M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me souviens de la formule du Président de la République, l’an dernier, sur le grave sujet de la gestion de la crise sanitaire : « Je ne dirais pas que c’est un échec, je dirais que ça n’a pas marché » ; l’actualité nous en rappelle l’extraordinaire acuité.
Que l’on me pardonne ce parallèle, mais, en matière de sécurité, le Gouvernement est en échec : ça n’a pas marché ! Rétablir la confiance entre la police et la population : ça n’a pas marché ! Maintenir l’ordre : ça a mal marché ! Garantir les libertés publiques : ça boîte un peu !
Avec mes collègues sénatrices et sénateurs socialistes, je déplore l’état délétère des relations entre la police et nos concitoyennes et concitoyens. On a parlé, à juste titre, des conditions matérielles d’exercice de nos forces de l’ordre. Le budget des sécurités pour 2022 est imprégné des conclusions du Beauvau de la sécurité. Nous regrettons que cette conférence n’ait pas davantage été l’occasion de rétablir la concorde entre l’institution policière et les Français.
Cependant, nous saluons, avec les forces de sécurité, l’amélioration à venir de leurs moyens. Cette année, en loi de finances initiale, les crédits devraient être votés en nette augmentation, d’environ 7 %, à près de 22,7 milliards d’euros. C’est un effort considérable, mais surtout nécessaire après une légère baisse de l’enveloppe en 2021.
Il est une exigence fondamentale pour que les conditions matérielles de travail de nos forces de l’ordre soient bonnes : la confiance. Nous devons donc renouer ce lien et pérenniser l’équilibre entre la nécessaire efficacité des forces de l’ordre et l’indispensable respect des libertés publiques de nos compatriotes.
Au centre de cet enjeu figurent deux éléments saillants. Tout d’abord, la doctrine du maintien de l’ordre : il s’agissait d’une doctrine matérialisée dans un schéma discuté, parce que discutable. On en a vu les résultats : faibles. On en a vu aussi les effets : contre-productifs pour le maintien de l’ordre sur le terrain.
Ensuite, l’encadrement du recours aux nouvelles technologies de captation des images avec les drones et les caméras embarquées. Ces nouvelles technologies peuvent constituer un instrument indéniable de progrès pour notre sécurité, et nos forces de l’ordre doivent en être dotées. Mais elles n’en sont pas moins intrusives. Or la protection des données personnelles et la préservation de la vie privée sont des conditions sine qua non de l’État de droit, dont la défense est notre horizon commun.
Aussi, l’usage de ces instruments doit faire l’objet d’une attention particulière. Les nécessités opérationnelles doivent être précises, les finalités bien établies, les enregistrements sécurisés et les accès traçables. Cela suppose également une formation suffisante des forces de l’ordre.
On a dit de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi pour une sécurité globale qu’elle était un revers pour le Gouvernement. En invalidant les dispositions de l’article 47, relatif à l’usage des drones, de l’article 48, relatif à l’usage des caméras embarquées et de l’article 52, relatif à un délit de provocation à l’identification d’un agent, le Conseil constitutionnel souligne avant tout qu’il n’y aura pas de meilleure sécurité sans garantie de nos libertés et qu’aucune surenchère politicienne n’est justifiée.
Pour améliorer véritablement les moyens de notre sécurité, tous les passages en force, qui seront autant de fausses solutions, doivent être rejetés.
La sécurité est un droit fondamental, pour chacune et chacun. La sécurité pour tous, c’est une part de la promesse républicaine. Après presque cinq ans de « marchisme », les Françaises et les Français ont pu faire un constat : en matière de sécurité, comme en d’autres matières, la République qui marche, ce n’est pas la République en marche. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) La législature arrive à son terme et le travail pour améliorer la sécurité de nos concitoyens est plus qu’inachevé.
Madame la ministre, on ne compte plus les ministres de l’intérieur de ce quinquennat. Je sais donc que vous ne portez pas plus de responsabilité que les autres dans ce qui n’a pas fonctionné. M. Darmanin a déclaré : « Chaque Français verra plus de bleu sur le terrain en 2022 qu’en 2017 », mais une récente communication de la Cour des comptes interroge sur la faisabilité de cette promesse.
Sans esprit de querelle, je voulais conclure mon propos sur ce rapport de la Cour des comptes, qui vient rappeler les acteurs de ce quinquennat à la nécessaire humilité, qui doit aussi être la nôtre, en matière de sécurité. Dans ce domaine, les dénonciations sont nombreuses et les résultats trop rares. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’intitulé de ce débat laisse entendre que l’heure des bilans a sonné – nous en sommes effectivement proches.
Notre groupe regrette que le Sénat se limite à ce débat sur le bilan de l’action du Gouvernement en matière de justice et de sécurité, alors qu’il aurait pu et dû voter le budget et les crédits dédiés à ces questions, après les avoir éventuellement amendés. Il est de notre responsabilité de contribuer concrètement à l’élaboration de ces budgets, car le Gouvernement agit avec les moyens que le Parlement lui confère. Nous nous sommes ainsi réjouis, l’année dernière, de la hausse historique du budget de la justice, que nous avons voté.
Le budget de la justice pour 2022 s’inscrivait également dans une dynamique de hausse majeure, supérieur d’un tiers à celui de 2016. Cet effort important doit se poursuivre, car il est essentiel pour notre société.
La justice de notre pays est trop souvent pointée du doigt, tenue pour responsable de l’insécurité que connaît notre société : laxiste, elle ne ferait plus respecter la loi. Nous ne souscrivons pas à ce raisonnement simpliste. Comment la justice pourrait-elle être plus ferme quand nos prisons sont pleines, et même plus que pleines, puisque le taux d’occupation moyen dans notre pays était de 114 % en octobre dernier ?
Les maisons d’arrêt sont concernées au premier chef. Plusieurs d’entre elles dépassent les 200 %, comme celles de Nîmes ou de La Roche-sur-Yon. Cette réalité laisse imaginer les conditions de détention dans le contexte d’une pandémie toujours en cours.
Si nous voulons que la loi soit respectée, l’État doit évidemment prendre sa part. Le Gouvernement a annoncé la création de 7 000 places de prison d’ici à 2022 et de 8 000 places supplémentaires d’ici à 2027.
Cette année, le rapporteur pour avis de commission des lois, notre collègue Alain Marc, a donné un avis favorable à l’adoption des crédits du programme pénitentiaire, alors même que des retards accumulés ne permettront une livraison de ces 7 000 places qu’en 2023. La forte augmentation des crédits, traduction de la volonté politique, doit être saluée.
Ces créations ne doivent pas non plus faire oublier la nécessité d’entretenir le parc existant. À cet égard, le budget prévoyait une augmentation de 113 % des moyens destinés à la sécurisation des établissements. Nous y voyons le signe d’une prise en compte des nécessités du terrain, et nous la saluons.
La France compte toujours deux fois moins de juges par habitant que la moyenne européenne. La justice est pourtant au cœur du contrat social. Elle doit être efficace pour continuer d’être légitime et nous ne pouvons faire l’économie d’une amélioration de ses moyens.
Pour autant, les femmes et les hommes qui œuvrent dans notre pays pour la justice et la sécurité sont pleinement mobilisés. Nous tenons à saluer leur engagement sur tous les territoires de la République.
La sécurité est essentielle au quotidien des Français. Entre 2017 et 2022, plus de 10 500 emplois de policiers et de gendarmes auront été créés. Le président Macron a eu l’occasion de faire des annonces relatives au renforcement de la présence policière sur la voie publique. Nous croyons que cette mesure sera bénéfique à l’ensemble de nos concitoyens.
Le budget que nous aurions dû examiner montrait des augmentations significatives destinées non seulement à accroître les effectifs, mais également à améliorer les locaux et les équipements de nos forces de l’ordre – il y a fort à faire en la matière. Il est impératif que policiers et gendarmes disposent de bonnes conditions de travail, surtout si l’on entreprend d’augmenter leurs effectifs.
La modernisation des équipements est également essentielle. Nos forces de l’ordre, qui interviennent dans des conditions souvent très tendues, doivent pouvoir compter sur des matériels de qualité.
L’ensemble de ces facteurs contribuera à améliorer les relations des forces de l’ordre et de la population.
L’insécurité et le respect de la règle de droit constituent à juste titre des préoccupations majeures pour l’ensemble de nos concitoyens. L’action du Gouvernement, accompagné par le Parlement, traduit toute l’importance de la sécurité et de la justice. Ces dernières années, des efforts significatifs ont été réalisés. Nous devons veiller à les poursuivre dans les années à venir.
M. le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, que de temps perdu ! Voilà ce que nous inspire l’action des ministres de la justice et de l’intérieur du quinquennat d’Emmanuel Macron en matière de sécurité et de répression de la délinquance dans notre pays.
Pourtant, après l’affaire Benalla, au cours de laquelle le Sénat a joué tout son rôle de contrôle de nos institutions, l’ampleur des problèmes était bien connue.
Le ministre de l’intérieur de l’époque, Gérard Collomb, posait un diagnostic sans concession, juste après sa démission du Gouvernement : « La situation est très dégradée ; c’est la loi du plus fort qui s’impose, celle des narcotrafiquants, des islamistes radicaux, qui ont pris la place de la République dans tous les quartiers difficiles où l’on vit côte à côte, et où, demain, je crains qu’on ne vive face à face. »
En quelques mots, tout est dit : le rétablissement de l’autorité de l’État est le sujet majeur auquel sont confrontées la police et la justice dans notre pays. Un retour à l’ordre qui nécessite de mettre fin à l’impunité dont bénéficient nombre de délinquants en instaurant le principe d’une sanction pénale claire, effective et immédiate.
Pourtant, je le répète, que de temps perdu au ministère de l’intérieur, qui passe du deuxième au onzième rang protocolaire avec l’épisode du ministre Castaner, empêtré dans la crise des gilets jaunes et dans des déclarations médiatiques inadaptées, voire mensongères, qui ont suscité maintes polémiques.
Avec l’arrivée de Gérald Darmanin, en juillet 2020, le Parlement a pu commencer, avec trois ans de retard, à traiter les vrais problèmes, avec les lois sur la sécurité globale, le terrorisme et le renseignement. Une fois encore, que de temps perdu !
Madame la ministre, lors de la discussion générale sur la loi relative à la sécurité globale, le ministre déclarait vouloir organiser un continuum de sécurité. Je tiens ici à saluer l’engagement fort des maires et des élus locaux afin de toujours mieux organiser et intégrer les polices municipales à ce continuum, souvent pour pallier le défaut de présence de l’État sur le terrain en matière de sécurité. Nous avons d’ailleurs enrichi ce texte pour que la mutualisation des forces de police soit plus simple.
Je veux également rappeler l’impérieuse nécessité de mieux protéger les forces de l’ordre dans un contexte d’une grande violence à l’égard de tous les fonctionnaires portant l’uniforme républicain.
Quel acte manqué que la rédaction de ce fameux article 24 de la loi Sécurité globale, finalement censuré par le Conseil constitutionnel ! La commission des lois avait pourtant proposé une rédaction claire et respectueuse des libertés de la presse, mais un amendement du Gouvernement imposant l’ajout maladroit des termes « en opération » a finalement donné un motif au Conseil constitutionnel pour révoquer cet article. Une version édulcorée de ce dispositif a été intégrée récemment au projet de loi Responsabilité pénale et sécurité intérieure.
Je pense aussi à nos travaux sur le terrorisme et le renseignement, lois si nécessaires quand le risque terroriste demeure important, notamment avec la sortie de prison des condamnés djihadistes.
Une nouvelle fois, madame la ministre, je regrette votre manque d’écoute sur la question des modalités de suivi des personnes condamnées pour actes de terrorisme – environ 80 individus par an pendant trois ans. Elles ne bénéficieront pas, au-delà d’un an, de mesures d’accompagnement, en raison de l’entêtement du Gouvernement à vouloir allonger la durée des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) à deux ans afin d’assurer la surveillance par voie administrative.
Comme cela était prévisible, le Conseil constitutionnel a censuré ce dispositif alors que nous proposions une mesure judiciaire qui présentait plus d’avantages, qui était plus efficace et qui aurait été parfaitement constitutionnelle.
De même, le Sénat n’a pas été entendu lorsqu’il a alerté le Gouvernement sur le danger que représentait la transposition maladroite d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne relative à l’interdiction de la collecte des fadettes lors des enquêtes sur les trafics de drogue, de voitures volées ou de proxénétisme. De l’aveu même de la Conférence des procureurs, cela va faire tomber la moitié des procédures.
Finalement, nous avons manqué d’un plan-guide dans la mise en œuvre de la politique de sécurité du pays. Je regrette que le ministre de l’intérieur n’ait pas mis en place une loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, une Loppsi, dès le début du quinquennat, comme l’avait fait Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’intérieur de Jacques Chirac.
Quand autant reste à faire pour restaurer l’autorité dans notre pays, qu’il s’agisse du respect de l’uniforme, des élus, des profs et des fonctionnaires, quand la tâche est si grande pour éradiquer la délinquance et la violence qui s’aggravent chaque jour un peu plus, il faut qu’une grande loi-cadre en matière de sécurité et de justice pose les bases du changement, avec une programmation financière dans le temps.
Pour 2022, le ministère rompt avec les pratiques antérieures en diminuant la part des dépenses de personnel au bénéfice de l’investissement et du fonctionnement. Mais les questions de gouvernance et d’heures supplémentaires sont toujours aussi mal gérées, comme le souligne, à juste titre, la Cour des comptes.
Pour conclure, mes chers collègues, ce bilan de l’action du Gouvernement en matière de sécurité se déroule dans un contexte plus apaisé que celui, calamiteux, de la première partie du quinquennat.
Toutefois, je le redis, seule une Loppsi serait à même de dégager et de programmer les moyens pour lutter contre la délinquance et la criminalité. Cela suppose, comme le propose notre groupe Les Républicains, de modifier la Constitution pour instaurer des peines minimales obligatoires, de mieux protéger ceux qui nous protègent et de ne plus accepter l’excuse de minorité des mineurs délinquants devant la justice.
Enfin, héritiers de l’histoire de notre Haute Assemblée, nous restons soucieux de garantir les libertés fondamentales.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Marc-Philippe Daubresse. Rétablir l’autorité de l’État et garantir la sécurité des Français, c’est tout l’enjeu de la prochaine présidentielle. L’horizon est tracé, le cap est clair, mais avec tout ce temps perdu, nous sommes loin, très loin, de cet objectif. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous faire part de mon émotion, alors que vingt-sept personnes sont mortes dans la Manche, et que cette mer, comme la Méditerranée, est en train de devenir un cimetière.
La sécurité des migrants est une question d’ordre public, mais la réponse humanitaire doit primer sur les considérations sécuritaires et politiques. Si des migrants sont en danger en mer, on déploie des moyens de sauvetage ; si des migrants vivent dans des conditions indécentes, on leur donne de quoi survivre dignement.
Que fait le Gouvernement dans cette histoire ? Pas grand-chose ! Enfin si, parfois, il fait, ou plutôt il laisse faire : les forces de l’ordre se permettent de harceler les réfugiés, de déchirer leurs tentes à coups de canifs et de repousser les bénévoles.
Cet hiver, le drame se poursuit : plus de 97 % des expulsions de lieux de vie n’ont pas été suivies de mises à l’abri. Combien faudra-t-il de personnes mortes de froid ?
Quand vingt-sept personnes meurent en une journée, que trouve à dire le ministre de l’intérieur : « c’est la faute des passeurs ». Les migrants ne meurent pas à cause des passeurs ; les passeurs sont là parce que le Gouvernement n’assure pas des voies sûres et légales de migration.
Face à un problème aux causes multiples, on préfère recourir à des solutions uniquement sécuritaires et de court terme : voilà la trame du bilan du Gouvernement !
Ce bilan, c’est bien une approche uniquement sécuritaire et répressive des problèmes sociaux. Pourtant, en 2016, un jeune ministre de l’économie déclarait : « La sécurité n’est pas un projet politique. » Il avait raison : elle est plutôt une conséquence de nos politiques publiques, à commencer par les services publics.
Bien sûr, nous saluons l’extension du budget de la justice, mais quel dommage que cette hausse soit focalisée sur la construction de nouvelles places de prison, alors que la justice est en sous-effectif chronique dans notre pays.
Pour mémoire, parmi tant d’autres textes ayant réformé la justice pendant ce quinquennat, on peut citer la réforme du code de la justice pénale des mineurs, la loi anti-casseurs, la loi renforçant l’action contre les violences sexuelles et sexistes, la loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention ou encore le projet de loi relatif à l’irresponsabilité pénale et à la sécurité intérieure. J’en oublie sans doute, mais je veux me pencher plus en détail sur deux d’entre eux.
Revenons, tout d’abord, sur le texte relatif à la dignité en prison.
Depuis quarante ans, le nombre de personnes écrouées a doublé. En moins de dix ans, la France a été condamnée huit fois par la Cour européenne des droits de l’homme en raison de conditions de détention indignes. Cela devient un rituel : chaque année, ou presque, la France se voit condamnée pour violation de la Convention européenne des droits de l’homme et, plus précisément, pour non-respect de son article 3, qui affirme un droit pourtant élémentaire, à savoir l’interdiction de tout traitement inhumain ou dégradant.
Des solutions existent : plutôt que d’augmenter sans cesse le nombre de détenus, il faut développer les alternatives à la prison et créer des centres de détention semi-ouverts, sur le modèle des pays nordiques. En amont, il convient de renforcer les travailleurs sociaux, la prise en charge des personnes atteintes de troubles psychiatriques ou encore le tissu associatif.
Évoquons ensuite la loi renforçant l’action contre les violences sexuelles et sexistes.
Lorsque j’ai été élue sénatrice, il y a deux mois, on comptait déjà 88 féminicides depuis le début de l’année ; on en est à 102, à moins qu’il n’y en ait eu un nouveau aujourd’hui encore… Vendredi dernier, une femme a été tuée par son ancien compagnon alors même qu’elle bénéficiait du téléphone grave danger. Personne ne l’avait avertie de la remise en liberté de son ancien compagnon ! Je dois admettre qu’il m’est de plus en plus difficile d’entendre le Gouvernement se gargariser de la manière dont il traite ce qu’il appelle « la grande cause du quinquennat ».
De fait, que d’occasions manquées ! Ainsi, pourquoi ne pas avoir fait modifier la définition du viol de façon à respecter nos engagements internationaux, notamment la convention d’Istanbul, pour qu’enfin le viol soit défini par l’absence de consentement de la victime ? Pourquoi ne pas avoir pris exemple sur l’Espagne en instaurant une justice et une police spécialisées qui n’aggravent pas les traumatismes ? On en est très loin : la fameuse formation des policiers dont se vante le Gouvernement, c’est trois heures en France, contre huit mois en Espagne ! Pourquoi, enfin, ne pas avoir accédé aux demandes des associations féministes, en fléchant 1 milliard d’euros pour lutter contre les violences machistes et pour former, héberger, accompagner et secourir les victimes de violence ?
Enfin, je ne saurais conclure mon propos sans évoquer certaines promesses non tenues de ce quinquennat.
Qu’en est-il de la promesse du candidat Macron de constitutionnaliser l’indépendance du parquet vis-à-vis de l’exécutif ? Qu’en est-il de sa promesse de supprimer la Cour de justice de la République ? On a plutôt eu droit à la critique d’un prétendu gouvernement des juges et au maintien au Gouvernement de ministres mis en examen.
Les déclarations d’intention et la course à l’échalote sécuritaire avec la droite et l’extrême droite n’ont jamais fait une politique ; surtout, elles n’ont jamais pu protéger la justice en général ni la sécurité de qui que ce soit. Au contraire, nous avons besoin de pragmatisme et de valeurs.
Je conclurai par un exemple très simple : outre-Rhin, la future coalition gouvernementale va légaliser le cannabis, parce que cela permet d’éradiquer les trafics, de contrôler les produits et de gérer les problèmes d’addiction, qui relèvent de la santé publique. Ne serait-il pas temps de s’en inspirer, de trouver des solutions alternatives, rationnelles et pragmatiques, à l’ouverture de nouvelles places de prisons ou à la création de nouveaux délits ? Cela ne vaudrait-il pas mieux que de s’en tenir à une posture répressive stérile ? Voilà, peut-être, la clé des politiques publiques de demain en matière de sécurité et de justice. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 12 793 : c’est le nombre de personnes qui, entre 2019 et 2020, ont été réduites de l’effectif pénitentiaire, parce que les jugements ont été moins nombreux, mais aussi parce qu’on a libéré, pour des raisons sanitaires, un grand nombre de personnes en fin de peine.
Cela a-t-il créé un problème particulier dans notre société ? Non. C’est bien la preuve, madame la ministre, s’il en fallait une, du fait que la surpopulation actuelle dans les prisons pourrait tout à fait être évitée. Pour ma part, je reproche à ce gouvernement, comme je l’avais reproché à bien des gouvernements auparavant, de parler d’alternatives à la détention sans suffisamment les mettre en œuvre.
Le résultat de cette passivité, comme l’a rappelé Mme Vogel à l’instant, c’est que l’essentiel des 8 % d’augmentation des crédits de la justice – nous la saluons, comme nous avions salué la hausse similaire de l’année dernière – va à l’administration pénitentiaire et à la construction de prisons plutôt qu’au développement des peines alternatives, dont chacun reconnaît pourtant qu’elles sont nécessaires.
Finalement, cette augmentation du budget de la justice est purement optique pour ce qui est de la justice judiciaire. Faire un bilan de l’action de ces dernières années en matière de justice est très simple, madame la ministre : il suffit de se référer à la tribune, que vous avez dû lire, qui a reçu 3 000 signatures – et même 5 000 aujourd’hui – parmi les magistrats et les greffiers, soit pratiquement la moitié de ces corps. Ils y protestent contre leurs conditions de travail et contre la politique du chiffre : ces personnes, dont nous savons bien qu’elles sont au service de la République, sont exténuées. Surtout, elles pointent une réalité : dans notre pays, soit l’on juge vite et mal, soit l’on juge bien, mais dans des délais insupportables.
Dans le temps très court qui est imparti à chacun d’entre nous dans cette séance « placebo » et de remplissage, pour des raisons dont nous nous sommes déjà expliqués, je veux citer l’une des cinq principales lois de ce quinquennat en la matière, une loi à laquelle je tiens beaucoup et pour laquelle nous nous sommes battus, car elle est importante : la loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention.
M. Patrick Kanner. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Je ferai simplement un reproche au Gouvernement : c’est à la veille de la campagne présidentielle que l’on nous annonce des États généraux de la justice ! Franchement, le scepticisme est garanti !
Rendez-vous compte : nous nous sommes retrouvés ici, un après-midi, pour débattre d’un projet de loi relatif à l’irresponsabilité pénale, mais M. le garde des sceaux était à Poitiers, en train d’écouter le discours présidentiel d’ouverture des États généraux de la justice ! Il aurait tout de même été plus logique de les réunir avant de nous proposer de voter cinq ou six lois dans ce domaine.
M. Patrick Kanner. Eh oui !
M. le président. Ce sera votre conclusion, mon cher collègue… (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. À l’évidence, monsieur le président, on n’échappera pas à un second discours présidentiel pour nous présenter les conclusions de ces États généraux ; elles seront bien sûr remises, vous l’aurez bien compris, avant l’élection présidentielle, car tout cela est électoraliste ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est en ma qualité de rapporteur spécial de la commission des finances de la mission « Justice » que j’ai souhaité aujourd’hui intervenir devant vous.
Afin d’être rigoureusement établi, le bilan de la justice pendant ce quinquennat mérite d’être fondé sur les indicateurs privilégiés que sont les moyens humains, financiers et matériels que lui alloue l’État.
À ce titre, il serait malhonnête de ne pas reconnaître l’effort budgétaire constant accordé tout au long du quinquennat, qui a permis à l’institution judiciaire d’opérer un redressement salutaire.
Depuis la loi de finances pour 2018, première de ce quinquennat, jusqu’aux crédits proposés pour 2022, ce sont 2,2 milliards d’euros supplémentaires qui auront été alloués au système judiciaire ; pendant cette même période, 7 400 équivalents temps plein auront été créés.
Année après année, l’augmentation dynamique des crédits sur l’ensemble des cinq exercices budgétaires témoigne d’une prise en compte sérieuse par l’exécutif des défis posés par les archaïsmes de l’institution.
Il est important de saluer un investissement très ambitieux pour l’ensemble de l’administration pénitentiaire. Cette dernière a bénéficié d’une importante revalorisation de ses métiers, ainsi que de la création de plus de 4 300 emplois.
Des garanties nombreuses et solides ont été apportées pour renforcer et faciliter l’accès du citoyen à la justice, qu’il s’agisse du portail « justice.fr », des points d’information répartis dans les territoires ou encore de la revalorisation de l’aide juridictionnelle.
Pourtant, si l’on s’intéresse au regard que portent les Français sur l’efficacité de notre justice, les mêmes critiques reviennent systématiquement : selon un sondage de septembre 2021 – Dominique Vérien l’a rappelé avant moi –, 93 % de nos concitoyens la trouvaient encore lente, 69 % opaque, 68 % laxiste. En un mot, le constat laisse peu de place au doute : la justice n’a pas encore pleinement rempli les objectifs qui lui avaient été assignés pour ce quinquennat.
J’en veux pour preuve la tribune désormais signée par plus de 5 000 magistrats, soit une large majorité des 9 000 juges en poste, qui fait état de la profonde indigence dans laquelle nos juges sont amenés à exercer leurs fonctions. Y est aussi soulignée l’intenable souffrance professionnelle, qui a notamment conduit une jeune juge de 29 ans à mettre fin à ses jours, le 23 août dernier, à Béthune.
Ce manque de moyens, éprouvant et désormais symptomatique, résonne comme une antienne inlassablement ressassée par les personnels judiciaires, et fait peser sur les épaules de toute l’institution un fardeau terriblement nocif pour notre République. Pis encore, c’est un danger pour la crédibilité du système judiciaire auprès des justiciables.
Comme l’a souligné le questeur Philippe Bas, nous avons systématiquement constaté, au cours des cinq dernières années, une sous-exécution des dépenses prévues en loi de finances. Ce sont au total plus de 510 millions d’euros dont la dépense, pourtant affectée en crédits de paiement, n’aura pas été concrétisée.
Dans un récent rapport dressant des pistes d’amélioration pour la justice, la Cour des comptes épingle, entre autres choses, les retards accusés dans le vaste plan de transformation numérique promis par la Chancellerie, mais dont l’aboutissement vient à tarder.
Ce « cœur du réacteur », selon les mots de M. le garde des sceaux, n’a pas encore été pleinement déployé, ce qui constitue aujourd’hui encore un frein notable à l’accomplissement du programme de modernisation des tribunaux : doivent en être tenues pour responsables les asymétries entre les applicatifs du ministère de la justice et ceux des ministères de l’intérieur et des finances.
Je terminerai mon propos sur le point le plus sensible de ce bilan, à savoir l’inachèvement du programme pénitentiaire promis en 2017.
Dès le début du quinquennat, malgré la promesse de 15 000 nouvelles places de prison, il nous a été indiqué que l’accomplissement du projet ne nécessitait non pas un mandat présidentiel, mais bel et bien deux. Voilà une remarquable preuve de confiance face aux aléas électoraux.
Ce sont donc 7 000 places qui seront sorties de terre à l’horizon 2022, laissant le dramatique problème de la surpopulation carcérale dans un statu quo identique à la situation d’avant le covid-19.
Les points de vue divergent largement sur le nombre de places de prison à construire afin d’optimiser la sécurité des citoyens : certains avancent 20 000, d’autres davantage encore. Quel en est le nombre idéal ? Nul ne le sait. Notre priorité collective demeure toutefois de concilier le respect des droits de l’homme en détention avec la pleine exécution des peines prononcées.
Je salue toutefois les deux prisons en cours de construction à Toul et à Donchery. Axés sur le travail, ces deux projets me semblent très prometteurs.
En somme, la justice aura pâti pendant ce quinquennat de la tendance accrue du Gouvernement à légiférer sous le coup de l’émotion sans s’assurer de la nécessaire cohérence des textes entre eux.
Nous avons eu des lois sur la confiance dans l’institution judiciaire, sur l’irresponsabilité pénale ou encore sur la justice pénale spécialisée – je ne les cite pas tous –, le tout couronné par des États généraux de la justice. Ces derniers, qui se veulent un grand rendez-vous œcuménique des acteurs judiciaires, ont été engagés beaucoup trop tardivement dans le quinquennat.
Les efforts que nous voulons porter pour notre justice devront toujours et impérativement s’accompagner d’une réflexion de fond sur les métiers qui la structurent, ainsi que sur la juste application des sanctions prononcées. Il y va du sens de la peine et de l’indispensable confiance du justiciable dans la seule autorité détentrice de la violence légitime.
Je citerai, pour conclure, un auteur bien connu des étudiants en droit, Cesare Beccaria, qui écrivait, dans son essai Des délits et des peines : « Ce n’est point par la rigueur des supplices qu’on prévient le plus sûrement les crimes, c’est par la certitude de la punition. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)