M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, beaucoup a déjà été dit, notamment sur la chute drastique de la natalité. Pourtant, le désir d’enfant est toujours là, constant, puisqu’en 2020, comme en 2010, les Français aspirent à avoir 2,39 enfants par famille.
Récemment, le Haut-Commissariat au plan a énoncé clairement que la politique familiale avait vocation à soutenir la natalité, tout en relevant que l’orientation générale des décisions prises ces dernières années n’avait pas été dans ce sens.
Selon une étude de l’Institut national d’études démographiques (INED), publiée en novembre 2021, « les politiques familiales et les conditions économiques conjoncturelles jouent un rôle majeur sur les niveaux de fécondité ».
Depuis 2013, la politique familiale a été détricotée. Le mouvement, engagé lors du quinquennat de François Hollande, n’a pas été corrigé avec l’arrivée d’une nouvelle majorité, même si le Président de la République, en avril 2019, a donné à la famille le statut de « permanence » de la société et a indiqué vouloir rétablir « la force d’une politique familiale ».
Ce détricotage s’est opéré sous l’effet de deux mouvements de transfert.
Tout d’abord, on est passé de prestations universelles à des prestations ciblées, majoritairement délivrées sous conditions de ressources. Le quotient familial a été abaissé en 2013, puis encore en 2014. Cette même année, les allocations familiales ont été modulées et le seuil d’attribution de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) a été modifié. Il s’agissait de mesures de restriction financière et non de mesures de redistribution : il n’y a pas eu plus d’argent pour les familles les plus modestes ; il y en a juste eu moins pour les familles moins modestes ou aisées.
Ces changements ont eu un effet sensible sur les familles affectées. Ainsi, l’Union nationale des associations familiales (UNAF) a chiffré les pertes que la modulation des allocations familiales a entraînées pour les familles de trois enfants à 34 000 euros pour le premier plafond et à 51 000 euros pour le second plafond. Avec la modulation, on a demandé un effort aux familles aisées ayant des enfants, mais non aux célibataires aisés ou aux couples n’ayant pas ou plus d’enfants à charge ; cela confirme le caractère strictement budgétaire de la mesure.
La branche famille est excédentaire : elle sert à financer des déficits créés ailleurs. D’ailleurs, en novembre dernier, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, le Sénat a supprimé le transfert d’un milliard d’euros de la branche famille vers la branche maladie ; il entendait ainsi dénoncer le manque de mesures prises par ce gouvernement durant cinq ans en faveur de la famille. Une véritable politique familiale consisterait à revaloriser les prestations à leur juste niveau !
Le second transfert ayant contribué à ce détricotage est une modification de la nature de ces dépenses : alors qu’elles relevaient de la politique familiale, elles sont essentiellement devenues des dépenses de politique sociale. On peut en prendre pour exemple la hausse de 138 euros par mois de l’allocation pour garde d’enfants pour les familles monoparentales déshérités, la création de places en crèche soutenue uniquement dans les quartiers défavorisés, ou encore les repas à un euro à la cantine.
Cette confusion apparaissait d’ailleurs clairement, monsieur le secrétaire d’État, dans le discours que vous avez prononcé en octobre dernier devant la Conférence de la famille…
Mme Christine Lavarde. Vous avez raison : la Conférence des familles, la première à s’être réunie depuis quinze ans. Mais vous venez aussi de réaffirmer cette position, en déclarant que vous ne partagiez ni la démarche ni l’esprit de cette proposition de loi.
Pour autant, nous estimons pour notre part que cette proposition de loi permet d’ouvrir un débat sur la définition d’une véritable politique familiale, au-delà de la seule question de la redistribution. En novembre 2017, Olivier Véran, qui était alors rapporteur général du budget de la sécurité sociale à l’Assemblée nationale, constatait l’existence d’une vingtaine de prestations familiales entre lesquelles personne ne se retrouve : voilà ce qu’il faut être capable d’analyser dans un ensemble, au-delà du débat sur l’universalité des prestations.
Le constat a été posé, mais rien n’a été fait depuis lors pour simplifier. Une politique familiale efficace repose sur une diversité d’outils – compensations de charges ou encore aides spécifiques –, qui offrent des réponses adaptées à chaque famille, quels que soient sa composition et son lieu de vie, et qui ne s’arrêtent pas aux 20 ans de l’enfant. La joie, mais aussi les contraintes et les responsabilités liées à l’accueil d’un enfant ne dépendent pas du niveau des revenus, et chacun connaît l’adage : « petits enfants, petits soucis ; grands enfants, grands soucis ».
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Je confirme !
Mme Christine Lavarde. Quelles solutions permettraient de favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes par l’aide apportée aux familles ? Comment supprimer ces effets de seuil injustes et incohérents, si pénalisants pour le travail des femmes ? Au-delà de la petite enfance, quelles pratiques de conciliation peuvent être promues tout au long de la vie pour favoriser l’exercice des solidarités familiales ? Comment permettre à toutes les familles d’offrir un logement décent et des possibilités d’études à leurs enfants ? Beaucoup de sujets sont ouverts. Qu’inscrira-t-on dans la prochaine convention d’objectifs et de gestion de la CNAF (Caisse nationale des allocations familiales) ? Quelle forme prendra le futur service public de la petite enfance, que vous appelez de vos vœux, monsieur le secrétaire d’État ?
Le déclin démographique de la France obère l’avenir, car l’équilibre de notre régime de retraite dépend non pas uniquement de l’augmentation de la durée des cotisations, mais aussi du nombre de cotisants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour remercier notre collègue Olivier Henno d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi.
L’abandon régulier et progressif de l’universalité des allocations familiales, entamé depuis plusieurs années, mais érigé en principe en 2015, sous le quinquennat de François Hollande, et poursuivi sous celui d’Emmanuel Macron me semble être une triple erreur.
C’en est une, bien sûr, parce qu’il s’agit d’un détournement des principes fondamentaux de la sécurité sociale selon lesquels, à revenu égal, les familles ayant charge d’enfants voient en partie compensés les coûts liés à leur éducation. L’idée, amorcée dès l’avant-guerre par certains patrons, consistait à verser, sur la base d’une rémunération égale pour un travail identique, ce qu’il était convenu d’appeler un sursalaire dont l’ouverture était exclusivement fondée sur la présence ou non d’enfants et non pas, bien évidemment, sur le revenu.
Mais je ne souhaite pas tant rappeler ce principe fondateur que réfléchir avec vous quelques instants sur l’erreur qui consiste à confondre politique familiale et politique d’assistance aux ménages les plus modestes : on court alors le risque d’assimiler les familles à des cas sociaux.
L’erreur première consiste donc, au fond, à ne voir dans l’aide aux familles qu’une seule branche de la sécurité sociale, en oubliant que la politique familiale ne constitue pas une dépense de fonctionnement récurrente comme la maladie ou la vieillesse : la famille ne relève pas d’une logique assurantielle, car elle ne constitue pas un risque à couvrir ; bien au contraire, elle relève d’un investissement. En cela, elle participe de la pérennité de la société, de notre dynamisme démographique et économique, ainsi que de notre rayonnement culturel.
La vitalité démographique conditionne bien sûr la solidarité entre les générations, comme en témoigne l’explosif dossier des retraites : je ne puis que déplorer que les excédents réguliers de la branche famille, en partie dus à la réduction des bénéficiaires, soient systématiquement détournés de leur objet pour financer d’autres branches.
Je rappelle que la modulation imposée aux familles en 2015 n’a réduit les inégalités qu’à la marge et a pénalisé les familles les plus nombreuses du fait d’un dispositif de lissage très limité. Ainsi, un faible supplément de ressources conduit à une forte diminution des allocations, l’effet de seuil se révélant très élevé, particulièrement pour les familles nombreuses.
La seconde erreur a trait aux effets de seuil de revenus, qui ont pour conséquence de décourager certaines femmes de reprendre une activité professionnelle. Je pense plus particulièrement aux familles les plus modestes, où l’effet de seuil conduit les femmes à se dire que, tout bien compté, il vaut mieux rester à la maison que reprendre un travail.
Enfin, au risque de m’attirer les foudres d’une partie de l’assemblée, je ne vois pas pourquoi nous devrions offrir des prestations à des familles qui n’assument pas leurs responsabilités éducatives… (Protestations sur les travées du groupe SER.) Je m’attendais à ces cris et je m’en réjouis ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Pierre Louault et Franck Menonville applaudissent également.)
Les allocations familiales – si vous voulez bien encore m’écouter trente secondes, mes chers collègues – ne doivent pas être considérées comme un droit à la solidarité de la Nation que l’on détient sans contrepartie : doit y répondre la responsabilité des familles. Effectivement, mes chers collègues, si vous confondez une politique d’assistance aux revenus les plus modestes avec les prestations familiales, il faut verser des prestations familiales à tout le monde ; si vous considérez en revanche qu’il y a contrepartie, la question mérite d’être posée.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez tenté – en tout cas, vous ne m’avez pas convaincu – de nous expliquer que pendant cinq ans vous aviez tout fait très bien ; ce que je constate simplement, c’est que les excédents de la branche famille ont été détournés de leur finalité alors que vous auriez pu à tout le moins les affecter à une revalorisation desdites prestations.
C’est pourquoi, chers collègues, je voterai sans réserve ce texte qui vise à revenir à la philosophie première et à la vocation initiale des allocations familiales d’accompagnement à l’éducation, de soutien à notre démographie et de solidarité envers les familles qui font le choix d’avoir des enfants, sans lesquels aucun pays n’a d’avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme Valérie Boyer. Bravo !
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à renforcer l’universalité des allocations familiales
Article 1er
I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Les troisième, cinquième et dernier alinéas de l’article L. 521-1 sont supprimés ;
2° Le second alinéa de l’article L. 755-12 est supprimé.
II. – Le I entre en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard un an après la promulgation de la présente loi.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, sur l’article.
M. Stéphane Demilly. À la lecture de l’exposé des motifs de cette proposition de loi de mon collègue et ami Olivier Henno, je me suis posé quatre questions. Premièrement, y a-t-il vraiment un problème de natalité en France ? Deuxièmement, le montant des allocations familiales est-il de nature à influencer le taux de fécondité ? Troisièmement, faut-il une politique égalitaire ou une politique équitable ? Quatrièmement, enfin, le système de protection sociale peut-il se permettre une dépense supplémentaire ?
En réponse, j’ai fait les constats suivants. Tout d’abord, notre taux de fécondité, qui s’élevait à 1,87 en 2020, est le meilleur d’Europe. Cela s’explique par le fait que notre pays a su intégrer le fait familial dans les besoins quotidiens des familles : je pense au travail à temps partiel, aux cantines dans les écoles, au développement des crèches, aux aides pour les vacances, ou encore à l’évolution de notre droit du travail.
C’est bien la conciliation entre la vie professionnelle, la vie familiale et la vie sociale qui permet aux familles de réaliser leur désir d’enfant ; d’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le gouvernement allemand s’est inspiré avec succès de notre modèle.
Il me paraît donc trop rapide de déduire d’un rétablissement des allocations familiales pour les familles aisées une incidence positive sur le taux de fécondité en France. Victor Hugo nous rappelait dans Les Misérables que la première égalité est l’équité ; de la même façon, notre pays a opté pour le principe de redistribution verticale, de manière à promouvoir une plus grande justice sociale. Un retour à l’universalité des allocations familiales marquerait un changement de cap à contre-courant de l’histoire du modèle social.
Enfin, cette mesure ne se contenterait pas de renforcer un sentiment d’injustice sociale déjà grandissant : notre système de protection sociale, déjà déficitaire de plus de 38 milliards d’euros, dont 2 milliards pour la CNAF, n’est tout simplement pas en mesure de digérer une nouvelle inflation de dépenses.
Dès lors, même si j’entends les arguments de nombre de Français qui ont le sentiment de donner sans jamais recevoir, je ne suis pas sûr à titre personnel que cette proposition soit des plus judicieuses, que ce soit d’un point de vue démographique, social, budgétaire, ou politique. C’est la raison pour laquelle je traduirai mon scepticisme en abstention.
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.
M. Olivier Paccaud. « Une réforme de justice et de responsabilité » : voilà les mots employés en 2014 par un gouvernement socialiste et prétendument réformateur à propos de la modulation des allocations familiales. Juste et responsable, la remise en cause d’un principe fondateur de notre modèle de politique familiale ? Juste et responsable, la fin de la reconnaissance universelle de l’État à l’égard des Français qui font le choix de fonder une famille ? Juste et responsable, faire du foyer une variable d’ajustement budgétaire en le sacrifiant aux logiques comptables de réduction du déficit public ? Non !
Il n’était ni juste, ni responsable, ni équitable de moduler cette allocation en distinguant les enfants du seul fait de leur origine sociale. Postuler le contraire, c’est oublier que ce dispositif vieux de soixante-dix-sept ans a permis à la France de bénéficier d’une dynamique démographique puissante et a offert à des millions de Françaises les ressources nécessaires à la maternité.
La justice sociale a sa place ailleurs, notamment dans l’impôt, qui a une réelle fonction de redistribution et d’atténuation des inégalités de revenu. La solidarité, ce sont aussi les nombreuses prestations sociales, dont la vocation est notamment d’apporter une aide aux plus fragiles et aux plus modestes d’entre nous. Mais en aucun cas les allocations familiales, pierre angulaire de l’architecture française de la protection sociale, ne sauraient être équitablement, légitimement modulées.
Et pour cause : avoir renoncé à l’universalité de cette aide de la Nation à toutes les familles, c’est avoir ouvert une brèche : pourquoi dès lors ne pas moduler l’accès aux soins ou à l’enseignement public, ou encore le droit à une retraite pour tous, en fonction de conditions de ressources ? C’est l’esprit de la sécurité sociale lui-même qui est ébranlé lorsqu’on estime qu’un enfant né dans une famille prétendument aisée ne mérite plus de bénéficier de la solidarité nationale. Or si notre modèle social nous honore, c’est précisément parce qu’il est universel, parce qu’il embrasse toute la diversité des formes familiales.
Alors, contribuons à le sauvegarder en votant cette excellente proposition de loi de notre collègue Olivier Henno !
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, sur l’article.
Mme Martine Filleul. La Cour des comptes a révélé dans son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale que la prévalence de la pauvreté chez les couples avec un enfant est supérieure à celle qui est observée chez les couples sans enfant ou avec deux enfants.
Cela est d’autant plus vrai pour les familles monoparentales, qui constituent près d’un quart des familles françaises. La moitié d’entre elles ne compte qu’un seul enfant, contre 36 % pour les familles recomposées ou traditionnelles ; un tiers d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté. Rappelons que ces familles monoparentales sont à 85 % constituées de femmes élevant seules leurs enfants ; ceux-ci sont au total presque 3 millions ! Ce sont donc encore une fois les femmes qui sont les plus touchées par la précarité.
C’est pourquoi une réforme juste de l’allocation de soutien familial consisterait non pas à soutenir toutes les familles, quels que soient leurs revenus, ce qui conduirait à aider les familles aisées, mais plutôt à ouvrir le droit à cette aide dès le premier enfant, comme c’est d’ailleurs déjà le cas dans les départements d’outre-mer. Plusieurs pays européens ont fait ce choix : la Belgique, la Suède, le Danemark, ou encore très récemment l’Italie.
Cette mesure, demandée lors du grand débat national de 2019, figure dans ma proposition de loi pour une meilleure inclusion des familles monoparentales ; elle permettrait de soutenir notamment ces familles, ainsi que les femmes, si souvent chefs de famille : elles méritent toute notre solidarité, en particulier dans cette période de crise. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, sur l’article.
Mme Valérie Boyer. La politique familiale en France est un levier essentiel de nos politiques publiques, comme cela vient d’être rappelé. Cette politique soutient le dynamisme de notre économie et contribue à la pérennité du système de retraite par répartition. La France est ainsi devenue l’un des pays au monde où le taux d’activité des femmes est le plus élevé, sans que cela ait pour autant pénalisé la natalité.
Pourtant, le nombre de naissances s’est récemment effondré, passant de 818 000 en 2014 à 740 000 en 2020. La politique menée depuis 2012 a remis en cause les fondements de notre politique familiale : il n’est nul besoin de le nier, le Haut-Commissariat au plan le dit lui-même. Comme la politique familiale soutient la natalité, celle-ci a été mise à mal. Cette politique ne peut plus continuer d’être la variable d’ajustement de nos politiques sociales !
En matière de politique familiale, Emmanuel Macron, malheureusement, est bien le fils spirituel de François Hollande. Alors que le taux de natalité est en baisse constante, le Gouvernement a poursuivi une politique qui pénalise les familles : baisse du montant de la prestation d’accueil du jeune enfant, baisse de son plafond et de la prime de naissance, désindexation des prestations familiales en 2019 et 2020, ou encore refus de rétablir l’universalité des allocations familiales et de rehausser le plafond du quotient familial mis à mal par François Hollande ; enfin, la logique comptable adoptée pour la gestion de la branche famille brise le pacte social.
S’en prendre à la famille, c’est aussi s’en prendre à l’avenir de nos enfants et de notre pays, c’est aussi faire une violence aux femmes d’aujourd’hui. En effet, les jeunes femmes se trouvent désormais face à un dilemme : elles doivent choisir entre travailler et avoir des enfants. Or quand ceux-ci ne sont pas assez bien accueillis, cela influe sur la décision d’avoir ou non des enfants, ou sur le nombre d’enfants que l’on souhaite. De fait, notre société n’est pas accueillante pour les jeunes mamans !
À l’inverse, l’universalité des allocations familiales repose sur l’idée que chaque enfant est une richesse pour notre pays et son avenir, et ce quelles que soient les ressources de ses parents. Pour autant, nous devrions également développer les modes de garde et aller plus loin encore pour remédier aux injustices qui brident la vie des femmes sur le plan professionnel. Augmentons le quotient familial de façon significative, osons des mesures sur les salaires de toutes les femmes qui ont un enfant et qui travaillent à temps plein ou à 80 %, par exemple en exonérant ce salaire des charges patronales, quel que soit son niveau, jusqu’aux 6 ans de l’enfant…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Valérie Boyer. Jacques Chirac le disait : la famille est un pilier de notre société… (Exclamations d’impatience.)
M. le président. Madame Boyer, vous avez dépassé votre temps de parole de vingt secondes !
Mme Valérie Boyer. Pardonnez-moi, monsieur le président ; je ne m’en étais pas rendu compte ! (M. Pierre Louault applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, sur l’article.
M. Franck Menonville. Je me réjouis que notre assemblée se saisisse d’un sujet aussi important que celui-ci, sur l’initiative de notre collègue Olivier Henno.
Ce texte dénonce une rupture progressive de la philosophie qui prévalait lors de la mise en place de notre système de sécurité sociale par le Conseil national de la Résistance, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.
Les allocations familiales étaient alors octroyées sans condition à toutes les familles ayant au moins deux enfants de moins de 20 ans à charge. L’universalité des allocations familiales a été détricotée en 2014, quand l’adoption d’un amendement au PLFSS pour 2015 a créé une modulation de l’allocation selon les revenus de la famille. Les montants octroyés aux familles dépassant certains seuils ont été divisés par deux, voire par quatre.
La transformation de ces aides montre que celles-ci sont désormais subordonnées à un besoin. Cette évolution constitue un réel affaiblissement de notre politique familiale. Il est donc opportun aujourd’hui de revenir à l’universalité des allocations familiales. (M. Pierre Louault applaudit.)
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié ter, présenté par Mme Mélot, MM. Chasseing, Decool, Lagourgue, Capus, Médevielle, Wattebled, Guerriau et A. Marc, Mme Paoli-Gagin, M. Fialaire, Mme Duranton et MM. Gold et Delahaye, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Au 2° de l’article 81 du code général des impôts, après les mots : « code de la sécurité sociale », sont insérés les mots : « à l’exception des allocations familiales ».
La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Cet amendement a pour objet de supprimer l’exonération d’impôt sur le revenu dont bénéficient jusqu’à présent les allocations familiales, en les intégrant dans l’assiette de l’impôt sur le revenu.
Par cet amendement, nous n’entendons pas porter atteinte à l’universalité des allocations familiales, qui est tout à fait légitime pour une politique de natalité ; nous souhaitons rétablir une forme de justice sociale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Henno, rapporteur. Cet amendement vise à assujettir à l’impôt sur le revenu les allocations familiales. Celles-ci, à l’instar de toutes les prestations familiales, ne sont aujourd’hui pas prises en compte dans le revenu imposable. Adopter cet amendement conduirait à imposer le montant de ces allocations selon le taux marginal d’imposition des ménages, qui augmente avec le revenu.
Cela va à l’encontre de l’objet de cette proposition de loi, qui vise à soutenir les familles sur le seul fondement du nombre d’enfants à charge. En outre, s’il était adopté, il réduirait le revenu disponible pour les familles aux revenus moyens, voire modestes, qui ne sont pas aujourd’hui concernées par la modulation, ce qui serait pour le moins paradoxal.
De fait, cet amendement ne tend pas à mener une politique familiale ambitieuse, ni même lisible, puisque le message envoyé serait contradictoire avec la fin de la modulation des allocations familiales.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Le découplage entre le niveau de revenu et le montant des allocations familiales a été mis en place par le gouvernement du général de Gaulle ; c’est ainsi que 73 % des familles comptant deux enfants ou plus bénéficiaient de cette prestation jusqu’en 2014. L’idée de mettre en place des conditions de ressources avait été proposée par Lionel Jospin en 1997, avant d’être adoptée en 2014, pour une économie de 760 millions d’euros.
Je soutiens l’idée de redonner aux allocations familiales leur caractère universel, mais à condition de les considérer comme des éléments de revenu soumis au barème de l’impôt. Une telle mesure avait été défendue par Raymond Barre en 1987 et par Alain Juppé en 1995.
En contrepartie de la fiscalisation des allocations familiales, je souhaite étendre à l’ensemble du territoire le versement des allocations familiales dès le premier enfant, mesure qui s’applique déjà dans les départements d’outre-mer.
L’universalité des allocations familiales me paraît être une mesure essentielle pour soutenir la natalité, compenser le coût de l’éducation des enfants pour l’ensemble des familles et favoriser la conciliation entre famille et travail.
Je voterai donc cet amendement, qui vise à concilier vocation universelle des allocations et justice sociale. En revanche, s’il n’était pas adopté, ce qui est possible, je m’abstiendrais sur l’ensemble du texte. (Mme Colette Mélot applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Les éventuelles conséquences financières résultant pour les organismes de sécurité sociale de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi, dont la commission a rédigé ainsi l’intitulé : proposition de loi tendant à renforcer l’universalité des allocations familiales.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDSE. – M. Franck Menonville applaudit également.)