance médicale, les frais non remboursés associés aux prises en charge, et nous remercions le groupe Union Centriste d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de nos travaux –, mais le législateur doit se garder de devenir prescripteur normatif en partant d’approches théoriques et cliniques qui ne représentent pas toutes les pratiques soignantes et éducatives.
Dépistage précoce du TDAH porté sur le carnet de santé de l’enfant, capacité pour le médecin généraliste de porter un diagnostic à partir d’un module de formation de quelques heures : ces préconisations semblent escamoter les présupposés théoriques sur lesquels elles s’appuient.
D’après un neuropédiatre spécialiste des troubles neuro-développementaux, un quart des élèves d’une classe souffriraient de troubles « dys », d’un déficit de l’attention ou d’hyperactivité. Faudrait-il pour autant dépister systématiquement les enfants, à différents âges, comme on dépiste une déficience visuelle ?
Les tenants d’un trouble héréditaire prédestinant mécaniquement à des difficultés, voire à toutes sortes de déviances – drogues, délinquance – préconisent logiquement une politique de dépistage de l’enfant-symptôme, porteur d’un dysfonctionnement d’une région de son cerveau évalué à grand renfort de tests et d’échelles, dans le but de mettre à jour les déficits, et jamais les ressources mobilisables par l’enfant, sujet de son histoire.
Le diagnostic posé, il est possible d’orienter vers la reconnaissance de ce handicap invisible. Souvent, cette approche issue des sciences neuro-comportementales conduit naturellement aux thérapies cognitivo-comportementales.
Comme aux États-Unis bien avant nous, cette approche tend à devenir hégémonique dans beaucoup de dispositifs. Le mouvement des psychologues cliniciens s’est élevé contre cette tendance, non pour en contester toute légitimité, mais pour défendre la pluralité des approches scientifiques qui font la richesse de l’enseignement et des pratiques thérapeutiques en France.
En effet, les spécialistes du soin psychique, les éducateurs et les pédagogues qui repèrent ces difficultés chez l’enfant mettent principalement en avant la fécondité d’une approche polyfactorielle, qui s’intéresse autant aux facteurs internes – avec, bien entendu, de possibles prédispositions – qu’aux facteurs externes – contexte familial, social, culturel, scolaire et environnemental, notamment la surexposition aux écrans et les stimulations et excitations qu’elle entraîne.
Ces facteurs explicatifs nous invitent à mettre en œuvre une véritable politique publique de prévention et à ne pas nous en tenir à une conception réductrice de l’individu humain. Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité fait l’objet de controverses entre plusieurs approches, entre lesquelles qu’il n’appartient pas aux pouvoirs publics de trancher. Ces derniers doivent faire vivre la pluralité des référentiels théoriques et non normaliser les pratiques soignantes en orientant vers un seul type de soins remboursés.
Les professionnels doivent débattre sans s’accuser réciproquement de déni : d’un côté, le déni d’une prédisposition ; de l’autre, le déni de la place de l’histoire singulière de l’enfant et de son environnement dans ses difficultés et leur dépassement.
Il n’est pas neutre de promouvoir le dépistage précoce du TDAH alors que des travaux cliniques, distinguant d’ailleurs les troubles de l’attention et l’hyperactivité, alertent sur un risque de surdiagnostic et, en bout de chaîne, de surmédicalisation.
La France avait d’ailleurs adopté une attitude prudente, en limitant la prescription et le renouvellement annuel des médicaments psychostimulants aux pédopsychiatres hospitaliers.
En ouvrant leur prescription à la médecine de ville, il est probable que le recours médicamenteux augmente, tandis que les lieux pluridisciplinaires de prévention et de soins comme les CMPP ont vu leurs moyens péricliter, les délais d’attente pour les enfants en difficulté dépassant plusieurs mois.
Et que dire des médecins, infirmiers et psychologues scolaires, affectés sur plusieurs écoles ? Ces réalités rendent impossible la rencontre des professionnels spécialisés, de l’équipe éducative et des parents autour de la situation de l’enfant.
Il faut bien sûr identifier au plus tôt les difficultés, diagnostiquer, mais ne pas enfermer l’enfant dans son trouble et déployer des dispositifs d’accompagnement et des propositions pédagogiques adaptés à sa situation.
Il faut aussi mettre fin à la destruction des centres où exercent des équipes pluridisciplinaires et embaucher massivement différents types de professionnels, dont la pluralité des regards et des pratiques est essentielle pour permettre à chaque enfant en difficulté de construire son propre chemin d’émancipation. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je ne pourrais peut-être pas répondre à toutes vos questions dans les cinq minutes qui me sont imparties en conclusion de ce débat. Je souhaite donc m’exprimer dès à présent.
La stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement 2018-2022 est la première à avoir pris en compte le TDAH, après trois plans spécifiquement consacrés à l’autisme.
Lors de la Conférence nationale du handicap, le Président de la République s’est en effet engagé à élargir aux 7-12 ans l’accès aux plateformes de coordination et d’orientation. C’est souvent au début des apprentissages en élémentaire qu’apparaissent les premiers signes d’alerte sérieux, et c’est grâce aux associations impliquées dans la prise en charge du TDAH, avec qui nous travaillons en coconstruction, que nous avons décidé de faire évoluer notre stratégie.
Je vous remercie d’organiser ce débat au Sénat. Il est extrêmement important de prendre en charge les enfants, les adultes, mais aussi leurs familles, qui ont dû procéder à de multiples adaptations dans leur vie. Nous devons impérativement alléger le poids qui pèse sur leurs épaules en assurant la portabilité et la continuité des adaptations pédagogiques nécessaires de l’enfance jusqu’à l’âge adulte, toujours dans une logique de concertation avec les associations.
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller. Je suis content de vous entendre, madame la secrétaire d’État, sur ce sujet important qu’est le trouble du déficit de l’attention. Le Comité interministériel du handicap, qui se tiendra dans quelques heures, sera l’occasion de confirmer votre engagement envers les associations et les parents concernés.
Nous sommes réunis ce soir afin de débattre de l’amélioration de la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.
Ce débat fait suite au dépôt d’une proposition de loi par notre collègue Jocelyne Guidez, qui s’est tout particulièrement mobilisée sur ce sujet qu’elle connaît bien. Je tiens à la remercier d’avoir pris cette initiative.
La proposition de loi ne sera pas examinée pour l’instant, mais ce débat organisé par le groupe Union Centriste nous permet d’aborder un sujet dont on parle peu, qui n’est pas encore suffisamment pris en compte, même si des initiatives ont été lancées : le TDAH et, plus largement, les troubles du neuro-développement, ou TND, lesquels concernent un nombre croissant de nos concitoyens.
Le TDAH est un trouble du comportement qui associe souvent trois dimensions cliniques : l’inattention, l’impulsivité et l’hyperactivité.
Selon la Haute Autorité de santé, le TDAH concerne 5 % des enfants et adolescents et 2,5 % des adultes, soit environ 2 millions de personnes. Mais l’on peut imaginer que, avec l’amélioration des diagnostics, ce taux sera encore plus élevé.
Ce trouble a des répercussions significatives sur l’apprentissage scolaire et la vie personnelle, professionnelle et sociale de ceux qui en souffrent, mais également de leurs familles.
Je souhaite également saluer le travail effectué par Annick Jacquemet, rapporteure de la proposition de loi, qui a dû prendre en charge un sujet difficile.
Comme elle nous l’a confié lors de la présentation de son rapport au sein de la commission des affaires sociales, elle ne savait pas particulièrement ce que recouvrait le TDAH, comme beaucoup d’entre nous d’ailleurs.
Si elle a pris le temps d’auditionner les différents acteurs directement concernés, elle n’a pas hésité non plus à élargir ses auditions aux représentants des personnes et des familles touchées plus largement par les troubles du neuro-développement.
En effet, il est difficile d’envisager de parler des troubles de l’attention sans aborder les troubles du neuro-développement dans leur globalité.
Le TDAH fait partie des troubles du neuro-développement, au même titre que les troubles du spectre de l’autisme, les troubles du développement intellectuel et les troubles « dys », qui sont nombreux.
Souvent, les personnes atteintes de TDAH peuvent présenter un ou plusieurs autres TND. C’est pourquoi, en ne traitant que du TDAH, la proposition de loi n’aurait répondu que partiellement aux attentes des personnes concernées. Il est difficile de porter une proposition de loi qui ne traite que des TDAH sans prendre en considération l’ensemble des troubles du neuro-développement, tellement les liens sont importants.
Les grands enjeux sont les mêmes en matière de diagnostic, d’accompagnement, de scolarité, d’insertion et de reconnaissance par les pouvoirs publics. Il faut donc une vue d’ensemble sur les TND, même si chaque trouble est spécifique et nécessite une organisation particulière. J’appelle donc de mes vœux, d’ici quelques mois, un texte concernant les TND dans leur ensemble.
Une politique ambitieuse en faveur d’une meilleure prise en compte des TND reste à écrire, et il revient au Gouvernement de se saisir de ce sujet complexe. Des objectifs ont été définis en 2018 dans le cadre de la stratégie nationale pour l’autisme, mais il faudra encore attendre longtemps avant d’obtenir des résultats. Nous devons rester mobilisés.
Les avancées en matière de recherche, de diagnostic, d’accès et de prise en charge restent pour l’instant timides.
Les familles des enfants concernés ont un besoin urgent de réponses. Beaucoup d’entre elles restent encore démunies face aux troubles de leurs enfants, faute de diagnostic dès les premières années permettant une meilleure prise en charge.
De nombreux professionnels de santé et de la petite enfance doivent donc être formés afin d’être en mesure de déceler les signaux propres aux TND, avant qu’un véritable diagnostic soit posé par un spécialiste. Nous nous heurtons alors à un autre problème, celui du nombre de spécialistes sur le territoire national et de leur formation…
En matière d’insertion scolaire, la sensibilisation et l’information des personnels de l’éducation nationale sur les troubles du neuro-développement leur permettront de répondre aux difficultés rencontrées par les élèves en termes d’apprentissage et de comportement. Les enjeux sont importants pour tous les handicaps, mais les TND présentent des particularités.
Une meilleure prise en charge financière des dépenses de soins avancées par les familles doit être envisagée : le reste à charge est souvent beaucoup trop élevé. Se posent également les questions de la reconnaissance par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et de la possibilité de bénéficier d’une aide humaine, des sujets importants qui restent sur la table.
La future proposition de loi que nous attendons devra répondre entre autres à ces multiples problématiques. Le groupe Les Républicains contribuera aux travaux de réflexion dans l’attente d’un texte prenant en compte l’ensemble des enjeux du secteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Jocelyne Guidez et Véronique Guillotin applaudissent également.)