Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Madame la présidente, madame le rapporteur, monsieur Wattebled, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République a fixé à chacun de ses ministres un objectif très clair : garantir la culture de la bienveillance et de l’efficacité dans l’administration au service des usagers, simplifier les démarches administratives, réduire les délais de réponse aux administrés et instaurer une relation de confiance entre les citoyens et leurs services publics.
C’est aussi ma feuille de route, en tant que ministre de la transformation et de la fonction publiques.
En préambule, monsieur Wattebled, je tiens à saluer le travail que vous avez mené avec votre groupe et avec Mme la rapporteure sur ce sujet essentiel. Je me réjouis que nous ayons ce débat aujourd’hui pour aborder un point de la vie quotidienne de nos concitoyens : la nature de leurs relations avec l’administration.
Dans votre exposé des motifs, vous appelez de vos vœux des relations entre les citoyens et la puissance publique fondées sur la confiance et le dialogue. Vous insistez sur l’importance d’une inversion de la logique de l’action publique, en partant des besoins du citoyen et non de ceux de l’administration.
Ces objectifs, le Gouvernement les partage pleinement.
Depuis la création de mon ministère, j’ai souhaité que les administrations et leurs agents soient davantage tournés vers les usagers et arrêtent de piloter leur action en vase clos.
Il nous appartient d’apporter des réponses concrètes aux complications précises – vous en avez cité une – rencontrées par les usagers dans l’accomplissement de leurs démarches administratives quotidiennes, quand celles-ci perdurent. Nous ne pouvons pas nous résoudre aux inégalités existant, dans l’accès aux droits, entre nos concitoyens et qui résultent de ces complications.
Cela passe d’abord par la restauration d’un lien de confiance entre l’usager et l’administration, une confiance qui, je pense, a été largement améliorée par l’instauration du droit à l’erreur.
Ce droit pose le cadre d’une relation de confiance entre les usagers et l’administration, puisque, désormais, la charge de la preuve est inversée ; vous le savez, depuis la promulgation de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (Essoc), il revient à l’administration de démontrer la mauvaise foi de l’usager. Elle ne part plus du principe que celui-ci a fait preuve de mauvaise foi.
Par conséquent, depuis 2018, près de 335 000 droits à l’erreur ont été accordés à des usagers et 2 millions d’erreurs administratives détectées de manière proactive par l’administration n’ont pas conduit à des pénalités, mais ont été simplement résorbées, clarifiées.
Par ailleurs, si des erreurs de bonne foi peuvent intervenir, c’est bien souvent parce que notre réglementation et nos procédures sont complexes. Si le droit à l’erreur en atténue les effets, la simplification – autre bataille que je mène – en traite les causes.
Pour concrétiser cette confiance, je me suis engagée dans une simplification pragmatique du quotidien des démarches administratives, que celles-ci soient numériques ou physiques. Ainsi, au début de l’année 2021, nous nous sommes engagés à simplifier 10 démarches et 100 formulaires administratifs d’ici à 2022, sur le fondement des remontées des agents et des usagers. C’est essentiel pour que les démarches administratives soient accessibles à tous et pour simplifier les parcours des usagers, particuliers comme entreprises.
Prenons quelques exemples concrets de simplifications menées depuis le début de l’année.
Les demandes de MaPrimeRénov’ sont désormais traitées dans un délai inférieur à quinze jours. Nous travaillons également à la numérisation complète de la procédure de dépôt et de traitement des demandes de permis de construire et d’autorisations d’urbanisme dans les communes de plus de 3 500 habitants ; cette numérisation, qui interviendra au 1er janvier 2022, sera majeure dans la vie quotidienne.
Nous avons en outre rendu possible, depuis le 6 avril 2021, l’établissement d’une procuration en ligne, sur le site www.maprocuration.gouv.fr, qui est simplement suivi d’une confirmation prenant quelques minutes, au commissariat ou à la gendarmerie, sans avoir à faire la démarche sur place. Nous avons aussi simplifié fortement le formulaire de demande d’allocation de solidarité aux personnes âgées, ancien minimum vieillesse, afin qu’il soit le plus simple possible.
Ce chantier de la confiance, je le conduis, je l’indiquais, sur le fondement des remontées des usagers et des agents, car ce sont les principaux concernés et nous ne pouvons faire sans eux. En effet, la confiance repose aussi sur l’écoute des usagers et sur la prise en compte accrue de leurs besoins.
Nous avons ainsi mis en place la plateforme Services Publics +, qui permet à chaque usager de partager son expérience dans ses relations avec l’administration, de donner son avis, donc de guider l’amélioration du service public. En un an, nous avons reçu 3 millions d’avis d’usagers et 3 000 personnes ont pris le temps de raconter précisément leur expérience et de proposer des améliorations concrètes de démarches administratives ou de souligner la qualité d’un service et des liens tissés avec l’administration.
Je veille à ce que les administrations tirent de ces retours directs des améliorations très concrètes des services publics. Il est indispensable que les agents appréhendent avec davantage de bienveillance et d’écoute ces demandes, qui convergent d’ailleurs souvent avec leurs expériences et leurs difficultés.
L’ensemble de ces actions portent leurs fruits. Le taux de satisfaction des usagers à l’égard des services publics est ainsi passé de 72 % en 2017 à 76 % aujourd’hui. Au mois de mai 2021, 76 % des chefs d’entreprise indiquaient faire confiance à l’administration pour recevoir d’elle conseils et solutions en cas de difficulté ou d’erreur commise, soit une augmentation de 10 points par rapport à 2019.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, nous partageons pleinement l’objectif d’une administration en phase avec ses usagers, dans une relation de confiance.
Toutefois je suis convaincue – c’est là un point de divergence entre nous, monsieur Wattebled – que ce ne sont pas de nouvelles lois ou de nouvelles dérogations réglementaires qui mettront véritablement notre administration au service des usagers.
Cela passera plutôt par la « réhumanisation » des services publics. En effet, je tiens à le dire clairement, mon objectif n’est pas que l’administration ne réponde pas, qu’elle soit silencieuse. Il est au contraire indispensable qu’elle réponde à chacun de nos concitoyens, par tous les canaux possibles – physiques, téléphoniques ou numériques –, en particulier qu’elle réponde dans les cas les plus compliqués avec un accompagnement humain indispensable.
L’objectif du Gouvernement est donc qu’il y ait des lieux et des gens qui accompagnent les usagers ; c’est ce que font les espaces France Services, que Jacqueline Gourault soutient résolument, afin que, partout en France, tous les usagers puissent avoir un contact quotidien, direct, avec un visage humain pour traiter leurs difficultés.
Monsieur le sénateur, dans le département dont vous êtes élu, le Nord, que Mme le rapporteur et vous connaissez évidemment bien, on dénombre 35 espaces France Services. J’ai étudié en particulier le territoire que vous connaissez le mieux, là où vous avez des attaches, et, à Loos, Seclin, Libercourt, Roubaix, Raimbeaucourt, les Français sont accueillis par des personnes formées et polyvalentes.
Notre but est qu’il y ait, d’ici à la fin de l’année, 2 000 lieux de ce type sur tout le territoire, où les cas les plus complexes que vous venez de citer pourront être résolus non par le silence, mais par une réponse et un accompagnement individualisés.
À mon sens, chambouler l’équilibre du dispositif « le silence vaut acceptation » risquerait d’ajouter plus de complexité que de simplicité. Ce dispositif, certes complexe et imparfait, a représenté une véritable révolution dans la relation entre l’administration et l’usager et il est aujourd’hui bien appliqué par l’administration. Surtout, je le répète, ma priorité est que les administrations répondent et le fassent vite, afin de sortir du débat : le silence vaut-il refus ou acceptation ?
Je souhaite que les administrations s’approprient pleinement leur devoir de réponse et non que l’on procède à une refonte prématurée de cette procédure. Par exemple, la notion de décision implicite d’acceptation doit désormais être toujours couplée, pour répondre aux attentes des usagers, à l’envoi systématique d’un accusé de réception, afin que l’administration soit proche des usagers et les accompagne dans leur vie quotidienne.
C’est l’un des engagements du programme Services Publics +, même si, je le reconnais, celui-ci n’est actuellement pas mis en place dans l’ensemble des administrations et des collectivités. Toutefois, je m’engage à ce que ces accusés de réception soient systématiquement reçus en cas d’accord implicite.
Je le répète, rigidifier ce système pourrait avoir d’importantes conséquences, négatives à mes yeux, sur le fonctionnement concret de nos administrations.
Monsieur Wattebled, madame le rapporteur, je tiens à vous remercier de votre travail, car il s’agit d’un sujet d’importance. Vous m’avez donné l’occasion de rappeler que nos objectifs et les vôtres convergent. Vous le voyez, je m’efforce de les atteindre au quotidien, dans un souci de cohérence de l’action publique, en lien avec les agents publics, qui sont les premiers acteurs de cette action, que nous cherchons à rendre plus efficace et plus proche des Français.
Nous avons encore beaucoup à faire en la matière et je sais que nous pourrons travailler ensemble à l’amélioration du quotidien de nos concitoyens, mais, à l’heure où tous nous disent, souvent avec raison, que les choses sont parfois trop compliquées, ne rajoutons pas une loi. Aidons plutôt les agents publics et les administrations à répondre aux Français, à être proches d’eux, là où ils vivent, et à leur donner des réponses concrètes et rapides. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis toujours ébahi par les instantanés pris par tous les ministres qui nous font l’honneur de venir nous voir. Je me dis chaque fois que nous vivons dans un pays merveilleux, que tout se passe extraordinairement bien et que les chiffres n’ont jamais été aussi bons. Je vous remercie, madame la ministre, de nous avoir remonté le moral ; c’est toujours ça de pris… (Sourires.)
Après nos échanges en commission, qui ont confirmé l’intérêt de la question soulevée par ce texte, nous étudions la proposition de loi de Dany Wattebled relative à la lisibilité du principe « le silence vaut accord ».
Ce concept, quoique récent, est familier à tous. Il s’est imposé au fur et à mesure comme une solution d’équilibre entre l’administration et les usagers, comme une simplification nécessaire et bienvenue. Selon ce principe, encadré depuis 2013, passé un certain délai, une absence de réponse de la part de l’administration doit être considérée comme un accord.
Toutefois, ce principe reste très limité dans sa mise en œuvre et, comme notre rapporteur a pu le rappeler, il ne présente pas que des avantages.
L’un des inconvénients intrinsèques mis en avant est celui de la publication des décisions, permettant notamment d’ouvrir droit à des recours par des personnes tierces. En effet, la publicité dans l’action de l’administration, comme d’ailleurs dans notre action de législateur, qui contribue à ce que certains appellent désormais la transparence, est essentielle. L’équilibre nouveau recherché entre l’administration et l’administré ne saurait se faire aux dépens de l’équilibre général et de l’ordre public ni mener à la privation de droits de certains.
Une autre faiblesse réside aussi évidemment dans les inévitables problèmes matériels des demandes, comme un courrier perdu.
Une difficulté majeure engendrée par la mise en œuvre de ce principe est finalement relative à sa lisibilité : délais variant d’une administration à l’autre, nombreuses exceptions possibles ou encore interprétation variable des tribunaux lors d’un recours sur l’applicabilité ou non de ce principe.
Sur ce dernier point, les travaux de qualité de notre rapporteur ont mis en relief les difficultés liées à « la distinction entre acte réglementaire et décision individuelle[, qui] n’est pas toujours parfaitement claire pour certains actes ». Toutefois, ce principe oblige l’administration ; il l’oblige à instruire ou non des demandes légitimes des citoyens et il crée une sorte de sanction en cas de manquement dans cette instruction. Il permet aussi de ne pas pénaliser l’usager, que celui-ci soit une personne privée ou une entreprise, pour les retards de l’administration, lorsque son action dépend de cette décision.
Clairement, cette proposition de loi est motivée par une ambition sérieuse et louable de simplification et d’efficacité dans les relations entre usagers et administration, mais la rédaction parfois trop large de certains articles nous appelle à quelque prudence.
Vous connaissez l’attention que nous portons au pouvoir local des maires, comme nous l’avons défendu lors de l’examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, ou 3DS. Pour autant, nous sommes bien conscients de leur besoin d’accompagnement, d’ingénierie ou de conseil dans certains domaines. Il reste important de développer l’aide et l’appui technique de l’administration centrale et des services déconcentrés auprès des plus petites communes, afin que celles-ci puissent faire face aux demandes nombreuses et variées.
Si je regrette sincèrement que Mme le rapporteur n’ait pas proposé d’amendements en commission, le cas échéant en se mettant d’accord avec l’auteur, ce qui rend nos échanges et notre discussion quelque peu précipitée, je salue les amendements que nous avons étudiés en commission. Le nouvel équilibre trouvé par Mme le rapporteur et par M. Jean-Pierre Sueur, en particulier au travers de la réécriture de l’article 1er, est bénéfique pour le texte.
Aussi, en fonction des résultats de nos échanges et sous réserve de l’adoption des améliorations contenues dans ces amendements, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nul n’est censé ignorer la loi. Cet adage simple cache une réalité complexe, puisque les citoyens sont en permanence confrontés à l’opacité de procédures administratives. Or, pour connaître la loi, il est nécessaire de pouvoir la comprendre, il faut qu’elle soit accessible à tous et non réservée aux initiés. Il y va de l’égalité républicaine.
C’est dans cette logique que, en 2013, le principe selon lequel le silence de l’administration vaut rejet a été renversé, pour laisser la place au principe « le silence vaut acceptation ». L’action ou l’inaction de l’administration devait alors être plus favorable au citoyen et s’inscrire dans la logique d’un autre adage : qui ne dit mot consent.
Tout principe a des exceptions ; celui-ci en a de nombreuses, parfois très vastes, Mme le rapporteur et l’auteur de la proposition de loi l’ont rappelé. Dès l’entrée en vigueur de la loi de 2013, pas moins de 42 décrets d’application ont été publiés, afin de dresser la liste des cas dérogeant au principe « le silence vaut acceptation ». Aujourd’hui, les exceptions sont finalement plus nombreuses que les cas où le principe s’applique…
Quelle lisibilité pour les administrés que de se retrouver face à un principe général, qui souffre tellement d’exceptions que celles-ci finissent par devenir la règle ?
C’est cette problématique qui motive l’objet de cette proposition de loi, laquelle vise à restreindre ces dérogations, notamment en les limitant à des cas prévus par la loi ou en uniformisant les régimes.
Nous abondons dans le sens des auteurs de ce texte, qui cherchent à redonner une signification au principe selon lequel le silence vaut acceptation, afin que celui-ci conduise bien à une simplification du droit. Les citoyens peuvent à juste titre être perdus, parfois énervés, voire fatigués, pour ne pas dire plus, de la complexité des procédures. Un travail doit donc être mené pour aller vers plus de lisibilité et pour faciliter l’interprétation du silence de l’administration.
Néanmoins, cela a été souligné en commission, les conséquences pratiques de telles dispositions pourraient finalement conduire à plus de complexité ; il n’y a qu’à imaginer, par exemple, les précisions et détails qui devraient être inscrits dans la loi pour traduire l’ensemble des dérogations.
C’est pourquoi nous défendons, à l’instar de nos collègues, une solution d’équilibre qui laisse de la place au domaine réglementaire, afin de ne pas contribuer à « surdétailler » la loi, tout en bornant les possibilités de dérogation.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera donc en faveur du compromis résultant des amendements de séance.
Cela étant, nous ne pouvons appréhender la complexification des rapports entre l’administration et les citoyens au travers de cette seule approche, sans en évoquer les raisons structurantes.
Depuis plusieurs mandats présidentiels, les administrés subissent des privatisations, mutualisations et fermetures de services publics. J’ai apprécié, madame la ministre, le joli tableau que vous avez dépeint, en décrivant la présence des maisons France Services et la volonté du Gouvernement d’améliorer la relation entre l’administration et les administrés, mais force est de constater que la réalité est parfois quelque peu différente.
Les objectifs régulièrement affichés de dématérialisation, de rationalisation, pour réduire les coûts ont une incidence réelle sur la qualité du service rendu aux citoyens, sur le fonctionnement même de nos administrations et sur la capacité de celles-ci à répondre et à expliquer.
Le recul, voire l’absence de l’État, l’abandon de pans entiers du territoire (Mme la ministre hoche la tête en signe de dénégation.), notamment dans les collectivités les plus rurales mais également dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville : voilà la réalité actuelle.
Mme Cécile Cukierman. Les citoyens peinent à trouver un interlocuteur, alors que leur quotidien exige des démarches administratives constantes. En déléguant les services publics, les différents gouvernements ont mis ces derniers au service du profit et non plus de l’intérêt général.
A contrario, la proximité et le temps sont des gages d’efficacité, qui impliquent inévitablement des moyens humains et financiers. Investir dans les services publics en rendant ceux-ci plus accessibles permet de réduire les inégalités entre citoyens, mais aussi entre collectivités. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, on l’a dit et répété, cette proposition de loi vise à renforcer le principe législatif selon lequel le silence gardé par l’administration vaut acceptation.
Ce principe général, établi par la loi du 12 novembre 2013, s’applique depuis le 12 novembre 2014 aux demandes adressées aux administrations de l’État et de ses établissements publics et, depuis le 12 novembre 2015, aux demandes adressées aux collectivités territoriales, aux organismes de sécurité sociale et aux organismes chargés d’un service public administratif.
Le constat est simple : le principe général posé par la loi est affaibli par de très nombreuses exceptions d’origine réglementaire. Le rapport remis le 1er avril 2019 par le Gouvernement au Parlement en témoigne : « si l’on prend en compte l’ensemble des procédures recensées par les ministères, le taux “brut” de SVA […] s’établit à 34 % ».
Ce diagnostic, déjà établi par le Parlement, a généré plusieurs propositions afin de renforcer un principe finalement devenu exception. Ainsi, en 2020, lors de l’examen du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), le Sénat a proposé des amendements allant dans ce sens, mais ces dispositions ne figurent pas dans le texte final.
Nous tenons donc, en préambule, à remercier l’auteur de cette proposition de loi, qui reprend ces dispositifs et qui les complète, et à saluer également Mme le rapporteur pour le travail qu’elle a effectué.
Madame la ministre, je reprendrai les propos de Cécile Cukierman : la description de l’administration que vous nous avez brossée – présente, à l’écoute, disponible… – ne correspond pas exactement à ce que nous connaissons dans nos territoires. Le monde entier nous envie notre administration, mais elle est aussi capable du meilleur comme du pire, révélant parfois des divergences de jurisprudence d’un département à l’autre, comme s’il s’agissait de deux États ne parlant pas la même langue.
De même, la numérisation n’est pas forcément la bonne solution, sachant que l’illettrisme numérique est encore très important dans certains départements, notamment ruraux.
Cette proposition de loi vise à améliorer l’ensemble des dispositifs tout en veillant à une certaine stabilité. L’administration, qui manque parfois de personnel et qui a beaucoup recours à la messagerie, croule déjà sous les normes : n’en rajoutons pas !
L’objectif de l’auteur de la proposition de loi est d’améliorer la réactivité des services administratifs. Nous ne pouvons que cautionner cette démarche : la confiance doit être la pierre angulaire des relations entre l’administration et les administrés.
Si nous en partageons entièrement l’esprit, les dispositifs initialement mis en place pour le satisfaire nous semblent, en revanche, non efficients. C’est la raison pour laquelle nous suivrons les modifications apportées par notre commission et par Jean-Pierre Sueur.
La nouvelle rédaction de l’article 1er, proposée par voie d’amendement par Mme le rapporteur, encadre plus étroitement les conditions dans lesquelles le pouvoir réglementaire peut exclure l’application du silence vaut acceptation. Cette rédaction de compromis nous semble excellente.
À l’article 2, qui prévoit la publication de deux listes distinctes, nous soutiendrons également les amendements identiques de suppression.
L’objectif de cette proposition de loi ne peut qu’être salué. Les dispositifs proposés dans sa version initiale n’étaient encore qu’en devenir. Le travail mené en commission a permis d’améliorer ces dispositions et le groupe Union Centriste votera ce texte dans la version issue de nos discussions en séance.
Madame la ministre, vous avez parlé de l’administration dans son ensemble et de votre action. Il est vrai que la loi pour un État au service d’une société de confiance et le droit à l’erreur qu’elle instaure ont facilité les relations entre administration et administrés.
Cela étant, il reste des pans entiers qui ne fonctionnent pas. Je pense notamment à l’urbanisme, domaine où tout est de plus en plus compliqué. Je ne pense pas que la dématérialisation permettra de résoudre ces problèmes. Ce n’est d’ailleurs pas seulement la faute de l’administration, mais aussi celle des normes produites, toujours plus nombreuses – et je ne parle pas des collectivités territoriales, certaines intercommunalités et communes étant amenées à mettre en place des services extrêmement importants pour pouvoir répondre aux besoins de ce millefeuille, dont nous débattons sans cesse sans jamais parvenir à trouver une solution. Vous connaissez parfaitement ces questions, madame la ministre, notamment en ce qui concerne les normes nationales et européennes.
Tous ces sujets sont éminemment irritants, surtout dans nos territoires les plus ruraux. Il faut apporter toutes les modifications possibles pour améliorer ces relations. Nos administrés, nos concitoyens ont besoin de proximité. Or les centres de décision s’éloignent, les préfectures ferment, les services se font plus lointains… (Mme la ministre fait un signe de dénégation.)
Vous faites signe que non, mais c’est bien ce que nous vivons au quotidien, madame la ministre. Votre gouvernement ne fait d’ailleurs que suivre une pente déjà amorcée par d’autres…
Le groupe Union Centriste votera ce texte dans la rédaction résultant de nos travaux. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au début du XXe siècle, une série de travaux sur la question du silence de l’administration a mobilisé les plus éminents juristes de l’époque, comme Maurice Hauriou ou Gaston Jèze, mais aussi d’autres, moins remarqués, comme Jacques Parrical de Chammard, qui a soutenu, en 1911, une thèse intitulée Le Recours contre le déni d’administration – chacun appréciera la formule… (Sourires.)
La doctrine aboutissait à une conclusion similaire sur cette question : la manifestation de volonté est l’élément indispensable de l’acte administratif. Le silence ne saurait donc constituer l’expression d’une volonté positive, de sorte que l’inertie de l’administration révélait alors l’absence de décision et le refus d’exercer la fonction.
Un peu plus d’un demi-siècle plus tard, dans une décision du 26 juin 1969, le jeune Conseil constitutionnel énonçait encore « que d’après un principe général de notre droit le silence gardé par l’administration vaut décision de rejet et, qu’en l’espèce, il ne peut y être dérogé que par une décision législative ».
Cette mise en perspective nous dit bien le bouleversement qu’a représenté la loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens, qui a marqué une rupture symbolique : le silence de l’administration devrait désormais valoir acceptation.
Deux ans plus tard, ce principe fut inscrit dans le code des relations entre le public et l’administration. Toutefois, s’engager dans une telle mutation du droit de l’administration ne fut simple qu’en apparence.
Comme cela a été exposé, dès l’écriture du texte, une fois le nouveau principe posé, le code des relations entre le public et l’administration a admis la possibilité d’exceptions nombreuses dans ses articles L. 231-4 à L. 231-6, en renvoyant notamment au pouvoir réglementaire le soin de dresser la liste des procédures auxquelles la nouvelle règle ne s’appliquerait pas. En définitive, moins de la moitié des procédures administratives ont fini par être concernées.
Très tôt, les commentateurs du nouveau code, à l’instar du professeur de droit public Paul Cassia, ont souligné qu’en réalité il n’y avait plus, s’agissant du sens du silence de l’administration, ni principe ni exception. Chaque procédure administrative est dans une catégorie particulière.
Dans ces circonstances, le nouveau principe, certes bienvenu, a posé de réelles difficultés : du point de vue des usagers, d’une part, qui peinent à savoir quel régime juridique s’applique à leur demande, du point de vue des administrations, d’autre part – je pense plus particulièrement aux collectivités territoriales, qui doivent également faire face à la multiplication des exceptions et des complications induites.
Avec quelques années de recul, il faut admettre que ce nouveau régime peine toujours à être satisfaisant. Il a trop perdu de vue l’esprit de simplification qui était le sien dans les rapports entre administration et usagers.
Aussi, je salue l’initiative de Dany Wattebled, dont la proposition de loi a vocation, comme il l’a très bien souligné dans son exposé des motifs, à « fluidifier » les rapports de nos concitoyens avec leur administration.
Bien sûr, chercher à résoudre les difficultés que pose l’application du principe « silence vaut acceptation » est une tâche ardue – cela a été souligné lors de l’examen du texte en commission. Toutefois, notre assemblée n’a pas renoncé, comme en témoignent les amendements dont nous aurons à discuter dans quelques instants. Si ceux-ci venaient à être adoptés, le groupe RDSE serait très favorable à cette proposition de loi. (MM. Dany Wattebled et Jean-Pierre Sueur applaudissent.)