Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis toujours, le groupe du RDSE partage la volonté exprimée ici par notre collègue député André Chassaigne et le groupe CRCE d’une revalorisation rapide des retraites des conjoints collaborateurs et des aides familiaux et il se bat pour cela.
C’est une nécessité et une urgence au regard des constats que nous sommes amenés à faire sur le terrain et de la modicité – le mot est faible ! – du niveau de ces pensions.
Les conjoints et les aides familiaux subissent une double peine.
Les retraites agricoles sont parmi les plus faibles, tous régimes confondus. Le récent rapport des députés Causse et Turquois rappelle en effet que les assurés non salariés et les exploitants agricoles sont surreprésentés parmi les retraités modestes.
Au sein du régime des non-salariés agricoles, les conjoints et aides familiaux touchent moins que le minimum vieillesse. Les chiffres sont édifiants : pour une carrière complète, la pension moyenne est de 570 euros par mois, et bien moins encore pour tous ceux ou plutôt, devrais-je dire, toutes celles – il s’agit le plus souvent de femmes – qui n’ont pas cotisé suffisamment.
Pour ces dernières, leur opposer un faible effort contributif est indélicat. Comme l’a souligné Mme la rapporteure, le statut de conjoint collaborateur est resté longtemps subi et le partage à parts égales des points de cotisation rarement mis en œuvre par le chef d’exploitation.
Si leur protection sociale s’est régulièrement améliorée depuis 1999, l’article 3 de la proposition de loi visant à limiter à cinq ans la durée d’exercice du statut de conjoint collaborateur leur ouvrira de nouvelles perspectives. Le groupe du RDSE a d’ailleurs défendu ce dispositif dans le cadre de l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je rappellerai aussi que mon groupe est depuis longtemps attentif au sort de l’ensemble des retraités du monde agricole : deux de ses anciens membres avaient déposé en 1998 une proposition de loi allant dans le sens d’une nette amélioration de leurs pensions.
En tout état de cause, il nous revient à tous ici de réparer cette situation de précarité qui touche des agricultrices dont on sait qu’elles ne ménagent pourtant pas leur peine sur l’exploitation. L’article 1er qui tend à supprimer la prise en compte du statut professionnel pour le calcul du montant de la pension de base minimale apportera davantage d’équité en faveur de ses 175 000 bénéficiaires.
Toutefois, malgré ce progrès incontestable, nous serons en deçà de la proposition de loi initiale déposée par André Chassaigne, puisque le texte a été expurgé de son article 2 qui prévoyait l’extension aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux de la garantie d’un revenu minimal de 85 % du SMIC, dispositif que nous avions approuvé l’année dernière à l’unanimité en faveur des chefs d’exploitation.
Vous l’avez souvent souligné, monsieur le secrétaire d’État, le coût en serait difficilement supportable. Toutefois, les pistes de financement proposées par le député Chassaigne méritent d’être étudiées pour apporter, à terme, une pierre de plus à l’effort indispensable de revalorisation des petites pensions.
Mes chers collègues, en parallèle, nous devons aussi poursuivre le travail de sécurisation des revenus agricoles entamé par la loi dite Égalim. Les retraites agricoles d’aujourd’hui reflètent les revenus tirés de l’agriculture d’hier. Aussi, garantir au plus tôt de meilleurs salaires pour nos agriculteurs est à l’évidence la meilleure façon d’assurer leurs pensions de demain, des pensions qui doivent être le plus dignes possible au regard de leur contribution à la vitalité de nos territoires.
Le groupe du RDSE votera à l’unanimité cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI, INDEP, SER et CRCE. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite à mon tour saluer l’examen dans notre hémicycle de cette proposition de loi déposée par André Chassaigne visant à revaloriser les pensions de retraite agricoles des conjoints collaborateurs et des aides familiaux.
Elle s’inscrit dans la lignée des mesures prises ces dernières années en faveur des chefs d’exploitation agricole, dont la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, dite loi Touraine, qui a instauré un niveau minimum de retraite à 75 % du SMIC, puis la première loi Chassaigne du 3 juillet 2020 qui a porté ce montant à 85 % du salaire minimum pour les chefs d’exploitation ayant effectué une carrière complète. Cette dernière disposition s’applique depuis le 1er novembre dernier et les premiers versements à terme échu interviennent donc en ce moment même.
Mes chers collègues, nous ne pouvons que nous en réjouir, même si je tiens tout de même à rappeler que cette revalorisation aurait pu s’appliquer trois ans plus tôt, si le Gouvernement n’avait pas choisi en 2018 de la reporter, en ayant recours en séance à la procédure du vote bloqué,…
M. Laurent Duplomb. Tout à fait !
M. Jean-Luc Fichet. … alors que le Sénat souhaitait au contraire voter conforme ce texte dès sa première lecture afin de garantir sa mise en œuvre rapide.
Nous espérons donc que l’adoption définitive de cette nouvelle proposition de loi qui concerne les conjoints collaborateurs et les aides familiaux pourra cette fois se dérouler sans encombre, car elle est vivement attendue par l’ensemble des acteurs du monde agricole. Rappelons que nombre de conjointes collaboratrices – il s’agit très majoritairement de femmes – perçoivent aujourd’hui moins de 600 euros de pension mensuelle.
L’article 1er de ce texte instaure une mesure essentielle, en établissant un montant unique de pension majorée de référence, quel que soit le statut de l’assuré non salarié agricole. Ce dispositif, qui s’appliquera aux retraités actuels, mais aussi aux futurs pensionnés, a été complété par un relèvement du seuil d’écrêtement de la PMR au niveau du montant de l’ASPA.
Au total, plus de 200 000 personnes pourraient ainsi bénéficier de ces mesures qui représentent une revalorisation de 100 euros par mois en moyenne pour les femmes ayant accompli l’ensemble de leur carrière en tant que conjointes collaboratrices.
Cela constitue indéniablement une avancée importante, mais nous ne pouvons que regretter que la majorité de l’Assemblée nationale ait rejeté dans le même temps l’article 2 de la proposition de loi qui élargissait l’application du complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire aux conjoints et aides familiaux afin qu’ils puissent bénéficier de la garantie d’un revenu minimal à hauteur de 85 % du SMIC. Cela aurait permis d’aller encore plus loin, alors même que les montants actuels de leur pension sont extrêmement faibles.
Outre ces mesures, d’autres dispositifs prévus par ce texte sont également à saluer, tels que l’article 1er bis qui vise à lutter contre le non-recours à l’ASPA en imposant aux caisses de retraite la communication d’une information systématique et annuelle à destination des pensionnés susceptibles d’en bénéficier.
Cette information devra être délivrée non seulement au moment de la liquidation de leur retraite, mais également l’année précédant leur éligibilité à cette allocation, ce qui représente une avancée, car l’une des causes du non-recours à l’ASPA pourrait résulter du décalage entre l’âge légal de départ à la retraite, fixé à 62 ans, et celui auquel l’assuré peut solliciter cette allocation, à savoir 65 ans.
Nous nous félicitons également que l’article 3 tende à limiter à cinq ans le statut de conjoint collaborateur – cette limitation est déjà applicable aux aides familiaux – afin de les encourager à privilégier un statut socialement protecteur comme celui de coexploitant ou de salarié. Cette disposition a d’ailleurs été étendue à l’ensemble des conjoints collaborateurs, y compris ceux qui seraient déjà en activité lors de la promulgation de la loi.
L’article 3 bis, introduit à l’Assemblée nationale sur l’initiative d’André Chassaigne, prévoit enfin la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur l’application de l’article 9 de la loi Pacte, qui instaure des obligations déclaratives pour les chefs d’exploitation, et sur la situation des conjoints d’agriculteurs dont la situation professionnelle n’est pas déclarée.
Au vu de l’ensemble de ces motifs, et malgré nos regrets réitérés quant à la suppression de l’article 2 qui aurait permis de garantir un montant minimal de retraite à 85 % du SMIC aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce texte conforme, tant il est urgent de confirmer cette première avancée pour se diriger enfin vers des pensions de retraite dignes pour l’ensemble des non-salariés agricoles. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE, CRCE et UC, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Laurent Duplomb applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, par leur passion, les agriculteurs nourrissent notre pays malgré une rémunération souvent faible.
J’ai d’ailleurs une pensée toute particulière pour les 948 exploitations agricoles du département des Yvelines. Céréaliers, maraîchers, éleveurs, primeurs, quel que soit leur domaine, ils démontrent que leur activité évolue afin de préserver la filière. Leur présence est précieuse, car ils assurent un rôle déterminant, notamment dans notre équilibre alimentaire.
Comment ne pas rappeler en préambule que la grande majorité des syndicats d’agriculteurs souhaitait la réforme universelle des retraites ? (Murmures sur les travées du groupe CRCE.) Malheureusement, la covid-19 a contraint le Président de la République à la reporter jusqu’à ce que les conditions économiques et sociales soient réunies.
Ces professions ne pouvaient plus attendre. Et il était indispensable de se pencher en urgence sur les pensions du monde agricole, au vu de leur montant. Aussi, c’est bien naturellement que nous avons apporté tout notre soutien à la loi du 3 juillet 2020, rebaptisée Chassaigne 1.
Cette loi permet de revaloriser les retraites agricoles, portant la pension totale d’un chef d’exploitation ou d’entreprise agricole en métropole et en outre-mer justifiant d’une carrière complète à 85 % du SMIC net à partir du 1er janvier prochain. Elle concerne 227 000 chefs d’exploitation agricole qui voient leur retraite minimale portée à 1 035 euros par mois. C’est une avancée majeure adoptée avec le soutien du Gouvernement. (M. René-Paul Savary s’exclame.)
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui complète ces avancées, en améliorant la retraite des collaborateurs d’exploitation ou d’entreprise agricole, les anciens conjoints participant aux travaux et les aides familiaux, qui sont à 75 % des femmes. Elle s’inscrit pleinement dans le cadre des travaux conduits par le Gouvernement. Elle s’inscrit également dans la lignée des recommandations de la mission sur les petites retraites confiée aux députés Lionel Causse et Nicolas Turquois par le Premier ministre.
Son article 1er prévoit le rapprochement de la pension majorée de retraite et du minimum contributif du régime général. Pour les 175 000 bénéficiaires de cette mesure, le gain moyen s’élèvera à 62 euros par mois et même à 75 euros pour les femmes.
L’article 1er bis prévoit, quant à lui, de renforcer l’information des assurés au sujet des conditions d’attribution et de récupération sur succession de l’allocation de solidarité aux personnes âgées. Le non-recours à l’ASPA est particulièrement élevé dans le secteur agricole en raison des craintes liées à la récupération sur succession des sommes versées.
Précisons que cette allocation n’est récupérée que sur la fraction de l’actif net successoral excédant 39 000 euros en métropole et 100 000 euros en outre-mer, tandis que le montant des sommes pouvant faire l’objet d’un recouvrement est plafonné annuellement. Depuis 2011, le capital d’exploitation agricole et les bâtiments indissociables sont même exclus du calcul de l’actif net successoral.
L’article 3 tend à limiter à cinq ans la possibilité d’exercer sous le statut de conjoint collaborateur. Cette mesure, vous le rappelez dans votre rapport, madame la rapporteure, fait consensus parmi les organisations syndicales et contribuera à orienter les intéressés vers une activité rémunératrice leur permettant d’acquérir des droits sociaux plus étendus.
L’article 3 bis vient compléter les avancées de la loi Pacte, en clarifiant les obligations de déclaration des conjoints collaborateurs, ainsi que les conséquences d’une éventuelle non-déclaration.
Mes chers collègues, le Gouvernement est attaché à trois principes qui ont déterminé sa position dans les débats sur les petites retraites agricoles : l’équité, la contributivité – ce sont les cotisations qui permettent d’ouvrir des droits – et la responsabilité – il nous faut assurer un financement pérenne de notre protection sociale.
Le rapport de Cathy Apourceau-Poly examiné la semaine passée nous a conduits, en commission, à adopter cette proposition de loi sans modification et le groupe RDPI se positionne aujourd’hui sans hésitation en faveur d’un vote conforme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Alain Duffourg applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais remercier le groupe CRCE d’avoir demandé l’inscription à notre ordre du jour de cette proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles les plus faibles.
Tout l’enjeu du dossier agricole a été particulièrement bien résumé en 1967, lors du discours d’Aurillac, par George Pompidou pour qui l’effort autour de l’agriculture devait nous permettre de « répondre aux besoins de la France et de l’Europe de demain et d’assurer en même temps à nos agriculteurs un niveau de vie convenable ».
Nous l’avons encore bien vu depuis le début de cette pandémie : nos agriculteurs ont sauvegardé notre souveraineté alimentaire. Nous avons parlé en septembre dernier de la question de la rémunération de nos agriculteurs, en examinant la proposition de loi dite Égalim 2 : il s’agissait de leur assurer un niveau de vie convenable, ce qui n’est pas le cas actuellement. Après une vie de labeur particulièrement intense, la retraite doit apporter de quoi vivre.
Je souhaite féliciter le député André Chassaigne pour son engagement constant et reconnu en faveur du secteur de l’agriculture et plus particulièrement des retraites agricoles.
Je salue cette proposition de loi qui a le mérite d’apporter une solution à un problème identifié depuis bien longtemps. Lors de son examen, la commission des affaires sociales a adopté le texte sans apporter de modification à ses quatre articles. L’entrée en vigueur de plusieurs dispositifs se situant au 1er janvier prochain, nous comprenons l’enjeu.
Le sort des conjoints collaborateurs et des aides familiaux est particulier à plusieurs égards : d’abord par leur statut, ensuite par le rôle important qui est le leur au sein d’une exploitation.
Le travail des conjoints collaborateurs, en plus d’être essentiel, est particulièrement difficile. La précarité de leur statut est inacceptable. Ce rôle est majoritairement endossé par des femmes : elles représentent 78 % des bénéficiaires de la pension de conjoint collaborateur avec une retraite moyenne d’environ 500 euros par mois.
Personnellement, je trouvais intéressant de les faire bénéficier du complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire, ce qui aurait permis que le montant minimal de leur pension soit égal à 85 % du SMIC, comme c’est déjà le cas pour les chefs d’exploitation grâce à la loi Chassaigne 1 de juillet 2020.
Cependant, la solution trouvée autour d’un montant unique de pension majorée de référence pour l’ensemble des assurés non salariés agricoles est une avancée intéressante.
J’entends les arguments soulignant qu’une cotisation moindre aggrave le risque d’une perte d’équilibre du régime de protection sociale des personnes non salariées des professions agricoles. Je souhaite toutefois rappeler que ce manque de cotisation n’est pas volontaire ; il est le résultat du manque de moyens des exploitants, ne leur permettant pas de cotiser suffisamment pour leur conjoint aidant.
Autre point essentiel dans cette proposition de loi : la limitation de la durée du statut de conjoint collaborateur. L’encadrement proposé à cinq ans renforce la volonté de protection exprimée dans ce texte.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte est une avancée très importante et une question de justice sociale pour les femmes et les hommes qui nous nourrissent. Si les exploitations agricoles fonctionnent, c’est aussi parce que des conjoints collaborateurs et des aides familiaux y déploient un travail continu et s’y impliquent fortement. Cette proposition de loi apporte des solutions concrètes aux agriculteurs, qui ont travaillé sept jours sur sept et qui, à l’heure de leur retraite, doivent pouvoir eux-mêmes se nourrir et avoir un minimum pour vivre.
Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et CRCE, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Kristina Pluchet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Kristina Pluchet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes rassemblés aujourd’hui pour discuter d’un sujet qui me tient particulièrement à cœur : l’augmentation des pensions de retraite agricoles les plus faibles, pour prendre un peu plus soin de ceux qui nous ont nourris discrètement leur vie durant.
Les pensions agricoles d’aujourd’hui sont le reflet de choix historiques posés dans des conditions bien différentes. Elles sont le fruit d’un compromis de l’après-guerre, qui avait choisi d’offrir un régime de retraite à une profession encore très nombreuse participant activement à la reconstruction du pays sans faire peser sur ses revenus des charges sociales trop lourdes. À l’époque, on ne savait pas que les revenus agricoles allaient fluctuer autant ni que la vente des exploitations, censée compléter les revenus des retraités, se compliquerait.
Pour le conjoint et les enfants, aucune cotisation – donc aucun droit – n’était prévue, même si ceux-ci participaient aux travaux de l’exploitation : leur travail prolongeait celui qui était accompli dans la maison, sans qu’il soit utile de lui associer la moindre reconnaissance d’ordre professionnel.
En 1999, les conjoints participant aux travaux de l’exploitation agricole se virent enfin attribuer un statut légal. Ils purent, seulement à partir de 2011, bénéficier d’une retraite complémentaire, mais à des conditions encore moins favorables que les chefs d’exploitation, puisque les cotisations étaient plus faibles.
C’est ce qui explique pourquoi, aujourd’hui, les montants moyens des retraites agricoles des non-salariés et a fortiori des conjoints collaborateurs et aides familiaux sont inférieurs au seuil de pauvreté pour une carrière complète : environ 9 400 euros par an dans l’ensemble et 8 900 euros pour les femmes.
Pourquoi cette lenteur dans la prise en considération de cette situation par le législateur ? Est-ce là notre conception de la justice et de la solidarité nationale pour les quelque 225 000 exploitants, 125 000 conjoints collaborateurs, 204 000 aides familiaux et 390 000 veufs et veuves, dont le travail était vital pour notre pays et qui ne se sont jamais plaints ?
Les raisons qui ont conduit à différer continuellement cette revalorisation pourtant si évidente ne sont pas compréhensibles, alors que, dans le même temps, on a consenti d’autres efforts non négligeables pour d’importantes catégories de Français. En fait, on ne devrait même pas débattre de cette question.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. C’est vrai !
Mme Kristina Pluchet. Je rappelle aussi que la revalorisation des pensions des chefs d’exploitation a déjà pris un certain temps : elle a été adoptée une première fois à l’Assemblée nationale en février 2017 et il a fallu attendre juin 2020, soit près de trois ans et demi, pour que la proposition de loi revalorisant à 85 % du SMIC les retraites des exploitants soit votée, avec – qui plus est – un report de l’application de cette mesure à novembre de cette année. Je ne suis pas dupe de l’opportunité de ce calendrier, je ne le suis pas non plus en ce qui concerne la présente proposition de loi. Soit !
Ce texte vient donc – à point nommé… – compléter certains angles morts de la loi de 2020 et rendre en partie justice aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux.
Je ne peux que regretter que certaines dispositions proposées par André Chassaigne n’aient pas été conservées lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale et que ne subsiste essentiellement que l’harmonisation de la pension majorée de référence, complétée de l’alignement du plafond d’écrêtement au niveau de l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
L’ambition de la proposition de loi initiale était plus décente pour ceux et, surtout, celles qui, au terme d’une vie de labeur et d’astreinte, sont confrontés aux difficultés de la vieillesse et de la dépendance.
Je salue cependant l’introduction de la limitation à cinq ans du statut de conjoint collaborateur, comme cela a été fait pour les aides familiaux, pour en finir à terme avec ce statut pourvoyeur de petites retraites et vecteur de précarité et pour le restreindre, en quelque sorte, à un sas de transition dans la profession et sortir d’une logique de couple qui n’est pas sans risque et qui s’ajuste mal avec l’individualisation et l’égalité des droits.
Pour aller plus loin, si nous voulions véritablement prendre soin de ceux qui nous nourrissent, il faudrait réfléchir à un régime renouvelé, fondé sur un nouvel équilibre en rapport avec l’actuelle démographie de la profession et le niveau des prix de cession des exploitations.
Agir sur les retraites agricoles permettrait de relancer l’attractivité du métier et de réguler le coût de cession des fermes. Même si ce n’est pas l’objet de la discussion de ce jour, ce sont des enjeux que nous ne devons pas perdre de vue.
Compte tenu de l’urgence à revaloriser les retraites agricoles de ces oubliés et du consensus autour des mesures proposées, et dans un esprit de responsabilité, je voterai ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et CRCE, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après une première loi adoptée en 2020 qui a porté le complément de retraite obligatoire de 75 % à 85 % du SMIC pour les chefs d’exploitation, mesure effective depuis le 1er novembre 2021, ce nouveau texte, dont la portée a été – hélas ! – réduite, améliore la situation des conjoints collaborateurs et aides familiaux d’agriculteurs.
La situation de ces conjoints collaborateurs et aides familiaux présente une double problématique : de très faibles niveaux de pension et de fortes inégalités.
À l’heure où une partie du monde agricole est en crise, où les pratiques sont remises en question, tant d’un point de vue économique qu’environnemental, et où les drames s’accumulent, cette proposition de loi qui vise les plus précaires de la profession est un signe de respect et de compréhension de l’absolue urgence de la situation. Et nous remercions le groupe CRCE de défendre ce sujet.
307 euros : voilà le montant, dans le régime des non-salariés agricoles, d’une pension de conjoint collaborateur ou de conjointe collaboratrice. Ce montant est dérisoire au regard du travail réellement accompli dans l’exploitation !
Le mécanisme retenu à l’article 1er de ce texte pour revaloriser ces pensions consiste à aligner la pension majorée de référence des conjoints collaborateurs et des aides familiaux sur celle des exploitants. Cela devrait bénéficier à 175 000 pensionnés pour un gain mensuel moyen de 62 euros. Les 25 % les plus pauvres des non-salariés agricoles obtiendront un gain de 106 euros mensuels et les 5 % les plus précaires de 144 euros mensuels.
Nous regrettons toutefois que l’extension aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux du bénéfice de la garantie d’un revenu minimal de 85 % du SMIC ait été supprimée sans proposition de remplacement.
Et nous alertons sur la mesure de l’article 3 qui vise à limiter à cinq ans le statut de conjoint collaborateur d’exploitation à l’image du statut d’aide familial. Si nous comprenons cette stratégie qui est d’en finir avec ces sous-statuts, cela signifie qu’il reste cinq ans pour mettre en place une véritable politique de revenus pour les agriculteurs et agricultrices, afin de garantir la pérennité des exploitations. Ces sous-statuts existent toujours, car nombre d’exploitations ne sont pas encore en mesure de s’en passer : la question du revenu est donc primordiale.
À ce titre, la politique agricole commune est centrale. Elle assure encore en moyenne 47 % des revenus des agriculteurs français. Sur la période 2021-2027, près de 386 milliards d’euros courants sont prévus et l’enjeu est bien celui de leur orientation. La vision libérale qui a conduit à la dérégulation des marchés agricoles européens depuis le début des années 1990 perdure. Or, si nous souhaitons des prix équitables pour les producteurs, donc des revenus dignes, et des prix raisonnables pour les consommateurs, il faut des outils de régulation des marchés, que ce soit sur le stockage, les prix ou encore les volumes de production.
Enfin, nous défendons le fait que les droits annuels soient à l’avenir indexés sur le SMIC horaire comme la cotisation minimum, et non sur les prix. En effet, cette configuration d’indexation est pénalisante, d’autant qu’elle est associée à un allongement de la durée de cotisation pour l’obtention du taux plein.
Ce sont là des pistes de travail pour un troisième texte sur cet enjeu essentiel : garantir des conditions de vie plus dignes à l’ensemble de la profession.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souhaite donc une promulgation rapide de ce texte et il votera pour son adoption conforme. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE et sur des travées des groupes SER et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier André Chassaigne de ne jamais avoir abandonné la question des retraites agricoles, particulièrement celle des petites pensions.
Les pensions agricoles sont le plus souvent très basses, tant pour les conjoints collaborateurs et aidants familiaux, dont nous discutons aujourd’hui, que pour les exploitants.
L’intérêt de cette proposition de loi est double : reconnaître une injustice qui dure depuis trop longtemps et la corriger, au moins en partie.
Si nous voulons reconnaître cette injustice, nous devons la comprendre. Pour bien la comprendre, il ne faut pas se raconter d’histoires.
Pour cela, je vais vous raconter une histoire, une histoire vraie qui fait écho à la réalité d’aujourd’hui et peut nous permettre de regarder celle-ci d’un autre œil. Cette histoire, c’est celle qu’ont vécue les femmes de paysans pendant des décennies, c’est celle de la grand-mère de mon épouse, Juliette Ampilhac, née Fuzet.
Elle est née en 1920, en Haute-Loire, d’un couple de paysans de Maméas, un hameau dont les habitants n’avaient alors ni salle de bains ni même eau du robinet ou électricité, mais travaillaient sans cesse, tous les jours.
Le travail commençait tôt le matin, même pour les enfants. L’exploitation où Juliette Fuzet est née comptait dix vaches, qui pouvaient produire dix veaux, quand ceux-ci ne périssaient pas prématurément, et un peu de lait pour la famille ; elles permettaient aussi de cultiver quelques hectares à la force des bras, dans une peine constante. Juliette Fuzet, dès son plus jeune âge, travaillait aussi à fabriquer des gants, pour arrondir un tout petit peu les fins de mois de ses parents.
Elle s’est mariée en 1944 avec Claudius Ampilhac, devenant ainsi « fillade », c’est-à-dire belle-fille de la famille. Elle vivra plus de vingt-sept ans avec ses beaux-parents et prendra soin d’eux pendant toute leur retraite et jusque dans la mort : à cette époque-là, quand quelqu’un mourait, on le revêtait de ses plus beaux habits ; il était ensuite veillé, trois jours et trois nuits, par une personne du village et une de la famille, qui récitaient bien sûr des « Notre Père » et des « Je vous salue Marie » – pardonnez-moi cette entorse à la laïcité, mes chers collègues ! (Sourires.)
Toute sa vie, Juliette Ampilhac s’est levée à six heures du matin, y compris les samedis et dimanches, Noëls et jours fériés.
Toute sa vie, sans cesse, l’effort : elle descendait à vélo au Puy-en-Velay, à vingt-cinq kilomètres de chez elle, pour y vendre du beurre, parce qu’elle pouvait en tirer un meilleur prix.
Toute sa vie, elle a dû se forcer, elle a dû écarter le fumier à la fourche, car le matériel moderne n’existait pas là-bas.
Toute sa vie, elle a dû accepter la douleur : n’a-t-elle pas été mordue par une vipère en chargeant du foin sur son char ? Et pourtant, elle ne s’est jamais plainte.
Toute sa vie, elle a trimé. Elle devait laver le linge en plus des travaux de la ferme, et elle savait une chose que tout le monde a oubliée aujourd’hui : l’hiver, là où l’eau court moins vite, elle est moins froide.
Toute sa vie, elle a fait son travail avec passion, bien au-delà de la retraite : à 75 ans, elle labourait encore, désormais avec un tracteur moderne et une charrue à quatre socs. Cette retraite, elle y est parvenue en 1985 ; elle a eu droit à une pension de 300 000 anciens francs, soit 3 000 francs nouveaux, ou 400 euros et quelques. Quand sa vie est parvenue à son terme, en 2011, sa retraite n’avait que peu changé : elle était de 555 euros. Alors, Juliette Ampilhac n’aura jamais bien gagné sa vie, même si elle a beaucoup travaillé ; pourtant, contrairement aux générations d’aujourd’hui, elle ne s’est jamais plainte.
Toute sa vie, elle aurait mérité d’être reconnue. La reconnaissance que nous lui offrons aujourd’hui vient enfin saluer cet effort, ces douleurs, ce travail. Il n’en reste pas moins vrai qu’elle arrive trop tard pour vraiment récompenser l’effort que Juliette Ampilhac et tant d’autres femmes d’agriculteurs ont accompli. Le nombre de personnes pouvant bénéficier de ce dispositif diminue et ne cessera pas de diminuer. Je regrette que l’on se serve quelque peu aujourd’hui de ce texte pour faire de la communication, alors qu’aucune ligne budgétaire n’est encore allouée à sa mise en œuvre.
Toute sa vie, Juliette Ampilhac aurait aimé qu’on puisse lui dire, à un moment ou à un autre, que le travail qu’elle réalisait n’était pas vain ! (Marques d’émotion et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDSE, GEST et CRCE.)