Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est trop ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Aujourd’hui, le devoir de réserve est de nature jurisprudentielle. En l’inscrivant dans la loi, on risque de le rigidifier et de le rendre, de fait, inopérant.
Évidemment, un agent de la fonction publique peut déjà être lanceur d’alerte. À cet égard, il n’est pas tenu par son devoir de réserve : il me semble important d’insister sur ce point. Dans la définition jurisprudentielle en vigueur, le devoir de réserve tient compte du ton et de la formulation adoptés. Je le répète, en l’inscrivant dans le marbre de la loi, on risquerait de le rendre inopérant.
Aussi, le Gouvernement est défavorable aux amendements identiques nos 11 et 50, non pour des raisons de fond, mais du fait des conséquences que leur adoption entraînerait.
En revanche, les dispositions de l’amendement n° 59 vont dans le même sens que celles de l’amendement n° 84 du Gouvernement. Certes, nous préférons a priori l’adoption de notre amendement ; mais son destin étant très incertain (Sourires.), nous émettons un avis favorable sur l’amendement n° 59.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Madame la secrétaire d’État, j’y insiste : votre rédaction laisserait des trous dans la raquette. Comment un travailleur indépendant pourra-t-il s’y retrouver ? Je n’ai pas su répondre à cette question. À nos yeux, mieux vaut faire figurer la liste en question dans la loi plutôt que de renvoyer aux statuts particuliers : certains travailleurs ne disposent pas d’un tel statut.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Madame la rapporteure, je reprends la parole, car j’ai un petit espoir de vous convaincre ! (Sourires.)
Ces dispositions nous tiennent particulièrement à cœur, non parce qu’il s’agit d’un amendement du Gouvernement, mais pour des raisons de fond.
En renvoyant à chaque code, dans une logique sectorielle, le présent texte sera plus lisible et plus protecteur. Quant aux travailleurs indépendants, ils bénéficieront de la protection, on ne peut plus transversale, accordée par la notion de représailles directes et indirectes. À cet égard, il n’est pas nécessaire d’en référer à la loi Sapin II.
J’en suis sincèrement persuadée : en renvoyant aux codes sectoriels, notamment le code du travail, et en établissant cette liste, on assurera la protection la plus large possible.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Madame la secrétaire d’État, à l’évidence, nous n’avons pas tout à fait la même lecture de ces dispositions. Nous reviendrons certainement sur ce point dans la suite de la navette, puis en commission mixte paritaire. (Mme la secrétaire d’État acquiesce.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 11 et 50.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 63 rectifié, présenté par M. Cabanel, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme N. Delattre, MM. Gold, Guérini et Guiol, Mme Pantel et MM. Requier, Roux, Bilhac et Fialaire, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 21, première phrase
Remplacer les mots :
dûment justifiée
par les mots :
justifiée par des éléments objectifs étrangers au signalement ou à la divulgation
II. – Alinéa 23
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
« B. À l’occasion d’une instance, une partie qui justifie avoir signalé ou divulgué des informations dans les conditions prévues aux articles 6 et 8 et soutient que la procédure engagée contre elle vise à entraver son signalement ou que la mesure qu’elle conteste dans le cadre de cette procédure constitue une mesure de représailles peut demander au juge de lui allouer, à la charge de l’autre partie, une provision pour frais de l’instance en fonction de la situation économique respective des parties et du coût prévisible de la procédure. Il incombe alors à l’autre partie de démontrer que son action ou la mesure contestée dans le cadre de la procédure est justifiée par des éléments objectifs étrangers au signalement ou à la divulgation. Le juge statue à bref délai. Un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application du présent article.
« Dans les mêmes conditions que celles prévues au premier alinéa du présent B, le juge peut allouer une provision visant à couvrir les subsides de la partie dont la situation financière s’est gravement dégradée en raison du signalement.
« Le juge peut décider à tout moment de la procédure que cette provision est définitivement acquise. »
La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. L’article 5 de cette proposition de loi vise à protéger les lanceurs d’alerte des représailles qu’ils peuvent subir, notamment au travers de procédures bâillons.
Dans sa version issue des travaux de notre commission des lois, l’article est largement vidé de sa substance : dans sa version antérieure, il ouvrait la possibilité de faire prendre en charge les frais de justice du lanceur d’alerte, lorsqu’une procédure est jugée abusive en référé ou lorsque le lanceur d’alerte conteste une mesure de représailles. Cet amendement de notre collègue Henri Cabanel vise à revenir à cette rédaction.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 13 est présenté par M. Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 51 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 21
1° Première phrase
Remplacer les mots :
dûment justifiée
par les mots :
justifiée par des éléments objectifs étrangers au signalement ou à la divulgation
2° Seconde phrase
Supprimer cette phrase
II. Après l’alinéa 23
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le juge peut décider à tout moment de la procédure que cette provision est définitivement acquise. »
La parole est à Mme Angèle Préville, pour présenter l’amendement n° 13.
Mme Angèle Préville. Le terme de procédure bâillon, ou Slapp (pour Strategic Lawsuit Against Public Participation), désigne une action en justice, émanant généralement de grandes entreprises, intentée contre un lanceur d’alerte, un détracteur ou un opposant afin, non pas de le faire condamner, mais de le faire taire en l’épuisant financièrement, moralement et nerveusement.
Ces poursuites présentent un certain nombre de caractéristiques communes désormais connues – nous en avons plusieurs exemples.
Tout d’abord, la partie poursuivante est bien souvent une entreprise du secteur privé, alors que la personne accusée est un individu ou un collectif.
Ensuite, le déséquilibre financier entre les parties est tel qu’elles luttent rarement à armes égales. C’est la conséquence de la puissance financière des multinationales.
Enfin, les propos attaqués relèvent d’un sujet d’intérêt général, comme les droits de l’homme, le droit de l’environnement ou encore la corruption.
Par ailleurs, le fait de lancer l’alerte a un coût financier et psychologique. Les études ont démontré que les lanceurs d’alerte souffraient dans la majorité des cas de syndromes de dépression sévère et d’anxiété. Pour ce qui les concerne, la prévalence de ces troubles est du même ordre que pour les personnes en situation de stress post-traumatique.
Sur le plan financier, une étude conjointe des universités de Galway et de Belfast souligne le coût élevé de l’alerte pour ceux qui l’assument.
En permettant la prise en charge des frais de justice du lanceur d’alerte lorsqu’une procédure est jugée abusive en référé, ou lorsque le lanceur d’alerte conteste une mesure de représailles, cette proposition de loi traite, pour une large part, la problématique du déséquilibre financier entre les parties. Or la commission a largement vidé cette disposition de sa substance. Il convient donc de supprimer ces modifications pour revenir à la version adoptée par l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 51.
Mme Mélanie Vogel. Il est défendu !
M. le président. L’amendement n° 33, présenté par M. Bocquet, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 21
1° Première phrase
Remplacer les mots :
dûment justifiée
par les mots :
justifiée par des éléments objectifs étrangers au signalement ou à la divulgation
2° Seconde phrase
Supprimer cette phrase.
II. – Alinéa 23
Compléter cet alinéa par les mots :
et peut décider à tout moment de la procédure que cette provision est définitivement acquise
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Dans la version issue des travaux de la commission, la provision n’est plus définitivement acquise : en définitive, un lanceur d’alerte pourrait donc être contraint à la rembourser.
Avec une telle épée de Damoclès au-dessus de la tête, aucun lanceur d’alerte ne se risquera à demander le bénéfice d’une telle provision. Pourtant, le caractère acquis de cette dernière a été ajouté en première lecture à la demande du Conseil d’État, qui avait écrit, dans son avis du 4 novembre 2021, que « pour tenir compte des préoccupations des auteurs de la proposition de loi », celle-ci devrait prévoir « que le juge puisse décider, pour des considérations d’équité, que la provision versée reste définitivement acquise au lanceur d’alerte dans le cas où celui-ci serait la partie perdante ».
M. le président. L’amendement n° 101, présenté par Mme Di Folco, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 23, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Cet amendement vise à préciser le rôle du juge dans l’allocation d’une provision pour frais d’instance ou pour subsides en cas de procédure bâillon, en reprenant la rédaction proposée en cas de recours contre une mesure de représailles.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Les quatre autres amendements en discussion tendent à revenir au texte de l’Assemblée nationale sur deux points majeurs.
Le premier, c’est l’aménagement du régime de la preuve en cas de suspicion de représailles envers un lanceur d’alerte. Le texte de l’Assemblée nationale ne permettait pas à l’auteur d’une mesure dont le caractère de représailles est en cause de se défendre sur le fondement d’une méconnaissance de la procédure d’alerte. Or, si le droit d’alerte est encadré, c’est pour assurer un équilibre avec la protection d’autres intérêts également légitimes. Des sanctions peuvent se justifier lorsque ces intérêts ont subi des atteintes en dehors du cadre légal.
Le second, c’est la possibilité d’acquisition définitive de la provision pour subside, qui me paraît intellectuellement contestable. Comment la justifier si, in fine, le lanceur d’alerte perd son procès ? Elle pose en outre des difficultés d’ordre constitutionnel.
J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 63 rectifié, sur les amendements identiques nos 13 et 51, ainsi que sur l’amendement n° 33.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. L’examen de ce texte est décidément riche en rebondissements.
Le Gouvernement souhaitait retenir les améliorations rédactionnelles apportées par la commission des lois du Sénat tout en se rapprochant du texte initialement adopté à l’Assemblée nationale. Aussi, nous étions plutôt favorables à l’amendement n° 69 de Mme Benbassa : comme l’a rappelé M. Bocquet, le remboursement de la provision est une véritable épée de Damoclès.
Toutefois, Mme Benbassa a retiré son amendement en amont de la séance. C’est pourquoi nous nous en remettons à la sagesse du Sénat sur les cinq amendements restant en discussion.
Sur le fond, ce que nous souhaitons, c’est la rédaction la plus protectrice pour le lanceur d’alerte. C’est pourquoi nous voulons rester au plus près du texte voté par l’Assemblée nationale, quitte à renoncer à certaines améliorations rédactionnelles apportées en commission par le Sénat.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13 et 51.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 82, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 25 à 28
Remplacer ces alinéas par cinq alinéas ainsi rédigés :
II. – L’article 122-9 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le mot : « procédures » est remplacé par le mot « conditions » ;
2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« N’est pas non plus pénalement responsable le lanceur d’alerte qui soustrait, détourne ou recèle les documents ou tout autre support contenant les informations auxquelles il a eu accès de manière licite et qu’il signale ou divulgue dans les conditions mentionnées au premier alinéa du présent article.
« Les dispositions du présent article sont également applicables au complice de ces infractions. »
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Avec cet amendement, nous abordons un sujet important : l’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte, envisagée pour un certain nombre d’infractions.
Je sais que cette question a donné lieu à de longs débats en commission. (Mme le rapporteur le confirme.)
Cet amendement vise à modifier l’article 122-9 du code pénal, en vertu duquel, pour certaines infractions, les lanceurs d’alerte sont pénalement irresponsables.
Plus précisément, nous visons trois objectifs.
Premièrement, nous proposons d’apporter une précision rédactionnelle : l’irresponsabilité pénale dont bénéficie le lanceur d’alerte ne saurait s’appliquer aux faits, informations ou documents exclus du régime de l’alerte, par exemple s’ils sont couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret de l’enquête.
Deuxièmement, nous apportons cette clarification : le lanceur d’alerte ayant obtenu certaines informations de manière licite avant de les placer sur un support pour les besoins de l’alerte ne commet pas une soustraction, un détournement ou un recel et peut donc bénéficier de l’irresponsabilité pénale.
Troisièmement et enfin, nous souhaitons étendre l’irresponsabilité pénale aux complices de l’infraction ; mais il est important de souligner que cette irresponsabilité ne couvre que l’accès licite aux informations.
Cet amendement vise ainsi à éclaircir la question de l’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte, qui, à ce jour, suscite un certain nombre de débats.
M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 12 est présenté par M. Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 31 est présenté par M. Bocquet, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 49 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 28
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Angèle Préville, pour présenter l’amendement n° 12.
Mme Angèle Préville. Jusqu’à nouvel ordre, le lanceur d’alerte qui duplique d’un support à un autre des fichiers appartenant à son employeur peut être poursuivi pour vol. Cela signifie concrètement que, en l’absence d’immunité pénale pour obtention de l’information, tous les lanceurs d’alerte de bonne foi peuvent être condamnés pour vol de documents.
La proposition de loi Waserman remédie à cet état de fait. Toutefois, l’exclusion des atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données est manifestement contraire à l’objectif affiché par le législateur : favoriser le signalement des failles en matière informatique. Depuis 2016, outre le règlement général sur la protection des données (RGPD), deux lois prévoient la faculté, voire l’obligation, de signaler ces failles.
L’exclusion des atteintes à la vie privée est tout aussi problématique. En l’état actuel de la jurisprudence, tout enregistrement des paroles d’une personne à son insu, effectué à l’aide de tout type de magnétophone, constitue un procédé susceptible de porter atteinte à l’intimité de la vie privée. Or, dans l’hypothèse de malversations ayant lieu au sein des entreprises, l’on procède régulièrement à des enregistrements pour accumuler des preuves de l’alerte.
Ces preuves sont recevables devant les juridictions pénales afin de qualifier un délit ; elles sont fréquemment utilisées en matière de délits financiers et de corruption.
Il nous paraît donc indispensable de faire confiance à la sagesse des juridictions pour déterminer, en chaque espèce et dans le cadre bien balisé du droit au procès équitable, si l’atteinte à la vie privée était nécessaire au regard de l’atteinte portée aux intérêts des parties adverses.
Voilà pourquoi nous proposons de rétablir cet article dans la version issue des travaux de l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° 31.
M. Éric Bocquet. Défendu !
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 49.
Mme Mélanie Vogel. Pour compléter l’argumentation de Mme Préville, je rappelle que les lanceurs d’alerte n’ont pas nécessairement accès de manière « licite » aux informations qu’ils divulguent. À tout le moins, ce terme prête à interprétation. Je pense par exemple aux lanceurs d’alerte qui, en mars de l’année dernière, ont sauvé certains hôpitaux en mettant en lumière diverses failles informatiques.
Je comprends l’intention du Gouvernement ; mais le terme « licite », que l’amendement n° 82 vise à inscrire dans la loi, pourrait poser problème au juge.
C’est pourquoi nous proposons à notre tour de supprimer l’alinéa 28.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Madame la secrétaire d’État, vous l’avez dit vous-même au début de votre intervention : il s’agit là d’un sujet assez crispant. Il est bon de s’y arrêter un instant pour chasser toute ambiguïté.
En l’état, le code pénal protège les lanceurs d’alerte contre les poursuites pénales à raison des atteintes à un secret protégé par la loi, dès lors qu’ils ont respecté les conditions légales de fond et de forme de l’alerte.
Soyons très clairs : il est parfaitement légitime que des lanceurs d’alerte soient jugés irresponsables de ces faits. Par certains aspects, le fait de révéler un secret auquel on a eu légitimement accès correspond à l’essence même de l’alerte.
Néanmoins, le texte de l’Assemblée nationale allait au-delà : il étendait cette irresponsabilité aux infractions connexes, notamment le fait d’avoir soustrait des données couvertes par le secret ou des informations confidentielles.
Or – je l’ai dit au début de la discussion générale – cette notion de soustraction n’est pas exempte d’ambiguïtés. Quid d’un vol de document ? Quid d’un abus de confiance ? Quid de l’intrusion dans un réseau informatique, pour y récupérer des informations afin de les diffuser ? Quid de l’intrusion dans une propriété privée ?
Ces ambiguïtés ont suscité de fortes inquiétudes, en particulier dans le monde agricole – je n’y reviens pas. Quoi qu’il en soit, la protection des lanceurs d’alerte n’autorise pas tout : ce n’est pas la loi de la jungle !
Ainsi, en cas de violation de domicile, le code pénal a vocation à s’appliquer à tous, y compris aux lanceurs d’alerte. Faut-il passer sous le tapis une entrée par effraction au domicile d’un particulier au seul motif que son auteur se prévaut du statut de lanceur d’alerte ? Il faut être raisonnable : la fin ne justifie pas tous les moyens.
Dans un esprit de compromis, la commission n’est pas revenue sur le terme « soustraire ». En revanche, elle a tenu à inscrire expressément dans le présent texte que l’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte ne s’étend ni aux atteintes à la vie privée ni aux atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données. Cette rédaction n’est pas des plus simples, mais elle a le mérite de lever toute ambiguïté.
Les amendements identiques nos 12, 31 et 49 tendent à revenir purement et simplement sur l’ajout de la commission : j’y suis bien sûr défavorable.
De son côté, le Gouvernement propose une rédaction différente de la nôtre, mais semble viser le même objectif que nous. Par son amendement, il conserve le terme de soustraction ; il étend le bénéfice de l’irresponsabilité au détournement et au recel de documents ou de tout autre support contenant les informations fondant l’alerte ; il précise toutefois que cette irresponsabilité ne jouerait que dans le cas où le lanceur d’alerte aurait eu accès auxdites informations de manière licite.
L’intention me paraît claire : dès lors qu’une personne violerait un secret protégé en divulguant des informations obtenues de manière illicite, par exemple au moyen d’une intrusion dans une propriété privée ou dans un système informatique, ou par un simple vol de document, elle ne bénéficierait d’aucune irresponsabilité pénale. C’est seulement si la personne avait accès licitement à ces informations qu’elle serait couverte.
En vertu du codicille proposé par le Gouvernement, le lanceur d’alerte ne pourrait être – passez-moi l’expression – « rattrapé par la patrouille » pour avoir simplement pris copie d’informations auxquelles il avait légalement accès ou, en publiant un document, fait de ce dernier un usage différent de celui pour lequel il lui avait été remis, ce qui pourrait être qualifié d’abus de confiance.
Au bénéfice de ces observations, j’émets un avis favorable sur l’amendement n° 82.
Madame la secrétaire d’État, je crois que nous sommes bien d’accord sur ce point : un militant qui s’introduit au domicile de quelqu’un pour y voler des documents et les publier ne pourrait pas être couvert par ce texte. (Mme la secrétaire d’État le confirme.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements identiques nos 12, 31 et 49 ?
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Madame la rapporteure, je le rappelle clairement depuis le banc du Gouvernement : une personne qui s’introduit de manière illicite dans une propriété privée commet, de fait, une infraction pénale et ne peut donc pas bénéficier de l’irresponsabilité pénale associée à la protection des lanceurs d’alerte. Cette question est assez claire.
Madame Vogel, les amendements identiques nos 12, 31 et 49 vont en réalité dans le même sens que l’amendement n° 82, mais, comme la rédaction de ce dernier a ses chances d’aller au bout du processus législatif, j’en appelle à votre participation collective et vous invite à suivre l’avis de Mme la rapporteure sur cet amendement.
M. le président. En conséquence, les amendements identiques nos 12, 31 et 49 n’ont plus d’objet.
L’amendement n° 70, présenté par Mme Préville, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes morales facilitatrices d’alerte mentionnées au a de l’article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique bénéficient de la protection du secret de leurs sources. Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour la personne morale facilitatrice d’alerte de révéler ses sources. Est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources au sens du troisième alinéa le fait de chercher à découvrir l’identité d’une source d’un facilitateur au moyen d’investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec une personne morale facilitatrice d’alerte, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources. Au cours d’une procédure pénale, il est tenu compte, pour apprécier la nécessité de l’atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de l’importance de l’information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d’investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité. »
La parole est à Mme Angèle Préville.
Mme Angèle Préville. Les personnes morales, en particulier les associations de la loi de 1901, jouent un rôle clé dans le processus d’alerte en relayant les alertes des lanceurs d’alerte.
Parfois, certaines associations agissent elles-mêmes en qualité de lanceur d’alerte. Il en va ainsi, par exemple, de l’association Greenpeace qui, via sa plateforme GreenLeaks, reçoit des alertes et les relaie.
Ce faisant, ces associations contribuent à la protection des lanceurs d’alerte en leur permettant de rester anonymes et de ne pas s’exposer, leur alerte étant relayée par d’autres structures.
Pourtant, en dépit de ce rôle, les personnes morales lanceuses d’alerte ne bénéficient d’aucune des protections instituées par le statut de lanceur d’alerte. Or les représailles dont elles peuvent faire l’objet sont nombreuses. En effet, depuis la réforme du code pénal de 1994, elles sont responsables pénalement des actes de leurs représentants.
Qu’il s’agisse des incriminations de vol d’informations, de recel de secrets professionnels ou encore d’intrusion dans un système informatique, les dispositions pénales susceptibles d’être utilisées pour dissuader les personnes morales lanceuses d’alerte sont nombreuses.
Or des poursuites engagées sur ces fondements donnent aux personnes visées par l’alerte la possibilité de demander au juge des actes d’enquête – perquisitions, saisies informatiques – de nature à permettre d’identifier la source d’une alerte relayée par une association. De telles poursuites compromettent donc la capacité des organisations en cause de protéger l’anonymat de leurs sources et, ce faisant, exposent les lanceurs d’alerte à des mesures ultérieures de rétorsion.
Un tel état de fait met non seulement en danger les lanceurs d’alerte, mais risque de les dissuader de travailler avec des associations, en contradiction avec l’esprit de la directive européenne de 2019 qui vise à libérer la parole et favoriser la révélation et le signalement des atteintes à l’intérêt général.
Cet état de fait est en outre contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui considère que la fonction « chien de garde », qui consiste à provoquer un débat public et à y contribuer, n’est pas l’apanage des journalistes professionnels, mais doit également être reconnue pour les ONG et les chercheurs.
Le présent amendement vise donc à y remédier en instaurant, au bénéfice des ONG, une capacité à protéger leurs sources.