M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2021, la place des Français en situation de handicap demeure un enjeu majeur. Près de 12 millions de Français sont actuellement touchés par un handicap et souffrent d’une incapacité ou d’une limitation d’activité.
Certes, les politiques publiques en faveur de l’intégration des personnes en situation de handicap ont été renforcées ces dernières années. Je pense bien sûr à la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
L’objectif de favoriser l’intégration des personnes handicapées et leur participation à la vie sociale demeure tout aussi important. Pour atteindre cet objectif, la loi privilégiait les éléments essentiels d’une vie normale à laquelle chacun aspire : l’accès aux lieux publics, aux transports en commun, à un logement, ainsi que l’obtention d’un travail adapté.
Pourtant, quinze ans après son entrée en vigueur, l’effectivité de cette loi reste incertaine.
De même, quinze ans après la loi pour l’égalité des droits et des chances, 18 % des personnes souffrant de handicap sont au chômage, soit près du double de la moyenne nationale. En outre, 67 % des personnes souffrant de handicap font face à un manque d’accessibilité des lieux publics et déclarent rencontrer des difficultés pour se déplacer.
Dans cette optique, le 14 septembre dernier, le Comité des Nations unies pour les droits des personnes handicapées relevait les limites de la loi pour l’égalité des droits et des chances de la France. Le Comité regrette par ailleurs que la loi de 2005 définisse un « modèle de prise en charge médico-sociale » favorisant l’institutionnalisation systématique sur la base du handicap.
Les Nations unies ont, par conséquent, recommandé à la France de mettre en œuvre des stratégies afin d’éliminer les représentations négatives ou dévalorisantes des personnes handicapées.
L’ONU a par ailleurs encouragé la France à renforcer les mécanismes tels que la surveillance indépendante et le contrôle judiciaire afin de prévenir toutes les formes de mauvais traitements et de protéger de la surmédication les enfants handicapés placés en institution.
Nos concitoyens en situation de handicap ont en principe les mêmes droits que le reste de la société. En pratique, l’application de ces droits reste souvent parcellaire.
L’exemple de l’individualisation de l’allocation aux adultes handicapés illustre cette inégalité des droits. De nombreuses propositions de loi ont été déposées afin de désindexer l’AAH des revenus du conjoint et du foyer, mais le Gouvernement s’y est malheureusement encore opposé.
Difficultés de niveau de vie, impossibilité d’obtenir l’AAH en deçà d’un certain degré de handicap, baisse de l’AAH de la personne en situation de handicap au fur et à mesure qu’augmentent les revenus du conjoint valide, impossibilité d’acquisitions immobilières : les problématiques posées par l’AAH sont multiples et reflètent la situation à laquelle se heurtent encore nombre de nos compatriotes en situation de handicap. L’ONU invite d’ailleurs le Gouvernement à réformer le règlement de l’AAH en ce sens.
Nous le constatons encore et encore, la personne handicapée est considérée comme une personne souffrant d’incapacités avant d’être considérée comme un sujet de droit.
Il nous revient dorénavant de changer ce paradigme, pour peu que nous voulions réellement que notre pays franchisse une étape importante pour l’inclusion des personnes handicapées. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie d’excuser ma collègue Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, qui est retenue à l’Assemblée nationale.
En quatre ans, beaucoup a déjà été accompli pour rendre notre société toujours plus inclusive et pour faire toute leur place aux 12 millions de personnes en situation de handicap et à leurs 8 millions d’aidants.
Des mesures historiques, qui étaient attendues depuis longtemps par le secteur, ont été prises pour l’exercice de la pleine citoyenneté, comme le droit de vote, rendu aux majeurs sous tutelle, ou l’allégement de la charge de la preuve pour l’octroi de droits à vie lorsque le handicap n’est pas susceptible d’évoluer favorablement.
L’engagement de campagne de revaloriser l’AAH a été tenu, son montant ayant été porté à 900 euros par mois pour plus d’un million de bénéficiaires de l’augmentation à taux plein.
Un effort inédit a été fait pour le service public de l’école inclusive et il sera poursuivi.
Enfin, pour la première fois, et au lendemain de la douzième journée nationale des aidants, nous œuvrons pour la reconnaissance des proches aidants. Nous avons créé un congé de proche aidant, indemnisé depuis octobre 2020, et nous investissons dans le développement de solutions de répit.
Nous disposons ainsi d’une feuille de route ambitieuse pour la dernière partie du mandat, établie en concertation avec les personnes en situation de handicap, les associations, les collectivités locales et, bien sûr, la société civile et dont les objectifs ont été renforcés par le contexte de la crise sanitaire, économique et sociale.
Dans le champ du handicap, quatre réformes prioritaires ont été intégrées au dispositif gouvernemental : elles visent à simplifier l’accès aux droits pour les personnes handicapées, à permettre une intervention précoce auprès des enfants souffrant de troubles du neuro-développement, à offrir une scolarité inclusive et adaptée à tous les enfants handicapés et, enfin, à mieux accompagner les aidants.
Je vais à présent vous présenter les deux réformes dont le secrétariat d’État assure le pilotage en vous faisant part à chaque fois de leur état d’avancement et de l’ambition que nous portons d’ici la fin du mandat, chère Sophie Cluzel. (Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées arrive au banc du Gouvernement.)
Notre première réforme prioritaire porte sur la simplification de l’accès aux droits des personnes handicapées. Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement conduit une politique volontariste pour simplifier durablement l’accès aux droits des personnes en situation de handicap et assurer une équité territoriale, quel que soit le lieu de résidence des personnes concernées.
Nous avons fait le choix de mobiliser tous les leviers réglementaires et budgétaires pour permettre aux MDPH d’accélérer le traitement des dossiers afin que nos concitoyens bénéficient de leurs droits sans avoir à multiplier les démarches.
C’est la logique qui a sous-tendu la création, au début de l’année 2019, de droits sans limitation de durée pour les personnes dont le handicap n’est pas susceptible d’évoluer favorablement, le passage de six à douze mois de la validité des certificats médicaux, la simplification des formulaires de demande ou le déploiement d’un système d’information harmonisé pour près de 99 MDPH.
Nous menons cette action en lien étroit avec les conseils départementaux dans le cadre de la Conférence nationale du handicap. Le 11 février 2020, un accord de méthode inédit a été signé entre l’État et l’Assemblée des départements de France pour optimiser de façon significative, en deux ans, le pilotage et le fonctionnement des MDPH.
Après des années de stagnation, l’État mobilise désormais d’importants moyens financiers pour accompagner cette transformation, avec un rehaussement inédit de 15 millions d’euros, dès 2021, du concours versé par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie aux départements au titre du financement des MDPH. Il s’accompagnera d’une meilleure prise en compte de la réalité de la démographie et de l’activité des MDPH afin de soutenir l’équité de la réponse.
Par ailleurs, pour soutenir les départements, la CNSA a mis en place une équipe de sept personnes afin d’épauler les MDPH sur le terrain et améliorer leur processus de traitement et leur pilotage. Il s’agit de réduire le stock des dossiers.
Enfin, pour permettre en toute transparence à chaque citoyen de suivre les avancées et de s’assurer de l’équité territoriale de notre action, nous avons créé, avec Dominique Bussereau, le baromètre des MDPH. Il s’agit d’un tableau de bord de l’activité des 104 MDPH, qui permet de suivre chaque trimestre la progression des différents chantiers et de favoriser une dynamique positive entre les territoires.
L’ensemble de nos actions permet aujourd’hui de disposer d’indicateurs très positifs de suivi de la réforme, même si les moyennes nationales masquent encore des disparités territoriales. Ainsi, à la fin du mois de décembre 2020, il fallait en moyenne de 4,2 mois pour obtenir une réponse de la part d’une MDPH, alors que l’objectif fixé pour 2022 est un délai de 4 mois.
Le Président de la République a fixé un objectif ambitieux pour le délai d’attribution de l’allocation adulte handicapé, le délai de réponse devant être inférieur à 3 mois. Nous sommes, là encore, au rendez-vous : la moyenne s’établit désormais à 4,1 mois et décroît de trimestre en trimestre.
Le taux d’attribution de droits sans limitation de durée atteint 56 % selon les derniers chiffres, quand l’objectif était d’atteindre 65 %. Ce taux a progressé de 7 points au cours du dernier trimestre de l’année 2020.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, notre action porte ses fruits et notre dynamique se poursuivra en 2021. Nous opterons pour une approche territorialisée en faisant porter nos efforts notamment sur les MDPH qui sont les plus en retard, avec l’appui des services de l’État dans les départements. Nous simplifierons et fluidifierons encore et toujours le travail de ces maisons.
Notre seconde réforme prioritaire vise à permettre une intervention précoce auprès des enfants atteints de troubles du neuro-développement. Chaque année, 35 000 enfants en moyenne naissent en France avec un trouble du neuro-développement. Ils sont diagnostiqués en moyenne vers l’âge de 6 ou 7 ans, alors même qu’il est possible de repérer ces troubles plus précocement. L’enjeu est ainsi d’agir tôt, alors que l’enfant bénéficie encore d’une grande plasticité cérébrale permettant d’améliorer son développement.
Le forfait « intervention précoce » est l’une des mesures phares de la Stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement pour la période 2018-2022. L’objectif de ce nouveau dispositif est d’identifier le plus tôt possible ces troubles afin de mettre en place pour les enfants de 0 à 7 ans une intervention adaptée afin de favoriser leur développement et de limiter leur surhandicap.
Ce forfait repose sur la mise en place par les agences régionales de santé de plateformes de coordination et d’orientation capables de proposer aux familles, dès les premiers signes d’alerte, des interventions adaptées ou bien de les orienter vers les professionnels libéraux respectant les recommandations de bonnes pratiques, avec lesquels elles auront passé un contrat.
L’intégralité du parcours est évidemment pris en charge par l’assurance maladie. Un forfait sera attribué pendant 24 mois afin de rémunérer les interventions de psychologues, ergothérapeutes, psychomotriciens exerçant en libéral, dont les bilans n’étaient jusqu’alors pas remboursés. Cela représente pour les familles une dépense évitée de 1 500 euros en moyenne.
À ce jour, 63 plateformes sont d’ores et déjà en place et 15 plateformes supplémentaires seront ouvertes avant l’été. Elles auront permis de repérer plus précocement 6 800 enfants et de déclencher 3 807 forfaits de bilan et d’intervention précoce.
D’ici 2022, cent plateformes seront installées sur l’ensemble du territoire, ce qui permettra de repérer 30 000 enfants et d’attribuer 19 000 forfaits au total. Dans les territoires où le déploiement du dispositif se révèle plus difficile, nous faisons appel à la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) pour soutenir les ARS.
En parallèle, les premières plateformes dédiées aux enfants de 7 ans à 12 ans présentant des troubles du neurodéveloppement seront également mises en place dès 2021.
Vous pouvez constater que cette réforme change profondément la vie des enfants diagnostiqués et de leurs familles. Il nous faut continuer dans cette voie en mobilisant encore davantage les professionnels de la petite enfance, les médecins généraux et les pédiatres, en lien avec la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la secrétaire d’État, chère Sophie, l’action de transformation que nous menons. Cette politique facilite la vie de nos concitoyens en situation de handicap, dans la mesure où nous leur accordons tout simplement des droits et le meilleur accompagnement possible dans un projet de société toujours plus inclusive. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Laurence Cohen. Madame la secrétaire d’État, vous n’avez apparemment pas bien écouté le débat : vous n’apportez aucune réponse !
M. François Bonhomme. Ce n’est pas faux !
M. le président. Madame Cohen, le Gouvernement dit ce qu’il veut…
Mme Laurence Cohen. Avec ce gouvernement, tout va bien : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »
M. le président. Madame Cohen, un peu de calme. Après tout, chacun est libre de s’exprimer. (Sourires.)
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Les droits des personnes en situation de handicap sont-ils effectifs et respectés ? »
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Harcèlement scolaire et cyberharcèlement
Débat organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, sur le thème : « Harcèlement scolaire et cyberharcèlement. »
Dans le débat, la parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mmes Sylvie Vermeillet et Sabine Van Heghe applaudissent également.)
Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet qui nous occupe cet après-midi est grave, comme l’actualité nous le démontre régulièrement, ce qui rend notre débat d’autant plus nécessaire.
Sur l’initiative de mon groupe, Les Indépendants – République et Territoires, le Sénat a créé en mai dernier une mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. Présidée par notre collègue Sabine Van Heghe, que je tiens ici à saluer et à remercier pour sa présidence efficace et attentive, notre mission a travaillé dans une ambiance studieuse et confiante, qui est la marque de fabrique du Sénat.
Le harcèlement scolaire et son développement dans le cyberespace constituent une préoccupation très largement partagée, qui nous concerne tous. En effet, il s’agit d’un fléau qui, surtout dans sa dimension « cyber », sape insidieusement les fondements du vivre ensemble. Nous devons donc décréter la mobilisation générale pour mieux prévenir, détecter et traiter, afin de suivre efficacement les victimes et de disposer d’un réel suivi des harceleurs.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’articulerai mon propos de ce jour autour de deux grands axes. Tout d’abord, j’évoquerai le fait que les pouvoirs publics reconnaissent le harcèlement comme un fléau depuis dix ans, ce dont il faut se féliciter. Mais, et ce sera mon second point, nous avons une ardente obligation de tout faire pour endiguer et éradiquer ces ferments de haine.
La mobilisation générale que nous préconisons doit devenir sans tarder une grande cause nationale, et nous comptons sur votre implication, madame la secrétaire d’État, pour faire aboutir cette recommandation.
Je commencerai mon propos en revenant sur le constat actuel, très largement partagé, concernant l’acuité de ce fléau du harcèlement.
Le harcèlement scolaire – chacun le voit dans son environnement personnel ou familial – est un drame individuel, mais aussi collectif. Il n’épargne personne, aucun milieu, aucun établissement, d’autant plus que les réseaux sociaux, par leur puissance, leur anonymat, leur viralité et leur évolution permanente en démultiplient les effets dramatiques.
Se crée ainsi, pour reprendre une expression largement répandue parmi les acteurs du monde de l’éducation, un « continuum de violence » entre l’école et la sphère privée. Les chiffres qui figurent dans notre rapport le montrent en détail : près d’un élève sur dix en est victime ; dans sa version « cyber », il se concentre surtout sur les jeunes filles et stigmatise toutes les différences. Face à ce phénomène, on constate le désarroi du milieu éducatif : les deux tiers des enseignants s’estiment ainsi mal armés face au harcèlement.
Pourtant, les pouvoirs publics, au-delà des alternances, ont pris la mesure du phénomène depuis dix ans. Des partenariats existent ente l’éducation nationale et les grands services publics. Je n’oublie pas non plus l’action de terrain des associations, qui s’avère efficace. Sans être exhaustive, je pense aux associations Marion la main tendue, HUGO !, Respect Zone, ainsi qu’à toutes celles qui sont présentes localement. Il faut ainsi saluer et reconnaître à sa juste mesure tout ce travail.
C’est en réalité la prise en charge du « dernier kilomètre » qui fait souvent défaut. Elle suppose une capacité d’écoute qui est propre à des adultes formés pour cela, une stabilité des équipes, une libération de la parole des enfants, un suivi de la victime et l’adoption de sanctions éducatives contre les harceleurs.
Nous devons également relever un double défi.
D’une part, la panoplie actuelle des instruments de lutte contre le harcèlement est assez, voire paradoxalement trop étendue. Des numéros d’appel, ainsi qu’un site public dédié existent, sans oublier un concours national et une journée annuelle de sensibilisation, le dispositif des « élèves ambassadeurs » ou les opérations locales de sensibilisation. Mais, en réalité, nombre de ces outils sont mal connus ou insuffisamment utilisés.
D’autre part, il nous semble que l’arsenal juridique est, pour une large part, insuffisant face au cyberharcèlement. En droit français, le harcèlement est déjà pénalement réprimé, notamment lorsque les actes sont effectués en meute. Il est ainsi assorti de circonstances aggravantes quand il s’applique à des mineurs ou s’exerce sur les réseaux sociaux. Cependant, pour tout ou partie, l’activité sur les réseaux sociaux n’est accessible que via des messageries privées protégées par le secret des correspondances, et le siège de ces réseaux n’est pas situé en France ni même en Europe.
Madame la secrétaire d’État, nous comptons sur l’engagement déterminé du Gouvernement, car une action juridique solide et efficace ne peut se concevoir que dans un cadre européen, voire international.
De ce fait, et c’est mon second point, notre mission d’information a pour objet très précis d’accélérer la prise de conscience et la mise en place de nouvelles réponses mieux adaptées à l’environnement « cyber ».
Pour ce faire, nous avons veillé à proposer des recommandations pouvant être rapidement appliquées. Nous les avons donc classées – vous l’avez sûrement vu dans notre rapport – à la fois par grand axe et de façon séquencée dans le temps, en précisant par qui et comment il faudrait les mettre en œuvre.
Vous l’avez bien compris, nous n’avons pas l’esprit de système et voulons agir avec efficacité et réalisme.
Aussi, il nous semble qu’il faut commencer par mieux cerner le phénomène sur un plan statistique, car sa mesure reste encore imparfaite. Quel effet a eu le confinement sur le harcèlement et le cyberharcèlement ? Les premières indications accréditent l’idée d’une stagnation du harcèlement classique et, à l’inverse, d’une augmentation du cyberharcèlement, ce que l’on comprend aisément.
Par ailleurs, nous estimons que des outils efficaces comme les numéros d’appel 3020 ou 3018 devraient être davantage visibles dans les établissements et figurer dans les carnets de correspondance ou les agendas scolaires. Les élèves harcelés ne doivent faire aucun effort de mémorisation au moment où ils estiment nécessaire de recourir à ces numéros.
En outre, nous avons regardé les solutions mises en place dans d’autres pays comparables au nôtre, qui ont fait la preuve de leur efficacité. Comme dans les pays scandinaves, il faut promouvoir le maintien ou la construction d’un climat scolaire de qualité autour de la notion du vivre ensemble.
Il y a matière à faire évoluer la formation initiale et continue, non seulement des enseignants, mais aussi, plus globalement, de toute la communauté éducative.
Surtout, chaque enfant doit connaître précisément ses droits et ses devoirs. Un document d’information, dont le contenu sera annexé au projet d’établissement, doit être distribué chaque année au moment de la rentrée pour rappeler le droit existant, les numéros d’appel et les sanctions encourues.
Une autre de nos priorités est de développer notre capacité à détecter rapidement une situation de harcèlement et, notamment, à repérer les signaux dits « faibles ». Il s’agit, par exemple, des élèves qui, sans raison apparente, durant plusieurs jours, ne terminent pas leur repas de midi à la cantine.
L’enfant ne doit pas avoir peur d’aller en parler avec des adultes de confiance, que ce soit l’enseignant, le conseiller principal d’éducation (CPE), l’assistant d’éducation, l’infirmière scolaire ou le personnel de la cantine.
C’est pourquoi nous suivrons avec beaucoup d’attention la généralisation du programme Phare qui va s’appliquer partout, dans toutes les académies et dans tous les établissements. À ce propos, madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer où en est le déploiement de ce programme annoncé pour la rentrée ?
Enfin, il faut évidemment traiter systématiquement, et sans délai, tous les cas de harcèlement. Les élèves et leurs parents doivent bien savoir qu’aucun fait ne restera sans sanction, car le harcèlement est illégal. Toutes les victimes doivent être aidées.
Dans une visée éducative, il faut concilier justice « restaurative », en généralisant les stages et les travaux d’intérêt général, et sanction des harceleurs. Il faut aussi éviter que, comme trop souvent, ce soit l’élève harcelé qui doive quitter l’établissement et qui soit ainsi victime d’une double peine. Nous demandons aussi que les suites réservées à ces cas de harcèlement soient systématiquement examinées par le conseil d’administration de l’établissement, ce qui n’est que trop rarement le cas.
Ce traitement systématique doit permettre à chaque élève, qu’il soit victime, harceleur ou même témoin, de comprendre que le harcèlement n’est pas toléré, et que telle ou telle moquerie, tel ou tel geste, même pour jouer ou plaisanter, constitue pour l’enfant qui le subit un fait de harcèlement. En effet, à de nombreuses reprises, il nous est apparu que le harceleur, le témoin et même la victime n’arrivaient pas à percevoir ce qui caractérise pourtant un harcèlement.
Enfin, à l’heure des réseaux sociaux, il faut que vous nous aidiez à gagner la course contre la montre engagée en matière de lutte contre la propagation des actes de malveillance sur internet. Bref, il faut que les réseaux soient enfin proactifs. Nos auditions le prouvent bien, il leur reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
À cet égard, je salue la rencontre qui a eu lieu la semaine dernière entre le ministre de l’éducation nationale et les responsables des principaux réseaux sociaux. Cet échange doit constituer un premier pas, qui devra être suivi d’effets.
Nous comptons sur le Gouvernement pour saisir l’occasion de la présidence française de l’Union européenne, afin de faire avancer deux dossiers : d’une part, la mise en place de stress tests pour vérifier que les objectifs assignés aux réseaux sociaux en matière de suppression des contenus litigieux sont bien atteints ; d’autre part, le développement du name and shame pour favoriser la dissuasion par la publicité, en stigmatisant les mauvais élèves du cyberespace.
Madame la secrétaire d’État, je viens de rappeler nos principales préoccupations. Vous le savez, nous avons mené nos travaux avec beaucoup de pragmatisme, afin de faire avancer la lutte contre ce fléau. Aussi, nous espérons bien qu’elle sera dès 2022 ou 2023 notre prochaine grande cause nationale.
Dans cette attente, je vous remercie, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, de votre attention. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Toine Bourrat.
Mme Toine Bourrat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’enfance est de ces temps fragiles que le regret ignore et la souffrance effleure. Elle est l’aube des promesses, la démonstration, parfois trompeuse, mais toujours nécessaire, de l’innocence, de l’illusion. Cette enfance est bercée des devoirs bénéfiques de l’apprentissage du destin d’adulte et de la vie collective.
L’école, quant à elle, est d’abord le balbutiement de la conscience d’autrui, le lieu de l’apprentissage, du savoir, le temple de l’instruction. Cette école permet à nos enfants de grandir et de s’épanouir, tant sur le plan personnel, en tant qu’individus, que collectif : ils deviennent ainsi des citoyens vertueux, ouverts aux autres et sur le monde.
Pour tous nos jeunes compatriotes, voilà ce que devrait être l’enfance et ce que devrait être l’école. Je viens en vérité de vous décrire un idéal déchu, tant cette école est peu à peu devenue pour beaucoup de nos enfants, et par le seul fait du harcèlement, un lieu de souffrance, de mal-être et de violence. Le développement du cyberharcèlement a accentué ce phénomène, en instaurant un continuum pervers de violence invisible, qui va bien au-delà du portail des établissements.
Le rapport de notre mission d’information a mis en exergue l’ampleur du phénomène. Avec ses trente-cinq recommandations, ce rapport est déjà plus qu’un thermomètre et bien davantage qu’une boussole, mais c’est d’un électrochoc que nous avons besoin.
C’est devant les réalités vertigineuses du mal-être des jeunes Français, encore illustrées par le suicide d’une élève de 12 ans dans le Pas-de-Calais, il y a tout juste une semaine, que nous prenons conscience du déni dans lequel nous étions plongés.
Alors que 700 000 élèves, soit deux à trois enfants par classe en moyenne, sont concernés par le harcèlement, alors qu’une victime sur quatre a déjà songé au suicide, alors que la médecine scolaire ne met à la disposition des établissements qu’un professionnel pour 12 000 élèves, nous avons l’impérieuse nécessité d’agir.
Il faut donc agir vite et fort, mais surtout agir enfin. Et dans ce domaine plus qu’ailleurs, tout délai est un drame. Alors que faire ? Détecter ? Oui. Traiter ? Bien sûr. Sanctionner ? Si nécessaire. Le mot clé est réactivité, car notre ennemi est le temps : le temps de la compréhension, de la réaction, du témoignage, ce temps qui écrase, dilue et parasite l’action.
La réactivité passe d’abord par l’action du témoin. Le ou les témoins, ce sont d’abord les élèves eux-mêmes, ce public des harceleurs, ces camarades des harcelés, qui constatent la souffrance de leurs pairs, mais qui ne donnent pas l’alarme de peur d’être perçus comme des délateurs.
Construire une culture de la vigilance, c’est d’abord briser l’omerta de ceux qui voient ; c’est inverser la charge de l’anonymat qui déresponsabilise aujourd’hui l’agresseur, alors qu’il devrait protéger et libérer le lanceur d’alerte. Nous devons offrir aux témoins la faculté de sonner l’alarme sans risquer de représailles.
Appuyons-nous sur les solutions existantes. Je citerai à cet égard l’application The Sorority, qui permet le renseignement instantané des signaux faibles en matière de lutte contre les violences conjugales. Pourquoi ne pas envisager la territorialisation d’un outil numérique similaire dans chaque établissement ? Chaque école, collège ou lycée disposerait ainsi d’un signal d’alarme efficace.
Pourquoi ne pas recourir aux applications existantes du type OSE ou Pronote, qui relient parents, professeurs et élèves, et y adjoindre un lanceur d’alerte anonyme ? Une fois l’alerte donnée, c’est au système éducatif, parents compris, d’intervenir pour couper net les racines du harcèlement.
La clé, disais-je, c’est la réactivité, et cela vaut bien sûr pour le cyberharcèlement, tant l’internet constitue l’espace des flux où se répand l’information à une rapidité parfois mortelle.
À la dictature de la vitesse et de la réputation, opposons un principe de précaution qui imposerait aux réseaux sociaux de bloquer un contenu, dès lors qu’il met en péril l’intégrité d’un élève. Pour exemple, TikTok dit retirer a priori à chaque signalement les publications susceptibles de constituer un harcèlement. Nous l’avons vu récemment avec l’ignoble mouvement symbolisé par le hashtag #Anti2010.
Oui, mes chers collègues, il est impérieux de s’attaquer à la racine du mal, car le sacrifice de l’enfance est aussi celui du développement personnel et de la vie collective. C’est en pensant à Fénelon que j’ai été amenée à cette conclusion : « Les premières années de l’enfance sont les plus précieuses, elles décident du sort des autres. » (Applaudissements.)