Sommaire
Présidence de M. Vincent Delahaye
Secrétaires :
Mme Corinne Imbert, M. Dominique Théophile.
2. Mise au point au sujet d’un vote
3. Dialogue social avec les plateformes. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion
Mme Frédérique Puissat, rapporteur de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 15 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 4 de Mme Monique Lubin. – Rejet.
Amendement n° 16 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 17 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 18 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 19 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 7 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 12 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Amendement n° 25 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Rejet.
Amendement n° 27 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Rejet.
Amendement n° 26 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Rejet.
Adoption de l’article.
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission.
compte rendu intégral
Présidence de M. Vincent Delahaye
vice-président
Secrétaires :
Mme Corinne Imbert,
M. Dominique Théophile.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Notre collègue Emmanuel Capus souhaite rectifier son vote sur le scrutin n° 37 portant sur l’amendement n° 237 tendant à insérer un article additionnel après l’article 58 du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il souhaitait s’abstenir.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
3
Dialogue social avec les plateformes
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes (projet n° 868 [2020–2021], texte de la commission n° 141, rapport n° 140).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion. Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le développement des plateformes numériques est aussi bien une source d’opportunités pour les travailleurs que de défis lancés à notre modèle social.
Les travailleurs qui y recourent bénéficient d’une voie d’accès rapide à l’emploi, le travail indépendant répondant aux aspirations du plus grand nombre d’entre eux. Pour autant, les plateformes n’ont pas toujours respecté le cadre permettant de garantir une indépendance réelle. C’est la raison pour laquelle le législateur a fait œuvre de régulation à plusieurs reprises, pour corriger les écarts constatés entre le modèle du travail indépendant et la réalité des contraintes pesant sur les travailleurs.
Notre conviction, c’est que nous devons tenir une position d’équilibre, qui permette à la fois d’accompagner le développement des plateformes de mise en relation et de mieux protéger les travailleurs qui y ont recours. La voie que nous avons choisie est celle de la construction d’un dialogue social structuré et organisé entre les plateformes et leurs travailleurs, afin de bâtir des droits adaptés dans le cadre du travail indépendant. C’est tout le sens du projet de loi que Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué aux transports, et moi-même portons. Ce texte doit permettre de donner des droits sociaux aux travailleurs concernés.
En réponse au développement des plateformes numériques, le principe de leur responsabilité sociale à l’égard de leurs travailleurs a déjà été progressivement affirmé. Les relations entre les plateformes et les travailleurs peuvent être déséquilibrées, les droits de ces derniers étant insuffisamment définis, qu’il s’agisse de la rémunération minimale ou des conditions de travail.
Les premiers jalons de la responsabilité sociale de ces plateformes ont été posés dans la loi El Khomri du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
Pour la première fois, la loi a prévu la prise en charge par les plateformes d’une assurance pour les travailleurs couvrant le risque d’accident du travail, ainsi que l’obligation pour elles de contribuer à la formation professionnelle des travailleurs et de prendre en charge les frais d’accompagnement des actions de formation permettant la validation des acquis de l’expérience. En outre, les travailleurs ont acquis le droit de constituer une organisation syndicale et d’exercer un refus concerté de fournir leurs services sans être sanctionnés.
La loi d’orientation des mobilités (LOM), que j’ai eu l’honneur de porter, a permis d’aller plus loin et d’instaurer de nouvelles garanties pour les travailleurs des plateformes de mobilité. À titre d’exemple, ces dernières doivent désormais communiquer, avant chaque proposition de prestation, la distance couverte et le prix minimal garanti de la course.
Notre objectif est désormais d’aller plus loin que ce premier cadre et de donner un coup d’accélérateur au renforcement des droits des travailleurs. Tel est l’objet du présent projet de loi, qui doit permettre de structurer un dialogue social dans le secteur des plateformes de mobilité afin de mieux protéger les droits des travailleurs, sans remettre en cause les statuts existants.
Vous le savez, ce gouvernement croit fermement dans les vertus de la démocratie sociale et dans la capacité des partenaires sociaux à concilier la protection des travailleurs et l’efficacité économique.
La construction d’un dialogue social entre les plateformes et les travailleurs doit faire émerger un socle de droits concertés et protecteurs. Il s’agit d’enrichir le droit du travail et d’y inclure l’ensemble des travailleurs, pour des raisons d’équité et de justice sociale.
Nous sommes déterminés à permettre à ces travailleurs d’exercer leur activité dans des conditions dignes et suffisamment protectrices. À cet égard, nous avons confié en janvier 2020 à Jean-Yves Frouin la mission de formuler des propositions sur la construction d’un tel dialogue social. Sur cette base, Bruno Mettling a ensuite bâti, dans la concertation, une feuille de route visant à structurer un tel dialogue pour les travailleurs des plateformes de mobilité.
La première brique de ce dialogue social a été posée par l’ordonnance du 21 avril dernier, qu’il vous est proposé de ratifier dans le présent projet de loi. En votant ce texte, vous permettrez aux travailleurs des plateformes d’avoir accès à une représentation.
Concrètement, pour chacun des deux secteurs d’activité concernés, celui des chauffeurs de VTC et des livreurs à vélo, une élection nationale, à tour unique et par vote électronique, sera organisée au début de l’année 2022. Cette élection permettra aux travailleurs indépendants d’élire les organisations qui les représenteront.
Lors du premier scrutin, pourront être reconnues représentatives les organisations qui recueilleront au moins 5 % des suffrages exprimés. Les représentants désignés auront pour mission de construire des normes protectrices adaptées au secteur des plateformes. Ils bénéficieront de garanties particulières attachées à leur mandat, afin de les protéger contre tout risque de discrimination. La rupture du contrat liant l’un de ces représentants à une plateforme sera notamment soumise à autorisation administrative préalable.
En parallèle, l’ordonnance du 21 avril 2021 prévoit la création de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE), une instance qui permettra de faciliter le dialogue social. Cet établissement public aura pour mission de veiller au bon déroulement de l’organisation des élections professionnelles et de la mise en œuvre des concertations.
Le premier décret d’application de l’ordonnance a été publié mercredi dernier. D’autres le seront prochainement. La mission de préfiguration de l’ARPE prendra fin dans quelques jours, le nouvel établissement prenant ensuite le relais.
C’est un pas historique que nous nous apprêtons à franchir : il permettra aux deux parties de mieux se comprendre et d’aboutir aux compromis nécessaires à une amélioration réelle et ambitieuse des droits.
Grâce au texte que je vous appelle à voter largement, nous avançons sur la voie d’un socle de droits sociaux communs à l’ensemble des travailleurs, quel que soit leur statut.
Si nous croyons aux effets positifs du dialogue social dans le cadre du salariat, il n’y a aucune raison de ne pas y recourir aussi pour consolider les droits sociaux des travailleurs des plateformes.
Nous voulons toutefois aller plus loin encore pour finaliser le cadre législatif posé par l’ordonnance du 21 avril 2021, en vue de définir pleinement les modalités du futur dialogue social.
Nous souhaitons aller au bout des préconisations de la mission coordonnée par Bruno Mettling et ainsi définir les modalités de représentation des travailleurs des plateformes de mobilité.
C’est tout le sens de l’article 2, qui habilite le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance toute mesure visant à approfondir la structuration du dialogue social dans le secteur des plateformes de VTC et de livraison.
L’objectif de cet article est également de définir les règles relatives à l’organisation de la négociation collective, y compris les conditions de validité des accords, la définition de leur contenu, de leur format et de leur durée.
Ces règles, que nous voulons fixer dans la loi, seront définies aussi bien au niveau du secteur d’activité qu’au sein des plateformes elles-mêmes, car le dialogue social doit avoir lieu à l’échelon le plus pertinent, en fonction des sujets. Pour prévoir des règles adaptées, nous devrons nous concerter avec l’ensemble des acteurs concernés.
Nous proposons également de compléter les missions de l’ARPE afin de lui permettre de fixer la liste des organisations représentatives des plateformes et de jouer un rôle de médiation en cas de différends entre les plateformes et les travailleurs.
Par ailleurs, une habilitation est également prévue pour permettre au Gouvernement de renforcer les obligations applicables aux plateformes, afin de préserver l’autonomie des travailleurs indépendants.
Nous souhaitons mieux informer les travailleurs lorsqu’ils reçoivent des propositions de prestation tout en préservant leur liberté de choisir et d’organiser leur activité.
Je veux être très claire : le recours à ces ordonnances répond à un impératif d’efficacité, qui est de finaliser le cadre de ce dialogue social au printemps 2022, afin que les acteurs aient de la visibilité sur les règles applicables, car c’est à ce moment-là que seront organisées les premières élections des représentants des travailleurs des plateformes.
Le recours aux ordonnances répond aussi à un impératif méthodologique : celui de pouvoir consulter, dans le temps imparti, l’ensemble des parties prenantes, afin de déterminer avec elles les modalités adéquates que devra prévoir la loi.
Quelques mois supplémentaires sont nécessaires pour définir les règles applicables au sein des plateformes et permettre à ces dernières de nous faire des propositions permettant l’organisation d’un dialogue social opérationnel. Nous pourrons ensuite inscrire ces règles inédites dans un vecteur législatif. C’est la raison pour laquelle je vous présenterai un amendement tendant à rétablir le délai d’habilitation de douze mois.
Nous nous engageons à ce que les ordonnances prises sur le fondement de ces habilitations soient le fruit d’un dialogue véritable entre les plateformes et les travailleurs qui y ont recours. Je me tiens d’ailleurs à la disposition des deux assemblées pour rendre compte devant elles de ces travaux avant la publication des ordonnances.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi doit nous permettre de franchir une étape décisive vers une meilleure protection sociale des travailleurs des plateformes. Son vote intervient moins de deux mois avant la présidence française de l’Union européenne, lors de laquelle nous défendrons l’idée d’une convergence sociale vers le haut en Europe.
Nous avons l’occasion de tracer une voie équilibrée, ambitieuse et innovante, fidèle à notre histoire sociale. Ce texte nous permet de poser les premières briques d’un droit qui reconnaisse pleinement ces formes d’emploi, tout en offrant des protections à ces travailleurs.
C’est par le dialogue social que nous pourrons bâtir une protection sociale nouvelle et équilibrée, qui réponde aux aspirations de près de 100 000 travailleurs indépendants.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Frédérique Puissat, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’émergence ces dernières années des plateformes numériques de mise en relation a offert à de nombreux jeunes travailleurs sans formation, et parfois éloignés du marché du travail, l’opportunité d’exercer une activité professionnelle. Cette forme de travail indépendant doit ainsi être encouragée pour le potentiel d’emploi qu’elle représente.
Mais cette forme d’activité peut aussi être porteuse de précarité sociale pour les travailleurs concernés. Leur relation contractuelle avec les plateformes est souvent déséquilibrée, en particulier dans les secteurs de la conduite de VTC et de la livraison. Cette précarité résulte également des lacunes de la protection sociale des travailleurs indépendants, qui ne sont pas obligatoirement couverts en cas d’accident du travail et ne disposent pas d’une véritable assurance contre le risque de chômage.
Les travailleurs des plateformes représentent encore une part modeste de l’ensemble des actifs. Toutefois, leur exposition médiatique a donné une acuité nouvelle à la question ancienne de la frontière entre salariat et travail indépendant. La Cour de cassation a parfois reconnu l’existence d’un lien de subordination caractérisant un contrat de travail, mais sa jurisprudence n’est pas encore stabilisée.
Dans son rapport de mai 2020 sur le droit social applicable aux travailleurs indépendants économiquement dépendants, la commission des affaires sociales du Sénat estimait nécessaire de dépasser le débat sur le statut de ces travailleurs et de développer leurs droits de manière pragmatique, notamment par la voie du dialogue social.
Le législateur a progressivement créé des droits spécifiques pour ces travailleurs indépendants, considérant que le salariat n’était ni souhaité par tous les travailleurs concernés ni compatible avec l’autonomie dont ils bénéficient pour exercer leur activité.
La loi El Khomri du 8 août 2016 a ainsi posé le principe selon lequel les plateformes, lorsqu’elles déterminent les caractéristiques de la prestation et fixent son prix, ont une responsabilité sociale à l’égard des travailleurs. Elle a également étendu aux travailleurs concernés certaines garanties fondamentales : une ébauche de droit de grève, ainsi que le droit de constituer une organisation syndicale.
La loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités a introduit des dispositions spécifiques aux secteurs des VTC et de la livraison en véhicule à deux roues, telles que la possibilité pour les plateformes d’établir une charte de responsabilité sociale. Elle a par ailleurs prévu de nouveaux droits favorisant l’autonomie des travailleurs de ces secteurs. Ces dispositions sécurisent juridiquement le statut des travailleurs indépendants tout en répondant, en partie, à leur attente de protection.
Sur le fondement de la LOM, le Gouvernement a pris l’ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation, que l’article 1er du projet de loi prévoit de ratifier.
Cette ordonnance prévoit que les travailleurs indépendants concernés pourront être représentés par des syndicats et des associations professionnelles, ce qui permettra d’intégrer celles qui œuvrent déjà dans le champ des plateformes.
La représentativité de ces organisations sera conditionnée au respect de plusieurs critères, dont le plus déterminant sera l’audience, laquelle sera mesurée par une élection. Les travailleurs des plateformes voteront pour les organisations candidates, sous réserve d’avoir une ancienneté de trois mois dans l’activité considérée. Les représentants désignés par les organisations déclarées représentatives bénéficieront de protections, de formation au dialogue social et d’indemnités pour l’exercice de leur mandat.
Le premier scrutin devra se tenir avant la fin de l’année 2022 et sera organisé suivant des règles transitoires afin de faciliter l’émergence de premiers représentants des travailleurs.
La commission a approuvé ces modalités de représentation, sous réserve que soient précisées les conditions pour être électeur, afin d’éviter que les travailleurs qui seraient électeurs dans les deux secteurs d’activité n’exercent deux fois leur droit de vote. Dans cette situation, le travailleur devra choisir le secteur dans lequel il votera.
Bien entendu, ces dispositions ne constituent qu’une première étape dans l’élaboration d’un cadre permettant le développement du dialogue social. Elles s’inscrivent dans le contexte de travaux menés par la Commission européenne sur les possibilités de représentation collective et de dialogue social concernant des travailleurs indépendants et leur compatibilité avec le droit européen de la concurrence.
On peut dès lors s’interroger sur le calendrier choisi par le Gouvernement, qui devra impérativement prendre en compte ces travaux.
L’ordonnance crée également un nouvel établissement public, l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi, l’ARPE, dont la principale mission sera d’organiser les élections professionnelles et d’accompagner le dialogue social dans les deux secteurs concernés. Cette mission, dont le coût est estimé entre 1,5 et 2 millions d’euros par an, sera financée par une taxe acquittée par les opérateurs de plateformes.
Cette autorité aura un rôle important de tiers de confiance à jouer dans la mise en place d’un dialogue formalisé entre les travailleurs et les plateformes. En revanche, la commission ne juge pas souhaitable que l’ARPE se mue en agence de régulation des secteurs économiques des plateformes de VTC et de livraison. Elle a donc précisé que l’objet de l’ARPE doit être circonscrit à la régulation du dialogue social entre les travailleurs et les plateformes des deux secteurs concernés.
La commission a également supprimé la présence d’un député et d’un sénateur au conseil d’administration de l’ARPE, considérant qu’il n’est pas opportun de multiplier les organismes extérieurs au Parlement au sein desquels des parlementaires siègent ès qualités.
Afin de compléter le cadre posé par l’ordonnance du 21 avril 2021, l’article 2 du projet de loi contient de nouvelles demandes d’habilitation à légiférer par ordonnance dans un délai de douze mois à compter de la promulgation du texte.
En ce qui concerne la mise en place d’un dialogue social au niveau de chaque secteur d’activité, le Gouvernement serait habilité à prévoir par ordonnance les aspects qui n’étaient pas couverts par l’habilitation prévue par la LOM : les modalités de la représentation des plateformes, ainsi que les règles encadrant la négociation et le contenu des accords de secteur.
Ce dialogue social sectoriel serait complété, à moyen terme, par l’organisation d’un dialogue social au niveau de chaque plateforme de mobilité.
Un dernier volet vise à compléter par ordonnance les obligations incombant aux plateformes de mobilité afin de renforcer l’autonomie des travailleurs, de manière à sécuriser davantage la relation contractuelle entre les deux parties.
Le choix du Gouvernement de passer par de nouvelles ordonnances ne semble pas avoir d’autre justification que le calendrier électoral et la volonté d’éviter le débat parlementaire. Toutefois, la commission n’a pas rejeté l’ensemble de la demande d’habilitation. Elle a effectué un tri afin de la restreindre aux dispositions apparaissant comme les plus urgentes ou techniques.
Les principaux enjeux du dialogue social en matière de régulation de l’économie des plateformes se situent au niveau sectoriel. La mise en place d’un dialogue social au niveau de chaque plateforme n’interviendra que dans un second temps. Dans cette perspective, le délai de douze mois prévu par le texte n’a pas paru approprié à la commission. Elle a donc supprimé tous les éléments de l’habilitation concernant l’organisation du dialogue social au niveau de la plateforme.
Ce délai de douze mois paraît à l’inverse excessif pour la mise en place du seul dialogue social de secteur, alors que des travaux préparatoires ont largement tracé la voie à suivre au cours des deux dernières années. La commission a donc réduit à six mois la durée de l’ensemble de l’habilitation prévue à l’article 2.
La commission a par ailleurs supprimé, par cohérence avec les modifications apportées à l’article 1er, les alinéas visant à confier à l’ARPE, d’une part, un rôle de médiation entre plateformes et travailleurs et, d’autre part, un rôle d’expertise, d’analyse et de proposition concernant l’activité des plateformes et de leurs travailleurs.
Enfin, la commission a considéré que certains principes régissant la négociation de secteur devraient être débattus au Parlement et inscrits directement dans la loi. Elle a donc précisé, dans un nouvel article 3, que les organisations représentatives au niveau d’un secteur devront obligatoirement négocier, au moins tous les quatre ans, sur trois thèmes structurants communs aux deux secteurs : la fixation du prix des prestations, le développement des compétences professionnelles et la prévention des risques professionnels.
Sous cette réserve, chaque secteur aura la possibilité de déterminer, pour ce qui le concerne, les domaines et la périodicité de la négociation collective. En effet, les travailleurs des deux secteurs concernés ont des aspirations différentes et ne sont pas confrontés aux mêmes problématiques. À défaut d’accord organisant le cadre de la négociation, les organisations devraient négocier chaque année sur la fixation du prix et tous les deux ans sur les autres thèmes obligatoires.
Pour conclure, au-delà de la forme discutable de ce projet de loi, les dispositions de l’ordonnance du 21 avril 2021 comme les orientations proposées à travers ces nouvelles demandes d’habilitation me semblent aller dans le bon sens.
On peut toutefois regretter qu’elles ne concernent que les travailleurs de deux secteurs. Veillons donc à ce qu’elles tracent d’utiles perspectives pour le développement des droits de tous les actifs, sans réglementer à l’excès chaque secteur d’activité.
C’est la position que vous propose de retenir la commission en adoptant le projet de loi dans la rédaction qu’elle vous soumet. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Savoldelli, Mmes Apourceau-Poly, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 13.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes (n° 141, 2021-2022).
La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la motion.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 21 avril 2021, le Gouvernement a souhaité légiférer de manière discrétionnaire sur un sujet dont l’objet est pourtant l’écoute et le collectif : le dialogue social.
Le droit à la contradiction des travailleurs des plateformes de mobilité n’a d’ailleurs jamais existé. Tout a été imposé à ces travailleurs : leurs prix, leurs prestations et maintenant même leur négociation collective. Par sa mise en œuvre, cette négociation ressemble surtout à un service organisé. Les marges de manœuvre de ces travailleurs restent donc très limitées, parallèles inquiétants de leurs conditions de travail. C’est une atteinte de plus à leur autonomie, mais plus grave encore, une atteinte à nos principes constitutionnels.
En effet, ce texte porte atteinte aux principes fixés dans le préambule de la Constitution de 1946 relatifs au droit du travail et des salariés, ainsi qu’aux règles législatives du dialogue social, et ce pour trois raisons, madame la ministre.
D’abord, le Gouvernement n’a pas respecté l’article L. 1 du code du travail, qui prévoit une concertation préalable obligatoire entre les organisations syndicales et patronales.
Ensuite, le Gouvernement n’a pas respecté la décision du 26 janvier 2017 du Conseil constitutionnel, qui a rappelé que, aux termes du premier alinéa de l’article 38 de la Constitution, « le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ».
Enfin, le recours aux ordonnances sur les modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes est contraire à l’esprit du Constituant de 1958 : le Gouvernement doit rattacher sa demande d’habilitation à l’exécution de son programme, au sens de l’article 49 de la Constitution, sous le contrôle du Conseil constitutionnel.
Je rappelle en outre que nous avons récemment débattu dans cet hémicycle de la menace que représente pour notre démocratie le recours aux ordonnances. Je fais ici référence à l’examen de la proposition de loi constitutionnelle garantissant le respect des principes de la démocratie représentative et de l’État de droit en cas de législation par ordonnance, déposée par notre collègue Jean-Pierre Sueur.
M. Olivier Jacquin. Bravo !
M. Pascal Savoldelli. À quoi sert une ordonnance si ce n’est à se prémunir contre l’avis du Parlement ? À quoi sert-elle si ce n’est à s’assurer le plein contrôle d’un dialogue social creux ? Ce texte maintient les travailleurs dans une fausse indépendance, comme le rapporte la Cour de cassation.
Le terme « social » utilisé dans l’intitulé du projet de loi ferait presque passer cette ordonnance pour un texte vertueux. Or nous savons qu’un certain nombre de ces travailleurs sont sans papiers. Comment, dès lors, assurer l’expression d’une pleine majorité, les travailleurs précaires étant peu armés pour participer aux joutes de la négociation ?
L’équilibre des relations est encore loin d’être trouvé, ce qui porte fortement préjudice à ces livreurs et à ces chauffeurs, victimes d’un délit dorénavant officiellement caractérisé : le travail dissimulé.
En définitive, cette ordonnance conforte les plateformes dans une situation de contrôle, voire de pleine domination. Quant aux travailleurs, ils devraient se satisfaire du mieux que rien ! Alors que ces derniers ont fait part, lors de leur audition par la mission Mettling chargée de rédiger le projet d’ordonnance, de leur souhait d’exclure la protection sociale du champ du dialogue social, vous avez choisi – énième preuve de l’importance que vous leur accordez – d’ignorer leur demande et déposé en catimini un amendement tendant à insérer un article 50 bis dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, article que le Sénat a modifié vendredi dernier.
Ce fait s’inscrit d’ailleurs dans une longue liste d’indices constituant presque un aveu de complicité.
D’abord, alors que les jurisprudences de la Cour de cassation ont reconnu le lien de subordination entre les plateformes et leurs travailleurs, le Gouvernement a inscrit dans la LOM la possibilité pour les plateformes de rédiger, factuellement, mais toujours de manière unilatérale, des chartes relatives aux conditions de travail sans que ces textes puissent être invoqués devant les juges comme indices de subordination. Cette disposition a été censurée partiellement par le Conseil constitutionnel au motif que le législateur avait ainsi permis aux plateformes de fixer des règles relevant de la loi.
Ensuite, la mission confiée à Jean-Yves Frouin par l’exécutif sur le statut de ces travailleurs a d’emblée écarté le salariat au motif qu’« il ne constituait pas l’hypothèse envisagée par les pouvoirs publics ».
Par ailleurs, dans son rapport adopté par le Parlement européen, l’eurodéputée de la majorité Sylvie Brunet a proposé qu’une présomption réfragable de relation de travail s’applique aux travailleurs contestant leur statut. De même, les hautes juridictions de plusieurs pays européens ont à leur tour requalifié la relation commerciale des travailleurs avec les plateformes en relation de travail.
En d’autres termes, madame la ministre, vous auriez donc raison contre la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel, le Parlement européen, vos eurodéputés et de nombreux pays européens. Vous avez raison et les autres ont tort !
La forme et le processus d’adoption amphigourique de cette ordonnance achèvent d’en faire la démonstration : c’est dans la LOM qu’avait été intégré un amendement permettant au Gouvernement de légiférer par ordonnances pour organiser la représentation des travailleurs. Ces ordonnances ont ensuite été complétées par un projet de loi afin de fixer les prérogatives de l’autorité de régulation des plateformes, puis de nouveau par d’autres ordonnances pour définir les objets du dialogue social ! C’est une usine à gaz ! Tout cela pour des élections qui n’auront lieu qu’en 2022 ou 2023, alors que les travailleurs sont dans l’urgence sociale depuis quatre ans déjà.
Ce texte ne définit aucun objet de négociation du dialogue social : ni prix, ni caractéristiques, ni modalités d’organisation des prestations. Belle conception du dialogue social ! Vous faites même fi, madame la ministre, des propositions formulées dans son rapport par la mission d’information sénatoriale relative à l’ubérisation de la société et à l’impact des plateformes numériques sur les métiers et l’emploi, en particulier de la proposition n° 6, adoptée à l’unanimité, qui entendait « fixer les thèmes obligatoires du dialogue social avec les plateformes, en y incluant la question de la tarification des prestations et de la rémunération des travailleurs ».
Les auditions que mes collègues et moi-même avons menées dans le cadre de cette mission d’information ont pourtant permis d’identifier des solutions concrètes, comme le fait de consacrer dans la loi le principe d’une rémunération minimale pour les travailleurs, base sécurisante de négociation avec les plateformes.
Et que dire des algorithmes, que la mission d’information a qualifiés de « véritable chaîne de responsabilité » ? Alors que la mission insiste dans son rapport sur la régulation du management algorithmique afin de garantir l’indépendance réelle des travailleurs, le mot « algorithmique » ne figure même pas dans votre projet de loi. Puisqu’il n’y figure pas, il ne contient pas non plus le mot « management ». Comme cela, on est tranquille !
C’est pourtant grâce à cet outil, vous le savez, madame la ministre, que les plateformes de mobilité structurent, organisent et contrôlent l’activité économique qu’elles ont créée, plaçant ainsi leurs travailleurs dans une dépendance économique. Il est donc fondamental que la négociation collective s’empare de ce sujet.
Nous continuons de penser que, avec ce texte, vous tentez d’éviter l’inévitable, alors que la plateformisation de l’économie que vous défendez n’a jamais fait la preuve de sa rentabilité. Vous qui êtes si attachée à la liberté d’entreprendre et à l’autonomie des travailleurs indépendants, vous contribuez à les priver de leur autonomie, puisqu’ils ne peuvent pas négocier leurs contrats.
Sans définir les objets du dialogue social, notamment le prix et les conditions de travail, ce projet de loi méconnaît jusqu’au principe même guidant la négociation collective. En effet, l’article 2 de la convention n° 154 de l’Organisation internationale du travail (OIT) définit la négociation collective comme s’appliquant à « toutes les négociations qui ont lieu entre un employeur […] et une ou plusieurs organisations de travailleurs […] en vue de […] fixer les conditions de travail et d’emploi ». Votre ordonnance ordonne, mais ne règle rien.
Telles sont les raisons pour lesquelles notre groupe a choisi de déposer une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Je pense que les propos de notre collègue s’adressent plutôt à Mme la ministre qu’à la commission.
Celle-ci a toutefois émis un avis défavorable sur cette motion, car elle ne perçoit pas d’obstacles juridiques à discuter de ce texte, qui porte sur la mise en place d’un dialogue social entre les plateformes et les travailleurs indépendants qui y ont recours, et qui n’entre pas nécessairement dans le champ de l’article L. 1 du code du travail.
Si l’on peut regretter le principe des ordonnances, comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, il est tout à fait possible pour le Gouvernement de demander au Parlement une habilitation à prendre par ordonnance toute mesure relavant du domaine de la loi. Le Conseil constitutionnel n’a jamais exigé que cette habilitation soit liée à une déclaration de politique générale.
Enfin, ce projet de loi contribue à donner corps, pour les travailleurs concernés, à certains principes qui sont édictés par le préambule de la Constitution de 1946, notamment le droit pour tout travailleur de participer, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Monsieur le sénateur, il y a beaucoup de caricatures dans vos propos.
Sur la concertation, tout d’abord : l’ordonnance qu’il vous est proposé de ratifier a fait l’objet d’une très large concertation avec les organisations patronales et syndicales interprofessionnelles, avec les représentants des travailleurs et des plateformes. Et nous nous proposons d’avancer de la même manière sur les ordonnances qui pourraient être issues des nouvelles habilitations.
Sur la méthode, ensuite : non seulement le recours aux ordonnances est prévu par la Constitution, mais si nous vous proposons d’y recourir, c’est parce qu’il y a urgence à agir, monsieur le sénateur. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
On ne saurait rester encore des mois sans cadre juridique permettant à ces acteurs d’engager des discussions sur le revenu minimal des travailleurs, la formation professionnelle ou la santé au travail. Plus vite seront fixées les règles permettant aux travailleurs de désigner leurs représentants, mais aussi de déterminer les thèmes de négociation, leur périodicité ou encore les règles de validité des accords, plus vite les droits des travailleurs pourront être consolidés et renforcés.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable sur cette motion.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je vais donner mon avis sur les deux motions, monsieur le président.
Nous partageons l’appréciation selon laquelle le projet de loi contrevient à l’article L. 1 du code du travail, qui dispose que « tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales ».
Pour cela, le Gouvernement doit leur communiquer en amont « un document d’orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options ».
Ce texte est de fait contraire à ces règles de la démocratie sociale. Même en l’absence de procédures de concertation, le Gouvernement, lorsqu’il décide de mettre en œuvre un projet de réforme, doit faire connaître cette décision aux organisations en la motivant dans un document.
Le projet de loi visant à créer ces organisations, celles-ci n’ont pu être sollicitées, par construction, ni être mises au courant en amont. Par conséquent, les représentants des travailleurs concernés n’ont pu l’être non plus.
Si le problème semble insoluble sur le plan juridique, de par son caractère itératif, il ne fait que refléter l’impact de la recherche d’un tiers-statut, qui fait l’unanimité contre lui – comme le rappelle la seconde motion, tendant à opposer la question préalable – et témoigne surtout de la volonté gouvernementale de sécuriser les plateformes contre le risque de requalification.
Ce projet de loi, comme le relèvent d’ailleurs les deux motions, contrevient aux règles constitutionnelles qui imposent au Gouvernement de rattacher sa demande d’habilitation d’une ordonnance à l’exécution de son programme ou à sa déclaration de politique générale. Il illustre le bras de fer permanent engagé par le Gouvernement avec le Parlement.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe écologiste votera les deux motions.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai l’habitude de faire confiance aux autres. Vous nous donnerez donc, madame la ministre, le calendrier présidant à la consultation des organisations patronales et syndicales sur l’objet de l’ordonnance. Je ne doute pas que vous nous communiquerez aussi, en toute transparence, leurs avis sur vos projets.
Quant aux caricatures, je vous avoue, madame la ministre, que vous me surprenez ! Vous êtes au pouvoir depuis 2017, nous sommes en novembre 2021, et vous vous permettez de dire que je caricature la situation… Mais qu’avez-vous fait depuis quatre ans pour en arriver à présent à la rédaction d’une ordonnance sur le dialogue social ?
Je vous ai écoutée, madame la ministre. Comme vous, nous travaillons. Lors de votre audition, vous nous avez dit que le prix et la rémunération seraient couverts. Je me suis donc dit que le Gouvernement arriverait dans l’hémicycle du Sénat avec des amendements visant à faire figurer dans les éléments obligatoires du dialogue social le prix et les rémunérations. Or voilà que vous ajoutez deux couches de crème au millefeuille, en nous faisant un numéro, avec, pardonnez-moi, des larmes de crocodile, sur la santé au travail ou la formation professionnelle !
Vous parlez du prix et de la rémunération, mais il faut être honnête intellectuellement : dans votre ordonnance, il n’y a rien qui concerne le prix, la rémunération, la santé au travail ou la formation professionnelle.
Ce n’est ni sérieux ni responsable de répéter ainsi qu’il faut aller vite, alors que vous aviez quatre ans pour vous attaquer à ces problèmes, dont vous saviez qu’ils concernaient en particulier les plateformes de mobilité.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 13, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme Lubin, MM. Jacquin et Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes (n° 141, 2020-2021).
La parole est à Mme Monique Lubin, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le management algorithmique et l’économie de plateforme imposent leurs normes à la sphère du travail, rappelons les mots de Gilbert Simondon : « La machine peut se dérégler et présenter alors les caractéristiques de fonctionnement analogues à la conduite folle chez un être vivant. Mais elle ne peut se révolter. La révolte implique en effet une profonde transformation des conduites finalisées, et non un dérèglement de la conduite. »
La machine devenant le mètre étalon de l’évaluation de ce que devrait être le travail, le conformisme et la soumission menacent de s’ajouter à la recherche de l’efficacité à tout prix dans certaines sphères professionnelles.
Dominique Méda a ainsi souligné, dans le cadre de la mission d’information du Sénat sur l’ubérisation de la société, que « le profil des livreurs a […] changé. À l’étudiant s’est substitué le migrant sans papier, précaire et exploité. La plateforme donne certes de l’emploi, mais pour un travail de faible qualité. Il manque des cotisations sociales, alors que les plateformes sont des employeurs. On assiste à un contournement des obligations des employeurs, notamment pour le financement de la sécurité sociale ou des obligations de protection des employeurs ».
Rappelons également que le fonctionnement de certaines applications pousse trop souvent les livreurs à jouer avec leur vie.
Le statut des travailleurs de plateforme est le produit de l’exploitation des angles morts de notre système juridique par des agents économiques qui tendent à privatiser les bénéfices et à socialiser les pertes.
Le projet de loi de ratification de l’ordonnance relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes ne menace pas d’y changer grand-chose.
Il propose en effet la validation par le Parlement d’un dispositif de dialogue social mal ficelé, et renvoie – une fois encore – à des ordonnances ! Loin de conforter la démocratie d’entreprise, il menace de susciter une pratique exotique, un dialogue social organisé autour de syndicats d’indépendants, ce que l’on pourrait appeler un cartel, ou une entente. La place centrale de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) dans ce dispositif pose aussi question.
Loin d’avoir une vision de ce que doit être le travail dans le cadre de l’économie numérisée, ce qui aurait légitimé un projet de loi ambitieux, le Gouvernement adopte une stratégie du bricolage pour banaliser un état de fait.
Le texte que nous examinons aujourd’hui participe en effet de la constitution à bas bruit d’un tiers-statut pour les travailleurs de plateformes. Cette tactique des petits pas permet au Gouvernement de dissimuler ce qu’il est en train de faire, et qu’il se garde bien de nommer ou de revendiquer.
La mise en œuvre de cette tactique s’accélère. Le Gouvernement ne cesse de faire légiférer en ce sens, aussi bien implicitement qu’explicitement.
La constitution de ce tiers-statut est d’abord bien sûr explicite dans le cadre du présent projet de loi, discuté dès juillet 2021 à l’Assemblée nationale. Dans le projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante débattu au mois d’octobre 2021, le sujet des travailleurs de plateforme n’est par ailleurs abordé à aucun moment. Cela aurait pourtant été l’occasion de clarifier leur statut, puisqu’ils sont supposés être des travailleurs indépendants ! La tâche aurait certes été difficile, car, comme nous le savons, une partie écrasante d’entre eux est économiquement dépendante.
Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, un amendement du Gouvernement a créé l’article 50 bis, qui a pour objet de faire bénéficier les travailleurs des plateformes du régime général de la sécurité sociale sous réserve d’un revenu annuel inférieur à 1 500 euros.
Enfin, logiquement, dans le projet de loi de finances pour 2022, l’article 32 valide la création d’une taxe affectée à l’ARPE.
Cette urgence à avancer est sans doute à rapprocher de l’agenda européen du Gouvernement, sur lequel reviendra mon collègue Olivier Jacquin.
La majorité du Sénat semble entériner la démarche de l’exécutif, puisqu’elle a fait le choix de compléter le présent projet de loi, dans un double mouvement. Elle prétend d’une part vouloir contrôler les excès politiques du texte par la suppression d’une ordonnance, la réduction à six mois de la validité d’une autre, et le refus que les parlementaires siègent à l’ARPE. Dans le même temps, elle apporte sa pierre à l’édifice en encadrant le dialogue social proposé par le Gouvernement.
Comme la majorité du Sénat, le Gouvernement fait le choix d’aller à rebours du sens de l’Histoire, celui d’une modernité démocratique qui marque pourtant des points à travers le monde.
Des activistes, des professionnels, des acteurs politiques, juridiques et syndicaux réussissent à renverser la vapeur face au rouleau compresseur de l’ubérisation. Nous avons tous en tête les décisions prises au Portugal, où les plateformes de commande de repas en ligne telles qu’Uber Eats et Glovo sont obligées de proposer à certains de leurs livreurs des contrats et des avantages formels. En Espagne, la loi Riders, adoptée mi-mai par le gouvernement de gauche de Pedro Sanchez, a permis ces dernières semaines l’embauche de milliers de coursiers jusqu’alors considérés comme indépendants. Et je ne détaillerai pas ce qui se passe en Angleterre, en Italie, aux Pays-Bas, en Californie…
Je rappellerai, en revanche, les décisions des instances juridiques françaises, cours d’appel et Cour de cassation, qui ont fait mouvement vers la requalification salariale.
La multiplication des coopératives de livraison fait par ailleurs la démonstration du refus des professionnels de se soumettre à un modèle qui ne leur convient pas.
Il y a enfin la résolution du Parlement européen, en date de septembre 2021, qui acte tout à la fois qu’un tiers-statut n’est pas souhaitable, qu’il conviendrait de classer les travailleurs de plateforme soit comme de véritables indépendants, soit comme des salariés, et qui promeut une présomption réfragable de relation de travail.
Nous pouvons donc nous interroger : pourquoi le Gouvernement choisit-il d’aller contre un mouvement de reprise en main de leurs destinées sociales et professionnelles par les travailleurs salariés et indépendants ?
Madame la ministre, vous avez explicité votre position auprès de notre collègue député Boris Vallaud lors de la discussion du texte à l’Assemblée nationale. Vous avez déclaré souhaiter « la poursuite d’une activité économique créatrice d’emplois, qui peut par ailleurs permettre une insertion professionnelle rapide pour un certain nombre de travailleurs, tout en garantissant un socle de droits sociaux ».
C’est dire l’ambition de votre gouvernement : donner des privilèges exorbitants à des plateformes, ce qui passe par l’extrême fragilisation de notre modèle social, en échange d’un droit de survie pour des travailleurs économiquement dépendants, qualifiés d’indépendants et victimes d’un tiers-statut.
Un autre point a été explicité au cours des débats à l’Assemblée nationale : le fait que les dispositions du présent projet de loi vous donnent l’opportunité d’effacer les liens de subordination entre les plateformes et les travailleurs, alors qu’elles sont l’élément clef d’une possibilité de requalification salariale que nous appelons de nos vœux au profit des travailleurs qui le souhaitent.
Cette approche tactique, qui procède par bricolages successifs pour aboutir à la validation d’un état de fait imposé par les plateformes, est nocive à court, moyen et long terme.
Le rejet unanime du tiers-statut emprunte de fait ses arguments du côté de l’insécurité juridique qu’il introduirait pour les entreprises. C’est ce que mettent notamment en avant le rapport Frouin et la résolution du Parlement européen de septembre dernier.
Le soutien aux indépendants est antinomique de la création de ce tiers-statut : si les professionnels indépendants doivent travailler avec les plateformes, il faut que cela soit dans des conditions respectueuses de ce statut. De fait, le tiers-statut créerait, comme le souligne également la résolution du Parlement européen, une situation de concurrence difficilement supportable pour ces derniers.
Fragilisant le statut salarial aussi bien que le statut des indépendants, le tiers-statut que le Gouvernement est en train de mettre en place est un véritable trou noir, susceptible de vider de leur substance salariat et indépendance. Et les menaces qu’il fait peser sur notre modèle social sont d’une gravité sans précédent.
Au sein de cette enceinte parlementaire, nous avons lutté contre cette approche choisie par le Gouvernement.
Nous avons bataillé, en juin 2018, dans le cadre de l’examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, puis en novembre 2018 au cours de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités, contre la volonté du Gouvernement d’offrir aux plateformes le moyen de se dédouaner de leurs responsabilités sociales – notre recours au Conseil constitutionnel sur le sujet ayant d’ailleurs connu le succès que l’on sait.
Nous avons identifié dès 2018 l’intérêt des coopératives dans le cadre de la proposition de loi visant à rétablir les droits sociaux des travailleurs numériques, que j’ai déposée et défendue avec Nadine Grelet-Certenais et Olivier Jacquin.
Le recours aux coopératives, dont nous avons souligné l’intérêt, est également identifié comme une piste à explorer dans le rapport Frouin ou dans la résolution du Parlement européen.
La proposition de loi contre l’indépendance fictive des travailleurs des plateformes, débattue en mai dernier et portée par Olivier Jacquin, moi-même et le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, proposait quant à elle de nombreuses solutions dont l’intérêt saute aux yeux : une procédure de requalification par action de groupe ; la suppression de la présomption de non-salariat et son remplacement par une présomption de contrat de travail ; la possibilité pour les conseils de prud’hommes saisis de demandes de requalification d’exiger la production de l’algorithme utilisé par une plateforme et celle de recourir, si nécessaire, à un expert.
Alors que se profile le métavers, où la frontière entre le réel et le virtuel menace de se brouiller jusqu’à disparaître complètement, et qui est un projet d’altération du monde du travail bien plus massive que celle causée aujourd’hui par les plateformes numériques, le Gouvernement ne semble pas avoir saisi l’ampleur de sa responsabilité, historique, de fixer un cadre et des règles au monde du travail qui soient conformes au modèle social et politique que nous nous sommes choisi.
Le Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain estime pour sa part qu’il n’est pas possible de légiférer en catimini et de procéder par glissements successifs sur un enjeu majeur pour notre modèle social.
C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de présenter devant notre assemblée cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable.
Sur la forme, mes chers collègues, je vous rejoins. Nous en avons déjà parlé : il s’agit d’une ratification d’ordonnances et d’une nouvelle habilitation à légiférer par ordonnance qui pose en effet un certain nombre de difficultés – j’imagine que vous pouvez aussi les comprendre, madame la ministre.
De surcroît, l’élaboration en cours, au niveau européen, d’un nouveau droit concernant les travailleurs des plateformes est source d’incertitudes. On ne sait pas très bien à quelle sauce ce texte va être mangé, en fonction des discussions à venir au sein de l’Union.
Mais nous n’avons pas fait le même choix que vous.
D’abord, nous considérons que les plateformes offrent des opportunités d’activité. C’est peut-être une divergence d’appréciation entre nos deux groupes politiques.
Puis, comme nous le disions dans le rapport de la mission d’information que j’avais conduite avec Michel Forissier et Catherine Fournier, le dialogue social au niveau sectoriel est une façon de résoudre le problème. Or tel est précisément le sens de ces ordonnances.
C’est pourquoi nous avons fait le choix de les modifier. M. Savoldelli parlait du prix : c’est précisément l’objet de l’article 3, introduit par la commission, par lequel nous entendons graver dans la loi cet aspect important.
Plusieurs textes de loi nous ont en effet été proposés, mais la requalification ne correspond pas à notre vision des choses. Par cohérence, nous avons donc fait le choix d’amender le texte proposé par le Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. La conviction du Gouvernement est que nous devons tenir une position d’équilibre. Il nous faut, dans le même temps, accompagner le développement des plateformes de mise en relation et veiller à mieux protéger les droits des travailleurs qui y ont recours.
La voie que nous avons choisie n’est pas celle d’un tiers-statut, mais celle de la construction d’un dialogue social structuré et organisé entre les plateformes et les travailleurs, pour bâtir des droits adaptés dans le cadre du travail indépendant, tout en respectant les statuts existants.
Nous entendons aussi respecter la volonté des travailleurs, dont une majorité écrasante souhaite une amélioration de leurs droits, tout en préservant leur statut d’indépendant, qui leur procure souvent une autonomie et une liberté d’organisation à laquelle ils sont attachés.
Je crois en la capacité du dialogue social à tirer vers le haut les droits des travailleurs. Je crois en la responsabilité des acteurs pour définir un cadre mieux-disant, tant au bénéfice des travailleurs que des plateformes elles-mêmes, qui ont là un véritable enjeu d’attractivité et de réputation.
Pour autant, nous devons structurer ce dialogue social et le rendre exigeant pour permettre aux travailleurs concernés de définir les solutions les plus adaptées à un environnement de travail très spécifique et en pleine mutation.
Je voudrais être claire : ces ordonnances n’enlèvent rien au pouvoir du juge de requalifier en salarié un travailleur qui ne serait pas réellement indépendant. Il ne s’agit pas de réduire le faisceau d’indices susceptibles de révéler l’existence d’un lien de subordination entre une plateforme et ces travailleurs.
J’entends les craintes et les critiques sur le recours aux ordonnances, mais ce recours se justifie par la nécessité de finaliser le cadre du dialogue social au printemps 2022.
Monsieur le sénateur Savoldelli, il est évident que vous ne trouverez pas dans l’ordonnance le contenu que j’avais annoncé, puisqu’il s’agit du projet de loi d’habilitation ! Je vous renvoie à l’amendement n° 17 du Gouvernement, qui prend bien en compte la volonté de préciser des thèmes importants dans le cadre de ce dialogue social.
Si vous adoptez cette habilitation, le Gouvernement reviendra naturellement devant vous avec un nouveau projet de loi de ratification de l’ordonnance à l’issue du délai imparti par l’habilitation. Le Parlement sera donc de nouveau associé pleinement à l’écriture des modalités du dialogue social, comme aujourd’hui.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour explication de vote.
Mme Nathalie Delattre. Madame Monique Lubin, chers collègues, nous voterons contre cette motion. Ce n’est pas que nous soyons contre son principe : comme l’a dit la rapporteure, nous nous rejoignons sur plusieurs points, notamment sur notre opposition au recours aux ordonnances.
Mais, par principe, le groupe RDSE vote toujours contre une motion tendant à opposer la question préalable. Nous préférons faire vivre le débat parlementaire !
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je reviendrai sur un certain nombre de points au cours de la discussion générale.
Je me rappelle bien, madame Puissat, l’intéressant travail que vous avez mené sur les travailleurs des plateformes. Votre position était claire : pas de tiers-statut. Or, aujourd’hui, vous validez de facto un tel statut, ne soyons pas naïfs !
Madame la ministre, vous parlez d’équilibre : vous êtes vraiment devenue la championne du « en même temps » ! Comment pouvez-vous nous dire aujourd’hui qu’il ne s’agit pas d’un tiers-statut ? J’en ferai la démonstration dans le cadre de la discussion générale.
Comment pouvez-vous nous dire que cela ne vise pas à enlever des possibilités de requalification au juge ? Dans l’étude d’impact, clairement, on parle de sécuriser juridiquement le modèle économique des plateformes. Je citerai tout à l’heure la rapporteure du texte pour l’Assemblée nationale, qui a été d’une transparence éloquente. Elle a clairement dit qu’il s’agissait précisément de réduire le faisceau d’indices – vous ne l’avez pas contredite à l’Assemblée nationale, et vous venez de dire précisément l’inverse ! Est-ce du « en même temps » ? De l’équilibre ? Je vous laisse juge, madame la ministre.
En tous cas, j’apprécie particulièrement le propos de ma collègue Monique Lubin, et je vous invite à cesser cette mascarade sur les intentions réelles de ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voterons cette motion tendant à opposer la question préalable. Cela n’étonnera personne, me semble-t-il !
L’argument selon lequel il y aurait là des opportunités d’activité me laisse perplexe. Il faut clarifier, déjà : source d’activité, peut-être, mais pas source d’emploi… Les mots ont un sens.
De plus, rien ne garantit que l’activité en question soit rentable : aucune plateforme n’a pour l’instant fait la démonstration de sa rentabilité, et on en a même vu disparaître du jour au lendemain, en un clic, avec les milliers de travailleurs qu’elles employaient.
Vous nous parlez d’opportunité d’activité. Mais nos acteurs économiques, petits patrons, commerçants, artisans ont sacrément d’autres contraintes que les plateformes numériques de travail !
M. Olivier Jacquin. Absolument !
M. Pascal Savoldelli. Ils assument des responsabilités sociales, eux ; ils ont des charges, ils prennent des risques autres que ceux qui dirigent les plateformes.
Attention, donc, mes chers collègues, surtout sur les travées qui me font face : le débat sur le tiers-statut masque l’apparition d’une concurrence faussée si l’on continue à suivre de manière aveugle le modèle social et économique des plateformes numériques.
Sur le prix, madame la ministre, nous n’arrivons pas à être écoutés. Vous arrivez aujourd’hui avec des amendements pour contrer à la fois ceux de la commission et de l’Assemblée nationale. C’est : « parlez toujours, le Gouvernement ne bougera pas ! » Le débat à l’Assemblée nationale n’aura servi à rien, puisque vous revenez avec des amendements. Quant aux propositions qui ont fait l’objet d’un accord unanime au sein d’une mission sénatoriale, elles ne vous feront pas bouger davantage.
M. le président. Il faut conclure.
M. Pascal Savoldelli. Tout cela pour conclure que le prix sera défini dans une future ordonnance. Par quel gouvernement ? Le vôtre ? Un autre ? Et vous nous dites qu’il faut aller vite ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Brigitte Devésa. (Mme Sylvie Vermeillet applaudit.)
Mme Brigitte Devésa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de saluer notre rapporteur, Mme Frédérique Puissat, pour la clarté de son rapport et l’esprit de lucidité qui en émane.
Madame la ministre, à l’Assemblée nationale, vous avez déclaré que l’on ne pouvait s’opposer à ce texte, « ni par idéologie ni par principe. » Mais l’idéologie et les principes sont derrière chaque choix politique et économique !
La sécurité sociale, les congés payés ont été d’abord des principes avant d’être reconnus, plus tard, comme des choix politiques considérés comme relevant du pragmatisme. La dignité, l’épanouissement au travail et par le travail nécessitent de faire appel à de profondes convictions.
Les travailleurs indépendants qui recourent aux plateformes, souvent par la microentreprise, comme principale activité ou comme complément d’activité, adhèrent, plus ou moins consciemment, à une forme de travail porteuse de précarité sociale. Cette précarité repose sur un principe simple : un déséquilibre de la relation contractuelle entre le travailleur indépendant et la plateforme.
Derrière ce modèle, accepté autant par les travailleurs indépendants que par certains consommateurs, il y a le choix du moindre mal, c’est-à-dire : tout plutôt que le chômage.
Ce choix mérite d’être reconnu, accompagné, voire valorisé, mais ne pourrions-nous pas, madame la ministre, identifier ces travailleurs et reconnaître leur bonne volonté en leur proposant davantage de formations, ou tout autre type d’accompagnement qui leur serait bénéfique ?
Comment ne pas être convaincu par le fait que le modèle économique des plateformes aura permis, comme le souligne Frédérique Puissat, un recours plus facile à l’emploi ?
Les plateformes auront offert à de nombreux jeunes travailleurs sans formation, et parfois éloignés du marché du travail, l’opportunité d’exercer une activité professionnelle.
Tout laisse à croire que ce modèle économique s’étendra à d’autres secteurs d’activité.
En 2008, le secrétaire d’État Hervé Novelli indiquait : « Quel meilleur ascenseur social que l’autoentreprise ? Elle ne nécessite ni moyens, ni diplômes, ni relations. »
Seulement, au-delà de la belle aventure entrepreneuriale, le Président de la République, Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, faisait le triste aveu suivant : « Disons-le, notre défaite collective, c’est que les quartiers où Uber embauche, ce sont des quartiers où nous, on ne sait rien leur offrir. »
Madame la ministre, comptez sur nous pour rappeler au Gouvernement que si la lutte contre le chômage doit passer par le dumping social au détriment de la prévention, de la sécurité, de la santé et du bien-être des travailleurs, les Français auront du souci à se faire. L’injonction consistant à limiter les droits au nom de la lutte contre le chômage a évidemment ses limites.
Il n’a pas fallu attendre quatre ans après l’apparition d’Uber en France, en 2012, pour que la loi appelle à la « responsabilité sociale » des plateformes, permettant la prise en charge, directe ou indirecte, d’une assurance couvrant le risque d’accident du travail ou la contribution à la formation professionnelle.
En 2018 et en 2020, la Cour de cassation a reconnu à un livreur, puis à un chauffeur de plateforme le statut de salarié. Ces deux arrêts majeurs constatent le pouvoir de contrôle et de sanction reconnu aux plateformes, « pouvoir » qui qualifie en droit la relation de subordination salariale. Ils font écho à des décisions de requalification prises dans d’autres États, de la Californie, où est né Uber, à l’Italie, en passant par le Royaume-Uni.
Car oui, rappelons-le, des pays plus libéraux que le nôtre, comme les Pays-Bas ou la Suisse, sont allés plus loin dans la protection des travailleurs indépendants des plateformes. Nous vous encourageons à poursuivre l’effort.
Madame la ministre, avec ce projet de loi, qui pose les bases d’un dialogue social structuré entre plateformes et travailleurs indépendants, vous ajoutez une pierre à l’édifice.
L’ordonnance permet notamment d’accompagner le dialogue social, d’organiser les élections professionnelles, d’établir les listes électorales, de financer la formation des représentants et de promouvoir le dialogue social. Nous saluons cette avancée, même si nous aurions espéré que l’ordonnance soit étendue à d’autres secteurs.
La création de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE), chargée de réguler le dialogue social entre travailleurs indépendants et plateformes, permettra, nous l’espérons, aux indépendants de défendre un statut auxquels ils sont attachés et d’acquérir des droits nouveaux en matière de protection sociale.
Pour autant, nous le savons, les conditions du dialogue social et des négociations sont le corollaire d’un rapport de force qui n’est pas favorable aux travailleurs indépendants. Cela nous permet de comprendre pourquoi les plateformes saluent votre ordonnance. Il est par conséquent important de garantir un dialogue social équilibré et de donner corps à ces négociations.
Cela passera par la définition d’un socle restreint de thèmes de négociations obligatoires et par la possibilité donnée à chaque secteur de déterminer les thèmes supplémentaires et de préciser les conditions pour être électeur, afin d’éviter que les travailleurs n’exercent deux fois leur droit de vote et ne choisissent le secteur dans lequel ils l’exercent.
Le présent projet de loi est discutable sur la forme et incomplet sur le fond. Les orientations envisagées dans les dispositions de l’ordonnance, mieux encadrées par notre commission des affaires sociales, semblent aller dans le bon sens.
C’est pourquoi le groupe Union Centriste, que je représente, votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, je souligne l’urgence pour le législateur de réguler des questions ayant trait à la numérisation de notre société, tant celle-ci subit des transformations majeures à un rythme de plus en plus rapide.
Il relève ainsi de l’évidence que l’importance croissante des plateformes numériques participe à une modification substantielle de la structure de notre économie, qu’il s’agisse de la communication, de la consommation ou du travail. Et c’est bien là toute la légitimité de l’intervention du législateur, dans la mesure où les droits des travailleurs ne peuvent pas rester à la traîne des mutations systémiques de l’économie.
De nombreuses questions se posent donc en filigrane. Comment garantir une protection sociale optimale à ces travailleurs que le droit a du mal à qualifier ? Comment appréhender la nature de la relation contractuelle entre les plateformes et ces travailleurs ? Comment mettre en place les conditions d’un réel dialogue social lorsqu’émerge un nouveau secteur ?
Dans ce contexte, le texte que nous examinons aujourd’hui vise à autoriser la ratification d’une ordonnance relative au dialogue social entre les plateformes numériques et les travailleurs qui y ont recours.
Pour rappel, le processus de régulation des plateformes a débuté en 2016 avec la loi El Khomri, qui consacre leur responsabilité sociale. Depuis lors, ces dernières prennent en charge les assurances couvrant les risques d’accidents du travail ou encore participent financièrement aux formations des travailleurs indépendants. Le processus s’est poursuivi avec la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM), qui permet aux travailleurs de gérer leur planning de travail ou de pouvoir se déconnecter des plateformes lorsqu’ils le souhaitent.
Le présent projet de loi s’inscrit donc dans cette dynamique. Il vise à mettre enfin en place le dialogue social entre les plateformes et les travailleurs indépendants, notamment au travers de la création de l’ARPE, de la définition des règles de représentativité des plateformes ou encore de l’introduction d’une obligation de formation et de consultation des plateformes au bénéfice des travailleurs qui y recourent. Malgré leur statut en marge des catégories classiques du droit du travail, ces travailleurs vont donc bénéficier de règles tendant vers le droit commun.
En somme, mes chers collègues, le texte viserait à restructurer favorablement l’asymétrie qui caractérise la relation entre les plateformes et les travailleurs indépendants.
Bien que l’intention de lutte contre la fragilité et la précarité des travailleurs indépendants concernés semble claire, je m’interroge sur l’efficacité du dispositif à l’étude. Madame la ministre, votre projet de loi décompose temporellement en deux parties le dialogue social ; d’abord sectoriel, celui-ci devient par la suite individuel, au sein de chaque plateforme.
Comment assurer aux travailleurs que les accords de secteur et les accords de plateformes resteront cohérents ? Ne risque-t-on pas de miter les avancées sociales promises par ce texte ? N’oublions pas que le législateur doit permettre le développement des plateformes en garantissant l’évolution des droits sociaux de tous les travailleurs, sans distinction. Si la loi est la même pour tous, les droits des travailleurs indépendants doivent être les mêmes.
Notre groupe tient également à rappeler l’importance de l’intégration des partenaires sociaux dans tout type de négociations. Nous appelons le Gouvernement à être attentif à leur juste mise en relation avec l’ARPE.
Quoi qu’il en soit, l’objectif de régulation du texte reste compréhensible et permet d’avancer relativement dans la construction du dialogue social. Dommage qu’il s’effectue par ordonnance. Cette procédure ne peut remplacer le nécessaire travail parlementaire et les solutions plus rassurantes et étayées qui auraient pu être proposées dans ce cadre.
Notre groupe se partagera. La plupart de ses membres voteront pour ou s’abstiendront, mais quelques-uns, qui considèrent le dispositif encore trop fragile, voteront contre.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Monique Lubin a brillamment et parfaitement exposé les arguments de fond qui justifient notre position. Je la remercie, et je remercie mes collègues de la commission des affaires sociales de me permettre de poursuivre en leur nom et avec eux le travail engagé depuis nos recours constitutionnels gagnés sur la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel en 2018 et la LOM en 2019.
Je ne pourrai donner la position de mon groupe sur ce texte sans avoir préalablement mis en évidence le piège qui nous est tendu : cette construction par ordonnances croisées vise à créer un tiers-statut, alors que l’on prétend l’inverse en indiquant vouloir améliorer la situation de travailleurs précaires par le dialogue social.
Madame la ministre, n’êtes-vous pas étonnée que, dans les deux assemblés, toute la partie gauche de l’hémicycle soit radicalement opposée à un texte présenté comme censé améliorer le dialogue social ? C’est qu’il y a un loup. Et cela ne tient pas seulement au fait que, tout en prétendant vous faire le chantre du dialogue social, vous écrasez une nouvelle fois le Parlement par une double ordonnance. Je ne sais d’ailleurs ce qu’en dirait Jean-Pierre Sueur, qui a récemment fait adopter ici à la quasi-unanimité une proposition de loi constitutionnelle tendant à limiter le recours à cette nuisible pratique dans laquelle votre gouvernement excelle.
Le rapport de Pascal Savoldelli, intitulé Plateformisation du travail : agir contre la dépendance économique et sociale, adopté à l’unanimité, a clairement mis en évidence que le secteur des livreurs et VTC était l’arbre qui cachait la forêt. La gangrène de la plateformisation du travail s’étend à de nombreux secteurs du fait du dévoiement du statut d’autoentrepreneur. Il est urgent de la contrôler à travers une puissante autorité indépendante, pas cette ARPE, dont les faibles attributions ont encore été réduites en commission. De même, il convient d’avancer sur la régulation de l’algorithme, dont vous ne dites rien. C’est tout le sens des propositions formulées dans une tribune que je cosigne aujourd’hui dans le journal Le Monde avec des chercheurs, syndicalistes et juristes de renom, dont l’avocat Jérôme Giusti, qui est présent en tribune.
Alors que nous dressons tous peu ou prou les mêmes constats sur les dérives de la plateformisation, je reviens sur vos intentions. Elles ont été parfaitement révélées par la rapporteure du texte à l’Assemblée nationale, qui énonce clairement que l’objectif est de « réduire le faisceau d’indices susceptibles de révéler l’existence d’un lien de subordination, tel que celui-ci est défini par la jurisprudence, entre les plateformes et les travailleurs, de telle sorte que “les risques de requalification de leur contrat commercial en contrat de travail” soient limités ». Tout est dit ! Il ne faut pas se cacher.
Dans ces conditions, il est – je pèse mes mots – perfide de qualifier de « dialogue social » l’octroi de quelques menus droits aux indépendants fictifs pour s’assurer qu’ils ne puissent pas être requalifiés. Monique Lubin l’a parfaitement révélé en dénonçant les articles 50 bis et 50 ter du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui ont exactement le même dessein : réduire le « faisceau d’indices ».
Madame la ministre, quand la Cour de cassation, le 4 mars 2020, puis la cour d’appel de Paris, le 16 septembre 2021, parlent d’indépendance fictive, donc d’illégalité, vous y voyez un « risque pour le modèle économique des plateformes ». Vous continuez de vouloir plus protéger les plateformes que les travailleurs qu’elles emploient. Ce n’est pas une position d’équilibre. Et je ne caricature en rien ; j’énonce simplement des faits.
Vous vous déclarez opposée à un tiers-statut ? Pourtant, vous l’introduisez insidieusement et patiemment. Ce texte permet de sortir de l’ambiguïté. Ceux qui le voteront ne pourront plus dire qu’ils n’en voulaient pas !
À ce sujet, je ne comprends pas votre position, madame la rapporteure. Voilà dix-huit mois, dans un rapport intéressant, vous vous opposiez, comme presque tous les groupes du Sénat, au tiers-statut. Mais, aujourd’hui, vous êtes à peine sibylline. Vous avez ainsi déclaré en commission : « Ce troisième statut est-il un bien ? Je ne veux pas le créer, mais il se fait. » Nous savons tous qu’il ne vaudra pas seulement pour les livreurs et les chauffeurs de VTC : la jurisprudence l’élargira progressivement aux autres champs de la plateformisation.
C’est votre méthode, madame la ministre : partir de quelque chose de très limité en sachant que la jurisprudence en étendra le champ d’application.
Dès lors, madame la rapporteure, si vous êtes réellement contre une telle évolution, comment comprendre que vous ne l’empêchiez pas ? Vous paraissez à moitié consentante, convertie au « en même temps ». Je vous le dis : vous y êtes favorable, et vous allez le révéler par votre vote !
Madame la ministre, depuis trois ans que je travaille sur ce dossier, je vous interroge régulièrement sur l’État de droit. Que faites-vous contre les plateformes qui s’affranchissent de nos règles et s’exonèrent du code du travail ? Quelle distorsion de concurrence, pourtant !
Que faites-vous pour assurer une égalité de traitement entre les petites entreprises, qui payent leurs cotisations à l’Urssaf et se font contrôler régulièrement par l’inspection du travail, et les plateformes, qui sont dispensées de ces obligations ?
Et que faites-vous concrètement pour lutter contre le travail dissimulé, qui ne se cache même plus avec le développement des sous-locations de comptes en cascade ?
Vous ne faites pas respecter le droit du travail ! Pire, vous venez nous parler de dialogue social dans ces conditions !
Précisément, cette deuxième ordonnance, qui est des plus baroques, interpelle tant sur son contenu que par son calendrier.
En effet, les travailleurs auraient dû élire des représentants sans connaître l’objet et le contenu des futurs accords qu’ils auront à négocier. Vous leur promettez donc à présent qu’ils pourront discuter, notamment, des rémunérations. Mais comme vous nous dites que ces travailleurs sont des indépendants, vous confirmez qu’ils sont juridiquement des entreprises. Comment, dès lors, les autoriser à se regrouper pour aller négocier ?
À l’instar du Conseil d’État, qui évoque une « applicabilité incertaine », nous contestons la conformité de cette disposition avec le droit de la concurrence, notamment régi par l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tant que ce droit n’a pas bougé.
Mais d’autres interrogations demeurent. Qu’en est-il concrètement des conditions de représentation des plateformes ? Seront-elles représentatives selon leur chiffre d’affaires, comme vous l’avez évoqué à l’Assemblée nationale ? Cela me semblerait un dispositif étonnant. Y aura-t-il une pondération selon le nombre de travailleurs inscrits ? Il y a des dizaines de critères qui méritent un vrai débat parlementaire. Et je ne parle même pas des travailleurs qui se feraient déconnecter quelques jours avant les votes, de sorte que l’audience des plus influents soit réduite !
Chers collègues, ne faites pas le choix de la précarité contre un peu d’activité, car d’autres modèles existent. Regardez les plateformes Take Eat Easy ou Gorillas, qui embauchent en contrat à durée indéterminée, parce que le modèle de livraison avec des autoentrepreneurs est dévoyé et dégradé. Regardez l’Espagne, qui a mis en place la présomption de salariat, solution que nous, sénateurs socialistes, prônions ici dans notre proposition de loi rejetée au mois de mai.
Mais surtout, regardez le Parlement européen, qui reprend également dans sa résolution du 16 septembre la présomption de salariat et l’inversion de la charge de la preuve en matière de requalification. Ce rapport a été remis par Sylvie Brunet, députée européenne En Marche, et voté par une très large majorité, dont une bonne partie des membres du parti populaire européen (PPE) ! Et je me réjouis d’entendre que le commissaire européen Nicolas Schmit devrait reprendre les grandes orientations de cette résolution dans le projet de directive sur les travailleurs des plateformes qu’il présentera le 8 décembre.
En cohérence avec ce que Monique Lubin et moi-même avons exposé, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a déposé des amendements de suppression sur chacun des trois articles du projet de loi. Vous l’aurez compris, en cas de rejet de nos amendements, nous voterons contre ce texte dangereux pour notre modèle social, dangereux pour la valeur travail, qu’il abaisse, dangereux par les distorsions qu’il crée dans l’économie. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un cheval de Troie contre nos valeurs de solidarité et de justice. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un rendez-vous presque régulier : ces derniers mois, nous avons en effet eu l’occasion de débattre ici de plusieurs propositions de loi relatives aux conditions de travail et à la représentation des travailleurs indépendants des plateformes.
La dernière d’entre elles, déposée sur l’initiative de nos collègues socialistes, prévoyait – c’était au mois de mai dernier – d’étendre les actions de groupe aux procédures de requalification et de supprimer la présomption de non-salariat en cas de management algorithmique.
Nous nous étions opposés à de telles dispositions au motif qu’en ce qui concerne les actions de groupe, il existait autant de cas de figure que de plateformes et de travailleurs et qu’une solution unique ne nous semblait pas adéquate. Nous avions également avancé que les décisions des différentes cours d’appel et des conseils de prud’hommes avaient démontré que le droit existant répondait déjà en partie aux attentes des travailleurs, puisqu’il assure la prise en compte du caractère unique de chaque situation. Il nous semblait enfin abusif de considérer que la requalification des travailleurs était une demande pleinement partagée. Il apparaît en effet clairement qu’une majorité des travailleurs indépendants souhaitent conserver l’agilité que leur permet ce statut, motif pour lequel nous avions également souhaité conserver la présomption de non-salariat.
Pourtant, même si nous n’adhérons pas à la méthode qui était alors proposée, il nous apparaît urgent de faire évoluer le cadre juridique qui gouverne les relations professionnelles entre les plateformes et les travailleurs indépendants, en particulier dans le secteur des voitures de transport avec chauffeur et celui de la livraison.
Le développement exponentiel de ces plateformes et du nombre de travailleurs qui y ont recours appelle en effet une réponse rapide de la part du législateur et un dialogue social renforcé, seul à même, selon nous, d’assurer aux travailleurs des plateformes numériques les droits et la souplesse que leur statut d’indépendant leur garantit.
Dans la lignée de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels et de la LOM, qui ont introduit de nouvelles garanties au bénéfice des travailleurs indépendants, et sur les recommandations du rapport de Jean-Yves Frouin, le Gouvernement a décidé de revoir en profondeur par voie d’ordonnance les modalités de représentation des travailleurs indépendants. C’est cette nouvelle ordonnance du 21 avril 2021 qu’il nous est proposé aujourd’hui de ratifier.
L’article 1er du projet de loi prévoit ainsi la création de trois nouveaux chapitres au sein du code du travail. Il instaure un dialogue social entre les plateformes et les travailleurs qui les utilisent au sein de deux secteurs d’activité : les véhicules de transport avec chauffeur (VTC) et les activités de livraison. Il crée par ailleurs l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi, chargée de réguler les relations sociales entre les plateformes et les travailleurs indépendants.
L’article 2 prévoit l’habilitation du Gouvernement à prendre des mesures par voie d’ordonnance, afin de préciser la structuration du dialogue social entre les plateformes numériques de mobilité et les travailleurs indépendants, avec pour objectif de finaliser le cadre d’un nouveau dialogue social dans les mois à venir.
En commission des affaires sociales, le Sénat est revenu sur plusieurs dispositions d’un texte que nous pensions pourtant équilibré. Il a adopté la réduction de douze à six mois de l’habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social des plateformes. De même, la commission a souhaité revoir l’ambition de l’ARPE en supprimant notamment son rôle de médiateur en cas de différends entre les plateformes et leurs travailleurs.
La majorité sénatoriale a, par voie de conséquence, souhaité inscrire directement dans le projet de loi les domaines et la périodicité de la négociation collective au niveau de chacun des secteurs d’activité concernés par la mise en place d’un dialogue social.
Nous regrettons ces modifications, qui, dans les faits, retarderont en plus de contraindre la structuration du dialogue social entre les plateformes numériques et les travailleurs indépendants qui y ont recours, et ce alors même que, selon nous, le temps est compté.
Nous regrettons également la suppression du rôle de médiateur de l’ARPE, suppression qui laisse un vide, si ce n’est un flou, que la nouvelle rédaction ne nous semble pas combler. Les missions de médiation et d’expertise de l’ARPE nous apparaissent en effet particulièrement utiles pour accompagner la mise en place d’un dialogue social équilibré et constructif, capable de garantir agilité et protection.
J’ajouterai qu’il est crucial de finaliser le cadre de ce dialogue social avant le début de l’année 2022, afin que les premières élections des représentants des travailleurs des plateformes puissent avoir lieu.
C’est pourquoi notre groupe votera les amendements de rétablissement déposés par le Gouvernement. Il se prononcera a fortiori en faveur de ce projet de loi de ratification et d’habilitation, qui, malgré les modifications apportées par le Sénat, demeure une étape indispensable au renforcement du cadre juridique qui entoure les relations entre les plateformes et les travailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis quelques années, nous assistons, en France et dans le monde, au développement exponentiel des plateformes numériques mettant en relation les travailleurs indépendants fournissant un service et les clients. Le terme « ubérisation » est d’ailleurs entré dans le dictionnaire.
La crise sanitaire a été un accélérateur, notamment durant les périodes de confinement. Elle a entraîné le développement des applications de livraison alimentaire en deux-roues.
La livraison de commandes à domicile constitue un nouveau mode de consommation. Il en est de même pour le transport, avec l’explosion du recours aux VTC dans les grandes villes. L’arrivée de ces plateformes est ainsi venue remettre en cause nos conceptions classiques du travail.
En effet, l’essor de ces nouveaux services a quelque peu dérouté les gouvernants et le législateur, car aucun texte ne prévoyait d’encadrement juridique et social de ces situations d’emploi très hétérogènes.
Tout à l’heure, notre collègue Pascal Savoldelli se demandait s’il fallait parler d’« emploi » ou d’« activité ». Encore une fois, les situations sont effectivement hétérogènes. Pour un chauffeur Uber, qui achète un véhicule et doit le rembourser – toute sa vie est organisée autour de cela –, on peut parler d’emploi. Pour un livreur Uber Eats, qui prend son vélo quelques heures dans la journée ou dans la semaine, il s’agit peut-être plus d’une activité que d’un emploi.
La France s’est progressivement dotée d’un dispositif législatif permettant de réguler les plateformes et de protéger les travailleurs qui y ont recours. Bien entendu, comme cela a été souligné, il reste beaucoup à faire.
D’ailleurs, à un moment où notre pays est confronté à des difficultés de recrutement dans un certain nombre de secteurs et où il y a des débats sur la conception et la valeur du travail, nous pouvons noter que malgré une protection sociale quasi inexistante, des salaires peu élevés et des horaires compliqués, le secteur se développe et crée de l’activité. Cela tient, me semble-t-il, à la notion de souplesse. Les personnes qui exercent une telle activité m’ont indiqué apprécier pouvoir se connecter quelques heures à la plateforme et donner de leur temps pour travailler et être rémunérées. Mais la contrepartie de cette souplesse doit être l’existence d’un cadre et de protections indispensables à tous les travailleurs, fussent-ils des indépendants.
Ainsi, la loi El Khomri a instauré en 2016 la responsabilité sociale des plateformes à l’égard des travailleurs indépendants recourant à ces plateformes. Cela s’est traduit par la prise en charge d’une assurance couvrant le risque d’accident du travail et de la contribution à la formation professionnelle ou des frais d’accompagnement des actions de formation permettant de faire valider les acquis de l’expérience.
Il a également été reconnu à ces travailleurs le droit de constituer en organisation syndicale, d’y adhérer et de faire valoir par son intermédiaire leur intérêt collectif.
La loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 a établi une charte déterminant les droits et obligations des plateformes, ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elles sont en relation. Et elle a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures concernant les modalités de représentation des travailleurs indépendants et les conditions d’exercice de cette représentation.
Largement inspirée par les recommandations de la mission Mettling, l’ordonnance arrête les règles relatives à la représentation des travailleurs concernés et charge la nouvelle ARPE de la régulation des relations sociales entre les plateformes et les travailleurs indépendants.
Si l’émergence et le développement de nouvelles formes de travail ouvrent des perspectives économiques nouvelles, ils engendrent également des défis sociaux nouveaux. Cela nécessite une adaptation de notre droit, afin de garantir un dialogue social équilibré.
Aussi, le groupe Les Indépendants – République et Territoires est favorable à l’objectif visé dans le projet de loi.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Chantal Deseyne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre groupe partage le constat effectué par notre rapporteur : le développement rapide des plateformes répond à la fois à une demande des utilisateurs et au souhait d’indépendance exprimé par certains actifs, qui peuvent ainsi éviter la subordination et les contraintes liées au statut de salarié. Il permet également à des travailleurs peu qualifiés d’exercer une activité. Mais ces travailleurs ne sont ni tout à fait des travailleurs indépendants, compte tenu de l’absence de liberté dont ils disposent généralement dans l’exécution de la prestation ou dans la fixation de son prix, ni vraiment des salariés, en raison de l’absence de pouvoirs de direction de la plateforme à leur égard. De ce fait, la protection sociale dont ils bénéficient est lacunaire. Notamment, elle ne comprend pas la protection contre le risque d’accident du travail ou l’assurance chômage.
Aucune solution juridique n’a été trouvée, pour l’heure, à ce problème.
Le Sénat s’est emparé du sujet à plusieurs reprises. Ainsi, le remarquable rapport de nos collègues Frédérique Puissat, Catherine Fournier et Michel Forissier recommandait, en mai 2020, le développement d’un dialogue social et d’une représentativité des travailleurs et des plateformes.
Dépasser la question du statut pour développer le dialogue social entre travailleurs et plateformes permettrait, en effet, de répondre de manière pragmatique au besoin immédiat de protection sociale de ces travailleurs.
Nous nous réjouissons que le présent texte vienne concrétiser ces propositions, même si nous regrettons que le calendrier retenu par le Gouvernement interfère avec les travaux menés au niveau européen, ce pour s’inscrire dans la période préélectorale.
Sur la forme, nous sommes opposés au recours aux ordonnances, qui dessaisit le Parlement de ses compétences.
L’article 1er ne soulève pas de difficultés, car il prévoit la ratification de l’ordonnance du 21 avril 2021 relative à la représentation des travailleurs, dont nous connaissons et approuvons le contenu.
Le champ de l’habilitation prévu à l’article 2 est, en revanche, beaucoup plus large et indéterminé. Des amendements adoptés en commission ont permis de l’encadrer strictement. Nous pouvons donc approuver son contenu resserré.
Conformément à la LOM, ce projet de loi représente une première étape consistant à organiser un dialogue social dans les deux secteurs de la conduite de VTC et de la livraison en véhicule, les travailleurs en relation avec des plateformes y étant exposés à des risques particuliers et à une certaine précarité.
Le rapport sénatorial de mai 2020 proposait le choix de thèmes de négociation obligatoires, tels que la fixation du tarif, le développement des compétences et la prévention des risques professionnels.
Je tiens ici à saluer la qualité du travail de notre rapporteur, qui a complété le projet de loi, en introduisant ces thèmes dans un nouvel article 3 adopté en commission. Cette disposition, une fois inscrite dans la loi, assurera une négociation tous les quatre ans, voire de façon plus rapprochée, à défaut d’accord encadrant la négociation.
Nous ne suivrons pas le Gouvernement dans sa volonté d’organiser un dialogue social au niveau de chaque plateforme – ce qui est prématuré – ni dans son souhait de rétablir le champ de son habilitation, qui visait des aspects non mentionnés par la loi LOM et dessaisissait le Parlement.
Nous nous opposons également à la réintroduction d’amendements qui tendraient à faire de l’ARPE une agence de régulation des secteurs économiques des plateformes de VTC et de livraison.
Enfin, il nous semble important d’éviter toute perte de temps dans l’organisation du dialogue social de secteur. En conséquence, nous souhaitons le maintien d’un délai non de douze mois, mais de six mois pour la durée de l’ensemble de l’habilitation prévue à l’article 2.
L’étape fondamentale que nous franchissons aujourd’hui repose sur le poids donné à la négociation collective. La mise en place de ce dialogue social permet de dépasser le débat sur le statut des travailleurs des plateformes et d’avancer.
Notre groupe soutiendra votera le présent projet de loi.
Permettez-moi, pour terminer, de saluer les élus de Gironde présents en tribune. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du GEST. – M. Olivier Jacquin applaudit également.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons peut, à certains égards, apparaître comme un progrès pour les travailleurs des plateformes.
Depuis la reconnaissance des associations de travailleurs en syndicat, nous attendions, en effet, un texte permettant d’encadrer les modalités du dialogue social. Mais la négociation sans droits sociaux à négocier n’est pas une avancée.
Certes, les travailleurs disposent désormais d’un cadre régissant le dialogue social. Pour autant, ils n’ont toujours pas de salaire minimum, toujours pas de protection contre les licenciements par déconnexion de la plateforme, toujours pas d’encadrement de la durée maximale de travail, toujours pas de congés ni de jours de repos garantis et rémunérés.
Nous sommes donc appelés aujourd’hui à ratifier une ordonnance volontairement vide, puisqu’elle renvoie les conditions de travail à la négociation collective, sans protéger les travailleurs ni corriger, surtout, les inégalités de rapport de force entre les plateformes et les travailleurs.
Sans institutions publiques et juridiques protectrices, rien ne contrebalance le poids prépondérant des plateformes face à leurs subordonnés. J’utilise ici à dessein le terme de « subordonnés », car c’est bien une relation de subordination qui qualifie les rapports entre les travailleurs et les plateformes.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
Mme Raymonde Poncet Monge. Cette relation de subordination devrait nous conduire, tout en respectant l’aspiration légitime de ces travailleurs à l’autonomie, à les considérer comme des salariés jouissant de droits sociaux pleins et entiers.
La véritable raison pour laquelle les plateformes ne veulent pas entendre parler de salariat réside dans leur modèle économique, dont les fondements reposent non pas sur la rentabilité économique, mais sur les mannes de fonds d’investissement qui leur permettent de croître rapidement, d’entrer en bourse, de capitaliser sur leur valeur boursière et de distribuer des dividendes.
Comme la bulle internet des années 2000, cette bulle risque bien d’éclater un jour. Aucune richesse n’est produite et, comme le disait Naomi Klein dans No Logo : la tyrannie des marques, « les entreprises prospères doivent d’abord produire des marques plutôt que des marchandises ».
En la matière, la variable d’ajustement est toujours le travailleur, qui voit le tarif de ses prestations fluctuer selon le bon vouloir des plateformes, et qui se paupérise.
Si la « start-up nation » est dopée à l’imaginaire du « solutionnisme technologique » et de l’innovation numérique, pour les travailleurs, il s’agit en réalité, comme le disait Jacques Ellul, d’un « bluff technologique ».
Dans son ouvrage éponyme, ce dernier écrivait en 1988 que l’intrusion de l’informatique dans les rapports de production risquait de « faire glisser la classe ouvrière entière vers la précarité, la fluidité imposée, l’instabilité de l’emploi et la multiplication des formes de travail précaire ». Nous y sommes.
Sous couvert d’innovation technologique en faveur de l’autonomie, la gig economy réinstaure le salaire à la pièce, qui avait prospéré au XIXe siècle et qui consistait à rémunérer les ouvriers des manufactures à la pièce produite plutôt qu’au temps horaire.
Retour au XIXe siècle, donc, quand Marx écrivait qu’il s’agissait là de la forme la plus optimale du capitalisme, car elle précarise les travailleurs à qui l’on propose des prix toujours plus faibles pour chaque pièce, tout en maximisant les profits.
Ce tâcheronnage à la pièce, comme au XIXe siècle, est le sort actuel des livreurs et celui des 250 000 microtravailleurs liés, en France, à d’autres plateformes que ce projet oublie d’ailleurs totalement.
En 1848, la République du Printemps des peuples – puisque nous sommes de nouveau au XIXe siècle désormais – avait interdit le recours au salaire à la pièce. Voici qu’il revient, en 2021, en se faisant passer pour une solution futuriste, innovante, enviable pour les travailleurs.
Or l’« ubérisation » n’est pas le futur. C’est la destruction des conquis sociaux.
Pour les écologistes, il n’existe pas de dignité au travail sans droits sociaux, de négociation sans protection, d’encadrement des conditions du dialogue social sans un débat démocratique au Parlement, dialogue que le Gouvernement esquive, une fois encore, par la voie du recours aux ordonnances.
Parce que ce projet de loi n’apporte pas la solution que pourrait être, selon nous, l’adaptation d’un statut salarié aux travailleurs des plateformes qui tienne compte de leur aspiration à l’autonomie, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’y opposera. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat a terminé, vendredi dernier, l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont l’article 50 bis était consacré aux travailleurs des plateformes.
Nous sommes aujourd’hui de nouveau sollicités sur le même thème, au travers de l’examen de ce texte relatif aux modalités de représentation des travailleurs indépendants.
Sans répéter les arguments exposés par Pascal Savoldelli lors de la présentation de la motion d’irrecevabilité, je regrette à mon tour que le Gouvernement recoure aux ordonnances pour légiférer sur le dialogue social des plateformes numériques.
Outre le fait que le Gouvernement organise, une fois de plus, le dessaisissement du Parlement, ce projet de loi néglige la question majeure du statut de ces travailleurs.
Il nous est proposé d’instaurer un cadre de dialogue social pour les travailleuses et les travailleurs des plateformes, mais uniquement des plateformes de mobilité, comme les chauffeurs VTC et les livreurs de repas.
Ces 50 000 travailleurs, qui ne disposent d’aucune garantie en matière de revenu minimum, de conditions de travail ou de protection sociale pourront donc élire des représentants, dont on peut se demander ce qu’ils pourront bien négocier.
Ce texte vise à sécuriser le modèle économique des plateformes et à éviter le risque de requalification salariale devant le juge, en renforçant le critère d’indépendance.
Cette position est en totale opposition – faut-il le rappeler ? – avec la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation qui, dans des arrêts en date du 28 novembre 2018 et du 4 mars 2020, a reconnu respectivement la qualité de salarié à un livreur de la plateforme Take Eat Easy et à un chauffeur Uber.
Ce texte ajoute une nouvelle pierre à l’édifice, en créant un cadre de dialogue social entre travailleurs et plateformes sans aborder la question de leur statut.
Il révèle, ainsi que le soulignait mon collègue Pascal Savoldelli, le manque d’ambition du Gouvernement, alors même que le rapport Frouin de décembre 2020 préconisait de clarifier le statut de ces travailleurs, en proposant plusieurs scénarios, parmi lesquels celui de la reconnaissance d’un statut de salarié.
Le présent projet de loi se résume à une tentative maladroite de s’inspirer du modèle du salariat en matière de négociation collective, sans pour autant appliquer aux travailleurs les protections minimales garanties par le code du travail.
En quelques années, les plateformes numériques se sont développées de manière rapide, révolutionnant nos manières de communiquer, de consommer et de travailler. Tels sont les enseignements qui figurent dans le rapport remis au Sénat, au nom de la mission d’information « Ubérisation de la société », par Pascal Savoldelli, qui a beaucoup travaillé sur cette question.
Cela étant, à quoi bon travailler, madame la ministre, puisque vous recourez sans cesse aux ordonnances et passez à la trappe le travail parlementaire ?
Le modèle économique des plateformes reste fragile. Il repose principalement sur la possibilité de mobiliser des travailleurs pour un coût social bien moindre que l’emploi de salariés.
Un représentant des plateformes de mobilité l’avouait récemment devant l’Assemblée nationale, à l’occasion d’une audition préparatoire à l’élaboration de ce texte : « Nous ne sommes pas profitables, nous sommes à la recherche d’un modèle économique. » Triste aveu d’un système économique qui précarise des milliers de travailleurs, sans pour autant atteindre la prospérité !
Ces constats appellent à une régulation des plateformes numériques permettant d’éviter la course au dumping social.
C’est pourquoi la priorité devrait être de reconnaître légalement le statut de salariés aux travailleurs des plateformes, ce qui aurait pour conséquence l’application entière des dispositions du code du travail. Telle est la voie que vient de prendre l’Espagne en adoptant, à l’été 2021, une législation affirmant le principe d’une présomption de salariat.
Cette solution aurait un triple mérite : clarifier juridiquement le statut de ces travailleurs au regard du droit du travail et de la protection sociale, améliorer leurs conditions de travail et leur rémunération et, enfin, reconnaître leur dépendance économique à l’égard des plateformes dans l’exercice de leur activité.
Pour l’ensemble de ces raisons, notre groupe votera contre ce projet de loi de ratification et d’habilitation. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. La volonté du Gouvernement, je le rappelle, est de permettre le développement de l’activité de ces plateformes – qui offrent de nouveaux services et créent des emplois (Exclamations et marques d’ironie sur les travées du groupe CRCE.) – tout en garantissant naturellement aux travailleurs un socle de droits.
La garantie de ce socle de droits passe non pas par un débat sur le statut des travailleurs, mais par l’organisation d’un dialogue social plus équilibré.
Tel est l’objet de l’ordonnance qu’il vous est proposé de ratifier et des habilitations qu’il vous est proposé de voter.
Je précise que nous ne sommes pas en train de faire du travail des plateformes l’alpha et l’oméga du travail en France.
M. Pascal Savoldelli. Encore heureux !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Nous pouvons nous réjouir de compter aujourd’hui 800 000 emplois salariés de plus qu’au début du quinquennat et près de 200 000 emplois salariés de plus qu’avant la crise sanitaire.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Allez donc tenir ces propos aux salariés de Bridgestone !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Nous agissons aussi en faveur du développement de l’emploi salarié et pour permettre à chacun d’accéder à un emploi.
J’en veux pour preuve le plan d’investissement dans les compétences – qui vise particulièrement les demandeurs d’emploi –, le plan récent de lutte contre les tensions de recrutement, le plan « 1 jeune, 1 solution » ou encore le contrat d’engagement jeune, dont nous aurons l’occasion, je pense, de reparler.
Permettez-moi de m’étonner de l’éloge qui vient d’être fait de la situation en Espagne. Je vous invite à regarder l’actualité récente dans ce pays.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous avons regardé !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Lesquelles ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. En conséquence, l’activité n’est plus là et le travail non plus.
S’agissant, par ailleurs, de la Grande-Bretagne, je vous invite à vous renseigner sur le statut de workers, qui n’est pas un statut salarié. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Avant d’effectuer des comparaisons avec les pays voisins, il convient, me semble-t-il, d’analyser précisément quelle en est la situation.
Monsieur le sénateur Jacquin, vous me suggérez de m’interroger sur le fait que cette partie gauche de l’hémicycle ne partage pas mon point de vue.
Je note que la partie gauche de l’hémicycle ne croit pas au dialogue social, et je le regrette. (Vives protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme Monique Lubin. Caricature !
M. Pascal Savoldelli. Ayez un peu de mémoire ! Souvenez-vous de vos fonctions antérieures !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je m’étonne, monsieur le sénateur Jacquin, que vous vous opposiez à une démarche qui s’inscrit dans la continuité des jalons posés par la loi El Khomri sur la responsabilité sociale des plateformes.
S’agissant du procès d’intention selon lequel nous voudrions empêcher toute requalification en emploi salarié, je vous mets au défi, monsieur Jacquin, de m’expliquer ce qui, dans ce projet de loi, pourra empêcher demain un juge de requalifier en salarié un travailleur qui ne serait pas réellement indépendant.
Soyez assuré, en outre, que nous agissons sur la question de la sous-location des comptes. À deux reprises, j’ai réuni les représentants des plateformes…
M. Olivier Jacquin. Pour les gronder ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. … pour leur signifier que nous n’acceptions pas cette pratique, laquelle peut conduire à du travail dissimulé de travailleurs en situation de fragilité. Nous leur avons demandé de prendre des mesures de nature à empêcher ces sous-locations de comptes et nous attendons des engagements de leur part avant la fin de cette année.
Madame la rapporteure, je suis de votre avis : il est préférable d’être le plus précis possible. Néanmoins, un temps de concertation avec les acteurs du secteur nous paraît nécessaire, avant de définir exactement le champ de la négociation sociale.
L’amendement n° 17 du Gouvernement va toutefois dans le sens que vous souhaitez : il encadre davantage l’habilitation, en précisant notamment que les thèmes de la rémunération, de la formation ou encore de la santé des travailleurs doivent évidemment entrer dans le cadre de la négociation.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à l’examen du texte de la commission.
projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes
Article 1er
I. – L’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation est ratifiée.
II (nouveau). – Le titre IV du livre III de la septième partie du code du travail est ainsi modifié :
1° L’article L. 7343-7 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les travailleurs qui remplissent la condition mentionnée au premier alinéa pour plusieurs secteurs d’activité mentionnés à l’article L. 7343-1 choisissent le secteur pour lequel ils exercent leur droit de vote. » ;
2° À l’article L. 7343-8, les mots : « de la condition définie » sont remplacés par les mots : « des conditions définies » ;
3° Au deuxième alinéa de l’article L. 7345-1, les mots : « des relations sociales » sont remplacés par les mots : « du dialogue social » ;
4° Au deuxième alinéa de l’article L. 7345-2, les mots : « un député et un sénateur, » sont supprimés.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, sur l’article.
M. Olivier Jacquin. Permettez-moi de répondre aux interventions de Mme la ministre et de Mme la rapporteure.
L’une des propositions de la mission d’information sénatoriale, d’ailleurs votée à l’unanimité, visait à recueillir des chiffres plus précis concernant l’« ubérisation » et la « plateformisation ».
Actuellement, quels sont en réalité les chiffres que nous avons à notre disposition, à l’appui de notre débat ?
On parle d’une étude selon laquelle 80 % des travailleurs ne souhaiteraient pas être salariés. Or il se trouve que cette étude vient de chez… Uber. Je veux bien que l’on écoute Uber, mais cela ne suffit pas !
De son côté, l’intersyndicale nationale VTC (INV) a publié une étude relatant des cas de déconnexion de travailleurs sans explication aucune. Il serait utile de se référer également à ce type d’études.
J’alerte donc sur ce point : nous manquons d’informations précises sur le périmètre considéré. Cela posera bien des problèmes lorsqu’il s’agira de définir qui détiendra le droit de vote dans cette affaire.
Madame la ministre, je prends avec humour votre interrogation quant au fait que la gauche de l’hémicycle ne souhaiterait pas le dialogue social…
Mme Cathy Apourceau-Poly. Soyons sérieux !
M. Olivier Jacquin. Je vous connais, je ne peux prendre cela autrement qu’avec humour, même si la situation est grave.
Madame la ministre, vous n’êtes pas Waldeck-Rousseau qui, en 1884, a permis aux syndicats d’exister librement. Certes, en tant que républicain, il n’a fait qu’acter l’évolution en cours. Il faudra ensuite attendre cinquante ans pour que soient obtenus les congés payés, en 1936. Or ces derniers l’ont été, non pas par le dialogue social, mais par des luttes et par des grèves, ensuite traduites dans la loi.
À cet égard, je vous invite à relire l’ouvrage Les Métamorphoses de la question sociale, dans lequel Robert Castel explique parfaitement ce processus.
Enfin, madame Puissat, le statut des travailleurs n’est pas évoqué dans ce texte.
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Olivier Jacquin. J’ai pourtant tenté de faire la démonstration que l’ensemble de ce texte porte sur le « faux statut ».
Vous nous empêchez de présenter notre proposition de présomption de salariat. Celle-ci reviendra par le biais européen, je l’espère.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 3 est présenté par Mme Lubin, MM. Jacquin et Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 8 est présenté par Mmes Apourceau-Poly et Cohen, M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 21 est présenté par Mme Poncet Monge, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon et Mmes Taillé-Polian et M. Vogel.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Monique Lubin, pour présenter l’amendement n° 3.
Mme Monique Lubin. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er. Je vous fais grâce d’un nouvel exposé du raisonnement que nous avons tenu, les uns après les autres à cette tribune.
Si nous souhaitons supprimer cet article, c’est simplement parce que, que vous le vouliez ou non, madame la ministre, il instaure de fait ce fameux tiers-statut que nous rejetons.
Plus l’on grave dans le marbre de la loi les conditions du dialogue social ou d’autres dispositions relatives aux travailleurs des plateformes, plus l’on donne corps, de fait, à ce nouveau statut.
Bien que le texte ne soit pas formulé ainsi, cette tendance me semble couler de source et c’est inacceptable.
L’appellation « travailleurs des plateformes » est peut-être absconse pour certains, mais nos débats portent exclusivement sur des conducteurs de VTC et des livreurs de repas.
Je veux bien tout entendre, mais va-t-on m’expliquer aujourd’hui que le fait de livrer des repas – sans vouloir être désagréable à l’égard des personnes exerçant cette activité, que je ne vise pas naturellement – correspond à une quelconque création de richesse ou à de la création d’emploi ?
L’emploi n’a pas vocation à asservir la personne ; il doit lui permettre de se réaliser.
Or aujourd’hui, vous le savez très bien, quand on pratique ce genre d’activités, c’est qu’on ne peut pas faire autrement.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Bien sûr !
Mme Monique Lubin. C’est une forme d’esclavage moderne que nous sommes en train d’inscrire dans la loi.
Nous demandons la suppression de cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 8.
M. Fabien Gay. Nous sommes également favorables – cela ne vous surprendra pas – à la suppression de cet article.
La seule question qui vaille, madame la ministre, est la suivante : pensez-vous sincèrement que le fameux dialogue social permettra d’apporter des réponses à toutes les questions qui sont posées sur la santé des travailleuses et des travailleurs, leur juste rémunération, leur protection sociale ou encore l’accès aux algorithmes ?
Personnellement, j’apprécie peu ce terme de « dialogue social ». En réalité, il y a un déséquilibre entre les salariés, les travailleuses et les travailleurs d’un côté et, de l’autre, le patronat. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, a été établi un code du travail, qui vise justement à réduire ce déséquilibre.
Je préfère employer le terme de « négociations sociales ». En effet, il ne peut y avoir négociation que s’il y a lutte des travailleuses et des travailleurs en vue de rétablir cet équilibre.
Le « dialogue social » est en fait l’équivalent des « plans de sauvegarde de l’emploi », qui n’ont jamais sauvegardé un seul emploi en France et qui ne désignent pas autre chose que des plans de licenciements.
Je vous repose la seule question qui vaille, madame la ministre : pensez-vous sincèrement que des jeunes précarisés – y compris des sans-papiers, Pascal Savoldelli l’a souligné et ce serait une autre question à vous poser, d’ailleurs – viendront s’asseoir à la table des négociations, aux côtés des dirigeants des plateformes numériques, et trouveront une solution à tous les problèmes que vous refusez de régler par la loi ?
À un moment donné, lorsqu’une question sociale est posée, il y a lutte et il est nécessaire d’en passer par la loi.
Depuis quatre ans et demi, vous avez eu l’occasion, madame la ministre, de traiter toutes ces questions. Elles sont sur la table. Nombre d’entre nous avons déposé des propositions de loi. La Cour de cassation, cela a été dit, a rendu, à juste titre, des décisions allant dans le sens d’une présomption de salariat. Or vous allez à l’encontre de cette jurisprudence !
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Fabien Gay. Madame la ministre, veuillez répondre à ma question : pensez-vous sincèrement que vous réglerez ces questions par le dialogue social ? Vous savez bien que non.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 21.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je le redis, si la volonté d’instaurer un minimum de dialogue social entre les parties est une nécessité, les dispositions de l’ordonnance renvoient les conditions de travail à la seule négociation collective – ou plutôt au « dialogue social » pour faire écho à l’intervention précédente – plutôt que d’en fixer le cadre dans la loi.
En cela, l’ordonnance maintient la fragilité de la position des représentants des travailleurs des plateformes, affaiblit la possibilité de réelles avancées quant à l’amélioration de leurs conditions de travail et renonce surtout à la transposition d’un certain nombre de droits sociaux susceptibles de les protéger par la loi.
Or l’instauration d’un dialogue social sans droits sociaux l’encadrant ne fait pas grand sens. Le rapport de force est, de fait, inégal, entre plateformes et représentants des travailleurs. Il le sera d’autant plus si nous renonçons à poser un cadre renforçant les capacités de négociation de ces derniers.
À cet égard, le rôle des institutions publiques aurait dû être de contrebalancer ces inégalités en protégeant les travailleurs par l’instauration de droits, et non d’abandonner les travailleurs face aux plateformes.
Plutôt qu’une ordonnance, le respect de la démocratie parlementaire aurait dû permettre que nous assumions nos responsabilités et que nous légiférions sur l’encadrement de ce dialogue social afin d’instaurer dans le code du travail, à défaut d’une présomption de salariat – quoique –, du moins des garde-fous visant à protéger ces travailleurs.
Nous sommes destitués de notre rôle. Encore une fois, les travailleurs font les frais de l’éviction de la démocratie sociale et parlementaire.
Nous demandons la suppression de cet article, dans l’attente d’une loi venant réguler l’activité des plateformes et protéger les travailleurs comme il se doit.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. La commission est opposée à la suppression de cet article.
Permettez-moi, monsieur Théophile, de revenir sur vos propos. Par rapport au texte du Gouvernement, nous n’avons procédé qu’à trois modifications : nous n’avons donc pas dénaturé complètement l’ordonnance et je voulais vous rappeler à la raison sur ce point.
Je me suis gardée, jusqu’ici, d’intervenir en réponse aux différents orateurs, mais là encore, sachons raison garder. C’est un sujet qui passionne. Ces plateformes sont aussi – je le dis très clairement – un marqueur politique.
Il suffit d’entendre un certain nombre d’entre vous ou de lire les différentes propositions de loi qui ont été déposées pour comprendre qu’il y a là un enjeu particulier de ce côté-là de l’hémicycle (Mme le rapporteur désigne la partie gauche de l’hémicycle.)
Notre position se caractérise par la constance. D’abord, nous considérons – et je le maintiens – que ces plateformes représentent une opportunité : une opportunité, pour un certain nombre de personnes, de compléter leurs revenus ; une opportunité, pour d’autres, de développer un certain nombre d’activités.
Je l’affirme : il y a des secteurs d’activité qui n’existeraient pas si les plateformes n’avaient pas été créées.
Je le redis, nous sommes constants : dans le cadre de la mission d’information « Ubérisation de la société », nous avons émis un avis défavorable sur la requalification et sur le tiers-statut, mais nous nous sommes exprimés en faveur du dialogue social.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Le « dialogue social »…
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Nous sommes aussi pragmatiques. Nous sommes ici appelés à nous prononcer sur une ordonnance proposant un dialogue social ; nous n’irons donc pas à l’encontre de cette ordonnance, bien qu’il s’agisse d’une ordonnance et que nous doutions de la pertinence du calendrier.
Enfin, monsieur Jacquin, je vous précise que le dialogue social n’est pas l’apanage d’un seul côté de l’hémicycle. Nous tenons tous ici au dialogue social, de ce côté-ci de cette assemblée comme de l’autre côté.
M. Olivier Jacquin. Je réagissais aux propos de Mme la ministre.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Mme la ministre n’a pas tenu de tels propos. C’est vous, monsieur Jacquin, qui avez considéré que le dialogue social ne concernait qu’une seule partie de l’hémicycle. C’est faux ! Tous les sénateurs sont attachés au dialogue social !
Nous considérons qu’il est possible, même si cela n’est pas simple, même si c’est atypique, de mettre en place, dans le secteur des plateformes et en particulier dans le secteur des livraisons, un dialogue social seul à même de rééquilibrer le rapport de force.
Évitons les caricatures. Quand on caricature, on peut manquer de respect – et je sais, madame Lubin, que là n’est pas votre intention –à l’égard des travailleurs de ces plateformes.
Arrêtons les excès ! Nous devons les uns et les autres, de part et d’autre de l’hémicycle, tenir des propos mesurés et savoir raison garder.
Je le répète, la commission est défavorable à ces amendements de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je suis naturellement défavorable à la suppression de l’article 1er.
Je voudrais d’abord dire à M. le sénateur Fabien Gay, qui a évoqué la question des travailleurs en situation illégale, que nous sommes opposés à la sous-location de comptes, parce que cela peut conduire à du travail dissimulé.
M. Fabien Gay. Il existe !
Mme Élisabeth Borne, ministre. J’ai eu l’occasion de le dire publiquement, mais aussi directement, à deux reprises, aux représentants des plateformes et nous attendons des actes de leur part avant la fin de l’année en vue d’arrêter ce phénomène de sous-location.
Je voudrais ensuite dire à M. le sénateur Olivier Jacquin qu’en ce qui me concerne, et contrairement à lui manifestement, je crois au dialogue social et à la négociation collective : ce sont le dialogue et la négociation qui peuvent apporter des droits aux travailleurs. (M. Olivier Jacquin proteste.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Madame la rapporteure, vous avez dit que ces nouvelles formes de travail avaient finalement permis de créer des activités qui n’existaient pas et auxquelles on n’avait pas pensé jusque-là.
Nous n’allons pas philosopher ce soir, nous n’en avons pas le temps, mais franchement ! Peut-on appeler une nouvelle forme d’activité le fait que quelqu’un qui a la flemme d’aller chercher une pizza se la fasse apporter, sous une pluie battante, par un livreur à vélo qui gagne…
Mme Cathy Apourceau-Poly. … trois francs six sous !
Mme Monique Lubin. Exactement, trois francs six sous ! Est-ce vraiment cela la nouvelle forme d’activité dont vous parlez ? Personnellement, cela me heurte, tout simplement !
J’ajoute que cela ne me heurterait pas s’il s’agissait de véritables emplois et que les plateformes recrutaient des livreurs payés au minimum au SMIC pour 35 heures par semaine. Dans ce cas-là, pourquoi pas ! À la limite… Mais le fait d’utiliser des gens dans les conditions que l’on connaît, sans aucune protection, et à seules fins de confort, finalement, pour les utilisateurs, cela me choque terriblement !
Et ce n’est pas ce qui nous est proposé ici qui va apporter à ces travailleurs une protection suffisante.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. J’espère, madame la rapporteure, et avec tout le respect que je vous dois, que vous pourrez nous montrer, durant la discussion des articles et des amendements, en quoi ces ordonnances et ce texte permettront de retrouver une certaine symétrie entre les parties.
En passant, je trouve que ce texte est un peu une mise en abyme, puisqu’il prévoit de ratifier une ordonnance, tout en autorisant le Gouvernement à en prendre une deuxième…
En tout cas, en quoi ce ripolinage permettra-t-il de rééquilibrer les choses entre les plateformes et ceux qui travaillent pour elles ?
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Au sujet du travail dissimulé, il y a effectivement la question des sous-comptes, madame la ministre, mais ce n’est pas le seul problème.
Dois-je vous rappeler que Deliveroo va passer en justice l’an prochain pour deux ans de travail dissimulé ? Je me félicite que l’inspection du travail ait permis à cette affaire de sortir, mais ce ne sont pas les travailleurs eux-mêmes qui ont pu le faire. J’espère quand même que vous êtes au courant, madame la ministre ! Oui, Deliveroo va passer en justice pour dissimulation de travail : cela a duré deux ans et a concerné des milliers de jeunes.
Ce n’est donc pas une question de marqueur politique ! Vous le voyez, il n’y a pas que le problème des sous-comptes.
Madame la rapporteure, je ne sais pas quel est votre choix dans la primaire des Républicains, mais l’un des candidats, qu’on ne peut pas accuser d’être de gauche, a quand même dit, il y a deux ans, que ces travailleurs étaient les canuts du XXIe siècle. Je vous laisse deviner de qui il s’agit et vous ferez alors votre choix…
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est Xavier Bertrand !
M. Pascal Savoldelli. Vous parlez de marqueur politique et de passion, mais croyez-vous vraiment qu’un jeune qui livre de la nourriture, des fleurs, des prothèses dentaires ou toute autre chose pour 4, 5 ou 6 euros – j’en connais qui sont à 3,80 euros ! – va faire appel à une juridiction ou penser à sa protection sociale ? Franchement ? Avec de telles conditions de vie ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Pascal Savoldelli. Ce n’est donc pas une question de marqueur. C’est juste indécent !
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. J’ai simplement une petite question à poser à Mme la ministre.
Vous avez dit tout à l’heure – vous me corrigerez, si je me trompe – que les plateformes numériques créaient de l’emploi. Il me semble que c’est là qu’il y a un problème ! Pour moi, emploi veut dire salaire, donc cotisation, donc protection sociale.
En fait, ces plateformes n’ont que quelques dizaines d’employés, des salariés qui font tourner les services de l’entreprise ; le reste, c’est de l’activité. Elles créent donc peut-être de l’activité, mais très peu d’emplois, terme que vous avez pourtant utilisé. (Mme la ministre proteste.)
L’incompréhension part de cette différence essentielle ! C’est d’ailleurs ce point qui explique que nous ayons voulu déposer des amendements sur la présomption de salariat – ils ont été déclarés irrecevables… Qui dit salaire, dit cotisation !
Ma question est donc simple : est-ce que vous maintenez votre position selon laquelle les plateformes numériques créent de l’emploi en France ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je m’étonne quand même un peu que, pour vous, le travail indépendant ne soit pas de l’emploi… (Protestations sur des travées des groupes CRCE et SER.)
Mmes Monique Lubin et Cathy Apourceau-Poly. Pas celui-là !
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Madame la ministre, je veux revenir sur la question du travail dissimulé. Vous dites que vous réunissez les représentants des plateformes – j’ai dit que vous les grondiez… Mais il s’agit de délits et je me demande si nous ne devrions pas, en tant qu’autorité constituée, dénoncer ces faits au procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. C’est extrêmement grave que vous ne fassiez qu’en « parler » dans un salon de votre ministère…
Je veux m’adresser maintenant à mes collègues qui siègent de l’autre côté de l’hémicycle. Nous arrivons souvent à nous entendre sur des questions de distorsion de concurrence, parce qu’une partie d’entre vous ne supporte pas que les règles soient faussées, par exemple quand certaines entreprises sont soumises à l’Urssaf ou à un certain nombre d’impôts, alors que d’autres réussissent à contourner les règles dans une forme de combat irrégulier.
C’est pourquoi je m’étonne que certains d’entre vous ne réagissent pas à l’insupportable distorsion de concurrence dont nous parlons ce soir.
J’ai déjà parlé ici même d’une petite plateforme qui m’impressionne, Mediflash : elle profite de la pénurie de personnel hospitalier pour proposer à des établissements de santé des infirmières ou des aides-soignantes sous le statut d’autoentrepreneur.
Madame la ministre, pourquoi n’y a-t-il pas de contrôle sur ce genre d’activité ? J’ai lu dans les débats de l’Assemblée nationale que vous étiez prête à engager des recours contre ce type de plateforme. Je peux vous donner toutes les informations qu’il faut, si vous n’en trouvez pas de votre côté…
Je suis en contact avec le directeur d’une agence d’intérim de Metz. Il est confronté à cette distorsion de concurrence : il paye à l’Urssaf les cotisations sociales qui sont dues et il ne comprend pas que certaines entreprises, qui remplissent pourtant la même mission que lui, ne soient pas obligées de le faire. Cette situation est absolument inadmissible !
Madame Puissat, j’aurais aimé vous entendre sur le fait que ce texte va clairement contribuer à créer un tiers-statut, alors que vous y étiez – certes, à moitié – opposée.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Olivier Jacquin. Qui plus est, vous nous empêchez de débattre de nos amendements relatifs au statut de ces travailleurs.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3, 8 et 21.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 15, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 7
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. L’objet de cet amendement est de rétablir la version de l’ordonnance du 21 avril 2021 s’agissant de l’élection visant à désigner les organisations représentant les travailleurs des plateformes, ainsi que du champ d’intervention et de l’organisation de l’ARPE.
S’agissant de l’élection, peu de travailleurs sont à la fois VTC et livreurs, mais je ne vois pas pourquoi il devrait y avoir, pour eux, une incompatibilité entre les deux secteurs. Il me semble que ces personnes doivent pouvoir participer à la désignation de leurs représentants des deux côtés.
S’agissant de l’ARPE, je pense qu’il n’est pas opportun de réduire son champ d’intervention. Lui confier un rôle de médiation, alors que nous sommes dans un secteur nouveau qui peut donner lieu à des incompréhensions entre les parties, me semble plutôt constituer une avancée.
Enfin, en ce qui concerne la composition du conseil d’administration de l’ARPE, il me semble intéressant que des parlementaires puissent y participer.
Pour conclure, je voudrais dire à M. le sénateur Jacquin que l’inspection du travail a déjà opéré des contrôles sur le faux travail indépendant et qu’elle continuera de le faire.
M. Olivier Jacquin. Et sur le travail dissimulé ?
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Nous sommes évidemment défavorables à cet amendement qui tend à rétablir le texte initial de l’ordonnance et qui va par conséquent à l’encontre de la position de la commission.
En ce qui concerne les travailleurs qui dépendraient des deux secteurs, nous avons modifié le texte dans la perspective de l’établissement d’un dialogue intersecteurs : dans ce cas, il faut en effet éviter qu’il y ait deux votes.
En ce qui concerne l’ARPE, organisme en devenir, il faut bien se rendre compte qu’elle aura fort à faire en matière de dialogue social. Clairement, ce ne sera pas une tâche facile, il faudra créer de l’appétence pour ces élections et du lien au sein d’un secteur dans lequel, je le maintiens, les rapports de force ne sont pas équilibrés.
L’ARPE aura un rôle à jouer dans ce rééquilibrage et nous considérons que cet organisme ne doit pas grossir de manière démesurée pour éviter tout risque financier.
Enfin, en ce qui concerne la gouvernance, la position constante du Sénat est qu’il ne faut pas multiplier les organismes où sont présents des parlementaires – députés ou sénateurs. Nous sommes d’ailleurs un peu surpris que le Gouvernement veuille revenir sur ce point.
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par Mme Lubin, MM. Jacquin et Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le II de l’article 2 de l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation est abrogé.
La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. Cet amendement vise à supprimer les dispositions de l’ordonnance du 21 avril 2021 prévoyant des mesures dérogatoires en matière de représentativité des organisations de travailleurs, notamment un seuil de 5 % de suffrages exprimés pour le premier scrutin, en tant qu’elles créent un dispositif sur mesure pour les entreprises de plateformes.
Nous continuons donc dans notre logique…
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Nous continuons nous aussi dans notre logique…
Nous souhaitons qu’un dialogue social s’établisse et nous considérons que les mesures transitoires prévues, même si le seuil de 5 % a été manifestement inventé pour la circonstance – en tout cas, il n’existe nulle part dans le code du travail –, peuvent permettre de créer de l’appétence pour ces élections. Or on peut a priori éprouver quelques doutes sur le nombre de personnes qui y participeront.
En outre, ces mesures transitoires étaient prévues dans le rapport remis par Jean-Yves Frouin. Elles nous semblent donc acceptables, si bien que la commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je vous confirme que c’est la concertation menée avec les différents acteurs des plateformes qui nous a conduits à retenir un seuil transitoire de 5 % pour la première élection des représentants de ces travailleurs.
Il me semble important de tenir compte de la concertation qui a eu lieu. L’avis est donc défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 2
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, à prendre par voie d’ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin :
1° De compléter les règles organisant le dialogue social de secteur, défini à l’article L. 7343-1 du code du travail, entre les plateformes mentionnées à l’article L. 7342-1 du même code et les travailleurs indépendants qui y recourent pour leur activité, en définissant :
a) Les modalités de représentation de ces plateformes ;
b) L’objet et le contenu des accords de secteur, notamment leur champ d’application, leur forme et leur durée ;
c) Les conditions de négociation, de conclusion et de validité des accords de secteur ;
d) L’articulation des accords de secteur avec les dispositions légales et réglementaires, les contrats conclus entre travailleurs indépendants et plateformes et les chartes établies en application de l’article L. 7342-9 dudit code ;
e) Les conditions d’application des accords de secteur ainsi que les modalités d’information des travailleurs indépendants sur ces accords ;
f) Les conditions dans lesquelles les accords de secteur peuvent être rendus obligatoires, par le biais d’une homologation décidée par l’État, pour toutes les plateformes et tous les travailleurs indépendants compris dans leur champ d’application ;
g) Les conditions dans lesquelles les organisations représentatives des travailleurs de plateformes et des plateformes au niveau des secteurs mentionnés à l’article L. 7343-1 du même code peuvent recourir à une expertise portant sur les éléments nécessaires à la négociation des accords de secteur et qui peut être d’ordre économique, financier, social, environnemental ou technologique ;
2° (Supprimé)
3° De compléter les missions de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi mentionnée à l’article L. 7345-1 du même code, afin de lui permettre :
a) De fixer, au nom de l’État, la liste des organisations représentatives des plateformes au niveau des secteurs définis à l’article L. 7343-1 du même code ;
b) D’homologuer, au nom de l’État, les accords de secteur ;
c et d) (Supprimés)
4° De compléter les obligations incombant aux plateformes mentionnées à l’article L. 1326-1 du code des transports à l’égard des travailleurs indépendants qui y recourent, afin de renforcer l’autonomie de ces derniers dans l’exercice de leur activité :
a) En améliorant les modalités selon lesquelles ils sont informés sur les propositions de prestation, notamment en ce qui concerne la destination, et peuvent y souscrire, notamment en disposant d’un délai raisonnable pour se prononcer sur ces propositions ;
b) En leur garantissant une marge d’autonomie pour déterminer les modalités de réalisation des prestations, notamment en ce qui concerne l’itinéraire, et les moyens mis en œuvre à cet effet, tels que le matériel utilisé.
Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 2 est présenté par Mme Lubin, MM. Jacquin et Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 5 est présenté par Mmes Apourceau-Poly et Cohen, M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 22 est présenté par Mme Poncet Monge, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon et Mmes Taillé-Polian et M. Vogel.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Monique Lubin, pour présenter l’amendement n° 2.
Mme Monique Lubin. Dans la même logique, nous proposons la suppression de l’article 2.
Je ne vais pas répéter les mêmes arguments, mais nous nous opposons absolument à tout ce qui conduit, même graduellement, à la création de ce fameux tiers-statut, dont nous avons déjà parlé.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 5.
M. Pascal Savoldelli. Nous souhaitons également la suppression de cet article.
Si le droit ne contient aucune contrainte pour les plateformes numériques, on va leur laisser le pouvoir de décider seules du minimum social. Si l’ordonnance était écrite différemment, le Gouvernement pourrait peser sur les négociations.
Or ce secteur est très éclaté et beaucoup de travailleurs sont dans une situation extrêmement précaire. Il revient donc au Gouvernement et au Parlement de fixer un cadre et des contraintes aux plateformes, ce qui n’est pas possible avec cet article.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 22.
Mme Raymonde Poncet Monge. L’article 2 du présent projet de loi organise le dessaisissement du Parlement, en habilitant une nouvelle fois le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour l’instauration d’un cadre de dialogue social au niveau des plateformes.
Nous le répétons, de telles dispositions doivent être débattues au Parlement à l’occasion d’un projet de loi en bonne et due forme, non d’une habilitation à légiférer par ordonnance, et en respectant les règles de la démocratie parlementaire.
Ni les parlementaires ni les travailleurs n’auront donc quoi que ce soit à dire sur les modalités de représentation que le Gouvernement fixera de manière unilatérale. Il en sera de même sur le rôle, somme toute faible, qu’il semble vouloir conférer à l’ARPE, puisque cette institution n’aura pour mission que d’organiser le dialogue et les élections sans que rien soit prévu pour qu’elle puisse intervenir en cas d’abus. Il semblerait que nous soyons ainsi devant une sorte de coquille vide.
Nous dessaisissons le Parlement de son rôle et, dans la pure tradition néolibérale, nous transformons les organismes et établissements publics en agences d’organisation du marché, en laissant les travailleurs démunis face à leur hiérarchie de fait.
C’est pourquoi le groupe écologiste demande par cet amendement la suppression de l’article 2. On ne peut pas faire l’économie d’un projet de loi et d’une discussion démocratique, sociale et parlementaire sur l’ensemble des droits sociaux des travailleurs, lorsqu’on évoque un tel sujet, qui concerne près de 200 000 travailleurs – un chiffre malheureusement voué à grossir dans les prochaines années, si le secteur n’est pas régulé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Nous restons cohérents : nous avons fait le choix du dialogue social dans ce secteur et nous avons accepté d’habiliter le Gouvernement à prendre une deuxième ordonnance.
Néanmoins, nous avons modifié la première ordonnance avec un certain nombre d’amendements, en portant le dialogue social au niveau sectoriel, en précisant les champs obligatoires de la négociation – c’est l’objet de l’article 3 – et en précisant le rôle de l’ARPE.
La commission est donc défavorable à ces amendements de suppression de l’article 2.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Le Gouvernement est défavorable à la suppression de cet article.
En effet, nous devons encore organiser et structurer le cadre applicable au dialogue social – thèmes de négociation, périodicité ou conditions de validité des accords – et l’ensemble des sujets couverts par la procédure d’habilitation doit encore faire l’objet de concertations.
Il est clair que certains sujets seront incontournables, comme la détermination d’un revenu minimal d’activité, la sécurisation des parcours professionnels ou encore l’amélioration des conditions de travail. C’est d’ailleurs le sens de l’amendement n° 17 déposé par le Gouvernement, qui vise à préciser l’habilitation sur les thèmes qui pourront donner lieu à une négociation.
Sur la méthode, l’intention du Gouvernement n’est pas d’empêcher le débat parlementaire, comme en atteste l’examen de ce projet de loi. Je le redis, je me tiens à la disposition du Parlement pour l’informer de manière régulière de l’avancée des travaux sur les projets d’ordonnances. Par ailleurs, un projet de loi de ratification des futures ordonnances sera déposé au Parlement, ce qui nous permettra à nouveau de débattre de ces sujets.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais ce que vient de dire Mme la ministre me fait réagir.
Le groupe CRCE a déposé une proposition de loi sur ce sujet – le groupe socialiste l’a fait également –, mais nous n’avons jamais été contactés par le cabinet de Mme la ministre pour en discuter – jamais !
Je peux comprendre que nous ne soyons pas d’accord, ce n’est pas grave, mais si on a envie de résoudre un tel problème, on essaye de s’enquérir des avis et des analyses de différentes personnes.
Je veux bien vous croire, quand vous nous dites que vous êtes à la disposition du Parlement, mais nous avons déjà déposé une proposition de loi, le Sénat a constitué une mission d’information sur l’« ubérisation » de la société qui a adopté à l’unanimité dix-huit préconisations et je n’ai reçu aucune sollicitation pour en parler. Si d’autres ont été sollicités, dont acte ! Ils ont sûrement un avis plus informé que le mien…
En tout cas, vis-à-vis de nous, c’est silence radio de votre part, comme cela l’est vis-à-vis des travailleurs des plateformes !
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Cela fait maintenant plusieurs années, au moins quatre, me semble-t-il, que nous travaillons les uns et les autres sur ce sujet. Nous y avons consacré beaucoup de temps et d’énergie et nous avons réalisé un véritable travail de fond, dont vous n’avez tenu aucun compte et pour lequel vous n’avez manifestement aucune considération.
Alors, vous pouvez bien nous dire que vous êtes à notre disposition et qu’il y aura un projet de loi de ratification. Il n’en reste pas moins que vous passerez par des ordonnances !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2, 5 et 22.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 16, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer le mot :
six
par le mot :
douze
La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Monsieur le président, si vous le permettez, je présenterai en même temps les amendements nos 16, 17 et 18.
M. le président. J’appelle donc également en discussion les deux amendements suivants.
L’amendement n° 17, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
, ainsi que la périodicité des négociations obligatoires et les domaines concernés qui pourront notamment couvrir les modalités de détermination des revenus des travailleurs, les modalités du développement des compétences professionnelles et de la sécurisation des parcours professionnels des travailleurs et les mesures visant à améliorer les conditions de travail et à prévenir les risques professionnels auxquels les travailleurs peuvent être exposés en raison de leur activité
L’amendement n° 18, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 6
Compléter cet alinéa par les mots :
ainsi qu’avec les accords de plateforme, en déterminant pour quels thèmes de négociation et dans quelles conditions les accords de secteur peuvent primer sur les accords de plateforme, et inversement
II. – Alinéa 10
Rétablir le 2° dans la rédaction suivante :
2° De fixer les règles organisant, au niveau de chacune des plateformes mentionnées à l’article L. 7342-1 du code du travail relevant des secteurs d’activité mentionnés à l’article L. 7343-1 du même code, le dialogue social avec les travailleurs indépendants mentionnés à l’article L. 7341-1 dudit code qui y recourent pour leur activité, en définissant :
a) Les modalités de représentation des travailleurs indépendants ainsi que les conditions d’exercice de cette représentation, en particulier, le cas échéant, les garanties offertes aux représentants en termes de protection contre la rupture du contrat ;
b) L’objet et le contenu des accords de plateforme, notamment leur champ d’application, leur forme et leur durée, ainsi que, le cas échéant, les domaines et la périodicité de la négociation obligatoire ;
c) Les conditions de négociation, de conclusion et de validité des accords de plateforme ;
d) L’articulation des accords de plateforme avec les dispositions légales et réglementaires, les contrats conclus entre travailleurs indépendants et plateformes et les chartes établies en application de l’article L. 7342-9 du même code ;
e) Les conditions d’application des accords de plateforme ainsi que les modalités d’information des travailleurs indépendants sur ces accords ;
f) Les modalités selon lesquelles les plateformes assurent l’information et la consultation des travailleurs indépendants sur les conditions d’exercice de leur activité ;
Veuillez poursuivre, madame la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je partage votre avis, madame la rapporteure, sur le fait que le dialogue social au niveau du secteur est la priorité. Pour autant, nous pensons qu’il est utile d’organiser également le dialogue social à l’échelle de chaque plateforme. C’est l’objet de l’amendement n° 18.
En cohérence avec cette proposition, et si nous voulons préparer une ordonnance sur le dialogue social au niveau des plateformes, nous avons besoin d’un délai d’habilitation plus long. C’est l’objet de l’amendement n° 16, qui prévoit de porter ce délai à douze mois.
Avec l’amendement n° 17, le Gouvernement propose de rétablir l’habilitation à fixer par ordonnance les domaines et la périodicité de la négociation obligatoire au niveau du secteur d’activité.
Avant d’arrêter définitivement les différents thèmes possibles de négociation, il est nécessaire de pouvoir achever la concertation avec l’ensemble des parties prenantes. Pour autant, je partage avec vous le constat qu’il est important que la négociation sectorielle puisse traiter certains sujets centraux.
C’est la raison pour laquelle l’amendement n° 17 propose de compléter l’habilitation pour préciser les thèmes qui pourront être traités par ce dialogue social entre les représentants des travailleurs et des plateformes : il s’agit notamment de la détermination des revenus des travailleurs, du développement des compétences professionnelles, de la sécurisation des parcours professionnels des travailleurs et des mesures visant à améliorer les conditions de travail et à prévenir les risques professionnels, auxquels les travailleurs peuvent être exposés en raison de leur activité.
Je crois, madame la rapporteure, que nous sommes toutes deux attachées à ce que ces sujets essentiels soient traités dans le dialogue social.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Il existe en effet une cohérence entre les amendements nos 16 et 18.
Nous avons souhaité raccourcir le délai d’habilitation de douze à six mois, parce qu’il nous semble que le dialogue social au niveau des plateformes est moins urgent et qu’il n’a pas à figurer dans l’ordonnance. Nous pensons que l’essentiel se joue au niveau du secteur et qu’il ne sera peut-être pas nécessaire d’élaborer un dialogue social structuré au niveau des plateformes, par exemple si le secteur met en place une approche différente de celle qui existe habituellement dans d’autres domaines d’activité.
Pour cette raison, la commission est défavorable aux amendements nos 16 et 18.
En ce qui concerne l’amendement n° 17, c’est certes une avancée, mais elle nous apparaît insuffisante. Nous considérons en effet qu’il relève de la responsabilité du Parlement d’inscrire dans la loi les items sur lesquels la négociation doit avoir lieu – le revenu des travailleurs, les modalités de développement des compétences professionnelles, la sécurisation des parcours professionnels, etc. – et c’est ce que nous avons fait en ajoutant l’article 3 au projet de loi.
La rédaction de l’amendement n° 17 ne nous semble pas assez précise. Nous lui préférons celle de l’article 3 que nous avons inséré en commission.
C’est pourquoi nous sommes défavorables à l’amendement n° 17. Il reviendra peut-être à la commission mixte paritaire de trancher ce point…
M. le président. L’amendement n° 19, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 14
Rétablir les c et d dans la rédaction suivante :
c) D’exercer un rôle de médiation entre les plateformes et les travailleurs indépendants, notamment en cas de suspension provisoire ou de rupture du contrat commercial à l’initiative de la plateforme ;
d) D’exercer un rôle d’expertise, d’analyse et de proposition concernant l’activité des plateformes et de leurs travailleurs.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Cet amendement vise à rétablir l’habilitation accordée au Gouvernement de légiférer par ordonnance pour compléter les missions de l’ARPE.
Il me semble en particulier important, pour fluidifier les relations au sein de ce secteur, de confier à l’ARPE un rôle de médiation en cas de différend entre les travailleurs et les plateformes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Comme je l’ai déjà indiqué, nous avons effectivement choisi de circonscrire le rôle de l’ARPE.
Nous devons être bien conscients, madame la ministre, que le rôle de médiation que vous proposez de confier à l’ARPE ne serait pas simple à tenir et nous avons préféré que cette nouvelle autorité se concentre sur sa mission relative au dialogue social.
Par conséquent, la commission est défavorable à l’amendement n° 19.
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par Mmes Apourceau-Poly et Cohen, M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 15 à 17
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Avec l’amendement n° 19, le Gouvernement semblait vouloir favoriser la médiation. Qui peut être contre a priori ?
Sauf que, dans l’alinéa 15 de cet article, on habilite le Gouvernement à prendre des mesures relevant du domaine de la loi pour « renforcer l’autonomie » des travailleurs dans l’exercice de leur activité.
Vous souhaitez donc renforcer la présomption d’indépendance des travailleurs des plateformes. Ce faisant, vous contournez la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, issue de l’arrêt Uber du 4 mars 2020, reconnaissant l’existence d’un lien de subordination entre une plateforme VTC et un chauffeur, lien caractéristique d’une relation salariale.
Cela montre clairement votre volonté, dans la même veine que le reste, de sécuriser juridiquement le modèle économique des plateformes numériques de travail. C’est un choix politique, il est évidemment respectable, mais on peut aussi s’y opposer !
En fait, vous ne voulez pas régler la question du statut de ces travailleurs précarisés, que vous entendez laisser dans une situation de dépendance économique vis-à-vis des plateformes.
C’est pour cette raison que nous avons demandé la suppression de cet article et que nous proposons maintenant la suppression de ses alinéas 15 à 17.
Pour nous, il existe deux statuts : un pour les travailleurs indépendants, un pour les salariés. Peut-être faut-il faire évoluer, pour les enrichir, certains aspects de ces statuts, mais il ne faut pas de tiers-statut. Un tiers-statut ne pourrait être que moins-disant et il créerait nécessairement un désordre social.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Je rappelle simplement que ce qui est proposé ici correspond à une aspiration des travailleurs indépendants ; ils souhaitent avancer dans ce sens et nous considérons que cela peut rééquilibrer les rapports de force entre les plateformes et eux.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Par les dispositions prévues à ces alinéas, il s’agit de garantir aux travailleurs qu’ils puissent exercer leur métier dans le plein respect de leur statut de travailleur indépendant – c’est le souhait de l’écrasante majorité d’entre eux. Il s’agit par exemple de faire en sorte que le travailleur puisse choisir librement son itinéraire.
Il n’est donc pas question de contourner la jurisprudence de la Cour de cassation, comme vous le soutenez, mais d’en tirer toutes les conséquences pour s’assurer que les plateformes respectent bien les règles. (Protestations sur des travées du groupe CRCE.) Si elles ne le faisaient pas, rien n’empêcherait le juge de requalifier un contrat commercial en un contrat de travail.
L’avis est donc défavorable sur l’amendement n° 7.
M. Pascal Savoldelli. Vous êtes en service commandé !
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par Mmes Apourceau-Poly et Cohen, M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 7343-4 du code du travail, il est inséré un article L. 7343-… ainsi rédigé :
« Art. L. 7343 – …. – La négociation au niveau des secteurs porte sur les thèmes suivants :
« 1° Les modalités de détermination des revenus des travailleurs, y compris le prix de leur prestation de services ;
« 2° Les modalités de détermination des revenus des travailleurs lors de la négociation au niveau des secteurs prévues au 1° doivent s’organiser sur base d’un minimum légal de rémunération sur la base du salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire ;
« 3° Le minimum légal de rémunération sur la base d’un salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire prévues au 2° s’appuie sur un temps de travail temps de mise à disposition et de connexion du travailleur sur l’application ou le site Internet par lequel la plateforme numérique de travail organise l’activité économique qu’elles créent ;
« 4° Les conditions d’exercice de l’activité professionnelle des travailleurs ou sur tout changement les affectant, ce qui inclut la transparence, la lisibilité et l’évolution des algorithmes ;
« 5° Les modalités de partage d’informations et de dialogue entre les plateformes et les travailleurs sur les conditions d’exercice de leur activité professionnelle ;
« 6° Une négociation peut également être engagée au niveau du secteur sur tout autre thème relatif aux conditions d’exercice de l’activité, à l’exception de la protection sociale obligatoire et complémentaire. »
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Afin de se prémunir contre des mouvements sociaux – grèves, blocages –, des accidents graves, et pour surpasser les difficultés à faire dialoguer les plateformes et les collectifs existants, il importe de délimiter les objets de négociation entre plateformes et travailleurs afin de répondre aux enjeux sans créer un tiers-statut de fait.
Selon nous, ce dialogue social doit être limité au prix de la prestation et aux conditions d’exercice de l’activité, y compris le fonctionnement des algorithmes.
Le prix de la prestation constitue l’élément central de la négociation attendue, car c’est de celui-ci que découle, pour les travailleurs, la possibilité de percevoir un revenu décent et de financer, via leurs cotisations sociales, leur protection sociale obligatoire et complémentaire. Cette dernière doit être exclue du champ du fameux dialogue social, aussi bien à l’échelle de la plateforme que du secteur, et ce pour les raisons suivantes : cela reviendrait à créer de facto un tiers-statut comportant des droits inférieurs à ceux des salariés, mais supérieurs à ceux des autres indépendants ; un tel objet de négociation serait à l’origine d’une dépendance sociale, inacceptable selon nous, pour des travailleurs dits « indépendants », serait source d’une inégalité de traitement entre les travailleurs exerçant en nom propre et ceux qui travaillent pour les plateformes, et nuirait à la capacité des travailleurs dits « indépendants » à négocier le prix de leurs prestations.
C’est pour toutes ces raisons que nous vous invitons à voter cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Cet amendement a pour objet de fixer « en dur » le cadre de la négociation obligatoire au niveau sectoriel. En ce sens, il rejoint le travail que nous avons fait avec l’article 3, sauf qu’il nous amènerait sur des principes plus rigides et moins précis.
Aussi, je vous invite à vous reporter à l’article 3 du projet de loi, et à le voter, de sorte que nous puissions aller plus loin, en n’accordant pas la possibilité au Gouvernement de définir les secteurs de négociation, mais en laissant quand même la place au dialogue social. C’est dans ce sens que nous avons travaillé. L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 12.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 3 (nouveau)
Le chapitre III du titre IV du livre III de la septième partie du code du travail est complété par des sections 3 et 4 ainsi rédigées :
« Section 3
« Représentation des plateformes
« Section 4
« Objet et contenu des accords de secteur
« Sous-section 1
« Domaines et périodicité de la négociation obligatoire
« Paragraphe 1
« Ordre public
« Art. L. 7343-21. – Les organisations de travailleurs et de plateformes reconnues représentatives au niveau d’un secteur d’activité mentionné à l’article L. 7343-1 se réunissent au moins une fois tous les quatre ans pour négocier sur :
« 1° Les modalités de détermination du prix que peuvent obtenir les travailleurs pour leur prestation de services ;
« 2° Les modalités du développement des compétences professionnelles et de la sécurisation des parcours professionnels des travailleurs ;
« 3° Les mesures visant à améliorer les conditions de travail et à prévenir les risques professionnels auxquels les travailleurs peuvent être exposés en raison de leur activité.
« Paragraphe 2
« Champ de la négociation collective
« Art. L. 7343-22. – Les organisations de travailleurs et de plateformes reconnues représentatives au niveau d’un secteur d’activité mentionné à l’article L. 7343-1 peuvent engager, à la demande de l’une d’entre elles, une négociation précisant le calendrier, la périodicité, les thèmes et les modalités de négociation dans le secteur considéré.
« Art. L. 7343-23. – L’accord de secteur conclu à l’issue de la négociation mentionnée à l’article L. 7343-22 précise :
« 1° Les thèmes des négociations et leur périodicité, de telle sorte que soient négociés au moins tous les quatre ans les thèmes mentionnés à l’article L. 7343-21 ;
« 2° Le contenu de chacun des thèmes ;
« 3° Le calendrier et les lieux des réunions ;
« 4° Les informations que les organisations de plateformes remettent aux négociateurs sur les thèmes prévus par la négociation qui s’engage et la date de cette remise ;
« 5° Les modalités selon lesquelles sont suivis les engagements souscrits par les parties.
« La durée de l’accord ne peut excéder cinq ans.
« Paragraphe 3
« Dispositions supplétives
« Art. L. 7343-24. – À défaut d’accord prévu à l’article L. 7343-23 ou en cas de non-respect de ses stipulations, les organisations de travailleurs et de plateformes reconnues représentatives au niveau d’un secteur d’activité mentionné à l’article L. 7343-1 engagent les négociations mentionnées à l’article L. 7343-21 dans les conditions prévues aux articles L. 7343-25 et L. 7343-26.
« Art. L. 7343-25. – Les organisations de travailleurs et de plateformes reconnues représentatives au niveau d’un secteur se réunissent, au moins une fois par an, pour négocier sur les modalités de détermination du prix que peuvent obtenir les travailleurs pour leur prestation de services.
« Art. L. 7343-26. – Les organisations de travailleurs et de plateformes reconnues représentatives au niveau d’un secteur se réunissent pour négocier, tous les deux ans, sur :
« 1° Les modalités du développement des compétences professionnelles et de la sécurisation des parcours professionnels des travailleurs ;
« 2° Les mesures visant à améliorer les conditions de travail et à prévenir les risques professionnels auxquels les travailleurs peuvent être exposés en raison de leur activité. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 14 est présenté par Mme Lubin, MM. Jacquin et Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 20 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Monique Lubin, pour présenter l’amendement n° 14.
Mme Monique Lubin. Par cohérence avec notre opposition de principe à la création d’un tiers-statut, nous souhaitons la suppression de cet article, introduit par Mme la rapporteure, car il participe de cette logique, et ce d’autant plus que la protection des travailleurs des plateformes y est renvoyée au dialogue social.
Pour notre part, nous soutenons depuis plusieurs années la reconnaissance du salariat pour ces travailleurs et nous souhaitions instaurer dans ce projet de loi une présomption réfragable de relation de travail pour les travailleurs ayant recours à des plateformes. Malheureusement, notre amendement a été déclaré irrecevable dès son dépôt en commission, en application de l’article 45 de la Constitution.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 20.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Notre amendement est identique au précédent, mais, vous l’aurez compris, il ne s’appuie pas sur les mêmes motivations.
Notre proposition est cohérente avec l’amendement n° 17, que je vous ai présenté précédemment, et qui vise à en rester à une habilitation, tout en en précisant les thèmes. C’est la raison pour laquelle je sollicite la suppression de l’article 3.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. C’est bien entendu un avis défavorable à la suppression de l’article 3, qui est réclamée, pour des raisons différentes, par le Gouvernement et par le groupe SER.
Pour notre part, nous considérons que ces secteurs relèvent de la loi. C’est en ce sens que nous avons rédigé cet article 3, avec un certain nombre de paramètres qui devraient quand même correspondre aux attentes des uns et des autres, puisque nous évoquons la fixation du prix des prestations, le développement des compétences professionnelles et la prévention des risques professionnels.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 14 et 20.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mme et M. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mme et M. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 38 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 328 |
Pour l’adoption | 115 |
Contre | 213 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 25, présenté par Mme Poncet Monge, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon et Mmes Taillé-Polian et M. Vogel, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 11
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ce prix ne peut être inférieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire en vigueur, majorations et suppléments inclus.
II. – Alinéa 27
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ce prix ne peut être inférieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire en vigueur, majorations et suppléments inclus.
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. La situation des travailleurs des plateformes est marquée par une forte précarité en matière de revenus comme de statut. Selon un rapport de l’Organisation internationale du travail, le revenu horaire moyen pour les personnes travaillant avec ces plateformes ne dépasse pas les 3,40 dollars par heure, et la moitié gagne moins de 2,10 dollars l’heure. Pour dégager un salaire minimum, les études montrent qu’un livreur doit travailler de 14 heures à 15 heures par jour.
La fluctuation des tarifs, leur imposition par la plateforme, l’augmentation des commissions : tout cela tend à paupériser fortement les travailleurs, qui se voient imposer une tarification arbitraire ne leur permettant pas de vivre décemment. Leur autonomie est donc illusoire.
Nous devons préserver les droits et instituer une négociation sociale plus juste qui tende à contrebalancer l’inégalité des rapports de force.
Pour ce faire, il faut qu’un tarif minimum égal au SMIC horaire soit institué, avec la garantie que la négociation autour du prix de prestation parte de ce tarif minimum. Nous n’inventons rien : c’est une des recommandations du rapport Frouin remis au Premier ministre ! L’objet de ce rapport était de trouver une solution pour encadrer le travail au sein des plateformes. Alors, qu’attendons-nous ? Il s’agit là d’une revendication vraiment basique : nous ne pouvons plus laisser les plateformes paupériser et précariser près de 200 000 travailleurs.
Je le répète, il faut imposer un tarif minimum de prestation en référence au SMIC horaire et cette règle doit servir de base à la négociation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Nous sommes défavorables à ce que la loi prévoie que le prix des prestations ne puisse être inférieur au SMIC horaire.
La question du prix est une préoccupation partagée par la commission, mais cette référence n’est pas appropriée dans le cadre d’une tarification à la prestation. En outre, il faut rappeler que le prix de la prestation n’est pas équivalent au revenu des travailleurs concernés, lequel dépend aussi de la commission prélevée par la plateforme et des charges acquittées par eux.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 27, présenté par Mme Poncet Monge, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon et Mmes Taillé-Polian et M. Vogel, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 13
Compléter cet alinéa par les mots :
en tenant compte des dispositions de l’article L. 4624-1
II. – Alinéa 30
Compléter cet alinéa par les mots :
en tenant compte pour cela des dispositions de l’article L. 4624-1
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Le 20 mars 2021, un livreur à vélo mourait, percuté par une voiture, dans le Rhône, mon département d’élection. Le Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP), organisation dédiée à la défense des droits et des conditions de travail des livreurs, comptabilise au moins six livreurs morts depuis 2019.
Selon les études disponibles, il y a quinze fois plus de risques d’accident dans le métier de livreur chez Deliveroo que dans un métier de livraison classique. N’oublions pas que l’activité de livraison n’est pas née avec ces plateformes, et, il faut le dire, la pratique traditionnelle est quinze fois moins accidentogène.
Aujourd’hui, les plateformes ne sont responsables de rien – même si elles paient une cotisation –, alors qu’elles imposent des cadences infernales. Certains livreurs travaillent 80 heures par semaine. Ils ont entre une minute et une minute trente pour savoir s’ils acceptent une course, qu’ils doivent livrer au plus vite, faute de quoi la plateforme peut les déconnecter.
La prévention des risques professionnels fait pourtant l’objet d’un cadre juridique très clair dans le code du travail. La préservation de la santé des travailleurs est un impératif et un droit fondamental. Nous ne pouvons plus laisser les plateformes mettre leurs travailleurs en danger sans encourir aucune responsabilité.
L’amendement vise ainsi à renforcer la protection des travailleurs de plateforme contre les risques professionnels en insérant une référence claire aux dispositions du code du travail, qui assure que tout salarié « peut solliciter notamment une visite médicale, lorsqu’il anticipe un risque d’inaptitude, dans l’objectif d’engager une démarche de maintien dans l’emploi ».
Les visites médicales sont un droit ; c’est le minimum contre les risques professionnels et un impératif à garantir dans le cadre du travail, y compris au sein des plateformes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Cet amendement me semble satisfait. Nous en avons déjà parlé en commission. La prévention des risques professionnels est bien évidemment une préoccupation de la commission. Du reste, nous l’avons inscrite à l’article 3 dans le socle des négociations obligatoires qui devront avoir lieu au niveau sectoriel.
Vous précisez dans votre amendement que ces négociations devront tenir compte des dispositions du code du travail sur la surveillance de la santé des travailleurs par les services de santé au travail. Or la loi du 2 août 2021 prévoit déjà cet aspect, qui doit être précisé par décret. Je m’adresse là à Mme la ministre…
C’est une demande de retrait, ou, à défaut, un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je confirme les propos de Mme la rapporteure. La loi Santé au travail du 2 août dernier prévoit en effet que les travailleurs indépendants peuvent s’affilier au service de prévention et de santé au travail interentreprises de leur choix. Ils bénéficient alors d’une offre spécifique de services en matière de prévention des risques professionnels, de suivi individuel et de prévention de la désinsertion professionnelle.
Par ailleurs, ce sujet de la prévention des risques professionnels et de l’amélioration des conditions de travail a vocation à intégrer les thèmes qui feront l’objet des discussions dans le cadre du dialogue social à venir entre les plateformes et les représentants des travailleurs.
Je pense donc également que votre amendement est satisfait. Je vous propose donc de le retirer, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Madame Poncet Monge, l’amendement n° 27 est-il maintenu ?
Mme Raymonde Poncet Monge. Oui, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 26, présenté par Mme Poncet Monge, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon et Mmes Taillé-Polian et M. Vogel, est ainsi libellé :
Compléter cet article par quatre alinéas ainsi rédigés :
« …° Le tarif minimal de prestation ;
« …° Les modalités visant à instaurer une durée maximale d’activité quotidienne et hebdomadaire ainsi que les temps de pause, de repos et de congés en référence aux dispositions des articles L. 3121-18, L. 3121-20, L. 3121-16, L. 3131-1, L. 3132-2, L. 3132-3, L. 3132-1, L. 3141-1 et suivant ;
« …° Les modalités de déconnexion d’un travailleur par la plateforme, le temps de préavis, ainsi que le montant et le versement d’indemnités compensatrices ;
« …° Les modalités garantissant l’effectivité des droits établis à l’article L. 4131-1 et L. 4131-2. »
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Instaurer un dialogue social sans droits sociaux revient à légiférer sur l’encadrement d’une coquille vide, ce qui ne pourra se faire qu’au détriment des travailleurs.
Un certain nombre de droits sociaux de base manquent pour servir de cadre à ce fameux dialogue social. Il n’y a pas de garantie d’un tarif ou d’un revenu minimum, d’une durée maximale de travail, d’un encadrement des heures de repos, de congés payés, d’indemnités de licenciement, de droit de retrait. Sur quoi voulez-vous que les salariés discutent et négocient si aucune référence n’est faite à ces droits inscrits dans le code du travail ?
Cet amendement vise donc à donner du contenu au dialogue social en ramenant ces ordonnances à des références claires au code du travail. Comment garantir que l’on puisse se déconnecter quand on veut sans que soit prévue une durée maximale de travail ? Comment se prémunir de tout danger sans droit de retrait ou droit d’alerte ?
L’autonomie ne sera garantie que si elle se réfère à des droits et des règles partagés.
Après Karl Marx, permettez-moi de citer Emmanuel Kant, qui, dans Métaphysique des mœurs, ne conçoit l’avènement d’un individu autonome moderne qu’à la condition qu’il se soumette à des règles universelles. En l’occurrence, les règles universelles et partagées, ce sont les droits sociaux que nous avons inscrits dans le code du travail. C’est en y faisant référence que nous protégerons les travailleurs et leur autonomie.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Je suis désolée, c’est votre dernier amendement et l’avis est encore défavorable. Cet amendement vise à compléter les dispositions supplétives qui ont vocation à s’appliquer en l’absence d’accord sur les négociations sectorielles.
Je veux simplement rappeler que la commission a prévu que, dans ce cas, les organisations représentatives dans chaque secteur doivent négocier tous les ans sur la fixation du prix, et tous les deux ans sur le développement des compétences professionnelles et sur la prévention des risques professionnels.
Nous craignons qu’une liste excessivement longue de négociations obligatoires ne réduise finalement le dialogue social, encore virtuel, à un exercice purement formel.
C’est pourquoi nous avons été beaucoup plus succincts dans l’article 3, accentuant quand même la partie négociation sur les prix, qui nous semble le point le plus important.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. La séance d’aujourd’hui me laisse un goût amer. Et je crains que cela ne soit que le début.
Pourquoi me laisse-t-elle un goût amer ?
Compte tenu de mes engagements depuis très longtemps, je devrais me réjouir d’avoir travaillé sur un texte de loi qui essaie d’offrir quelques bribes de protection sociale à des travailleurs précaires, mais tel n’est pas le cas. En effet, alors que nous venons de vivre un siècle d’avancées pour les travailleurs, alors que nous avons sorti de la précarité tous ceux qui travaillaient dans les conditions les plus minables, alors que nous avons fait en sorte que les gens travaillent dignement dans ce pays, avec une protection sociale, un salaire minimum, bref tout ce que vous connaissez – quand je dis « nous », je pense à nos illustres prédécesseurs et aux luttes sociales passées –, on est en train d’instaurer une nouvelle catégorie de travailleurs, qui ne seront ni des salariés ni des indépendants.
On inscrit dans la loi un certain nombre de principes qui donnent à ces travailleurs une réelle existence juridique. On est en train de réinventer, avec toute la solennité de la loi, confirmant par là même que l’histoire est un éternel recommencement, un statut des travailleurs totalement précaire.
Aujourd’hui, ce sont les VTC et les livreurs de repas, mais, sachant que cette manière de travailler gagne un grand nombre de métiers, c’est une sacrée boîte de Pandore qui s’ouvre. On le regrettera demain !
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. J’apporterai juste un complément aux excellents propos de Monique Lubin.
Je regrette, madame la rapporteure, que vous n’ayez toujours pas répondu à mon affirmation, que je réitère : le Gouvernement nous propose de créer un tiers-statut et vous plongez tête la première !
Enfin, permettez-moi un mot sur les ordonnances. Jean-Pierre Sueur et Philippe Bas l’ont rappelé lors de l’examen, voilà une dizaine de jours, de la proposition de loi sur les ordonnances : ce gouvernement a déjà battu un record absolu en matière d’ordonnances et, non contente de gouverner grâce à cette méthode, vous nous proposez aujourd’hui, madame la ministre, un objet législatif impressionnant, presque non identifié, à savoir une ratification d’ordonnance à laquelle s’adjoint une nouvelle habilitation sur le même sujet ! Bref, une ordonnance sur une ordonnance !
Dans le débat que je viens d’évoquer, Jean-Pierre Sueur nous a donné ce chiffre assez incroyable : non seulement il y a de plus en plus ordonnances, mais seules 21 % d’entre elles sont ratifiées. C’est trop peu ! Et si l’on en ratifie une aujourd’hui, c’est pour vous en donner, dans le même temps, une autre à rédiger. En l’espèce, vous nous avez promis de revenir devant le Parlement pour la ratification. J’y compte bien !
Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un dangereux précédent et d’une nouvelle attaque contre les droits du Parlement. Si nous avalisons cette méthode, soyons certains que, demain, cela ne fera que recommencer. Rien que pour cette raison, nous sommes amenés à rejeter ce texte.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. En écoutant la discussion, je me disais que l’on aurait pu, dans notre diversité, obtenir du Gouvernement qu’il impose, après tant d’années à ignorer les travailleurs des plateformes de mobilité, un cadre de négociation. Ils le méritaient !
J’évoquais vendredi, devant votre collègue Adrien Taquet, ce jeune livreur qui s’était blessé au niveau du torse. On lui avait répondu qu’il n’était pas assuré, parce que la plateforme avait considéré que ce n’était pas un élément vital de son corps. Dans un autre cas, la plateforme a quand même lâché une enveloppe de 15 000 euros pour un décès.
Depuis des années, on parle de ces milliers de jeunes hommes, mais aussi de jeunes femmes. En effet, il y a les mobilités, mais les plateformes numériques de travail interviennent aussi dans le travail domestique, dans le service à la personne, en comptabilité, en traduction linguistique, etc.
Notre groupe pensait que l’on aurait l’occasion, ici au Sénat, de se mettre d’accord, au besoin grâce à des compromis susceptibles de faire bouger les lignes, pour ouvrir un cadre de négociation collective, ce qui est différent d’un dialogue social.
« La preuve du pudding, c’est qu’on le mange. » Pour ma part, je n’ai entendu aucun des intéressés me dire qu’il a été saisi d’un élément de consultation et de concertation.
Par ailleurs, je ne suis pas sûr que des ministères comme ceux des transports et de la santé aient été associés, alors que ce sujet mérite un travail interministériel, puisque l’on parle de santé au travail et de mobilités. Mais je ne vois rien !
Bref, il n’y a pas de social dans une ordonnance relative au dialogue social. Dans ces conditions, vous comprendrez que l’on ne puisse pas voter ce texte.
Il n’est pas question de marqueurs ou d’une quelconque amertume,…
M. le président. Il faut conclure !
M. Pascal Savoldelli. … mais on va laisser ces travailleurs pieds et poings liés aux desiderata des dirigeants de ces plateformes, qui contournent leurs responsabilités sociales et fiscales.
On en reparlera !
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Depuis l’émergence des plateformes, la question suivante reste ouverte : s’agit-il d’un travail indépendant ou d’un travail salarié ?
Tout le monde en conviendra, il ne s’agit pas d’un travail indépendant classique. Pour autant, même si nous devions considérer qu’il s’agit d’un travail salarié, il est évident qu’il nécessiterait un chapitre spécifique du code du travail, avec le management algorithmique et toutes les données propres et nouvelles liées à cette nouvelle forme de travail.
La différence, presque le clivage entre nous, c’est que vous partez de la présomption d’indépendance. Pour notre part, nous aurions souhaité poser en principe la présomption de salariat, avec un renversement de la charge de la preuve sur la plateforme, qui bénéficie du rapport de force. Autrement dit, le salarié, dans sa situation de fragilité et de précarité, ne doit pas avoir à apporter la preuve qu’il est salarié et non pas indépendant.
Nous regrettons que nos amendements en ce sens aient été jugés irrecevables, car le point de clivage entre nous réside bien là. Nous avons finalement dû faire des contorsions pour déposer d’autres amendements de nature à améliorer le cadre imposé, mais nous n’aurons pas réussi à avoir un débat clair et tranché à cet égard.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Juste quelques mots pour remercier la commission de son travail sur un sujet, qui, voilà encore quelques années, n’existait pas. Aujourd’hui, il est au cœur de la vie de beaucoup de nos concitoyens. Je constate que nos positions n’ont pas totalement convergé, mais je pense que nous avons montré collectivement notre souhait de faire progresser les droits des travailleurs des plateformes (M. Pascal Savoldelli s’exclame.), en privilégiant la voie d’un dialogue social structuré et équilibré, qui permette aux travailleurs concernés de disposer d’un moyen de se faire entendre.
Je voudrais rassurer M. le sénateur Savoldelli,…
M. Pascal Savoldelli. Ça va être dur !
Mme Élisabeth Borne, ministre. … le ministère des transports est bien associé à ces travaux. S’agissant de la santé au travail, je vous précise qu’il s’agit d’une prérogative du ministère du travail.
L’examen de ce projet de loi de ratification a été l’occasion d’un débat important sur un sujet qui n’est, à l’évidence, pas consensuel. J’espère que la ratification des ordonnances à venir donnera également lieu à un débat parlementaire de qualité.
4
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 16 novembre 2021 :
À quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :
Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, adopté par l’Assemblée nationale, (texte n° 118, 2021-2022) ;
Débat sur l’action du Gouvernement en faveur de la souveraineté énergétique française ;
Débat sur les priorités de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne ;
Projet de loi ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l’article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace (texte de la commission n° 128, 2021-2022).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER