Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Céline Brulin. Enfin, en matière d’ingénierie, j’ai bien entendu ce que vous disiez sur l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), mais j’estime qu’il y a, là encore, d’énormes marges de progression.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, n’oublions pas que les SDIS sont une compétence décentralisée. On nous accuse parfois de recentraliser, mais, dès que quelque chose ne fonctionne pas, on demande à l’État d’intervenir ! C’est une remarque d’ordre général.
Ce problème a été posé par Hervé Maurey et Franck Montaugé dans un rapport d’information que vous avez mentionné et qui a mis en évidence des difficultés d’application de la réforme de 2015 sur le terrain. Cette politique est désormais calibrée avec une décentralisation plus forte dans chaque département. J’insiste : c’est bien chaque département qui décide.
Je vous confirme que le Gouvernement va se saisir du problème pour essayer de trouver des solutions, sans avoir nullement l’intention de recentraliser cette politique, quoi qu’en pensent certains.
Au mois de juillet dernier, j’ai émis un avis favorable sur un amendement signé par M. Maurey et plusieurs autres sénateurs demandant que le Gouvernement remette un rapport au Parlement au plus tard le 1er juillet 2022, afin d’évaluer la mise en œuvre des règles départementales relatives à la défense extérieure contre l’incendie, notamment leurs conséquences en matière de finances, d’urbanisme et de développement, pour les collectivités locales en charge de ce service public.
Il convient d’attendre ce rapport pour décider s’il nous faut revoir le décret de 2015, qui a peut-être contribué à créer trop d’inégalités entre les départements.
Mme le président. La parole est à Mme Évelyne Perrot.
Mme Évelyne Perrot. Madame la ministre, ma question porte sur la relation entre l’aérien et les territoires. Derrière la lutte entre l’« aviation bashing » et l’idée en vogue du voyage de revanche après la pandémie, n’oublions jamais un fait essentiel : la France dispose d’un pouvoir de marché sur la moitié de la flotte aérienne mondiale, ce qui lui permet d’agir positivement pour la planète et pour les territoires.
Des milliers d’emplois et d’entreprises sous-traitantes s’impliquent dans la transition verte de ce secteur haut de gamme. C’est un stimulant pour des formations très qualifiées et l’élévation du niveau scientifique, dont notre pays a tant besoin. Économiquement, c’est tout un écosystème – aéroports, compagnies aériennes, contrôleurs aériens – qui doit travailler dans le même sens.
Trois points particuliers méritent d’être soulevés.
Premièrement, nous fabriquons des avions de plus en plus sobres sans bénéficier de filière pour y incorporer des biokérosènes, dits de deuxième génération, sans ponction sur l’agriculture destinée à l’alimentation. Aussi, nous risquons de prendre du retard par rapport à nos voisins allemands sur les e-kérosène fabriqués en capturant du CO2.
Deuxièmement, 90 aéroports devront investir lourdement pour verdir leurs opérations au sol et préparer l’approvisionnement des avions en nouveaux carburants ou en hydrogène. Il faut combler leurs pertes de recettes dues à la pandémie plutôt que de les inciter à augmenter des prélèvements sur des compagnies aériennes en grande difficulté.
Troisièmement, je m’interroge sur le développement des petits avions électriques. Avant tout, renouvelons la flotte d’environ 6 500 petits avions bruyants et polluants qui servent à la formation des écoles de pilotage. Un soutien limité de l’État permettrait un gain considérable en décibels pour les riverains. Les pertes de taxes sur les nuisances aériennes bloquent les financements de travaux d’insonorisation, alors que le fret aérien se développe avec des vols de nuit. Or nos concitoyens sont de plus en plus sensibles au bruit.
Sur ces trois points, qu’envisage le Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, le Gouvernement a mené une politique particulièrement proactive de soutien au secteur aérien. Ainsi, dans le cadre du plan de relance, 1,57 milliard d’euros de soutien exceptionnel sont consacrés à une feuille de route partenariale État-industriels visant une mise sur le marché d’un avion vert à l’horizon 2035.
Par ailleurs, il faut savoir que les petits avions électriques ne sont aujourd’hui pas produits en France. Nous centrons donc notre soutien sur la recherche et développement, la R&D, pour faire émerger une filière française de petits avions électriques et hybrides.
J’en viens aux conséquences de la crise sanitaire sur l’équilibre économique des aéroports au cours de la période 2020-2022. Le manque à gagner de taxes sur les nuisances sonores aériennes peut être estimé à 80 millions d’euros. Dans un contexte de difficultés financières extrêmement fortes pour les compagnies, il n’est pas prévu de relever les barèmes de cette taxe.
Je suis d’accord avec vous, madame la sénatrice, il est essentiel de permettre la continuité d’une politique publique dont l’objectif est de réduire l’impact des nuisances sonores entraînées par l’activité aérienne sur les populations riveraines. Il se trouve ainsi nécessaire de prendre à brève échéance des mesures visant à faciliter le financement du dispositif d’aide à l’insonorisation aux abords des principaux aérodromes.
À cet égard, une aide de 8 millions d’euros sera proposée en fin de gestion pour l’année 2021 afin de s’assurer d’un niveau de ressources permettant le maintien du dispositif.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la ministre, je le répète, les élus locaux sont très inquiets de la reprise épidémique.
Au-delà des enjeux économiques, cette pandémie a révélé les failles de notre société et renforcé encore les fragilités liées aux situations d’isolement social et de précarité.
Aujourd’hui, plus que jamais, nos communes sont à la base de la cohésion sociale et territoriale et elles ont su faire face. L’État se doit toutefois de les accompagnera afin qu’elles disposent de tous les outils leur permettant de renforcer leur action en la matière.
Force est malheureusement de constater que, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022 qui a été soumis au Sénat, l’ambition n’est pas à la hauteur des enjeux, même si je sais que vous n’êtes pas d’accord avec ce constat.
Je ne prendrai que quelques exemples concernant le logement, sujet qui ne peut laisser insensible l’élue locale que vous avez été pendant vingt-cinq ans.
Sur l’hébergement d’urgence, d’abord, un effort certain a été consenti en 2021 et reconduit pour 2022, mais seulement à échéance du mois de mars, date à laquelle des solutions de remplacement doivent être mises en place. Les acteurs locaux demeurent inquiets quant à l’effectivité de ces solutions et craignent une rupture dans l’accompagnement, réduisant la portée du travail d’insertion réalisé.
Ensuite, les crédits dédiés au logement social sont prolongés, mais la subvention par logement ne progresse pas, alors qu’une augmentation permettrait de développer la production de logements très sociaux.
En outre, la rénovation thermique des logements continue d’être encouragée, mais le reste à charge demeure dissuasif pour certains ménages très précaires.
Par ailleurs, la réforme des aides personnalisées au logement (APL) a été très défavorable aux jeunes ménages et son forfait « charges » n’a pas été rehaussé, alors que les coûts de l’énergie ont flambé.
Enfin, les crédits de la rénovation urbaine, bien que promis, peinent à être engagés.
Ce sont autant de faiblesses qui pénalisent les personnes les plus en difficulté. Il convient d’y ajouter la question sensible de la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), la réforme de l’assurance chômage ou encore la stigmatisation des allocataires du RSA via une politique utopiste du « tout retour à l’emploi ». Notre société, bien fragilisée par la pandémie, réclame plus que jamais un grand plan de solidarité intégrant aussi la perte de l’autonomie.
De ce point de vue, le bilan du quinquennat n’est pas satisfaisant. Aussi, je souhaite savoir si le Gouvernement entend renforcer nos politiques de solidarité ; à défaut, les fractures de notre pays risquent de se renforcer.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, la thématique que vous abordez concerne bien la mission « Cohésion des territoires », mais elle relève du ministère du logement, lequel est indépendant de mon ministère.
J’essaierai toutefois de vous répondre, votre interrogation renvoyant à tous les débats que nous avons connus sur le volet logement du projet de loi 3DS.
En ce qui concerne la rénovation urbaine, les moyens du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) ont, comme vous le soulignez, été sensiblement augmentés lors de ce quinquennat, passant de 5 milliards d’euros à 10 milliards d’euros en 2018, puis à 12 milliards d’euros au mois de janvier 2021, à la suite du comité interministériel des villes.
Les travaux ont démarré à date dans 328 quartiers du NPNRU, contre 210 l’année dernière. Les effets concrets devraient se voir rapidement sur les territoires.
Les moyens dédiés à l’hébergement d’urgence augmentent de 510 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2022, ce qui devrait permettre de maintenir le parc d’hébergement généraliste à un niveau de 190 000 places. C’est un niveau inédit pour ce programme. L’hébergement d’urgence a ainsi connu une augmentation de 48 % de son budget entre 2017 et 2022, pour atteindre 2,7 milliards d’euros dans ce dernier projet de loi de finances.
Je confirme que la réforme des APL visait bien à réévaluer en temps réel les droits de chacun en fonction de ses revenus. La réforme est neutre normalement pour la majorité des bénéficiaires et conduit même à une augmentation pour près de 18 % d’entre eux, selon les chiffres du ministère du logement.
Enfin, en matière de logement social, le Gouvernement se fixe un objectif ambitieux de 250 000 nouveaux agréments de logements sociaux pour les années 2021 et 2022.
Mme le président. La parole est à M. Hervé Gillé.
M. Hervé Gillé. Madame la ministre, 843, c’est le nombre de contrats de relance et de transition écologique (CRTE) qui ont été conclus. Ce dispositif se déploie et soulève un certain nombre d’interrogations sur la portée réelle de cette nouvelle politique contractuelle.
Pour lever ces questionnements, il est nécessaire de mettre en place une évaluation qualitative de cette politique publique pour objectiver ses impacts, donc ses contributions notamment en matière d’aménagement du territoire et de transition écologique.
Madame la ministre, avez-vous prévu une méthodologie partagée d’évaluation de la mise en œuvre de ces contrats ? Avez-vous également pensé à des objectifs à atteindre en fonction des attendus du contrat ?
Les réunions des commissions DETR dans les départements révèlent souvent les ambiguïtés du financement des CRTE. Ne disposant pas de ligne spécifique, le fléchage prioritaire de la DETR et de la DSIL vers les CRTE inquiète fortement les communes qui ne sont pas dans cette contractualisation, le pouvoir discrétionnaire de l’État sur une grande partie des dotations renforçant cette inquiétude.
Les crédits disponibles ne couvriront pas l’ensemble des demandes et les CRTE deviendront une obligation pour les collectivités pour être éligibles à certaines autres dotations. Pouvez-vous clarifier cette situation ?
Prévus pour une durée de six ans, ces contrats restent subordonnés chaque année aux disponibilités inscrites dans la loi de finances et sont cadencés par la mise en œuvre du calendrier des travaux et du dépôt des dossiers. Mesurez-vous cette incertitude en matière de prévisions financières ? Même sans incertitude financière, le financement des CRTE risque de gager les crédits DETR et DSIL sur plusieurs exercices. Partagez-vous cette analyse ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, il est vrai que le sujet n’est pas simple…
Le CRTE est en fait une enveloppe signée à l’échelle d’une ou plusieurs intercommunalités – les territoires choisissent –, qui a pour but de rendre plus lisibles les rapports entre l’État et les collectivités territoriales, ainsi que de répondre aux projets de territoire en finançant aussi bien des projets communaux que des projets intercommunaux.
Ce dispositif a aussi été créé pour que les intercommunalités aient accès aux contrats de relance dans les deux premières années.
Les CRTE sont signés pour six ans afin de les faire correspondre aux mandats communal et intercommunal.
Il est important de rappeler que des programmes déjà existants, comme Petites Villes de demain, Action cœur de ville ou France Services, sont déjà compris dans nos politiques publiques. Pour autant, il convient de développer une approche intercommunale pour ceux qui vivent sur un même territoire.
Cette absence de ligne dédiée ne freine pas le déploiement des financements de l’État. On compte à date 360 CRTE et 530 protocoles de préfiguration signés. Jusqu’à preuve du contraire, je le répète, il n’y a pas de frein au financement des projets qui sont dans les CRTE.
Mme le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Les financements de mon ministère ne sont pas les seuls accessibles par les CRTE. Ceux d’autres ministères peuvent intervenir.
Mme le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.
M. Hervé Gillé. Madame la ministre, vous mesurez bien les inquiétudes. Pour ma part, je parle des autres projets, ceux qui ne sont pas dans les CRTE. Comment seront-ils financés si les enveloppes sont fléchées sur ces contrats ?
M. Hervé Gillé. Nous aurions pu faire du CRTE différencié, en fonction des régions et des départements, pour coller au plus près des politiques contractuelles de ces collectivités.
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La contribution des politiques d’appui aux collectivités à l’aménagement et la cohésion des territoires. »
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinquante.)
Mme le président. La séance est reprise.
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Quelle action de la France pour prendre en compte l’enjeu environnemental ?
Débat thématique
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Quelle action de la France pour prendre en compte l’enjeu environnemental ? »
Dans le débat, la parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. « Le rapport du GIEC est sans appel. À nouveau. Le temps de l’indignation est derrière nous. La France restera du côté de ceux qui agissent. » Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà ce que l’on pouvait lire au mois d’août 2021 sur le compte Twitter du Président de la République.
Ce volontarisme apparent – One Planet Summit, conseil de défense écologique, Convention citoyenne pour le climat – se heurte, dans les faits, aux conclusions sévères rendues, en France, sur l’action trop timorée de l’exécutif en matière environnementale. Je n’en prendrai que deux exemples.
En premier lieu, dans un jugement récent sur ce qui a été nommé « l’affaire du siècle », le tribunal administratif de Paris a reconnu la responsabilité de l’État français dans la crise climatique et jugé illégal le non-respect de ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’État a également été reconnu responsable de « préjudice écologique ».
En second lieu, selon une étude publiée au mois d’octobre dernier par le Centre de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises, dit Rexecode, quand bien même tous les crédits du plan de relance seraient affectés à des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre, puis reconduits tout au long de la présente décennie, le niveau d’émissions d’équivalent CO2 atteindrait encore 321 millions de tonnes en 2030, au-dessus de l’objectif inscrit dans la stratégie nationale bas-carbone ; ce chiffre prend également en compte la réduction qui devrait découler de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience ». Les paroles ne résistent pas aux faits !
Pour autant, l’État a tous les outils entre les mains. En effet, la réglementation est là pour contraindre, quand la politique économique peut, pour sa part, inciter.
La réglementation agit de manière uniforme, les yeux fermés, si j’ose dire : ce qui est interdit l’est pour tout le monde ! À l’inverse, les instruments économiques peuvent encourager les citoyens et les entreprises à adopter des comportements vertueux : je pense aux taxes pigouviennes, au marché des droits à polluer ou encore aux subventions à l’innovation.
Ces dernières années, on a d’ailleurs observé un certain rééquilibrage en faveur des instruments économiques, qui prennent le pas sur la réglementation et les normes. L’énergie constitue aujourd’hui le principal poste de fiscalité verte.
Cependant, dès que l’on parle d’énergie, une question surgit : quelle est l’acceptabilité sociale de ces mesures ?
Comme on l’a bien vu avec le mouvement des « bonnets rouges » contre l’écotaxe ou celui des « gilets jaunes » contre la taxe carbone, les oppositions sont toujours très fortes quand il est question de dispositifs de politique économique, bien plus que quand on parle de réglementation. Qui parmi nous a entendu parler de manifestations contre les dispositions de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire ?
Selon une enquête du Crédoc, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, publiée cette année, moins d’un quart des Français sont prêts à payer plus de taxes sur les carburants, le gaz ou le fioul afin de lutter contre le réchauffement climatique. Les Français attendent surtout de la transparence et de la lisibilité dans l’utilisation des recettes fiscales. Cette enquête montre d’ailleurs que le consentement à la taxe carbone varie selon l’utilisation des recettes fiscales.
Ce sujet n’est pas nouveau, madame la secrétaire d’État. Si vous en aviez tenu compte au moment où le Gouvernement s’est engagé dans cette trajectoire d’augmentation de la taxe carbone, peut-être n’aurions-nous pas vu le mouvement des « gilets jaunes » et la régression qui s’est ensuivie.
En 2017, les économistes Jean-Charles Hourcade et Emmanuel Combet ont publié un ouvrage intitulé Fiscalité carbone et finance climat : un contrat social pour notre temps, où ils affirmaient que le revenu généré par la taxe carbone doit permettre de baisser des prélèvements fiscaux qui grèvent les coûts de production – en France, les charges sociales –, de manière à assurer une redistribution.
Cette idée circule depuis longtemps. Dès 2009, le rapport de la conférence des experts et de la table ronde sur la contribution Climat et Énergie, présidées par Michel Rocard, arrivait à la même conclusion et allait même beaucoup plus loin : l’utilisation d’une fiscalité sur le carbone devait aller de pair avec une renégociation d’ensemble des prélèvements obligatoires avec tous les partenaires sociaux, de manière à garantir une redistribution du produit de la taxe levée vers l’ensemble des citoyens.
Cette question a déjà été évoquée par Bruno Le Maire, selon qui la fiscalité verte est un véritable enjeu. D’après lui, il convient notamment d’ouvrir le sujet de la fiscalité affectée.
Cela étant dit, si les recettes de la taxe carbone ne viennent pas financer la transition écologique, il faudra en trouver d’autres.
C’est cet autre point que je souhaite aborder. Aujourd’hui, il faut se donner les moyens de financer la transition écologique en réorientant une partie de l’épargne privée vers de tels dispositifs. L’État a un rôle à jouer en la matière, notamment en apportant des garanties publiques qui réduiraient la prime de risque pour les investisseurs particuliers, en particulier les citoyens.
L’État a également un rôle à jouer en matière de politique internationale. On ne peut pas légiférer tout seul dans son coin dès lors qu’il est question d’écologie.
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Christine Lavarde. En effet, mes chers collègues, il ne vous aura pas échappé que l’on risque sinon des fuites de capitaux et des délocalisations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Ronan Dantec. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Ronan Dantec. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat qui nous est proposé cet après-midi est particulièrement vaste.
Quelle politique environnementale pour la France ? La question est bonne, mais parle-t-on ici de notre stratégie internationale ou de nos politiques publiques dans l’Hexagone ? La réponse n’est pas tout à fait dans la question…
Néanmoins – nous pouvons au moins insister sur ce point en introduction –, les deux échelles sont totalement liées. Ainsi, notre capacité à tenir, chez nous, nos grands objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ou à classer 30 % de nos territoires en réserve de biodiversité, autre engagement international que vous défendez, madame la secrétaire d’État, est une condition absolument nécessaire à la conclusion d’accords internationaux ambitieux.
Pour le dire encore plus simplement, après l’échec de la COP26 de Glasgow dans son objectif de crédibiliser un scénario de stabilisation du climat autour d’une augmentation de 1,5 degré Celsius des températures, la question de l’instauration d’une taxe carbone aux frontières, afin d’inciter la Chine à accélérer sa décarbonation, est sur la table.
En effet, la Chine a annoncé qu’il n’y aurait pas de stabilisation de ses émissions avant 2030, ce qui rend inaccessible l’objectif de limiter à 1,5 degré Celsius la hausse des températures. Ce bras de fer n’est toutefois possible que si nous tenons nous-mêmes l’objectif européen, défendu à Glasgow, d’une baisse de 55 % de nos émissions d’ici à 2030, ce qui représente un effort considérable, notamment en matière de sobriété énergétique, comme nous l’a rappelé l’étude Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat, publiée ce matin par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), dite aujourd’hui Agence de la transition écologique.
La question posée cet après-midi est donc finalement assez simple : il s’agit de savoir si nos politiques publiques sont à la hauteur des constats scientifiques.
La récente loi Climat et résilience, qui doit mener à une baisse de 30 % à 35 % de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, est donc bien loin de l’objectif européen présenté à Glasgow. Cela dit notre difficulté collective à agir à la hauteur de ces enjeux, les intérêts immédiats ou de court terme prenant régulièrement le pas sur l’intérêt général de long terme, y compris sur nos travées ! Le projet de loi de finances pour 2022 que nous venons de rejeter, ce qui permet la tenue de ce débat, en est un autre exemple.
Toute l’attention est maintenant portée sur la future stratégie française sur l’énergie et le climat, dont le Gouvernement vient de lancer l’élaboration. Elle sera la feuille de route nationale pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et pour assurer l’adaptation effective de la France au réchauffement climatique.
Son socle sera une loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) ; elle sera ensuite déclinée dans différents décrets, par la stratégie nationale bas-carbone, par la programmation pluriannuelle de l’énergie et par le troisième plan national d’adaptation au changement climatique – nouveauté intéressante, qui n’est pas expressément prévue dans la loi Climat et résilience.
Nous avons donc maintenant deux ans pour tout remettre à plat. On ne peut rater ce rendez-vous !
Le débat qui s’engage sera donc central. Il ne se limitera pas – c’était ma crainte ! – à une confrontation entre partisans et opposants du nucléaire, mais devra affronter tous les sujets difficiles, notamment les enjeux financiers. À ce propos, j’ai bien noté, dans l’intervention de Christine Lavarde, le soutien de la droite à l’augmentation de la taxe carbone, qui sera un élément absolument essentiel de ce débat.
D’ores et déjà, nous ne pouvons que regretter le manque d’adéquation entre les budgets alloués aux agences et opérateurs de l’État, d’une part, et leurs missions d’accompagnement à la transition écologique, d’autre part ; ce signal avant-coureur est malheureux. Je veux mentionner ici les pertes d’emplois subies par l’Ademe, par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) ou encore par Météo-France, mais la liste est longue !
Nous sommes très inquiets de voir encore et toujours les effectifs de ces acteurs se réduire d’année en année. Je le redis, nous devons impérativement engager des moyens humains et financiers à la hauteur des enjeux, notamment en matière d’animation. En effet, on ne rappelle peut-être pas assez souvent que la transition écologique nécessite que des acteurs très divers se parlent et élaborent des stratégies communes, ce qui impose d’organiser leur rencontre et leurs discussions. C’est notamment le cas à l’échelle des collectivités territoriales, où se joue une grande partie de cette transition.
Vous savez bien, madame la secrétaire d’État – tout le Gouvernement le sait, en particulier à Bercy – : depuis de nombreuses années, le Sénat propose de flécher une partie des recettes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) à destination des collectivités ayant adopté un plan climat-air-énergie territorial (PCAET) ou un schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), de manière à créer ce que nous appelons une « dotation climat des collectivités ». Ces votes presque unanimes de notre assemblée n’ont jamais été suivis d’effet du côté du Gouvernement, nous le regrettons.
Redisons-le : sans moyens, ces plans et schémas ne pourront être mis en œuvre ; ils risquent de rester en grande partie à l’état d’intention, alors que c’est à l’échelle de ces territoires, par les décisions prises par les élus locaux, que l’action est essentielle pour préserver la biodiversité et réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre, tant celles-ci sont liées à notre vie quotidienne. Ce sont bien nos manières de nous loger, de nous déplacer et de nous nourrir qui ont un impact environnemental.
Je suis absolument convaincu que nos concitoyens sont prêts à modifier leurs comportements, mais seulement s’ils ont le sentiment que leur effort s’inscrit dans un cadre cohérent, du local à l’international. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)