M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’école, les vexations, les humiliations et, parfois, les attaques répétées qui atteignent la dignité humaine ne sont pas chose nouvelle.
Ainsi, le jeune Charles Bovary, par son accoutrement de paysan normand et sa balourdise, avait subi la risée de sa classe. En 1857, Gustave Flaubert décrit ce harcèlement scolaire dans le premier chapitre de son roman pour brosser les faiblesses de caractère du futur mari d’Emma.
L’expansion de l’usage des outils numériques, jusque dans les mains d’enfants de plus en plus jeunes, a incontestablement donné à ce harcèlement scolaire, que vous qualifiez de cyberharcèlement, une ampleur et conduit à des modes opératoires nouveaux et toujours plus pernicieux, qui exigeaient que le Sénat s’en préoccupât.
Aussi, notre groupe exprime sa reconnaissance aux membres de la mission présidée par notre collègue Sabine Van Heghe pour le travail réalisé et à notre collègue Colette Mélot pour son substantiel rapport.
Les premiers travaux parlementaires sur ce sujet ont été entrepris il y a une dizaine d’années, mais le rapport qui sert de prétexte à ce débat dresse un bilan nouveau, utile et alarmant de l’étendue du phénomène, et prévoit le cadre d’une politique nationale qui mérite d’être discuté dans cet hémicycle.
Nous partageons l’idée que les établissements d’enseignement et les équipes éducatives, dans leur intégralité, doivent être au cœur de la lutte contre ce harcèlement, même si ce dernier peut se poursuivre à la maison à cause de la domination toujours plus despotique des réseaux dits « sociaux » sur des jeunes devenus dépendants.
De nouvelles compétences pourraient certainement être acquises par ces équipes ; des formations nouvelles devront sans doute leur être proposées. Néanmoins, encore une fois, ces récentes exigences nous imposent de réfléchir collectivement à la place de l’école dans la société et à la mission donnée à l’enseignant.
La mission de l’école n’a jamais été de transmettre uniquement des savoirs et des connaissances. Celle-ci a toujours contribué à l’émancipation individuelle, à la diffusion d’une morale républicaine. En un mot, elle se devait d’éduquer, dans le sens latin du verbe, c’est-à-dire de former des esprits.
Alors que les cadres moraux de nos sociétés vacillent, la tentation est grande de demander à l’école d’apporter, par l’éducation, des remèdes à tous les maux qui nous accablent. Souvent, y compris dans cet hémicycle, nous y cédons en ajoutant des lignes aux programmes des élèves et de formation des professeurs. Cette pratique risque fort de transformer le code de l’éducation en un cahier de doléances.
En l’occurrence, il n’est pas absurde de confier à l’école une mission particulière en matière de cyberharcèlement scolaire, mais il ne faudrait pas qu’elle s’ajoute à toutes celles qui incombent depuis peu aux enseignements.
Le rapport dont nous débattons recommande avec raison la reconstitution, dans les établissements, d’équipes pluridisciplinaires composées de médecins, de psychologues et d’assistantes sociales, pour assurer cet indispensable travail d’accompagnement.
La deuxième préconisation forte de ce rapport, dont nous partageons totalement l’esprit, concerne les réseaux dits « sociaux ». Nous discutons de ce rapport, alors que les révélations de Frances Haugen, ancienne ingénieure de Facebook chargée de « l’intégrité civique » – sic ! –, jettent une lumière crue sur ce qui constitue la banqueroute morale de ce réseau de destruction sociale.
Les machines algorithmiques qui sont au cœur de ces réseaux sont paramétrées pour retenir l’attention. Or cette captation est l’objet même de leur modèle économique. Les réseaux qui les utilisent n’ont donc aucun intérêt à les réguler : ils sont complices de leur propagation.
Le psychiatre Serge Tisseron considère que ces réseaux sont des produits toxiques, et qu’il faudrait les réglementer comme des aliments dangereux pour la santé. Au lieu de cela, nous nous contentons de les appeler à la raison et nous leur demandons, par faiblesse, d’organiser eux-mêmes leur régulation.
Ainsi, la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information, qui confie au Conseil supérieur de l’audiovisuel la mission d’analyser le fonctionnement des algorithmes des plateformes n’est pas appliquée, faute d’un régime de sanctions contraignant.
Le Sénat l’a déjà affirmé à plusieurs reprises, et je le redis avec force devant vous : puisque nous convenons tous qu’il est urgent d’agir sur les vecteurs du cyberharcèlement, aucune évolution positive n’est à attendre de ces entreprises tant que nous ne nous attaquerons pas à leur modèle économique. Nous devons le faire urgemment pour la santé psychique et morale de nos enfants. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier le groupe Les Indépendants – République et Territoires pour ce débat.
Le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, dont nous discutons aujourd’hui, concernent un nombre considérable d’enfants, entre 800 000 et 1 million. Ainsi, en France, un élève sur dix subirait ou aurait subi une forme de harcèlement au cours de sa scolarité.
Il est urgent que chacun d’entre nous prenne conscience de cette réalité et mesure le drame individuel et collectif que le harcèlement représente aujourd’hui pour notre école.
Les réseaux sociaux ont amplifié le phénomène. La violence du cyberharcèlement est décuplée en ce qu’elle frappe dans l’école et au-dehors : il en résulte une exposition permanente à la violence, entre la sphère scolaire et la sphère privée. Près de 25 % des collégiens déclarent ainsi avoir déjà été victimes d’un cyberharcèlement.
Depuis la rentrée, de nombreux élèves de sixième sont harcelés pour la seule raison qu’ils sont nés en 2010. Sur la plateforme TikTok, le hashtag #Anti2010 a prospéré, et des vidéos invitent les jeunes à s’en prendre à ces élèves de sixième.
En 2020, à la suite du confinement et de la fermeture des établissements scolaires, le cyberharcèlement s’est dramatiquement accru. La plateforme d’écoute de l’association e-Enfance a ainsi enregistré une hausse de 30 % des appels, ce qui a entraîné deux fois plus de signalements.
Aucun établissement, aucune région, aucune catégorie sociale ne sont épargnés. Face à cette réalité, le corps enseignant s’estime souvent désarmé. Sont en cause le manque de formation et la difficulté à identifier les cas. C’est pourquoi il me paraît primordial d’intégrer dans la formation initiale et continue des enseignants une sensibilisation à l’empathie et à la détection des situations de harcèlement.
Je rappelle que les conséquences du harcèlement sont graves. Celui-ci accroît le risque d’entrer dans la délinquance criminelle, d’adopter des conduites à risques et peut pousser la victime au suicide.
Mardi, dans les colonnes de Ouest France était évoqué le cas de Chanel, 12 ans, victime de harcèlement ayant mis fin à ses jours le 30 septembre dernier. Le titre de l’article était édifiant : « En France, dix-huit enfants se sont suicidés depuis le 1er janvier 2021. »
Face à cette situation, la prise en compte du problème par les pouvoirs publics dans les années 2010 a cependant permis de réelles avancées.
De nombreuses actions ont été engagées par le ministère de l’éducation nationale : la publication de guides à l’attention des équipes éducatives, l’instauration d’une ligne d’écoute téléphonique nationale, la création d’un site internet proposant des ressources aux enseignants et aux parents, la liste n’étant pas exhaustive : autant de dispositifs qui visent à protéger l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’adolescent dans la construction de son identité et dans sa formation scolaire.
Tous les ministres de l’éducation nationale ont poursuivi cette politique publique. Des partenariats entre les services de police et de gendarmerie, les équipes enseignantes et le personnel médico-social existent. Les départements et les régions mènent également très souvent des campagnes de sensibilisation et de formation de leurs agents. Enfin, les associations de victimes, elles aussi, œuvrent chaque jour auprès des victimes – je souhaite saluer ici la mobilisation de tous les acteurs.
Malgré tous ces efforts et tous les instruments qui sont déployés, la lutte contre le harcèlement et le cyberharcèlement se révèle aujourd’hui imparfaite sur plusieurs points.
D’abord, si les outils à la disposition des pouvoirs publics sont nombreux, ils sont peu connus. Ensuite, l’arsenal juridique existant est souvent inadapté face au cyberharcèlement.
Les enseignants sont par ailleurs trop peu formés pour faire face à ces situations. Faute d’une formation adaptée, seuls 35 % d’entre eux se sentent armés pour gérer une situation de harcèlement. Environ 83 % des enseignants indiquent n’avoir jamais reçu de formation consacrée à la prévention et à la gestion du harcèlement. Ils sont tout aussi nombreux à estimer que cette lutte doit être considérée comme un enjeu de santé publique.
Enfin, j’évoquerai un dernier point, le manque de moyens humains et financiers dans les établissements.
La lutte contre le harcèlement implique des moyens humains mobilisant l’ensemble de la communauté éducative. L’intervention de tiers extérieurs à l’établissement figure parmi les initiatives intéressantes mises en œuvre, mais cette intervention a un coût difficile à assumer, notamment pour les collèges.
Face à ces insuffisances, la mission d’information du Sénat sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, dont je veux saluer ici le travail, a formulé trente-cinq propositions afin de combattre, de manière systématique, le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, et ce autour de trois axes : prévenir, détecter, traiter.
Afin de mieux prévenir les cas de harcèlement, nous recommandons notamment de faire un point systématique, à chaque rentrée, dans chaque académie, sur la qualité du climat scolaire ; de faire remonter, également de manière systématique, au niveau de l’académie les faits de harcèlement et en présenter les suites devant le conseil d’administration de l’établissement.
Pour détecter les cas de harcèlement, il faut intégrer dans la formation des enseignants une sensibilisation à l’empathie et à la détection des situations de harcèlement ; mesurer précisément par cycle scolaire et par région l’ampleur du harcèlement scolaire.
Pour traiter rapidement et efficacement les cas qui se présentent, il faut continuer à développer les travaux d’intérêt général et les stages de citoyenneté traitant de harcèlement pour les enfants harceleurs ; entamer, dès le 1er janvier 2022, les négociations européennes pour promouvoir les stress tests et le name and shame afin de lutter contre le cyberharcèlement.
Le dixième et dernier principe de la Déclaration universelle des droits de l’enfant nous rappelle que l’enfant doit être protégé contre toute forme de discrimination.
C’est dans cet unique but qu’il nous incombe de lutter sans relâche contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, qui remettent en cause le droit essentiel de l’enfant à s’instruire et s’attaquent aux principes de notre République. Nous nous devons de tout faire pour mettre un terme à ce fléau et protéger nos enfants.
Dès lors, madame la secrétaire d’État, quels nouveaux dispositifs et moyens comptez-vous mettre en œuvre, notamment dans le cadre du futur projet de loi de finances ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le cyberharcèlement s’est de nouveau invité dans le débat public avec le hashtag #Anti2010. Alors que nous sommes concentrés sur la gestion de la crise sanitaire depuis de longs mois maintenant, ce déferlement de haine en ligne – j’utilise ce mot volontairement – est venu mettre encore plus en évidence le mal-être des jeunes, qui s’est accru depuis le début de la pandémie.
Si la France demeure dans la moyenne des pays européens concernant le harcèlement et le cyberharcèlement, les politiques publiques mises en place sont extrêmement récentes : elles n’ont qu’une dizaine d’années, alors que dans d’autres pays le problème est pris à bras-le-corps depuis des décennies.
Or le sujet n’est pas à traiter de manière accessoire. Il faut s’emparer du problème au sein de l’école – sur les temps scolaire et périscolaire –, certes, mais surtout au niveau de la société tout entière. La famille et la parentalité ont d’ailleurs, sur ce sujet, un grand rôle à jouer, rôle d’autant plus important que le harcèlement se met en place, aussi, sur les réseaux sociaux, qui n’offrent plus aucune période de repos aux jeunes victimes. Les problèmes de l’école se retrouvent le soir sur les réseaux, et vice versa.
Les statistiques varient, selon ce que l’on intègre dans la notion de harcèlement. Si je me réfère à l’excellent et très complet rapport de notre collègue Colette Mélot pour la mission d’information à laquelle j’ai participé, au moins 6 % des élèves subiraient une forme de harcèlement scolaire, soit plus de 800 000 jeunes chaque année.
Ce chiffre colossal est inquiétant quand on sait que le harcèlement peut conduire à des troubles du comportement, plus ou moins graves, des dépressions, jusqu’à des gestes suicidaires dont certains aboutissent. Je pense, par exemple, à ce jeune marseillais de 13 ans, atteint de troubles « dys », qui a fait deux tentatives de suicide à la suite au harcèlement qu’il a subi, à l’école et sur les réseaux sociaux, après s’être confié à une camarade de classe sur son homosexualité.
Parmi les plus stigmatisés, on retrouve évidemment les filles, mais également tous ceux que l’on considère comme « différents » ou qui sont considérés comme tels par leur entourage, mais aucune catégorie n’est épargnée. Chaque enfant peut être harcelé et harceleur. Aussi, il est impossible de cibler des victimes ou des agresseurs potentiels pour espérer résoudre le problème. Ce sont toutes les valeurs qui traversent non seulement l’école, mais aussi la famille et la société tout entière qui doivent être questionnées.
Selon Catherine Blaya, une professeure qui dirige des travaux de recherche sur le sujet, les pays les plus concernés par la violence sur les réseaux sociaux sont aussi ceux où il y a le plus de violence dans la société. Le fond du problème me semble être là. Je note d’ailleurs avec satisfaction que les préconisations du rapport en matière de prévention sont les plus nombreuses.
Dans beaucoup de domaines, mieux vaut prévenir que guérir. La prévention est particulièrement indispensable s’agissant du cas précis du harcèlement, car elle crée un climat psychosocial dans lequel l’agresseur est celui qui se retrouve stigmatisé.
L’empathie et la fraternité sont à l’origine des modèles scandinaves de lutte contre le harcèlement, modèles dans lesquels l’agresseur est perçu comme un élève à guérir plutôt qu’à punir. D’ailleurs, on estime que 40 % des agresseurs sont aussi des victimes – ce n’est pas anodin.
En travaillant sur l’empathie et la réflexion des élèves harceleurs et de leurs familles, les modèles suédois et norvégien, appliqués dans de nombreux autres pays, ont fait leurs preuves. Ils sont plus favorables à la création d’un sentiment de communauté entre les élèves, et entre les élèves et l’équipe éducative. Au-delà de l’apprentissage d’un savoir-faire, c’est le savoir-être qui est diffusé.
Cela demande beaucoup de travail de la part des équipes encadrantes et des enseignants, qui, on le sait, sont déjà très sollicités sur différents sujets. Mais il faut insister sur le caractère déterminant de leur rôle : ils sont des figures d’autorité et des modèles pour nos jeunes.
Le positionnement de l’adulte a un impact considérable, lorsqu’il véhicule la bienveillance et l’engagement, mais aussi, c’est vrai, un cadre strict et des sanctions si nécessaire. Pour cela, le personnel encadrant doit être formé et engagé sur cette cause. C’est un préalable indispensable sur lequel notre pays doit, me semble-t-il, encore travailler, y compris sur les temps périscolaires où les collectivités ont un rôle à jouer. Le décloisonnement est plus que jamais nécessaire sur ce sujet.
Ces mesures générales ont montré leur efficacité. Elles entraînent une diminution de l’anxiété chez les jeunes, dans le même temps que leur confiance – en soi et envers les autres – et leur motivation à l’école progressent.
Elles peuvent se décliner en mesures concrètes, telles que des travaux de groupe ou des jeux de rôle, pour inciter témoins et victimes à manifester leur réprobation, résoudre les éventuels conflits et se mettre à la place des victimes. Cela nous renvoie à l’empathie.
On sait que le cyberharcèlement est plus fréquent chez les écoliers du primaire, avec 14 % de victimes parmi les élèves du CE2 au CM2. Peut-être faudrait-il mieux prévenir les familles et limiter davantage le recours à internet à ces âges. Il faudrait en outre que les plateformes s’engagent davantage dans cette lutte,…
M. le président. Il faudrait surtout conclure !
Mme Véronique Guillotin. … elles ne peuvent plus détourner les yeux – le législateur non plus !
Pour conclure, tous les enfants ont le droit de se sentir en sécurité à l’école, de ne subir ni oppression ni humiliation intentionnelle. J’espère que ce rapport, comme ses prédécesseurs, permettra de donner le coup d’accélérateur dont nos politiques publiques ont définitivement besoin. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Sabine Van Heghe.
Mme Sabine Van Heghe. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est sur fond de drame que se déroule notre débat de ce jour sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, dans le prolongement du rapport récemment rendu public par la mission d’information que j’ai eu l’honneur de présider.
J’étais hier à Frévent, petite commune du Pas-de-Calais, pour participer à la marche blanche organisée en la mémoire de Chanel, une enfant de 12 ans qui a mis fin à ses jours parce qu’elle était harcelée, violemment et depuis trop longtemps. Permettez-moi d’associer l’ensemble de notre assemblée au soutien que j’exprime à l’endroit de sa famille et de ses proches.
Avec notre rapporteure, Colette Mélot, dont je tiens à saluer la très forte implication, ainsi d’ailleurs que celle de tous les membres de la mission, nous avons, me semble-t-il, utilement œuvré en faveur d’une détection plus précoce du harcèlement, d’un suivi mieux assuré et d’un traitement plus efficace, avec la volonté de mettre un terme à ce fléau.
Je vous renverrai, pour cela, à la liste des trente-cinq recommandations présentées dans notre rapport, déjà évoquées par les précédents orateurs. Dans un souci didactique et pratique, et pour que nos travaux soient immédiatement opérationnels, nous les avons présentées sous la forme d’une feuille de route. Elles sont classées par grande priorité et par ordre chronologique, avec l’indication systématique de l’entité qui en a la responsabilité, du vecteur juridique à mobiliser et du calendrier de mise en œuvre.
Je me félicite donc de votre venue cet après-midi, madame la secrétaire d’État, pour ce débat dont je ne doute pas que vous mesurez les enjeux.
Il nous faut maintenant passer aux travaux pratiques, c’est-à-dire appliquer, sans tarder, chacune de ces trente-cinq recommandations et les rendre opérationnelles sur le terrain.
Chacun voit bien à quel point le harcèlement scolaire représente pour notre société un drame, individuel et collectif, qu’il est plus que jamais urgent de combattre, tant il sape insidieusement les fondements de notre bien vivre ensemble. Le mouvement de harcèlement à l’encontre des élèves de sixième nés en 2010, survenu à la mi-septembre dans nos collèges, en montre encore, s’il en était besoin, la malheureuse actualité, tout autant que le caractère proprement irrationnel.
Si la mobilisation est réelle et si les outils de sensibilisation existent, le dispositif actuel contre le harcèlement scolaire pèche encore dans le suivi, qui n’est pas suffisamment assuré.
Mon intervention portera donc tant sur le fond que sur la forme de cette mise en œuvre.
Sur le fond, et sans revenir sur les points que mes collègues ont déjà pu aborder, j’ai principalement deux séries de questions à évoquer devant vous.
La première série porte sur les moyens nécessaires pour lutter contre le harcèlement et leur renforcement indispensable. Nos auditions l’ont amplement montré : tant la prévention que la détection suppose que les moyens humains de l’éducation nationale soient à la hauteur.
Nos déplacements sur le terrain dans deux collèges, à Melun et à Douvrin, ont permis de constater la forte implication des personnels, tout autant que l’efficacité de leur action au quotidien. Cette action est menée en lien étroit avec les autres partenaires publics que sont la police, la gendarmerie et la justice, ainsi qu’avec les associations.
Le succès en la matière du collège de Melun, en particulier, semble autant dû à l’implication dévouée de ses personnels qu’aux moyens supplémentaires dont il bénéficie en tant que collège classé en réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP+). Les professeurs, dont les heures de cours sont pondérées, utilisent celles qui leur restent pour organiser des temps d’équipe, permettant d’échanger et, donc, d’identifier beaucoup plus rapidement les situations anormales, tout en maintenant un climat scolaire serein.
La mobilisation générale contre le harcèlement scolaire suppose donc bien que la gestion de ces moyens humains se fasse de façon plus fine qu’actuellement. Il faut éviter un turn-over trop rapide afin que les personnels en place disposent du temps nécessaire pour asseoir leur légitimité et leur positionnement au sein de l’équipe éducative.
Les premières indications concernant le projet de budget pour 2022 paraissent montrer des créations de postes d’infirmiers scolaires, d’assistants sociaux et de CPE dans l’enseignement secondaire, avec notamment l’ouverture de 300 postes de CPE et de 50 postes d’assistants sociaux et infirmiers.
Si ces ouvertures de postes répondent en partie à notre attente de plus de moyens et de personnels dans les établissements, encore faut-il que les postes ainsi ouverts soient effectivement pourvus… Pour cela, madame la secrétaire d’État, il faudra veiller à leur attractivité.
Par ailleurs, s’agissant des assistants sociaux et des infirmiers, les besoins actuels sont importants, surtout au regard du faible nombre de postes ouverts. Ainsi, les 50 postes d’assistants sociaux ou d’infirmiers prévus au budget ne représentent qu’un petit « demi-poste » par département ! C’est absolument insuffisant, eu égard aux attentes de la communauté éducative et des parents.
Madame la secrétaire d’État, au titre du suivi vigilant qui sera le nôtre, et que notre rapporteure a rappelé, nous attendons des éclaircissements sur cette question cruciale de l’accroissement, indispensable et significatif, des moyens de lutte contre le harcèlement scolaire. Je ne doute pas, d’ailleurs, que nous en débattrons de nouveau très prochainement, en commission ou en séance publique, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2022.
Ma deuxième série d’interrogations porte sur les priorités de la présidence de l’Union européenne, que notre pays va assumer au premier semestre de 2022.
Vous le savez, une partie de la lutte contre le cyberharcèlement véhiculé par les réseaux sociaux passe par une action déterminée au niveau communautaire, qui viserait à leur imposer des stress tests ou diffuser la pratique du name and shame, comme l’a rappelé notre rapporteure. Lors de nos auditions, nous avons bien constaté que les représentants de ces réseaux ne réagissaient réellement que sous contrainte, quand ils étaient soumis à une forte pression tant politique que médiatique. À ce sujet, je continue de regretter que l’un de ces réseaux, et pas des moindres puisqu’il s’agit de Twitter, n’ait pas pu ou pas voulu participer à notre table ronde du 23 juin dernier.
Madame la secrétaire d’État, votre collègue secrétaire d’État aux affaires européennes a indiqué voilà une semaine, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, que le programme détaillé de cette présidence serait dévoilé par l’exécutif le 1er décembre prochain. Pouvez-vous nous rassurer dès à présent, et clairement, quant à la suite positive que vous allez réserver à cette demande pressante ? Ces priorités figureront-elles bien dans la feuille de route du prochain semestre européen dont vous aurez la charge ?
Enfin, et pour conclure mon propos, je sais que vous avez lu le rapport de notre mission d’information. Nous l’avons voulu opérationnel. Les choses sont dites, les recommandations séquencées dans le temps, les vecteurs juridiques précisés, ainsi que les acteurs publics ou privés en charge de leur mise en œuvre.
L’école ne doit pas être un lieu de souffrance. Elle forme notre jeunesse pour en faire les adultes-citoyens de demain, et je vous sais attachée à ces valeurs.
Alors, comme mes vingt-deux collègues membres de la mission d’information, nous espérons que, avec le ministre Jean-Michel Blanquer, vous agirez vite et bien. Saisissez-vous de ce rapport ! La mission a bien travaillé, tout y est !
C’est une question de volonté politique. Nous l’avons, nous la partageons ici, sur toutes les travées. À vous de jouer ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en premier lieu, je tiens à remercier Mme Colette Mélot, rapporteure de la mission d’information, et Mme Sabine Van Heghe, sa présidente, pour la conduite des travaux et l’écriture des conclusions qui viennent d’être publiées sur ce sujet essentiel.
Mieux prévenir, mieux détecter, mieux traiter le harcèlement scolaire : voilà un enjeu primordial. Nous parlons effectivement d’un drame, individuel et collectif, qu’il nous faut combattre ensemble. Tout le monde a un rôle à jouer dans cette lutte, en particulier tous les membres de la communauté éducative.
« Tous les ans, plus de 700 000 enfants sont cassés, abîmés par le harcèlement scolaire. Ils se débattent au milieu de leurs cauchemars, de leurs peurs, de leur confiance en eux, en l’autre qui à chaque fois s’envole un peu plus. » Tel est le constat, effrayant, que dresse l’association Les Papillons sur son site internet.
Cette structure, présente dans plusieurs départements, dont le Finistère, vise à libérer la parole des enfants victimes de maltraitances. Elle est d’ailleurs citée, comme d’autres structures impliquées dans ce domaine, dans le rapport de la mission.
L’« affaire Mila » a aussi récemment marqué les esprits. L’histoire de cette jeune fille, victime d’un raid numérique, sujette à des menaces de mort, des appels au viol, des insultes, a remis en lumière les effets dramatiques du harcèlement, en l’occurrence du cyberharcèlement, et ses conséquences bien réelles. En juillet, onze prévenus ont été condamnés.
Le harcèlement est bien un fléau, qui se retrouve à tout âge et dans tous les champs de la vie sociale : à l’école – cour de récréation, classe ou vestiaire –, au travail, dans la sphère familiale et dans les espaces publics, en ligne ou dans la rue.
Face à cet état de fait, les jeunes doivent être particulièrement accompagnés. Dans son rapport présenté voilà un an, notre collègue député Erwan Balanant rappelle ce chiffre : « en moyenne, ce sont 2 à 3 enfants par classe qui sont stigmatisés, malmenés, moqués et violentés » dans les établissements publics et privés, avec des conséquences sur le long terme, entraînant des traumatismes profonds et des fragilités durables.
Aussi de nombreuses actions sont-elles menées. La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance consacre, en son article 5, le droit à une scolarité sans harcèlement, reconnaissant ainsi la gravité de cette forme de violence scolaire. L’encadrement de l’utilisation des portables dans les établissements scolaires vise ce même objectif. Un numéro contre le harcèlement scolaire est disponible, de même que contre le cyberharcèlement. Des ressources pédagogiques ont été élaborées. Plusieurs « élèves ambassadeurs », en collège et en lycée, peuvent être nommés. Des référents ont été mis en place. Le travail avec les associations se poursuit et se renforce.
Mais le phénomène a pu connaître un rebond durant la période de confinement, comme l’a rappelé le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports voilà quelques mois.
Il est aussi absolument nécessaire d’intervenir à trois niveaux.
En amont, par une éducation aux médias renforcée tout au long de la scolarité et une prévention dans le milieu scolaire, notamment par la sensibilisation des plus jeunes aux conséquences du cyberharcèlement et une information sur les accompagnements existants.
Par une prise en charge rapide des victimes de harcèlement ou cyberharcèlement dès les premiers « signaux faibles », ce qui implique de savoir détecter ces derniers rapidement, avec le partage de dispositifs simples, d’outils identifiés par les enfants, par les familles et par toutes les équipes éducatives. Il est indispensable que des personnes ressources, de proximité et de confiance, soient connues des enfants pour plus de réactivité dans l’accompagnement.
En aval, enfin, par un accompagnement des harceleurs et un renforcement de l’efficacité de la réponse pénale à l’égard des auteurs. La sanction doit, de toutes les façons, s’accompagner d’une prise de conscience de l’agresseur.
Les plateformes ont évidemment un rôle de coopération primordial à jouer, en lien avec les pouvoirs publics. Leur responsabilité est engagée. Les signalements doivent pouvoir se faire rapidement, puis être traités avec la même célérité.
Il s’agit bien entendu d’un sujet global puisque, si le cyberharcèlement franchit les murs des établissements, les politiques de régulation appellent aussi à dépasser les frontières étatiques. En fin d’année dernière, l’Unesco et le ministère français de l’éducation nationale avaient organisé une conférence internationale sur la lutte contre le harcèlement entre élèves.
Cette problématique pourra être abordée lors de la présidence française de l’Union européenne.
Le Gouvernement a récemment annoncé la généralisation sur tout le territoire du programme de lutte contre le harcèlement à l’école Phare, sur la base de l’expérimentation menée, depuis deux ans, dans six académies.
En cette rentrée, un projet de loi visant à mieux protéger les victimes, en soignant aussi les harceleurs, va être discuté au Danemark. Cette approche était préconisée par la méthode de la « préoccupation partagée », développée dès le début des années 1980 en Suède par Anatol Pikas ; elle est aujourd’hui utilisée avec succès en Finlande, en Australie et au Canada. De la même manière, pour lutter contre le harcèlement scolaire, les Finlandais ont inventé une méthode appelée KiVa.
Échangeons donc sur nos dispositifs de lutte afin de combattre, ensemble, ce fléau ! (Applaudissements.)