Mme le président. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les années passent, les problèmes demeurent ! Crise migratoire, tensions dans l’est de l’Europe, inquiétude vis-à-vis de la Chine, suite du Brexit, difficultés dans le secteur de l’énergie : les dossiers s’accumulent pour la présidence française de l’Union européenne, qui se déroulera, cela a été dit, dans un double contexte de l’élection présidentielle et législatives en France et sans doute encore, malheureusement, de pandémie.
En matière migratoire, personne ne souhaite revivre les terribles années 2015 et 2016. Pourtant, la situation se dégrade sur les frontières orientales de l’Europe ; l’Italie est également sous pression.
Dans la zone Manche-mer du Nord, une hausse des traversées est constatée depuis plusieurs mois et le préfet maritime vient de faire part d’une nouvelle accélération, en novembre, dans un secteur très dangereux. La tragédie qui s’est déroulée au large de Calais illustre les risques mortels courus par les migrants. Certaines communes, de la côte normande aux rivages des Hauts-de-France, sont en première ligne et subissent les désagréments d’un contexte qui dure depuis plusieurs années.
Le Royaume-Uni conserve son pouvoir d’attraction. Quand cela l’arrange, il s’accommode des migrants, qui fournissent des travailleurs à bas coût. Dans le même temps, il se prémunit à sa manière contre les flux migratoires. La France n’est en définitive qu’un filtre ou une zone tampon.
Au même moment, les Britanniques traînent opportunément des pieds, si je puis dire, dans l’application des accords sur la pêche. Je ne développerai pas plus longuement ce point, déjà largement évoqué. Cela étant, les plans de sortie de flotte qui se préparent constituent en fait le financement d’une mise à la casse de l’outil de travail des pêcheurs ; parfois, cela concerne des navires neufs.
Monsieur le secrétaire d’État, comment redonner confiance en l’Europe lorsque les citoyens ont le sentiment que celle-ci se fait duper sans réaction appropriée ? Nos voisins anglais, on les aime bien, mais on sait aussi qu’ils sont habiles en négociation et habitués aux rapports de force. Il faut accroître, je crois, la pression sur les questions migratoires et la pêche, car chacun constate qu’ils gagnent du temps et suivent en fait un programme de politique intérieure.
Sur le volet migratoire, je note que beaucoup, par bienveillance, ne perçoivent le sujet que du seul point de vue humanitaire. C’est absolument respectable, mais l’aspect sécuritaire et désormais stratégique des questions migratoires ne peut être tenu pour secondaire.
Les pays instrumentalisent les migrants, provoquent le chaos aux frontières pour fragiliser les États membres et l’Union européenne. C’est un moyen, parmi d’autres, de la guerre hybride.
Cela contribue par ailleurs à l’emprise d’organisations criminelles vivant de ce honteux trafic d’êtres humains, qui, jusqu’à présent, ne semblent pas avoir été suffisamment dissuadées par les mesures prises.
Cette situation conduit à saper les efforts d’accueil et d’intégration des États membres. Elle fait le lit du communautarisme, puis du séparatisme et renforce le contrôle desdites communautés depuis l’étranger. En réaction, et c’est malheureux, le populisme et la radicalité gagnent du terrain. Il nous faut, monsieur le secrétaire d’État, briser ce cycle infernal.
En matière écologique, l’Union européenne s’est fixé des objectifs ambitieux, notamment celui de parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050. Pour la France, ce verdissement ne doit pas conduire à affaiblir la filière du nucléaire et l’industrie de la défense, les deux étant liés par la dissuasion. Un lobbying soutenu s’exerce en ce sens à Bruxelles. Il n’aura d’autre effet, à terme, que de faire fuir les investisseurs de ces secteurs. Or les banques sont déjà prudentes en raison des règles dites de compliance et de l’activisme des organisations non gouvernementales (ONG). Enfin, des fonds d’investissement internationaux commencent aussi à se désengager de ces activités, qu’ils estiment non durables ou non éthiques.
Les récentes tensions sur les marchés de l’énergie, les menaces proférées par les Biélorusses de couper le robinet du gaz et les désordres géopolitiques illustrent nos fragilités alors que, au contraire, il est nécessaire de préserver ces activités fondamentales pour notre sécurité et notre souveraineté énergétique.
Mes chers collègues, je veux terminer par un mot sur la Birmanie ; cela nous éloigne un peu des questions européennes, mais c’est tout de même un véritable sujet.
L’Union européenne avait condamné le coup d’État militaire et pris plusieurs séries de sanctions contre la junte et ses intérêts, mais la situation ne semble guère s’améliorer. Il existe un risque de normalisation de la junte ou de glissement vers une guerre civile. Devant le Sénat, le ministre du commerce extérieur avait indiqué qu’aucune piste n’était écartée, y compris la suspension du régime européen « Tout sauf les armes ». Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, l’Europe entend-elle renforcer la pression sur le régime birman ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 1er janvier 2022, la France prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne.
Je regrette que cette présidence tournante, nous revenant tous les quatorze ans, tombe en plein milieu d’une actualité nationale forte, à savoir les élections présidentielles. Ce télescopage des calendriers ne me semble pertinent ni pour la France ni pour l’Union européenne.
Par ailleurs, au printemps 2022 s’achèvera aussi la Conférence sur l’avenir de l’Europe, lancée le 9 mai 2021 par le Président de la République. Cette conférence se présente comme un exercice de démocratie participative, à l’image du grand débat national en France, dont on a vu, d’ailleurs, les limites. Son objectif est de donner aux citoyens des 27 États membres la possibilité d’exprimer ce qu’ils attendent de l’Union européenne.
Je dois dire que nous avons très peu entendu parler de cette campagne en France ; cette consultation semble susciter le désintérêt de nos concitoyens, malgré l’implication forte du Sénat et de sa commission des affaires européennes, qui en a fait la publicité, ainsi que du réseau des « maisons de l’Europe », notamment de celle du département dont je suis élu.
Il est infiniment louable de vouloir recréer du lien entre les institutions et les citoyens européens, mais la confiance dans les institutions démocratiques ne peut être regagnée uniquement par des consultations. Il faut une Europe des solutions pour nos concitoyens, une Europe du concret.
En début de semaine, monsieur le secrétaire d’État, j’ai reçu dans ma permanence un jeune couple franco-belge, qui m’a raconté ses mésaventures et les procédures kafkaïennes auxquelles il a été confronté. Bien qu’elle possède une carte européenne de sécurité sociale, la jeune mère de famille belge ayant rejoint son conjoint français estime ce document inutile. Elle veut accéder à une activité professionnelle, mais la caisse primaire d’assurance maladie refuse de lui octroyer un numéro de sécurité sociale et, faute d’un tel numéro, Pôle emploi ne peut pas procéder à son inscription.
Ces jeunes gens, attachés à la construction européenne, se retrouvent donc en plein désarroi, ils sont déçus par cette Europe-là. C’est pourquoi il nous faut trouver des solutions concrètes. Les institutions européennes, les parlements nationaux et les gouvernements ont la responsabilité de préserver l’ordre européen, afin que l’Europe soit véritablement un espace de liberté, de mobilité, de sécurité, de justice et de solidarité.
Je crains également que la Conférence sur l’avenir de l’Europe accouche de propositions présumées légitimes qui pourraient être utilisées à des fins politiques au printemps prochain. La présidence française compte effectivement sur les résultats de cette consultation, ainsi que sur les débats citoyens organisés à l’échelon régional, pour éclairer ses priorités politiques.
Dans ce cadre précis, une restitution des panels de citoyens s’est tenue au CESE, à Paris, du 15 au 17 octobre dernier. Vous avez affirmé, monsieur le secrétaire d’État, que trois sujets ressortaient des débats : la question sociale – plus de droits sociaux en Europe –, la question des valeurs – protéger le droit des femmes, le droit à l’avortement, la liberté de la presse ou encore l’indépendance de la justice – et la puissance de l’Europe.
Vous savez combien la question des valeurs est sensible et importante. L’Union européenne vit aujourd’hui un moment critique, mais la crise de la covid-19 l’a renforcée ; je pense par exemple à la gestion mutualisée du vaccin ou à la reprise économique rendue possible grâce au soutien du plan de relance européen.
Parallèlement, une prise de conscience a eu lieu et les initiatives se multiplient pour réindustrialiser, relocaliser, accélérer la transition écologique, décarboner notre économie, réduire notre dépendance par rapport aux États-Unis d’un côté et à la Chine de l’autre, avancer sur un cloud européen – une nécessité absolue – et renforcer la sécurité du continent.
Je suis européen et je crois en l’Europe des projets, mais on voit bien qu’il existe une fracture culturelle, avec, à l’ouest, un libéralisme décomplexé et, à l’est, un conservatisme qui s’oppose chaque fois plus au progressisme des sociétés occidentales et qui se braque dès que les institutions communautaires souhaitent inscrire, par exemple, l’avortement ou la non-discrimination sexuelle au rang des « droits inviolables » ou de la « protection des minorités ».
C’est, semble-t-il, votre intention, monsieur le secrétaire d’État, puisque vous avez affirmé souhaiter que le droit à l’avortement soit intégré à notre socle de droits fondamentaux. Pouvez-vous nous le confirmer ?
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a été proclamée lors du Conseil européen de Nice, le 7 décembre 2000. Elle comporte 54 articles consacrant les droits fondamentaux des personnes au sein de l’Union européenne, articles qui sont répartis entre les six valeurs constituant le socle de la construction européenne : dignité, liberté, égalité, solidarité, citoyenneté et justice.
L’Union européenne est unie dans la diversité, mais il semble indispensable que l’Europe réaffirme les valeurs qui fondent sa civilisation face au reste du monde.
Le Gouvernement s’est fortement impliqué sur la question du respect des droits dans certains pays de l’Union européenne.
Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Guillaume Chevrollier. En ferez-vous l’une de vos priorités pour la présidence française de l’Union, monsieur le secrétaire d’État ? Pourriez-vous expliciter les droits que vous souhaitez voir respecter ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la prochaine réunion du Conseil européen fera le point sur les travaux visant à renforcer notre préparation, notre capacité de réaction ainsi que notre résilience collective face aux crises à venir, et à protéger le fonctionnement du marché intérieur.
La réponse apportée par l’Union européenne à la pandémie a démontré sa valeur ajoutée, par exemple avec les résultats positifs concernant la production, l’acquisition et la répartition des vaccins.
Toutefois, la pandémie a aussi mis en lumière les défaillances de l’Union européenne sur le plan de la préparation et de la réaction aux crises multisectorielles. L’union est encore insuffisamment prête pour faire face à des crises graves de nature différente, qui pourraient être multidimensionnelles, hybrides, avoir des effets en cascade ou se produire simultanément.
En 2013, le Conseil européen a créé un dispositif intégré pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise, dit IPCR, qui a récemment été activé dans le cadre de la crise migratoire et de la crise sanitaire. Il me semble que, d’ici à juin 2022, il examinera l’opportunité d’améliorer ou de renforcer ce dispositif.
Depuis le début de la pandémie, plusieurs initiatives ont d’ailleurs été prises à ce titre, mais, incontestablement, il faut mettre en œuvre la mise à jour de la stratégie industrielle de l’Union européenne présentée en mai dernier, notamment pour diversifier les chaînes d’approvisionnement et forger de nouvelles alliances industrielles. Cela permettra de réduire la dépendance de l’Union à l’égard de certains pays tiers, notamment dans les secteurs jugés critiques : matières premières, substances actives pharmaceutiques ou encore produits essentiels pour soutenir la double transition verte et numérique comme les semi-conducteurs.
Depuis plusieurs mois, partout dans le monde, les entreprises sont confrontées à des pénuries de matières premières et de produits semi-finis ; métaux, bois, papier, aluminium, plastique, blé ou encore semi-conducteurs : la liste s’allonge au fil des semaines. Ces difficultés d’approvisionnement, couplées à l’augmentation des prix de l’énergie, freinent la reprise de l’activité industrielle, alimentent l’inflation et pèsent sur les budgets des ménages.
La pandémie a mis en lumière nos fragilités. Une réflexion essentielle s’est engagée sur la question de la relocalisation de certaines productions et sur l’accès de l’Europe aux ressources. La Commission européenne a notamment présenté, voilà un an, un plan d’action sur les matières premières critiques pour les secteurs stratégiques et lancé de nouvelles alliances industrielles.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur le premier bilan que vous tirez de ces initiatives ? Au vu de la situation actuelle, l’Union européenne entend-elle aller plus loin et proposer de nouvelles mesures ?
La pénurie actuelle de semi-conducteurs a par ailleurs mis en évidence le rôle fondamental de ces composants, indispensables pour tous les secteurs – ils sont toujours plus nombreux – qui utilisent des équipements électroniques.
Ainsi, le président américain annonçait en avril dernier un plan de 50 milliards de dollars pour soutenir et développer ce secteur stratégique. En juillet, la Commission lui répondait en lançant une alliance industrielle pour les processeurs et les semi-conducteurs, afin que l’Europe atteigne au moins 20 % de la production mondiale. Un plan d’investissements de 20 milliards à 30 milliards d’euros était par ailleurs annoncé pour accompagner cette excellente initiative.
Pourtant, à peine deux mois plus tard, à l’occasion de son dernier discours sur l’état de l’Union, Ursula von der Leyen évoquait la perspective d’une prochaine « loi sur les semi-conducteurs ». Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser les contours de cette future législation et, surtout, nous éclairer sur sa complémentarité avec l’alliance industrielle, qui commence à peine à se structurer ?
Par ailleurs, le Conseil européen reviendra sur les évolutions récentes concernant les prix de l’énergie. Je veux m’y arrêter un instant pour finir.
Le 13 octobre dernier, la Commission européenne a présenté une « boîte à outils » visant à aider les États membres à atténuer l’impact de la flambée des prix de l’énergie sur les ménages et les entreprises, ne prévoyant pas de nouvelle initiative européenne particulière. Elle n’a pas donné suite à la demande de la France de réviser le fonctionnement du marché européen de l’électricité, qui aboutit de fait à arrimer le prix de l’électricité à celui du gaz.
Or la France, qui dispose de nombreuses centrales nucléaires, souhaite découpler le prix de l’électricité de celui du gaz, ce qui lui permettrait de proposer une électricité encore moins chère, mais neuf États membres s’opposent fermement à cette demande et soutiennent les « principes concurrentiels de la conception de nos marchés de l’électricité et du gaz », jugeant la hausse des prix seulement conjoncturelle.
Aux côtés de l’Espagne, de l’Italie, de la Grèce et de la Roumanie, la France réclame une modification de la directive sur le marché intérieur de l’électricité, afin notamment de permettre aux États membres d’appliquer des mécanismes de régulation garantissant que les prix de l’électricité reflètent les coûts du mix de production utilisé par le pays.
Monsieur le secrétaire d’État, comment la France entend-elle faire valoir cette demande, aussi juste sur le plan économique que sur le plan écologique, au regard de ce qui demeure l’un des rares avantages compétitifs dont nous disposons, tant pour les citoyens consommateurs que pour les entreprises ?
Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour apporter des réponses qui seront, je l’espère, efficaces, mais également nombreuses…
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà une saine pression à être concis tout en étant exhaustif ! (Sourires.) Je vais donc tenter de combiner ces deux impératifs, pour tenir compte de l’heure tardive, sachant que les sujets à aborder sont effectivement nombreux ; j’essaierai d’ailleurs d’en oublier le moins possible.
Je débuterai, monsieur le sénateur Allizard, par la question que vous avez évoquée et qui a été relayée dans plusieurs interventions : celle des relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Elle concerne le secteur de la pêche, mais pas seulement ; les problématiques plus larges de sécurité ont également été mentionnées.
Néanmoins, pour répondre précisément sur le contentieux nous opposant à nos voisins en matière de pêche, et, malgré les tonalités diverses des interventions que j’ai entendues, je tiens à dire que l’objectif est largement partagé : nous ne sommes pas dans le jeu ou dans les rodomontades, notre détermination est aussi nette que celle des représentants des filières et des pêcheurs.
Je ne reviendrai pas sur tous les épisodes d’un feuilleton malheureusement déjà trop long. Pendant plus de onze mois, la France et la Commission européenne ont patiemment négocié avec les Britanniques. Si je considère le résultat d’ensemble, je constate que nous avons obtenu un grand nombre de licences – c’est heureux ! –, notamment toutes celles qui concernent la zone économique exclusive, mais qu’il nous en manque encore un certain nombre, pour les îles anglo-normandes et la bande des 6 à 12 milles marins, principalement dans les Hauts-de-France.
Nous avons donc haussé le ton, j’y insiste ; il ne s’agissait pas de se faire plaisir ou de surjouer la querelle. Il fallait être extrêmement déterminés, et c’est parce que nous avons forcé la voix de manière crédible au début du mois de novembre que nous avons relancé un dialogue, alors totalement bloqué, avec les autorités britanniques et, surtout, que nous avons poussé la Commission européenne à se réengager.
Il n’est effectivement dans l’intérêt de personne de faire croire que le sujet est franco-français ou, plutôt, franco-britannique. Ce n’est pas le cas ! L’enjeu est de faire respecter un accord signé et ratifié entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. La Commission européenne s’est ainsi remobilisée – Annick Girardin et moi-même avons encore échangé avec le commissaire européen chargé de la pêche aujourd’hui.
La semaine dernière, quelques signaux sont apparus – ce sont plus que des signaux, d’ailleurs, car ce sont des résultats tangibles que nous attendons –, puisqu’un certain nombre de licences ont été accordées : plus de 40 ont été définitivement confirmées par l’île de Guernesey et 9 ou 10 ont été obtenues de l’île de Jersey. Toutefois, nous n’avons pas encore reçu toutes les licences que nous estimons fondées et documentées ; plusieurs dizaines manquent encore et l’échéance de vendredi prochain est en vue.
Je précise à cet égard – c’est important – que la date limite du 10 décembre prochain n’a pas été fixée par la France. Elle a été annoncée publiquement par le commissaire européen à la pêche, donc par la Commission européenne, et c’est cette dernière qui nous présentera le résultat des ultimes réunions avec les Britanniques, qui se poursuivront jusqu’à vendredi – il y en a eu une aujourd’hui même.
Nous ferons cette évaluation avec la Commission européenne, mais, je le dis en toute transparence, nous n’obtiendrons jamais, d’ici à vendredi, toutes les licences que nous souhaitons.
Dès lors, soit nous avons le sentiment, sur le fondement de l’analyse de la Commission européenne, que la situation progresse – notamment sur les navires de remplacement ou sur les données exigées pour les petits bateaux, mais aussi parce que de nouvelles licences sont obtenues ou que les critères évoluent – et que le dialogue, qui d’après moi est la meilleure solution, vaut la peine d’être mené, soit celui-ci nous apparaît comme un jeu de dupes, une discussion totalement bloquée ou un échange sans véritable bonne volonté.
À cet égard, je le précise, c’est principalement l’île de Jersey qui pose problème. On n’observe aucun mouvement significatif de ce côté, exception faite de l’obtention récente de quelques licences, dont on peut se réjouir, mais qui reste insuffisante.
C’est donc avec la Commission européenne que nous évaluerons la situation et, au cas où prévaudrait le second scénario – celui dans lequel nous estimons que le dialogue ne progresse pas –, ce que bien évidemment je déplorerais, nous aurions de nouveaux échanges avec elle et lui demanderions de prendre des mesures, notamment contentieuses, à l’échelle européenne. Ce serait le plus efficace.
Cela dit, je ne peux vous en dire plus à l’heure actuelle, car cette évaluation reste à faire et il faudra ensuite que nous tirions, avec la Commission européenne, les conséquences du bilan du 10 décembre.
J’en viens à la question migratoire, évoquée à plusieurs reprises, à juste titre, non pas que les sujets soient liés, mais parce qu’ils concernent tous deux notre relation avec le Royaume-Uni.
Je n’entre pas non plus dans le détail de notre coopération avec ce pays, mais je tiens à souligner que, sur le plan opérationnel, elle est en réalité de bonne qualité depuis plusieurs années, c’est pourquoi nous comprenons d’autant moins les raisons – mais de toute évidence elles sont liées à des considérations de politique intérieure – pour lesquelles nos amis britanniques ont éprouvé le besoin, après un drame comme celui que nous avons vécu, de twitter, d’envoyer des lettres sans prévenir et de ne pas jouer le jeu de la coopération réelle, la seule voie de progrès possible. Ils ont préféré dénoncer le prétendu manque de travail et de coopération de la France.
Comme nous l’avons dit, ce n’est pas sérieux ! Nous menons un travail difficile, parfois difficile à expliquer à nos propres concitoyens, puisque nous tenons la frontière à terre. C’est un travail qui sert l’intérêt commun et qui préserve le plus de vies humaines, mais il est évident que nous avons besoin d’une plus grande coopération du Royaume-Uni, par le biais de soutiens financiers – partiellement débloqués à la suite de nos protestations des dernières semaines – ou de coopérations opérationnelles en matière de renseignement et de démantèlement de filières.
En revanche, nous l’avons dit, il ne nous semble pas souhaitable, pour des enjeux de souveraineté évidents, voire d’efficacité, de mettre en place des brigades conjointes, au travers desquelles on transférerait sur les forces de l’ordre britanniques un travail que nos forces de l’ordre – je leur rends à nouveau hommage – effectuent avec le plus grand sérieux.
S’agissant d’une étape supplémentaire, c’est-à-dire d’un accord que nous pourrions signer avec le Royaume-Uni, nous y sommes ouverts, comme le Premier ministre et le ministre de l’intérieur l’ont rappelé, mais à deux conditions.
D’une part, ce doit être non pas un accord bilatéral entre la France et le Royaume-Uni, mais un accord européen. Il n’y a effectivement aucune raison pour que nous nous limitions, sur la question des réadmissions ou du démantèlement des filières, à un travail bilatéral. Celui-ci est européen par nature, d’où la réunion organisée à Calais, visant à renforcer également les coopérations avec les Néerlandais, les Allemands, les Belges en matière d’identification des filières ou de lutte contre l’immigration illégale.
D’autre part, l’accord ne doit évidemment pas être déséquilibré ou asymétrique, par exemple parce qu’il stipulerait que nous réadmettons toutes les personnes que les Britanniques ne souhaitent pas accueillir sur leur territoire.
Je rappelle d’ailleurs que la plupart des personnes qui tentent la traversée, parfois au péril de leur vie, sont éligibles à l’asile, mais souhaitent le demander au Royaume-Uni, qui, lui, n’ouvre pas de voie de migration légale. C’est ce cercle vicieux qui aboutit aux dramatiques prises de risque auxquelles nous assistons.
Nous pouvons accepter des réadmissions dans un nombre limité de cas, mais cela doit aller de pair avec l’ouverture de voies légales de migration, ainsi qu’une coopération stable, équilibrée, renforcée en matière policière et judiciaire avec le Royaume-Uni.
Un cadre européen et un cadre large : telles sont les deux conditions que nous avons toujours posées.
En effet, et je termine ma réponse sur le sujet par cette observation, dans la négociation de l’accord de Brexit lui-même, l’Union européenne avait proposé de consacrer un chapitre à ces questions de migration et d’asile, mais ce sont les Britanniques qui ne l’ont pas voulu. Pour notre part, nous sommes toujours ouverts à l’idée d’un accord, mais dans des conditions qui soient équilibrées, non léonines.
À propos des problématiques de sécurité qui ont été rappelées, permettez-moi également d’indiquer – sans vouloir être trop long – que nous avions aussi proposé au Royaume-Uni, par l’intermédiaire du négociateur Michel Barnier, d’engager un chapitre de négociation sur ces questions, en vue d’élaborer un accord global de sécurité et de défense. Les Britanniques s’y sont également refusés. Nous y sommes toujours favorables et, en attendant, nous poursuivons notre collaboration avec le Royaume-Uni, notamment dans un cadre bilatéral, car nous ne remettons pas en cause nos intérêts vitaux réciproques.
Plusieurs d’entre vous ont évoqué la question migratoire et, notamment, le pacte sur la migration et l’asile, ainsi que la réforme des accords de Schengen.
Je vais être très franc : au cours de la présidence française, nous ferons tous les efforts possibles pour faire progresser ce dossier, mais, en l’état, il me paraît extrêmement difficile d’aboutir, ne serait-ce que parce que la solution d’équilibre que propose la Commission européenne entre solidarité et responsabilité ne fait pas consensus à l’échelon européen.
De deux choses l’une : soit l’on se résigne à cette impasse, soit l’on cherche des solutions efficaces et pragmatiques. C’est dans cette seconde voie que le ministre de l’intérieur et moi-même nous sommes engagés et c’est notamment pour cette raison que la réforme des accords de Schengen nous paraît d’autant plus nécessaire, l’idée étant d’en renforcer le pilotage politique. De fait, les ministres de l’intérieur ne se sont jamais réunis en format Schengen – nous allons d’ailleurs y suppléer –, de même qu’il n’y a jamais eu d’échanges entre les différents États sur les possibles dysfonctionnements des contrôles aux frontières extérieures ou de partage de bases de données. Le Président de la République sera amené à détailler les initiatives que nous prendrons en la matière, l’objectif, plus largement, étant de renforcer, notamment grâce à l’agence Frontex, ces contrôles. Il s’agit là d’un enjeu très important.
Monsieur Laurent, peut-être vais-je vous surprendre, mais je partage nombre des propos que vous avez tenus sur ce sujet. En effet, nous devons promouvoir en la matière la coopération européenne et – nous aurons peut-être sur ce point, et je l’assume, une approche légèrement différente – assurer le contrôle des frontières européennes grâce à une police aux frontières chargée de faire respecter les règles d’entrée dans l’Union d’une manière humaine et qui nous honore. Ne sombrons pas en érigeant systématiquement des murs, en disposant toujours plus de fils de fer barbelés – plus hauts et plus tranchants –, en procédant à des refoulements ou en interdisant aux ONG et à la presse l’accès aux zones d’opérations de police, dont l’existence se justifie d’ailleurs parfaitement. C’est ainsi que fonctionne l’Europe, dans le respect de nos règles.
Sur ce point, nous sommes donc très clairs et je l’ai moi-même été chaque fois que j’ai eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet. Notre solidarité est absolue avec les pays de l’Union européenne victimes d’une pression organisée. Les mots doivent être savamment choisis : je ne confonds pas les bourreaux et les victimes – les migrants –, de même que je ne confonds pas l’agresseur, la Biélorussie, et les agressés que sont la Pologne, la Lettonie ou la Lituanie. Pour autant, nous Européens, à quelque pays que nous appartenions, ne devons pas nous autoriser à agir n’importe comment, sans respecter les règles. C’est d’ailleurs, me semble-t-il, un piège qui nous est tendu : sommes-nous capables on non d’assurer le maintien de l’ordre dans le respect de notre ADN et de nos valeurs ? Je crois que, globalement, nous avons passé ce test avec succès, mais nous devons veiller strictement au respect de ces règles, quitte à le signifier à nos partenaires.
La question de la boussole stratégique a été évoquée par plusieurs d’entre vous. Nous accueillons favorablement la proposition qu’a faite Josep Borrell au mois de novembre dernier. C’est là un chantier important de la présidence française et il devrait aboutir à la fin du mois de mars. Certes, il n’est pas proposé, dans ce document stratégique, la création d’une force d’intervention européenne non plus qu’une hausse des financements destinés aux capacités et aux programmes de recherche de défense européens ; pour autant, il est très important d’élaborer une analyse stratégique commune. Nous avons pu en prendre conscience avec les événements qui se sont déroulés dernièrement en Afghanistan : en matière d’information, d’analyse des menaces, nous dépendons largement d’autrui, notamment des Américains. C’est là l’une de nos grandes faiblesses. Nous devons donc, grâce à cette boussole stratégique, à ce livre blanc, remédier à cette situation.
En ce qui concerne la stratégie sanitaire, nous devons là aussi tirer des leçons de la crise que nous traversons. Alors qu’elle était inexistante à l’apparition de la covid-19, nous nous sommes dotés – avec une certaine efficacité, me semble-t-il – d’une compétence sanitaire qui nous a permis d’aboutir à des éléments très concrets : un passe sanitaire européen commun, un cadre d’achat commun de vaccins et avec la future agence HERA, qui devrait nous donner les moyens de surmonter l’une de nos grandes faiblesses, à savoir l’absence de toute capacité de financement de la recherche et de la préparation aux pandémies. Ce processus s’accélérera sous la présidence française.
Pour ce qui se rapporte à la solidarité internationale, je partage le sentiment de frustration qui s’est exprimé. Les chiffres l’attestent : hormis les populations européennes, le reste du monde est très mal vacciné ; c’est particulièrement le cas en Afrique. Néanmoins, c’est l’Europe qui a agi le plus rapidement en empêchant, avant même la levée des brevets, non seulement toute interdiction d’exportation des vaccins – mesure la plus importante –, mais encore en exportant elle-même, et de façon massive, ses propres doses, voire en les donnant.
Nous avons rehaussé notre objectif à 700 millions de doses d’ici à la fin du premier semestre 2022, dont 100 millions seulement sous forme de dons, les mécanismes existants, dont le dispositif Covax, ne nous permettant pas d’agir plus vite. C’est là un enjeu pour les prochaines semaines.
Cette stratégie doit reposer sur plusieurs piliers : d’une part, une livraison plus rapide des doses de vaccin que nous donnons ; d’autre part, le soutien aux capacités locales de production, moyen d’action très efficace sur le plan sanitaire dans les pays qui en sont dépourvus. En Afrique, nous pouvons avoir des projets industriels de production de vaccins. Ainsi, l’Europe investit 1 milliard d’euros dans le soutien à des projets en Afrique du Sud, au Rwanda et au Sénégal ; dans ce dernier pays, la production a déjà démarré.
Par ailleurs, nous veillons à favoriser l’accès aux vaccins au regard des règles de propriété intellectuelle, même si, comme nous l’avons toujours dit, nous ne faisons pas de la levée des brevets l’alpha et l’oméga de cette politique de solidarité. Au sein de l’OMC a été débattue la question des licences obligatoires, lesquelles, moyennant une rémunération nulle ou très faible du détenteur du brevet, permettraient un accès automatique au vaccin des pays qui ne disposent pas de cette capacité à ce jour.
Donner des doses, produire localement et adapter les règles de propriété intellectuelle : tels doivent être les trois axes de notre action, en complément de la stratégie sanitaire interne à l’Europe.
Monsieur le sénateur Fernique, vous avez évoqué la question de la libre circulation. Nous devons la préserver grâce au passe sanitaire ; fermer à nouveau les frontières, comme ce fut parfois le cas lors de la première vague, ne serait dans l’intérêt de personne. À cette fin, nous devons adapter les règles communes applicables au passe sanitaire. À ce jour, le schéma vaccinal complet est défini de la même façon partout en Europe, à de très rares exceptions près : deux doses – une seule pour ceux qui ont été infectés par la covid-19 –, avec des vaccins reconnus dans tous les pays.
En ce qui concerne la troisième dose, elle se généralise, mais selon des calendriers quelque peu différents. Probablement au tout début de l’année prochaine, le passe sanitaire européen devrait intégrer celle-ci avec des exigences identiques partout.
En France, selon l’âge, le schéma vaccinal devra avoir été complété entre le 15 décembre et le 15 janvier, tandis que d’autres pays ont fait le choix de retenir des délais plus tardifs pour l’injection de cette troisième dose. Aussi, nous nous laisserons une marge de manœuvre afin de ne pas bloquer la circulation entre les différents pays européens et le passage des frontières.
Monsieur Cadec, vous me demandez si l’hypothèse d’une obligation vaccinale sera abordée lors de la réunion du Conseil européen. Dans la mesure où la présidence de la Commission européenne a ouvert ce débat à l’échelon européen, elle le sera certainement, même s’il est probable qu’aucune décision ne sera prise. Ce choix de l’obligation vaccinale généralisée est minoritaire à ce jour parmi les États membres, la France, quant à elle, s’en tenant au passe sanitaire et, sauf pour quelques catégories de personnes très exposées, sinon à une pression, du moins à une incitation assumée à la vaccination, car celle-ci nous protège.
Les questions énergétiques, très importantes, ont été abordées par plusieurs intervenants. Au-delà de la question des prix de l’énergie, c’est notre stratégie de transition qui est en jeu. Concernant la taxonomie, nous attendons que la Commission européenne adopte, avant la fin de l’année, un acte délégué tendant à intégrer l’énergie nucléaire comme une énergie non seulement de transition, mais contribuant à la neutralité carbone. Ce choix en faveur du nucléaire doit rester à la main des États membres ; bien évidemment, il ne s’agit pas de forcer qui que ce soit. En revanche, si l’Europe, considérée dans son ensemble, veut être neutre en carbone en 2050, elle aura besoin du nucléaire, dans la mesure où le mix énergétique d’autres États membres est bien plus carboné en raison d’un recours massif au charbon ou au gaz. J’observe d’ailleurs que certains pays se tournent de nouveau vers l’énergie nucléaire, énergie décarbonée, souveraine, stable.
Je le répète, nous ne voulons forcer personne à revenir sur les choix qui ont été faits, mais nous voulons que le bouquet énergétique reste ouvert à l’énergie nucléaire.
Monsieur le sénateur Fernique, vous avez évoqué la politique commerciale. Nous l’avons insuffisamment souligné : le nouveau contrat de coalition qui vient d’être signé en Allemagne, et qui a été mentionné à plusieurs reprises, indique que le nouveau gouvernement veillera à ce que les exigences environnementales soient prises en compte dans les accords commerciaux, notamment dans l’accord avec le Mercosur, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. Autrement dit, le gouvernement allemand, tout comme la France, ne signera pas cet accord s’il n’intègre pas notamment les exigences liées au respect de l’accord de Paris ; on pourrait citer également la déforestation ou les standards alimentaires.
Cette évolution très significative de la politique commerciale de l’Allemagne s’appliquera, je l’espère, à d’autres accords à venir ou en discussion.
Madame Guillotin, vous me demandez – et je reviens sur les questions migratoires – où en sont les huit plans d’action pour les pays d’origine et de transit promis par la Commission européenne. Ceux-ci ont bien été élaborés, et il s’agit maintenant de les mettre en œuvre, ce qui est le plus important.
Monsieur le sénateur Gattolin, vous m’avez interrogé sur ce projet de « passerelle mondiale », comme l’appelle la presse québécoise. Il s’agit là d’une initiative très importante, puisque l’Europe ne dispose à ce jour d’aucune stratégie d’investissement pour faire face à la concurrence des Américains, qui réfléchissent à cette option, et des Chinois, avec leurs nouvelles routes de la soie, une concurrence qui s’exerce parfois de façon peu scrupuleuse, en particulier en Afrique.
Cette initiative s’articule autour de deux éléments, parfaitement assumés : la communication et l’explication, au sens noble du terme.