M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 10 est présenté par M. Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 30 est présenté par M. Bocquet, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 15
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’un signalement ou une divulgation a été réalisé de manière anonyme, le lanceur d’alerte dont l’identité est révélée par la suite bénéficie du statut de lanceur d’alerte et des protections afférentes.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 10.
M. Jean-Yves Leconte. La possibilité de porter une alerte directement auprès du grand public, par l’intermédiaire d’un journaliste, doit être renforcée et élargie. C’est l’objet du présent amendement.
Comme l’a rappelé la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNDCH), si l’information révélée porte sur un sujet touchant à l’intérêt général, le grand public a, par définition, intérêt à la connaître et la révélation directe à un journaliste doit même être encouragée dans les cas de violation des droits de l’homme ou des libertés fondamentales, ainsi que dans les cas où l’urgence d’informer le public impose de s’adresser directement à un journaliste.
L’alerte portée directement à un journaliste doit aussi être conçue comme un indice de bonne foi du lanceur d’alerte, celui-ci effectuant le signalement auprès d’une personne en position de vérifier l’information et de l’anonymiser.
Conformément à la directive de 2019, précisément à son article 6, cet amendement tend à renforcer la protection des sources, en permettant à des sources de journalistes ayant vu leur identité révélée, à l’image de Raphaël Halet, d’obtenir le statut de lanceur d’alerte.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° 30.
M. Éric Bocquet. Cet amendement vise à renforcer, conformément à la directive de 2019, la protection des sources, en permettant à des sources de journalistes ayant vu leur identité révélée d’obtenir le statut de lanceur d’alerte.
Le cas de Raphaël Halet vient d’être cité. Voilà sept ans, mes chers collègues, que cet ancien employé de PwC Luxembourg ayant révélé les schémas qui permettent à des multinationales d’échapper à l’impôt se bat. Son affaire sera examinée par la Cour européenne des droits de l’homme le 2 février prochain. Il est question, ici, de liberté d’expression, à laquelle on oppose le secret des affaires, et ce même quand celles-ci sont illicites.
M. le président. Le sous-amendement n° 106, présenté par Mme Di Folco, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Amendement n° 30
I. – Alinéa 1
Remplacer la référence :
alinéa 15
par la référence :
alinéa 6
II. – Alinéa 3
1° Après le mot :
divulgation
insérer le mot :
publique
2° Après le mot :
bénéficie
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
des mêmes protections. Les dispositions des I et II du même article 8 qui imposent d’effectuer un retour d’informations auprès de l’auteur d’un signalement interne ou externe ne sont pas applicables en cas de signalement anonyme. Le 1° du III du même article 8 n’est pas applicable en cas de signalement externe anonyme.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Ce sous-amendement de précision tend à ce que les dispositions prévoyant d’apporter une réponse à l’auteur du signalement ne s’appliquent pas en cas de signalement anonyme.
Je vous indiquais précédemment, mes chers collègues, que nous allions nous pencher sur cette question de l’anonymat ; c’est le sujet des présents amendements identiques et de ce sous-amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 10 et 30 ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Sous réserve de l’adoption du sous-amendement de la commission, l’avis est favorable sur les amendements nos 10 et 30.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 10 et 30, modifiés.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 97, présenté par Mme Di Folco, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 21, seconde phrase
Après le mot :
détermine
insérer les mots :
les modalités de clôture des signalements, de collecte et de conservation des données, ainsi que
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Cet amendement vise à apporter quelques précisions au contenu du décret qui devra réglementer la procédure de signalement interne.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 77 rectifié, présenté par M. Haye et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 22 à 27
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes morales de droit privé employant moins de deux cent cinquante agents ou salariés, les communes tenues d’établir une procédure interne de recueil et de traitement des signalements, ainsi que les établissements publics en relevant, peuvent mettre en commun leurs procédures de recueil et de traitement des signalements, dans le respect des conditions prévues par le décret mentionné au second alinéa du présent B.
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Après l’article L. 452-43 du code général de la fonction publique, il est inséré un article L. 452-… ainsi rédigé :
« Art. L. 452-… – Les centres de gestion peuvent mettre en place, pour le compte des communes et de leurs établissements publics qui en font la demande, la procédure de recueil et de traitement des signalements prévue au deuxième alinéa du B du I de l’article 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. »
La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Le présent amendement vise à préciser les conditions dans lesquelles les procédures de recueil et de traitement des signalements peuvent être mises en commun par certaines entités soumises à l’obligation d’en organiser.
Nous souscrivons donc à la possibilité pour les centres de gestion, possibilité utilement introduite en commission, de mettre à disposition de leurs communes membres et des établissements publics un dispositif mutualisé de recueil et de traitement des signalements.
Nous proposons toutefois d’intégrer ce dispositif, allant dans le sens d’un allégement des collectivités territoriales, dans le code général de la fonction publique, afin de tirer les conséquences de l’ordonnance du 24 novembre dernier.
Nous émettons également quelques doutes, comme certains de nos collègues, sur le renvoi au décret de la définition des règles applicables aux sociétés appartenant à un même groupe, notamment en matière de mutualisation de la procédure. Nous proposons, à ce stade, de ne pas retenir une telle solution.
M. le président. L’amendement n° 98, présenté par Mme Di Folco, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 22
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Les entités mentionnées au 3° du présent B employant moins de deux cent cinquante salariés, les communes tenues d’établir une procédure interne de recueil et de traitement des signalements, ainsi que les établissements publics en relevant, peuvent mettre en commun leurs procédures de recueil et de traitement des signalements, dans le respect des conditions prévues par le décret mentionné au deuxième alinéa.
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Après l’article L. 452-43 du code général de la fonction publique, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique, il est inséré un article L.452-43-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 452-43-1. - Les centres de gestion peuvent mettre en place, pour le compte des communes et de leurs établissements publics qui en font la demande, la procédure de recueil et de traitement des signalements prévue au deuxième alinéa du B du I de l’article 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. »
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Cet amendement a pour objet de préciser les conditions de mutualisation des moyens liés au recueil et au traitement des signalements internes. Il tend à inscrire, dans le nouveau code général de la fonction publique, une disposition permettant aux centres de gestion de mettre à disposition de l’ensemble de leurs communes membres, ainsi que des établissements publics du bloc communal, un dispositif mutualisé.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 7 est présenté par M. Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 28 est présenté par M. Bocquet, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 23 à 27
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Angèle Préville, pour présenter l’amendement n° 7.
Mme Angèle Préville. La nouvelle rédaction de l’article 3 offre aux groupes de sociétés la possibilité de ne pas mettre en place, dans chaque société, une ligne d’alerte interne, mais de mutualiser celle-ci au niveau du groupe ou de prévoir la gestion de cette ligne par une seule des sociétés.
Or, dans sa réponse datée du 2 juin 2021, la Commission européenne considère que la directive impose à toute société employant plus de 50 salariés de mettre en place une procédure interne de recueil et de traitement des signalements, qu’elle fasse ou non partie d’un groupe, la mutualisation des moyens étant possible pour les seules sociétés comptant entre 50 et 249 salariés au sein d’un même groupe.
En particulier, toujours d’après la Commission, la faculté laissée par la directive de confier le recueil des signalements à un tiers ne doit pas s’entendre comme la possibilité de mettre en place une procédure commune à plusieurs sociétés d’un même groupe.
Il convient donc, pour éviter toute censure au regard des obligations de la directive du 23 octobre 2019, de supprimer les alinéas 23 à 27 de l’article 3.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° 28.
M. Éric Bocquet. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 45, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Alinéas 24 à 27
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Également défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Outre les dispositions qu’elle a introduites sur la mutualisation des procédures de signalement interne entre communes et établissements publics du bloc communal, la commission des lois a souhaité autoriser le Gouvernement à adapter, par voie réglementaire, les règles applicables en la matière aux spécificités des groupes de sociétés.
Il s’agit d’exploiter toutes les souplesses prévues par la directive de 2019, afin d’éviter les redondances et de renforcer l’efficacité des procédures de traitement des signalements au sein des groupes.
Il est en effet paradoxal de multiplier les canaux de signalement dans les sociétés d’un même groupe, alors que le pouvoir réel de décision est exercé par les dirigeants de la société mère, qu’eux seuls peuvent avoir une vue d’ensemble des dysfonctionnements du groupe et y remédier.
C’est d’ailleurs pourquoi la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre a imposé la mise en place d’une procédure spéciale de signalement au niveau de la société mère, et d’elle seule.
Bien sûr, les lanceurs d’alerte doivent pouvoir s’adresser à un référent au sein de la société pour laquelle ils travaillent, si celle-ci atteint une certaine taille. Il ne s’agit pas de les obliger à saisir les instances de la société holding d’un groupe multinational, ayant son siège à New York ou à Singapour.
L’objectif consiste, d’une part, à faire en sorte que l’information puisse remonter à la société mère si nécessaire et, d’autre part, à ne pas imposer de charges disproportionnées et inutiles aux sociétés de taille moyenne appartenant à un même groupe.
Absolument rien dans le texte de la commission n’autorise ou n’oblige le Gouvernement à prendre des mesures qui iraient à l’encontre du droit européen. Bien au contraire, nous nous sommes inspirés de la doctrine que la Commission européenne a commencé à élaborer sur l’application de la directive, et nous avons souhaité laisser ouvertes toutes les portes qu’elle-même n’a pas fermées.
La commission des lois est donc défavorable à l’ensemble des amendements tendant à supprimer les dispositions relatives aux groupes de sociétés introduites en commission, à savoir l’amendement n° 77 rectifié, les amendements identiques nos 7 et 28 ainsi que l’amendement n° 45.
Je précise que l’amendement n° 77 rectifié, qui porte également sur la mutualisation des procédures de signalement interne au sein du bloc communal, est satisfait sur ce point par mon amendement n° 98.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Le Gouvernement considère que la directive est déjà extrêmement claire et qu’il n’y a pas besoin d’un décret spécifique pour aller plus loin.
C’est pourquoi, appréciant la clarté de l’amendement n° 77 rectifié, il propose le retrait des autres amendements en faveur de ce dernier.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 7 et 28.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 8 est présenté par M. Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 36 rectifié est présenté par M. Bocquet, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 35
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsqu’ils sont salariés, les référents alerte désignés en vertu du présent article bénéficient du statut de salarié protégé prévu au livre IV, titre Ier de la partie II du code du travail.
« En cas de projet de mutation, de licenciement ou de retrait de mandat d’un référent alerte salarié, il est fait application de la procédure d’autorisation prévue aux articles L. 2421-1, R. 2421-1 à R. 2421-7 du code du travail. Le non-respect de cette procédure constitue l’élément matériel du délit de représailles à l’alerte prévu à l’article 13 de la présente loi.
La parole est à Mme Angèle Préville, pour présenter l’amendement n° 8.
Mme Angèle Préville. Il convient de rappeler que, selon un sondage, 42 % des cadres jugent le dispositif d’alerte interne inefficace, lorsqu’il existe. Seul le renforcement de l’indépendance des personnes gérant ces canaux paraît de nature à consolider la confiance des lanceurs d’alerte en la capacité de ces lignes internes à mettre effectivement un terme au problème dénoncé.
Le droit du travail a établi un statut de salarié protégé pour des salariés bénéficiant de mandats spécifiques, afin de leur permettre l’exercice de leurs fonctions en toute indépendance et sans crainte de représailles. Ainsi, le licenciement de ces salariés n’est possible qu’après une enquête de l’inspection du travail, ayant notamment pour objet de s’assurer de l’absence de lien entre la procédure et l’exercice du mandat.
Il convient, pour garantir l’indépendance des référents alerte désignés par la loi, de leur accorder un tel statut.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° 36 rectifié.
M. Éric Bocquet. Il est défendu.
M. le président. L’amendement n° 48 rectifié, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - L’article L. 2411-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« …° Les référents alerte tels que prévus à l’article 3 de la loi n° … du… visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte. »
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement vise à garantir l’indépendance des référents alerte désignés par la loi.
Les dispositifs d’alerte interne sont encore largement inefficaces sur le terrain. Il ressort des auditions que nous avons pu mener que le problème essentiel est la garantie d’un anonymat réel, souvent impossible, dans les faits, quand la plainte est traitée par la hiérarchie. Seul le renforcement de l’indépendance des personnes gérant ces canaux permettrait de consolider la confiance des lanceurs d’alerte en la capacité de ces lignes internes à mettre effectivement un terme au problème dénoncé, sans que leur anonymat soit levé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Cette série d’amendements vise à accorder le statut de salarié protégé aux personnes qui, au sein des entreprises et autres personnes morales de droit privé, seront chargées de recueillir et de traiter les signalements. Les amendements les désignent comme des « référents alerte », une expression absente du texte de la proposition de loi.
En tant que salariés protégés, les référents alerte ne pourraient être licenciés qu’avec l’autorisation de l’inspecteur du travail.
Les amendements identiques nos 8 et 36 rectifié ont pour objet de soumettre également à cette procédure d’autorisation préalable toute « mutation » d’un référent alerte, ce qui va au-delà des dispositions prévues par le droit du travail pour les représentants du personnel eux-mêmes – ces derniers peuvent être mutés, s’ils y consentent, sans que l’inspecteur du travail soit préalablement saisi. Il en irait de même pour tout retrait du « mandat » de référent alerte.
Dans ces mêmes amendements, il est précisé que le non-respect de cette procédure d’autorisation préalable serait constitutif du délit de représailles prévu à l’article 13 de la loi Sapin II, alors que ce délit concerne uniquement les représailles à l’encontre du lanceur d’alerte lui-même. Il y a donc là une incohérence, qu’il faudrait corriger.
Sur le principe, je ne suis pas convaincue qu’il soit nécessaire d’accorder un statut aussi protecteur aux personnes qui seront chargées de recueillir et de traiter les signalements internes. Elles n’auront effectivement aucun pouvoir pour prendre des mesures correctrices dont les dirigeants de l’entreprise ne voudraient pas. Je ne vois donc pas comment elles pourraient se heurter à l’hostilité de leur employeur, au point d’être licenciées ou même mutées abusivement.
Je note d’ailleurs que le référent « harcèlement sexuel », obligatoirement désigné dans les plus grandes entreprises, ne bénéficie pas en cette qualité du statut de salarié protégé. De même, le référent déontologue dans la fonction publique n’est pas spécifiquement protégé.
Cela dit, nos collègues soulèvent effectivement la question des garanties d’impartialité et d’indépendance du traitement interne des signalements, garanties qui, selon la proposition de loi, devront être fixées par voie réglementaire. Je souhaite donc que le Gouvernement nous éclaire sur le sujet.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Ces amendements, tendant à accorder aux référents alerte en entreprise le statut de salarié protégé, ne nous paraissent pas opportuns.
La directive impose déjà des conditions extrêmement strictes de compétences et d’impartialité de la personne ou du service chargé de la procédure interne de signalement. Celles-ci seront donc intégrées sans faute au décret.
Accorder la qualité de salarié protégé dans un autre cadre, et en raison d’enjeux différents, risquerait en réalité de rendre plus confus le statut très spécifique de salarié protégé, concernant les intérêts de la communauté de travail, le bon fonctionnement des institutions représentatives du personnel, ou encore la démocratie sociale.
Le texte, dans sa version actuelle, propose une protection élargie pour le lanceur d’alerte.
Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable aux amendements identiques nos 8 et 36 rectifié ainsi qu’à l’amendement n° 48 rectifié.
M. le président. Quel est donc l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Après avoir écouté les explications de Mme la secrétaire d’État, j’émets un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Pour illustrer notre débat sur le statut des référents alerte au sein des entreprises, je voudrais citer un cas particulier.
Comme vous le savez, mes chers collègues, la banque UBS a été condamnée, le 13 décembre dernier, à verser 1,8 milliard d’euros d’amende pour pratique illicite de démarchage en bande organisée.
Ces faits ont été dénoncés dès 2008 par Nicolas Forissier – je donne son nom avec son autorisation –, auditeur interne de la banque. Un premier signalement a été réalisé en interne le 4 juillet 2008, et n’a donné aucun résultat. Une seconde alerte a été émise le 12 décembre 2008. L’information a été remontée à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), ainsi qu’à Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins).
Entre-temps, M. Forissier a été licencié en octobre 2009 pour « avoir dénoncé de manière mensongère et réitérée l’existence d’un système de fraude fiscale et de comptabilité parallèle ». Tous ces faits ont été reconnus par la justice et la banque a été condamnée !
L’ACPR a donc été alertée en 2010. Elle était informée, tout comme Tracfin. Deux des lanceurs d’alerte – Nicolas Forissier et Serge Huss – avaient été reçus. La justice a été saisie en 2011 et la banque condamnée dix ans plus tard…
Bien évidemment, tout cela s’est passé avant la promulgation de la loi Sapin II et de la directive européenne. Mais cet exemple me permet d’insister sur le caractère indispensable de la présence d’un tel outil au sein de l’entreprise pour obtenir des résultats.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Il me semble, cher Éric Bocquet, que votre exemple est tout à fait réaliste, mais qu’il concerne le lanceur d’alerte. Or, ici, la personne qui nous intéresse est le référent alerte, soit la personne qui recueillerait l’alerte que vous venez d’évoquer. Ce n’est pas le même niveau.
M. Éric Bocquet. Un tel dispositif a néanmoins manqué au sein de l’entreprise !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Sans doute !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. J’entends bien les explications de Mme le rapporteur sur le fait que nous traitons du référent alerte, et non du lanceur d’alerte.
Mais il y a tout de même une difficulté, notamment s’agissant du cas – que nous avons en partage avec Éric Bocquet – de M. Nicolas Forissier. Celui-ci, je le dis, serait digne d’être décoré de l’ordre national du Mérite. Il estimait qu’il avait été licencié pour rien et que son alerte aurait dû lui valoir quelques remerciements.
Cette difficulté, madame le rapporteur, c’est le délai. Notre collègue vient parfaitement de l’expliquer : entre le moment où l’alerte est lancée, que ce soit par le référent ou par le lanceur d’alerte, le moment où l’information passe au travers de la chaîne de transmission et le moment de la reconnaissance des faits, il se passe toute une période – fort longue dans le cas de l’affaire d’UBS – pendant laquelle ni le référent ni le lanceur d’alerte ne sont véritablement protégés.
Voilà ce qui est visé dans les amendements que nous examinons : la possibilité de disposer d’une protection spécifique pendant la durée de la procédure, avant que le statut de lanceur d’alerte ne soit véritablement reconnu.
Si votre analyse consiste à dire que, dès lors qu’il y a la fonction de référent, la loi Sapin II et les dispositifs réglementaires, il y a protection ab initio, alors, évidemment, le problème ne se pose pas.