Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa, M. Pierre Cuypers.
2. Ouverture de la session ordinaire de 2021-2022
4. Éloge funèbre de M. Patrick Boré, sénateur des Bouches-du-Rhône
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
5. Candidature aux fonctions de secrétaire du Sénat
6. Candidatures à des commissions
7. Communication relative à une commission mixte paritaire
8. Lutte contre toutes les formes d’antisémitisme. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution
M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de résolution
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Adoption de la proposition de résolution.
Suspension et reprise de la séance
9. Nomination d’un secrétaire du Sénat
10. Reconnaissance du Gouvernement d’unité nationale de Birmanie. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de résolution
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Vote sur l’ensemble
Adoption de la proposition de résolution.
Suspension et reprise de la séance
11. Pacte européen pour l’asile et les migrations. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme Pascale Gruny, pour le groupe Les Républicains
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté
M. Stéphane Ravier ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
M. Jean-Yves Leconte ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Jean-Yves Leconte.
Mme Patricia Schillinger ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
M. Pierre-Jean Verzelen ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
M. François Bonhomme ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
Mme Raymonde Poncet Monge ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Éliane Assassi ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
M. Philippe Bonnecarrère ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Philippe Bonnecarrère.
M. Henri Cabanel ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
M. Didier Marie ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
M. Pascal Allizard ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
M. Jean-Michel Arnaud ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Jean-Michel Arnaud.
M. Jean-Yves Leconte ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Jean-Yves Leconte.
Mme Christine Lavarde ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; Mme Christine Lavarde.
M. Alain Cadec ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Alain Cadec.
M. Roger Karoutchi ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Roger Karoutchi.
M. Cyril Pellevat ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
12. Situation sanitaire outre-mer. – Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer
Mme Catherine Conconne ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; Mme Catherine Conconne.
M. Thani Mohamed Soilihi ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
M. Pierre Médevielle ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; M. Pierre Médevielle.
M. Alain Milon ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
M. Guillaume Gontard ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
Mme Éliane Assassi ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
M. Jean-François Longeot ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; M. Jean-François Longeot.
M. Stéphane Artano ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
Mme Viviane Artigalas ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; Mme Viviane Artigalas.
Mme Annick Petrus ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
Mme Jocelyne Guidez ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
Mme Victoire Jasmin ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
Mme Micheline Jacques ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
Mme Catherine Deroche ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
M. Georges Patient, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer
13. Ordre du jour
Nomination de membres de commission
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa,
M. Pierre Cuypers.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Ouverture de la session ordinaire de 2021-2022
M. le président. En application de l’article 28 de la Constitution, la session ordinaire de 2021-2022 est ouverte.
3
Élection de sénateurs
M. le président. J’ai reçu de M. le ministre de l’intérieur une communication de laquelle il résulte que, à la suite de l’élection complémentaire des sénateurs représentant les Français établis hors de France du dimanche 26 septembre 2021, M. Jean-Pierre Bansard, Mmes Mélanie Vogel et Samantha Cazebonne, et MM. Olivier Cadic, Yan Chantrel et Christophe-André Frassa ont été proclamés élus sénateurs et sénatrices.
Le mandat de nos collègues a débuté vendredi 1er octobre, à zéro heure. Nous les accueillons au Sénat avec plaisir et leur souhaitons un excellent mandat. (Applaudissements.)
Acte est donné de cette communication.
4
Éloge funèbre de M. Patrick Boré, sénateur des Bouches-du-Rhône
M. le président. Mes chers collègues, mesdames, messieurs, c’est une profonde tristesse qui nous a envahis quand nous avons appris, le 5 juillet dernier, la disparition de notre collègue Patrick Boré, sénateur des Bouches-du-Rhône. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.) Il a mené pendant de longs mois un combat courageux et digne contre la maladie, avec la même détermination qui l’a accompagné toute sa vie.
J’étais présent, avec de nombreux collègues, le 8 juillet à La Ciotat. Ce fut une très émouvante cérémonie d’adieu, à laquelle assistaient nombre de personnalités politiques et d’habitants des Bouches-du-Rhône. La ville entière était en deuil. Et c’est aussi dans les rues de cette cité, si chère à son cœur, que les habitants sont venus en masse le long du port lui rendre témoignage de leur affection et de leur reconnaissance, avec émotion, humanité et recueillement. Et les sirènes des bateaux « pleuraient » à l’unisson des cœurs.
Le service de l’intérêt général, le don de soi et l’amour du prochain guidèrent sans cesse la vie de Patrick Boré.
Né à Toulon le 9 novembre 1956, de parents commerçants, Patrick Boré exerça le beau métier de pharmacien, après des études à la faculté de médecine de Marseille. Installé à La Ciotat, entre ses clients et lui, c’était un attachement, une empathie, tout particulièrement pour les ouvriers des chantiers navals.
Engagé en politique depuis les années passées sur les bancs de l’université, il porta la flamme du gaullisme à La Ciotat et s’engagea dans une carrière politique en 1999, en devenant le suppléant du député des Bouches-du-Rhône Bernard Deflesselles.
Son élection, en mars 2001, à la mairie de La Ciotat est restée un moment privilégié de sa vie publique. Il allait redonner vie à une cité fortement affectée par la fermeture de ses chantiers navals. Réélu maire à trois reprises, en 2008, 2014 et 2020, il s’est consacré à sa ville pendant plus de dix-neuf ans, il l’a transformée et a mis toute son énergie et sa générosité au service des Ciotadens, tant il est vrai qu’un maire est comme un potier qui donne forme à la terre brute.
Cette ville lui doit notamment le renouveau des chantiers navals, devenus désormais l’un des fleurons de l’activité de réparation des grands yachts dans le monde, la création du parc du Domaine de la Tour, la rénovation du Port-Vieux ou encore le développement des zones d’activité dédiées aux industries innovantes, sans oublier une politique de l’habitat volontariste permettant aux Ciotadens de vivre et travailler chez eux.
Il permit à La Ciotat de renouer avec sa fierté industrielle, mais aussi culturelle, en redonnant vie à l’association La Ciotat Berceau du cinéma, créée pour illustrer la vocation cinématographique de cette ville, liée à la présence des frères Lumière.
Il s’est battu pour La Ciotat avec la fougue du rugbyman qu’il était. Renaud Muselier, son ami d’études, m’a confié au soir même de sa disparition : « Il était profondément gentil et bienveillant, jusqu’au coup d’envoi du match où il se transformait en beau diable. Ce trait de caractère du rugby, il l’avait aussi dans la vie politique : il adorait le combat. »
Je le revois, lors d’une visite des chantiers, en août 2018, effectuée à son invitation. J’ai en mémoire sa fierté et sa passion lorsque nous parcourions les différentes installations et ateliers, à la rencontre des entreprises et des salariés du site. Nous avions souligné le succès de la réindustrialisation du chantier naval, et insisté sur l’importance du travail collectif dans cette réussite.
Ancré à sa ville, Patrick Boré l’était aussi à son département. Il fut élu conseiller général du canton de La Ciotat en 2004, réélu en 2011 et 2015, et siégea au total plus de seize années au sein de l’assemblée départementale.
Il devint en 2015, aux côtés de la présidente Martine Vassal, premier vice-président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, chargé des relations internationales et européennes, ainsi que des interventions humanitaires.
Il fut un élu apprécié de tous, tant au sein de cette assemblée qu’à la Métropole d’Aix-Marseille-Provence, dont il fut vice-président de 2016 à 2020.
En juin 2019, il s’engagea dans la campagne des élections européennes.
Mais notre assemblée l’attirait depuis longtemps. Son arrivée au Sénat, au début du mois d’août 2020, en remplacement de Sophie Joissains, a marqué un tournant dans sa vie.
Il mena la liste « Cap sur l’avenir de nos villes et de nos villages », lors des élections sénatoriales qui suivirent, aux côtés de nos collègues Valérie Boyer, Stéphane Le Rudulier et Brigitte Devésa, qui lui a maintenant succédé parmi nous. Il fut, comme à son accoutumée, un acteur de rassemblement et d’apaisement. J’ai le souvenir d’une réunion et d’un déjeuner de campagne sénatoriale particulièrement chaleureux, à Aix-en-Provence, en septembre 2020.
Il sillonna les Bouches-du-Rhône au cours de cette campagne, allant de mairie en mairie. Élu sénateur, il a gardé la passion de sa ville et de son département. Lorsqu’il passa le flambeau de la mairie de La Ciotat à Arlette Salvo, il déclara : « En choisissant le Sénat, je choisis La Ciotat, car je ne quitte pas La Ciotat. […] Avoir deux parlementaires dans un conseil municipal, je crois que c’est important pour une ville aussi. »
Dès son arrivée parmi nous, nous avons apprécié cet homme particulièrement chaleureux. Souvenez-vous de sa silhouette émaciée, de sa gentillesse et de son affabilité. Ses premières interventions dans l’hémicycle furent écoutées avec attention. Il avait une voix forte !
Sa profession de pharmacien l’avait tout naturellement conduit à rejoindre la commission des affaires sociales. Au cours de la crise sanitaire, il eut à cœur d’alerter le Gouvernement, comme beaucoup d’entre nous, sur la nécessité de « territorialiser » les mesures prises. Il avait ainsi appelé à « réfléchir, en collaboration avec les élus locaux, les fédérations et les organisations professionnelles, à des protocoles sanitaires sûrs et réalisables », pour éviter de nouvelles fermetures et permettre notamment aux gérants des restaurants et des bars « d’avoir une véritable visibilité et à leur foyer de sortir de l’angoisse du lendemain ».
Membre du groupe d’amitié France-Arménie, il déposa, en avril 2021, une proposition de résolution par laquelle il invitait le Gouvernement « à exiger de la République d’Azerbaïdjan, sous peine de sanctions, […] la libération sans délai des prisonniers civils et militaires qu’elle détient toujours et la restitution immédiate des corps des soldats arméniens tués au combat ». Ces mots parlent aux présidents des groupes qui m’ont accompagné, un 24 avril 2021, en Arménie.
En mai 2021, il questionna le Gouvernement sur ce même sujet, déplorant le silence et l’inaction de la France, « pourtant liée à l’Arménie par des liens séculaires d’amitié », « face aux multiples exactions commises par la Turquie et ses alliés, notamment à l’encontre de l’Arménie ».
Il fut aussi membre du groupe France-Saint-Siège. Quoi de plus naturel pour celui qui fit en sorte que les reliques de Saint-Césaire d’Arles puissent être envoyées aux musées du Vatican ? Selon ce saint du VIe siècle, il faut courir sur ses deux pieds, « l’humilité et la charité ».
Sportif de haut niveau et adepte du rugby, marcheur patenté sur les chemins de Corse, chers à son cœur, Patrick Boré était un homme réservé, à l’écoute de la détresse humaine. Il l’a prouvé en accueillant, ce qui n’est pas si facile, de jeunes migrants érythréens. Ses convictions l’ont toujours porté vers l’autre.
Nous garderons de Patrick Boré le souvenir d’un sénateur chaleureux, bienveillant et sincère, d’un élu de proximité profondément attaché aux Bouches-du-Rhône et à sa commune de La Ciotat, et aussi d’un humaniste doté d’une grande empathie, d’une personnalité d’une grande droiture et particulièrement agréable dans ses relations avec autrui.
À ses anciens collègues de la commission des affaires sociales, à ses amis du groupe Les Républicains, j’exprime notre sympathie attristée, que nous ressentons encore quelques mois après son décès.
Au nom du Sénat, je souhaite exprimer notre profonde compassion, mais aussi notre gratitude, à sa mère, à son épouse, Nadine, que je salue aujourd’hui, à ses enfants Julien et Alicia, et à toute sa famille, ainsi qu’à toutes celles et tous ceux qui l’ont accompagné tout au long de sa vie. Patrick Boré était un exemple et « s’accompagnait lui-même ». J’ai le souvenir de nos dernières conversations téléphoniques, à un moment où l’espérance se faisait peut-être plus lointaine. Il continuait à être ce qu’il était, un homme profondément humain. Patrick restera à jamais présent dans nos mémoires. Nous ne l’avons pas accueilli très longtemps dans cet hémicycle, mais il est des femmes et des hommes, qui nous marquent de leur empreinte, malgré la brièveté de leur rencontre.
Je vous invite à partager un moment de recueillement, avec la pensée que Patrick, qui avait sa vision de l’éternité, est peut-être, en cet instant, parmi nous. (Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures quinze, sous la présidence de M. Pierre Laurent.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
Candidature aux fonctions de secrétaire du Sénat
M. le président. J’informe le Sénat que le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour remplacer, en qualité de secrétaire du Sénat, Mme Patricia Schillinger, qui a démissionné de cette fonction à compter du 1er octobre 2021.
La candidature de M. Dominique Théophile a été publiée et la désignation aura lieu conformément à l’article 2 bis du règlement.
6
Candidatures à des commissions
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et de la commission des affaires européennes ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
7
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
8
Lutte contre toutes les formes d’antisémitisme
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de résolution portant sur la lutte contre toutes les formes d’antisémitisme, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Bruno Retailleau, Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 701 [2020-2021]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà presque quarante et un ans jour pour jour – c’était le 3 octobre 1980 –, une bombe explosait rue Copernic à Paris. Elle visait une synagogue et fit des dizaines de blessés, ainsi que des morts, bien sûr. Si une telle attaque antisémite était une première depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on peut malheureusement dire, rétrospectivement, que ce ne fut pas une dernière. Les crimes antisémites se sont en effet multipliés depuis lors.
Je voudrais citer les crimes abominables de Mohammed Merah, mais aussi les victimes suppliciées que furent Ilan Halimi, Sarah Halimi, Mireille Knoll. Pour prendre la mesure du phénomène, il faut avoir en tête ces chiffres d’une étude de l’Institut français d’opinion publique (IFOP), qui révélait voilà peu que sept Français sur dix de confession juive disaient avoir fait l’objet d’un acte antisémite : sept sur dix, mes chers collègues !…
Oui, désormais, de nouveau, la question de l’antisémitisme se pose en France.
Mais elle se pose d’une façon radicalement renouvelée. Hier, ces actes antisémites étaient principalement le fait d’une idéologie, celle de l’extrême droite. Aujourd’hui, un autre écosystème s’est mis en place, dans des territoires perdus de la République, gagnés par l’islamisme, des territoires où l’on ne peut plus enseigner la Shoah à l’école, des territoires où trop souvent nos compatriotes de confession juive se voient cracher au visage les mots de « sale juif » – aujourd’hui, au XXIe siècle !
Dans ces territoires, dans nos écoles publiques, nos écoles de la République, combien reste-t-il d’élèves de confession juive ? Combien de familles ont dû s’exiler, la peur au ventre ?
Cet antisémitisme est radicalement nouveau, disais-je : hier – c’était avant la guerre –, il faisait la une d’un certain nombre de journaux, des journaux antidémocratiques, qui affichaient leur antiparlementarisme ; aujourd’hui, malheureusement, cette idéologie se déploie, se cache, à l’ombre de discours prétendument antiracistes. Et ce que nous entendons relève parfois d’un stupéfiant renversement des valeurs : désormais, les coupables s’affichent comme des victimes au motif qu’ils appartiendraient à des groupes de « dominés », des groupes de déshérités.
Mes chers collègues, hier comme aujourd’hui, un antisémite est un antisémite. Et face à l’antisémitisme, nous ne devons rien céder.
Ne rien céder, c’est aussi adopter une définition nouvelle, à la hauteur de cette exigence. Car on ne combat bien que ce que l’on nomme bien. Tel est l’objet de la proposition de résolution que j’ai cosignée avec mon collègue Hervé Marseille : consacrer la définition qui a été adoptée par la France et par les nombreux pays membres de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste.
Cette définition – vous aurez pu le constater – est suffisamment large pour prendre en compte l’ensemble des manifestations et expressions de l’antisémitisme. Parfois la frontière est ténue, mes chers collègues, entre l’antisémitisme et l’antisionisme. En tout cas, elle est beaucoup moins nette que certains ne voudraient le faire accroire.
Si cette définition est conçue pour être assez large, elle doit être aussi suffisamment stricte pour ne pas blesser la liberté d’opinion : on a le droit, dans notre pays comme dans toutes les démocraties, de critiquer la politique d’Israël, comme on a le droit de critiquer la politique de n’importe quel État de la planète.
Voici ce qu’en conclusion je veux répéter : la résolution proposée n’est pas une résolution pour nos compatriotes de confession juive ; c’est une résolution pour la France. Les actes antisémites sont bien sûr des actes dirigés contre des Français en particulier ; mais ils sont d’abord et avant tout dirigés contre la République française, contre ce que nous sommes, contre notre histoire, contre notre projet civique, contre l’essence même de notre beau pays, la France. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le président Retailleau a commencé son propos en évoquant les événements de la rue Copernic ; plus près de nous, le 11 août dernier, les habitants de Perros-Guirec ont découvert la stèle érigée en hommage à Simone Veil sur le parvis de la mairie recouverte de tags représentant des croix gammées. Après un nettoyage, cette même stèle sera de nouveau souillée trois jours plus tard. Durant le mois d’août 2021, elle sera abîmée à quatre reprises.
Ces actes inacceptables ne sont pas isolés et j’aurais pu, comme vient de le faire mon ami Bruno Retailleau, multiplier les exemples dans tous nos départements…
Si de tels actes se font sous le couvert de l’anonymat, nous assistons également à la résurgence d’un antisémitisme de plus en plus décomplexé, parfois même pratiqué à visage découvert. En témoignent certaines pancartes aperçues cet été dans des manifestations anti-passe sanitaire.
L’antisémitisme s’exprime dans la rue, sur les murs des lieux de culte et dans nos cimetières, mais aussi, beaucoup, sur les réseaux sociaux. Pour des milliers de Français, il se traduit par des injures, des intimidations, des discriminations.
Comment accepter qu’en France, en 2021, des élèves soient contraints de quitter leur école en raison de leur religion ?
Depuis les années 1970, l’opinion publique paraissait pourtant globalement vaccinée contre l’antisémitisme, en France et dans le monde.
Mais peu à peu a émergé un nouvel antisémitisme qui, protéiforme, prend souvent pour prétexte la situation au Proche-Orient pour condamner non seulement les Israéliens, mais aussi, sur cette base, un « lobby juif » auquel sont assimilés les juifs de France.
Les chiffres du ministère de l’intérieur l’attestent : en 2019, pas moins de 687 faits antisémites ont été comptabilisés par les services de police, ce qui représente une hausse de 27 % par rapport à l’année 2018, s’ajoutant, de surcroît, à une augmentation qui avait déjà été de 74 % au cours de ladite année 2018.
Derrière ces chiffres, il y a l’horreur. Car l’antisémitisme tue : Mireille Knoll, Sarah Halimi, les victimes de l’Hyper Cacher, les enfants de l’école Ozar Hatorah de Toulouse, Ilan Halimi, autant de noms et de visages dans nos consciences, des femmes, des hommes et des enfants sauvagement arrachés à l’affection des leurs par une violence et une haine barbares.
Cette haine, la haine des juifs, on la pensait d’un autre temps.
Par son caractère violent et meurtrier, cette nouvelle haine antisémite, apparue dans les années 2000, est sans précédent.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais en France on n’avait assassiné des juifs, encore moins des enfants, du seul fait de leur religion.
En 1990, la loi tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite loi Gayssot, a condamné la négation des crimes contre l’humanité, preuve de l’engagement de la France dans ce combat qui l’honore.
Depuis, de nombreux plans interministériels ou nationaux sont venus compléter cette loi. Le dernier en date couvrait les années 2018 à 2020.
Cet antisémitisme, né au XXe siècle et avançant la plupart du temps sous le masque de l’antisionisme, ne saurait nous laisser indifférents ou démunis.
Nous devons le décrire, le définir, le caractériser pour mieux le dénoncer ; c’est là tout le but de la définition proposée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, organisation intergouvernementale à laquelle appartient la France, comme la quasi-totalité des pays de l’Union européenne.
La proposition de résolution que nous vous soumettons aujourd’hui, mes chers collègues, n’est pas juridiquement contraignante et n’a pas vocation à l’être : il n’est pas question de modifier le code pénal ni la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Il s’agit de caractériser l’antisémitisme par une définition plus précise et de permettre ainsi aux forces de l’ordre, aux magistrats et aux enseignants de mieux appréhender un phénomène qui prend parfois, aussi, les traits de l’antisionisme.
Je remercie tous mes collègues signataires de cette proposition de résolution pour leur engagement.
Il ne s’agit pas non plus d’empêcher toute critique de l’État d’Israël. L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste le précise d’ailleurs dans ses travaux, indiquant que « critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme ».
La définition que nous vous soumettons a par ailleurs été adoptée par de nombreux pays, dont la France, et par plusieurs villes importantes, comme Paris ou Nice. Elle le fut également par le Parlement européen au printemps 2017.
Réaffirmer dans cet hémicycle notre attachement à cette lutte essentielle pour le bien vivre ensemble relève d’une nécessité impérieuse au moment où certains cherchent à réhabiliter le pétainisme et dénient aux enfants tués à Toulouse le droit d’être enterrés en Israël.
Parce qu’on ne construit pas une société sûre, pacifique et solidaire sur la haine de l’autre, c’est l’honneur du Sénat que d’adopter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – M. Joël Guerriau applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la période que nous vivons est particulièrement violente et anxiogène pour tous les citoyens de notre pays.
Les actes racistes et les actes dirigés contre la communauté musulmane se sont multipliés de façon alarmante ; ils deviennent des faits divers ; ils ne nous révoltent plus, ou presque plus. Quant aux actes antisémites, forme la plus ignoble du racisme, ils se multiplient eux aussi, et nous inquiètent. Ils inquiètent la communauté nationale, car ils sont une atteinte aux valeurs de la République.
Je suis petite-fille de déportés ; mon père s’est échappé du Vel d’Hiv grâce à un gendarme français qui a eu pitié de ma grand-mère et a ainsi épargné son fils… mon père.
Penser qu’en France, en 2021, on peut attaquer des personnes au seul motif qu’elles sont juives, et tuer des enfants pour les mêmes motifs, me glace le sang.
Penser que certains abrutis utilisent les symboles de la Shoah pour manifester contre le passe sanitaire me donne la nausée.
Comment expliquer que certains osent utiliser l’étoile jaune « porte-malheur » ? Comment expliquer à nos parents, qui l’ont portée, ces dérapages insupportables ?
Penser que certains promeuvent une théorie suggérant qu’il y aurait de bons et de mauvais antisémites, comme il y a du bon et du mauvais cholestérol, me consterne, car ce discours est insidieux et pervers.
Les faussaires de l’histoire, qui affirment dans un même élan que Vichy aurait protégé les juifs, justifiant l’injustifiable pour des raisons politiques, m’horrifient.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. Penser qu’en 2021, en France, terre des Lumières, de l’émancipation des juifs, il faut que nos synagogues soient gardées jour et nuit et que les gardes soient doublées les jours de fête, au point que ma fille a peur d’y emmener ses enfants, me désespère ; et je ne vois pas comment nous inverserons la tendance, madame la ministre.
C’est pourquoi je remercie le Gouvernement et le ministre de l’intérieur pour les mesures de sécurité qu’ils consacrent à la protection des lieux de culte – de tous les lieux de culte.
C’est pourquoi, aussi, je remercie Hervé Marseille et Bruno Retailleau d’avoir fait inscrire cette proposition de résolution à l’ordre du jour.
Nous vivons avec nos morts et avec notre histoire tragique.
C’est pour éviter que celle-ci ne se reproduise que je voterai, avec les membres du groupe Union Centriste, cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDSE. – M. Joël Guerriau applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous ». Cette citation de Frantz Fanon sonne comme un rappel : le combat contre l’antisémitisme est un combat permanent, un combat pour nous, pour nos enfants et pour nos compatriotes de confession juive, qui font évidemment partie intégrante de la communauté nationale et méritent le même respect que les autres.
Hélas, Mireille Knoll, Sarah Halimi, les victimes de l’Hyper Cacher et bien d’autres nous rappellent qu’aujourd’hui, en France, l’antisémitisme est un fléau tenace. La population juive suscite encore des fantasmes, des préjugés, qui conduisent certains à commettre l’irréparable par haine ou simplement par bêtise.
Si, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, on pouvait légitimement penser que le pire était derrière nous, l’antisémitisme est encore prégnant. L’augmentation de 27 % des actes de ce type en 2019 en témoigne. Ce chiffre doit être cité pour objectiver la haine visible en un phénomène comptable.
Mais il y a aussi ce que l’on ne voit pas, parce que certains ne portent pas plainte ou simplement parce que l’on s’y est habitué, par mithridatisation des esprits. Ce peut-être une phrase, une remarque ou un sous-entendu stigmatisant – autant d’éléments qui chaque jour nous rappellent que l’antisémitisme reste une réalité à combattre, car il est en mutation.
Cette proposition de résolution retient la définition suivante : « L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte. »
Cette définition promue par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, approuvée par le Président de la République et par l’Assemblée nationale en 2019, fait débat.
Si nous sommes tous d’accord sur le regain que connaît en France l’antisémitisme et sur le fait que nombreux sont les antisémites qui se drapent derrière les drapeaux de l’antisionisme, nous ne devons pas occulter que la définition qui nous est proposée ne fait pas consensus, à l’Assemblée nationale notamment, mais aussi et y compris parmi les intellectuels juifs.
Le RDSE n’a pas de position de principe a priori sur ce sujet, sinon celle qui consiste à observer l’étendue du droit existant et les effets qu’engendrerait l’adoption de cette proposition de résolution.
Force est de constater qu’entre la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, la loi Gayssot et, surtout, la réforme du code pénal de 1992, qui a aggravé les sanctions en la matière, notre ordre juridique offre une réponse pénale suffisante et complète face aux actes racistes et xénophobes, qui plus est antisémites.
On peut difficilement affirmer, comme cela a pu être fait lors des débats à l’Assemblée nationale, que ce texte permettra de mieux qualifier les actes antisémites, pour la simple et bonne raison que cette définition ne fera pas l’objet d’une traduction pénale.
Je ne vous rappellerai pas quelle est la force juridique des résolutions, mes chers collègues ; j’entends néanmoins la portée hautement symbolique du texte que nous soumettent les présidents Retailleau et Marseille.
Cette définition doit être avant tout perçue comme un outil éducatif, notamment à destination des plus jeunes, visant à leur faire comprendre que le désaccord avec la politique de l’État israélien et la critique de celle-ci sont légitimes et légaux, mais que l’amalgame entre ledit État et l’ensemble de la population de ce pays – laquelle, d’ailleurs, n’est pas uniquement juive – est, lui, illégal, condamnable et inacceptable.
Conscients que cette proposition de résolution est avant tout symbolique et souhaitant réaffirmer leur attachement à la lutte contre toutes les formes de discrimination, les membres du RDSE voteront cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Patricia Schillinger et M. Joël Guerriau applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’exposé des motifs de cette proposition de résolution précise son but : caractériser l’antisémitisme « contemporain ».
De fait, les préjugés antijuifs perdurent en se renouvelant : juifs riches et assoiffés de pouvoir, juifs responsables de tous les maux, covid compris…
Les pancartes brandies par certains « antivax » et « anti-passe » rappellent les accusations médiévales dirigées contre les juifs « propagateurs de la peste » et « empoisonneurs de puits ».
Notre lutte contre l’antisémitisme ne doit laisser place à aucune ambiguïté. Pourquoi, dès lors, isoler le phénomène en focalisant l’attention sur la critique d’Israël ?
En 2015, au lendemain de l’offensive meurtrière contre Gaza, M. Netanyahou se lance dans la promotion d’une idée simple : « antisionisme égale antisémitisme. » Son principal interlocuteur est l’IHRA, acronyme anglais de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, organisme intergouvernemental regroupant trente et un États.
En mai 2016, l’IHRA adopte la définition de l’antisémitisme dont nous débattons.
Non contraignante sur le plan juridique, elle demeure un outil de propagande et d’intimidation. En témoignent les pressions exercées par les lobbies pro-israéliens pour la faire adopter par le plus grand nombre possible de municipalités, de partis, d’États.
Le 16 juillet 2017, à la fin de son discours prononcé lors de la cérémonie en mémoire de la rafle du Vel d’Hiv, Emmanuel Macron déclarait : « Nous ne céderons rien à l’antisionisme, car c’est la forme réinventée de l’antisémitisme. » Voilà le type de confusions qu’entretiennent les exemples accompagnant la définition de l’IHRA.
La proposition de résolution du Sénat est plus claire et plus raisonnable que celle qui fut présentée à l’Assemblée nationale par Sylvain Maillard. Le mot « antisionisme » n’apparaît heureusement pas dans l’exposé des motifs.
La définition de l’IHRA me semble pourtant insuffisante et peu éclairante pour qui veut en faire usage. Je voterai tout de même la proposition de résolution, mais j’aurais préféré que soit retenue la déclaration de Jérusalem, élaborée par des universitaires et approuvée par des centaines de spécialistes de l’histoire des juifs et de l’antisémitisme dans le monde.
Cette déclaration, ébauchée sous la houlette de l’institut Van Leer de Jérusalem, établit des critères non ambigus pour identifier les situations où la critique d’Israël ou du sionisme ou l’hostilité à leur égard verse dans l’antisémitisme. Elle offre de fait les clés pour interpréter la définition de l’IHRA.
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat est appelé, à travers l’examen de cette proposition de résolution, à réaffirmer solennellement son attachement, notre attachement, aux principes qui fondent notre République et à rappeler nos valeurs humanistes.
Il est des combats qui doivent rassembler et même transcender le peuple et ses représentants. La lutte contre l’antisémitisme est un de ces combats, malheureusement toujours d’actualité.
Nos sociétés occidentales connaissent le poison d’un antisémitisme qui s’y est enraciné durant des siècles, jusqu’à devenir un préjugé ancré.
Cet antisémitisme pluriséculaire, nos sociétés ont choisi de le combattre sans relâche depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, au lendemain de la Shoah.
Notre combat, c’est la condamnation de tous les appels à la haine et à l’oubli de la souffrance endurée par les juifs parce que juifs.
Je veux ici saluer les paroles prononcées par le président Jacques Chirac lors de son discours historique du 16 juillet 1995, à l’occasion des cérémonies commémorant la rafle des 16 et 17 juillet 1942. Il reconnaissait ce jour-là la responsabilité du régime de Vichy et l’acte « irréparable » – ce sont ses mots – accompli par la France avec la rafle du Vel d’Hiv. Jacques Chirac, par ce discours, a grandi la France. Nous ne pouvons que l’en remercier.
Aussi, quand j’entends certains, parfois élus de la République, courir après un polémiste révisionniste ou refuser de le condamner, j’ai mal à ma France.
Je veux aussi rappeler l’existence de la loi dite Gayssot, adoptée en 1990, tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite, xénophobe ou niant l’existence d’un crime contre l’humanité.
Qu’ils viennent de l’extrême droite, de la sphère complotiste ou du totalitarisme islamiste, toute parole et tout acte antisémites sont à condamner et à combattre. Nous ne devons accepter aucun accommodement, tolérer aucune complaisance, autoriser aucune lâcheté.
Je salue l’action de nos collègues auteurs de cette proposition de résolution « portant sur la lutte contre toutes les formes d’antisémitisme ». Les trois termes ou groupes de termes, « lutte », « toutes les formes » et « antisémitisme », pris individuellement ou globalement, ont leur importance.
Ma famille politique a dans son ADN la lutte contre le racisme et l’antisémitisme ; elle votera donc évidemment cette proposition de résolution.
Je la voterai d’autant plus que je suis sénateur du Val-d’Oise, un département touché dans sa chair par les ravages de l’antisémitisme.
J’étais samedi dernier, comme chaque année, à Aincourt, où, le 5 octobre 1940, le régime collaborationniste de Pétain transformait un sanatorium en camp d’internement. Près de 1 500 enfants, femmes et hommes y furent internés jusqu’à sa fermeture le 15 septembre 1942, avant d’être déportés dans les camps d’extermination de Ravensbrück et d’Auschwitz. Peu d’entre eux survécurent à la barbarie nazie.
J’étais également, le 30 novembre 2015, à Sarcelles, où nous avons inauguré, en présence de Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur de l’époque, une place et une stèle en hommage à Yohan Cohen, assassiné à 20 ans, assassiné parce que juif, par un terroriste dans l’attentat de l’Hyper Cacher. Je me souviendrai toute ma vie de la douleur, des visages et des mots de la famille et des amis de Yohan Cohen.
Je ne reprendrai pas ici la longue liste des crimes antisémites qu’a connus la France ces dernières années – d’autres l’ont fait avant moi. Mais il faut dire que la progression est notable, et même sensible : 687 faits antisémites constatés dans notre pays en 2019. Voilà pourquoi nous devons mener ce combat contre l’antisémitisme, en adoptant une double démarche.
Une démarche pédagogique, tout d’abord, visant à combattre et à faire tomber les préjugés – et je tiens à cet égard à saluer l’action des différents gouvernements de François Hollande, puis d’Emmanuel Macron, dans le cadre des plans nationaux de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, trop peu connus et qu’il faudra relancer.
Une démarche de répression totale, ensuite : il ne faut rien laisser passer. L’antisémitisme n’est pas une opinion, mais bien un délit ; il faut une justice implacable.
Les sénatrices et sénateurs du groupe Socialiste, Écologique et Républicain voteront donc unanimement la proposition de résolution portant sur la lutte contre toutes les formes d’antisémitisme. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je salue à mon tour l’inscription à l’ordre du jour de la Haute Assemblée de ce débat sur la lutte contre toutes les formes d’antisémitisme.
L’antisémitisme est un poison, une attaque intolérable contre notre société dans sa globalité, contre le vivre-ensemble et le « faire société ». Chaque fois que l’antisémitisme frappe, c’est l’égalité entre les citoyens qui est affaiblie.
Je ne rappellerai pas l’ensemble des chiffres témoignant de la recrudescence des actes antisémites du quotidien en France – plusieurs d’entre vous avant moi, mes chers collègues, les ont déjà exposés. Mais deux chiffres me heurtent tout particulièrement : 84 % des jeunes Français de confession juive âgés de 18 ans à 24 ans ont été victimes d’un acte antisémite, selon un sondage conduit par l’IFOP en janvier 2020 ; selon cette même étude, 54 % des agressions verbales se déroulent en milieu scolaire.
Ces chiffres inacceptables me donnent le vertige. Nous attendons des écoles et des universités qu’elles soient des lieux d’apprentissage de la vie, de découverte des valeurs humanistes, de tolérance et d’ouverture sur le monde, et non l’occasion pour nos enfants de vivre ou d’être témoins de telles démonstrations de haine.
Ces chiffres en disent long sur ce poison qui touche notre jeunesse, qui n’en est d’ailleurs pas la seule victime. De tels actes imposent non seulement une condamnation ferme et claire de la part des responsables politiques, mais surtout une action rapide et déterminée pour que cela cesse. À chaque profanation de tombes, l’émotion est vive ; et si les inscriptions s’effacent, la douleur, elle, demeure. Quant aux réseaux sociaux et aux forums de discussion ou consacrés aux jeux vidéo, ils sont eux aussi des lieux propices à la propagation de discours antisémites.
Cet été, nous avons vécu, sous prétexte d’une opposition à des mesures sanitaires, un regain de haine inédit en France. Comme vous tous, mes chers collègues, j’ai été profondément choquée de voir défiler un tel antisémitisme décomplexé, assumé à visage découvert, lors de manifestations où des comparaisons abjectes entre le passe sanitaire et l’étoile jaune ont été mises en scène. L’indifférence des personnes qui ont défilé aux côtés de telles pancartes haineuses est inacceptable.
De telles situations me rappellent le discours prononcé par Elie Wiesel, qui fut lauréat du prix Nobel de la paix, sur les périls de l’indifférence. Voici ce qu’il disait : « Être indifférent à la souffrance, c’est ce qui rend l’humain inhumain. L’indifférence n’est pas un début, c’est une fin. Et, par conséquent, l’indifférence est toujours l’amie de l’ennemi, car elle profite à l’agresseur – jamais à sa victime, dont la douleur est amplifiée quand elle se sent oubliée. ».
J’ai l’espoir qu’un sursaut de conscience puisse avoir lieu dans notre société, car l’antisémitisme n’est pas le problème de nos concitoyens de confession juive : c’est le problème de notre société tout entière. Nous ne devons jamais cesser de combattre tant l’antisémitisme que l’indifférence à l’antisémitisme.
Ce combat de tous les instants passe par la répression, l’interdiction, le rappel de la loi par la puissance publique contre ce délit pénal ; mais il passe aussi par une responsabilité collective de chacun des citoyens qui doivent condamner fermement de tels actes et réagir immédiatement quand ils en sont les témoins.
Enfin, ce combat passe par la promotion de l’enseignement de la Shoah, de la mémoire et par une meilleure identification des actes antisémites.
À cet effet, notre groupe tient à saluer le travail mené par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste dont la France est membre. Le 26 mai 2016, cette organisation intergouvernementale a adopté par consensus une définition dite « de travail » de l’antisémitisme.
Cette définition, qui n’est pas juridiquement contraignante et n’a pas vocation à l’être, a le mérite de faire connaître et comprendre ce qu’est l’antisémitisme. Elle permet aussi de mieux identifier des actes antisémites. Les exemples concrets cités dans le document de travail de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste contribuent à ce travail de pédagogie et d’identification, et montrent que ces actes passent par des discours de forme visuelle, des stéréotypes ou encore des théories conspirationnistes.
D’ailleurs, cette définition tend à garantir la liberté d’expression. Elle ne vise pas à empêcher les critiques à l’égard d’Israël qui sont comparables à celles exprimées à l’encontre d’autres pays.
Le groupe RDPI se félicite que le Président de la République ait fait le choix d’endosser la définition de travail de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste à l’occasion du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), le 20 février 2019, dans la continuité du discours prononcé le 16 juillet 2017.
Cette proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui invite le Gouvernement, dans un travail de pédagogie, à diffuser cette définition auprès des services éducatifs, répressifs et judiciaires. Notre groupe soutient une telle perspective, car nous sommes nous aussi convaincus qu’en matière de prévention, d’éducation, de formation ou de répression cette définition constituera un instrument utile pour mieux lutter contre l’antisémitisme.
Comme l’a souligné le Président de la République, il ne s’agit pas de modifier le code pénal, encore moins d’empêcher ceux qui veulent critiquer, mais il s’agit de préciser et de raffermir les pratiques de nos forces de l’ordre, de nos magistrats et de nos enseignants dans cette lutte.
Par conséquent, le groupe RDPI votera en faveur de cette proposition de résolution, qui respecte les jalons posés par le président Macron. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Jean-Claude Requier et Yves Détraigne applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en guise de préambule, je voudrais relever que l’examen de cette résolution pour lutter contre toutes les formes d’antisémitisme coïncide ce jour avec une cérémonie internationale officielle commémorative de l’Holocauste de Babi Yar à Kiev, en présence du président allemand Frank-Walter Steinmeier et du président israélien Isaac Herzog.
Ce quatre-vingtième anniversaire nous rappelle deux journées funestes où 33 000 juifs ont été exécutés par balles les 29 et 30 septembre 1941 à Babi Yar, un ravin aux abords de Kiev creusé par une rivière, lieu d’extermination par les nazis de la population juive de la ville dans sa totalité.
Il s’agit, mes chers collègues, du plus grand massacre de la Shoah ukrainienne ; il est important de le rappeler en mémoire de tous ces innocents assassinés au nom d’une idéologie barbare. Nous aurions pu marquer aujourd’hui un moment de silence…
Il est intolérable de songer qu’en Ukraine le bataillon néonazi Azov parade en toute liberté avec un symbole qui ressemble particulièrement à celui de la deuxième division SS Das Reich.
La proposition de résolution de nos collègues Bruno Retailleau et Hervé Marseille est particulièrement à propos ; elle est pertinente et bienvenue.
Depuis de nombreuses années déjà, notre pays doit malheureusement affronter une résurgence de l’antisémitisme, comme nous l’avons tous rappelé, et nous déplorons la spirale insupportable d’actes antisémites de plus en plus violents. C’est inédit depuis la Seconde Guerre mondiale. Mireille Knoll, Sarah Halimi, llan Halimi, les victimes de l’école Ozar Hatorah de Toulouse ou encore celles de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes : la liste ne cesse de s’allonger.
Ces hommes, ces femmes et ces enfants sont morts parce qu’ils étaient juifs. À ces crimes, il faut ajouter les profanations et dégradations de sépultures et de lieux de culte, les insultes et les agressions physiques.
L’antisémitisme, c’est l’intolérance, la haine et la violence. L’antisémitisme, c’est le refus de nos lois. C’est un poison portant atteinte à la France et à nos valeurs républicaines. Il faut le réaffirmer autant que nécessaire, car « il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse. C’est d’avoir une âme habituée ». Ces mots de Charles Péguy devraient inviter certains candidats à l’élection présidentielle à davantage de modération.
Oui, nous avons le devoir d’empêcher que l’inacceptable ne devienne ordinaire, que l’insupportable ne se banalise !
À cet égard, la proposition de résolution vise à faire approuver la définition de l’antisémitisme fixée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste. Cette organisation internationale, fondée en 1998, regroupant trente et un pays et à laquelle appartient la France, qui renforce et promeut l’enseignement de la Shoah, la recherche et la mémoire.
La courte définition par l’IHRA est complétée par une série d’exemples afin de permettre de mieux identifier les actes antisémites. La formulation de ces exemples permet de ne pas se heurter à la liberté d’expression.
Je félicite les rédacteurs qui précisent que « les critiques à l’égard d’Israël comparables à celles exprimées à l’encontre d’autres pays ne peuvent être qualifiées d’antisémites ».
En effet, la France a toujours considéré les libertés d’expression et d’opinion comme des valeurs les plus fondamentales de la République.
Madame la ministre, mes chers collègues, cette définition, qui n’est juridiquement pas contraignante et n’est pas destinée à le devenir, tend à faire connaître et comprendre ce qu’est l’antisémitisme, ainsi qu’à apporter un éclairage opportun sur le « fait antisémite ». Elle vise donc notamment les milieux scolaires et universitaires. Elle sera également utile pour les forces de l’ordre et les magistrats.
Adopter cette proposition de résolution constitue donc un geste symbolique fort au sein de notre assemblée : c’est montrer notre détermination collective à combattre l’antisémitisme et, par là même, tous ceux qui, par leurs propos ou leurs actes, sèment la haine et l’intolérance. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voterai naturellement cette proposition de résolution, comme beaucoup ici.
Néanmoins, en arriver à devoir voter une telle résolution est surtout la marque d’un échec, celui de toutes nos politiques publiques depuis vingt ans. Ne pas avoir à voter un tel texte, cela signifierait qu’il n’y a pas spécialement d’attentats, de crimes et de délits antisémites dans notre pays. Or il y en a…
À la fin de la guerre, tout le monde s’est dit que, après la Shoah et l’abomination, plus personne n’oserait imaginer pratiquer un antisémitisme de paroles, d’opinions ou d’actes. On a cru pendant trente ou quarante ans qu’il s’agissait d’une donnée permanente.
Mais, malheureusement, depuis maintenant vingt ou trente ans, les choses ont dérapé, d’abord dans les mots, puis dans les actes. Année après année, les actes antisémites ont explosé et augmenté de 10 % ou de 15 %. On s’y est presque habitué, à tel point que l’on se dit parfois : « L’an dernier, les actes antisémites ont augmenté de 17 % au lieu de 23 %. » Et l’on se satisfait presque d’une telle diminution. Est-ce acceptable ? Bien sûr que non !
Je le dis au groupe CRCE, le premier texte fort a été la loi Gayssot. Puis il y a eu toute une série de textes, toute une série d’appels, toute une série d’instructions, de circulaires, de décrets : tout cela n’a rien changé…
Aujourd’hui, nous sommes face à un antisémitisme protéiforme : traditionnel pour les séides d’une extrême droite néonazie ; protéiforme pour les négationnistes classiques qui font de Pétain le protecteur des juifs français. Ne disent-ils pas qu’il livrait à cette fin les juifs étrangers ? Comme s’il y avait une gradation dans le fait d’envoyer des gens à la déportation : c’est absolument insupportable !
Nous ne savons pas très bien comment lutter. La vérité, c’est qu’il incombe davantage à l’éducation, à la formation des jeunes, à la pédagogie et aux médias d’être en première ligne qu’au législateur. N’avons-nous pas déjà voté beaucoup de textes, pour peu de réussite ?
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des actes antisémites récents, qu’ils soient avoués, inavoués, revendiqués ou anonymes. Je ne parlerai pas des réseaux sociaux, je n’évoquerai pas les insultes. Mais je m’interroge : jusqu’où tout cela ira-t-il ?
Cette proposition de résolution présente au moins l’avantage de rappeler que le Parlement est sensible à cette affaire. Il s’agit, en réalité, d’un appel au Gouvernement.
Certes, c’est une bonne chose que notre assemblée la vote aujourd’hui, mais il importe que le Gouvernement ait inlassablement à l’esprit que les textes de loi ne suffisent pas. Il faut passer à l’acte. Il faut que les réseaux sociaux soient sévèrement punis lorsqu’ils laissent déborder la haine antisémite, lorsque des gens sont insultés et lorsque des personnes et des lieux de cultes sont menacés. Cela vaut pour toutes les religions dans ce pays : personne ne doit être menacé pour ses convictions !
Aujourd’hui, nous allons voter cette proposition de résolution. Mais je vous pose à tous une question : qu’est-ce que le Sénat ? Une assemblée constituée de 348 sénateurs ayant chacun individuellement ses propres convictions : de gauche, de droite, du centre. Nous avons tous une approche différente des choses. Mais le Sénat, comme l’Assemblée nationale, est aussi, à l’instar du Gouvernement, le garant de l’unité de la Nation, de la démocratie et de la République !
Si nous laissons continuer cette progression des actes antisémites, nous remettons en cause la République, la démocratie et la Nation !
Il n’y a pas de nation sans unité ; il n’y a pas de nation sans autorité de l’État ; il n’y a pas de nation sans un schéma commun, une volonté commune et un destin commun. Voter cette résolution, c’est dire oui à la Nation ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP, ainsi que sur plusieurs travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, celui qui ne connaît pas son passé est condamné à le revivre. À une époque comme la nôtre, où certains révisent de manière répétée et nauséabonde l’histoire de notre pays et le rôle de Vichy dans les déportations des « juifs français », faut-il que nous discutions d’une résolution sur la définition de l’antisémitisme ?
Bien sûr, il est de notre rôle de légiférer de manière ferme sur ces incriminations pénales, mais ce n’est pas à un Parlement de définir les notions qui font l’objet d’un débat historiographique et de centaines de travaux critiques.
La définition choisie par l’IHRA, rejetée par la Ligue des droits de l’homme (LDH) et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et tant d’autres dans le monde, qui parle d’une « certaine perception des Juifs », est loin d’être une référence indiscutable.
D’un point de vue très factuel, la résolution présentée exprime le vœu de s’appuyer sur « la définition, non contraignante, de l’antisémitisme fixée par l’IHRA ».
Bien sûr, cela va de soi, nous condamnons tous ici toutes les formes d’antisémitisme.
L’antisémitisme, consiste avant tout à ramener quelqu’un à son identité juive, réelle ou supposée, à le caractériser par cette appartenance. C’est une discrimination, un préjugé, une hostilité ou une violence à l’encontre des juifs en tant que juifs. Tout cela est bien antécédent à l’existence même de l’État d’Israël, voire au développement du sionisme.
Le sujet est grave, il est dramatique. Il appelle d’autant plus à la nuance. Chacun, sur nos travées, condamne de manière forte et sans réserve la montée des actes de violence envers les juifs, ainsi que la haine exprimée par certains envers ceux qu’ils estiment responsables de leur malheur ou qu’ils imaginent contrôlant des zones entières de notre société.
L’antisémitisme évolue, surtout ses formes, ses raisons supposées, ses justifications inacceptables et toujours empreintes de mauvaise foi.
Le révisionnisme, qui vient parfois de la droite et de l’extrême droite, est un antisémitisme qui s’exprime sous la forme de profanation de cimetières et de synagogue. Il faut le combattre.
L’écho que certains donnent à de trop nombreuses théories complotistes sur la pandémie et le développement abject des pancartes « Qui ? » n’arrangent rien. Tout cela doit être combattu. Quels que soient les chiffres, nous devons lutter sans nuance. Cette haine aveugle, cette révision de l’histoire à des fins démagogiques n’ont pas de place dans notre république.
Les défenseurs de cette résolution et de cette définition de l’antisémitisme y voient la possibilité de qualifier d’antisémites les attaques antisionistes motivées par une haine des juifs.
Pourtant, rien dans la définition même proposée par l’IHRA ne parle de sionisme ou d’antisionisme. Ce sont les exemples publiés dans la déclaration de 2016 qui évoquent les conditions dans lesquelles la critique d’Israël pourrait être antisémite.
Et c’est bien sur ce point que nous nous devons être vigilants, nuancés, sans que cela remette en cause notre volonté de combattre de manière pleine et entière toutes les formes d’antisémitisme.
Le Président de la République a déclaré vouloir élargir la définition de l’antisémitisme à l’antisionisme.
Je sais que les auteurs de la résolution aiment à rappeler que l’IHRA a affirmé qu’« une critique d’Israël similaire à celle portée contre n’importe quel autre pays ne peut être vue comme antisémite ». Mais c’est bien parce que cela n’est pas si clair dans les définitions et les exemples qui ont été retenus que l’IHRA, puis vous-mêmes, à l’alinéa 7, estimez nécessaire de vous dédouaner de cette interprétation.
J’ai lu le communiqué qui expose cette définition et où sont présentés des exemples d’antisémitisme. J’en citerai un : nier au peuple juif son droit à l’autodétermination « en affirmant par exemple que l’existence de l’État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste ».
Si l’on peut considérer qu’il existe dans certaines attaques formulées contre Israël des dérives antisémites, les critiques de la politique des gouvernements israéliens ne peuvent y être assimilées sans nuire au combat contre l’antisémitisme et le racisme. Nous refuserons toujours cette instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme.
Une tribune parue dans Le Monde et signée par des personnalités juives concluait : « Nos opinions sur le sionisme peuvent être diverses, mais nous pensons tous, y compris ceux qui se considèrent comme sionistes, que cet amalgame est fondamentalement faux. »
Mes chers collègues, oui l’antisionisme est parfois le faux nez de l’antisémitisme, mais le simple fait qu’il puisse servir d’alibi à ce nouvel âge de l’antisémitisme ne doit pas justifier que nous cédions en validant ce faux-semblant.
Le droit pénal est d’interprétation stricte, mais les juges ne sont pas des robots et ils sont là pour évaluer la situation. L’arsenal juridique est déjà important pour sanctionner l’antisémitisme.
Attaquer une personne du fait de son origine, de son appartenance ou de sa non-appartenance à une ethnie, à une nation, à une race ou à une religion déterminée est déjà sanctionné. Cela fait l’honneur de notre République et de notre Constitution.
Pour toutes ces raisons, il nous apparaît trop déséquilibré de voter cette résolution. Nous demandons donc son retrait. À défaut, nous nous abstiendrons.
J’annonce dès aujourd’hui que notre groupe déposera très prochainement un texte sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. François Bonhomme. On a compris…
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, chers collègues, la haine du juif en France, c’est l’histoire longue de deux mille ans de mesures d’éloignement, de législations d’exclusion, d’accusations criminelles, de persécutions, de pogroms et de génocides.
Dans sa monumentale Histoire de l’antisémitisme, Léon Poliakov montre que cette haine du juif trouve son origine dans l’Antiquité puis se renouvelle dans la constitution du corpus théologique et politique du christianisme naissant. Je le cite, « pour l’économie du christianisme, il fallait dorénavant que les juifs fussent un peuple criminellement coupable ». Reconnaissons-le, chers collègues, l’antijudaïsme a participé de la formation d’une certaine identité chrétienne de l’Occident.
Ainsi, en 1096, les croisés massacrent les juifs de Rouen. La deuxième croisade de 1146 est précédée des mêmes pogroms et l’abbé Pierre de Cluny les justifie ainsi : « À quoi bon s’en aller au bout du monde, […] pour combattre les Sarrasins, quand nous laissons demeurer parmi nous d’autres infidèles qui sont mille fois plus coupables envers le Christ que les mahométans ? »
Il existe un antijudaïsme d’État aussi ancien dont l’histoire est marquée par les édits d’expulsion des juifs de Childebert en 533, de Dagobert en 633, de Philippe Auguste en 1182, de Saint Louis en 1254, de Philippe le Bel en 1306 et de Charles VI en 1394.
Il faut ajouter à cette terrible série les mesures prises par Napoléon Bonaparte, au moment du Concordat, pour interdire aux juifs de s’installer en Alsace. Il les justifiait par sa volonté « d’atténuer, sinon de guérir la tendance du peuple Juif à un si grand nombre de pratiques contraires à la civilisation et au bon ordre de la société ».
Ce qui est désigné dans ce projet de résolution par l’expression « antisémitisme contemporain » s’inscrit fondamentalement dans l’histoire trop longue d’un antijudaïsme millénaire dont son exposé des motifs ne nous dit malheureusement rien.
Ainsi, sans nier l’existence de formes actuelles d’antisémitisme prônant la destruction de l’État d’Israël, comment ne pas reconnaître dans les théories complotistes qui expliquent la covid comme le fruit d’une conspiration juive des résurgences des thèses médiévales qui accusaient les juifs de l’anéantissement de la chrétienté par l’épidémie ? C’est notre première réserve sur ce projet.
Notre deuxième objection porte sur le choix de la définition de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, qui est imprécise et dont l’utilisation politique très partisane a été justement dénoncée par Kenneth Stern, l’un de ses rédacteurs.
Cette définition n’était qu’une définition de travail. Depuis lors, un groupe de plus de deux cents spécialistes l’a reprise pour en lever les ambiguïtés dans un texte publié en 2020 sous le titre de Déclaration de Jérusalem.
Cette dernière est plus pertinente parce qu’elle inscrit les antisémitismes d’hier et d’aujourd’hui dans le même processus idéologique d’assimilation des juifs aux forces du mal. Cette déclaration rappelle avec force que « le combat contre l’antisémitisme ne saurait être dissocié de la lutte globale contre toutes les formes de discrimination raciale, ethnique, culturelle, religieuse et sexuelle ».
Enfin, nous regrettons vivement qu’une résolution citant l’Alliance pour la mémoire de l’Holocauste ne mentionne aucunement la nouvelle irruption dans le débat public de thèses négationnistes et de tentatives de réhabilitation de l’État français du maréchal Pétain.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Pierre Ouzoulias. Souvenons-nous de la déclaration, au nom de la France, du président Jacques Chirac, le 16 juillet 1995, lors de la commémoration de la grande rafle de juillet 1942 : « La folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français, […] la France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. » Je le cite toujours : « Transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps. […] Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l’État. Ne rien occulter des heures sombres de notre histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’homme, de sa liberté et de sa dignité. C’est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l’œuvre. »
Cette déclaration nous honore, nous oblige et nous engage. Elle impose au Sénat d’éclairer davantage nos concitoyens sur les deux mille ans de cet antijudaïsme qui aboutit à l’inhumanité absolue de la Shoah.
Engageons, chers collègues, ensemble, dans l’unité, ce travail de fond à partir de la Déclaration de Jérusalem. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre-Antoine Levi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser mon extinction de voix, mais un sujet aussi important nécessite bien quelques efforts.
Qu’est-ce donc que la haine ? Aucune définition dans aucun dictionnaire du monde ne satisfera tout à fait notre volonté de comprendre. Notre besoin de consolation, face aux effets désespérants de la haine, restera à jamais inassouvi, mais nous savons qu’elle laisse dans son affreux sillage des images imparables qui marquent au fer rouge nos imaginations et nos consciences meurtries.
Ces images de la haine en action habitent nos mémoires au point de nous hanter parfois sans qu’on puisse leur échapper.
Vous me permettrez d’évoquer devant vous, deux de ces images sorties tout droit de l’album souvenir de l’horreur antisémite.
Voici la première : Toulouse, 19 mars 2012, huit heures du matin, devant l’école Ozar Hatorah, un petit garçon terrifié rampe dans la rue près du corps de son père et de son frère. Ils viennent d’être abattus par un assassin en scooter équipé d’une caméra. Car il ne suffit pas de tuer, il faut aussi archiver la tuerie, sans doute pour en jouir davantage. Le petit garçon est achevé à son tour.
Puis le tueur s’en prend à une fillette qu’il poursuit après l’avoir blessée à l’épaule ; il la saisit par les cheveux et la tue à bout portant.
Le père des garçons avait 30 ans ; ses fils 3 ans et 6 ans. La petite fille avait 8 ans. Jonathan, Gabriel et Arié Sandler, ainsi que Myriam Monsonégo : tels étaient leurs noms. Tous coupables d’être juifs aux yeux de leur bourreau.
La seconde image est celle-ci : Sainte-Geneviève-des-Bois, dans l’Essonne, le 13 février 2006. Un jeune homme est découvert aux abords de la voie ferrée du RER C. Son crâne est tondu, sa bouche bâillonnée, son corps nu est couvert d’ecchymoses et de traces de brûlures. Il a deux entailles à la gorge. Il est à l’agonie. Il meurt. Il avait 23 ans. Ses bourreaux, au nombre d’une vingtaine, l’ont torturé pendant trois semaines parce qu’il était juif. Ilan Halimi était son nom.
Des journées entières, des mois, des années, ne suffiraient pas pour feuilleter, crime après crime, l’interminable album souvenir de la haine antisémite.
Combien de tortures ? Combien d’actes de barbarie ? Combien de profanations, d’humiliations, d’exils ? Combien de morts ont-elles été perpétrées par cette haine au cours des millénaires ? Y a-t-il une époque, une nation, qui en furent exemptes ? Je ne saurais le dire…
Aujourd’hui, nous voyons renaître, dans notre propre pays, la bête immonde de l’antisémitisme.
Certes, elle ne se manifeste pas toujours sous les aspects atroces que je viens d’évoquer. Il lui arrive même de se camoufler sous des masques qui savent feindre l’innocence. Elle n’en est pas moins redoutable et mortelle.
La violence haineuse ne brandit pas toujours des armes létales, mais elle peut aussi tuer par la simple parole. Car la vie et la mort, mes chers collègues, sont au pouvoir des mots.
Que dire alors de la peur ? Devant la recrudescence des actes antisémites, face à la multiplication des comportements haineux, des propos discriminants et de leur banalisation, le poison de la peur s’instille dans les consciences au point de pousser certaines personnes à quitter la France.
Non, mes chers collègues, ce ne sont pas les juifs inquiets qui doivent fuir la France. C’est la France qui doit tout mettre en œuvre pour bannir la peur et dénoncer avec clarté la haine antisémite afin de la combattre absolument.
« Je suis faite pour partager l’amour et non pour partager la haine ! » Cette proclamation d’Antigone, ô combien je voudrais la faire mienne et qu’elle devienne une déclaration de foi en l’humanité !
Devrait-on pour cela inscrire l’empathie au programme de l’éducation nationale ? J’en doute. L’utopie n’est sans doute pas la meilleure réponse à opposer à la violence d’une société, mais que l’on me permette un instant de rêver à une France où le mot antisémite n’aurait plus aucun sens pour personne. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hussein Bourgi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « heureux comme un juif en France » : pendant très longtemps, c’est par cette locution que les communautés juives d’Europe signifiaient leur admiration pour la France.
Le philosophe juif lituanien Emmanuel Levinas citait son grand-père qui répétait en se référant à l’affaire Dreyfus : « Un pays qui se déchire, qui se divise pour sauver l’honneur d’un petit officier juif, c’est un pays où il faut rapidement aller. »
L’engagement acharné d’Émile Zola, d’Anatole France, de Georges Clemenceau, de Jean Jaurès et de quelques autres en faveur du capitaine Dreyfus avait fini par traverser les frontières et faire le tour de l’Europe. Ces hommes sauvèrent l’honneur de la France. Ils furent l’honneur de la France.
Hélas, cinquante ans après l’affaire Dreyfus, la communauté juive de France allait connaître l’oppression, les persécutions, la déportation et l’extermination.
N’en déplaise à celles et à ceux qui essaient de relativiser le rôle du régime de Vichy dans la Shoah, et n’en déplaise à un candidat putatif à la prochaine élection présidentielle, notre référence en la matière reste et restera le discours du 16 juillet 1995 du président Jacques Chirac, qui nous habite les uns et les autres.
Quelques décennies après ce drame absolu que fut la Shoah, la France et la communauté juive de France furent la cible des attentats terroristes islamistes, meurtriers, de l’école Ozar Hatorah et de l’Hyper Cacher.
La France et la communauté juive de France eurent également à déplorer les crimes antisémites perpétrés contre Ilan Halimi, Sarah Halimi, Mireille Knoll.
L’antisémitisme, aujourd’hui, ce sont autant des profanations de tombes juives que des souillures sur les synagogues. Ce sont aussi bien les violences physiques que les injures gratuites. Ce sont aussi bien les messages de haine sur le Net que la réécriture révisionniste et négationniste en 2021 de ce drame absolu que fut la Shoah.
C’est contre ces préjugés, ces stéréotypes, ces amalgames qu’il nous faut nous élever. Toutes les formes d’antisémitisme sont à combattre, qu’elles viennent de l’extrême droite ou des nébuleuses islamistes. Nous ne faisons pas de distinction, car ces idéologies mortifères se rejoignent dans la haine des juifs.
Mes chers collègues, la lutte contre l’antisémitisme doit mobiliser les forces républicaines au Parlement. Nous le faisons une nouvelle fois à l’occasion du vote de cette proposition de résolution.
La lutte contre l’antisémitisme doit aussi mobiliser tous les pouvoirs publics, qu’il s’agisse de l’éducation nationale, de la police, de la gendarmerie ou de la justice.
Cette mobilisation générale, nous la devons à nos compatriotes de confession juive. Fatigués d’être pris pour cibles, ils sont de plus en plus nombreux à se demander si leurs enfants ont encore leur place dans l’école de République. Ils sont également de plus en plus nombreux à se demander s’ils ont encore un avenir sur le sol de France.
Alors, depuis cette tribune, je voudrais dire à ces compatriotes de confession et de culture juives, qui nous écoutent et nous regardent peut-être : « Vous n’êtes pas seuls, et vous ne le serez plus jamais depuis que la France a pris conscience de sa dette morale à votre égard ! Face à l’adversité, au rejet et à la haine, vous ne serez plus jamais seuls ! »
C’est le serment que nous renouvellerons au moment de voter cette proposition de résolution. Nous, sénatrices et sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, le ferons en conscience, en responsabilité et en fidélité à notre engagement ancien et renouvelé contre l’antisémitisme, le racisme, la xénophobie, l’homophobie et toutes les discriminations qui sont autant de menaces pour notre cohésion nationale et notre pacte républicain.
Nous voterons cette proposition de résolution, car nous sommes les héritiers d’une histoire que nous avons eu le courage de regarder en face. Cette histoire faite d’ombres et de lumières, c’est la nôtre.
Inspirés par tous ces résistants, célèbres et anonymes, par tous les Justes parmi les nations, dont nous gardons le souvenir ardent, inspirés par la mémoire de ces héros tombés face au péril islamiste, nous vous disons, chers compatriotes de confession et de culture juives, vous n’êtes pas seuls !
Nous vous le disons, à vous ainsi qu’à toutes les Françaises et à tous les Français, car nous sommes les héritiers d’une histoire et les passeurs d’une mémoire.
Nous vous le disons, car nous sommes dépositaires d’une espérance et d’une promesse que la République fait à chacun de ses enfants : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses. »
Être conscients de cet héritage moral, être volontaires pour réaliser cette espérance, c’est se hisser à la hauteur de ce que le général de Gaulle appelait « une certaine idée de la France ». (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et RDSE, ainsi que sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sabine Drexler. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme que le Gouvernement a lancé en 2018, Édouard Philippe, alors Premier ministre, a écrit : « Le racisme et l’antisémitisme ont tué en France ces dernières années. Ils s’expriment dans la rue, sur les murs des lieux de culte, sur les réseaux sociaux, dans les forums de discussion. Pour des millions de Français, ils se traduisent par des injures, des intimidations, des coups, des discriminations. Des élèves doivent quitter leur école en raison de leur religion. »
Vous me direz que les services de l’État mettent en place des politiques en ce sens. Mais quels sont les résultats de ce qui a été entrepris depuis que l’on a fait ce constat terrible ? Qu’avons-nous fait pour ne plus connaître des drames comme ceux, terribles, qui ont sidéré la France ? Ou pour juguler l’antisémitisme « ordinaire », celui qui se libère dans l’espace public, sur internet et les réseaux sociaux et qui fait tellement de dégâts au quotidien ?
En Alsace, région où je suis née, où j’ai grandi, et dont je suis aujourd’hui élue, nous avons un passé historique unique, dense et riche, un passé commun avec la communauté juive, dont la présence est millénaire.
Les juifs d’Alsace ont contribué à forger la culture alsacienne. Nous en retrouvons des traces dans notre dialecte empreint de yiddish, dans les chants, dans la littérature, dans la cuisine et le patrimoine bâti.
Cette histoire commune n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Loin de là. Tour à tour, on a connu un accueil à bras ouverts et de longues périodes de cohabitation paisible, puis d’autres plus mouvementées.
Les juifs furent chassés au XIVe siècle, au moment de la Grande Peste noire, accusés d’empoisonner les puits ; spoliés et humiliés en 1848 dans mon village du Sundgau ; éradiqués d’Alsace pendant la Seconde Guerre mondiale : de tout temps, et particulièrement lors des périodes de crise, nous avons connu des flambées antijuives, comme partout en France. Mais nous avons toujours eu à cœur de maintenir le « savoir vivre ensemble » spécifique à notre territoire de concordat.
Car en Alsace-Moselle, les relations avec les cultes ne sont pas régies par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, mais par le concordat de 1801.
Notre concordat a permis de développer une culture du dialogue, un savoir-vivre ensemble fondé sur la compréhension, le respect et l’amitié entre les différentes religions et les autorités « civiles ». C’est ainsi que nous luttons contre les malentendus et les hostilités séculaires.
À la région Grand Est, tout comme à la Collectivité européenne d’Alsace (CEA), les élus sont conscients de la nécessité d’entretenir un dialogue apaisé entre les cultes et les affaires religieuses ne sont pas un tabou. Dans chacune des collectivités, des conseillers et des services sont chargés du dialogue interreligieux.
Pour autant, l’Alsace n’échappe pas à la poussée antisémite. C’est pourquoi la CEA a soutenu la mise en place d’un dispositif appelé les « veilleurs de mémoire » pour lutter contre les profanations de tombes. Les autres cultes présents sur notre territoire participent à ce dispositif et le font connaître. Déjà 80 bénévoles, de toutes confessions, se sont engagés dans le réseau qui s’est constitué en 2019 avec une douzaine de veilleurs au départ. L’objectif est de leur permettre d’accueillir des collégiens pour témoigner de leur engagement citoyen.
Car la lutte contre ces relents antisémites passe nécessairement par la prévention, par l’éducation et par la culture. À ce titre, l’apprentissage de l’histoire est essentiel, et les professeurs ne doivent plus craindre d’aborder certaines périodes en classe, à commencer par la Shoah, dont certains n’osent plus prononcer le nom.
La recrudescence des actes antisémites est l’affaire de tous. Et en tant que politiques, notre responsabilité est grande.
Notre défi commun est de lutter contre l’indifférence et la banalisation de ces actes, de nous doter d’outils efficaces qui renforceront et protégeront notre nation, ses valeurs morales et politiques.
À ce titre, je salue le travail engagé par Bruno Retailleau et Hervé Marseille pour mieux définir ce qu’est l’antisémitisme, et je les en remercie. C’est un premier pas qui, je l’espère, sera suivi d’autres prochainement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, en 2004, le rapport de Jean-Pierre Obin sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires nous apprenait que le racisme antijuif avait très nettement supplanté, à l’école, le racisme antimaghrébin. Il mettait en évidence une stupéfiante réalité : les enfants juifs français, et ils sont les seuls dans ce cas, ne peuvent pas être scolarisés dans n’importe quel établissement.
Dès lors, si l’antisémitisme prospère dans nos écoles, comment ne pas soupçonner qu’il s’épanouisse encore bien au-delà de leurs murs et qu’il n’ait jamais cessé de diffuser son venin dans notre pays ? À cet égard, les centaines de faits à caractère antisémite recensés chaque année doivent nous rappeler que nos compatriotes de confession juive demeurent ô combien éprouvés !
Et pour cause. Lorsqu’une vitrine est souillée de l’inscription Juden, lorsque le visage de Simone Veil est scarifié d’une croix gammée, lorsque Alain Finkielkraut est lynché verbalement, c’est le fantôme le plus ignoble et le plus diabolique de l’Histoire qui ressurgit.
Lorsqu’on poignarde Mireille Knoll, lorsque Mohammed Merah assassine de jeunes enfants de l’école Ozar Hatorah, lorsque l’on profane des tombes juives, parce que juives, c’est la plus insoutenable des résurgences du passé de l’Europe qui nous remplit d’effroi.
Car ce n’est pas de la Nuit de cristal que je vous fais le récit. Je vous parle de Paris en 2019, de Sarre-Union en 2015, de Toulouse en 2012. C’est notre France, notre siècle. Ce fléau qui habite notre civilisation ne s’est pas malheureusement pas éteint à la libération des camps.
Les années noires sont certes derrière nous, mais la bête immonde est là, tapie dans l’ombre, mâchoire acérée suintant de haine, prête à bondir et le ventre encore fécond. Elle a simplement pris d’autres visages. Celui de la folie islamiste, où la détestation des juifs s’inscrit au cœur d’une dialectique anti-occidentale. Celui aussi d’un antisionisme absolu, qui n’est pas la seule critique, légitime, de la politique d’Israël, mais qui permet de s’adonner à l’antisémitisme le plus décomplexé sans encourir l’opprobre de ressusciter tout un passé d’oppression et de génocide.
L’oubli, plus latent, ne nous menace hélas pas moins. Car seul le souvenir est au service de la sagesse, le souvenir comme remède universel à l’égarement de l’homme sur les chemins de la barbarie.
L’école est au-devant de cette bataille culturelle. Elle est un haut lieu de transmission des valeurs de la République, sans lesquelles les tragédies d’hier reviendront fatalement sur nos rivages, au gré des vagues de la haine ordinaire.
Elle doit, avec ses professeurs, porter inlassablement le souvenir des crimes antisémites. Le devoir de mémoire, de pédagogie et de sagesse doit nous guider, nous éclairer et renvoyer ces démons là où ils doivent rester : dans les marécages de l’indignité absolue.
Souvenons-nous, mes chers collègues, de l’affaire Dreyfus, que certains d’entre vous ont évoquée. Elle résonne encore ; l’écho de ses iniquités et de ses calomnies ne s’est jamais tari.
Souvenons-nous du « J’accuse… ! », réquisitoire vibrant de Zola contre le sacrifice d’un homme sous le prétexte menteur de la raison d’État. Souvenons-nous de ce qu’il qualifiait de crime : le crime « d’exploiter le patriotisme pour des œuvres de haine », « d’empoisonner les petits et les humbles, d’exaspérer les passions de réaction et d’intolérance ».
Ces mots sont d’hier, et pourtant ils pourraient être d’aujourd’hui. Ils ne doivent avoir d’autre fin que de nous éveiller à la poursuite de la lutte contre l’antisémitisme qui, comme tous les racismes, n’a pas sa place dans une République dont la devise est « Liberté, Égalité, Fraternité ».
« Les souvenirs sont nos forces. Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates, comme on allume des flambeaux », a écrit Victor Hugo. Ne rendons surtout jamais illisibles les pages les plus sombres de l’histoire de l’humanité, veillons à ce que personne ne puisse jamais les récrire, et votons cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’écrivain israélien Amos Oz raconte que son père, lorsqu’il était enfant dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, avait découvert un matin, sur le mur en face de sa maison, l’inscription suivante : « Juifs, fuyez au Proche-Orient ! » C’est ce qu’il fit, ajoute Amos Oz. Il quitta l’Europe contaminée par l’antisémitisme et s’installa à Jérusalem.
Bien des décennies plus tard, vers la fin du XXe siècle, il revint visiter sa ville natale. Sur le même mur était maintenant écrit un autre slogan : « Juifs, hors du Proche-Orient ! »
Que l’on appelle à expulser les juifs de nos nations européennes ou du Proche-Orient, que l’on dénonce rageusement tout et son contraire – un supposé cosmopolitisme ou, au contraire, un excès d’enracinement dans une terre –, c’est la même haine ontologique, la même haine antisémite.
Nous devons combattre de toutes nos forces les diverses formes de cet antisémitisme. C’est pour cela que nous sommes réunis au sein de la Haute Assemblée.
Comme vous, j’aimerais ne pas avoir à parler d’antisémitisme. Mais la réalité est là, récurrente.
La réalité, c’est que la haine antisémite connaît une poussée préoccupante dans notre pays depuis deux décennies. Que les actes antisémites vécus au quotidien par nos concitoyens – menaces, injures, dégradations, inscriptions, agressions physiques… – ont augmenté. Qu’internet, où l’anonymat autorise toutes les outrances, fournit un exutoire et une caisse de résonance à l’antisémitisme. Que des citoyens français ont été tués sur notre territoire parce qu’ils étaient juifs : Ilan Halimi, les enfants de l’école Ozar Hatorah de Toulouse et leur professeur, les otages de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, Sarah Halimi, Mireille Knoll. Tous ont été cités à cette tribune et je veux, à mon tour, leur rendre hommage.
La réalité, c’est que plus d’un tiers de nos concitoyens de confession juive se sentent aujourd’hui menacés en raison de leur appartenance religieuse, contre 8 % pour l’ensemble des Français. Que près de la moitié d’entre eux disent éviter certaines rues ou certains quartiers, pour des raisons de sécurité. Et que beaucoup de familles ont pris la décision de déménager ou d’inscrire leurs enfants dans des écoles privées, pour les mêmes raisons.
À l’été 2021, on a enregistré 405 faits antisémites en quelques mois. Cela représente près de 40 % de l’ensemble des actes racistes dans notre pays, alors que les Français de confession juive représentent seulement 1 % de la population.
C’est la profanation de la stèle de Perros-Guirec en hommage à Simone Veil ! Ce sont les débordements nombreux et inadmissibles de certaines manifestations ! Ce sont ces listes de personnes supposément ou réellement juives exhibées sur des pancartes, avec ce mot glaçant : « Qui ? » !
Avec la pandémie, un antisémitisme latent s’est aussi révélé au grand jour. La crise sanitaire a réveillé de grandes peurs et ranimé le désir de trouver des boucs émissaires. Elle a fait ressurgir le fantasme, sinistre, d’un supposé complot juif international qui dirigerait le monde.
Nous ne pouvons pas accepter le retour de cet antisémitisme décomplexé dans l’espace public, cette manière de désigner les juifs à la vindicte et de leur imputer des crimes imaginaires. C’est ce type de représentations qui prépare et, parfois, tente de justifier le passage à l’acte. L’antisémitisme n’a pas sa place dans ce pays. Nous le combattons avec la plus extrême fermeté.
Nous le devons à nos concitoyens de confession juive dont l’histoire, depuis l’Antiquité, est profondément enracinée dans notre territoire et qui ont contribué à façonner le visage et les valeurs de notre pays. Ils ont le droit, comme chaque citoyen, de vivre en paix chez eux.
Nous le devons aussi à la Nation tout entière. Comme le rappelait avec force, en décembre 2019, le Président de la République, l’antisémitisme est toujours le signe avant-coureur d’autres formes de haine, quand il n’est pas celui d’une violence de masse. Il nous concerne tous, il concerne la République tout entière.
Nous le savons, et vous l’avez dit, il n’est pas possible de mener un combat contre un adversaire que l’on ne connaît pas. L’antisémitisme a beaucoup évolué. Il ressemble en partie seulement à celui que nos manuels d’histoire nous ont appris à identifier.
Il continue d’avoir les traits de ce vieil antisémitisme de l’extrême droite européenne, qui accuse les « juifs » d’être des traîtres à la Nation. Mais il est également présent à l’autre extrémité de l’arc politique où, trop souvent, on associe facilement les juifs aux dominants et où l’on en veut à Israël de tout simplement exister. Il prend aussi le visage de l’islamisme radical et de tous ses complices, nous le savons bien.
Toutes ces formes d’antisémitisme sont détestables. Nous devons leur livrer bataille sans répit.
Parce que l’antisémitisme est ainsi multiforme et complexe, nous avons besoin, pour mieux le combattre, de mieux le définir. C’est la raison pour laquelle la France a décidé, comme le Président de la République l’a annoncé dès 2019, de mettre en œuvre la définition de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste.
Cette définition de travail permet d’identifier la variété des motifs qui composent, hélas, l’antisémitisme contemporain : fantasme du complot juif international, statut de bouc émissaire, pouvoir supposé de l’argent, négation de la Shoah, reproche conspirationniste et négationniste fait aux juifs d’avoir inventé ou exagéré ce qu’a été l’Holocauste, mais aussi remise en question du simple droit de l’État d’Israël à exister.
Cette définition est un instrument utile pour toutes celles et tous ceux qui entendent lutter contre l’antisémitisme, contre les antisémitismes : forces de sécurité, enquêteurs, juges, procureurs, formateurs, ONG, institutions mémorielles…
En 2019, l’Assemblée nationale a voté une résolution présentée par le groupe de La République En Marche, et soutenant cette adoption…
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je suis heureuse que le Sénat s’inscrive dans cette même démarche, sur l’initiative du groupe majoritaire de la Haute Assemblée. Et je tiens à saluer l’engagement de MM. les sénateurs Retailleau et Marseille, grâce auxquels nous sommes réunis pour débattre de ce sujet.
Je vous invite, au nom du Gouvernement, à voter pour cette proposition de résolution.
Il faut être tout à fait clair sur deux points.
Le premier est qu’il s’agit bien d’une résolution, qui n’a donc pas de valeur juridique contraignante. Elle ne modifie pas notre droit. Les dispositions qui nous permettent de sanctionner l’antisémitisme restent les mêmes : l’injure publique, la diffamation, la provocation à la haine ou à la violence…
Mais cette résolution, même sans force contraignante, peut servir de base à l’application de la loi et des politiques publiques. Elle sera d’une grande utilité dans les tâches de prévention, de pédagogie comme de répression. Elle permettra de mieux identifier, de mieux caractériser l’antisémitisme.
Le deuxième point, sur lequel je tiens à insister, concerne la critique d’Israël. La résolution précise, et c’est très important, que la définition de l’antisémitisme que nous recommandons n’est pas contradictoire avec la liberté de critiquer les politiques menées par le gouvernement israélien.
Nous pouvons continuer à débattre des orientations de cet État, comme on le fait pour les autres pays, et d’autant plus qu’il s’agit d’un État ami de la France. Comment pourrait-il en être autrement ? C’est une chose normale en démocratie que de dire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous faites. » C’en est une autre, qui nous fait basculer dans la haine et la violence, que d’affirmer : « Vous n’avez pas le droit d’exister ! »
Le Gouvernement, depuis 2017, est totalement mobilisé dans le combat contre l’antisémitisme. Il a durci le ton et dissout de nombreux groupuscules, néonazis et islamistes. Il a augmenté substantiellement les moyens consacrés à la sécurisation des synagogues et des autres lieux sensibles. Une division de lutte contre les crimes de haine a été créée, qui accompagne les enquêteurs pour traquer les infractions racistes et antisémites.
J’ai personnellement signalé à la justice à de nombreuses reprises, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, des faits ou des propos antisémites, comme ceux visant la jeune candidate au concours de miss France, April Benayoum.
Parce que le combat se mène de plus en plus dans l’espace cyber, la plateforme de signalements Pharos fonctionne maintenant sept jours sur sept, et le dialogue avec les acteurs du numérique a été relancé. Un réseau d’enquêteurs et de magistrats formés à la lutte contre la cyberhaine a été mis en place. Grâce à la loi Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, un parquet spécialisé dans le numérique et un observatoire de la haine en ligne ont été créés.
Un effort massif de formation a été accompli, notamment – je tiens à le souligner – auprès des policiers et des gendarmes, mais aussi des enseignants et des magistrats. Notre soutien aux institutions mémorielles a été renforcé et amplifié.
Au total, toutes les mesures de l’ambitieux plan interministériel que nous nous sommes donné en 2018 et que coordonne la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), sous l’autorité du Premier ministre, ont été mises en œuvre ou sont en cours de déploiement.
Je vous le dis, notre arsenal de mesures pour continuer à lutter sans relâche contre l’antisémitisme sera renforcé dans le cadre du prochain plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme qui sera adopté, je l’espère, d’ici à la fin de l’année.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutient pleinement et sans réserve cette résolution. Elle nous apporte un moyen très concret pour lutter avec plus de force contre l’antisémitisme. Elle adresse aussi un message : celui d’une France résolue à agir, d’une France qui ne s’habitue pas à la haine et aux passions mauvaises, d’une France unie – nous en sommes la preuve aujourd’hui – autour de ses valeurs républicaines. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution portant sur la lutte contre toutes les formes d’antisémitisme
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu le chapitre XVI du Règlement du Sénat,
Vu la définition de l’antisémitisme adoptée le 26 mai 2016 par les 31 États membres de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste,
Rappelle sa détermination à lutter contre l’antisémitisme sous toutes ses formes ;
Estime que la définition proposée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste caractérise de manière adéquate l’antisémitisme contemporain ;
Considère que l’application de cette définition ne remet pas en cause la liberté fondamentale de critiquer les politiques menées par l’État d’Israël ;
Juge dès lors qu’elle constitue, tant en matière de prévention que d’éducation, de formation ou de répression, un instrument utile pour mieux lutter contre l’antisémitisme ;
Invite le Gouvernement, dans un travail de pédagogie, à la diffuser auprès des services éducatifs, répressifs et judiciaires.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
9
Nomination d’un secrétaire du Sénat
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe RDPI a présenté la candidature de M. Dominique Théophile en qualité de secrétaire du Sénat.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai prévu par l’article 2 bis du règlement.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Dominique Théophile secrétaire du Sénat.
10
Reconnaissance du Gouvernement d’unité nationale de Birmanie
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, l’examen de la proposition de résolution portant sur la nécessité de reconnaître le Gouvernement d’unité nationale de Birmanie, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Pascal Allizard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 647, [2020-2021]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens d’abord à remercier le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Christian Cambon, de m’avoir confié le soin de suivre la situation en Birmanie, à la suite du coup d’État de février dernier, et de proposer une initiative.
Je remercie également le président du groupe Les Républicains, Bruno Retailleau, d’avoir accepté d’inscrire ce texte rapidement sur le temps du groupe Les Républicains.
Je sais également toute l’attention de M. le président, du Sénat, Gérard Larcher, ainsi que de notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam, présidente du groupe d’amitié France-Birmanie.
Enfin, je sais gré à tous nos collègues représentant les différents groupes politiques du Sénat – ils sont nombreux –, qui ont accepté de cosigner la présente proposition de résolution.
Ce bel élan d’unité et de solidarité démontre à nos amis Birmans, dont certains sont présents en tribune et que je salue, combien le sujet de leur avenir rassemble en France, au-delà des clivages partisans.
Chacun s’en souvient, les élections nationales de novembre 2020 en Birmanie, il y a donc un an à peine, ont été largement remportées – 83 % des voix avec un taux d’abstention très bas – par la Ligue nationale pour la démocratie.
Cette élection porteuse d’espoir traduisait une forte adhésion à la transition démocratique dans laquelle le pays s’est engagé depuis 2015. Quelques mois plus tard, les militaires précédemment au pouvoir ont organisé le 1er février 2021, veille de la rentrée du Parlement, un coup d’État violent afin d’empêcher son installation et de reprendre ainsi les commandes du pays.
Ce coup d’État qui s’est accompagné de la proclamation de l’état d’urgence a plongé le pays dans la violence et la terreur. Si certains des élus « légitimes », issus démocratiquement des urnes, ont pu s’enfuir, d’autres ont été faits prisonniers par la junte. À travers la totalité du pays, la population s’est immédiatement soulevée en appelant à la désobéissance civile et à des manifestations pacifiques – au début – contre le pouvoir militaire, dont la réaction a été de réprimer en arrêtant, en torturant et en tuant des civils.
En plus des personnalités politiques, de nombreux défenseurs des droits de l’homme, journalistes, membres de la société civile, universitaires, enseignants, personnels médicaux, chefs religieux et ressortissants étrangers ont été arrêtés et restent pour la plupart détenus arbitrairement par l’armée birmane.
Dès le mois de février, des élus légitimes en exil ont formé un Gouvernement provisoire d’unité nationale (GUN), plus connu à l’échelle internationale par le biais de son acronyme anglais NUG (National Unity Government), comprenant pour la première fois de l’histoire du pays des représentants de chacune des principales ethnies.
Nous devons soutenir ce Gouvernement d’unité nationale, car il n’y aura pas de solution viable et démocratique sans lui. Monsieur le ministre, c’est toute la raison d’être de cette proposition de résolution : inviter le Gouvernement français à procéder à une reconnaissance du Gouvernement d’unité nationale de Birmanie.
La communauté internationale n’est pas restée inactive face à la crise birmane. Rapidement, mais en vain, la majorité des pays, les instances internationales, l’ONU ont demandé que tout acte de violence cesse et qu’un dialogue soit rapidement ouvert.
Le sommet de l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) du 24 avril 2021 s’est conclu par un consensus sur cinq points : la nécessité immédiate de mettre fin aux violences, l’ouverture d’un dialogue constructif entre toutes les parties concernées, la désignation d’un envoyé spécial de la présidence de l’Asean pour faciliter la médiation du processus de dialogue, l’aide humanitaire, et enfin la visite en Birmanie de l’envoyé spécial, lequel n’est pour l’heure pas autorisé par les autorités militaires à entrer sur le territoire birman, et ne peut donc pas rencontrer toutes les parties prenantes, notamment les personnalités emprisonnées. Il en est de même, d’ailleurs, pour l’envoyé de l’ONU.
Les ministres des affaires étrangères des pays du G7 ont rappelé que les personnes responsables de violations du droit international relatif aux droits de l’homme devront rendre des comptes.
Au cours des derniers mois, trois séries de sanctions ont été prises par l’Union européenne à l’encontre des responsables de ce coup d’État et des intérêts économiques des forces armées birmanes. Mais ces sanctions ne parviennent pas, pour le moment, à inverser le cours des événements. Je crois qu’un nouveau train de sanctions est en cours de discussion à Bruxelles ces jours-ci.
En ciblant tant les avoirs que les secteurs des pierres précieuses et du bois, ces mesures visent à limiter la capacité de la junte à tirer profit des ressources naturelles du pays. Quant à l’embargo sur les armes et les équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression, il reste en vigueur.
En revanche, la question des revenus pétroliers n’est pas résolue de manière satisfaisante, alors que la population manque cruellement de tout. La pression financière sur les membres de la junte devrait être accrue.
Mes chers collègues, le temps presse, car la situation n’évolue guère favorablement. Elle pourrait progressivement prendre le tour d’une guerre civile marquée par une répression sévère des autorités militaires, d’autant plus que toutes les grandes ethnies participent au Gouvernement d’unité nationale.
Les civils en viennent à s’armer et à s’organiser en groupes de défense, sans pour autant disposer de la formation adéquate, contrairement aux forces de sécurité. Ils lancent désormais des actions de sabotage. Le week-end dernier a ainsi été marqué par de nombreuses violences.
Depuis février, le bilan de cette crise politique est lourd. Selon certaines estimations, 1 120 civils – en réalité certainement beaucoup plus – ont été tués. Nombre d’entre eux sont morts en prison à la suite de tortures. Au moins 6 700 personnes ont été arrêtées. Leurs familles ne savent ni où elles se trouvent ni même si elles sont encore en vie. Parmi eux, des anonymes, des médecins, des infirmières, des journalistes, des artistes.
De nombreux enfants et femmes enceintes ont été assassinés, des enfants ont été enlevés puis défigurés et les photos « avant-après » ont été placardées sur les murs, afin que la population terrorisée ne sorte plus de chez elle.
La liste des atrocités commises s’allonge tous les jours. Elles nous heurtent et nous choquent profondément. La haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a appelé fin septembre à une action urgente pour empêcher que la situation au Myanmar ne se transforme en conflit total. Son bureau a publié un nouveau rapport qui détaille les violations généralisées commises contre le peuple, dont certaines pourraient constituer des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre.
Un fléau n’arrivant jamais seul, la crise sanitaire du covid, amplifiée par l’attitude de la junte, a frappé durement la population. Depuis le mois de février, plus rien n’est fait contre le virus qui fait aujourd’hui des ravages terribles. La plupart des hôpitaux civils sont fermés et aucun médicament, vaccin ou oxygène n’est distribué.
Puisque les soignants ont été parmi les premiers à entrer en résistance contre le coup d’État, nombre d’entre eux ont été arrêtés ; plusieurs centaines d’autres seraient toujours visés par des mandats d’arrêt.
Dans ce contexte, la population continue à se battre pour son droit à la démocratie. Nous ne pouvons pas l’abandonner à son sinistre sort, alors que le pouvoir birman fait brûler des maisons et des villages et piège le terrain avec des mines.
De fait, le temps profite aux militaires qui paraissent en position de force et semblent en passe de s’installer pour durer. Ils parient sur un pourrissement de la situation dans le temps long, qui conduirait certains pays à vouloir normaliser leurs relations avec les autorités en place sans pour autant explicitement les cautionner.
Monsieur le ministre, cette proposition de résolution marque le fait que nous arrivons à un tournant. Pour éviter de glisser vers une reconnaissance de facto de la junte, il est indispensable de traiter avec la seule autorité légitime en l’état actuel, le Gouvernement d’unité nationale et ses représentants, pour réenclencher un processus de transition démocratique.
La France entretient des contacts réguliers avec ce Gouvernement d’unité nationale. Ainsi, la commission des affaires étrangères du Sénat a auditionné le 30 juin dernier plusieurs de ses membres. Parmi les attentes qu’ils ont exprimées devant la commission, celle concernant la nécessité de reconnaître la légitimité du Gouvernement d’unité nationale « encore plus clairement » nous apparaît on ne peut plus explicite.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, sur ces travées, nos pensées vont vers toutes les victimes civiles de la répression, ainsi que vers toutes les personnes emprisonnées ou déplacées. Il est temps que cette situation cesse dans ce pays meurtri où, en outre, la sécurité alimentaire est menacée et la pauvreté progresse.
Vous comprendrez donc le sens de cette proposition de résolution. Pour monter l’attention du Parlement français, un texte quasi identique a d’ailleurs été déposé à l’Assemblée nationale par des collègues députés.
Nous mesurons tous la nécessité, pour les Européens, de s’affirmer davantage à propos de ce dossier et dans cette région, tout en maintenant un dialogue équilibré avec les États-Unis et la Chine, comme l’actualité internationale nous le commande.
Monsieur le ministre, nous comptons sur vous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. André Guiol. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)
M. André Guiol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en quelques mois, la Birmanie est passée de l’espoir au désespoir.
La participation massive des Birmans aux élections de novembre 2020 avait conduit à la victoire de la Ligue nationale pour la démocratie. Ce résultat aurait pu consolider la fenêtre progressiste ouverte en 2015 par quelques généraux réformateurs.
Hélas, en février dernier le coup d’État de l’armée birmane est venu plonger le pays dans un chaos que les auteurs de la proposition de résolution ont rappelé : répression, assassinat, détention ou déplacement guettent tous ceux qui contestent le nouveau régime.
La situation sécuritaire est en effet dramatique. À travers tout le pays, les forces armées birmanes répriment des manifestations pourtant pacifiques.
Alors que les généraux prétendaient seulement vouloir assurer le transfert du pouvoir, ils n’ont fait que déclencher un séisme politique et humanitaire largement condamné sur la scène internationale.
Au-delà des atteintes aux droits de l’homme qui nous émeuvent au premier rang, c’est aussi la situation économique qui nous inquiète. Cela a été souligné : l’économie est au point mort.
Les organisations non gouvernementales (ONG) et les agences de l’ONU font état de conséquences dramatiques.
Le Programme des Nations unies pour le développement constate une aggravation de la pauvreté, et le Programme alimentaire mondial alerte sur la hausse des foyers de malnutrition. Cette crise est un véritable retour en arrière pour les Birmans.
Malgré une situation compliquée, malgré les risques, malgré les moyens de la junte, force est de reconnaître le courage de la population, dont une grande partie a entendu l’appel à la désobéissance civile formulée par le Gouvernement d’unité nationale.
Entre la dictature et la révolution, le peuple birman a choisi. Il a choisi la liberté, et même les armes à travers la « force de défense populaire ».
Dans ces conditions, le soutien de la communauté internationale est indispensable pour appuyer cette quête de liberté. Le groupe du RDSE est donc naturellement favorable à toutes les initiatives dans ce sens.
Mais quelles sont les options ? Disons-le, elles ne sont pas nombreuses.
Il y a bien le régime de sanctions que la communauté internationale a mis en place depuis mars dernier. Mais nous savons combien les généraux ont imbriqué les intérêts militaires et les intérêts économiques du pays, notamment à travers les fameux conglomérats de l’armée et le Conseil administratif de l’État.
Monsieur le ministre, comment cibler les sanctions sans aggraver la situation humanitaire ? Comment également obtenir un soutien plus net des acteurs de la région ?
Je pense en particulier à l’Association des nations d’Asie du Sud-Est, dont certains des membres détournent les yeux tandis que d’autres normalisent leurs relations avec la junte.
Que penser également de la Chine et de la Russie, qui se sont abstenues lors du vote de la résolution de l’ONU du 18 juin dernier ? Sans avoir souhaité le coup d’État, ces deux puissances autoritaires et décomplexées sont fort logiquement mal à l’aise quand il s’agit d’appuyer le retour à la démocratie à l’extérieur, sans parler de leurs intérêts géostratégiques.
Cela dit, il ne faut pas baisser les bras, car les opposants birmans, comme ils l’ont maintes fois exprimé, attendent un soutien international, et notamment la reconnaissance du Gouvernement d’unité nationale.
Monsieur le ministre, la proposition de résolution présentée devant le Sénat aujourd’hui nous invite à mettre en œuvre cette reconnaissance.
Fidèle à ses valeurs, la France, avec l’appui qu’elle doit rechercher de la part de ses partenaires européens, ne peut qu’apporter son soutien à une représentation qui émane des élections libres de 2020.
Mon groupe, je l’ai dit, est favorable à toute démarche qui aiderait le peuple birman à reprendre son destin en main grâce à un gouvernement civil qui, en outre, a donné des gages d’intégration de toutes les minorités ethniques du pays dans un cadre fédéral. Mes chers collègues, le RDSE votera donc la proposition de résolution.
Le coup d’État birman constitue une véritable infraction aux conventions internationales. Nous devons notre soutien au peuple birman qui fait preuve d’un grand courage et d’une détermination à retrouver le chemin de la démocratie.
J’ajouterai que l’issue de cette crise pourrait également démontrer la capacité de la communauté internationale à maintenir la stabilité dans la zone Asie-Pacifique, ce qui est une nécessité dans un monde déjà suffisamment fracturé.
Aujourd’hui, la pression internationale se porte sur l’Afghanistan, et à juste titre ; mais il convient aussi de ne pas oublier la Birmanie : les Birmans aussi sont dans la nuit. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. André Vallini.
M. André Vallini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les élections de novembre 2020 remportées par la Ligue nationale pour la démocratie, l’armée birmane a pris le pouvoir par la force le 1er février dernier.
Depuis cette date, la police et l’armée n’hésitent pas à réprimer par la force toute opposition. En six mois, près de 1 000 civils dont 75 mineurs ont été abattus, des centaines d’entre eux ont disparu et plus de 5 400 personnes sont derrière les barreaux.
Malgré cette dureté du régime, la résistance continue de s’organiser courageusement face à la dictature. Il est donc nécessaire d’intensifier les efforts de la communauté internationale pour soutenir les démocrates birmans.
Je vais aborder successivement l’action de l’ONU, puis celle de l’Union européenne, et enfin celle de la France.
Concernant l’action de l’ONU, non seulement la résolution de l’Assemblée générale adoptée fin juin pour appeler tous les États membres à empêcher l’afflux d’armes vers le pays n’est pas contraignante, mais la Russie et surtout la Chine ont de surcroît bloqué toute résolution ferme au Conseil de sécurité : la ligne de front entre l’autoritarisme – et c’est un euphémisme – dont la Chine est le centre, et l’aspiration démocratique commune à tant de peuples en Asie passe aujourd’hui par les rues de Rangoon, comme elle est passée hier par celles de Hong Kong et de Bangkok.
Certes, lors de l’Assemblée générale en cours, la Birmanie – tout comme l’Afghanistan d’ailleurs – a été retirée de la liste des discours, et l’ambassadeur choisi par Aung San Suu Kyi a conservé son siège auprès de l’ONU. Mais la dictature birmane se sait protégée par ses alliés russes et, surtout, chinois.
En mars 2021, Tom Andrews, expert indépendant onusien, a présenté devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies cinq pistes pour qu’une action internationale efficace puisse voir le jour.
Premièrement, arrêter les flux de fonds vers les militaires birmans, en imposant des sanctions ciblées aux entreprises commerciales de la junte, notamment la Myanmar Oil and Gas Enterprise, principale source de revenus de l’État birman.
Deuxièmement, imposer un embargo international sur les armes.
Troisièmement, établir la responsabilité des crimes commis par le biais des tribunaux nationaux ayant recours à la compétence universelle, si le Conseil de sécurité refusait de renvoyer l’affaire devant la Cour pénale internationale (CPI).
Quatrièmement, travailler directement avec la société civile locale et les ONG pour fournir une aide humanitaire.
Cinquièmement, enfin, ne pas reconnaître la junte militaire en tant que gouvernement légitime représentant le peuple du Myanmar.
On sait que la junte birmane ne changera son comportement que si son moteur économique, et donc financier, est menacé par la communauté internationale.
Les mesures à prendre devraient donc inclure non seulement des sanctions ciblées et un embargo international sur les armes, mais surtout des restrictions financières pour réduire les revenus de la junte issus des industries extractives.
Certes, la réponse de l’ONU aux crimes de la junte birmane est bridée par la crainte d’un veto russe et surtout chinois au Conseil de sécurité, mais ce dernier doit faire le nécessaire pour faire respecter la résolution de l’Assemblée générale de juin dernier afin que cesse l’afflux d’armes au Myanmar.
Concernant l’action de l’Union européenne, celle-ci condamne le coup d’État chaque mois depuis février. Elle a décidé d’une aide humanitaire s’élevant à un peu plus de 20 millions d’euros, et a aussi annoncé des sanctions individuelles contre des responsables du coup d’État ainsi que contre des entités économiques liées à l’armée. Ces mesures visent bien sûr à limiter la capacité de la junte à tirer profit des ressources naturelles du pays.
L’Union européenne peut-elle faire plus ? Malgré son poids économique considérable, elle joue hélas un rôle minime sur la scène internationale. Souvent caricaturée comme un géant économique, mais un nain politique, l’Union européenne peine à transformer sa force économique en influence diplomatique, et chacun sait qu’il n’existe en effet pas à proprement parler de politique étrangère européenne, puisque chaque État membre de l’Union conserve une entière souveraineté dans la conduite de sa politique étrangère, ce dont certains se réjouissent, d’ailleurs.
Pour autant, avec la Birmanie, l’Union européenne a une occasion de plus à saisir pour faire davantage entendre sa voix dans le monde, pour défendre son approche multilatérale jamais démentie, et exprimer sa volonté de faire respecter le droit international.
Concernant enfin l’action de la France, la réponse de notre pays se résume hélas à des condamnations de principe, car elle se retranche derrière les positions adoptées par l’Union européenne.
C’est en réalité une position biaisée, gênée, entravée par la présence de Total dans un conglomérat d’exploitation de gaz, source précieuse de liquidités pour les militaires putschistes.
En mai dernier, Total a annoncé que les actionnaires d’un gazoduc qu’il exploite en Birmanie allaient cesser de percevoir des versements – parmi eux figure une entreprise liée à l’armée birmane. Le groupe pétrolier a précisé qu’il allait continuer ses opérations en Birmanie, mais qu’il respecterait les sanctions internationales si elles venaient à être prises.
Si cette mesure est saluée par les ONG, son impact reste cependant très limité sur le comportement de la junte. C’est donc l’ensemble de ses paiements à la junte que Total doit suspendre. La France doit adopter une approche volontariste et proactive pour atteindre cet objectif. Comment faire ?
Une solution proposée par plusieurs ONG est que, au lieu de payer la Myanmar Oil and Gas Enterprise, entreprise gazière et pétrolière d’État en lien avec Total, la multinationale française verse les sommes correspondantes sur un compte protégé. Cet argent serait alors conservé jusqu’à ce que la Birmanie ait un gouvernement légitime et démocratiquement élu.
En conclusion, malgré les efforts de l’Asean, les sanctions européennes et les condamnations du G7 ou de l’ONU, la crise perdure et la démocratie est confisquée en Birmanie, où le peuple s’enfonce dans la violence et la souffrance.
Avec cette résolution, la France appelle à la libération sans condition des prisonniers et à une reconnaissance du Gouvernement d’unité nationale de Birmanie.
Pour que la France regagne l’estime des peuples qui attendent beaucoup d’elle, notamment en Asie, ce sont les libertés et les droits de l’homme qu’elle doit défendre en Birmanie comme partout dans le monde où ils sont menacés.
Le groupe socialiste votera évidemment cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1962, quatorze ans après son indépendance, un premier coup d’État a stoppé l’élan démocratique en Birmanie.
En 2011, brève respiration : la junte laisse en apparence le pouvoir à la société civile. Mais, en réalité, de nombreux postes restent à la main des militaires selon la Constitution.
En 2015, malgré la nouvelle victoire du parti d’Aung San Suu Kyi, cette dernière ne peut pas présider elle-même la Birmanie, car elle en est empêchée par la junte. En dépit de ses efforts, et pour reprendre les mots de l’ambassadeur Christian Lechervy, auditionné par le Sénat le 10 février 2021, « jamais la cohabitation civilo-militaire n’a été harmonieuse durant ces cinq années d’existence ».
Voyant s’approcher le seuil des 75 % de l’Assemblée contrôlés par l’opposition, la junte procède à un coup d’État le 1er février 2021.
Plusieurs centaines de milliers de personnes ont manifesté à Rangoon, à Mandalay et dans plusieurs autres villes. La loi martiale y a été décrétée. Une résistance s’est organisée autour du Gouvernement d’unité nationale, né d’une initiative parlementaire de députés déchus et de plusieurs ethnies minoritaires, avec à sa tête Aung San Suu Kyi et le président de la République Win Myint, toujours emprisonnés.
La proposition de résolution que nous discutons aujourd’hui invite le Gouvernement, premièrement, à travailler avec ses partenaires européens afin d’obtenir une condamnation générale vigoureuse du coup d’État du 1er février 2021 et des violences qui l’ont suivi ; deuxièmement, à appeler au respect de la démocratie et au rétablissement de la paix ; troisièmement, à reconnaître le Gouvernement d’unité nationale de Birmanie pour l’aider à rétablir la paix.
Or, entre le moment du dépôt de cette proposition de résolution et aujourd’hui, de larges changements ont eu lieu, qui demandent de prendre quelques précautions.
D’abord, nous pouvons nous féliciter que la France et ses partenaires européens aient réagi rapidement en appelant à soutenir les actions pacifiques en faveur de la démocratie. Jean-Yves Le Drian a condamné avec la plus grande fermeté ces événements, y compris au Sénat le 3 février dernier.
En raison des blocages russes et chinois, aucune déclaration commune n’a pu être arrêtée en février par le Conseil de sécurité des Nations unies. Le 10 mars, il a toutefois fermement condamné les violences. Puis, le 18 juin, l’Assemblée générale a adopté une résolution condamnant le coup d’État.
Par ailleurs, les 22 mars, 19 avril et 21 juin, l’Union européenne a imposé des restrictions individuelles aux trente plus hauts responsables et entreprises de la junte, en les interdisant de territoire et en gelant leurs avoirs financiers. Les deux premiers points de la proposition de résolution ont donc déjà trouvé une réponse.
Ensuite, le niveau de tensions a augmenté d’un cran : dans ses plus récentes déclarations, le Gouvernement d’union nationale qui était jusqu’alors pacifique appelle désormais à une « guerre défensive », c’est-à-dire à une lutte armée contre les forces de la junte. Cet appel a été critiqué, notamment par le Royaume-Uni, qui a condamné, par un communiqué, « une démarche de nature à éloigner encore davantage l’ouverture de l’indispensable dialogue entre les deux parties ». Le 30 juin, la commission des affaires étrangères du Sénat a auditionné des membres du Gouvernement et du Parlement birman en exil.
Soutenir les actions du Gouvernement d’unité nationale aujourd’hui ne reviendrait-il pas à verser de l’huile sur le feu et à cautionner un conflit armé dans lequel nous ne sommes pas engagés directement, alors même qu’il va contribuer à ralentir le processus de stabilisation et à amplifier la crise humanitaire ?
Car, enfin, la détresse humaine découlant de cette situation s’est aggravée. Le groupe RDPI tient à réaffirmer tout son soutien à la population birmane, et s’alarme de ces terribles réalités : 25 % de la population et 34 % des enfants birmans vivent en dessous du seuil de pauvreté, d’après le rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et de l’Unicef de juillet 2020, tandis que 240 000 personnes se trouvaient déjà dans des camps de réfugiés à la suite de combats dans l’État d’Arakan. À la fin du mois de septembre 2021, le bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a affirmé que 3 millions de personnes en Birmanie sont dans une situation de détresse absolue.
Nous avons conscience que le droit international ne reconnaît que les États, et non les gouvernements, et nous avons vu les limites morales de ce soutien inconditionnel au Gouvernement d’unité nationale. Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI opte pour l’abstention, mais laisse chacun de ses membres voter selon leur appréciation personnelle.
Néanmoins, monsieur le ministre, plusieurs leviers d’action demeurent utilisables.
D’abord, en plus de la pression sur les intérêts financiers de la junte, est-il prévu à moyen terme d’agir sur la préférence tarifaire en retirant le pays du programme « Tout sauf les armes », comme cela a été fait pour le Cambodge ?
Ensuite, où en est la revue de l’aide au développement pour éviter son détournement par la junte ?
Enfin, quel tournant le dialogue diplomatique avec les autres États membres de la communauté internationale va-t-il prendre, notamment concernant l’embargo sur les armes ?
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la courte parenthèse démocratique birmane s’est refermée le 1er février dernier. Quelques années seulement après le début de la transition, l’armée est revenue au pouvoir, et Aung San Suu Kyi est retournée en résidence surveillée.
L’armée n’a pas supporté de voir son rôle politique marginalisé par le résultat des élections de novembre 2020, s’emparant du pouvoir par la force, ouvrant le feu sur le peuple qu’elle a pour mission de protéger. Après deux mois de manifestations réprimées à balles réelles, on dénombrait près d’un millier de morts et plusieurs milliers de personnes en détention arbitraire.
Le Président de la République a immédiatement condamné ce coup d’État, appelant à mettre un terme à la répression. L’Union européenne s’est insurgée avec la plus grande fermeté contre ce coup d’État militaire.
La situation est d’autant plus dramatique que ce putsch intervient dans le contexte de la pandémie. Difficile à gérer en temps de paix, la situation devient catastrophique lorsque l’État est désorganisé.
La campagne de test, de contact tracing et de traitement s’est brutalement arrêtée. Les Nations unies estiment que seulement 40 % des capacités médicales du pays sont encore fonctionnelles. Mauvais augure s’il en est, la junte a commencé récemment la construction de dix crématoriums.
Cette prise de pouvoir est une catastrophe pour la population et sa santé, mais aussi pour son économie. Elle déstabilise une économie déjà fragile. Près de la moitié des habitants sont susceptibles de se trouver sous le seuil de pauvreté d’après les Nations unies.
La situation nécessiterait l’envoi d’aide humanitaire, mais, même si cette dernière parvenait jusqu’au territoire birman, rien ne garantit qu’elle bénéficierait effectivement au peuple.
Cette situation constitue également un défi à la stabilité de la région. La Chine possède de nombreux intérêts en Birmanie, et son influence y est considérable. Pékin entretenait de bonnes relations avec le gouvernement précédent, ce qui ne l’a pas empêché de qualifier le coup d’État de simple « remaniement ministériel ».
Le tracé des nouvelles routes de la soie emprunte le territoire birman. C’est dire à quel point la stabilité de ce pays, mais non la démocratie, importe à la Chine – ce n’est pas Pascal Allizard qui dira le contraire !
La junte précédente a pu faire face aux sanctions occidentales principalement grâce au commerce avec son grand voisin. Tant qu’elle pourra assurer une relative stabilité dans le pays, la junte actuelle ne sera pas inquiétée par la Chine.
La légitimité de la junte reste cependant très contestée, tout d’abord démocratiquement par le Gouvernement d’unité nationale, constitué de parlementaires élus lors des dernières élections, mais forcés à l’exil.
Elle l’est également par les armes, au travers d’une lutte engagée par des mouvements de guérilla. Même ceux qui avaient conclu un cessez-le-feu ont repris le combat dès le mois de mars ; certains se sont emparés de bases militaires et de commissariats de police.
Ces mouvements sont structurés autour de milices ethniques. La Birmanie compte, à côté de l’ethnie majoritaire birmane, plus d’une centaine de minorités, dont l’incorporation dans une seule et même nation reste inachevée.
La voie démocratique permettait à chacun de s’exprimer et d’espérer peser sur la politique du pays. Le retour de la junte, c’est le retour de la force, le retour des affrontements.
Face à cette triple urgence – humanitaire, économique et démocratique –, nous ne sommes pas démunis : sans avoir le poids de la Chine, nous pouvons et nous devons appeler à la reconnaissance du gouvernement d’unité nationale. Ce gouvernement inclusif est en effet le plus à même de garantir la stabilité d’un pays marqué par les conflits ethniques, que seule la transition démocratique avait permis d’apaiser.
Des sanctions économiques ont été prises ; d’autres doivent venir les renforcer. Nous devons toutefois continuer de nous assurer qu’elles pénalisent les responsables de la junte en épargnant le peuple.
Le groupe Les Indépendants, qui compte des signataires de la proposition de résolution, est convaincu que la reconnaissance du gouvernement d’unité nationale est une étape incontournable dans la résolution de la crise birmane. Nous voterons donc en faveur de cet excellent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que présidente déléguée pour la Birmanie du groupe interparlementaire d’amitié France-Asie du Sud-Est, depuis mon entrée au Sénat, en 2004, je tiens à saluer la démarche de mon collègue Pascal Allizard. En effet, depuis le coup d’État du 1er février dernier, je demandais l’autorisation de déposer une proposition de résolution au Sénat et cela m’était refusé. Je félicite donc mon collègue pour ses qualités de persuasion ayant abouti à ce que le groupe Les Républicains accepte le dépôt de cette proposition de résolution et son inscription à notre ordre du jour.
Déposer et débattre d’une proposition de résolution relative à la Birmanie est un exercice de diplomatie parlementaire quelque peu difficile, mais c’était indispensable au regard de la situation dramatique dans ce pays, sur laquelle je ne reviendrai pas, ayant déjà beaucoup parlé et écrit à ce sujet. Les orateurs précédents viennent de surcroît d’en parler longuement et très bien également.
Cet exercice exige de la responsabilité et de la sincérité. Mes années passées à travailler sur ce pays, depuis bien avant mon arrivée au Sénat, à maintenir des contacts avec les Birmans et nos services sur place, ainsi qu’avec les organisations non gouvernementales (ONG), au fil des crises et des basculements du régime, m’ont convaincue qu’il fallait absolument avoir une approche globale de la situation, incluant tous les acteurs susceptibles d’œuvrer pour le rétablissement de la paix.
La toute première des priorités est, bien sûr, l’arrêt des exactions à l’encontre de la population.
En juin dernier, mon homologue de l’Assemblée nationale, Alain David, et moi-même avons publié une tribune dans le journal Le Monde, dans laquelle nous demandions déjà la reconnaissance du gouvernement d’unité nationale et l’affectation des dividendes de Total et du secteur gazier à un compte bloqué. Deux mois plus tôt, après avoir fait un point de situation, je vous interrogeais, monsieur le ministre, lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement. Malgré votre réponse, dont je vous remercie encore, nombre de mes interrogations restent en suspens.
Pour moi, l’examen de cette proposition de résolution constitue donc autant un appel renouvelé à notre diplomatie que l’occasion d’un point d’étape sur les actions menées. Il s’agit d’être le plus efficace possible, et ce à tous les niveaux.
Monsieur le ministre, pourriez-vous tout d’abord nous indiquer où nous en sommes des négociations à l’échelon de l’Union européenne ? Quelle est la position dominante chez nos voisins sur ce dossier et, surtout, quel est leur niveau d’implication ? Une crise en chassant vite une autre, je crains que les priorités dans les agendas diplomatiques ne divergent largement…
Pouvez-vous également dresser un bilan du troisième train de sanctions, décidé avant l’été dernier ? Ces sanctions sont indispensables, mais, aujourd’hui, elles semblent nettement insuffisantes pour arrêter l’effusion de sang. Elles affectent durement la population civile et deviennent parfois contre-productives. Nous ne pouvons nous en contenter.
En 2007, déjà, j’interrogeais une secrétaire d’État chargée des droits de l’homme sur les revenus de la junte et leurs dépôts dans des places fiscales hors d’atteinte. Hélas, peu a été fait depuis lors.
Par ailleurs, je le disais en mars dernier, rien n’évoluera sans une réponse régionale, et la neutralité affichée des pays de l’Asean ne saurait être un prétexte à l’inaction. Par conséquent, quels retours pouvez-vous nous faire des négociations engagées dans les enceintes asiatiques et, en premier lieu, au sein de l’Asean ? Comment mieux utiliser nos leviers d’influence auprès de cette organisation, et, surtout, des deux grands voisins – la Chine et l’Inde –, ainsi qu’au sein des Nations unies ?
N’oublions pas non plus que le pays est un point d’accès au golfe du Bengale et à la mer d’Andaman, ce qui, à l’heure de la maritimisation du monde, doit être pris en compte.
Mon avant-dernier point concerne notre action d’urgence, notamment humanitaire. Alors que le Parlement a adopté, en juillet 2021, une loi relative à la politique d’aide au développement – la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales –, engageant une réorganisation entre les opérateurs, je souhaite connaître les modalités d’action de l’Agence française de développement (AFD) dans le pays et le bilan à long terme des investissements en faveur du développement, si possible avant même la constitution de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement. Il nous faut absolument une mobilisation plus large, économique, bien sûr, mais aussi humanitaire et culturelle.
Avant de conclure, je souhaite aborder la situation des responsables politiques. Depuis des années, j’ai ce dossier à cœur et la remise du prix Nobel de la paix à Aung San Suu Kyi restera pour moi un moment d’immense espoir. Cette dernière est assignée à résidence et réduite au silence, en attendant son procès pour des motifs fallacieux, qui vont de la corruption à l’importation de talkies-walkies, en passant par le trouble à l’ordre public et le non-respect du protocole sanitaire. Les inquiétudes sur son avenir sont très fortes et sa famille est toujours sans nouvelles. Monsieur le ministre, auriez-vous, par bonheur, quelques éléments à nous donner quant à ses conditions de détention ? À travers elle, je pense également à la relève politique de ce pays.
Il importera que, par différents leviers, la France maintienne ses relations et ses actions dans ce pays, afin que la Birmanie ne sombre pas définitivement dans les ténèbres. Nous ne pouvons pas abandonner ce pays. Le peuple birman, si assoiffé de démocratie, si courageux, compte sur nous. Il se bat seul et son courage force l’admiration.
Pour enrayer cette guerre civile, qui est déjà enclenchée et ne cesse de s’amplifier, il est indispensable que les Nations unies établissent un embargo total sur les armes lourdes, fournies essentiellement par la Russie et par la Chine, que soit renforcé le dialogue avec les EAO (Armed Ethnic Organisations), les groupements ethniques armés, et avec le CDM, le mouvement populaire de désobéissance civile, et, bien entendu, que soit reconnu le gouvernement d’unité nationale. Ce serait pour la Birmanie un immense espoir, de nature à décourager un peu plus l’armée, cette sinistre tatmadaw, qui semble aujourd’hui tétanisée face aux désertions et aux attaques de ces Birmans, si courageux et prêts à sacrifier leur vie pour leur liberté.
Je vous le disais ici même, en mars dernier, la France a une responsabilité historique : elle se doit d’encourager le valeureux peuple birman en lutte contre une dictature mafieuse ; elle se doit de montrer au monde qu’elle reste fidèle à ses valeurs de liberté et de droits de l’homme, en entraînant les autres pays à faire de même. En réponse à cela, vous nous aviez parlé, monsieur le ministre, de la détermination de la France à trouver une solution. Vous avez déjà bien agi. Aidez-nous, car, aujourd’hui, nous sommes tous Birmans. (MM. Yves Bouloux et Yves Détraigne applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution d’initiative transpartisane dont nous débattons aujourd’hui doit faire l’objet d’un soutien unanime de la Haute Assemblée.
Depuis le coup d’État du 1er février dernier, le peuple birman, dans toute sa diversité, a subi une répression d’une violence inouïe. Des millions de personnes sont descendues dans les rues pour s’opposer à la prise de pouvoir de la junte, malgré les menaces de l’armée.
Le résultat, huit mois plus tard, est dramatique : plus d’un millier de personnes sont déjà mortes sous le feu de l’armée birmane et, au mois de juillet 2021, plus de 250 000 personnes avaient été déplacées. La Birmanie compte ainsi presque 700 000 déplacés internes aujourd’hui, alors qu’elle est déjà minée par les conflits interethniques et par les ravages de la pandémie. Pour compléter ce sinistre tableau, les ONG font état d’arrestations arbitraires par la junte, de disparitions forcées, d’actes de torture et de viols. Ces actes pourraient constituer, au regard du droit international, des crimes contre l’humanité.
C’est ce régime brutal et méprisant le droit international qui tentait d’obtenir, encore le mois dernier, un siège à l’Assemblée générale des Nations unies. Cela lui a été refusé, grâce à un accord durement négocié avec la Chine. C’est une bien maigre victoire, car, si la junte est en manque de légitimité internationale aujourd’hui, cela ne l’empêchera pas de se maintenir au pouvoir par la violence.
Certes, son autorité est contestée sur des pans entiers du territoire, mais les groupes armés locaux qui se sont formés pour la combattre ne constituent pas un front uni et n’ont pas les moyens de reconquérir le pays.
Ne nous laissons pas tromper par les apparences de gouvernement civil dont la junte essaie de se parer ni par ses promesses d’élections d’ici à 2023. Ce pouvoir tyrannique n’offre aucune garantie de stabilité à moyen terme ; il offre plutôt la promesse d’un conflit interne, dont les civils seront les premières victimes.
Mes chers collègues, nous ne pouvons pas être optimistes. Les perspectives de retour à la paix semblent lointaines. En effet, le 7 septembre dernier, le président intérimaire du gouvernement d’unité nationale appelait à un soulèvement populaire contre l’armée birmane. Comment pourrait-il en être autrement ?
Le gouvernement d’unité nationale représente tout simplement la seule perspective d’un retour à l’État de droit pour le peuple birman. Formé au mois d’avril par le Comité représentant l’Assemblée de l’Union, comité issu des élections de novembre 2020, ce gouvernement est porteur d’une légitimité politique indéniable. Au-delà de cette légitimité tirée des urnes, nous tenons à saluer sa diversité ethnique ; la représentation des minorités et le dialogue interethnique seront une condition sine qua non pour présenter une solution de substitution crédible à la junte et construire une paix durable dans cette société si fracturée.
Nous nous en réjouissons d’autant plus que cela constitue une amélioration notable par rapport au gouvernement de Mme Aung San Suu Kyi, qui, rappelons-le, avait défendu la persécution de la population rohingya. À ce jour, ce gouvernement d’unité nationale a démontré à maintes reprises sa volonté et sa capacité de participer aux discussions multilatérales dans les instances internationales. Notre commission des affaires étrangères a même rencontré à distance certains de ses membres.
Néanmoins, ce gouvernement a aussi cruellement besoin du soutien de la communauté internationale. Nous avons, certes, condamné la junte à de multiples reprises et à de nombreuses tribunes, et nous l’avons soumise, avec l’Union européenne, à des sanctions économiques. Toutefois, l’opposition à un régime sur lequel nous avons peu de prises et le soutien informel à ce gouvernement d’unité nationale fantôme ne sont plus à la hauteur de la situation.
C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera évidemment pour la présente proposition de résolution. La France doit travailler avec ses partenaires européens pour appeler à une réaction internationale plus forte contre le coup d’État et contre les violences qui l’ont suivi. Elle doit également demander la libération des prisonniers politiques et la fin de l’état d’urgence.
Enfin, et surtout, nous avons le devoir de soutenir un gouvernement qui a démontré son attachement aux principes démocratiques, à la représentativité de la mosaïque ethnique qui compose la Birmanie et à un dialogue ouvert avec la communauté internationale. Ce sont non seulement les Birmanes et les Birmans que nous défendons en votant pour ce texte, mais également nos valeurs.
Pour conclure, j’ajoute que nombreux sont les pays à travers le monde, notamment en Afrique, dans lesquels la France et l’Union européenne devraient soutenir les transitions démocratiques, sans faire le tri en fonction de leurs intérêts militaires et économiques.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le 1er février dernier, la Birmanie est, une nouvelle fois, dans une situation de chaos. Ce quatrième coup d’État en à peine soixante-cinq ans et la répression que subissent les opposants ont déjà fait plus d’un millier de victimes civiles et plus de quatre mille prisonniers. En parallèle, écoles, hôpitaux et postes de police ont été vidés, la junte militaire décidant de purger les fonctionnaires qui refusaient cette prise de pouvoir illégitime. Quelque 300 000 travailleurs ont été licenciés de façon arbitraire et 25 millions de personnes vivent en situation de pauvreté.
Face à cette situation, que faire ?
En premier lieu, il me semble essentiel que nous arrivions à une condamnation la plus large possible du coup d’État. C’est ce qui est proposé au travers de cette proposition de résolution, que notre groupe votera.
Malheureusement, les derniers mois ont été une nouvelle fois marqués par des désaccords internationaux profonds. Le blocage, par la Russie et la Chine, d’une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies nous a fait perdre un temps précieux. Si la déclaration du Conseil de sécurité du 4 février allait dans le bon sens, en appelant à l’abandon des violences, au maintien des institutions démocratiques et au respect des libertés fondamentales, elle ne suffisait malheureusement pas. Il aura ainsi fallu attendre le 18 juin pour que les Nations unies condamnent officiellement le coup d’État.
De la même manière, l’Union européenne a imposé des sanctions économiques, mais seront-elles suffisantes ?
Nous pouvons en effet nous interroger sur la pertinence de la décision consistant à ne pas intégrer certains secteurs essentiels dans le champ des sanctions, tout comme nous devons garder en mémoire la stratégie de la junte, dans les années 1990 et 2000, qui avait creusé les immenses besoins de la population civile. Cette stratégie était d’autant plus cynique que, pour reprendre les termes du chercheur David Camroux, « en 1939, la Birmanie était le plus grand exportateur de riz au monde, aussi riche que la Thaïlande. Ses hôpitaux, ses médecins étaient les plus réputés du sous-continent. Aujourd’hui, la Thaïlande est cinq fois plus riche. Les Birmans avaient les meilleures universités de l’Asie du Sud-Est. Mais soixante ans de régime militaire ont tout ruiné. On a sacrifié deux générations de jeunes ! ».
Il convient également de rester attentif à la façon dont agiront l’Union européenne ainsi que les alliés chinois, thaïlandais et vietnamiens de la Birmanie, à l’égard de leur commerce préférentiel avec ce pays.
En deuxième lieu, tous les moyens doivent être mis en œuvre pour éviter de soutenir, même indirectement, la junte militaire. Ce n’est qu’un premier pas, mais la résolution du 18 juin dernier appelle les Nations unies à empêcher l’afflux d’armes en Birmanie. Espérons que cela se révèle plus efficace que le précédent appel concernant la Libye…
Surtout, je m’interroge sur le rôle joué par certains grands groupes, notamment états-uniens et français. Si l’enquête parue dans Le Monde en mai dernier était vraie, ne serait-ce que partiellement, nous serions face à un véritable scandale.
Ainsi, le géant pétrolier français, qui exploite depuis 1998 le gisement gazier de Yadana, serait au cœur d’un système grâce auquel des centaines de millions de dollars seraient détournés de l’État birman vers le géant gazier birman, contrôlé par l’armée. Or Total et ce groupe, la Myanma Oil and Gas Enterprise (MOGE), sont propriétaires, conjointement avec une entreprise thaïlandaise, de la pipeline et de l’exploitation de ce gisement.
La décision de Total, prise sous la pression de nombreuses ONG, de suspendre ses versements aux actionnaires de l’entreprise birmane n’est qu’une micro-réponse à un gigantesque problème. Comme le relevait John Sifton, qui travaille au sein d’une ONG, cette mesure isolée est « insignifiante d’un point de vue économique et elle n’entraînera pas de changement de comportement de la junte ». Dit autrement, le groupe français continue d’alimenter économiquement le régime issu du coup d’État.
En troisième et dernier lieu, il est d’ores et déjà nécessaire de penser à l’avenir. On le voit bien, malgré ce qui ressemblait à un accord des deux grandes forces politiques birmanes en faveur de la libéralisation du pays, cette dernière restait fragile. La Birmanie, avant même le 1er février 2021, était un pays fortement divisé et en proie aux conflits internes, non seulement politiquement, comme je l’évoquais, mais aussi entre ses différents groupes de population. Nous devons espérer un retour des instances démocratiques légitimement élues, mais ce simple retour ne saurait suffire. Malgré le dialogue interethnique engagé au printemps 2016, on ne peut pas effacer des décennies de tensions entre les différentes communautés. Les massacres et la déportation de presque 700 000 Rohingyas, perpétrés par des militaires et des séparatistes bouddhistes, des exactions que le parti au pouvoir n’a pas empêchées, rappellent que nous n’aurons jamais de stabilité birmane sans pacification des relations.
La Birmanie, et en premier lieu certaines de ses minorités, paie encore aujourd’hui le tribut de décennies de stratégie cynique des Britanniques, lorsque ceux-ci occupaient le pays.
La France devra soutenir dès que possible, entre autres initiatives, celle de la procureure de la Cour pénale internationale destinée à établir clairement les responsabilités dans les exactions de 2017. Un dialogue interethnique, sous l’égide de l’ONU, pourrait s’avérer une piste sérieuse pour résoudre ce conflit.
Toutefois, tout cela ne peut être que corrélé à un retour des instances légitimement élues en novembre 2020 et aujourd’hui condamnées au silence ou à la clandestinité.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Joël Guerriau applaudit également.)
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier notre collègue Pascal Allizard, qui a pris l’initiative de déposer cette proposition de résolution permettant aujourd’hui de nous exprimer sur la situation dramatique à laquelle est confrontée la Birmanie.
Ce texte, que nous avons été nombreux à cosigner, vise à rappeler au gouvernement français la nécessité de reconnaître le gouvernement d’unité nationale de Birmanie, dont la constitution a été annoncée le 16 avril 2021, et de lui apporter notre soutien dans ses actions de rétablissement de la paix et de la démocratie.
Cet engagement, dans des conditions difficiles, de toutes les oppositions au pouvoir dictatorial, jusque-là divisées, constitue un immense espoir. Pour la première fois dans l’histoire du pays, chacune des principales ethnies y est représentée.
Depuis l’arrestation, le 1er février dernier, du président de la république, Win Myint, de sa conseillère, Aung San Suu Kyi, et de centaines d’élus, militants ou personnalités politiques défavorables au régime militaire, la junte birmane a repris le pouvoir par la violence, au mépris de toutes les règles gouvernementales qui devraient pourtant être applicables au pays.
Paris a condamné fermement cette remise en cause du processus démocratique engagé depuis une dizaine d’années et a appelé au strict respect des résultats des élections du 8 novembre 2020, largement gagnées par la Ligue nationale pour la démocratie.
L’action du G7, la troisième série de sanctions prise par l’Union européenne au mois de juin et la pluie de condamnations internationales n’ont pas suffi à rétablir le calme ou à laisser entrevoir une sortie de crise.
En mars et avril derniers, de nombreux manifestants birmans se sont opposés vivement à ce coup d’État, mais le soulèvement citoyen s’est tari, car l’armée, tirant à balles réelles, a provoqué des centaines de morts.
La situation ne cesse de se durcir et le constat est glaçant : plus de 1 000 civils tués – on peut imaginer beaucoup plus dans la réalité – et au moins 6 700 personnes arrêtées. L’économie est exsangue ; le système de soins, le système éducatif et tous les services de base sont de plus en plus défaillants. La violence et les tueries se poursuivent de manière incessante. Les 54 millions d’habitants de la Birmanie font face à des crimes odieux, à la mort et à la destruction.
En outre, le Programme alimentaire mondial estime que plus de 6,4 millions de Birmans sont exposés à un risque de famine d’ici à la fin du mois d’octobre.
Enfin, nous ne pouvons passer sous silence la vague épidémique de covid-19 qui s’est abattue sur le pays en quelques mois. Avant le coup d’État, la Birmanie avait connu un confinement long permettant de protéger la population. Une campagne de vaccination avait même été lancée en début d’année. Depuis février, plus rien n’est fait ; la gestion de la pandémie par l’armée est désastreuse et le virus tue massivement.
Lors de l’audition, par notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le 30 juin dernier, des membres du gouvernement d’union nationale et du parlement birman en exil, la question de l’aide humanitaire est apparue primordiale. Les difficultés d’acheminement de cette aide et le risque que ces moyens tombent aux mains de la junte empêchent toute intervention. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire si un plan d’action humanitaire est aujourd’hui envisageable ? Un processus coordonné avec d’autres membres de l’Union européenne peut-il voir le jour ?
Plus inquiétant encore est le véritable tournant qui est en train de se dessiner, à la suite de la déclaration du président par intérim du gouvernement d’unité nationale appelant à un soulèvement armé contre les militaires dans tout le pays. Cette prise de parole laisse entrevoir le spectre d’une guerre civile.
Aujourd’hui, les militaires ne recueillent absolument pas le soutien du peuple, mais les opposants ne disposent pas des moyens sur le terrain pour dominer. L’importance d’une mobilisation internationale pour stopper cette escalade de la violence est capitale.
Pourtant, la dernière Assemblée générale de l’ONU n’a pas permis d’avancée majeure : l’ambassadeur birman nommé par le gouvernement civil renversé a conservé son siège auprès de l’ONU, soutenu par la communauté internationale, mais n’a pas pu s’exprimer. La junte, de son côté, a nommé un ex-militaire pour le remplacer, mais cette décision n’est pas entérinée par l’ONU à ce jour ; ce statu quo devrait durer au moins jusqu’au mois de novembre.
Les discussions à l’échelon régional ne sont guère plus encourageantes. La feuille de route en cinq points, adoptée lors du sommet de l’Asean du 24 avril dernier et visant à mettre un terme aux violences et à trouver une sortie de crise négociée, n’est absolument pas respectée par la junte. Le fait que les pays qui composent cette association soient gouvernés par des régimes politiques très différents, pas tous démocratiques, ne simplifie rien. La règle du consensus préalable à toute décision paralyse les prises de position claires en faveur du gouvernement d’union nationale birman.
Alors que les multiples efforts diplomatiques ont montré certaines limites, d’autres actions doivent être envisagées. L’affaiblissement des moyens financiers de la junte constitue certainement le meilleur moyen pour stopper la barbarie et pour entamer un dialogue de sortie de crise. Les sanctions économiques prises par les pays étrangers touchent les dirigeants militaires par le blocage de leurs avoirs personnels.
Cependant, la Chine, dont les intérêts économiques et stratégiques directs en Birmanie sont importants, dispose d’une influence incontestable dans l’évolution à venir de ce conflit. Même si la position de Pékin reste floue, son soutien penche davantage vers le gouvernement militaire. En achetant notamment le teck, le jade et les métaux rares, la Chine lui apporte des devises.
On peut également s’interroger sur le positionnement de groupes pétroliers qui continuent de verser des sommes énormes aux putschistes, permettant de ce fait à ces derniers de rémunérer les militaires et les policiers. Total s’était engagé, avant l’été, à verser en compensation le montant des impôts et des taxes aux organisations humanitaires. Les mois passent, mais rien n’est fait en ce sens.
Il est important de rappeler que, actuellement, l’apport financier du secteur des hydrocarbures à un pouvoir illégitime et responsable des pires exactions demeure un réel problème à résoudre rapidement. Les acteurs économiques doivent, eux aussi, réfléchir aux moyens de priver l’armée birmane de revenus.
Pour conclure, cette proposition de résolution, au-delà de l’envoi d’un signal politique fort de soutien à la Birmanie, doit permettre d’encourager notre exécutif et, plus largement, nos partenaires diplomatiques à se mobiliser. À l’heure où de grandes ethnies et même, ces derniers jours, l’Arakan – aussi connu sous le nom de Rakhine – ont fait acte d’allégeance au gouvernement d’union nationale, leurs armées progressent dans cinq grandes zones de rébellion et contrôlent de plus en plus de territoires.
L’espoir subsiste et nous devons l’accompagner. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Nicole Duranton et M. Joël Guerriau applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l’attractivité. Monsieur le président, monsieur le sénateur Pascal Allizard, madame la présidente du groupe d’amitié – chère Joëlle Garriaud-Maylam –, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner la possibilité d’échanger avec vous sur la situation en Birmanie à la suite du coup d’État du 1er février 2021 en discutant de la proposition de résolution portant sur la reconnaissance du gouvernement d’unité nationale que vous avez déposée.
Jean-Yves Le Drian, qui ne pouvait malheureusement pas être au Sénat cet après-midi, m’a demandé de le représenter.
Votre proposition de résolution témoigne de l’intérêt constant de la société française et de ses représentants pour cette crise. Elle constitue une expression de notre solidarité avec le peuple birman, dans ces instants d’une difficulté particulière. La France est profondément préoccupée par la dégradation de la situation politique et des droits de l’homme en Birmanie depuis le coup d’État, qui fut une négation de la volonté que le peuple birman avait exprimée lors des élections générales du 8 novembre 2020, une grave atteinte à l’État de droit et aux principes démocratiques, que la France a condamnée avec la plus grande fermeté, et ce à de nombreuses occasions.
Pour ces raisons, comme la France l’a déjà exprimé à plusieurs reprises, nous ne reconnaissons aucune légitimité au régime issu du coup d’État. Cette position est partagée par nos partenaires européens.
Par ailleurs, nous sommes très préoccupés par la dégradation de la situation humanitaire en Birmanie. La répression menée par les forces de sécurité cible en particulier les défenseurs des droits, les journalistes, les représentants des organisations de la société civile et le personnel médical. En particulier, les exactions menées contre le personnel médical, qui a largement rejoint le mouvement de désobéissance civile après le 1er février, affaiblissent la capacité du pays à répondre à la deuxième vague de l’épidémie de covid-19, qui sévit depuis l’été 2021 ; certains d’entre vous y ont fait référence.
Un mot pour évoquer la situation d’Aung San Suu Kyi. Vous le savez, la conseillère spéciale de l’État est détenue depuis le 1er février. Elle fait face à plusieurs accusations arbitraires : corruption ; violation des lois relatives à l’état d’urgence sanitaire et au confinement ; importation illégale de matériel réglementé.
Les audiences de son procès ont eu lieu deux fois par semaine en juin, puis une décision de report a été prise à la mi-juillet en raison de la situation épidémique. Celles-ci ont repris en septembre. La conseillère d’État a d’ailleurs indiqué avoir été vaccinée, alors qu’elle était en résidence surveillée.
La France s’est mobilisée dès le premier jour pour répondre à cette crise. Nous avons été particulièrement actifs pour pousser la communauté internationale à prendre une position claire et unie sur la situation en Birmanie, une position fondée sur le respect et la protection des droits de l’homme.
La résolution adoptée à la quasi-unanimité par l’Assemblée générale des Nations unies, le 18 juin dernier, témoigne du fait que l’attention portée par la communauté internationale à la Birmanie n’a en rien fléchi depuis six mois. Cette résolution va encore plus loin que les déclarations du Conseil de sécurité : elle appelle tous les États qui ne l’auraient pas déjà fait à imposer un embargo sur les livraisons d’armes vers la Birmanie.
Lors de la réunion des ministres des affaires étrangères du G7 de mai dernier et lors du sommet de Carbis Bay de juin, il a notamment été réaffirmé que la désescalade constituait une priorité pour l’ensemble de la communauté internationale.
Par ailleurs, la France a joué un rôle moteur dans la réponse européenne. Les deux premiers volets de sanctions, chère Joëlle, adoptés en mars et avril derniers, ciblent d’ores et déjà vingt et un individus, les deux principaux conglomérats militaires – la Myanmar Economic Corporation (MEC) et la Myanmar Economic Holdings Limited (MEHL) – et leurs trente-quatre filiales détenues à plus de 50 % dans des secteurs aussi diversifiés de l’économie birmane que les pierres précieuses, la finance ou le commerce.
Le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne a adopté, le 21 juin, un troisième volet de sanctions qui cible huit nouveaux individus liés au coup d’État et quatre entités économiques. Sont notamment visées des entreprises publiques dans le secteur du bois et des pierres précieuses, ainsi que la principale organisation gérant les actifs des vétérans des forces armées.
Comme vous le voyez, nous sommes déterminés, avec nos partenaires européens, à maintenir la pression sur le régime issu du coup d’État.
En ce qui concerne les sanctions commerciales, aucune piste n’est écartée, y compris la suspension du régime européen « Tout sauf les armes », chère Nicole Duranton. Ces sanctions doivent respecter deux principes : frapper la junte militaire et éviter de pénaliser la population civile et les emplois induits par les exportations vers l’Union européenne.
Au-delà des sanctions, nous avons suspendu tout soutien budgétaire aux programmes gouvernementaux. Nous n’écartons aucune option, y compris en matière de préférence commerciale.
Nous prenons acte des décisions de Total. Comme je l’indiquais, notre position est sans ambiguïté : frapper les intérêts économiques des forces de sécurité birmanes tout en préservant la population civile. Ainsi que l’ont souligné avec force certains orateurs, la situation de cette dernière ne doit pas s’aggraver du fait des décisions que nous serions amenés à prendre.
Dans son communiqué du 26 mai dernier, Total déclarait : « suite à une proposition conjointe par Total et Chevron lors de l’assemblée générale de Moattama Gas Transportation Company Limited du 12 mai dernier, toutes les distributions aux actionnaires de cette société ont été suspendues ».
Par ailleurs, l’entreprise publique birmane du secteur gazier, la Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), a cessé de recevoir des dividendes mensuels pour l’exploitation du champ gazier de Yadana, au sud-ouest de la Birmanie, que TotalEnergies exploite depuis 1992.
L’entreprise a réaffirmé à cette occasion, comme l’ont rappelé certains d’entre vous, qu’elle respectera toute décision qui pourrait être prise par les organisations internationales ou nationales compétentes, y compris les sanctions imposées par les autorités européennes et américaines.
Pour l’essentiel, l’aide française au développement a été suspendue. En effet, comme elle est destinée aux autorités de l’État, aujourd’hui dirigé par la junte, elle ne répondait pas aux trois principes que le Gouvernement s’est fixé : pas de nouveaux transferts financiers ; pas de nouvel accord ; pas de contact de haut niveau.
En revanche, nous avons poursuivi les projets d’appui à la société civile. Une des priorités de la réponse française et européenne à cette crise est d’épargner les plus vulnérables dans la population civile, qui sont les premiers touchés. Alors que, chaque jour, de nouveaux Birmans fuient les violences des forces de sécurité et que la situation sanitaire se dégrade, la France continuera d’apporter son soutien à la société civile et maintiendra son aide humanitaire.
En ce qui concerne la reconnaissance du gouvernement d’unité nationale, la position de la France est claire et constante : elle ne reconnaît que les États, et non les gouvernements. Cette position est d’ailleurs partagée par l’ensemble de nos partenaires européens. À ce jour, aucun État n’a reconnu le gouvernement d’unité nationale, malgré les efforts déployés par ses membres.
Cela étant, nous n’avons ménagé aucun effort pour valoriser le travail de cette structure, qui émane du Comité représentant l’Assemblée de l’Union (CRPH), dont les membres ont été démocratiquement élus.
Nous nous efforçons également de lui donner une tribune dans les enceintes multilatérales. Ainsi, Susanna Hla Hla Soe, ministre des femmes, de la jeunesse et de l’enfance, a pu s’exprimer lors de la séance publique du Conseil de sécurité des Nations unies, le 29 juillet dernier, pendant la présidence française.
La France souhaite que le gouvernement d’unité nationale et le CRPH fassent partie du futur processus politique de dialogue, qui permettra une sortie de crise. Nous ne ménageons pas nos efforts pour l’affirmer publiquement ni pour amener l’Union européenne à le faire. Je vous renvoie ainsi à la déclaration du 30 avril 2021 de Josep Borrell, Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, sur les résultats de la réunion des dirigeants de l’Asean.
Aux Nations unies, la représentation de la Birmanie fait aussi l’objet de toute notre attention. La France n’est pas représentée à la commission de vérification des pouvoirs pour la session de cette année, mais sa position est claire. Comme les autres pays européens, et comme je l’ai déjà souligné, la France ne reconnaît aucune légitimité au régime issu du coup d’État. Par conséquent, nous estimons que la voix de la Birmanie aux Nations unies ne doit pas revenir à la junte.
Si nous partageons la plupart des principes et objectifs de la proposition de résolution, la position de la France, je le répète, demeure constante : elle ne reconnaît pas les gouvernements, mais seulement les États. Pour ces raisons, je m’en remets à la sagesse du Sénat. (MM. Joël Guerriau et Jean-Claude Requier applaudissent.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution portant sur la nécessité de reconnaître le gouvernement d’unité nationale de Birmanie
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Considérant le résultat des élections démocratiques en Birmanie en novembre 2020 qui ont vu la large victoire du parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie ;
Considérant le coup d’État militaire du 1er février 2021 par lequel l’armée a pris le pouvoir par la force en Birmanie et proclamé l’état d’urgence ;
Considérant la détention arbitraire par l’armée birmane de nombreuses personnalités politiques, défenseurs des droits de l’homme, journalistes, membres de la société civile, universitaires, enseignants, personnels médicaux, chefs religieux et ressortissants étrangers ;
Considérant la création, le 16 avril 2021, d’un Gouvernement d’unité nationale composé des principales ethnies par le Comité représentant le Parlement de l’Union (CRPH) issu des élections générales de novembre 2020 ;
Considérant les déclarations de l’Union européenne du 2 février et du 30 avril 2021 ainsi que les mesures de sanctions prises par l’Union européenne les 22 mars et 19 avril derniers à l’encontre des responsables du coup d’État en Birmanie et des intérêts économiques des forces armées birmanes ;
Considérant le sommet de l’ASEAN du 24 avril 2021 qui s’est conclu par un consensus en cinq points sur la nécessité immédiate de mettre fin aux violences, l’ouverture d’un dialogue constructif entre toutes les parties concernées, la désignation d’un Envoyé spécial de la présidence de l’ASEAN pour faciliter la médiation du processus de dialogue réunissant l’ensemble des parties en Birmanie, l’aide humanitaire de l’ASEAN et la visite en Birmanie de l’Envoyé spécial, lequel n’est pour l’heure pas autorisé par les autorités militaires à entrer sur le territoire birman ;
Considérant la position exprimée le 5 mai 2021 par les ministres des Affaires étrangères et du Développement du G7 condamnant avec la plus grande fermeté le coup d’État militaire en Birmanie et réaffirmant leur solidarité avec toutes les personnes qui défendent une démocratie inclusive et agissent en ce sens, notamment les membres du Comité représentant le Parlement de l’Union (CRPH) et d’autres dirigeants favorables à la démocratie, ainsi que les membres du Gouvernement d’unité nationale, du mouvement de désobéissance civile ;
Considérant la poursuite de la répression de l’armée birmane à travers le pays, le nombre élevé de victimes civiles et de personnes emprisonnées ainsi que de personnes déplacées, au mépris de toutes les conventions internationales ;
Invite le Gouvernement à travailler avec ses partenaires européens à obtenir de la communauté internationale une condamnation générale et la plus vigoureuse du coup d’État du 1er février 2021, de la prise du pouvoir qui s’en est suivie ainsi que des violences commises par les forces de sécurité contre la population civile ;
Invite le Gouvernement à appeler avec la plus grande fermeté au respect des résultats des élections générales du 8 novembre 2020, à la fin de l’état d’urgence et à la libération immédiate et sans condition des prisonniers politiques arrêtés depuis le coup d’État, dont le Président de la République et la Conseillère de l’État, et à entreprendre toutes les démarches en ce sens ;
Invite le Gouvernement à procéder à une reconnaissance du Gouvernement d’unité nationale de Birmanie qui permette d’enclencher un processus de retour à l’ordre constitutionnel, et à apporter son soutien au Gouvernement d’unité nationale dans ses actions pour le rétablissement de la paix et de la démocratie en Birmanie, dans le respect de toute la mosaïque des populations locales, et en relation avec les partenaires européens et les organisations de la communauté internationale, telles que les organisations régionales compétentes et l’ONU.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée à l’unanimité.) – (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP. – Mme Michelle Gréaume applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-trois, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
11
Pacte européen pour l’asile et les migrations
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le pacte européen pour l’asile et les migrations.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
La parole est à Mme Pascale Gruny, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)
Mme Pascale Gruny, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en présentant voilà un an son pacte sur les migrations et l’asile, la Commission proposait à l’Europe de prendre un « nouveau départ », à la faveur duquel elle pourrait enfin tourner la page : celle des carences profondes du système de gestion des frontières extérieures et de l’asile, révélées par la crise de 2015, et celle de la division, qui a empoisonné les relations entre États membres et conduit à l’enlisement du précédent paquet Asile.
Le groupe Les Républicains fait naturellement sienne cette ambition de s’attaquer aux principaux maux ayant plongé l’Europe dans un tragique état de fragilité face aux phénomènes migratoires.
Dans un contexte où les flux migratoires vont encore s’accroître en raison du changement climatique ou de l’explosion démographique de l’Afrique, l’enjeu est évidemment immense.
Il est tout d’abord intérieur, car il engage la crédibilité même du projet européen vis-à-vis de nos concitoyens, qui gardent encore en mémoire l’incapacité de l’Union à faire face efficacement à la crise des réfugiés.
Souvenons-nous qu’alors, ce sont les fondations mêmes de l’espace Schengen qui vacillèrent, menaçant d’emporter avec elles le principe de libre circulation et installant la question migratoire comme une question existentielle pour l’Union européenne.
Mais l’enjeu est également extérieur, certains de nos voisins n’hésitant plus à exploiter nos failles et à transformer les migrations en arme géopolitique. La Turquie fut la première à en user, tant pour s’assurer de la retenue des Européens face à sa politique expansionniste que pour en tirer de substantiels revenus – 6 milliards d’euros ont ainsi été versés depuis 2016 et 3,5 milliards d’euros devraient suivre prochainement.
Depuis, ce chantage migratoire a fait des émules : c’est désormais au Maroc et à la Biélorussie de s’essayer à la même méthode pour obtenir de l’Union ou des États membres une inflexion de leur politique étrangère.
Face à ces défis, la réponse européenne doit bien évidemment se déployer sur de multiples fronts, mais elle doit avant tout envoyer un message clair et affirmer ce principe cardinal : nul ne doit pouvoir entrer ou s’installer sur le sol européen sans y avoir été au préalable légalement autorisé.
La constitution d’un système européen robuste, en mesure de faire respecter ce principe, quelles que soient les circonstances, est donc la première des priorités. Les États membres qui sont, et qui doivent rester les seuls maîtres de leur politique migratoire et de leurs frontières en seront les principales chevilles ouvrières. Comme toujours en matière européenne, c’est de leur implication que dépendra la réussite, ou l’échec, de la politique menée.
À ce titre, le pacte prévoit un renforcement du cadre de gouvernance afin de mieux identifier les éventuelles lacunes. Si nécessaire soit-elle, cette approche sera-t-elle pour autant suffisante ? On peut en effet s’interroger, dans la mesure où, en l’absence de régime contraignant, le système proposé ne reposera que sur la pression des pairs et sur l’engagement de la Commission à recourir aux procédures d’infraction à l’encontre des États qui ne rempliraient pas leurs obligations légales.
Bien évidemment, l’Europe ne peut se contenter de surveiller ou de sanctionner les États membres. Elle doit avant tout être pour eux un levier leur permettant de retrouver des marges de manœuvre, tant au niveau des moyens mis à leur disposition que des procédures applicables en matière d’asile et de retour.
Des avancées ont d’ores et déjà été enregistrées en la matière. Je pense, en premier lieu, à la création prochaine de l’agence européenne pour l’asile, ainsi qu’à celle, fin 2016, du corps européen de garde-côtes et garde-frontières, dont la montée en puissance doit s’accélérer.
Je pense également à la création de nouveaux systèmes de contrôle aux frontières, à l’interconnexion des bases de données numériques ou encore au doublement, dans le cadre financier pluriannuel, des fonds dédiés à la gestion des migrations et des frontières.
En ce qui concerne les procédures, les propositions du pacte me semblent aller plutôt dans le bon sens. Ainsi, les nouvelles procédures de filtrage et d’asile à la frontière, couplées à l’élargissement de la base de données Eurodac et aux précédentes propositions de révision des directives Accueil, Qualification et Procédures, devraient permettre aux États membres d’agir plus efficacement.
En n’étant pas tenus d’autoriser l’entrée sur leur territoire et en recourant plus aisément au placement en rétention, ces derniers pourront opérer un contrôle plus strict des demandes d’asile et des mouvements secondaires.
Ils pourront également distinguer plus rapidement les personnes pouvant légitimement prétendre à la protection internationale de celles qui ont vocation à être reconduites dans leur pays d’origine.
Cette nouvelle orientation est d’autant plus essentielle que seules 39 % des demandes d’asile formulées dans l’Union européenne en 2018 avaient reçu une décision positive en première instance.
Toutefois, le nouveau règlement sur la gestion de l’asile et des migrations, proposé en remplacement du très décrié règlement de Dublin, appelle à davantage de circonspection.
La proposition a le mérite d’abandonner définitivement l’idée des quotas de migrants, qui a contribué à tendre à l’extrême les relations entre États membres et qui, de ce fait, était vouée à l’échec.
Pour autant, elle n’abandonne pas l’exigence de solidarité collective. Cependant, le nouveau mécanisme proposé a tout de l’usine à gaz – je pense notamment au laborieux système de « parrainage des retours » imaginé par la Commission pour permettre à la solidarité de s’exprimer. Cette grande complexité est sans doute le prix à payer pour tenter de concilier des points de vue diamétralement opposés, mais elle risque de nuire à l’efficacité et à la lisibilité de l’ensemble.
Enfin, soulignons que la crédibilité du dispositif reposera en grande partie sur l’amélioration de la politique de retour. À ce jour, les chiffres sont catastrophiques : seuls 29 % des personnes qui reçoivent chaque année l’ordre de quitter l’Union européenne regagnent effectivement leur pays, et cette part tombe à 19 % si l’on exclut du calcul les ressortissants des Balkans occidentaux.
Le signal envoyé non seulement à nos concitoyens, mais aussi aux migrants et aux passeurs, est délétère et mine tous les efforts entrepris par ailleurs. À cet égard, il est consternant que le poste de coordinateur de l’Union européenne pour les retours, annoncé lors de la présentation du pacte, n’ait toujours pas été pourvu à ce jour.
Le renforcement de nos procédures et de nos moyens internes, pour s’assurer de la rapidité et de la bonne exécution des décisions de justice, est donc fondamental. Cependant, une fermeté accrue dans le volet extérieur de cette politique de retour est tout aussi indispensable.
La révision du code des visas, adoptée en 2019, qui propose de durcir ou, au contraire, d’assouplir l’octroi de visas en fonction de l’effectivité des réadmissions, montre la voie à suivre. La logique mérite aujourd’hui d’être étendue à d’autres leviers, tels que les accords commerciaux et les politiques d’aide au développement, pour s’assurer une bonne coopération des pays tiers en matière de prévention des migrations ou de réadmission des migrants irréguliers.
Madame le ministre, mes chers collègues, après cinq ans de négociations infructueuses et de psychodrames, l’Europe ne peut plus se permettre, sur un sujet aussi primordial pour nos concitoyens, le luxe de la désunion, de l’attentisme et de l’inefficacité.
Lors de la précédente présidence française du Conseil, en 2008, Nicolas Sarkozy avait réussi, malgré les obstacles, à convaincre ses partenaires d’adopter un texte déjà intitulé « pacte sur l’immigration et l’asile ». Ce pacte a aujourd’hui besoin d’être réformé pour faire face à l’amplification du problème migratoire. Souhaitons que la prochaine présidence française de l’Union se montre à la hauteur de l’enjeu. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier le groupe Les Républicains d’avoir souhaité provoquer ce débat devant la Haute Assemblée. Il est pour nous l’occasion d’échanger et de revenir sur la détermination du Gouvernement à agir pour renforcer l’espace de liberté et de sécurité que doit constituer l’Union européenne.
Chacun le constate, la réponse à apporter aux flux migratoires récents, actuels et à venir, est une préoccupation majeure de nos concitoyens. Notre politique européenne commune en matière d’asile et d’immigration doit être revue en profondeur pour mieux répondre aux flux migratoires vers l’Europe et aux situations de crise comme celles que nous avons connues en 2015 et 2016.
Comment faire ? La France appelle depuis longtemps de ses vœux une réforme ambitieuse pour deux raisons principales.
D’une part, parce que notre espace de libre circulation – une des conquêtes les plus précieuses de la construction européenne – appelle des règles communes : on ne peut avoir une frontière extérieure commune, un espace sans frontières intérieures et se satisfaire de la disparité actuelle des pratiques des États membres.
D’autre part, parce que notre environnement est de plus en plus difficile. Les migrations internationales apparaissent comme un phénomène incontournable qui doit être régulé. Nous devons aussi avoir à l’esprit que les flux migratoires alimentent des filières criminelles très prospères qui se nourrissent de la misère humaine.
Enfin, ces flux sont désormais souvent utilisés contre nous par certains États, avec beaucoup de cynisme – nous l’avons vu l’été dernier avec la Biélorussie. Ne croyons pas, cependant, que l’Europe soit restée passive depuis 2015 : je pense, en particulier, au règlement Frontex de 2019, qui nous a permis de doter l’agence de moyens considérables. Nous en déjà débattu ici même.
C’est d’ailleurs pour faire face à ces défis que la Commission européenne a proposé, le 23 septembre 2020, un pacte européen sur les migrations et l’asile. Le Gouvernement est convaincu que cette proposition ambitieuse contient les outils qui vont nous permettre de mettre en place une politique migratoire européenne ambitieuse et cohérente.
Par rapport au paquet Asile de 2016, dont la négociation avait fini par s’enliser, je relève une différence majeure : le pacte embrasse l’ensemble du champ migratoire. Autrement dit, il ne s’agit pas seulement de réformer le régime européen de l’asile, mais de couvrir l’ensemble des instruments dont nous disposons ou d’en développer de nouveaux.
Le pacte contient d’abord une refonte du régime européen de l’asile. Je distingue ici trois sujets.
Premièrement, nous ne pouvons laisser les États membres dits « de première entrée » subir seuls les conséquences de la géographie : ils gardent notre frontière extérieure pour le compte de tous les autres. Cette réalité implique une politique de solidarité que la France soutient. Nous en avons montré l’exemple avec des pays comme la Grèce ou l’Italie.
Deuxièmement, la disparité actuelle des pratiques n’est pas viable, qu’il s’agisse des conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile, des délais d’instruction des demandes ou même des taux de protection par nationalité. Il nous faut harmoniser tout cela.
Troisièmement, les États membres, et notamment ceux qui, comme la France, sont les principaux destinataires des flux secondaires, doivent avoir la garantie que les migrants arrivant en Europe sont dûment enregistrés dans les systèmes d’information européens et qu’ils peuvent être éloignés rapidement lorsqu’ils sont manifestement inéligibles à l’asile. À défaut, ils alimentent pendant des années des flux secondaires à travers l’Europe.
Ce dernier point renvoie au deuxième aspect majeur du pacte, à savoir la protection de la frontière extérieure. Pour répondre au terrorisme islamiste, qui a frappé notre pays en 2015, nous avons procédé au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, comme le permet le code Schengen. Or, pour conserver l’esprit de Schengen, le Gouvernement juge essentiel le règlement dit « filtrage », qui fait partie du pacte et qui instaurera à la frontière extérieure des obligations de contrôle beaucoup plus strictes.
Le contrôle rigoureux de la frontière extérieure nous semble en effet être l’une des conditions de la solidarité à l’égard des États « de première entrée ».
Enfin, le pacte traite la dimension extérieure des migrations, composante essentielle d’une politique migratoire efficace. Là encore, nous avons bien progressé. Je rappelle, par exemple, que l’Union européenne, notamment sous l’impulsion de la France, a adopté en 2019 un règlement instituant, à l’échelon européen, un mécanisme dit «visa-réadmission» : il s’agit de restreindre l’accès aux visas dans les pays qui ne coopèrent pas suffisamment avec nous en matière de réadmission. Vous le savez, c’est un sujet d’actualité.
D’une manière générale, la France estime que l’Union européenne doit mener un dialogue plus exigeant et mutuellement bénéfique avec les pays d’origine et de transit. Le Conseil européen a adopté en juin dernier des orientations ambitieuses en ce domaine. Dans ce dialogue, nous croyons que toutes les questions doivent être abordées : la coopération en matière de réadmission, mais aussi la gestion concertée des flux migratoires, le soutien opérationnel et financier à ces pays, la lutte contre les trafics d’êtres humains et les réseaux de passeurs ou encore le développement économique.
Nous sommes à quelques semaines seulement de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Les objectifs du Gouvernement sont de construire une Europe plus solidaire et plus souveraine. Le pacte sur les migrations et l’asile, dans un domaine important pour les Européens, y contribue.
La France assurera avec détermination, pendant les six mois de sa présidence, la conduite des négociations européennes. Le pacte peut être une étape dans la construction d’un espace de libre circulation plus sûr et dans la mise en place de partenariats féconds avec les pays d’origine et de transit des migrations. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique, en application du nouveau règlement sur les temps de parole. Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat que vous nous proposez est truqué.
À quelques mois de l’élection présidentielle, la droite veut nous refaire le coup de Sarkozy en 2007 : montrer les muscles et parler fort contre l’immigration. Mais on connaît le truc : vous nous aviez promis le Kärcher et on a eu Kouchner ! (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
D’ailleurs, vu le nombre de sénateurs Les Républicains présents dans l’hémicycle aujourd’hui, il semble que la droite elle-même n’y croit plus !
Je vais tout de même vous rappeler l’origine de ce fameux pacte : réguler les 5 millions de clandestins – soit l’équivalent de la population du Danemark – entrés en Europe lors de la crise de 2014, déclenchée par votre grande amie Angela Merkel lorsqu’elle a laissé entrer de soi-disant réfugiés syriens, qui se sont révélés, pour certains, de vrais terroristes, le 13 novembre 2015, ou de vrais violeurs, le 31 décembre suivant, à Cologne.
Je ne suis pas opposé à un pacte en soi, mais celui que j’appelle de mes vœux pourrait s’intituler « pacte européen de l’inversion des flux migratoires ». Il consisterait à vider les prisons, les banlieues, les mosquées de tous les étrangers qui détestent la France, de tous ceux qui agressent, tuent, violent ou font pire encore, à retirer la nationalité aux binationaux qui commettent un crime, à rétablir la double peine. Croyez-moi, tous nos problèmes financiers liés à l’insécurité seront alors en grande partie résolus. On aura bien un petit pic d’émissions de CO2 à cause des charters, mais, pour chaque personne expulsée, je m’engage à ce que nous replantions un arbre dans les banlieues, redevenues françaises.
Nous avons déjà un haut-commissariat à la relance ; dans quelques mois, j’espère que nous aurons un haut-commissariat à la « remigration ». Il ne faut pas les répartir ; ils doivent repartir !
Madame la ministre, ne pensez-vous pas que le temps soit venu de tirer les enseignements de quarante ans de folle politique d’immigration. Loin d’être une richesse pour notre pays, l’immigration est en train de le ruiner ; loin d’être une chance, elle est un véritable fléau pour les Français.
Le seul pacte que nous devons appliquer de toute urgence est celui du grand rapatriement des étrangers vers leur pays d’origine.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Ravier, je suis quelque peu embêtée pour répondre : votre interpellation s’adressait manifestement au groupe Les Républicains, puis à Angela Merkel. Or, à ce stade, je ne suis porte-parole ni du groupe Les Républicains ni d’Angela Merkel. (Sourires sur les travées du groupe RDPI.)
M. Roger Karoutchi. On répondra !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Au-delà de cette petite boutade, monsieur le sénateur, chacun aura pu constater l’outrance de vos propos. Le Gouvernement ne souhaite pas renvoyer l’ensemble des étrangers ou des immigrés, ni leurs descendants. Bien au contraire, nous ne regardons pas les gens à raison de leur origine, mais pour ce qu’ils font.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. À cet égard, je veux saluer ici l’engagement des 12 012 personnes de nationalité étrangère que nous avons naturalisées, parce qu’elles ont travaillé en première ligne durant la crise du covid. Ces personnes – nourrices, agents de sécurité, médecins, cardiologues, anesthésistes, aides à domicile… – se sont mobilisées et ont tenu le pays pendant qu’une grande partie de nos concitoyens étaient confinés chez eux. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
Ces personnes se sont engagées dans des démarches pour adhérer aux valeurs de la République. Nous avons accéléré leur procédure de naturalisation : c’est l’honneur de la France et je ne voudrais pour rien au monde renvoyer ces personnes chez elles.
Nous voulons exécuter les obligations de quitter le territoire français (OQTF) lorsqu’elles sont décidées, renvoyer les personnes radicalisées et les personnes condamnées pour des faits de violences sexistes et sexuelles, entre autres infractions, mais nous sommes attachés à la richesse de la France, qui s’est également construite par l’immigration. (Applaudissements sur les travées du RDPI. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, face aux enjeux de droit d’asile et d’immigration, il y a trois enseignements nouveaux depuis 2015.
D’abord, les évolutions des politiques européennes dans l’espace Schengen ont progressivement permis de faire face à la situation que nous avons vécue en 2015. Ensuite, les solutions passent par l’instauration d’une solidarité forte entre les États membres de l’Union européenne. Enfin, les gesticulations nationales conduisent à des transferts de problèmes d’un voisin à un autre, aggravent la situation humanitaire, et portent atteinte à la libre circulation dans l’espace Schengen : elles ne sont donc pas la solution.
Pourtant, madame la ministre, un ancien responsable européen, Michel Barnier, a évoqué un « bouclier constitutionnel » pour éviter finalement de respecter le droit européen sur ce sujet. D’autres gouvernements, actuellement, se livrent à des actions en violation flagrante du droit européen et des droits humains. Je pense en particulier à la Pologne, qui fait face à une attaque hybride d’un État passeur, mais qui n’en doit pas moins respecter le droit européen.
Cette évolution est très préoccupante, madame la ministre. Ma question est simple : à quoi cela sert-il de négocier un nouveau pacte européen qui s’appuie sur des convergences fortes entre les États membres si, à l’avance, un nombre important d’États annoncent qu’ils ne le respecteront pas, et qu’il n’y a pas de clause claire obligeant chaque État à respecter les obligations qu’il prendra ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Jean-Yves Leconte, je vais répondre à votre question, dont je comprends évidemment le sens. Le pacte proposé en 2020 prend précisément acte du fait que les règles existantes n’ont pas été efficaces. Je vous rejoins donc sur le constat que vous posez.
Ce pacte propose justement de repartir sur de nouvelles bases par rapport au paquet Asile de 2016. Nous partageons avec nos voisins européens un espace de libre circulation. Cela implique de se doter de règles communes : les deux nous semblent étroitement liés. Cela implique aussi de définir des solutions ensemble, car nous appelons de nos vœux la construction d’une Europe qui puisse protéger avec des règles communes.
Nous ne pouvons pas nous satisfaire, dans notre espace de circulation, de la disparité actuelle des pratiques en matière d’asile, de contrôle de la frontière extérieure ou encore d’éloignement des étrangers en situation irrégulière.
Le pacte permet d’aborder la question des règles à poser pour l’ensemble du champ migratoire. C’est la grande différence par rapport au paquet Asile de 2016, qui avait fini par s’enliser, comme chacun s’en souvient.
Pour nous, il ne s’agit donc pas simplement de réformer le régime européen de l’asile. Il s’agit de couvrir l’ensemble des instruments, dans tous les États européens, y compris celui du contrôle de la frontière extérieure. Nous continuerons à faire valoir les intérêts de la France et cette position dans cette négociation.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, pensez-vous que, par exemple, les gesticulations auxquelles nous nous livrons à la frontière franco-espagnole pour repousser le problème en Espagne sont vraiment des actes qui nous permettent d’être crédibles quand on aborde cette négociation ?
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Madame la ministre, la question migratoire fait aujourd’hui partie du quotidien de l’Union européenne. Plusieurs de ses États membres, dont la France, se situent en première ligne de ces flux, et payent le tribut d’une politique de migration et d’asile européenne largement insuffisante au regard des enjeux qui restent devant nous.
Afin de poursuivre et même d’accélérer les efforts mis en œuvre depuis 2016, la Commission européenne a présenté voilà un an son pacte européen pour l’asile et les migrations, qui vise à proposer un système global de gestion des flux migratoires aux frontières de l’Union européenne, articulé autour de trois axes : le renforcement des frontières extérieures ; un partage plus équitable des responsabilités et de la solidarité ; le renforcement de la coopération avec les pays tiers. Ce pacte s’est révélé relativement ambitieux.
Toutefois, son adoption est aujourd’hui au point mort. Les négociations n’ont pas été engagées et chacun semble préférer se renvoyer la balle, quitte à rester au statu quo faute d’accord. Le Parlement européen lui-même a accueilli froidement ce texte, notamment en raison du maintien du principe de responsabilité de l’État membre de première entrée, qui a montré toutes ses limites lors des vagues migratoires successives, laissant les pays concernés livrés à leur sort.
Dans moins de trois mois, la France sera amenée à jouer un rôle moteur au sein de l’Union européenne, en assurant la présidence du Conseil de l’Union européenne. Dans ce cadre, madame la ministre, sera-t-elle en mesure de débloquer les négociations pour l’adoption du pacte européen pour l’asile et les migrations ? De quelle solution alternative disposons-nous si le blocage venait à perdurer ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Patricia Schillinger, le pacte migratoire se compose de plusieurs instruments législatifs, dont la négociation a déjà atteint un certain degré de maturité lors du premier cycle des trois premières années de négociation : sur les items du règlement Réinstallation et Eurodac, et sur les directives Accueil et Qualification.
Toutefois, vous avez parfaitement raison de souligner que des points de blocage substantiels demeurent encore dans ces échanges. Ainsi, les États membres de première entrée, notamment Chypre, l’Espagne, la Grèce, l’Italie et Malte, demandent de la part de leurs partenaires davantage de garanties en matière de solidarité. Ils se montrent particulièrement réticents à mettre en place des procédures frontalières obligatoires sur leur sol.
À l’inverse, des États comme la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie, la Tchéquie, marquent leurs réserves sur le volet solidarité du pacte. Ils plaident pour une plus grande flexibilité, pour ne pas être contraints de procéder eux-mêmes à des relocalisations.
Les États membres de destination que sont l’Allemagne, la Belgique, la Finlande, l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Irlande et la Suède ont des positions nuancées et constructives dans la négociation.
Comme eux, je le crois, les autorités françaises sont attachées aux quatre volets principaux du pacte que sont la solidarité, la responsabilité, les procédures frontalières et la dimension externe. Il a été adopté une position qui me semble équilibrée pour parvenir à dépasser les défaillances actuelles du régime d’asile européen commun (RAEC) en vue d’une adoption plus rapide du pacte.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la ministre, je salue le choix de nos collègues d’avoir mis ce débat à l’ordre du jour. Nous traversons, et nous allons traverser des tensions démographiques, géopolitiques, climatiques, qui entraîneront des mouvements de population plus importants que ce que nous connaissons actuellement. Face à ces phénomènes, l’Union européenne doit être un espace de protection, de liberté et de stabilité.
Nous devons avancer, évidemment, sur les mécanismes de coordination entre États lors des crises migratoires, mais je vous le dis comme je le pense : je ne crois pas à une solidarité et à une juste répartition des efforts inscrites dans un pacte. Ces principes voleront en éclats à la première crise, tant ces sujets relèvent de la souveraineté nationale, des gouvernements en place et de la situation politique du pays concerné. Il n’est que de voir ce qui s’est passé lors de la crise syrienne.
Cependant, nous devons travailler à un cadre commun d’harmonisation du droit d’asile à l’échelle européenne. En ce qui concerne les frontières nationales, avec Schengen, nos frontières ne sont plus avec l’Allemagne et la Belgique, mais aux portes de l’Estonie, de la Grèce, ou à la pointe de l’Italie.
Pour porter une vraie politique d’immigration, il faut s’en donner les moyens. Pour être plus précis, pourriez-vous, madame la ministre, revenir sur les avancées concrètes que nous avons actées avec nos voisins européens pour le renforcement de l’agence Frontex aux frontières de l’Union européenne ? Comme l’ont dit beaucoup de nos collègues, nous comptons beaucoup sur la présidence française sur un sujet si important. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Le renforcement de Frontex est largement entamé. Nous en avions d’ailleurs débattu ici.
Depuis sa création en 2004, l’agence a vu ses moyens et ses compétences se renforcer considérablement, notamment avec le règlement européen du 14 septembre 2016, puis avec l’adoption du dernier règlement en date, le 13 novembre 2019. Ce dernier texte, relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, a pour objectif de maintenir la sécurité des frontières extérieures de l’Union européenne, mais aussi de permettre à Frontex de passer d’un rôle réactif à un rôle proactif, en prévoyant, par exemple, des déploiements à long terme, plutôt que de toujours réagir à des situations d’urgence. Il s’agit de renforcer la résilience des autorités nationales.
Dans le sens de votre question, monsieur le sénateur, sachez qu’une nouvelle structure organisationnelle de l’agence a été adoptée le 9 décembre 2020. Trois postes de directeur exécutif adjoint sont créés. Ceux-ci se partagent la supervision avec les directeurs exécutifs des neuf divisions de l’agence. Cette réorganisation s’accompagne d’une augmentation considérable des moyens humains. Le point central est la création d’un corps de garde-frontières et de garde-côtes européens de 10 000 agents, répartis en quatre catégories. Frontex comptera 6 500 personnes en 2022, et, à plus long terme, 8 000 en 2024, 9 000 en 2026 et 10 000 – c’est l’objectif – en 2027.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. C’est une évidence, madame la ministre, la réponse aux mouvements migratoires est un enjeu majeur pour l’Union européenne. Les États membres de l’Union font en effet face à une crise migratoire larvée, dont le paroxysme a été atteint entre 2015 et 2016, avec, notamment, la crise syrienne et ses conséquences sur les arrivées incontrôlées sur le continent. Cette crise a agi comme un révélateur de nos impuissances. Une approche globale est donc indispensable pour surmonter nos divisions internes et être en mesure de proposer une réponse commune aux personnes qui affluent vers nos frontières extérieures.
Ce défi est d’autant plus stratégique que l’Europe est encore l’une des premières destinations des flux migratoires dans le monde. Le 23 septembre dernier, la Commission a proposé une version revisitée et révisée de son pacte européen pour l’asile et les migrations. Cette version vise à surmonter les blocages ayant fait échouer les conclusions du paquet Asile présenté en 2016.
Certes, ce pacte européen assume une approche globale, opportune et bienvenue. Il est en effet nécessaire d’apporter de la cohérence aux efforts déployés pour le contrôle aux frontières, la migration et l’asile, ainsi que de rétablir une confiance mutuelle, qui a tant fait défaut ces dernières années au sein de l’Union européenne.
Je note donc un changement de ton et de perspectives. Il était temps, car l’irénisme et le déni de réalité qui ont accompagné le laisser-aller et le laisser-faire ayant dominé à Bruxelles sur ces questions ont fait beaucoup de mal. Les objectifs affichés du nouveau pacte, tels que la nécessité de renforcer les partenariats et la coopération des pays tiers, se veulent rassurants, mais ce n’est pas la première fois que l’objectif de renforcer les frontières extérieures est affiché.
Ce nouveau paquet introduit par ailleurs un nouveau critère de la définition de l’État membre responsable d’une demande d’asile. Le principe de pays « de première entrée » n’est pas abrogé, mais il vient désormais en dernière position. La modification des critères de définition de l’État responsable d’une demande d’asile revient, de facto, à faire du regroupement familial le critère numéro un, ce qui ne laisse pas de nous inquiéter.
Quels mécanismes allez-vous proposer afin de veiller à ce que la France ne se trouve pas confrontée à un nombre disproportionné de demandes d’asile au regard du nombre total de demandes déposées dans l’Union européenne ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, je veux d’abord souligner la nécessité de rechercher un équilibre entre les États membres. Ce principe guide les discussions qui ont eu lieu jusqu’à présent et guidera notamment l’engagement de la présidence française de l’Union européenne.
C’est exactement pour faire face aux défis que vous avez mentionnés que la Commission européenne a proposé ce pacte européen sur les migrations et l’asile. Pour répondre plus particulièrement à votre question, le Gouvernement est convaincu que ce sont justement les outils contenus dans ce pacte européen qui vont nous permettre de reprendre la main sur notre politique migratoire, laquelle doit être à la fois européenne, ambitieuse et, surtout, efficace.
C’est grâce à nos règles de responsabilité, qui seront contenues dans ce pacte, auquel, je l’espère, les États adhéreront, que la France devrait recevoir moins de demandes d’asile, mécaniquement. Surtout, elle devrait recevoir des demandes mieux ciblées, de personnes francophones, de personnes ayant, par exemple, vécu en France, ou ayant des liens forts et profonds avec notre pays.
J’y insiste, le pacte embrasse vraiment l’ensemble du champ migratoire. Pour nous, il s’agit non pas simplement de réformer le droit d’asile, mais de couvrir vraiment tous les instruments, qui se répondront entre eux, en Ping-Pong, tout aussi mécaniquement.
Enfin, monsieur le sénateur, je suis sensible à deux mots que vous avez employés, et qui guident les actions de la France : la cohérence et la confiance. C’est la recherche de cohérence européenne qui guide la position de la France et qui doit présider à nos discussions avec les autres États. Et c’est la confiance mutuelle que nous recherchons avec les autres États, quel que soit leur rôle, comme je le rappelais dans la réponse précédente.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Le pacte européen pour l’asile et les migrations ne présente pas à ce jour de contours bien novateurs, et semble une reprise à peine ripolinée de l’approche par les hot spots développée en 2016 par la Commission européenne. Celle-ci prévoyait aussi un programme de relocalisations, mais il n’a jamais été respecté, alors qu’il était modeste. La France, qui s’était engagée à accueillir près de 10 000 personnes, n’en avait accueilli que 600 fin mai 2021, rejoignant ainsi la queue de peloton, à côté de l’Autriche et de la Pologne. Et nous ne voyons guère ce qui changera avec ce nouveau pacte, sinon la menace de faire porter une partie des coûts de la politique de non-accueil sur les pays européens récalcitrants au devoir d’asile et de solidarité.
Ce pacte, en vérité, n’est pas cadré pour l’accueil, car, pour assumer cette exigence, nul besoin de nouveau pacte. La France pourrait, par exemple, activer la directive de 2001 sur la protection temporaire, qui permet déjà aux pays européens, en cas de situation d’urgence humanitaire ou d’afflux massif de réfugiés, de mettre en place un système de solidarité, d’accueil et de relocalisation des personnes.
Madame la ministre, pourquoi la France n’a-t-elle jamais proposé l’activation de cette directive auprès de l’Europe, ni en février 2020, lorsque la Turquie, par chantage, expulsait des migrants syriens vers la Grèce, ni récemment, à Kaboul, lorsque des milliers d’Afghans étaient livrés aux talibans ? Plutôt que de refaire un pacte, qu’attendent l’Europe et la France pour activer les textes existants ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Poncet Monge, je vous remercie de votre question. La directive de 2001 instaure un dispositif pour faire face à un afflux massif, dans l’Union européenne, de ressortissants étrangers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine, notamment pour les raisons que vous avez évoquées : guerre, violences, violation des droits humains. Elle met en place une protection immédiate et temporaire pour ces personnes déplacées. Les bénéficiaires de la protection temporaire ont la possibilité de déposer une demande d’asile, et le pays de l’Union européenne qui a accueilli la personne est responsable de l’examen de la demande dans le temps.
S’agissant particulièrement de la situation afghane, à ce stade, l’activation de cette protection temporaire immédiate n’est pas apparue nécessaire, parce que la France a évacué et accueilli plus de 2 600 personnes venant d’Afghanistan à la suite de la prise de pouvoir par les talibans.
Grâce à une mobilisation exceptionnelle des services de l’État, des ONG, des associations, dès la fin du mois d’août, nous sommes parvenus ensemble à offrir en urgence à ces personnes un accueil digne. Cette mobilisation se poursuit aujourd’hui pour permettre un enregistrement rapide de leur demande d’asile dès la fin de la quarantaine qu’ils doivent subir à leur arrivée pour raisons sanitaires.
Je veux saluer le travail de la délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés (Diair), qui assure cette coordination. Nous avons fixé à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) un objectif, qui est d’instruire en deux mois les demandes d’asile des personnes venant d’Afghanistan, afin que celles-ci puissent entrer le plus rapidement possible dans les dispositifs d’intégration de droit commun.
À ce stade, donc, le régime de la protection temporaire n’a pas besoin d’être activé s’agissant des personnes venant d’Afghanistan. Nous réévaluerons sa nécessité en fonction de l’évolution de la situation sur place et des flux d’arrivées de personnes qu’elle engendre.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la réplique.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la ministre, mes chers collègues, je souhaiterais souligner que le pacte parle non seulement d’immigration, mais aussi d’asile. Ce qu’il nous faut également, c’est une politique d’accueil humaniste, respectant notre signature internationale en ce qui concerne le droit d’asile. (Mme Cathy Apourceau-Poly et M. Jean-Yves Leconte applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la ministre, après les déboires des négociations précédentes, nous revoilà à discuter de la nouvelle mouture des ambitions de la Commission pour la politique d’asile et d’immigration commune. Le rapport d’information de nos collègues de la commission des affaires européennes, publié le 29 septembre, ne nous laisse guère d’espoir sur l’issue des négociations engagées.
La France prendra la présidence de l’Union européenne le 1er janvier avec, il faut le dire, une crédibilité internationale pour le moins entamée. Les quelques points de convergence existant aujourd’hui sont bien minces, car l’égoïsme des uns crée la défiance des autres. Les mêmes logiques portées vers le rejet sont à l’œuvre, sans avenir, sans vision : filtrage, éviction, retour, expulsion…
Nous poursuivons tristement notre sous-traitance honteuse en confiant aux pays tiers, dont la Turquie, la gestion des personnes migrantes. Comment les États ont-ils fait front pour accueillir les Afghans ? En se livrant à des comptes d’apothicaires, en mobilisant des garde-frontières et en déléguant notre dignité aux pays voisins.
Allons-nous laisser adopter des dispositions éparses et parmi les plus répressives d’un pacte qui ne répond en rien aux exigences humanitaires actuelles ? Pis, il propose un nouveau règlement relatif aux situations de crise et de force majeure, et prévoit des dérogations aux règles qui s’appliquent en matière d’asile, en suspendant, par exemple, l’enregistrement des demandes d’asile pour une durée d’un mois maximum.
Cette mesure entérine des pratiques contraires au droit international et européen, auxquelles a recouru notamment la Grèce, début mars 2020, pour refouler les migrants venus de Turquie. Alors que ce nouveau pacte veut tirer les leçons du passé, il choisit, à l’approche de catastrophes humanitaires à venir, un mécanisme pour que l’Union se dérobe à ses responsabilités. Les crises que nous allons vivre ne peuvent s’accommoder de cette démission. Les réfugiés climatiques seront 250 millions en 2050, d’après l’ONU, sans parler des crises politiques qui rebattront régulièrement les cartes des équilibres régionaux et précipiteront dans l’exil nombre de familles.
Madame la ministre, quelle sera la position de la France sur ce sujet ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. Pour répondre à sa première partie, je rappelle que le pacte ne vise pas à déroger au droit, bien au contraire, puisqu’il vient justement renforcer les règles communes au niveau européen. L’objectif est de nous donner des règles communes et cohérentes, dans lesquelles chaque pays puisse pleinement se reconnaître. C’est la raison pour laquelle les discussions, qui ont commencé depuis si longtemps, se poursuivent entre les différents pays, quels que soient les objectifs propres de chacun. Il est vrai, toutefois, qu’une partie de nos difficultés actuelles sont liées à de trop fortes divergences entre les États membres. C’est pourquoi nous sommes en train de travailler, comme d’autres États membres, pour trouver un juste équilibre entre les responsabilités et la solidarité, entre les droits et les obligations. Il ne s’agit absolument pas de se dérober à ces exigences.
En ce qui concerne l’Afghanistan, un travail commun a été mené par un certain nombre de pays européens. Ici, la Diair, dans le cadre du travail d’intégration qu’elle mène, a demandé aux personnes que nous avons pu faire sortir de Kaboul et d’Afghanistan pour les faire venir sur notre sol, si elles souhaitaient rester en France ou se diriger vers d’autres pays européens.
Il y a toujours un travail partenarial entre la France et l’Allemagne pour les familles qui souhaitent rejoindre ce pays, qui est le plus souvent demandé, mais une majorité de réfugiés afghans souhaitent rester en France et s’engager dans une démarche de demande d’asile. C’est souvent parce qu’ils ont des liens avec la France, soit qu’ils aient travaillé pour l’armée française ou pour les services de la France en Afghanistan, soit qu’ils soient francophiles, qu’ils parlent français, ou qu’ils aient eux-mêmes des liens amicaux ou familiaux avec la France. Telles peuvent être les raisons qui leur donnent envie de rester ici et de se lancer dans une démarche d’intégration sur le sol français.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la ministre, les chances d’adoption du pacte européen pour l’asile et les migrations pendant le premier semestre 2022 sont quasi nulles. Ne serait-il pas plus raisonnable, plus efficace, de rechercher un accord dans le cadre d’une coopération dite renforcée ?
Le Danemark a adopté une législation très différente en matière de droit d’asile, en procédant à ce que les Danois appellent une externalisation. Quelle est l’opinion du Gouvernement français à cet égard ? Dans le cadre de la présidence française de l’UE, peut-on envisager une procédure d’infraction à l’égard de ce pays ou considérez-vous que les règles de la souveraineté danoise doivent s’appliquer ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Philippe Bonnecarrère, pour répondre à votre question, il est nécessaire de la recontextualiser. Le 3 juin dernier, en effet, le Parlement danois a adopté un projet de loi qui vise à externaliser sa politique d’asile dans des États tiers, avec quelques exceptions dans ce dispositif, notamment pour les personnes gravement malades, les demandeurs dont la famille réside légalement au Danemark et les mineurs non accompagnés dont les parents seraient établis en Europe.
À ce stade, très sincèrement, il reste difficile de procéder à une analyse juridique définitive de la loi danoise, puisqu’elle se limite à prévoir la possibilité de transférer les demandeurs d’asile dans un État tiers, et que la loi danoise ne précise pas les modalités de cette mise en œuvre. Au regard du droit européen, le Danemark est membre de l’espace Schengen, mais il ne participe pas, en raison de son option de retrait de toutes les mesures de justice et d’affaires intérieures, au régime d’asile européen commun. Il applique uniquement les règlements dits Dublin III et Eurodac, et conserve donc, en droit, a priori, la possibilité d’établir son propre accord de réadmission avec des pays tiers.
Toutefois, je précise que la loi danoise ne pourrait respecter les engagements européens et internationaux du Danemark qu’à condition que les accords conclus avec les pays tiers concernés comportent des garanties solides, notamment sur le plan du respect des droits fondamentaux des personnes.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour la réplique.
M. Philippe Bonnecarrère. Merci, madame la ministre, de ces précisions. Pour tenter d’apporter des solutions sur ces sujets, autorisez-moi à souligner l’intérêt de la coopération dite renforcée, dans la mesure où un accord unanime paraît difficilement envisageable. Je souligne aussi toute l’importance des accords bilatéraux pour mettre en place des équivalences, qui n’existent toujours pas, entre les décisions en matière de droit d’asile de nos juridictions et celles d’autres États, notamment l’Allemagne, ce qui entraîne des mécanismes dits de rebond. Cela fait partie des solutions qui permettraient d’améliorer la situation, sachant que, très probablement, l’atténuation des effets de la pandémie et le retour des déplacements conduiront notre pays à connaître une situation tendue sur ces sujets dans les mois à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la ministre, depuis 2015, la question migratoire est un défi récurrent pour l’Union européenne, un défi qui appelle un approfondissement de sa politique commune en la matière, notamment au regard des crises géopolitiques qui ouvrent régulièrement de nouvelles voies de migration, ou encore de l’instrumentalisation sans complexe des migrants par certains pays, comme récemment la Biélorussie. Aussi mon groupe est-il ouvert aux propositions du pacte européen pour l’asile et les migrations, tout en étant inquiet des positions de certains États membres, qui risquent de retarder l’adoption des outils dont l’Europe a pourtant besoin très rapidement.
En attendant, je souhaiterais évoquer moi aussi les moyens d’un instrument existant, Frontex, dont le travail est à la fois reconnu et critiqué. Je pense notamment aux observations de la Cour des comptes, ainsi qu’aux accusations de violation des droits de l’homme visant l’agence. Son règlement fondateur a été modifié à quatre reprises, en 2007, 2011, 2016 et 2019. Il pourrait l’être une nouvelle fois par le futur pacte. Au fil de la pression migratoire, les missions de Frontex ont été ainsi enrichies. Les agents sont aujourd’hui compétents pour enregistrer et identifier les migrants, ainsi que pour coordonner les opérations de retour.
Dans ces conditions, madame la ministre, les moyens de Frontex sont-ils suffisants en capacité opérationnelle ? Les personnels sont-ils formés pour leurs nouvelles missions ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Cabanel, comme je l’ai fait précédemment, je veux rappeler que le renforcement de Frontex est en cours, notamment avec l’adoption du dernier règlement, en date du 13 novembre 2019, qui permet à Frontex de passer d’un rôle réactif à un rôle proactif, et qui s’accompagne d’une véritable augmentation de ses moyens humains. Nous en avions d’ailleurs débattu ici même, me semble-t-il, voilà quelques semaines ou quelques mois.
Le point central est la création d’un corps de garde-frontières et de garde-côtes européen, avec ses 10 000 effectifs répartis en quatre catégories à l’horizon 2027. Bien sûr, cette montée en puissance doit s’accompagner de la formation adéquate des personnels. Je veux vous rassurer, monsieur le sénateur, la France veille et va veiller à ce que ce soit bien le cas, et des évaluations seront conduites année après année.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Madame la ministre, après la crise migratoire de 2015, qui a vu plusieurs millions de réfugiés frapper aux portes de l’Europe, leur nombre a sensiblement diminué, pour revenir à des niveaux comparables à ceux d’avant la crise. C’est une réalité bien différente de celle qui ressort des propos outranciers à visée électorale tenus par certains. Nous sommes bien loin d’une supposée immigration massive. Il n’en reste pas moins que, pour les principaux intéressés, ceux qui fuient la guerre et les persécutions, obtenir l’asile est un véritable chemin de croix.
Face à la crise migratoire, les États membres n’ont pas su, ou n’ont pas voulu faire preuve de solidarité. Les dispositions législatives et réglementaires européennes ont montré leurs limites et la Commission, pour dépasser les difficultés, a lancé l’élaboration d’un nouveau pacte. Aujourd’hui, la situation est bloquée, et ce sont des logiques nationales qui s’affrontent et se substituent à l’approche européenne commune.
Trois groupes se distinguent : les pays du Groupe de Visegrád, qui s’opposent aux règles de solidarité ; les pays « de première entrée », qui considèrent à juste titre que le nouveau pacte n’allégerait pas la pression qu’ils subissent ; et un groupe intermédiaire de pays, dont la France, qui cherchent un compromis.
Madame la ministre, le pacte européen pour l’asile et les migrations est dans l’impasse. Par ailleurs, il contient un certain nombre de sujets qui ne peuvent pas être acceptés, comme le screening, ou filtrage, qui créerait des zones de transit où les personnes migrantes n’auraient accès à aucun droit de l’Union européenne tant qu’elles ne seraient pas admises à déposer une demande d’asile ou contraintes par une obligation de reconduite à la frontière. Ce filtrage devrait se faire en cinq jours, mais on voit bien qu’il se traduira par de nouveaux centres de rétention, d’où les réfugiés ne pourront sortir et dans lesquels ils ne pourront pas recevoir.
Ce pacte fait l’impasse sur la solidarité, aucune obligation ne reposant sur les États membres pour relocaliser les personnes d’un pays vers un autre, mais instaure des parrainages au retour, exonérant les États de leurs obligations.
Madame la ministre, considérez-vous que le pacte européen pour l’asile et les migrations pourrait être adopté, abandonné ou scindé par thèmes pour pouvoir faire avancer les sujets plus consensuels, comme la création de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile ? Ne pensez-vous pas qu’il serait préférable de changer d’orientation et de privilégier une coopération renforcée avec les États membres volontaires et solidaires, en utilisant par ailleurs le bâton de la conditionnalité des aides pour ceux qui ne jouent pas collectif ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Marie, les discussions se poursuivent sous la présidence slovène pour tâcher de faire avancer le pacte européen pour l’asile et les migrations. Nous sommes en train de bâtir un autre programme pour la présidence française de l’Union européenne, et ce en concertation étroite avec nos partenaires, à commencer par la présidence slovène, la Commission européenne et le secrétariat général du Conseil. Nous aurons donc à cœur de faire avancer les débats sur le pacte.
La présidence slovène tente d’aboutir à un accord sur le règlement Eurodac, qui devrait nous permettre de moderniser ce système d’information destiné, comme chacun le sait, à l’enregistrement des demandeurs d’asile, et de progresser sur le règlement introduisant une procédure de filtrage, qui instaure des procédures plus rigoureuses à la frontière extérieure. Pour y parvenir, la France s’est déjà plusieurs fois exprimée sur la nécessité de sortir de la logique de négociation dite en paquet, qui consiste à vouloir avancer simultanément sur tous les sujets, alors que cela aboutit trop souvent à n’avancer sur aucun d’entre eux. Il nous faut donc progresser, thème par thème, sur les enjeux de ces textes essentiels.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. Madame la ministre, l’architecture du pacte européen pour l’asile et les migrations repose sur le principe d’un meilleur contrôle des entrants sur le territoire de l’Union européenne et d’un renforcement de la politique des retours, si toutefois on veut se donner les moyens de la mettre à exécution. Vous testez d’ailleurs, à quelques mois de l’élection présidentielle, la pression sur les pays d’origine par la politique des visas.
Cependant, qu’en est-il pour ceux qui sont sur le territoire européen ou qui réussiront à y entrer pour tenter de rejoindre le Royaume-Uni ? Je pense à la situation dans la zone Manche-mer du Nord, dont le département du Calvados fait partie : une hausse significative des traversées y est constatée depuis plusieurs semaines. Certaines communes, de la côte normande aux rivages du Pas-de-Calais, sont en première ligne et récoltent les désagréments d’un contexte qui dure de fait depuis plusieurs années.
Depuis le Brexit, les autorités britanniques ont durci le ton en matière migratoire. Elles viennent en outre d’approuver une nouvelle stratégie de refoulement des embarcations de migrants vers la France. Dès lors, madame la ministre, face à un Royaume-Uni qui conserve son pouvoir d’attraction, mais qui entend se prémunir à sa manière contre les flux migratoires, comment se régleront ces situations ?
Par ailleurs, comment envisagez-vous de mettre à profit la présidence française de l’Union européenne pour avancer sur les questions migratoires, dont on voit l’importance qu’elles revêtent pour les États membres et les menaces qu’elles véhiculent ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Allizard, au premier semestre 2022, vous le savez, la France assurera la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Sur les questions migratoires, une douzaine de textes sont en négociation. Ils visent à réformer l’ensemble de nos politiques migratoires, que j’ai décrites en détail dans mon intervention liminaire.
Monsieur le sénateur, vous avez parfaitement raison, les négociations restent difficiles, mais les événements en Afghanistan, notamment, confortent le Gouvernement dans la conviction qu’il faut se doter d’instruments plus robustes et plus cohérents face aux flux migratoires irréguliers. C’est d’ailleurs bien pour cela que nous soutenons la proposition de ce pacte européen pour l’asile et les migrations. Dans ce cadre, le Conseil est parvenu à un accord avec le Parlement européen sur la proposition de règlement qui renforcera les compétences de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile.
La présidence slovène tente actuellement d’obtenir un accord au Conseil sur le règlement Eurodac, qui permettra de moderniser ce système d’information destiné à l’enregistrement des demandeurs d’asile et à la lutte contre l’immigration irrégulière. Nous aurons alors à engager des négociations avec le Parlement européen, mais aussi à faire progresser le règlement dit filtrage, qui instaure des procédures plus rigoureuses à la frontière extérieure.
Enfin, en dehors du pacte, il nous reviendra de diriger la négociation sur le règlement Schengen à venir, appelé à réformer le régime des contrôles aux frontières extérieures.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la ministre, en dépit du règlement dit Dublin III, une partie significative des demandes d’asile ne sont pas traitées par les États d’entrée, à la fois par manque de volonté politique et par manque de solidarité européenne. Cela a notamment pour effet un accroissement des mouvements secondaires de migrants entre les États au sein de l’Union européenne.
En France, dans mon département des Hautes-Alpes, par exemple, ce problème est particulièrement aigu. En 2020, plus de 11 000 passages illégaux ont été répertoriés entre l’Italie et la vallée de Briançon. Ces passages, qui s’effectuent principalement par le col de l’Échelle, devenu tristement célèbre, ont pour destination finale Londres, via Calais. La pression migratoire locale est accentuée par l’inadéquation des moyens alloués à la police aux frontières, ce qui ne permet pas toujours d’assurer un accueil digne, à la hauteur de nos idéaux humanistes.
Madame la ministre, vous l’avez compris, la dérégulation du système migratoire ne peut plus durer. Les facteurs de difficulté résident notamment dans le traitement des demandes et dans l’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Le pacte européen pour l’asile et les migrations esquisse quelques avancées qu’il convient de concrétiser.
Mes questions sont donc les suivantes. Alors que les obligations de quitter le territoire français sont souvent difficiles à exécuter, quel sera l’apport du coordinateur de l’Union européenne chargé des retours ?
Par ailleurs, en 2021, il faut savoir que le conseil départemental des Hautes-Alpes a accueilli 40 % des 250 mineurs isolés ayant transité par le département. Alors que l’on s’attend à l’arrivée d’un flux migratoire estimé à 200 000 Afghans vers l’Union européenne, que prévoit le pacte pour limiter les mouvements secondaires, à l’origine de la majorité des passages illégaux de frontières en France, notamment dans mon département des Hautes-Alpes ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Arnaud, la stratégie de l’Union européenne en matière de retour volontaire et de réintégration est un objectif clef du pacte européen pour l’asile et les migrations. Elle définit notamment les mesures pratiques pour pouvoir consolider le cadre juridique et opérationnel des retours volontaires depuis l’Union européenne. Cependant, les écarts entre les procédures d’asile et de retour, la difficulté d’empêcher la fuite des personnes, les capacités administratives limitées pour assurer le suivi des décisions de retour, expliquent notamment le faible succès des programmes d’aide au retour volontaire jusqu’à présent.
Grâce à son mandat élargi, l’agence Frontex est en mesure d’aider les États membres à tous les stades du processus de retour volontaire et de réintégration. Le coordinateur de l’Union européenne chargé des retours et le réseau de haut niveau pour les retours pourront apporter un soutien technique supplémentaire aux États membres pour regrouper les différents stades de la politique de l’Union européenne en matière de retour.
Tel sera concrètement le rôle du coordinateur de l’Union européenne chargé des retours.
J’en viens à votre seconde question. Si les flux à l’entrée sont mieux pris en charge, moyennant un appui robuste de l’Union européenne, notamment de l’agence Frontex, les flux secondaires seront mécaniquement mieux jugulés. En conséquence, la solidarité renforcée que nous appelons de nos vœux pourra se concrétiser.
Je précise que, dans le département des Hautes-Alpes, nous sommes à ce stade passés de 2 200 personnes à 4 400 personnes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la ministre, après avoir écouté votre réponse, je m’interroge sur la capacité que peuvent avoir les États à tenir leurs frontières et à aider ceux qui en ont véritablement besoin.
Je m’interroge également sur le statut de mineur isolé, qui sert souvent de point d’appui à des fraudes, alors qu’il devrait protéger les plus faibles.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, le Gouvernement a annoncé une réduction drastique des visas délivrés par la France aux ressortissants algériens, marocains et tunisiens. Ce faisant, il punit les populations de ces pays pour l’action supposée de leur gouvernement. S’agit-il des visas de long séjour, qui relèvent exclusivement de notre compétence ? Cette réduction pourrait altérer l’attractivité de notre pays, s’il s’agissait de visas étudiants, et nos relations économiques, s’il s’agissait de visas de nature commerciale ou de visas de travail. Cette mesure serait également une atteinte à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit à mener une vie privée et familiale.
S’agit-il au contraire des visas de court séjour Schengen ? Dans ce cas, ce serait peu opérant, puisqu’il suffirait que les demandeurs de visas s’adressent à d’autres pays européens. De plus, selon le code applicable, les refus de visas Schengen doivent être motivés de manière sérieuse.
La décision du Gouvernement introduit en tout cas un implacable arbitraire en lieu et place d’un examen sérieux des demandes.
Madame la ministre, ma question est claire : compte tenu de ces observations, pouvez-vous nous apporter des précisions sur les visas concernés par les annonces qu’a faites le Gouvernement la semaine dernière ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Leconte, à la suite d’une longue période de dialogue politique et diplomatique avec les trois pays du Maghreb qui n’a pas abouti au résultat qu’il escomptait en matière de réadmission, le Gouvernement a décidé de diminuer le nombre de visas délivrés aux ressortissants de ces pays par nos consulats. Concrètement, ce nombre diminuera de moitié au Maroc et en Algérie, et de 30 % en Tunisie.
Ces mesures sont justifiées par le niveau très insatisfaisant de la coopération avec les pays du Maghreb, et ce depuis plusieurs mois : seulement 105 Marocains ont été éloignés entre le 1er janvier et le 31 août 2021, contre 908 en 2019 ; 25 Algériens, contre 1 677 en 2019 ; 156 Tunisiens, contre 915 en 2019. Cette situation est d’autant plus incompréhensible pour nos concitoyens que la pression migratoire en provenance de ces trois pays reste élevée et que ces flux peuvent concerner des personnes impliquées dans des troubles à l’ordre public.
Ces mesures sont d’application immédiate. Elles sont réversibles dans le temps : si nos partenaires font de réels efforts pour améliorer leur coopération, nous suspendrons l’application de ces mesures. Des efforts ont d’ailleurs déjà été constatés en Tunisie, ce qui va dans le bon sens.
C’est maintenant à chacun de ces pays de prendre leurs responsabilités. Le dialogue continue dans tous les cas. Nos consulats s’efforceront de ne pas viser, dans l’application de ces mesures, les publics prioritaires, les étudiants, les voyages d’affaires, les passeports talent, les travailleurs qualifiés, etc.
Monsieur le sénateur, je vous le dis : la France visera en priorité les milieux dirigeants, qui sont les premiers responsables de cette situation de blocage.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, si telle était véritablement votre intention, il suffisait de viser les passeports diplomatiques et les passeports de service ! En l’occurrence, vous punissez toute une population, montrant au passage à quel point un examen sérieux et non arbitraire des visas relève de la fiction. Vous mettez en effet en place un couperet qui touchera les visas Schengen, alors qu’il suffira que cette demande de visa soit faite dans un autre pays européen pour éviter l’arbitraire français.
Madame la ministre, procéder de cette manière n’est pas très sérieux. J’ajoute, puisque ce débat porte sur le pacte européen pour l’asile et les migrations, que celui-ci précise bien qu’il faut remplacer les migrations illégales par des migrations légales et contrôlées. Or votre gouvernement fait exactement le contraire !
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Yves Leconte. Ce n’est pas ainsi qu’on lutte contre l’immigration illégale. Ce n’est pas ainsi que l’on gagnera de la crédibilité dans la négociation de ce pacte.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Madame la ministre, voilà six ans, face à une crise migratoire sans précédent, les citoyens européens découvraient avec effarement l’impréparation des États membres, totalement dépassés par l’ampleur des flux. Leur incapacité à enregistrer les arrivants ou leur refus de le faire ont largement contribué au chaos.
Le faible niveau d’équipement de certains États, la fragmentation des différentes bases de données numériques et leur utilisation inégale ont été sources de difficultés dans la gestion de la crise.
Ces difficultés n’étaient pas nouvelles : elles avaient déjà été identifiées dans un rapport de 2007, qui avait accompagné la modification du règlement Eurodac intervenue en 2008. La création de nouveaux systèmes d’information et leur mise en interopérabilité ont donc été logiquement des chantiers prioritaires ces dernières années. En 2016, à travers la proposition de réforme dite Dublin IV, la Commission européenne souhaitait intégrer de nouveaux outils d’identification dans la base Eurodac.
Madame la ministre, les réformes législatives entreprises ont-elles enclenché une réelle dynamique et produisent-elles d’ores et déjà des résultats opérationnels ? Tous les États membres démontrent-ils leur capacité et leur volonté d’utiliser pleinement ces bases de données, qui sont cruciales pour la maîtrise des frontières et la sécurité de l’Europe ? En d’autres termes, la réforme du règlement Eurodac proposée a-t-elle une chance d’être adoptée ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Lavarde, l’interopérabilité vise à améliorer la sécurité dans l’espace Schengen, les contrôles aux frontières extérieures et la gestion de l’immigration. Elle consistera à faire dialoguer différents systèmes d’information européens, notamment les systèmes d’information Schengen et Eurodac. Elle permettra aux autorités de contrôle aux frontières, d’immigration et de sécurité intérieure d’obtenir en une seule requête des informations détaillées provenant de tous les systèmes d’information pertinents auxquels elles ont accès. L’identification des ressortissants de pays tiers sera d’ailleurs facilitée grâce à la possibilité de comparer les données biométriques provenant de différents systèmes d’information. Les autorités pourront par exemple détecter les cas d’identités multiples ou de fraude à l’identité.
L’interopérabilité, qui devra être mise en œuvre à la fin de l’année 2023, après la mise en œuvre des nouveaux systèmes d’information aux frontières et la révision des systèmes existants, apportera donc une plus-value majeure aux contrôles aux frontières et à la sécurité des citoyens européens.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.
Mme Christine Lavarde. Madame la ministre, j’ai rappelé qu’en 2016 un projet de réforme Dublin IV avait achoppé, parce que l’ensemble des États membres n’avaient pas réussi à se mettre d’accord. Vous venez de faire une présentation technique de tout ce qu’il serait possible de faire si jamais un accord politique était trouvé. Or ma question était la suivante : selon vous, un accord politique est-il possible, sachant que la crise sanitaire a montré que les accords pour faciliter la gestion de la crise n’allaient pas forcément de soi, notamment quand il s’agissait d’interopérabilité des systèmes ? (Mme Pascale Gruny applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Alain Cadec.
M. Alain Cadec. Madame la ministre, dans le cadre du pacte européen pour l’asile et les migrations, la Commission européenne propose de bâtir un nouveau système commun de gouvernance. Celui-ci s’appuierait sur l’élaboration de stratégies nationales et européennes, ainsi que sur de nouveaux mécanismes de suivi et d’évaluation des politiques nationales. Au vu des dysfonctionnements profonds observés depuis longtemps dans certains États membres en ce qui concerne la maîtrise des frontières extérieures et la gestion des flux migratoires, ce contrôle accru et cette coopération renforcée étaient devenus indispensables. Cela paraît toutefois encore insuffisant.
Gardons en effet à l’esprit que l’espace Schengen n’est pas seulement un espace de liberté, c’est également et surtout un espace de souveraineté en commun. En conséquence, il ne devrait rassembler que les seuls États capables d’assumer cette souveraineté en gérant efficacement leurs frontières, même si la solidarité européenne doit naturellement s’exprimer en cas de crise exceptionnelle. Ainsi, les États membres qui ne seraient pas en mesure de respecter leurs obligations ou qui ne donneraient pas suite aux recommandations formulées pour pallier leurs défaillances devraient-ils pouvoir être sanctionnés, voire, en dernier recours, suspendus de l’espace Schengen.
Aucune procédure de ce type n’est toutefois évoquée à ce jour, que ce soit dans le pacte ou dans la stratégie présentée au mois de juin dernier par la Commission européenne pour le renforcement de l’espace Schengen. Le Président de la République affirmait, avant les dernières élections européennes, sa volonté de « remettre à plat » l’espace Schengen et insistait sur le fait que « tous ceux qui veulent y participer doivent remplir des obligations de responsabilité ».
Madame la ministre, ma question est simple : la France plaidera-t-elle pour la mise en place d’un régime de sanctions spécifiques à l’encontre des États qui ne se donneraient pas les moyens de contrôler efficacement les flux migratoires ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, l’existence de l’espace Schengen implique que chaque État membre puisse contrôler ses frontières extérieures pour le compte de tous les autres. Cela nécessite une confiance mutuelle qui doit s’appuyer sur un certain nombre d’éléments objectifs et de décisions. C’est pourquoi la mise en œuvre de l’acquis de Schengen dans le domaine des frontières extérieures fait l’objet d’une évaluation régulière de chaque État membre.
Les recommandations des rapports d’évaluation doivent d’ailleurs donner lieu à un plan d’action de l’État concerné pour y remédier. En cas de défaillance grave, qui mettrait en péril le fonctionnement de l’espace Schengen, la Commission européenne peut recommander à l’État membre évalué le déploiement d’équipes européennes de garde-frontières sous l’égide de l’agence Frontex. Le Conseil peut aussi en dernier recours, pour protéger les intérêts communs au sein de l’espace Schengen, recommander à des États membres de réintroduire le contrôle à leurs frontières intérieures.
Enfin, si, malgré ce processus, un État persistait à ne pas remédier à une défaillance qui aurait été constatée, la Commission européenne pourrait introduire contre lui une procédure d’infraction devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Ainsi, il n’est pas possible que des défaillances graves du contrôle aux frontières par un État demeurent inconnues de ses partenaires et ne donnent pas lieu à une réaction. Monsieur le sénateur, j’espère avoir répondu à votre question.
M. le président. La parole est à M. Alain Cadec, pour la réplique.
M. Alain Cadec. Que de conditionnels, madame la ministre !
Vous n’avez pas répondu à ma question. Y aura-t-il des sanctions ? La France défendra-t-elle ce principe auprès des vingt-six autres États de l’Union européenne ? (Mme Pascale Gruny et M. Jérôme Bascher applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Madame la ministre, quand je lis les déclarations polonaises, tchèques, slovaques, danoises ou hongroises, je n’ai qu’assez peu d’illusions sur l’adoption de ce pacte en 2022. J’en fais donc peu de cas.
En revanche, puisque vous avez pris un certain nombre de décisions, par exemple tout récemment en matière de politique de visas délivrés aux ressortissants des États d’Afrique du Nord, je serais curieux de savoir ce que le gouvernement français considère comme une politique migratoire et de droit d’asile équilibrée pour l’avenir de notre pays.
Au-delà de l’Union européenne et même en dehors d’elle, vous êtes en mesure de prendre un certain nombre de décisions à l’échelon national. Pouvez-vous nous dire quelle politique vous voulez réellement en matière migratoire et en matière de droit d’asile, sans vous cacher sous la couverture européenne, qui, malheureusement ou heureusement, est assez peu efficace en ce moment ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Karoutchi, vous me posez une question très vaste…
Comme vous, je considère que la question migratoire ne se règle pas à coups de déclarations. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle des discussions ont lieu à l’échelon européen. Contrairement à la position que vous avez exprimée, nous avons pour notre part l’espoir que ce pacte aboutisse ; nous y croyons et nous y travaillons. C’est tout l’objet des discussions que nous avons et tout le sens que nous voulons donner à la présidence française de l’Union européenne.
Je réponds à votre question sur ce que nous pouvons faire en France. Dès le début de ce quinquennat, une loi asile et immigration a été défendue par le ministre de l’intérieur de l’époque, Gérard Collomb, et a défini les grandes orientations du Gouvernement. Celles-ci étaient conformes à la ligne directrice du Président de la République, qui a prôné un équilibre entre humanité et fermeté. L’humanité, c’est le respect des droits humains, le respect des droits de chacun, le respect de la Convention de Genève ; la fermeté, c’est l’exécution des décisions prises, notamment les décisions de reconduite à la frontière, car c’est ainsi que la République est respectable et respectée.
C’est le sens de l’action menée par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, qui a donné des instructions très claires et très fermes, notamment sur l’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF).
C’est le sens des décisions que la France a été amenée à prendre concernant les visas – question qui a déjà été abordée –, pour se faire respecter et être souveraine dans ses décisions.
En matière de droit d’asile, notre objectif est de réduire le délai de réponse pour arriver à six mois. Pour y parvenir, nous avons renforcé les personnels de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), afin que l’on puisse répondre plus rapidement et avec humanité, sans laisser de demandeurs dans l’attente et sans réponse. Si une réponse négative leur est donnée et qu’ils n’ont pas le droit à la protection du statut de réfugié, ils doivent être reconduits à la frontière ; en revanche, s’ils ont droit au statut de réfugié, il faut qu’ils puissent s’engager dans un parcours d’intégration, que nous sommes en train de rendre plus efficient dans ses volets travail et apprentissage de la langue. Nous avons ainsi augmenté jusqu’à 600 heures les cours de français destinés à ces publics.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Madame la ministre, pardonnez-moi de vous rappeler que, en 2019, le Président de la République lui-même affirmait que les textes existants ne suffisaient pas et proposait une réforme du droit d’asile. On n’a jamais vu ce texte, pas plus, d’ailleurs, qu’un texte sur le contrôle des flux migratoires.
Le Sénat a adopté un certain nombre de textes en la matière, prônant l’association du Parlement à la définition de ce que serait la politique migratoire en matière de quotas, d’ouverture et de redéfinition des pays sûrs.
Madame la ministre, si l’on veut éviter les fantasmes et les délires, ayons déjà, à l’échelon national et au Parlement, un débat sur l’immigration et sur le droit d’asile qui soit ouvert, complet, sans qu’on nous oppose systématiquement le cadre européen. Cela permettrait que le Gouvernement et le Parlement s’accordent sur une vision de ce que doit être la société française. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Madame la ministre, nous le savons, les négociations relatives au pacte européen pour l’asile et les migrations seront difficiles en raison des divergences sur certaines des mesures proposées. D’autres font en revanche l’unanimité, telles que la nécessité de renforcer la dimension extérieure de la politique migratoire européenne. Bien évidemment, la recherche d’un accord sur l’ensemble ne doit pas être abandonnée, mais l’accent doit être mis sur ces propositions consensuelles pour obtenir, a minima, un renforcement de notre politique migratoire en cas d’échec des négociations.
À ce titre, la décision de la France de durcir la politique des visas à l’égard des pays du Maghreb ne peut qu’être bienvenue. Il est toutefois regrettable qu’elle intervienne si tard, alors que cela fait de nombreuses années que les pays du Maghreb rechignent à délivrer des laissez-passer consulaires. Je comprends bien que l’utilisation des voies diplomatiques devait primer dans un premier temps, mais ce phénomène n’est pas nouveau et aurait pu être réglé bien plus tôt. Certes, mieux vaut tard que jamais…
Permettez-moi une parenthèse : les récents propos du Président de la République à l’égard de l’Algérie étaient maladroits et ont conduit à une situation diplomatique délicate qui doit être réglée au plus vite. Il serait en effet franchement dommage que les avancées récentes soient mises à bas.
Il est désormais nécessaire que l’Union européenne durcisse le ton face aux pays peu coopératifs. Une décision unilatérale de la France ne suffira pas à elle seule à remédier aux lacunes que l’on constate. En effet, si certains des accords d’association avec des tiers sont solides – par exemple avec la Jordanie –, d’autres sont peu efficaces. Ainsi, l’accord d’association avec la Turquie n’a permis le renvoi que de 2 140 personnes entre 2016 et 2020.
L’utilisation de l’ensemble des leviers dont nous disposons est donc essentielle. Il faut rechercher une synergie et se coordonner avec les autres États membres en s’appuyant sur les relations privilégiées que chacun entretient avec certains pays pour mieux négocier les accords d’association.
Je pense également à la conditionnalité des aides au développement à des accords de coopération en matière d’accueil, de retour et de réinstallation. Une meilleure quantification et un meilleur suivi de la coopération des États tiers permettraient aussi de moduler les aides et les quotas de visas en fonction de leurs efforts.
Aussi, madame la ministre, la France se positionnera-t-elle en faveur d’un durcissement de la politique européenne envers les pays peu coopératifs, tout en renforçant la dimension extérieure de la politique migratoire, dans le cadre de sa présidence du Conseil européen et dans les négociations sur le pacte européen pour l’asile et les migrations ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Pellevat, la France s’est toujours montrée ferme et déterminée à l’égard des pays non coopératifs en matière de retour et de réadmission. Notre politique n’a d’ailleurs jamais varié : elle est appliquée en ce sens en direction des principaux pays d’origine de l’immigration irrégulière en France depuis 2017. Cela étant, nous privilégions avant tout le dialogue avec les pays en question, conscients que nous sommes des contraintes qui peuvent peser sur leur action et de la complexité de leur situation intérieure. Néanmoins, quand la non-coopération s’installe dans la durée, ce que nous avons étayé avec des chiffres, elle n’est plus justifiée et il nous faut alors prendre des mesures claires et assumées, comme nous l’avons fait récemment à l’encontre du Maghreb.
À l’échelle européenne, nous soutenons la mise en œuvre de partenariats équilibrés qui soient mutuellement bénéfiques entre les pays d’origine et de transit pour répondre aux pays coopératifs par une offre ouverte en matière d’aide au développement, de relations commerciales, de renforcement capacitaire et de voies légales de migration. Au contraire, nous devons conduire un dialogue exigeant avec les pays qui ne le sont pas et mobiliser tous les instruments dissuasifs possibles – visas, mobilités, etc. C’est dans cet esprit que nous aborderons la présidence du Conseil de l’Union européenne.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Jean-François Rapin, pour le groupe auteur de la demande.
M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous remercie de votre participation à ce débat dont je sors enrichi, qu’il s’agisse des questions qui ont été posées ou des réponses qui ont été apportées.
Finalement, la seule question qui vaille est la suivante : le pacte européen pour l’asile et les migrations est-il nécessaire et utile ?
À entendre ce qui s’est dit ce soir, ma réponse serait plutôt oui : pour en finir avec une situation de blocage – en 2015 et 2016, la situation migratoire était très compliquée, faisant presque rompre les frontières et la solidarité entre les États membres –, il est nécessaire de revoir pleinement cette problématique.
À cela s’ajoutent de nouveaux phénomènes migratoires, qui ont été décrits sans ambages. On a parlé de la Biélorussie ; souvent, en commission, Jean-Yves Leconte nous fait part d’une forme de chantage à l’humain, c’est-à-dire d’un nouveau mode de migration forcée assez inhumain.
Par ailleurs, nous n’avons peut-être pas encore pris la mesure des problématiques migratoires liées à la question afghane, qui ont été abordées au cours des discussions.
Il y a aujourd’hui en Afghanistan 300 000 soldats formés par l’armée américaine, avec du matériel de haute technicité : contrairement aux images que nous avons vues à la télévision, les Américains n’ont pas tout détruit. Que feront demain ces 300 000 soldats ? Vont-ils se soumettre au régime taliban et former ainsi la plus grosse armée de la région ? Ou vont-ils refuser de se soumettre et commencer à migrer ? Dans ce cas, nous aurons à nos portes des gens formés aux techniques militaires qui, certes, ne voudront peut-être pas forcément nous nuire, mais qui essaieront en tout cas de traverser les frontières. J’insiste sur la nécessité de prendre cet élément en compte dans les discussions que nous aurons encore sur le pacte, madame la ministre.
Je souhaite également évoquer la durée des discussions. Voilà un an, dans un élan un peu joyeux, M. Schinas, le vice-président de la Commission européenne chargé de ces questions, exprimait devant notre commission des affaires européennes son souhait que le pacte soit adopté d’un bloc durant la présidence française. Nous en sommes loin. Certes, ce n’est ni de sa faute ni de celle du gouvernement français. Mais, au fur et à mesure des discussions, nous nous sommes rendu compte d’un certain nombre de blocages. L’objectif de faire passer le pacte en une seule fois sera impossible à tenir, même pendant la présidence française. Nous devons donc nous interroger.
Les idées que notre collègue Philippe Bonnecarrère a exposées sont intéressantes, mais elles ne sont vraisemblablement pas exploitables, car elles seraient trop longues à mettre en place.
Autre situation de blocage à régler, les mécanismes de solidarité aux frontières posent aujourd’hui problème. Nous sentons bien qu’il y a des réticences de certains États membres, en particulier de la part des pays dits de Visegrád, sur ce point.
Nous n’avons, me semble-t-il, pas suffisamment discuté de la situation dans la Manche et en mer du Nord. Certes, Pascal Allizard en a parlé clairement, mais je vais en parler encore plus clairement. Comme lui, je viens d’un territoire particulièrement concerné par cette problématique.
Élu du Pas-de-Calais, j’étais ce matin avec Natacha Bouchart, qui fait régulièrement appel au Gouvernement. Elle m’a ainsi montré une liste de courriers adressés à votre ministère et demeurés sans réponse : elle m’a indiqué avoir obtenu plus d’accusés de réception que de solutions concrètes ! Certes, elle ne conteste pas les moyens d’intervention qui sont déployés sur le site de Calais, mais elle doit faire face aujourd’hui aux problèmes posés par la présence de près de 1 500 migrants, avec un nombre important de faits délictueux : elle m’a montré un volumineux dossier de plaintes.
Nous ne pouvons pas laisser les collectivités seules face à de telles situations. S’il est vrai que les services de l’État, notamment les services de sécurité, sont présents, les moyens doivent augmenter. L’an dernier, il y a eu 8 000 traversées de la Manche en année pleine. Et là, alors que l’année n’est pas encore terminée, nous en sommes déjà à 26 000 traversées, à effectifs de police et de gendarmerie identiques.
Madame la ministre, je forme le vœu que la présidence française de l’Union européenne permette d’avancer sur ces dossiers. Au sein de mon groupe et de la commission des affaires européennes, en tout cas, nous serons vigilants. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le pacte européen pour l’asile et les migrations.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)
PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
12
Situation sanitaire outre-mer
Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer, sur la situation sanitaire outre-mer.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. le président de la délégation qui a demandé ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours des dernières semaines, les outre-mer ont été confrontés à la pire crise sanitaire que notre pays ait connue depuis le début de l’épidémie de covid-19. Ce constat, c’est le ministre des outre-mer lui-même, Sébastien Lecornu, qui l’a dressé le 9 septembre dernier au Sénat lors du débat sur le projet de loi relatif à la prorogation de l’état d’urgence sanitaire dans les outre-mer.
Le rapporteur de la commission des lois, notre collègue Philippe Bas, qui est également membre de la délégation sénatoriale aux outre-mer, a eu des mots très forts pour évoquer cette situation : « Aujourd’hui, nous sommes tous Martiniquais, Guadeloupéens, Guyanais, Polynésiens… Nous sommes tous ultramarins. Nous avons tous une pensée pour nos compatriotes qui sont si nombreux dans le deuil, la souffrance de la maladie, l’angoisse, quand on voit l’épidémie se répandre à une vitesse dont nous n’avions jamais fait l’expérience. »
À l’heure où je vous parle, alors que l’épidémie recule dans l’Hexagone et dans certaines collectivités, d’autres territoires, comme la Nouvelle-Calédonie ou la Guyane, connaissent une flambée préoccupante. C’est ce contexte inédit dans les outre-mer, avec des pics jamais atteints auparavant, que nous devons avoir à l’esprit, alors que s’ouvre la présente session parlementaire 2021-2022 et que l’occasion nous est offerte de rappeler le lourd tribut que notre pays, et les outre-mer en particulier, a payé et continue de payer à cette pandémie.
Face à une telle situation, et après avoir échangé avec mes collègues, j’ai souhaité saisir le président du Sénat, Gérard Larcher, afin de modifier l’ordre du jour – la conférence des présidents avait prévu un débat en séance publique sur la politique du logement – pour nous consacrer entièrement à la situation sanitaire dans les outre-mer. Je tiens à remercier les rapporteurs Victorin Lurel, Micheline Jacques et Guillaume Gontard, qui ont d’emblée soutenu cette démarche et ont permis qu’un débat s’organise en priorité sur ce sujet, afin de prendre la mesure de la situation d’urgence sanitaire, encore très prégnante dans nos territoires.
Même si cette situation évolue, et on a vu au cours de ces derniers temps à quel point l’évolution pouvait être fulgurante, un tel phénomène interpelle l’ensemble de la représentation nationale.
Les taux d’incidence, le nombre de victimes, la « priorisation » durant certaines phases aiguës, la mobilisation et le dévouement extraordinaires des équipes de soignants, que nous saluons, le recours à la réserve sanitaire… tous ces faits récents nous conduisent à nous interroger sur la gestion de la crise, sur son efficacité et sur les leçons à en tirer pour chacun de nos territoires.
Par ailleurs, comme vous le savez, le président Gérard Larcher a aussi souhaité que la mission commune d’information du Sénat sur les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d’activités – la mission est présidée par notre collègue Bernard Jomier et ses rapporteurs sont Jean-Michel Arnaud et Roger Karoutchi – se saisisse de la situation spécifique des territoires ultramarins pour en examiner les conséquences tant sanitaires qu’économiques et sociales. Elle va ainsi se pencher sur les causes de la dernière vague épidémique et dégager des préconisations.
Les travaux de la mission ont démarré la semaine dernière, avec une table ronde abordant ces deux volets, et les auditions vont se poursuivre jusqu’à mi-novembre. Il a été convenu – j’en remercie encore vivement le président, Bernard Jomier – que les membres de la délégation aux outre-mer y seraient associés. La mission commune va organiser notamment des tables rondes géographiques permettant de mieux appréhender la situation propre à chaque territoire.
Je tiens à saluer la démarche dans laquelle la mission a choisi de s’inscrire. Celle-ci est de nature à permettre une analyse approfondie et territorialisée. En effet, les situations sont très contrastées. Il existe des territoires qui, jusqu’à présent, ont été plus ou moins épargnés et qui ont pu prévenir la propagation du virus, alors que d’autres sont très durement frappés.
Naturellement, on ne fera pas l’économie du débat sur le taux de vaccination, sujet sur lequel beaucoup a déjà été dit, mais il est aussi important, comme l’ont souligné nos collègues Victoire Jasmin, Jocelyne Guidez ou Victorin Lurel lors de la première audition, d’appréhender les aspects information et communication sur le sujet. Ce n’est pas un hasard si, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, les parlementaires souhaitent que l’on approfondisse les modalités d’anticipation et de gestion de la crise. Comme l’a indiqué l’une des personnes auditionnées le 28 septembre dernier : « Il faut utiliser les prochaines semaines pour se préparer nationalement et localement à une possible cinquième vague, qui, hélas, adviendra probablement. » La crise sanitaire appelle à faire preuve de responsabilité.
Hôpitaux saturés, lits de réanimations débordés, appels à la réserve sanitaire, évacuations sanitaires spectaculaires, prorogations de l’état d’urgence… la dégradation soudaine de la situation sanitaire dans certains territoires s’est traduite par des images-chocs et des bilans dramatiques. La pandémie a éclairé sous une lumière crue la réalité de l’offre de soins dans les outre-mer. C’est cette réalité qu’il convient aussi de regarder en face.
Nos inquiétudes sont également d’ordre économique. Notre délégation s’est saisie très tôt, dès le mois d’avril 2020, des conséquences de la pandémie de covid-19 sur les économies ultramarines, déjà fragilisées. Avec mes collègues Viviane Artigalas et Nassimah Dindar, nous avons dressé un premier état des lieux et produit une soixantaine de recommandations sur l’urgence économique outre-mer. La mission pourra s’appuyer sur ces travaux, ainsi que sur ceux du Conseil économique, social et environnemental et sur ceux des chambres de commerce et d’industrie des outre-mer, car ils restent d’actualité.
Au fil de nos auditions, la délégation s’était non seulement intéressée aux mesures d’urgence mises en place pour sauvegarder le tissu économique dans les outre-mer, mais elle avait aussi identifié des secteurs clés – tourisme, secteur aérien, BTP –, à soutenir après la quasi-mise à l’arrêt des activités. Elle avait également alerté sur la situation financière dégradée des collectivités locales, qui méritent aussi un accompagnement adapté.
Nos collègues nous ont d’ores et déjà alertés sur la hausse générale des prix des matières premières, du coût du fret, du prix de l’énergie et, au-delà, de nombreux intrants.
Que propose le Gouvernement face à toutes ces légitimes inquiétudes et ces multiples défis, monsieur le secrétaire d’État ? En vérité, cette crise sanitaire nous amène à soulever la question cruciale de l’avenir de nos territoires. Nous devons absolument y apporter des réponses si nous ne voulons pas continuer à subir les vagues épidémiques et leurs conséquences humaines, économiques et sociales ravageuses.
De fait, la crise a révélé de terribles inégalités entre les territoires en matière d’offre de soins. Le taux d’équipement des outre-mer en hôpitaux ou en équipements sanitaires et médico-sociaux est toujours en dessous de la moyenne nationale. Quels efforts budgétaires et quels investissements pouvez-vous annoncer pour les prochains mois ?
Compte tenu des disparités persistantes constatées selon les territoires, avec actuellement une sorte de « plateau vaccinal », comment allez-vous renforcer la pédagogie autour de la vaccination ? Comptez-vous par ailleurs renforcer le rôle des instances de dialogue et de concertation, comme les conseils territoriaux de santé ?
Quels moyens supplémentaires seront mis en œuvre pour former et recruter davantage de personnels, mieux les équiper et les rétribuer ?
Comment comptez-vous améliorer les possibilités d’évacuation sanitaire, comme l’élément militaire de réanimation (EMR), et adapter ces moyens à l’isolement et au caractère insulaire, voire archipélagique ?
Voilà quelques-unes des nombreuses questions que nous voulions vous soumettre, monsieur le secrétaire d’État. Je laisserai bien entendu mes collègues, que je remercie chaleureusement de leur présence, les compléter. Je ne doute pas que le débat sera riche. Nous attendons des réponses précises à des préoccupations concrètes faisant suite à la crise inédite que nous connaissons. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la présidente, monsieur le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer – cher Stéphane Artano –, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’avoir moi aussi une pensée pour les victimes, les malades et leurs familles dans les territoires ultramarins. Je salue également les professionnels de santé qui sont à leurs côtés : certains viennent des outre-mer, d’autres de métropole.
En un peu plus d’un an et demi de crise sanitaire, la situation dans les différents territoires d’outre-mer a fortement varié, avec des trajectoires propres à chacun d’entre eux.
Je me réjouis que le débat organisé sur l’initiative de la délégation sénatoriale aux outre-mer nous permette de faire collectivement le point à date sur la situation sanitaire et d’approfondir un certain nombre de sujets grâce aux questions que vous poserez.
Aujourd’hui encore, certains territoires restent touchés par une vague épidémique de grande ampleur, mettant à rude épreuve les populations, les systèmes de soins et les organisations publiques. Vous le savez, les difficultés tiennent en grande partie à la contagiosité accrue du variant delta, mais également à une faible couverture vaccinale, ainsi qu’à des facteurs saisonniers ou structurels face auxquels nous devons sans cesse adapter notre stratégie.
La concomitance et l’intensité des vagues épidémiques ont justifié l’adoption de mesures de freinage fortes et précoces, ainsi, parfois, que leur maintien dans la durée. Comme je l’évoquais, la situation sanitaire dans les outre-mer est, à ce jour, particulièrement contrastée.
En Guyane, la situation reste malheureusement très préoccupante. Si le pic semble avoir été atteint voilà quelques jours, le taux d’incidence demeure aux alentours de 13,5 %, soit le chiffre observé le plus élevé, à égalité avec ce que l’on constate en Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, le niveau actuel d’admissions en soins critiques n’avait encore jamais été atteint. L’ouest du territoire est particulièrement touché. Cette quatrième vague semble être encore en plein développement dans ce territoire, ce qui est un motif d’inquiétude.
Face à une telle situation, des actions fortes ont été entreprises. Des mesures de couvre-feu différenciées en fonction de la circulation du virus ont notamment été décidées. De plus, comme vous le savez, depuis hier et jusqu’au 13 octobre inclus, les établissements d’enseignement du second degré, c’est-à-dire les collèges et les lycées, ne sont autorisés à accueillir que les élèves des classes et des niveaux concernés par le passage d’un examen ou d’un diplôme.
Seule la zone dite « bleue », réservée à l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de l’est, se distingue par une faible circulation virale et n’est donc plus concernée par les mesures de freinage.
Pour alléger la pression hospitalière, des renforts ont été mobilisés, avec notamment l’arrivée de cinquante personnes samedi dernier. Cette aide permet d’ouvrir de nouveaux lits de réanimation et de compenser une partie des arrêts maladie des personnels soignants.
Parallèlement, des évacuations sanitaires ont été réalisées vers la Guadeloupe et l’Hexagone.
La Nouvelle-Calédonie, où se trouve actuellement le ministre des outre-mer – il vient d’ailleurs de commencer sa semaine de quarantaine –, est toujours confinée. Si les indicateurs laissent espérer une amélioration, la saturation hospitalière constitue malheureusement encore le quotidien des soignants, qui sont surmobilisés. Là aussi, renforts et évacuations se sont multipliés. Les équipes sanitaires travaillent quotidiennement à la définition du besoin précis pour que les missions puissent être menées à bien.
Ailleurs, la situation s’est améliorée, y compris très récemment.
Dans les Antilles, la situation, tant épidémiologique qu’hospitalière, est meilleure. Les indicateurs continuent ainsi d’aller dans le bon sens en Guadeloupe et en Martinique, avec des taux d’incidence en forte baisse. En Guadeloupe, le déconfinement a débuté le 22 septembre selon un plan en trois phases, mais la vigilance doit évidemment rester de mise. À Saint-Martin et Saint-Barthélemy, la situation est également de plus en plus favorable.
Il en va de même à la Réunion, où la situation sanitaire continue aussi de s’améliorer, avec une poursuite du ralentissement de la circulation virale et une diminution du nombre d’hospitalisations, d’admissions en réanimation et de décès.
En Polynésie française, la tendance générale est également à la baisse des indicateurs, permettant d’envisager une levée progressive du couvre-feu.
À Mayotte, les indicateurs épidémiologiques sont en diminution depuis plusieurs semaines, mais la prudence doit rester de mise.
Je le répète après vous, monsieur le président, nous devons rester vigilants. Là où les données montrent une amélioration, elles montrent aussi parfois, non pas un relâchement, mais une moindre mobilisation, notamment autour des dépistages.
La communication, l’information, la pédagogie et la sensibilisation doivent se poursuivre auprès des populations, des relais d’opinion et des relais communautaires pour rappeler les gestes barrières et l’importance de la vaccination. Les efforts en matière de campagne vaccinale doivent être poursuivis.
La vaccination, c’est justement ce qui permet et permettra, de plus en plus, d’améliorer la situation hospitalière. Débutée très tôt, puisque les premières doses sont arrivées dès janvier dans de nombreux territoires, la campagne vaccinale est montée en puissance progressivement, mais ne permet pas encore aujourd’hui de produire les effets attendus, du fait, vous le savez, de réticences extrêmement fortes.
La vaccination atteint un niveau satisfaisant à Saint-Pierre-et-Miquelon et s’en rapproche à la Réunion et en Polynésie, même si elle doit bien sûr être encore encouragée. La dynamique est également plutôt positive en Nouvelle-Calédonie, mais les efforts doivent se maintenir.
Trop de territoires restent cependant en retard dans cette campagne de vaccination.
En Martinique, la couverture vaccinale demeure insuffisante, et laisse craindre un retour à des niveaux élevés de circulation de virus si les mesures de freinage étaient levées trop rapidement. Même chose en Guadeloupe, où la rentrée scolaire a fait l’objet d’une vigilance renforcée. Si les taux de vaccination n’augmentent pas, une nouvelle vague n’est malheureusement pas à exclure.
La Guyane se distingue malheureusement par une vaccination très limitée en population générale, mais aussi chez les soignants.
Enjeu peut-être sous-estimé au départ, la lutte contre les fausses informations a fait l’objet d’une mobilisation complète de l’ensemble des acteurs concernés. C’est un effort collectif indispensable pour renforcer l’adhésion de nos concitoyens aux mesures nécessaires à la lutte contre l’épidémie.
Je parlais de la Guyane à l’instant. Les opérations « d’aller vers » y sont massives depuis des mois ; la promotion vaccinale y est adaptée aux différentes langues du pays, et est assurée par des professionnels et des associations de terrain, que je remercie pour leur engagement. Pourtant, les chiffres restent insatisfaisants. Les enquêtes sur l’hésitation vaccinale conduites régulièrement laissent craindre une véritable épidémie de fausses informations, et une instrumentalisation des inquiétudes relatives au vaccin. Il nous faut compter sur l’engagement de tous pour dépasser cette situation.
À Mayotte, l’agence régionale de santé (ARS) a déployé une communication extrêmement large, diversifiée, traduite en shimaoré, par exemple, pour encourager le respect des gestes barrières et la vaccination.
Vous avez aussi naturellement un rôle important à jouer, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, avec les élus locaux, sur le terrain, pour déconstruire les messages fantaisistes et alarmistes que certains se plaisent à diffuser. Je tiens à saluer la mobilisation d’un grand nombre d’entre vous et j’invite tous les élus à rejoindre ce mouvement, en responsabilité.
Depuis le début, nous affrontons ensemble cette crise sanitaire. Par-delà les différends politiques et les critiques liées aux méthodes, aux organisations ou aux temporalités – nous y reviendrons –, je pense que nous devons toujours nous retrouver lorsqu’il s’agit de garantir la sécurité et la bonne santé de nos compatriotes ultramarins.
Évidemment, la vaccination n’est pas l’unique sujet à l’ordre du jour. Parfois confrontés à des situations difficiles, devant s’accommoder de mesures d’ordre public strictes mais nécessaires, les citoyens de l’ensemble des territoires d’outre-mer ont fait preuve d’une résilience et d’une solidarité importante.
Cette solidarité s’est aussi manifestée dans l’Hexagone. Ici aussi, l’engagement des équipes médicales a été total, et elles sont venues soutenir l’action de celles et ceux déjà présents au début de la crise en outre-mer. Des renforts continuent ainsi à être mobilisés autant que de besoin pour appuyer les territoires en difficulté.
Au plus fort de la crise, et encore aujourd’hui, le Gouvernement a donc mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour apporter la réponse adaptée aux enjeux précis des différents territoires d’outre-mer, avec leurs spécificités. Les énergies ont été mobilisées, les organisations utiles ont été trouvées, et les défis logistiques ont été relevés.
À nous, collectivement, de garantir que cela continuera à l’avenir, bien au-delà de la crise sanitaire. C’était le sens de vos propos, monsieur le président, et c’est l’engagement du Ségur de la santé, dont les premiers effets se font sentir, avec force, dans les territoires d’outre-mer.
Ensemble, le Gouvernement, les parlementaires, les élus et autorités locales continueront ce travail partenarial qui a fait ses preuves, permettant qu’à aucun moment de la crise le moindre territoire de la République ne soit délaissé, abandonné ou mis de côté. Les outre-mer, dans toute leur diversité, leurs forces respectives, leurs préoccupations spécifiques, ont traversé et continuent de traverser cette crise sanitaire, certes en lui payant un lourd tribut, mais en pouvant compter, dès la première seconde et jusqu’à la dernière, sur la solidarité de la Nation tout entière.
Que cela soit pour moi l’occasion de remercier une fois encore l’ensemble des équipes du secteur sanitaire et social, au sein de l’Hexagone comme dans les outre-mer.
Je me tiens désormais à votre disposition pour répondre, au nom du ministère des solidarités et de la santé, aux questions que vous pourriez vous poser. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique, en application du nouveau règlement sur les temps de parole. Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Catherine Conconne.
Mme Catherine Conconne. Monsieur le secrétaire d’État, j’avais l’embarras du choix pour ma question, tant les sujets sont nombreux, mais j’ai choisi de vous parler d’éducation.
Des dizaines de milliers d’élèves des outre-mer n’ont pas pu reprendre normalement le chemin de l’école depuis la rentrée, et sont des victimes directes de l’épidémie de covid-19, alors même que le virus est généralement sans gravité pour eux.
Voilà plus d’un an et demi que nos enfants, nos adolescents se trouvent régulièrement, et pour de longues périodes, éloignés de leurs établissements scolaires. En 2019, avant cette crise, les taux d’illettrisme dans nos territoires étaient déjà alarmants : 35 % des jeunes faisant leur Journée défense et citoyenneté avaient des difficultés de lecture en Martinique, 30 % en Guadeloupe et 50 % à Saint-Martin, quand la moyenne nationale se situait à 11,8 % !
Les dix-huit mois qui viennent de s’écouler auront sans doute, malheureusement, aggravé cette situation dramatique. Vous savez, monsieur le secrétaire d’État, que l’enseignement à distance pose problème, chez nous peut-être encore plus qu’ailleurs, tant les inégalités sociales sont marquées. Tous nos enfants n’ont pas forcément accès à un ordinateur ou à Internet, et tous nos parents ne sont pas en mesure d’aider dans le travail scolaire… Deux enfants sur trois vivent dans des familles monoparentales, dont les mères ne sont pas toujours accompagnées pour faire face à cette situation qui perdure.
Il était certes nécessaire de repousser la rentrée aux Antilles, et je ne le discute pas, mais le retour à l’école doit être une priorité absolue, de même que la mise en place urgente de mesures ambitieuses de soutien pour que les enfants qui ont souffert de la situation puissent rattraper leur retard. Que faites-vous, que comptez-vous faire pour que les chances futures de nos enfants ne soient pas durablement compromises par la période que nous venons de traverser ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice, la crise sanitaire, en effet, n’a pas été neutre pour les écoliers martiniquais, pas plus d’ailleurs qu’elle ne l’a été pour les écoliers de la métropole.
Fermées dès le 17 mars 2020, les écoles ont néanmoins pu rouvrir rapidement, car tel était le souhait, non seulement du Président de la République, mais aussi, me semble-t-il, de l’ensemble des Français. En tant que secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, j’y étais également particulièrement attaché.
En respectant des gestes barrières stricts, mais ô combien nécessaires, les écoliers ont pu retrouver les bancs de l’école. C’est ainsi le cas depuis le 13 septembre en Martinique, avec un léger décalage par rapport à la métropole.
Quels sont maintenant les impacts à moyen terme de cette crise sur l’école ? Quelles peuvent être les conséquences de cette interruption, même temporaire, de l’enseignement sur les enfants en matière d’apprentissage et d’acquisition des connaissances ?
Au niveau national, les données dont dispose aujourd’hui le ministère de l’éducation nationale montrent que les retards pris avec la crise sont en passe d’être rattrapés et compensés. Chez les jeunes enfants, la capacité à réparer rapidement ce qui a pu être fragilisé est particulièrement forte. Nous devons aussi saluer l’effort remarquable de nos professeurs, qui ont œuvré pour la maîtrise des savoirs fondamentaux en accompagnant le retour en classe des élèves depuis septembre 2020. Nous sommes fiers de cet engagement des équipes éducatives.
Nous ajoutons une volonté forte de poursuivre au bénéfice des élèves les transformations qui sont engagées depuis 2017, en dépit des aléas de la crise sanitaire. Cela passe par l’élévation du niveau général et l’égalité des chances, avec la volonté d’assurer partout la maîtrise des savoirs fondamentaux, la personnalisation des parcours et la mise en œuvre de l’école inclusive.
J’ai bien entendu votre remarque sur les difficultés liées à la fracture numérique. J’y ai été confrontée également pour certains publics dans l’Hexagone. La crise sanitaire a toutefois permis d’accélérer un certain nombre de projets visant à la réduire.
Je rappelle pour conclure les chiffres forts de l’effort éducatif en Martinique : 100 % des classes de CP et de CE1 en réseau d’éducation prioritaire (REP) y ont été dédoublées, ainsi que 46 % des classes de grande section.
Avec le ministre de l’éducation nationale, je reste toutefois particulièrement vigilant, en Martinique comme ailleurs, sur les sujets que vous avez soulevés, madame la sénatrice.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour la réplique.
Mme Catherine Conconne. Je regrette une réponse totalement stéréotypée qui ne reflète en rien la réalité.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le secrétaire d’État, voilà quelques semaines, nous exprimions ici notre soutien et notre solidarité envers les territoires ultramarins, frappés de plein fouet par une vague de covid-19 sans précédent.
Nous l’avions rappelé unanimement, cette situation de catastrophe sanitaire est la résultante de nos vulnérabilités structurelles et des faibles taux de vaccination.
Sur ce dernier point, les causes sont multiples et complexes, dans des territoires où la méfiance envers les institutions de l’État est nourrie chaque jour par une désinformation accrue, engendrée par des diplômés des réseaux sociaux plutôt que par des facultés de médecine.
À cela peut s’ajouter une communication des autorités sanitaires jugée parfois trop généraliste dans certains territoires.
Depuis, nous avons voté la prolongation de l’état d’urgence sanitaire dans les outre-mer jusqu’au 15 novembre 2021. Un mois après ce dixième texte d’urgence, où en sommes-nous ?
Près de 3 millions de doses ont été livrées et 2,3 millions d’injections réalisées ; les initiatives « aller vers » ont été renforcées, montrant partout leurs effets ; des renforts sanitaires humains et matériels ont été envoyés ; les opérations Évasan ont permis d’évacuer certains de nos compatriotes vers l’Hexagone ; les mesures de confinement et de couvre-feu ont été allégées sur certains territoires.
Cet ensemble de mesures de solidarité nationale permet de limiter la propagation du virus tout en soutenant nos économies déjà bien fragiles.
Cependant, les situations sont encore très disparates selon les territoires. Je pense aux difficultés que connaissent la Guyane ou la Nouvelle-Calédonie actuellement.
Monsieur le secrétaire d’État, comment pourrons-nous affronter une prochaine vague avec des systèmes de santé si fragiles ?
Que prévoit le Gouvernement pour permettre à nos territoires structurellement en retard de se doter d’un système de santé plus résilient et robuste ?
Avant de conclure mon propos, je tiens à saluer le courage de nos collègues Georges Patient, Teva Rohfritsch ou encore Catherine Conconne, qui ont adopté une ligne claire face aux colporteurs d’inepties et de contrevérités.
Le mensonge prend souvent l’ascenseur, tandis que la vérité passe par l’escalier. Ne craignons pas d’emprunter collectivement cet escalier ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Je vous remercie de vos propos, monsieur le sénateur. Votre constat est exact : si nous avons réussi à surmonter cette crise sanitaire dans l’Hexagone et dans les outre-mer, notre vigilance doit évidemment rester totale face au risque de résurgence de l’épidémie, qui se matérialise déjà par endroits.
La concomitance et l’intensité des vagues épidémiques en outre-mer ont justifié l’adoption de mesures de freinage fortes et précoces. Leur maintien dans la durée est parfois nécessaire, y compris là où la circulation virale baisse, pour éviter une résurgence. Cette stratégie est exigeante, difficile, au long cours. Elle doit être expliquée à la population, mais elle est efficace, nous en sommes convaincus, et les analyses menées par Santé publique France le confirment.
Aujourd’hui, cette situation sanitaire contrastée et fortement évolutive oblige les équipes sanitaires à rester vigilantes et réactives, comme elles le sont depuis le début de la crise.
Elles pourront évidemment compter jusqu’au bout sur le soutien du Gouvernement, même s’il n’y a malheureusement pas de recette miracle. Il faut continuer à mobiliser la solidarité nationale, à envoyer des renforts tant que cela est nécessaire et à maintenir en tension des dispositifs qui ont fait leurs preuves, si besoin au moyen d’actions de communication.
À Mayotte, les enjeux sont clairs : si les indicateurs épidémiologiques sont en diminution depuis plusieurs semaines, le territoire demeure particulièrement fragile et vulnérable, la principale raison étant la faible couverture vaccinale. En effet, seuls 44 % de la population globale à Mayotte disposent d’au moins une dose de vaccin.
C’est d’ailleurs sur ce point que je souhaite insister en conclusion, comme vous l’avez fait, monsieur le sénateur. Avec Olivier Véran et l’ensemble des équipes sanitaires du ministère, dans l’Hexagone comme dans les territoires ultramarins, je ne cesse de le répéter : faites-vous vacciner ! Nous ne pouvons nous satisfaire de chiffres aussi bas.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Monsieur le secrétaire d’État, l’heure est grave dans la plupart des territoires d’outre-mer.
Les chiffres sont alarmants, du fait notamment de la contagiosité accrue du variant delta. Les hôpitaux doivent faire face à un afflux massif de malades : les services de réanimation sont saturés, les urgences débordées…
En Nouvelle-Calédonie, où la vaccination a pourtant démarré en janvier, 32 % seulement de la population disposent d’un schéma vaccinal complet.
Sur ce faible taux se greffent les modes de vie communautaires océaniens et les multiples comorbidités qui frappent les Calédoniens, offrant un terrain propice au désastre sanitaire en cours.
La barre des 100 morts a été franchie la semaine dernière.
La situation sanitaire est aussi sombre en Guyane, où le taux d’incidence grimpe en flèche, alors qu’une large partie de la population reste, elle aussi, rétive, voire hostile au vaccin.
Les chiffres le démontrent : moins de 25 % des Guyanais sont totalement vaccinés. En conséquence, l’épidémie ne faiblit pas, et le nombre de décès atteint des niveaux inédits.
Est-il acceptable de voir des soignants « anti-vaccins » manifester devant un hôpital ?
Monsieur le secrétaire d’État, cette épidémie est devenue, dans les outre-mer, une épidémie des « non-vaccinés ». Face à ce drame, il y a urgence à agir, et la solution, nous le savons tous maintenant, c’est la vaccination.
Aussi, envisagez-vous de rendre obligatoire la vaccination dans les territoires ultramarins les plus touchés ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. S’agissant de la Nouvelle-Calédonie, je le disais tout à l’heure, Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer, s’y trouve actuellement, notamment, mais pas seulement, pour faire le point sur ce contexte sanitaire extrêmement tendu. Ce territoire avait pourtant, jusqu’en septembre dernier, été protégé du virus, grâce aux mesures de contrôle mises en place à l’époque pour limiter les déplacements.
Aujourd’hui, la situation est radicalement différente : le variant delta s’est diffusé de façon assez fulgurante sur tout le territoire en à peine quelques semaines.
Il y a toutefois quelques motifs d’espoir. Nous observons ces derniers jours une diminution du taux d’incidence, même si nous interprétons les données avec prudence, car la situation hospitalière se caractérise toujours par une forte tension. Nous espérons toutefois qu’un plateau a été atteint. Pour traverser cette période difficile, 291 professionnels de santé ont été envoyés sur place depuis l’Hexagone. Plusieurs tonnes de matériel et de produits de santé ont également été envoyées. La coopération entre la Nouvelle-Calédonie, autonome sur le plan sanitaire, et le gouvernement français est intense, et, à mon sens, exemplaire.
Vous parliez aussi d’obligation vaccinale, monsieur le sénateur. Il me semble que le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a voté, pour la population générale, une obligation vaccinale, dont les modalités de mise en œuvre mériteraient peut-être d’être précisées afin de s’assurer que l’ensemble de la population y a effectivement accès.
Quant à la Guyane, j’aurai probablement l’occasion d’y revenir tout à l’heure, mais elle est actuellement en pleine quatrième vague épidémique, avec une forte tension hospitalière et une situation particulièrement fragile qui nécessitera probablement des mesures supplémentaires.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour la réplique.
M. Pierre Médevielle. Il est vrai que le Gouvernement a fait des efforts importants en envoyant du matériel dans les endroits où l’épidémie a flambé, notamment en Nouvelle-Calédonie.
Nous ne voulons pas revoir ce que nous avons vu dans certains pays européens, lors des premières et deuxièmes vagues, quand les systèmes de réanimation étaient saturés.
La vaccination semble avoir été bien acceptée par la population en Nouvelle-Calédonie, avec la double échéance du 31 octobre et du 31 décembre. J’y vois un signe encourageant pour élargir ce processus à d’autres territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Monsieur le secrétaire d’État, la vaccination de l’ensemble des personnes éligibles, et non des seules personnes réputées fragiles, est aujourd’hui le moyen le plus efficace pour freiner, et peut-être un jour arrêter l’épidémie.
Elle réduit considérablement les risques de formes graves de la covid-19 et, plus important encore, le nombre de décès. Les études scientifiques l’ont montré. La « vie réelle » l’a montré également : les territoires les plus vaccinés sont aujourd’hui ceux où l’épidémie est la moins virulente et les décès les moins nombreux.
La vaccination est efficace, ouverte à tous, prise en charge à 100 %. Mais alors que notre pays a la chance de disposer de vaccins, force est de constater que la couverture vaccinale du territoire est très hétérogène, les territoires ultramarins étant loin derrière la moyenne nationale.
Guadeloupe, Saint-Martin, Martinique, Guyane : dans aucun de ces territoires, le taux de personnes avec au moins une dose ne dépasse 35 %, selon les chiffres de Santé publique France. La Guyane serait même le département le moins vacciné de France. C’est d’autant plus inquiétant que les outre-mer ont des prévalences de diabète, d’obésité et d’autres comorbidités avérées à la covid-19 bien supérieures à l’Hexagone.
Pire, alors que les Antilles et la Guyane ont connu une quatrième vague particulièrement sévère et meurtrière, aucun sursaut vaccinal ne semble survenir.
Nous cherchons tous à comprendre les raisons de cette réticence vaccinale, et la mission présidée par Bernard Jomier y consacre ses travaux en ce moment. Sont évoqués, tour à tour, la défiance envers le gouvernement central, la sensibilité à toute une série de fake news, le traumatisme consécutif au scandale du chlordécone, voire certaines influences religieuses.
Ma question est donc simple, monsieur le secrétaire d’État : quelle analyse faites-vous de cette réticence vaccinale ? Surtout, alors que la faible couverture vaccinale fait courir un danger immédiat, mais surtout futur face à de nouvelles vagues, en particulier si des variants présentant un risque d’échappement vaccinal devaient apparaître, quelles sont les actions concrètes que le Gouvernement et les autorités sanitaires sur place envisagent pour combattre ces réticences, « aller vers » et convaincre la population de la sécurité et de la nécessité de la vaccination ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur, pour être très précis, deux territoires dépassent les 35 % de couverture vaccinale : Mayotte et La Réunion, avec respectivement 44 % et 57 %. On constate en effet une disparité entre, d’une part, les Antilles-Guyane, et, d’autre part, les territoires de l’Océan indien, qui ont davantage recours à la vaccination, même si les marges de progrès sont encore réelles.
Je ne vais pas reprendre toute votre démonstration, complète et brillante, sur l’utilité et la nécessité du vaccin. Au-delà des défiances et des croyances, que vous avez parfaitement identifiées, le décalage s’explique aussi par le fait que certaines populations sont isolées géographiquement, socialement et dans le rapport qu’elles entretiennent avec les institutions. Les dispositifs « d’aller vers » jouent donc selon nous un rôle absolument crucial dans le succès de la campagne de vaccination.
Des initiatives sont prises dans les territoires ultramarins pour aller auprès des populations les plus éloignées et les plus fragiles.
À La Réunion, par exemple, en lien avec les communes, les centres commerciaux et la Croix-Rouge, l’agence régionale de santé organise des opérations de « vaccinobus » dans les différentes communes de l’île. Des opérations de vaccination éphémères sont également organisées dans des maisons de quartier ou des salles des fêtes.
À Mayotte, les lieux de vaccination changent chaque semaine, et ce en étroite collaboration avec les communes.
En Guadeloupe, des équipes mobiles sont déployées et une campagne progressive d’appels téléphoniques est en cours pour proposer, en priorité aux plus de 75 ans, des rendez-vous de vaccination, avec, si besoin, une organisation et une prise en charge des déplacements vers les centres.
En Guyane, des dispositifs spéciaux sont lancés, notamment une opération de vaccination au centre spatial de Kourou pour cibler les employés sur leur lieu de travail. On sait que cela facilite souvent la vaccination.
Enfin, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, de nombreuses opérations de vaccination éphémères ont été lancées, notamment dans certains atolls reculés.
Il faut rester ingénieux, souple et inventif pour essayer d’élargir au maximum cette couverture vaccinale, dont vous avez relevé qu’elle était encore largement insuffisante dans certains territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le secrétaire d’État, si j’avance le chiffre de 95 % des Guadeloupéens et de 92 % des Martiniquais, je n’évoque malheureusement pas les taux de vaccination contre le covid-19 de la population antillaise, mais le taux de contamination de celle-ci au chlordécone.
Pendant deux décennies, la France a continué à autoriser un produit dont la toxicité était avérée. Elle a laissé les cultivateurs de bananes s’empoisonner et tout empoisonner autour d’eux, et ce pour plusieurs siècles, car nous sommes incapables de décontaminer les sols et les réserves d’eau.
Trente ans plus tard, le rôle de l’État dans ce scandale sanitaire hors norme, étayé en 2019 par une commission d’enquête parlementaire, n’est reconnu que du bout des lèvres. La reconnaissance du lien de causalité entre le chlordécone et le cancer de la prostate n’est toujours pas établie par les autorités françaises. Les victimes n’ont jamais été indemnisées et votre quatrième plan chlordécone, présenté en mars, ignore largement ces enjeux.
Quel rapport avec le sujet qui nous occupe, me demanderez-vous ? Je le crois pourtant évident. Si la Guadeloupe et la Martinique sont, et de très loin, les deux départements qui connaissent le plus faible taux de vaccination – à peine 35 % de la population a reçu au moins une dose, soit un taux beaucoup plus faible que tous les autres territoires d’outre-mer –, c’est bien sûr tout sauf un hasard, même si l’on peut évoquer d’autres raisons. La confiance envers la puissance publique, les autorités sanitaires, et même la science, est largement entamée, pour ne pas dire rompue.
La vaccination est pourtant la seule option pour sortir de cette situation sanitaire, aggravée en outre-mer par un sous-investissement chronique dans l’hôpital public.
Ma question est simple, monsieur le secrétaire d’État : pour rebâtir la confiance et favoriser la vaccination en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et au-delà, le Gouvernement va-t-il enfin reconnaître les torts de la France dans le scandale du chlordécone et indemniser les victimes en conséquence ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur Gontard, vous avez raison de rappeler la responsabilité collective qui pèse sur nous pour rétablir la confiance éprouvée des habitants de ces territoires sur les questions de santé publique. Cette responsabilité m’oblige aussi à énoncer quelques vérités en réponse à votre interrogation.
Je le redis, l’affaire du chlordécone est un scandale que trop peu de Français connaissent à ce stade. Il n’en demeure pas moins que le Gouvernement agit afin d’apporter des réponses, conformément à l’engagement du Président de la République pris lors de son déplacement aux Antilles fin 2018.
Le Gouvernement est mobilisé pour que, face à cette pollution, l’État prenne sa part de responsabilité et avance sur le chemin de la réparation et des projets. Il a adopté, en février dernier, un nouveau plan stratégique dont vous connaissez les contours. En tant que parlementaire, vous êtes évidemment libre de le critiquer, mais il offre, je le crois, des solutions aux publics les plus touchés en concrétisant des promesses de longue date qui n’avaient jamais été tenues. Je pense par exemple à la reconnaissance du cancer de la prostate potentiellement causé par le chlordécone comme maladie professionnelle.
Je veux rappeler aussi que la gestion de la crise du covid, c’est tout le contraire du scandale du chlordécone. Il est de notre responsabilité collective de le dire. Loin des silences coupables, nous avons multiplié, dès le premier jour, les signaux d’alerte et les campagnes d’information. Jamais l’État n’a été aussi présent au quotidien pour accompagner les soignants et, plus largement, l’ensemble des Français touchés par le covid.
Rétablir la confiance, c’est déjà tirer les leçons des erreurs passées, et tout faire pour ne pas les reproduire. Je le répète, la gestion de la crise du covid n’a rien à voir avec celle du chlordécone. En l’occurrence, tout est dit, et toutes les publications scientifiques rigoureuses vont dans le même sens.
Unissons donc nos efforts pour en finir avec cette épidémie, en rétablissant la confiance auprès de nos compatriotes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le secrétaire d’État, « depuis deux semaines, il n’y a aucun lit disponible au centre hospitalier de l’Ouest guyanais, en pédiatrie, à la maternité […], aucun lit en service de médecine polyvalent, […] et surtout aucun lit en réanimation ».
Ce cri de détresse de Crépin Kezza, chef des urgences de ce centre, montre le décalage entre la métropole et nos collectivités d’outre-mer. Si les disparités sont importantes, nous souhaitons néanmoins interroger le Gouvernement sur ce décalage. Décalage dans le temps, décalage dans l’intensité, la vague d’épidémie qui frappe quasiment l’ensemble de nos collectivités d’outre-mer depuis l’été est un véritable choc et nous ne pouvons que soutenir nos concitoyennes et concitoyens ultramarins.
La Nouvelle-Calédonie, jusqu’à présent covid free, accuse plus de 100 morts en un mois sur ses 280 000 habitants. En Guadeloupe, où la situation s’améliore, ce taux demeure supérieur au seuil d’alerte.
Nous nous entendons tous pour dire que la campagne vaccinale permet de renverser ces tendances dramatiques. Mais cela ne suffit pas. Le manque de lits, le tri des patients, les personnels épuisés sont le résultat de sous-investissements chroniques. À Mayotte, on compte 300 lits au CHU alors qu’il en faut 900 en temps normal pour couvrir les besoins. En Guyane, on décompte 55 généralistes pour 100 000 habitants, alors que la moyenne nationale est de 104.
Ces déserts médicaux sont dénoncés chaque année, mais aucun véritable plan de rattrapage n’a été mis en place pour y remédier. Ces mêmes populations, qui souffrent là d’habitat insalubre, ici de coupures d’eau quotidiennes, ont une histoire bien à elles, qui alimente une crainte face aux injonctions du pouvoir éloigné d’elles, à Paris.
Ma question est simple, je vous l’accorde, monsieur le secrétaire d’État, mais elle est très vaste : comment, à travers les moyens mis en œuvre dans la campagne vaccinale, mais également dans le cadre d’un plan de plus long terme, le Gouvernement compte-t-il agir enfin, afin que l’inacceptable ne se reproduise plus ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Je ne sais si votre question est simple, madame la présidente Assassi ; elle est vaste, assurément, et sans doute considérerez-vous comme incomplets les éléments de réponse que je vais tâcher de vous donner. Aux difficultés réelles et connues que vous avez énumérées, le Gouvernement essaie d’apporter - et apporte - des réponses. Il le fait notamment, j’y reviendrai, à travers le Ségur de la santé, qui s’attaque à un certain nombre de problèmes structurels que vous soulevez.
La Guyane disposait initialement de 20 lits de réanimation. Nous avons porté à 48 le nombre de lits de réanimation armés et nous pourrions monter à 61 si la situation le nécessitait. Le Ségur a permis de rattraper, en de nombreux endroits, un retard accumulé, vous le savez, depuis de très nombreuses années. (Mme Éliane Assassi le conteste.) Il permet également de mieux préparer ces territoires aux nouveaux enjeux en matière sanitaire, de soutenir les professionnels de santé, engagés bien au-delà de la seule situation liée à la covid.
Le temps m’étant compté, je m’en tiendrai à quelques faits marquants : 53 000, c’est le nombre de personnels qui ont déjà été revalorisés, en cumulé, en Guadeloupe, en Martinique, à Mayotte, à La Réunion et en Guyane ; 1,57 milliard d’euros, c’est le montant du plan pour relancer les investissements en santé dans ces mêmes territoires.
Derrière ces montants parfois peu parlants, il y a des actions très concrètes, qui concernent nos concitoyens et les professionnels de santé. Je citerai par exemple en Guadeloupe un projet d’investissement médico-social de plusieurs millions d’euros pour rénover les bâtiments ; en Martinique, le développement d’une plateforme numérique en mode SaaS, Software as a Service, qui va permettre aux patients d’accéder à une information rapide au sujet des soins non programmés ; enfin, en Guyane – et vous comprendrez que j’y sois particulièrement sensible –, le renforcement d’une filière de périnatalité pour traiter ce qui est, là-bas, un important problème de santé publique.
Tels étaient les quelques exemples que je souhaitais évoquer, certains de très court terme en réponse à l’épidémie de covid, d’autres de plus long terme, liés au Ségur de la santé. Ce dernier permet de rattraper des retards accusés depuis trop longtemps par ces territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Monsieur le secrétaire d’État, je tiens à associer mon collègue Gérard Poadja, sénateur de la Nouvelle-Calédonie, à ma question.
Il y a à peine un an, la Nouvelle-Calédonie tenait une deuxième consultation sur son autodétermination. Après une mobilisation historique, le « non » l’emporte, conduisant les indépendantistes à solliciter une troisième consultation, dont la date a été fixée par le Gouvernement au 12 décembre prochain.
Toutefois, dans un contexte sanitaire inquiétant, des voix – majoritairement indépendantistes – se sont élevées pour envisager le report d’un tel référendum, par crainte d’une forte abstention.
Face à un taux d’incidence élevé, à un taux de vaccination de 42 % insuffisant, et à des capacités d’accueil hospitalières en surchauffe, et après le décès de 160 de nos compatriotes calédoniens, le Gouvernement et le haut-commissaire ont acté la prolongation du confinement pour deux semaines.
Monsieur le secrétaire d’État, malgré les renforts de près de 300 soignants volontaires de la réserve sanitaire, et alors que le ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, est actuellement sur place pour faire le point sur l’évolution de la pandémie, craignez-vous que les conditions sanitaires ne permettent pas la tenue de ce troisième référendum ? Quel dialogue envisagez-vous avec l’ensemble des parties prenantes à cet égard ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur Longeot, je ne reviendrai pas sur les éléments de contexte précédemment développés sur la situation sanitaire en Nouvelle-Calédonie. Soyez assuré néanmoins, je vous le répète, que cette situation fait l’objet d’un suivi attentif de la part du Gouvernement.
S’agissant du potentiel impact de l’épidémie sur la tenue du référendum prévu en décembre prochain, je vous apporterai une réponse coordonnée avec le ministre des outre-mer, qui vient d’atterrir, vous le savez, ce mardi même en Nouvelle-Calédonie. En plus des questions relatives à la crise sanitaire, à son évolution et à ses conséquences économiques, il y abordera la question du référendum.
Je rappelle qu’aux termes de l’accord de Nouméa, la date de la consultation est fixée par l’État. À ce jour, les préparatifs se poursuivent. Nous devons être prêts pour le 12 décembre, date arrêtée en juin après des discussions approfondies avec toutes les composantes politiques calédoniennes.
Organiser des scrutins de manière sereine dans de telles circonstances est possible. De nombreux pays l’ont fait : les États-Unis, l’Allemagne, le Portugal, Israël, etc. Notre rôle consiste à s’assurer que la campagne, d’une part, et le scrutin, d’autre part, puissent se tenir de manière sereine et sincère. C’est exactement ce à quoi œuvre le ministre, avec l’ensemble des acteurs locaux. Il aura très certainement l’occasion d’en parler très prochainement avec l’ensemble des élus de l’île, dont M. Poadja.
Voilà quelques éléments de réponse, en attendant le résultat des échanges que le ministre aura sur place.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour la réplique.
M. Jean-François Longeot. Je suis heureux d’entendre que c’est l’État qui fixe la date de la consultation et que celle-ci reste fixée au 12 décembre. Je me réjouis que vous puissiez tenir le cap et que tout soit mis en place pour que cette troisième consultation se déroule à la date indiquée, dans les meilleures conditions possible.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. Saint-Pierre-et-Miquelon est le seul territoire ultramarin exclu de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire depuis le 21 septembre. Saint-Pierre-et-Miquelon, c’est 31 cas de covid identifiés depuis le début de la crise – 31 cas guéris –, mais c’est aussi 90 % de la population vaccinée en première dose – un taux sinon satisfaisant, du moins exemplaire –, et 88 % de la population vaccinée en seconde dose. Peut-être d’ailleurs Saint-Pierre-et-Miquelon aurait-il pu servir de modèle, à bien des égards, s’agissant de la territorialisation des mesures appliquées aux territoires ultramarins, voire hexagonaux.
Depuis le 4 octobre ont été mises en place de nouvelles conditions de circulation, de et vers les outre-mer depuis l’Hexagone. Permettez-moi, monsieur le secrétaire d’État, de vous adresser deux demandes de précisions concernant spécifiquement Saint-Pierre-et-Miquelon.
Voici la première : quand vous revenez de Paris en passant par Montréal en transit international, vous devez fournir un test PCR, même si votre parcours vaccinal est complet.
Sauf erreur de ma part, Saint-Pierre-et-Miquelon est le seul territoire ultramarin dans cette situation.
Pour l’expliquer, le représentant de l’État avance comme argument que la réglementation canadienne impose ce test PCR. Pour autant, quand vous partez de Saint-Pierre-et-Miquelon, en transit via Montréal pour vous rendre à Paris, ce test n’est pas requis. Pourquoi cette exigence s’impose-t-elle aux personnes présentant pourtant un parcours vaccinal complet ?
Ma deuxième demande de précisions porte sur le déremboursement des tests PCR prévu d’ici au 15 octobre. Comment justifier auprès d’une population presque intégralement vaccinée que les tests PCR ne seront pas remboursés, alors qu’ils sont imposés par la puissance publique ? Il ne s’agit pas de tests de confort, si tant est que le Gouvernement entende les maintenir.
J’ai une autre inquiétude. Le préfet a suggéré que les tests antigéniques, également valables quarante-huit heures avant le départ depuis Paris, ne seraient pas conseillés par rapport aux règles sanitaires en vigueur au Canada. Si ces tests ne sont pas valables, alors il faut les sortir du décret d’application.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Nous comprenons les incompréhensions qu’ont pu éprouver nos concitoyens ces derniers mois, face à des règles qui ont dû évoluer pour s’adapter à des réalités nouvelles, au risque que le quotidien de certains s’en trouve complexifié.
Vous m’interrogez sur les conditions d’entrée sur le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon. Je vous renvoie au communiqué de presse publié hier par la préfecture à ce sujet. La réglementation prévoit que les personnes vaccinées en provenance de l’Hexagone et à destination de Saint-Pierre-et-Miquelon n’ont plus à réaliser de test. Cette règle s’applique pour les vols directs, qui toutefois ne fonctionnent que pendant la saison estivale. Pour les voyageurs en provenance de l’Hexagone et qui passent en transit par le Canada, la réglementation canadienne prévoit bien un test. Le communiqué de presse précise qu’il doit s’agir d’un test PCR, compte tenu du fait que le Canada n’accepte pas les tests antigéniques.
J’invite évidemment toutes celles et tous ceux qui se rendent à Saint-Pierre à se fier entièrement aux informations contenues dans ce communiqué de presse en date du 4 octobre. Si des informations différentes ont pu être diffusées ailleurs, soyez assuré que les équipes concernées font le maximum pour mettre tout cela en cohérence.
Sur la question de la gratuité des tests, je tiens là aussi à clarifier les choses : pour les personnes vaccinées qui seraient toutefois invitées à réaliser un test PCR, celui-ci sera bien pris en charge par l’assurance maladie. Pour les personnes non vaccinées, ce test sera en revanche considéré comme un test de confort réalisé en vue d’un voyage ; il restera donc à la charge des intéressés.
S’agissant des tests antigéniques, je crois que vous n’avez pas obtenu de réponse de la part de votre caisse locale. Nous avons fait remonter ce point et la réponse devrait vous arriver très prochainement.
Sur tous ces points, je salue votre vigilance. Elle nous invite à apporter la plus grande clarté aux informations que nous communiquons à nos concitoyens afin d’éviter toute confusion.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le secrétaire d’État, alors que la France métropolitaine s’inscrit dans le plan de relance et réfléchit à la « France de demain », les départements et territoires d’outre-mer sont toujours en situation de gestion de crise.
La situation de leurs entreprises est rendue extrêmement compliquée par l’état d’urgence sanitaire. La persistance des mesures de restriction a entraîné l’arrêt de nombreux secteurs essentiels à leur économie, à commencer par le tourisme, dans des proportions sans commune mesure avec ce qu’a subi la métropole.
De plus, les entreprises sont très affectées par les difficultés d’approvisionnement. Elles subissent une hausse du prix du fret et des matières premières. Cela est d’autant plus délétère pour l’économie ultramarine que son marché est de taille plus réduite. Pour les entreprises qui souhaitent a minima se pérenniser et celles qui viennent à peine de se créer, ce contexte compromet gravement leur viabilité et constitue une menace pour l’emploi.
Malgré les annonces du Gouvernement concernant les nouvelles modalités d’accompagnement de l’État, les milieux économiques jugent certaines propositions insuffisantes, inadaptées ou imprécises.
Monsieur le secrétaire d’État, que comptez-vous faire pour adapter les conditions d’éligibilité au fonds de solidarité au contexte ultramarin, dont le tissu d’entreprises est essentiellement fait de très petites entreprises (TPE) ? Que comptez-vous faire pour accélérer le traitement des dossiers et le rendre plus souple pour les entreprises ? Comptez-vous prolonger le dispositif d’aides jusqu’au 31 décembre 2021, en particulier pour le secteur touristique, qui a vu sa saison réduite, et accuse donc une lourde perte de chiffre d’affaires ? En résumé, qu’avez-vous donc prévu pour vraiment soutenir l’économie ultramarine en grande difficulté ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice, nous partageons votre constat sur l’impact économique de la covid, même si je doute que nous partagions totalement l’analyse que vous faites des réponses qui ont pu être apportées par le Gouvernement.
Pour minimiser l’impact de la covid sur les particuliers, le déploiement des divers dispositifs a été, je crois, rapide et efficace, et souligné par tous. La mise en œuvre de l’activité partielle, par exemple, a permis de soutenir les ménages. Le suivi des besoins précis des populations, notamment des plus précaires, a été attentif ; il a donné lieu, quand c’était nécessaire, à des appuis plus ciblés encore.
Pour les entreprises cette fois-ci, et notamment pour les plus petites d’entre elles, le choc économique a en effet été sans précédent. Il a été néanmoins contenu, me semble-t-il, par rapport aux anticipations qui avaient pu être faites, sous l’effet des mesures publiques d’aides déployées et grâce aux leviers de résistance internes aux outre-mer.
L’impact sur l’emploi global est resté limité en raison du secteur public dans ces territoires. Le choc de la crise a été contrasté selon les géographies. En 2020, le PIB a ainsi reculé de 4,2 % à La Réunion et de 3 % aux Antilles. Le repli est estimé autour de 6 % en Nouvelle-Calédonie et à 7,6 % en Polynésie, soit une évolution similaire d’ailleurs à celle de la France hexagonale, où le repli a été de 7,9 %.
Nous devons ces résultats à la mobilisation sans précédent du Gouvernement. Tout au long de cette période, de nouveaux outils, évolutifs, ont été créés ou adaptés aux outre-mer. Ces derniers ont ainsi pu bénéficier d’aides plus importantes ou décalées dans le temps par rapport à l’Hexagone. À ce jour, les aides consacrées aux outre-mer représentent plus de 6 milliards d’euros, dont 3,5 milliards d’euros de prêts garantis par l’État, 1 milliard d’euros correspondant au fonds de solidarité, 830 millions d’euros de reports de charges pour les entreprises et près de 650 millions d’euros liés à l’activité partielle.
Nous sommes de nouveau dans une situation qui appelle un traitement différencié outre-mer. Vous avez raison sur ce point et nous partageons cette analyse avec les acteurs économiques, avec qui nous sommes naturellement en relation régulière. Leurs propositions sont prises en compte. La trajectoire d’extinction du fonds de solidarité a ainsi été stoppée pour les territoires qui, au mois d’août, ont été soumis à l’état d’urgence sanitaire et placés sous le régime du confinement ou du couvre-feu pendant au moins vingt jours.
Vous voyez, madame la sénatrice, nous nous évertuons à rester pragmatiques, au plus près des situations locales, pour plus d’efficacité.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le secrétaire d’État, je sais bien que le Gouvernement a pris des mesures importantes pour gérer cette crise outre-mer. Les dispositifs appliqués demanderaient néanmoins davantage d’adaptations. La crise dure ; elle va durer encore. Nous devons continuer à nous tenir aux côtés de ces territoires.
Enfin, je suis convaincue que, de même qu’en métropole, c’est la vaccination qui permettra de sortir l’économie ultramarine de la crise.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Petrus.
Mme Annick Petrus. À Saint-Martin, si le Centre hospitalier Louis-Constant-Fleming a réussi, tant bien que mal, à affronter une situation d’extrême tension grâce à la mobilisation constante et admirable de ses équipes médicales, il n’en est pas moins vrai que des difficultés demeurent.
Lors de la séance des questions au Gouvernement du 22 septembre dernier, j’ai eu à faire remonter les plus urgentes. La prise en compte par l’État d’une demande de financement d’un laboratoire d’analyse intra-muros à l’hôpital nous satisfait et nous vous en remercions.
Cependant, l’autre grande urgence pour la population saint-martinoise est bien la prise en charge des évacuations sanitaires. Il existe une réelle perte de chance pour les Saint-Martinois du fait que nous ne pouvons pas bénéficier de l’hélicoptère de la sécurité civile de la Guadeloupe, et que le décollage des avions n’est pas possible de nuit.
Je reste persuadée – et je ne suis pas la seule – qu’un troisième hélicoptère dans la grande zone Antilles, dédié aux îles du Nord et mutualisé entre les deux hôpitaux, la gendarmerie, la sécurité civile, les sauveteurs en mer, est la seule solution pérenne qui permettrait de garantir à la population saint-martinoise une prise en charge répondant aux mêmes exigences que celles qui sont requises sur le territoire hexagonal en termes d’accès aux soins. J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que cette solution est à l’étude…
Par ailleurs, la gestion de la crise sanitaire à Saint-Martin, en particulier l’instauration d’un passe sanitaire, mériterait des ajustements. La double insularité et le partage de l’île rendent cette gestion compliquée. La fragilité économique et sociale se verrait aggravée par la mise en place d’un passe sanitaire sans ajustement. Économiquement, nous serions concurrencés par le côté néerlandais, dont nous n’avons pas la maîtrise : ce qui est interdit en France ne l’est pas de l’autre côté de l’île.
Enfin, d’un point de vue social, dans un contexte où 50 % du personnel n’est pas vacciné au centre hospitalier et presque autant chez nos sapeurs-pompiers, le principe d’une obligation vaccinale ne manquera pas d’aggraver les difficultés que j’ai mentionnées.
Comptez-vous tenir compte, de nos spécificités monsieur le secrétaire d’État, dans l’application de la loi ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice, l’hôpital de Saint-Martin est confronté évidemment, comme tant d’autres, à de nombreux enjeux depuis le début de la crise sanitaire. Cette crise a révélé, amplifié parfois, un certain nombre de difficultés préexistantes. Cet hôpital est membre du groupement hospitalier territorial (GHT) des îles du Nord, lequel place sous direction commune les centres hospitaliers des deux îles, ainsi que les deux Ehpad. L’hôpital de Saint-Martin fonctionne ainsi en partenariat avec un laboratoire et un cabinet de radiologie privés.
En termes d’actualité récente, permettez-moi de souligner la mise en place d’une hotte de préparation des chimiothérapies financée par l’agence régionale de santé. L’objectif est de permettre aux patients de réaliser leur traitement, lorsque cela est possible, en ambulatoire sur l’île sans devoir aller en Guadeloupe.
Cela m’amène à la question des évacuations sanitaires, à la particularité de ce centre hospitalier et à la charge très lourde des évacuations sanitaires vers la Guadeloupe et la Martinique. Un marché existe, dont le budget annuel est d’environ 2,5 millions d’euros. Le ministère des solidarités et de la santé a pris en compte cette charge et un financement complémentaire est en cours de déploiement.
La question d’un hélicoptère supplémentaire dans la zone est posée, car le décollage et l’atterrissage de nuit sont très problématiques. Un audit devrait être demandé conjointement par l’agence régionale de santé et la préfecture à ce sujet.
Nous avons pris connaissance, par ailleurs, de la demande d’investissement de 17,5 millions d’euros formulée par le centre hospitalier de Saint-Martin dans le cadre de l’investissement du Ségur. Le montant précis de cet accompagnement n’a pas encore été arrêté. Je tiens à saluer à cet égard, madame la sénatrice, votre participation active au comité régional d’investissement du Ségur.
Concernant enfin le passe sanitaire et les différences d’application entre les parties néerlandaise et française de l’île, nous avons bien conscience des interrogations que cela peut soulever sur le terrain. Pour autant, je pense que nous aurions tort de nous comparer avec la partie néerlandaise, qui n’a donc pas mis en place de passe sanitaire. Faisons tout notre possible, au contraire, pour faciliter son application sur la partie française. Vous savez qu’il s’agit là d’un des outils importants de lutte contre la propagation du virus.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le secrétaire d’État, tout d’abord je tiens à saluer l’effort de solidarité exceptionnel et le soutien puissant des renforts nationaux face à la flambée épidémique due au variant delta dans les territoires outre-mer.
Les sénateurs de l’Union Centriste estiment que la politique de vaccination devrait prendre en compte les facteurs socioculturels freinant la campagne de vaccination, les raisons historiques et humaines à l’origine de la défiance de la population vis-à-vis du Gouvernement.
Incontestablement, cela a été dit et répété, la vaccination est la seule solution pour prémunir ces territoires contre une cinquième vague. Recourir uniquement à des mesures contraignantes ne fonctionne pourtant pas, vous en conviendrez, monsieur le secrétaire d’État. La qualité de l’information dispensée est très importante.
En outre, il convient de prendre en considération la résistance sociale des Ultramarins, qui n’ont malheureusement pas conscience de l’urgence de la situation.
La communication est souvent contradictoire et, assurément, votre moyen d’action pour infléchir la courbe de l’épidémie, c’est la pédagogie. Il faut comprendre à qui l’on s’adresse. La méfiance envers les médias et l’importance accordée à la médecine traditionnelle sont autant de freins à la progression de la vaccination.
Aux Antilles, les gens sont habitués à se soigner par des plantes, avec des sirops à base d’herbes à pic, qu’ils estiment suffisants pour renforcer l’immunité contre la covid. Pourtant, ce traitement complémentaire n’est pas un traitement alternatif. N’oublions pas non plus le poids de l’Histoire. Plusieurs de nos collègues ont rappelé le scandale du chlordécone, ce pesticide nocif massivement utilisé aux Antilles jusque dans les années 1990, alors qu’il était interdit dans l’Hexagone.
Ces circonstances permettent parfois de comprendre pourquoi l’État n’est plus considéré comme légitime, ou encore pas assez protecteur, aux yeux d’une partie de la population.
Cette posture de résistance face aux décisions du Gouvernement est souvent mal comprise. Comment comptez-vous, monsieur le secrétaire d’État, agir pour débloquer la situation et augmenter le taux de couverture vaccinale outre-mer ? Comment entendez-vous relever le défi de la communication ? Quel est le rôle des influenceurs et des personnalités politiques pour faire passer les messages à la population – même si certains ont vraiment fait leur devoir et je les en remercie ? Quelle est, enfin, votre stratégie pour lutter contre les fausses informations circulant sur les réseaux sociaux autour de la vaccination ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice, vous évoquiez la solidarité dont ont fait preuve un certain nombre de professionnels de santé de l’Hexagone envers les territoires d’outre-mer. Cela a été le cas aussi d’un certain nombre d’élus locaux ; je pense en particulier à la présidente du conseil départemental de la Creuse, Valérie Simonet, qui est partie pour l’outre-mer, parmi d’autres élus, afin d’apporter son soutien à ces territoires.
Votre question m’offre l’occasion de rappeler une fois encore, comme d’autres ici ont pu le faire, combien la vaccination est évidemment centrale pour lutter contre cette épidémie. Certains des chiffres présentés précédemment sont encourageants, d’autres sont plus inquiétants.
En Guadeloupe, le taux de vaccination reste insuffisant malgré les efforts déployés. En complément de l’offre vaccinale existante, des centres de vaccination éphémères ont été installés, l’agence régionale de santé pilote depuis six mois chaque semaine un comité de vaccination qui réunit l’ensemble des acteurs concernés, les actions de communication se succèdent. Pourquoi sommes-nous malgré tout encore loin de nos objectifs dans ce territoire ? Je ne saurai le dire…
En Guyane, l’élargissement de la vaccination aux plus de cinquante ans, puis aux plus de trente ans, puis aux plus de dix-huit ans, a été beaucoup plus précoce que dans l’Hexagone. Les opérations d’« aller vers » ont été massives – je l’évoquais dans une intervention précédente. Et pourtant, les hésitations, les inquiétudes, restent très répandues et le manque de confiance vis-à-vis du vaccin se maintient. Pourquoi ces fausses informations continuent-elles de circuler en dépit de tous nos efforts ?
Enfin, à La Réunion, si le taux de vaccination s’approche des niveaux satisfaisants, nous devons encore aller plus loin. Comment faire ? La réponse n’est pas si simple, mais je la rappelle : en continuant à compter sur la très forte mobilisation de l’ensemble des autorités sanitaires et des professionnels de santé ; en vainquant les réticences persistantes contre la vaccination via la démultiplication des campagnes de communication et en luttant contre les fake news. Cela passe également par des déclarations de responsables politiques, dont certains ont une véritable autorité dans les territoires, qui soient sans ambiguïtés. Cela n’a pas été toujours le cas ces derniers temps dans certains territoires…
Enfin, nous devons renouveler nos approches. La défiance vis-à-vis des responsables politiques, parfois même des autorités sanitaires, reste importante. Il y a probablement dans les territoires, dans une approche plus communautaire, des relais d’opinion que nous devons probablement mobiliser davantage afin de convaincre la population de se faire vacciner, de renouer avec la confiance dans la raison, dans la science, dans la vaccination.
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Monsieur le secrétaire d’État, alors que les premières vagues nous ont plus ou moins épargnés, cette quatrième vague a été meurtrière et a révélé les limites des moyens existants, tant humains que matériels. À ces carences se sont ajoutées des difficultés liées à une très mauvaise communication de la part de la directrice générale de l’ARS, qui n’a pas facilité les relations avec la population et même avec certains médias.
La mise en place tardive des restrictions concernant les vols transatlantiques n’a pas permis d’éviter cette vague et les propos irrespectueux, moralisateurs et méprisants, notamment sur les médias nationaux, qui ont relayé certaines fake news ont compliqué, dans un contexte de méfiance, la communication institutionnelle.
Si des moyens matériels et humains ont été mobilisés en urgence au titre de la solidarité nationale – je tiens à exprimer mes remerciements à cet égard, monsieur le secrétaire d’État –, la dégradation de la situation épidémique était prévisible et pouvait être anticipée plusieurs semaines en amont.
En effet, certaines conséquences de la propagation du variant delta ont été amplifiées en raison des retards structurels que connaissent nos territoires en matière de santé.
Des professionnels venus en renfort ont constaté les manques en respirateurs et en oxygène, ils ont qualifié la situation de maltraitance sanitaire et, après leur départ, ils ont avoué, parfois sur des médias nationaux, avoir été amenés à trier des patients.
Comme je l’ai souvent rappelé dans cet hémicycle, en particulier à chaque discussion budgétaire, nos établissements de santé, qui sont déjà largement sous-dotés, doivent en outre faire face à des surcoûts importants liés au fonctionnement, à la maintenance et à l’amélioration continue de la qualité.
Il faut souligner l’implication des élus locaux au sein du comité de suivi présidé par le préfet. Malheureusement, les médecins de ville n’ont pas été suffisamment pris en compte.
Il est nécessaire de repenser la politique sanitaire en outre-mer de façon différenciée, en particulier en Guadeloupe, qui est un archipel.
De même, les tentatives de l’ARS de Guadeloupe de démanteler les structures locales de santé et de coordination, comme le groupement d’intérêt public - réseaux et actions de santé publique en Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy (GIP-RASPEG), sont problématiques et témoignent d’une grave méconnaissance de la réalité de nos territoires.
Monsieur le secrétaire d’État, quelles mesures différenciées comptez-vous prendre pour la Guadeloupe ? Que comptez-vous faire pour répondre aux élus, en particulier aux présidents des différentes collectivités qui ont écrit au Gouvernement pour lui dire qu’ils ne sont pas toujours d’accord avec les mesures prises ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice Victoire Jasmin, à l’occasion de votre question, je voudrais saluer l’ensemble des personnels de santé de métropole et d’outre-mer, qu’ils travaillent en administration centrale ou sur le terrain. Je vois concrètement, depuis deux ans, leur investissement et leur engagement, jour et nuit, au service de nos concitoyens.
En ce qui concerne plus précisément la Guadeloupe, et pour aller au-delà des questions de personnes, vous évoquez des problèmes de communication et de coordination entre l’ensemble des acteurs sur le territoire. Je connais votre implication personnelle sur les sujets sanitaires et le soutien que vous apportez au GIP-RASPEG. Je rappelle que ce groupement d’intérêt public, qui a été créé en 2014 avec le soutien de l’ARS, a permis à la Guadeloupe d’être en avance en termes de coordination entre les professionnels. Sa création avait notamment permis à l’époque de rapprocher les réseaux de santé et la plateforme territoriale d’appui. D’autres initiatives ont été prises depuis lors pour toujours mieux structurer le tissu médico-social local.
Le GIP-RASPEG a évolué depuis sa création. Son activité a fait l’objet d’un suivi attentif de la part de l’ARS qui est, je le rappelle, son seul financeur et qui doit veiller, à ce titre, au bon usage des fonds publics et, de manière plus générale, au respect du cadre réglementaire – tout le monde le comprendra aisément.
C’est dans le cadre de cette mission qu’un audit a été planifié en 2019 : il a mis en évidence l’intérêt de transformer le GIP en un DAC, un dispositif d’appui à la coordination. Je rappelle d’ailleurs que la mise en place d’un DAC est une obligation légale depuis 2019.
Pour réaliser cette transformation, un marché public a été ouvert, l’ARS a été accompagnée par un cabinet de conseil, des comités de pilotage ont été installés et la démarche a été partagée. L’ensemble des acteurs de terrain a été associé à cette démarche et les différentes autorités de l’État – préfecture, ARS, etc. – ont partagé leurs informations et leurs réflexions.
Dans ce type de situation, comme dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire, je plaide pour le maintien d’un tel dialogue : il peut parfois être franc, pour reprendre un terme consacré, mais il est indispensable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Micheline Jacques.
Mme Micheline Jacques. Monsieur le secrétaire d’État, chaque fermeture des frontières équivaut à mettre Saint-Barthélemy à l’arrêt. Pour sortir de ce fonctionnement sur courant alternatif, une des clefs est la réduction de la dépendance à l’extérieur en matière d’offre de soins.
La gestion de l’épidémie a montré, s’il en était besoin, que l’adaptation à la réalité de l’île a été gage d’efficacité et l’implication de la collectivité a sans nul doute permis d’optimiser les dispositifs de gestion de crise. Dès le premier confinement, elle a pris l’initiative d’équiper massivement l’île en capacités de tests PCR rapides. Un protocole de test et des décisions concertées ont permis de juguler les pics de contamination avec des mesures de restriction relativement limitées.
Le pragmatisme commande désormais de pérenniser et de formaliser cette implication – c’est du reste ce que souhaite la collectivité de Saint-Barthélemy depuis plusieurs années – pour disposer d’une organisation et d’une offre de soins davantage territorialisées.
La gestion du service de proximité de la sécurité sociale favorisera l’amélioration du service aux usagers.
Il s’agit de plus d’exploiter les possibilités offertes par le statut d’hôpital de proximité pour aller vers plus d’autonomie, en réduisant le nombre d’échelons décisionnels, tout en étoffant l’offre de soins.
Ce dernier objectif suppose des moyens matériels et de sécurisation des évacuations sanitaires qui doivent être pensés à l’échelle du groupement hospitalier formé avec Saint-Martin. L’hôpital de Saint-Martin ne dispose pas de lit de réanimation et un hélicoptère basé sur place sécuriserait les évacuations sanitaires, notamment de nuit.
À l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit « 3DS », le Sénat a adopté un amendement visant à demander un rapport au Gouvernement sur l’organisation du système de santé et de la sécurité sociale à Saint-Barthélemy. Ce rapport doit permettre de dresser un état des lieux précis et de mettre sur la table toutes les solutions possibles pour repenser une offre de soins étoffée à Saint-Barthélemy. Cet amendement a été soutenu par le ministre des outre-mer.
Pouvez-vous me confirmer, monsieur le secrétaire d’État, que le ministre des solidarités et de la santé y est également favorable ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice, l’offre de soins disponible à Saint-Barthélemy est constituée d’un hôpital, qui fait l’objet d’un projet de restructuration et d’extension de ses activités pour un montant de 4,5 millions d’euros, ainsi que d’un Ehpad et d’un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) rattachés à l’hôpital et gérés par lui. Elle est complétée par une offre privée d’hospitalisation à domicile et il existe un projet de pôle médico-social commun avec Saint-Martin pour un montant total de 40 millions d’euros.
En ce qui concerne l’offre de soins en libéral, elle nous paraît suffisante. Un laboratoire d’analyses médicales et un scanner sont installés à Saint-Barthélemy, ce dernier, sis à l’hôpital, étant exploité par des radiologues privés de Saint-Martin.
Au-delà de la question de l’offre de soins, je sais qu’il existe une préoccupation, portée notamment par le président de la collectivité, pour doter l’île de sa propre caisse d’assurance maladie. Cette proposition soulève, à notre sens, de très nombreuses difficultés et pourrait avoir des répercussions sur le quotidien des usagers.
Des échanges ont néanmoins eu lieu autour de l’idée d’installer une antenne sur place afin de gagner en réactivité – c’est l’un des objectifs de la proposition de création d’une caisse locale –, mais je dois avouer que, même sur cette question, un travail important de faisabilité reste à mener. En tout cas, sachez que des réflexions sont en cours.
Nous sommes évidemment nombreux à souhaiter qu’une inégalité ne se crée pas entre une clientèle aisée, qui pourrait bénéficier d’établissements privés, et les natifs, qui seraient exclus d’un accès à des soins de qualité.
Il faut souligner que le maintien du service public constitue un défi à bien des égards. Je pense notamment au prix des logements, élevé sur l’île – louer un studio peut coûter 2 500 euros –, ce qui oblige l’hôpital à louer des logements pour ses agents, qui, autrement, n’arriveraient pas à se loger. Cela met l’hôpital en difficulté et un travail se poursuit sur ces sujets entre la collectivité et l’ARS.
Je me permets également de renvoyer à de telles discussions l’autre sujet que vous avez évoqué, à savoir les capacités d’évacuation sanitaire.
Il me semble, pour conclure, que sur toutes ces questions le dialogue entre les différentes autorités locales doit se poursuivre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le secrétaire d’État, nous arrivons au terme de ce débat et j’aurai, pour ma part, trois questions à vous poser.
Ma première question concerne le nombre de lits disponibles dans les services de soins critiques. La Cour des comptes a récemment rendu une enquête sur ce sujet à notre commission des affaires sociales, dans laquelle la situation ultramarine a été jugée trop complexe et particulière, nécessitant une analyse complémentaire. Comment adapter, selon vous, les besoins en lits de réanimation aux spécificités des outre-mer – je pense notamment aux évacuations sanitaires, Annick Petrus en a parlé, rendues complexes du fait de l’éloignement ou de la multi-insularité ?
Ma deuxième question concerne les renforts provenant de la réserve sanitaire. Combien de personnes ont été déployées outre-mer à l’occasion de la quatrième vague et combien le seront ou devraient encore l’être prochainement ?
Ma troisième question concerne les soignants. Alain Milon a évoqué la réticence vaccinale qui existe outre-mer dans la population, y compris parmi les soignants. Avez-vous évalué le nombre de soignants non vaccinés ? Le ministre des solidarités et de la santé a annoncé que la loi serait appliquée avec souplesse outre-mer. Comment comptez-vous convaincre les soignants ? Des personnes ont-elles été suspendues de leurs fonctions ? Si oui, combien ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice, je me permettrai de répondre à vos questions en commençant par la fin.
S’agissant de la couverture vaccinale des professionnels de santé dans les territoires d’outre-mer, le taux de couverture des libéraux reste inférieur à celui de la métropole : en Guadeloupe – les taux sont à peu près les mêmes en Guyane –, 73 % avec une dose et 68 % pour un schéma vaccinal complet contre environ 95 % en métropole ; à La Réunion, en revanche, les taux sont proches de ceux de la métropole – 94 % des professionnels libéraux ont reçu une dose et 91 % un schéma vaccinal complet.
Pour les professionnels qui exercent en Ehpad, les taux sont eux aussi très largement inférieurs dans certains territoires. En Guadeloupe, les différences sont de la même ampleur que dans la population générale. À La Réunion, 86,7 % des professionnels de santé qui exercent en Ehpad ont suivi un schéma vaccinal complet.
Il faut continuer la pédagogie et expliquer aux professionnels de santé l’impérieuse nécessité de se faire vacciner.
En ce qui concerne les renforts envoyés outre-mer, 1 053 personnes l’ont été, depuis le 10 août, au titre de la réserve sanitaire et 2 815 au titre de la solidarité nationale ; 1 078 sont encore sur place à ce jour. De nouveaux renforts seront envoyés en tant que de besoin et autant que cela sera nécessaire.
Enfin, au sujet du nombre de lits en soins critiques, j’en ai parlé tout à l’heure en ce qui concerne la Guyane, où nous avons réarmé des lits afin d’augmenter les capacités de prise en charge. Là encore, nous continuerons de le faire en fonction de l’évolution de la situation, si cela s’avère nécessaire. Nous espérons néanmoins que la situation s’améliore.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Georges Patient, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer.
M. Georges Patient, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cela a été dit, la situation sanitaire est très préoccupante dans les territoires d’outre-mer.
Actuellement, elle l’est tout particulièrement dans la collectivité de Guyane, où le taux d’incidence est désormais le plus élevé – plus de 500 cas pour 100 000 habitants – et où les taux de vaccination restent très bas, avec seulement 30 % des douze ans et plus ayant reçu les deux doses. Les mesures de freinage ont encore été renforcées jeudi dernier avec la fermeture de nombreuses classes.
À titre personnel, et comme vous le savez, j’ai pris mes responsabilités et appelé sans détour à la vaccination. Je persiste à défendre cette ligne, en appelant sans réserve mes concitoyens à se protéger et à protéger les autres.
La dégradation rapide de la situation dans nos outre-mer a conduit, fin août, la mission commune d’information du Sénat destinée à évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d’activités à orienter ses travaux sur l’évaluation de la gestion de la crise par le Gouvernement dans les territoires ultramarins.
Cette prise en compte s’est faite à la demande du président du Sénat, Gérard Larcher, et à la suite d’échanges avec les collègues qui alertaient sur la situation inédite dans leurs territoires.
Saluant cette décision, j’ai proposé que les sénateurs ultramarins soient associés à ce travail afin que soit portée la voix des outre-mer par ceux qui en sont les représentants.
Une première audition générale s’est ainsi tenue il y a une semaine, en commun avec les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Des tables rondes géographiques suivront pour apprécier la situation dans chacun des territoires.
Je formule le vœu que cette mission avance des recommandations tant sur le plan sanitaire que sur les plans économique et social afin de répondre à l’urgence actuelle, mais aussi de tirer des leçons de long terme sur l’offre de soins en outre-mer.
Après les nombreux échanges que nous avons eus ce soir, je voudrais retenir deux enseignements : l’un sur la solidarité nationale, qui s’est notamment manifestée à travers les prouesses qui ont été réalisées en matière d’évacuation sanitaire ; l’autre sur notre capacité à préparer « l’après », c’est-à-dire à anticiper une probable nouvelle vague et à reconstruire à la suite des dégâts multiples causés par cette pandémie, qu’ils soient humains, économiques, sociaux ou psychologiques.
Au nom de la solidarité nationale, des moyens exceptionnels ont été déployés pour contrer la quatrième vague. Au total, plus de 2 800 soignants ont été envoyés en renfort dans nos différents territoires et nous saluons avec reconnaissance leur engagement.
De nombreuses évacuations sanitaires ont été organisées. Grâce à l’opération Hippocampe, un pont aérien entre les Antilles et Paris s’est mis en place, permettant l’évacuation de 48 patients chaque semaine. Une première mondiale a même eu lieu : le 18 septembre, 8 patients en réanimation ont été évacués par avion de la Polynésie vers l’Hexagone, alors que 16 000 kilomètres séparent Papeete de Paris. Jamais un transport de malades d’une telle ampleur et à pareille distance n’avait été réalisé. À l’image des TGV médicalisés mis en place dans l’Hexagone pour soulager les hôpitaux proches de la saturation, une prouesse technique a été réalisée avec la transformation d’un avion de ligne en service de réanimation. La crise a rendu possible ce qui paraissait, il y a encore quelques semaines, presque impossible. C’est une leçon à retenir.
Mais nos territoires ne pourront pas compter uniquement sur les évacuations sanitaires, si utiles soient-elles, pour faire face aux vagues épidémiques. Au terme de ce débat, il nous faut également tirer des enseignements pour mieux préparer nos territoires aux autres crises sanitaires, malheureusement prévisibles.
Je conclurai par deux observations.
Tout d’abord, vous l’avez dit, les uns et les autres, plusieurs facteurs peuvent expliquer l’ampleur de la crise en outre-mer : bien sûr de faibles taux de vaccination, mais aussi des taux de comorbidité plus importants, l’éloignement de l’Hexagone qui rend les évacuations, malgré les prouesses récentes, plus difficiles ou encore des habitats insalubres encore trop nombreux sur certains territoires, qui empêchent la bonne application des mesures de confinement.
Toutes ces explications sont recevables, mais on ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion en profondeur sur l’offre de soins en outre-mer. Mme Cécile Courrèges, inspectrice générale des affaires sociales, indiquait d’ailleurs, lors de son audition par la mission commune d’information : s’agissant des Antilles : « Il ne faut pas revenir au même niveau de soins critiques qu’avant la crise, il faut un niveau plancher supérieur pour avoir une capacité de rebond un peu meilleure qu’avant la quatrième vague. »
De façon plus générale, je souhaite aussi rappeler que, selon une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère des solidarités et de la santé (Drees) datant de 2020, trois territoires ultramarins arrivent en tête des régions les plus touchées par la désertification médicale. Ainsi, 44 % des Guyanais et 18 % des Martiniquais et des Guadeloupéens vivent dans des zones sous-denses, c’est-à-dire avec un accès à moins de 2,5 consultations par an et par habitant. On constate des pénuries de professionnels libéraux et la Cour des comptes notait, dans un rapport de 2014, que de nombreuses évacuations sanitaires sont aussi le fait de l’absence de certaines spécialités dans les territoires.
Si les moyens exceptionnels déployés sont strictement la réponse à une crise brutale et inédite, ils ne seront pas appelés à durer. Il n’en est pas de même, s’il s’avère que ces moyens sont venus compenser des fragilités structurelles du système de soins en outre-mer.
Sur tous ces sujets, notamment sur le dimensionnement de l’offre médicale, il appartiendra à la mission commune d’information d’apporter des éléments de réponse et d’éclairage et je félicite encore son président, Bernard Jomier, et ses deux rapporteurs, Jean-Michel Arnaud et Roger Karoutchi, pour leur implication.
Ce travail difficile, mais nécessaire, doit conduire à une meilleure autonomie et à une plus grande résilience sanitaires de nos territoires. Je suis convaincu que la délégation sénatoriale aux outre-mer, à laquelle j’appartiens et qui a souhaité le débat de ce soir – je remercie son président, Stéphane Artano, et tous nos collègues qui sont intervenus avec force et émotion –, apportera sa pierre à ce travail fondamental. Il nous faut pouvoir tirer les leçons des événements récents et surtout bâtir des solutions pérennes. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la situation sanitaire outre-mer.
13
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 6 octobre 2021 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente et le soir :
Proposition de loi tendant à permettre l’examen par le Parlement de la ratification de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État, présentée par MM. Bruno Retailleau, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Guillaume Gontard, Jean-Pierre Sueur et François-Noël Buffet (texte n° 807, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinq.)
nomination de membres de commission
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a présenté une candidature pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Yan Chantrel est proclamé membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants a présenté une candidature pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Samantha Cazebonne est proclamée membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants a présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Abdallah Hassani est proclamé membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Patricia Schillinger est proclamée membre de la commission des affaires européennes.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER