M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Valérie Létard, rapporteure de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis heureuse que nous puissions débattre aujourd’hui du texte présenté par Pierre Louault.
Avec cette proposition de loi, notre collègue appelle notre attention sur une réalité : celle des territoires ruraux en déprise, dont s’inquiète tant notre assemblée et qui anime beaucoup notre hémicycle lors de l’examen de chaque grand projet de loi.
Aujourd’hui, nous allons creuser ce sujet, c’était une nécessité après la loi Climat.
Souvent, nous ne traitons d’urbanisme que dans le cadre de projets de loi, sur la base d’un programme répondant aux priorités gouvernementales. Il est plus rare que des propositions de loi s’en saisissent. Nous allons démontrer, non seulement la qualité de l’initiative sénatoriale, mais la capacité du Sénat à enrichir le présent texte.
Nul besoin de vous rappeler le contexte particulier dans lequel a été conçu et présenté ce texte, dans une période marquée par le mouvement des gilets jaunes, par l’adoption de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets et par la dynamique de retour vers la campagne de nombreux citadins danse le contexte de la crise sanitaire et économique.
Les élus des zones rurales sont aujourd’hui soumis à des injonctions contradictoires, parfois inextricables : enrayer le déclin démographique et économique de territoires ruraux qui, selon l’Insee, restent en moyenne plus touchés par la désindustrialisation, la précarité, la déprise agricole ou le vieillissement que le reste du pays ; lutter ainsi contre la « périphérisation » de milliers de communes et de leurs habitants ; mais aussi assurer l’avenir du secteur agricole français et mieux protéger nos sols de l’artificialisation.
Les débats sur le projet de loi Climat et résilience l’ont montré : ces exigences multiples sont parfois difficiles à concilier et il n’est pas aisé de trouver un bon équilibre.
Ce texte, inscrit à l’ordre du jour de nos travaux par le groupe Union Centriste, a le grand mérite de soulever une question trop souvent éludée par le Gouvernement : notre droit de l’urbanisme, pensé et conçu avant tout pour les territoires urbains et dynamiques, voire pour les zones tendues, est-il adapté aux enjeux de la ruralité ?
L’une des problématiques principales de ces territoires est la dégradation de l’habitat, faute d’occupants et surtout de moyens. Dans la « diagonale du vide », 100 000 logements deviennent vacants chaque année. (Mme la secrétaire d’État le confirme.) La faute n’en revient pas tant à la faiblesse de la demande qu’au manque de rénovations.
Le coût de la modernisation est souvent prohibitif, mais les règles d’urbanisme, notamment de changement de destination, sont aussi parfois un obstacle. Nombre de maires déplorent que des familles renoncent à s’installer faute de trouver un logement adéquat ou d’obtenir un permis de construire.
Nos nombreuses auditions ont démontré que certaines règles d’urbanisme, pertinentes pour les zones urbaines, représentent des verrous excessifs pour les petites communes rurales.
Les communes dont le territoire est à dominante agricole ou naturelle ont structurellement moins de droits à construire que les communes plus urbanisées, ce qui contribue à geler leur développement. À l’inverse, plus une ville est grande et attractive, plus elle peut s’étendre et se développer.
Bien sûr, nous ne remettons pas en cause la compétence croissante des intercommunalités en matière d’urbanisme, mais, selon nous, elle a pu accentuer encore ce sentiment de relégation.
Les propositions formulées dans ce texte apportent des pistes de réponse pour adapter le droit et lever certains verrous. Notre commission a pleinement soutenu cette démarche, qui répond à un réel besoin, dans une logique de plus grande équité entre les territoires et de vivre ensemble.
Il existe un véritable gisement d’améliorations en matière d’urbanisme et de logement pour déployer une meilleure politique de revitalisation des zones rurales.
Toutefois, à l’issue de nos consultations, il nous a paru nécessaire de rassurer sur les objectifs de ce texte et sur ses équilibres.
Nous avons ajusté et encadré les mesures proposées, afin de les rendre plus efficaces. Nous avons tenu à y introduire des souplesses et des outils nouveaux sans remettre en cause les grands principes du droit de l’urbanisme ou les ambitions de la loi Climat et résilience, pour ce qui concerne la lutte contre l’artificialisation des sols.
Notre commission a donc travaillé en lien avec l’auteur de la proposition de loi pour proposer plusieurs rédactions alternatives. Ces dernières s’inscrivent dans le droit fil du texte initial, mais elles en gomment certaines aspérités, tout en ajoutant des garde-fous.
Je résumerai brièvement les modifications apportées en commission.
Tout d’abord, nous avons resserré le champ du présent texte pour mieux cibler le cœur de la ruralité française. Alors que la proposition de loi initiale avait pour objet les ZRR, nous l’avons concentrée sur les communes peu denses en déprise démographique.
En effet, le zonage des ZRR, principalement fiscal, nous est apparu à la fois trop large – il concerne près de la moitié des communes françaises, territoires aux réalités diverses – et trop mouvant pour servir de base à des mesures spécifiques d’urbanisme. Pour refléter ce changement de ciblage, nous avons modifié l’intitulé de la proposition de loi.
Ensuite, nous avons souhaité introduire une dose de territorialisation dans la politique de revitalisation rurale. En nous inspirant du dispositif dit « Pinel breton », nous proposons aux territoires eux-mêmes d’affiner le ciblage. Les intercommunalités participeront à la définition du champ d’application des dérogations d’urbanisme et des dispositifs d’aides fiscales. Les élus locaux sont ceux qui connaissent le mieux les besoins réels de leurs territoires : il faut améliorer le dialogue à l’échelon local et permettre une plus grande différenciation.
De plus, nous avons souhaité soutenir l’effort de réhabilitation et de modernisation du parc de logements, car la construction nouvelle n’est pas la solution à tout. Plutôt que d’étendre l’ensemble du dispositif Pinel, qui, aujourd’hui, vise principalement le logement collectif neuf, nous avons souhaité mieux mobiliser le Denormandie pour la réhabilitation de logements anciens. Nous l’avons donc prolongé jusqu’à 2025 et en avons ouvert le bénéfice aux petites communes rurales, qui en sont à ce jour exclues.
Enfin, il nous a paru nécessaire de renforcer l’encadrement de certaines mesures pour en garantir l’efficacité et l’acceptabilité. Par exemple, nous avons recentré les assouplissements en matière de constructibilité et de changement de destination sur l’objectif de création de logements ou d’hébergements.
Nous avons aussi restauré la compatibilité des documents locaux d’urbanisme aux SCOT et aux schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), en améliorant toutefois la prise en compte des spécificités communales dans la définition des objectifs. En parallèle, nous avons mieux encadré le droit au logement des agriculteurs sur leur exploitation pour éviter tout changement de destination abusif.
Dans la même logique, la commission proposera aujourd’hui plusieurs amendements élaborés en lien avec l’auteur de la proposition de loi. Ils visent, eux aussi, à proposer des rédactions mieux encadrées et des articulations avec le droit existant.
Je proposerai également d’améliorer la transparence et la cohérence de l’action des commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), en prévoyant qu’elles élaborent des lignes directrices départementales dans un délai de deux ans. Cette disposition contribuera à une meilleure lisibilité de leurs décisions.
Mes chers collègues, cette proposition de loi apporte des réponses concrètes, ciblées et équilibrées au constat que nous faisons tous : il est nécessaire d’accroître les efforts de revitalisation rurale. Elle s’attelle – enfin ! – à un sujet trop souvent éludé par le Gouvernement, bien que crucial pour près de la moitié des communes françaises : comment réconcilier droit de l’urbanisme et développement rural ?
J’émets donc le souhait que ce texte à la fois lucide et constructif bénéficie d’un soutien transpartisan, afin qu’il puisse être inscrit à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale et aboutir à des avancées concrètes en faveur des territoires ruraux ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je tiens à remercier M. Louault, qui, en présentant cette proposition de loi, nous donne l’occasion de débattre d’une problématique qui suscite tant d’inquiétudes dans les territoires ruraux. (Mme la rapporteure et M. Pierre Louault le confirment.)
En tant qu’élue de la Haute-Marne, je suis parfaitement au fait de ces questions, qui, en cette période de transition, méritent d’être toujours mieux débattues. À cet égard – j’en suis persuadée –, nous sommes tous désireux de parvenir à un équilibre entre la nécessaire attractivité des territoires ruraux et les enjeux de la transition environnementale.
L’accès de chacun à un logement abordable, partout sur le territoire, demeure une priorité de ce gouvernement. Et, pour permettre à chacun de se loger où il le souhaite, nous devons commencer par regarder cette réalité en face : la demande de logement est toujours plus forte dans les grandes villes et les métropoles, alors même que l’offre de nouveaux logements n’y suit pas.
Face à ce constat, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures.
Tout d’abord, nous avons créé des contrats de relance du logement dans chaque territoire tendu, financés à hauteur de 175 millions d’euros par le plan de relance.
Ensuite, nous avons conclu un protocole ambitieux visant à contractualiser pour la construction de 250 000 logements sociaux en deux ans avec l’ensemble des parties prenantes.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022, nous défendons également la compensation intégrale de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pendant dix ans pour les logements sociaux agréés en 2021.
Nous avons aussi choisi de porter le fonds pour le recyclage des friches de 300 à 650 millions d’euros pour 2021 et de le pérenniser afin de faciliter la mobilisation de foncier déjà artificialisé.
Ces outils sont absolument essentiels. En parallèle, il est nécessaire de construire en consommant moins d’espace, notamment naturel, agricole et forestier, pour réussir la transition écologique.
Afin de construire mieux et de façon plus raisonnée, de préserver nos sols agricoles, nos espaces naturels et nos paysages, nous avons fait évoluer les normes d’urbanisme.
Malgré la prise de conscience de la nécessité de préserver ces sols, le rythme d’artificialisation reste extrêmement soutenu en France : l’étalement urbain progresse quatre fois plus vite que notre population.
Tous les signaux nous le confirment : il est nécessaire d’intervenir pour infléchir cette trajectoire.
L’artificialisation menace évidemment la qualité de vie à plusieurs égards.
Tout d’abord – vous l’avez rappelé –, elle supprime des terres productives, agricoles ou forestières, alors même que nous devons maintenir notre capacité de production pour répondre à de nouveaux besoins, comme les matériaux biosourcés. C’est d’ailleurs un des sujets phares des Assises de la forêt et du bois, que je mène actuellement avec Julien Denormandie. Il s’agit d’une activité très structurante pour nos territoires.
M. François Bonhomme. Et la proposition de loi ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. L’artificialisation menace également les sols et les habitats naturels, qui stockent du carbone et préservent la biodiversité. Or il est impératif de garantir cet équilibre, compte tenu des enjeux et défis climatiques.
L’artificialisation conduit à des extensions urbaines, qui augmentent malheureusement les besoins de déplacement, avec tous les coûts induits, et qui aggravent parfois l’isolement et créent, pour l’avenir, des charges financières pour les collectivités concernées. (M. François Bonhomme manifeste son exaspération.)
Pour assurer une protection effective de nos sols, de nos terres agricoles et forestières, et garantir un aménagement raisonné, nous avons procédé à une évolution majeure du code de l’urbanisme en y introduisant la notion de lutte contre l’artificialisation des sols, définie par la loi Climat et résilience du 22 août 2021.
Permettez-moi de revenir un instant sur cette notion et sur le mécanisme prévu dans cette loi.
Je vous rappelle notre objectif : atteindre le zéro artificialisation nette à l’horizon 2050. Cette nécessité environnementale suscite aujourd’hui un large consensus.
M. Laurent Duplomb. Pas en milieu rural ! Il faut sortir de Paris !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Cette logique de flux signifie concrètement que, en 2050, nous serons parvenus à un équilibre entre les sols nouvellement artificialisés, dédiés à des constructions utiles, et les sols artificialisés rendus, eux, à leur état naturel ou agricole.
Il est indispensable de le garder à l’esprit : nous devons retrouver cet équilibre pour nos projets d’aménagement. C’est notre responsabilité.
Pour atteindre cet objectif, nous avons choisi de passer par la loi, en réduisant l’artificialisation de moitié par tranches de dix ans. Ainsi, nous disposerons d’une véritable visibilité : c’est une des clefs de la réussite. Les élus et les aménageurs le savent, nous avons besoin de nous fixer une trajectoire et un cadre communs. C’est désormais chose faite.
Cette notion nouvelle est complexe et parfois difficile à appréhender. C’est pourquoi nous avons souhaité, pour la première tranche de dix ans, fonder cette trajectoire de réduction sur la consommation d’espace, notion qui existe déjà en droit de l’urbanisme et qui est désormais très bien connue de tous.
En outre, avec le concours actif de votre assemblée, nous avons collectivement pris soin de confier aux différents échelons territoriaux la mise en œuvre de cette action, en cohérence avec l’ensemble de nos dispositifs d’aménagement du territoire.
Nous avons notamment veillé à la territorialisation de cet objectif pour tenir compte des contextes très différents dans lesquels peuvent se trouver les collectivités territoriales, notamment au regard de leur historique de consommation d’espace, des sols déjà artificialisés pouvant être mobilisés ou encore de leurs perspectives de développement.
Concrètement, toutes les communes, même les plus rurales, pourront toujours délivrer des permis de construire. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Il est nécessaire de le redire.
Nous avons évidemment entendu l’inquiétude des collectivités territoriales quant au calendrier très serré que cette loi prévoyait initialement pour la territorialisation de l’objectif de division par deux du rythme de consommation d’espaces agricoles et naturels.
Dans la lignée du discours du Président de la République devant le Congrès des maires, nous avons défendu un assouplissement de ce calendrier lors de l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit « 3DS ».
Ainsi, nous proposons de consacrer six mois supplémentaires aux premières étapes, cruciales, de cette territorialisation. Ce souhait a été très bien entendu : nous devons nous donner le temps de nous approprier ces enjeux pour cheminer collectivement vers ces objectifs.
Nous proposons donc de porter à trente mois au total, contre vingt-quatre actuellement, le délai pour décliner l’objectif dans les Sraddet, et de le porter à quatorze mois, au lieu des huit initialement prévus, pour que des propositions puissent être faites dans les SCoT, sans pour autant revenir sur le calendrier global de la lutte contre l’artificialisation des sols.
C’est dans ce souci d’équilibre – construire là où se trouvent les besoins tout en préservant les espaces naturels – que nous devons aborder toute évolution de nos normes d’urbanisme. Il est indispensable de conserver ce cadre.
Le présent texte vise à favoriser l’habitat dans les territoires en déprise rurale. De nouveau, je salue le travail constructif de Mme la rapporteure et de l’auteur de cette proposition de loi, qui, en lien avec les équipes du ministère chargé du logement, ont su éclairer ces équilibres et ce nouveau cadre.
Monsieur Louault, le droit actuel permet déjà de satisfaire certaines de vos propositions. Je pense notamment à la possibilité d’habiter sur son exploitation quand l’activité agricole le nécessite, ou encore à la possibilité d’y construire, dans un cadre précis, tout en veillant à la préservation des terres agricoles. Il faut le redire : ces dispositions existent.
Je comprends l’esprit dans lequel Mme la rapporteure et vous-même avez travaillé : il s’agit de favoriser l’habitat dans les territoires en déprise rurale. Mais la solution est peut-être d’abord de mieux faire connaître les mécanismes existants et de valoriser les bonnes pratiques, plutôt que de voter des modifications législatives qui porteraient sans doute préjudice à la nécessaire préservation des espaces naturels et agricoles.
M. François Bonhomme. Cela se gâte !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. À cet égard, j’y insiste, un équilibre a été atteint ; il a d’ailleurs donné lieu à de longs débats parlementaires lors de l’examen du projet de loi Climat et résilience.
L’article 1er inscrit dans le code de l’urbanisme la notion de zone de revitalisation rurale. Je salue moi aussi cet outil, mais – vous l’avez reconnu vous-même – les objectifs généraux et urbanistiques des ZRR figurent déjà à l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme. Je serai donc défavorable à cet article, même si les amendements que vous proposez tendent à déplacer quelque peu la problématique.
L’article 2 modifie les articles touchant au règlement national d’urbanisme (RNU), au plan local d’urbanisme (PLU) et à la carte communale pour favoriser la construction en zone agricole parfois non constructible et permettre de construire dans la continuité des bâtiments existants. Néanmoins, il ne prend pas réellement en compte la compatibilité de telles constructions avec l’activité agricole de la parcelle.
Nous ne souhaitons pas retenir de telles dispositions, qui favoriseraient, voire accentueraient le mitage et la consommation d’espace. Je le répète, des dérogations sont déjà possibles. Cela étant, nous ne souhaitons pas les étendre. (M. Pierre Louault manifeste son désaccord.)
L’article 3 prévoit de prendre en compte la spécificité des territoires ruraux dans les documents annexes des SCoT pour l’analyse de la consommation d’espace. Il me semble déjà satisfait par l’article L. 141-8 du code de l’urbanisme, tel qu’il a été modifié par la loi Climat et résilience. J’y insiste, le Sénat a lui-même participé à la rectification de cet article pour assurer un alignement des critères retenus dans ce cadre ; à mon sens, ce travail était nécessaire.
L’article 4 porte sur l’extension du dispositif Denormandie dans l’ancien, aujourd’hui réservé aux communes bénéficiant du programme Action cœur de ville ou ayant signé une convention d’opération de revitalisation de territoire (ORT). Il s’agit d’inciter à la remise en état du bâti ancien dégradé plutôt qu’à la construction neuve, qui est souvent synonyme d’étalement urbain.
Cette proposition relève en réalité du projet de loi de finances. L’idée me semble tout à fait intéressante, mais elle doit donc être réservée aux débats budgétaires.
M. François Bonhomme. Bref, une prochaine fois…
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. L’article 5 permettrait de construire un logement sur une exploitation agricole en s’affranchissant de la prise en compte du zonage agricole et du type d’activité de l’exploitation. J’y suis également défavorable.
M. Laurent Duplomb. Que va-t-il rester ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. En effet, cette disposition risque elle aussi d’accentuer la consommation d’espaces agricoles. À mon sens, il n’est pas souhaitable de remettre en question les équilibres que nous avons trouvés en la matière.
L’article 6 prévoit de limiter les recours indemnitaires des voisins d’exploitations agricoles ; en réalité, il est satisfait par l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation. Vous souhaitiez l’étendre aux évolutions des activités agricoles existantes. Selon moi, nous devons reconsidérer les différents impacts pour chacun des nouveaux projets.
L’article 7 vise à garantir la présence, parmi les membres de la CDPENAF, d’un représentant d’une commune classée en zone de revitalisation rurale ou d’un élu de montagne. Encore une fois, je comprends l’esprit de votre proposition, laquelle ne changerait d’ailleurs pas l’équilibre des CDPENAF.
Cela étant, des dispositifs existent déjà pour faire entendre la voix des ZRR et des zones de montagne au sein de la CDPENAF. J’aurai donc un avis réservé sur cet article. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
En tout état de cause, je vous remercie d’avoir ouvert le débat et engagé ces échanges, qui nous permettent de cheminer vers de nouveaux objectifs. Nous y sommes tous très sensibles. Une fois de plus, merci de ces discussions extrêmement éclairantes ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi n’est pas la première initiative visant à simplifier le droit de l’urbanisme. Le Sénat appelle depuis plusieurs années à desserrer l’étau normatif sur la construction en milieu rural.
Je pense à la proposition de loi de Jacques Genest adoptée par le Sénat le 1er juin 2016.
Je pense aux nombreux amendements déposés lors de l’examen de la loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne du 28 décembre 2016.
Je pense encore aux amendements déposés lors de l’examen de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique du 23 novembre 2018.
Enfin, je pense plus récemment aux nombreux amendements déposés lors de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets afin de territorialiser les objectifs du zéro artificialisation nette.
Par ailleurs, les conclusions du groupe de travail sur la ruralité, coprésidé par Anne Ventalon, Daniel Laurent et moi-même, ont permis de consacrer un droit au développement rural dans le code de l’urbanisme. Je remercie à cette occasion chaleureusement notre collègue Jean-Baptiste Blanc, d’abord de son écoute, ensuite de ses avis favorables.
Si nous sommes si nombreux depuis tant d’années à considérer que le droit de l’urbanisme n’est pas adapté aux zones rurales, qu’il paralyse le développement économique, qu’il empêche la conservation des emplois et donc des habitants, qu’il bride l’élaboration d’une véritable politique d’aménagement du territoire, c’est bien que nous ne sommes pas victimes d’une hallucination collective.
Comme je l’ai souligné lors des questions d’actualité au Gouvernement, 71 % de l’artificialisation des sols est le fait de 10 % des communes, en particulier des métropoles. Les PLU des communes rurales se trouvent amputés de 60 % de surfaces constructibles.
Vous avez affirmé à l’instant, madame la secrétaire d’État, que les communes rurales pourront continuer à délivrer des permis de construire. Actuellement, c’est faux !
M. François Bonhomme. Eh oui !
M. Jean-Marc Boyer. Des centaines de permis de construire et de documents d’urbanisme sont refusés sur l’ensemble du territoire national. Que pensez-vous, madame la secrétaire d’État, des propos de Mme Wargon, pour qui la maison individuelle constitue un modèle d’habitat dépassé ?
M. Laurent Duplomb. Elle pense la même chose !
M. Jean-Marc Boyer. Nous affirmons que les communes rurales sont gérées par des maires réfléchis, qui veulent prendre leurs responsabilités, avec liberté. Les maires ruraux sont les premiers protecteurs de la biodiversité ! (On renchérit à droite.)
J’évoquerai surtout l’hypocrisie de certaines dispositions du code de l’urbanisme, dont on nous dit qu’elles traduisent une préoccupation constante de préserver l’environnement.
Puisqu’on ne peut pas, ou qu’on ne veut pas, rationaliser l’utilisation des sols autour des grandes métropoles, je ne reviendrai pas sur la question du « dimensionnement » de l’urbanisation. Les territoires ruraux deviennent les victimes expiatoires de notre impuissance !
La même hypocrisie règne s’agissant des éoliennes et des documents d’urbanisme. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) On demande aux élus de se justifier lorsqu’ils souhaitent geler certaines zones du territoire face au développement éolien.
D’un côté, on demande aux élus de justifier la constructibilité d’un abri de jardin de 15 mètres carrés dans leur PLU et, de l’autre, on leur enjoint de justifier la non-constructibilité d’éoliennes de 150 mètres de haut… C’est à « contre-vent » ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
À défaut d’une révolution, j’en appelle surtout à des ajustements pour assurer un développement minimal dans les territoires ruraux, développement théoriquement assuré par la Convention européenne des droits de l’homme, qui consacre en son article 8 la liberté de choisir son domicile.
Je ne me fais pourtant pas d’illusions, le Gouvernement ne sera pas particulièrement bienveillant.
Si le Gouvernement est hostile aux initiatives comme celle-ci visant à libérer la construction en milieu rural, il n’a qu’à prendre ses responsabilités en matière de rénovation énergétique.
Le logement représente un peu plus de 35 milliards d’euros d’argent public, quand seuls 2 milliards d’euros sont consacrés à la rénovation énergétique. Je n’inclus pas dans ce montant les 3 milliards d’euros des certificats d’économies d’énergie que payent les fournisseurs.
Si l’État ne veut pas donner les moyens juridiques aux Français de continuer de vivre à la campagne, voire de revenir y vivre, comme ils semblent vouloir le faire depuis les confinements, qu’il donne au moins les moyens financiers de faire de la rénovation !
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a considérablement évolué en commission.
L’article 2 introduit un dispositif au bénéfice « des communes peu denses en déprise démographique dont le territoire est constitué en majorité de zones non constructibles », plutôt que de viser les zones de revitalisation rurale.
L’article 5, qui instaure le droit pour les agriculteurs de se loger sur leur exploitation, a été réécrit afin de sécuriser le dispositif, ce dont je me réjouis.
Assurément, cette proposition de loi va dans le bon sens. Certes, elle n’est pas parfaite, ses effets mettront un peu de temps à se matérialiser, mais elle constitue une des réponses que nous devions apporter.
Notre groupe votera donc cette proposition de loi. Nous espérons également que notre groupe sera en mesure, malgré un calendrier législatif contraint, de proposer de nouvelles dispositions afin de redonner aux élus locaux une véritable autonomie et des moyens pour se développer. Il s’agit de redonner aux maires du pouvoir de décision ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – Mme la rapporteure et M. Pierre Louault applaudissent également.)