M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Je vous remercie de cette réponse, monsieur le ministre. Elle est intéressante, mais vous n’avez pas répondu à la question centrale que je vous posais : les investissements des agriculteurs français entreront-ils dans la taxinomie – ou taxonomie – européenne afin d’avoir accès à des prêts bonifiés ? J’ajoute que cette même question concerne d’autres secteurs économiques comme le nucléaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
taxonomie verte européenne
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. C’est avec une réelle anxiété que nous avons pris connaissance du projet d’acte délégué sur la taxonomie verte proposé par la Commission européenne, car il est en retrait par rapport à la résolution adoptée par le Sénat le 7 décembre 2021.
L’énergie nucléaire serait assimilée non pas à une activité durable, mais à une activité transitoire. Elle serait mise sur le même plan que le gaz naturel. C’est une complète aberration en ce qui concerne le climat, car les émissions sont sans commune mesure : selon l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique), une centrale nucléaire émet 6 grammes de CO2 par kilowattheure, contre 418 grammes pour une centrale à gaz. C’est aussi un sérieux revers vis-à-vis de notre partenaire allemand.
L’énergie nucléaire serait soumise à une information spécifique, ne garantissant pas la neutralité technologique avec les autres énergies décarbonées. Elle ne serait intégrée que dans un an, alors que la taxonomie est applicable depuis le 1er janvier : comment justifier un tel décalage ? Les rénovations de centrales seraient éligibles jusqu’en 2040 et leur construction jusqu’en 2045, alors que tous les scénarios démontrent que les besoins d’investissement vont bien au-delà de 2045.
Ce statut transitoire est un non-sens au regard de l’objectif cardinal visé par la taxinomie : l’atteinte de la neutralité carbone.
Aussi, madame la ministre, ma question est simple : quelle est la position du Gouvernement sur ce projet ? Que compte-t-il faire pour obtenir un statut, une information, un délai et des conditions plus favorables pour l’énergie nucléaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’industrie.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Gremillet, il y a quelques mois, j’avais pris l’engagement devant votre assemblée d’œuvrer avec mes collègues Bruno Le Maire, Barbara Pompili et Clément Beaune pour l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie européenne.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est désormais chose faite ! C’est très exactement ce qui vient de se passer, car le texte aujourd’hui proposé par la Commission européenne – il n’est pas encore adopté, je le rappelle – précise très clairement que le nucléaire est une énergie bas-carbone et sûre, ce qui nous donne les outils de financer nos projets dans le cadre de la finance durable.
C’est une étape décisive pour la filière nucléaire et ses 220 000 professionnels.
Mme Sophie Primas. Non !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. C’est une étape décisive pour notre mix énergétique, dans lequel le nucléaire garantit une énergie stable, bon marché et accessible.
C’est une étape décisive pour notre indépendance énergétique.
On voit bien aujourd’hui, alors que les prix du gaz et de l’électricité croissent, la protection que nous donne l’énergie nucléaire. Je rappelle aussi que les deux derniers sites européens de production d’aluminium sont situés en France. C’est du fait de cet avantage que nous avançons. (M. François Bonhomme et Mme Sophie Primas s’exclament.)
Nous poursuivons la stratégie du Président de la République pour une transition écologique. Notre avenir énergétique repose sur deux jambes : les énergies renouvelables et le nucléaire. Nous investissons massivement dans ces deux secteurs.
M. François Bonhomme. En décalage !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Ainsi, nous avons dédié 470 millions d’euros dans le plan France Relance à la modernisation de notre tissu industriel et 1 milliard d’euros dans le plan France 2030 aux technologies les plus innovantes – je pense aux SMR (Small Modular Reactors), sur lesquels le Président de la République s’est engagé.
M. François Bonhomme. Et la question !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Nous disposons donc aujourd’hui de tous les moyens pour financer la transition nucléaire avec des financements privés. Enfin, il est faux de dire que la mise en place est décalée d’un an. (M. François Patriat applaudit.)
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas une réponse !
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour la réplique.
M. Daniel Gremillet. Madame la ministre, je suis désolé de vous dire qu’une énergie considérée comme transitoire n’est pas qualifiée de la même manière en termes de financements. Vous le savez parfaitement !
Ce statut transitoire est une véritable provocation pour l’indépendance énergétique de la France, alors que nos choix en la matière font partie de la colonne vertébrale de l’Union européenne. Il dissuadera les financeurs de s’engager dans la filière nucléaire.
Comment voulez-vous inciter les chercheurs et les jeunes à s’engager dans une filière transitoire ?
Cela pèsera lourdement sur la compétitivité de notre économie et le pouvoir d’achat des ménages.
Où est le retour en grâce du nucléaire annoncé à l’automne par le Président de la République ? La présidence française du Conseil de l’Union européenne commence bien mal ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)
accueil des écoliers d’enseignants non remplacés
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le ministre, le protocole appliqué depuis lundi s’efforce de rendre l’école plus agile et réactive à la situation.
Une disposition, cependant, pose problème : elle impose, en niveau 3, qu’en l’absence d’un professeur non remplacé les enfants ne sont plus répartis dans les autres classes ; ils ne sont tout simplement plus accueillis à l’école.
Pour reprendre le choix lexical du moment, cette règle « emmerde » tous les parents, vaccinés ou non.
Pour chaque absent, vingt-cinq familles apprennent à huit heures vingt qu’elles doivent garder leur enfant ; la vie des familles est précarisée, la continuité pédagogique et sociale rompue. Les parents, assignés à résidence, ne pouvant travailler, l’économie est perturbée, sans que la covid en soit nécessairement la cause.
Pour exemple, voici un cas non pas d’école, mais bien réel. Un professeur n’a pas été remplacé hier, et vingt-cinq familles ont été impactées. Parmi elles, une assistante maternelle, qui, en conséquence, garde ses propres enfants et plus celui d’un enseignant, lequel reste donc à la maison et n’est, à son tour, pas remplacé, ce qui donne vingt-cinq autres familles impactées… C’est sans fin !
Avec 10 % d’absents aujourd’hui, potentiellement 30 % à la fin du mois, le phénomène va s’amplifier.
Monsieur le ministre, je comprends l’intention de limiter le brassage. Cependant, les mêmes enfants sont mélangés en dehors de l’école, en famille, lors des activités associatives. Ils le sont aussi sur les temps périscolaire, malgré les règles de zonage, d’horaires, malgré les tentatives de maintien en groupes « classe » mis en place par les collectivités.
Quoi qu’il en soit, la répartition dans les autres classes est traçable. Bien sûr, le remplacement de chaque professeur absent demeurerait la meilleure solution. Néanmoins, ce n’est pas nouveau, peu d’absents sont remplacés, et toujours avec un temps de latence. Les recrutements que vous avez engagés porteront au mieux le taux de 9 % à 15 % des effectifs. C’est loin de répondre au problème posé immédiatement par le protocole.
Je vous sais soucieux de maintenir la continuité pédagogique et l’école ouverte. Alors, monsieur le ministre, quand allez-vous supprimer cette règle de non-accueil à l’école des enfants dont les professeurs absents ne sont pas remplacés ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question, qui a plusieurs mérites, dont celui d’aller directement sur un vrai sujet de débat, au demeurant assez technique : faut-il le brassage des élèves lorsque le professeur est absent ?
À l’arrière-plan de votre question, il y a aussi un descriptif de la situation lorsque les professeurs ne sont pas remplacés. De ce point de vue, il est très important de souligner les inconvénients qui seraient survenus si nous n’avions pas eu, depuis le début, une grande politique de l’école ouverte.
Je vous le rappelle, parmi les grands pays occidentaux, la France est le pays qui a maintenu le plus les écoles ouvertes, ce qui doit être un objet de fierté pour nous tous ici, et pour l’ensemble du pays, ainsi qu’un motif de reconnaissance pour les professeurs, directeurs d’école, chefs d’établissements, et tous les personnels, y compris des collectivités locales, que je salue, parce que nous savons tous que c’est dur pour eux, comme c’est dur pour les parents d’élèves.
Est-ce que je vais nier que le mois de janvier sera difficile ? Bien sûr que non ! Le mois de janvier est et sera difficile. Les situations que vous décrivez sont bien réelles et très compliquées.
Est-ce que nous sommes démunis pour ce qui est des remplacements ? C’est le principal sujet. Vous avez évoqué des chiffres, que je voudrais préciser. Heureusement, le conseil scientifique ne prévoit pas qu’il y aura 30 % d’absents : ce taux correspond à l’addition des cas de malades et des cas contacts. Or, comme vous le savez, ce n’est pas du tout le même sujet.
Il est impossible de dire quel sera le pic d’absences, mais il ne devrait pas dépasser normalement 15 %. En tout cas, nous déployons actuellement des moyens pour aller au-delà des 9 % de moyens de remplacement, c’est-à-dire aux alentours de 12 % à 15 %.
Le taux d’absence cette semaine, tel que nous pouvons le constater, est de 7 %, donc nous sommes en ce moment en mesure de remplacer, avec, bien entendu, des exceptions. Il y en a, je le reconnais, mais nous sommes bel et bien en situation de mener cette politique de l’école ouverte, qui correspond au désir de tous, des professeurs, des élèves, des parents d’élèves et de l’ensemble du pays. Soyons fiers de cette politique !
Alors, est-ce qu’il faut éviter de brasser les élèves ? C’est ce que nous avons décidé, et, si nous faisions l’inverse, on nous accuserait ici d’avoir des pratiques dangereuses. Quoi que l’on fasse, il y a ceux qui trouvent que l’on en fait trop et ceux qui trouvent que l’on n’en fait pas assez.
Cette position d’équilibre tient compte des recommandations des autorités sanitaires, mais je suis prêt à la reconsidérer, dans un dialogue avec lesdites autorités, au fil de cette crise. Aujourd’hui, en tout cas, c’est la règle qui nous permet d’avoir et l’école ouverte et la sécurité sanitaire maximale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour la réplique.
M. Arnaud de Belenet. Merci, monsieur le ministre, de cet effort de pédagogie, mais j’espère qu’au moins vous élargirez très vite la dérogation octroyée aux soignants à l’ensemble des parents qui travaillent. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
place de la france en afrique
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Perrin. Monsieur le président, je vous adresse, ainsi qu’au Gouvernement et à l’ensemble de nos collègues, mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année, des vœux de bienveillance et de tolérance envers tous les Français. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Sans jamais avoir été une colonie britannique, le Gabon vient d’annoncer, par la voix de son président, son adhésion en 2022 au Commonwealth.
Le Gabon se tourne vers un autre monde, à savoir la sphère anglophone. Il n’est pas le seul à se détourner de nous. À l’heure du Brexit, ils sont nombreux à souhaiter s’ouvrir à de nouveaux partenaires, qu’ils jugent plus intéressants et plus flexibles en matière économique, géopolitique et de développement : le Cameroun, le Rwanda, le Gabon, que j’ai cité, le Togo et, peut-être demain, le Maroc, qui se sentirait, selon un ancien ambassadeur marocain, « étriqué » dans la francophonie.
Monsieur le ministre, l’Hexagone perd du terrain, notamment au profit de l’influence britannique à travers l’organisation du Commonwealth et des accords commerciaux de libre-échange plus avantageux.
Un autre phénomène, bien plus inquiétant encore, témoigne de l’affaiblissement de la France : il s’agit, bien sûr, de l’irruption de la société militaire privée russe Wagner au Mali, comme dans beaucoup d’autres pays en crise.
Comment expliquer que les autorités de transition à Bamako lui accordent aujourd’hui davantage leur confiance pour assurer leur sécurité qu’à la France, qu’elle avait pourtant appelée à son secours voilà dix ans ?
Comment expliquer que Wagner arrive à faire oublier ses échecs cuisants et ses exactions dans d’autres États africains, pendant que se répand un sentiment anti-français de plus en plus fort dans la zone sahélienne ?
Des décennies d’interventions sous mandats juridiques internationaux et des décennies d’aide au développement pour maintenir la paix et éviter des affrontements communautaires sanglants sont aujourd’hui balayées par une diplomatie d’observation.
J’en viens à ma question : monsieur le ministre, quelle est la stratégie du Gouvernement pour réinvestir le « champ informationnel », que vous avez vraisemblablement délaissé, voire oublié ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. François Bonneau applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Cédric Perrin, je ne partage pas votre point de vue. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Depuis plusieurs mois, les seules initiatives majeures qui ont été prises à l’égard de tout le continent africain, avec les Africains, viennent de la France. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je vais vous le démontrer, mais vous le savez bien, puisque j’en parle régulièrement avec vous à la commission des affaires étrangères du Sénat.
D’abord, le 18 mai dernier, le Président de la République a réuni à Paris une très grande partie des chefs d’État africains, anglophones, francophones ou lusophones, pour aborder avec eux le plan de relance économique pour l’Afrique et permettre la mobilisation de 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux en faveur de l’Afrique. Jamais cela n’aurait été possible sans la France.
Nous avons également pris des initiatives pour lutter avec les Africains contre la pandémie : je pense non seulement aux dons, mais aussi à la création des hubs de production au Cap, en Afrique du Sud, et au Sénégal ; je pense aussi à la collaboration avec AVAT, qui est le Covax de l’Union africaine. La France est à la manœuvre dans ce domaine.
Enfin, il y a la Coalition pour le Sahel, qui concerne le développement, la stabilité, mais aussi la sécurité de la zone sahélienne. Vous évoquez l’aventure de Wagner. Je rappelle d’ailleurs, et vous le savez, que le service de Wagner, s’il se met en place définitivement, est un service payant. Or je ne suis pas sûr que les Maliens soient déjà au courant. En tout cas, les voisins le savent et combattent avec nous contre l’arrivée de Wagner en Afrique occidentale. C’est aussi pour cette raison que nous allons engager ce new deal avec l’Afrique, sous la présidence française de l’Union européenne, les 17 et 18 février prochains à Bruxelles. Je vais également réunir les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne, en présence de M. Moussa Faki, le président de la Commission de l’Union africaine, la semaine prochaine.
La France est respectée, la France est reconnue, la France est attendue en Afrique ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Yves Leconte. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Les 9 et 10 janvier prochains à Genève, de hauts responsables de la Russie et des États-Unis discuteront de la sécurité en Europe. Ils parleront de notre sécurité, sans que nous soyons présents… Depuis plusieurs semaines, nous assistons à une montée des tensions et à une augmentation des mouvements aux frontières de l’Ukraine, dont la Russie a déjà violé l’intégrité territoriale.
Depuis de nombreux mois, Moscou a bloqué les initiatives du format « Normandie », lancé sur l’initiative de la France et de l’Allemagne en juin 2014 pour trouver une issue à la guerre à l’est de l’Ukraine. Ce format ne mobilisait que des Européens.
Aujourd’hui, le président de la Fédération de Russie pose des conditions nouvelles censées être indispensables à la sécurité de son pays.
Il pose des conditions qui portent atteinte au droit de chaque État européen de définir par lui-même sa politique étrangère et sa politique de sécurité.
Il pose des conditions qui violent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Il pose des conditions à un moment où les évolutions constatées à l’intérieur de son pays inquiètent de nombreux observateurs.
Dans quelques jours, Moscou et Washington parleront de nous sans nous. Nous voilà donc revenus à l’avant-1989, à cette Europe de Yalta, cette Europe divisée, cette Europe mise sous tutelle, que nous ne voulons pas revoir.
Pendant des années, du président Charles de Gaulle au président François Mitterrand, notre politique étrangère n’a eu de cesse de vouloir sortir l’Europe de ses fractures et de ses dépendances, de rendre à chaque peuple européen sa liberté. En 1989, les peuples européens ont gagné le droit de dire : « Rien sur nous sans nous ! » Ce droit constitue le fondement de notre indépendance stratégique.
Nous ne pourrons rien construire en Europe si un seul pays ne dispose pas de sa totale liberté. Nous ne pourrons rien construire si ce droit est violé.
Monsieur le ministre, alors que commence la présidence française du Conseil de l’Union européenne, comment envisagez-vous de défendre cette autonomie stratégique, un objectif majeur affiché par le Président de la République, alors qu’un retour en arrière majeur se profile ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Leconte, je partage votre diagnostic, ou du moins ses prémisses, sur le moment stratégique qui se déroule en ce moment.
Vous l’avez rappelé, mais je pense que la Haute Assemblée en est bien informée, dans les jours qui viennent, nous allons entrer dans une séquence majeure, avec, simultanément, un dialogue entre les États-Unis et la Russie à Genève, une discussion entre la Russie et l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) à Bruxelles, et une discussion au sein de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) à Vienne. Dans les deux derniers cas, les Européens seront parties prenantes.
Préalablement à ces rencontres, la Russie a déposé sur la table sa conception des paramètres de la sécurité européenne. Face à cela, nous devons avoir, à mon sens, trois réactions.
Premièrement, nous ne devons pas refuser la discussion avec la Russie.
Ce dialogue peut contribuer à renforcer notre sécurité, mais il doit se faire sur la base de paramètres que nous jugeons pour nous pertinents et qui sont conformes à nos intérêts collectifs de sécurité.
Or plusieurs des propositions russes ne sont pas compatibles avec les principes fondamentaux de la sécurité et de la stabilité européennes, auxquels vous faisiez allusion, et qui étaient ceux de l’accord d’Helsinki de 1975. Cela nous ramène loin en arrière, mais il est toujours en vigueur et la Russie l’a signé. Nous devons être vigilants sur ce point et faire en sorte que nos conceptions sur la stabilité stratégique en Europe soient partagées avec nos partenaires européens.
Cependant, j’y insiste, il faut parler avec la Russie et dire ce que nous pensons, c’est-à-dire arriver à la table des négociations avec nos propres éléments et non pas ceux imposés par la Russie.
Deuxièmement, les Européens doivent être pleinement impliqués.
Monsieur le sénateur, je partage votre point de vue, la sécurité européenne ne saurait se discuter sans leur pleine implication. Tel sera d’ailleurs le sujet des premières réunions des ministres des affaires étrangères et des ministres de la défense, qui vont se tenir conjointement à Brest la semaine prochaine, dans le cadre de cette séquence, pour affirmer notre position.
Enfin, troisièmement, le dialogue avec la Russie ne doit pas nous faire oublier la fermeté nécessaire que nous devons manifester sur la crise ukrainienne : nécessité de la discussion en format « Normandie », ce que chacun reconnaît, sauf la Russie aujourd’hui – les États-Unis sont bien sur cette position ; mise en œuvre des accords de Minsk ; menace de conséquences massives s’il y avait une nouvelle atteinte à l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Telle est notre position. Elle est claire et elle va être répétée au sein de toutes les instances internationales dans les jours qui viennent.
réforme du corps diplomatique
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Dumas. Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, la réforme voulue par le Président de la République et visant à supprimer les grands corps de l’État au profit d’un corps unique d’administrateurs de l’État vient de connaître son premier développement avec la création de l’Institut national du service public.
Cette réforme va s’appliquer au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, et elle inquiète légitimement nos diplomates : 800 d’entre eux sont concernés par la disparition progressive des corps de conseiller des affaires étrangères et de ministre plénipotentiaire à partir de 2023.
Aujourd’hui issus de l’ENA, voire du prestigieux et sélectif concours d’Orient, ces serviteurs de l’État embrassent cette carrière par vocation, pour servir la France à l’étranger. Le métier de diplomate n’est pas celui de préfet ou d’inspecteur général des finances : être diplomate, c’est posséder des compétences de négociation, une expérience sur le terrain acquise au fil des années et des postes.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer le maintien du concours du cadre d’Orient, qui fait la réputation du plus vieux service diplomatique au monde, et nous préciser si les ambassadeurs seront toujours nommés sur votre proposition ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question.
Je suis totalement d’accord avec vous, l’engagement des diplomates est un vrai choix de vie. La diplomatie, c’est un métier nécessitant des compétences rares, qui se construisent dans la durée. Il faut avoir conscience de cela pour mettre en œuvre les réformes nécessaires dans le cursus de carrière des diplomates. Aussi, j’ai veillé à pouvoir articuler les priorités de la réforme de la haute fonction publique, souhaitée par le Président de la République, avec ces nécessités. J’ai obtenu sur ces orientations le soutien plein et entier du Premier ministre.
Madame la sénatrice, je peux donc vous confirmer que le concours d’Orient, qui restera une voie d’accès directe et spécifique au Quai d’Orsay, sera maintenu. Le ministère en maîtrisera les modalités d’organisation et les lauréats continueront à être recrutés en raison de leur profil spécialisé, s’insérant dans une filière professionnelle clairement identifiée.
Par ailleurs, la revalorisation des parcours et des carrières des agents qui ont rejoint le ministère comme secrétaire des affaires étrangères sera renforcée.
En outre, le Premier ministre a bien voulu garantir que les conseillers des affaires étrangères ou ministres plénipotentiaires actuels qui feraient le choix de ne pas devenir des administrateurs de l’État ne seraient pas pénalisés dans leur carrière.
Enfin, il a bien voulu reconnaître la possibilité pour les agents ayant fait le choix de la diplomatie, quel que soit leur statut ou leur concours, de pouvoir faire toute leur carrière au Quai d’Orsay s’ils le souhaitent.
Voilà les engagements qui ont été pris. Ils sont en cohérence avec la réforme voulue par le Président de la République et ils préservent les métiers de la diplomatie. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour la réplique.
Mme Catherine Dumas. Je vous remercie, monsieur le ministre, mais je veux vous redire notre grande inquiétude, largement partagée sur toutes les travées de cet hémicycle. Nous en parlions d’ailleurs encore ce matin en commission.
Si cette réforme est mal faite, nous pourrions dériver vers une politisation des nominations d’ambassadeurs, comme cela se produit dans certains pays. Des postes diplomatiques prestigieux risqueraient d’être occupés par des non-diplomates, ce qui, bien entendu, n’est pas souhaitable.
Nous possédons le deuxième réseau diplomatique au monde, un monde aujourd’hui en plein vertige, les crises internationales se multipliant. Il n’est vraiment pas opportun d’affaiblir la France dans de telles circonstances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Claude Kern applaudit également.)
impact du prix de l’énergie sur les collectivités locales
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et des travées du groupe Les Républicains.)