M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le président du Sénat, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un texte simple, technique, globalisant, visant à harmoniser la réponse apportée à la quasi-totalité des territoires et collectivités des outre-mer, y compris désormais la Nouvelle-Calédonie.
C’est justement en Nouvelle-Calédonie, territoire longtemps épargné, que, dans un élan transpartisan et dans un souci supérieur de protection, les élus viennent de décider à l’unanimité d’instaurer l’obligation vaccinale – décision remarquable et exceptionnellement courageuse. Les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront donc le projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire dans les outre-mer, qui nous paraît justifié, nécessaire et adapté.
Nous affirmons néanmoins que ce texte seul ne sera pas suffisant. Soyons clairs : cela fait maintenant plusieurs semaines que nous avons dépassé le simple stade de l’état d’urgence ; nous faisons bel et bien face à une catastrophe sanitaire, sociale et humanitaire. La situation relève désormais d’une médecine de guerre, la pandémie ayant fait imploser nos systèmes de soins.
Impuissants, nous avons vu l’opinion et nos familles se déchirer ; impuissants, nous comptons désormais nos morts. Pour ne plus pleurer et subir, pour ne plus improviser et brusquer, il s’agit maintenant de comprendre pourquoi et comment nous en sommes arrivés là, pour éviter, autant que faire se peut, une répétition de ce drame.
Malgré trois vagues successives en moins d’un an, il y a eu manifestement carence fautive d’action – et peut-être de pensée – et défaut cruel d’anticipation de cette quatrième vague. Nous savions en effet que, pour ces populations, les nôtres, « vaccinées » douloureusement par l’Histoire, la résistance et la méfiance séculaire contre toutes les paroles d’autorité – et singulièrement celle de l’État – seraient un obstacle considérable à la vaccination.
Citoyens disciplinés, nous avons accepté les confinements, supporté les couvre-feux, compris les nécessaires restrictions de libertés. Mais comment a-t-on pu laisser les réseaux sociaux s’emparer de manière aussi obsessionnelle des esprits et imposer une pensée obscurantiste ? Comment peut-on encore lire, sans riposte claire et convaincante, que le vaccin est dangereux ? Comment justifier ce manque de lits de réanimation, ce manque de personnels, ce manque d’oxygène, ce manque criant d’eau, ce manque de seringues, de cathéters, de sondes de respiration, ce manque de centres permanents de vaccination, de linge et de gants, de « vaccibus », ce manque de pédagogie et de proximité dans la stratégie vaccinale ? Comment comprendre cette communication détachée des caractéristiques culturelles de ces peuples, de leurs croyances, de leur histoire ?
Dès le mois de mai, nous savions que ce cocktail risquait d’être explosif. Il est devenu meurtrier, terriblement meurtrier. En disant cela, j’ai l’honnêteté de reconnaître, monsieur le ministre, que le Gouvernement a agi. Je soutiens cet effort, mais si je n’ignore rien, vous l’aurez compris, je ne vous exonère de rien non plus.
Sur des territoires déjà sous-dotés, fracturés et gangrenés par la misère, votre manque d’anticipation et de projection a, en partie, amplifié les effets de cette crise. Si, comme chacun ici, je salue et remercie les personnels soignants pour leur dévouement sans faille, malgré leur épuisement moral, psychique et physique, je dis aussi que le Ségur de la santé ne pourra, demain, constituer la seule réponse des autorités.
Je continue donc de demander une refonte globale de la politique sanitaire outre-mer. Je plaide pour plus d’anticipation et donc de moyens. Je plaide aussi pour une plus grande capacité de projection pour affronter une possible cinquième vague, en moyens, en proximité, en personnels, en équipements et en véritable démocratie sanitaire. Il est en effet à la fois blessant et injuste de faire porter cet échec sur la seule résistance aux vaccins : cette vague n’est pas entrée par effraction dans nos vies, elle est aussi la conséquence d’un sous-investissement chronique dans notre système de soins.
Socialistes, nous croyons à la science, à la médecine et au progrès. Forts de la double éthique de conviction et de responsabilité qui est la nôtre, nous persistons à dire que la vaccination obligatoire reste, à cette heure, la seule voie pour sauver des vies, préserver la liberté de tous, garantir la protection de chacun et assurer un retour à la vie normale. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit.)
Bien sûr, je comprends les doutes, les craintes et les peurs. Bien sûr, je mesure et je n’ignore pas les traumatismes de contaminations gravés dans la mémoire collective, mais face aux milliers de morts, j’estime avoir le devoir moral et humain de tout faire pour contribuer à sauver des vies et mieux nous armer pour affronter la cinquième vague. Face aux réticences et aux oppositions, face à la peur et à la désinformation, votre stratégie doit manifestement évoluer, car elle a parfois nourri la méfiance et la dissonance.
Aimer, c’est aussi protéger. Je vous demande donc de repenser profondément votre politique sanitaire dans les outre-mer.
Je l’ai dit, nous voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’appartiens pas à la majorité gouvernementale – je siège, comme vous le savez, dans l’opposition –, mais je pense que, face à la gravité de la situation et de l’épidémie, il faut éviter de faire de la politique politicienne. Je suis de ceux qui reconnaissent le caractère tout à fait exceptionnel de la situation. N’importe quel autre gouvernement aurait rencontré les mêmes difficultés. Ceux de mes collègues, membres de groupes politiques importants, qui prétendent que rien ne va n’auraient pas nécessairement mieux réussi s’ils avaient été aux responsabilités. Cela s’est vérifié d’ailleurs sur d’autres sujets, sous des majorités différentes.
Pour ces raisons, j’ai toujours fait preuve d’une certaine réserve sur cette question, ainsi que sur l’action du Gouvernement, dont on peut dire qu’il fait ce qu’il peut. N’importe quel autre gouvernement serait contraint d’improviser, de prendre au jour le jour un certain nombre de mesures. Pour autant, je ne suis pas d’accord sur tout.
À cet égard, permettez-moi de formuler quelques remarques. Les problèmes des outre-mer ne sont pas liés seulement au manque de moyens des hôpitaux. Les habitants de certaines collectivités portent une part de responsabilité, car ils ont massivement refusé de se faire vacciner. Alors que la population est cinq ou six fois moins vaccinée que celle de la métropole, il ne faut pas ensuite s’étonner qu’elle soit confrontée à une poussée très forte de l’épidémie.
Je ne suis pas du tout un fanatique de la vaccination, je suis même légèrement réticent – ainsi, je ne me suis jamais fait vacciner contre la grippe. En revanche, compte tenu de la gravité de l’épidémie, je me suis fait vacciner. Je considère que si tout le monde avait fait un petit effort, nous ne serions pas, dans certains territoires, dans la situation que nous connaissons.
L’intégration de la Nouvelle-Calédonie dans ce projet de loi est une bonne initiative, d’autant qu’un référendum y sera prochainement organisé. Espérons que ce territoire ne sera pas confronté, à cette occasion, à une flambée de l’épidémie.
Par ailleurs, je note que, d’une manière plus générale, on a tendance, dans certains départements, à exagérer la situation épidémique, alors qu’elle est en réalité plus grave dans d’autres territoires où les gens se plaignent beaucoup moins.
Ainsi, en métropole, nombreux sont ceux qui, dans la presse ou ailleurs, ont alerté ces derniers mois sur la situation de la Seine-Saint-Denis. Or, dans le même temps, alors que la situation de la Moselle était plus dégradée, personne n’en parlait. Je pense qu’il y a un problème d’objectivité de la presse, des médias, des responsables politiques… Une vision beaucoup plus objective et chiffrée serait souhaitable. Les problèmes de la Seine-Saint-Denis sont réels, certes, mais ils ne sont pas plus graves que ceux d’autres départements. (Marques d’impatiences sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il est l’heure !
M. Jean Louis Masson. J’ai terminé, mais je regrette de ne pas disposer de plus de temps de parole. Les non-inscrits n’en ont pas beaucoup !
M. le président. La parole est à Mme Annick Petrus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Annick Petrus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plusieurs territoires d’outre-mer, dont celui de Saint-Martin, subissent depuis cet été une nouvelle vague de contaminations si préoccupante que la Martinique et La Réunion ont reconfiné à la fin du mois de juillet, suivies de près par la Guadeloupe au début du mois d’août.
Le territoire de Saint-Martin subit des restrictions quasiment en continu depuis le début de la crise. La population n’est pas convaincue de l’intérêt de la vaccination et l’immunité collective reste un objectif difficile à atteindre du fait de la partition de l’île. Le grand nombre de contaminations a provoqué des tensions au sein du centre hospitalier Louis-Constant Fleming, qui ne dispose que de très peu de places, pour près de 40 000 habitants.
Si la situation est alarmante, c’est aussi en raison de la faiblesse de nos moyens hospitaliers. Certes, le nombre de contaminations baisse grâce aux mesures de confinement, mais trop faiblement. La situation reste inquiétante, car les seules marges de manœuvre dont nous disposons sont le transfert de patients chez nos voisins guadeloupéens ou martiniquais, eux-mêmes sous tension. Je mesure donc pleinement l’urgence à statuer sur la nécessaire prolongation de l’état d’urgence sanitaire dans les outre-mer. Telle est la raison pour laquelle je voterai ce texte.
L’article unique de ce texte reste néanmoins un cadre insuffisant pour faire face aux immenses difficultés et aux souffrances que nous rencontrons sur le terrain, où nous avons tous des proches frappés par cette épidémie. À cet égard, je tiens à adresser ici mes pensées les plus sincères et solidaires à la population saint-martinoise, ainsi qu’à tous les personnels de santé, qui s’épuisent pour soigner les nôtres.
Si j’entends quotidiennement l’expression d’une détresse profonde, je reçois également des propositions constructives de mon territoire, qui méritent d’être écoutées et discutées. Il ne saurait y avoir d’état d’urgence sanitaire – de surcroît prolongé – sans mesures d’accompagnement tout aussi urgentes, davantage adaptées à nos territoires. Le Gouvernement y a déjà en partie répondu par des mesures de soutien spécifiques à nos économies et je l’en remercie. Ces mesures doivent être le pendant naturel de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire.
Par ailleurs, permettez-moi de vous rappeler, monsieur le ministre, que Saint-Martin connaît une situation particulière du fait de sa partition : une vaccination du côté français sans concertation avec le côté néerlandais risque de réduire fortement l’efficacité de la vaccination sur la population.
J’attire également votre attention sur les difficultés que poserait une éventuelle mise en place d’un passe sanitaire sur la seule partie française de l’île. Elle ne manquerait pas de provoquer des complications pour notre territoire. N’oublions pas l’asymétrie des conditions d’accès à l’île. Saint-Martin est une destination touristique dont les infrastructures internationales d’accueil, port et aéroport, sont installées dans la partie néerlandaise, où le passe sanitaire n’existe pas.
De surcroît, les comportements de consommation sur l’île se feront encore plus au détriment des commerces, restaurants ou autres lieux d’activités de la partie française. La libre circulation des biens et des personnes restant le principe à Saint-Martin, il importe qu’une éventuelle application du passe sanitaire sur le territoire prenne en compte les coûts administratifs, sociaux et financiers qui ne manqueront pas de peser sur l’ensemble de l’industrie touristique de l’île, laquelle est vitale pour notre économie, notre population et notre territoire tout entier.
Il en est de même pour la fixation des horaires de confinement. Comment comprendre que la partie française soit soumise à un horaire différent de la partie néerlandaise ? C’est pourquoi une concertation avec le gouvernement de Sint Maarten me semble absolument indispensable, afin notamment de mettre en place des protocoles sanitaires communs, voire de mutualiser les moyens locaux et étatiques.
Au regard de la situation spécifique du territoire, il me paraît urgent d’envisager rapidement la tenue d’un comité regroupant les gouvernements français et néerlandais, la collectivité de Saint-Martin et le gouvernement de Sint Maarten, dans le cadre d’un « Q4 sanitaire ». Je souhaite avoir votre sentiment sur ce point, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Teva Rohfritsch. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Lana Tetuanui applaudit également.)
M. Teva Rohfritsch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Polynésie française est en deuil ; la Guadeloupe, la Martinique également ; Saint-Barthélemy, Saint-Martin, la Guyane et La Réunion n’ont pas été épargnées.
À peu d’exceptions près, nos territoires ultramarins sont tous en alerte. Même nos amis et voisins calédoniens ont détecté récemment des cas de covid-19 parmi la population, malgré les mesures qu’ils ont prises. En Polynésie, on décompte 44 000 cas dépistés positifs en cumul sur 277 000 habitants. Le taux d’incidence est monté fin août à plus de 3 500, à 4 000 aux îles Sous-le-Vent. C’est dramatique pour les malades, car tous n’accèdent pas aux soins dont ils ont besoin ; c’est terrible pour les soignants, qui sont à bout de forces et condamnés à faire des choix angoissants pour nos familles.
Nous avons passé ce week-end la barre des 513 morts. Ces chiffres peuvent paraître relativement faibles à l’échelle de la Nation. Le week-end du 23 août, 55 décès liés à la covid-19 ont été enregistrés, soit plus du double du nombre de décès sur la route en une année entière.
Le variant delta est un terrible catalyseur de nos faiblesses. En outre-mer, nous faisons face avec gravité à notre vulnérabilité, à notre éloignement, mais aussi à l’état de santé de nos populations, aux maladies non transmissibles, sans oublier les difficultés liées à l’habitat insalubre ou indigne, à la promiscuité pour de trop nombreuses familles.
Le faible taux de vaccination est un facteur aggravant. Nous vivons un drame, non pas ultramarin, mais national. Nous devons, là-bas comme ici, en tirer les leçons. C’est aussi dans de pareils moments que nous devons être plus forts tous ensemble, solidaires au sein de la République, solidaires entre Français.
Oui, il a été fait appel à la solidarité nationale. Celle-ci était attendue, car elle s’appuie concrètement sur les fondements mêmes de notre Constitution. Oui, la solidarité nationale s’est exprimée. Merci au Gouvernement, merci aux deux cents premiers renforts qui ont fait le plus long des voyages pour secourir et soutenir des citoyens français, au bout de la planète, mais bien en France. Merci aussi à tous nos amis calédoniens pour leur aide précieuse en renfort dès les premiers temps. Merci enfin de réunir le Parlement pour prolonger les outils législatifs nécessaires pour stopper les chaînes de contamination.
Oui, la vaccination a enfin fait un bond en Polynésie, certainement dopée par la dure réalité de la mort. Les fake news et autres doctorants des réseaux sociaux ont mis à mal les campagnes de vaccination. Certaines obédiences religieuses ont aussi chez nous une lourde responsabilité. « Aller vers », convaincre, rassurer et vacciner restent aujourd’hui plus que jamais les priorités de tous. Nous ne devons rien lâcher de ce point de vue.
La guerre n’est pas finie. Des renforts seront encore nécessaires. Viendra ensuite le temps du bilan et de l’analyse des besoins de nos systèmes de santé ultramarins afin qu’ils soient davantage préparés à une telle situation. Cela étant, qui était vraiment prêt avant cette pandémie ? Nous connaissions déjà les cyclones dévastateurs, nous voici désormais en proie aux épidémies meurtrières. Nos géographies ne sont pas des boucliers, elles sont au contraire un risque supplémentaire. Nous devons collectivement réfléchir aux moyens de garantir à tous nos citoyens un socle commun de prise en charge sanitaire adapté à cette nouvelle donne internationale. C’est non pas une question de statut ou d’« ultramarinité », mais de priorité et de moyens consacrés à la santé des Français.
Nous l’évoquerons certainement lors du prochain débat budgétaire : nos économies locales souffrent également. La santé, la vie des Français sur chacun des océans qui composent la République restent les priorités du jour. Merci, chers collègues de voter avec nous en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
Mme Catherine Conconne. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, c’est une Martiniquaise profondément triste, hélas, qui vient devant la Haute Assemblée réclamer que soit adoptée une dérogation pour la dite outre-mer. Cette tristesse, je la partage avec bon nombre de mes compatriotes qui vivent des drames en ce moment et même depuis plusieurs mois : ils sont nombreux, voire de plus en plus nombreux à être endeuillés. À ce jour, on compte plus de 500 décès, dont plus de 400 ces deux derniers mois.
Triste, je le suis aussi à cause de la catastrophe économique engendrée par ces longs mois où ouvertures et fermetures se sont succédé, provoquant le pire pour un entrepreneur : le doute et l’incertitude.
Oui, je suis triste, car j’aurais déjà pu être au travail en cette veille de débat budgétaire.
Oui, j’aurais pu être ici pour imaginer des dérogations fiscales et sociales légitimes, dont a besoin le secteur du tourisme, par exemple, pour recréer de l’attractivité et un véritable désir d’investir.
Oui, j’aurais pu être ici pour négocier des dérogations utiles afin d’augmenter les moyens dédiés au logement social, quand plus de 12 000 de mes compatriotes gonflent les listes d’attente de ceux qui réclament un toit, ne serait-ce que pour des raisons de décence tout simplement ; des dérogations également pour protéger nos productions, par exemple avec les différentiels de taxation permis par l’octroi de mer, si convoités, et soutenir une industrie incapable de résister à une concurrence effrénée.
Ce sont ces dérogations que j’aurais pu solliciter pour donner les moyens à ce magnifique pays de s’inscrire résolument dans l’espérance. Mais, hélas, entre espoirs perdus et désillusions, la réalité est tout autre.
Je ne suis pas du genre, monsieur le ministre, à me soustraire à mes propres responsabilités, à nos propres responsabilités. En décembre dernier, à cette même tribune, je vous alertais déjà désespérément sur le fait qu’on mourait à la Martinique faute de soins, faute de médecins ! Nos hôpitaux, déjà fragiles, se sont trouvés submergés, malgré les renforts et les moyens déployés pour faire face à la crise. Nos soignants, auxquels je rends hommage, sont à bout de souffle. Et personne ne peut dire aujourd’hui quand viendra le moment du répit !
Un investissement exceptionnel de 458 millions d’euros a certes été octroyé dans le cadre du Ségur de la santé, mais cette crise a permis à chacun de comprendre que ces Français de l’autre bord réclamaient – très légitimement, j’y insiste – un droit au rattrapage pour aligner l’offre de soins sur des standards plus dignes. Une île ne peut pas compter sur les départements voisins en cas de problème. Il est donc désormais impératif de faire vite pour consolider nos hôpitaux, prendre des mesures afin de faciliter l’implantation de nouveaux médecins et revoir nos capacités d’accueil en réanimation.
Nous voterons, par nécessité, la prorogation de l’état d’urgence sanitaire. Nous la voterons, car la gravité de la situation ne nous laisse pas d’autre choix. Il faudra cependant que tous – j’y insiste – nous assumions courageusement nos responsabilités. Je ne suis pas du genre à les rechercher uniquement chez les autres : notre crédulité face à cette pandémie, une certaine frilosité ambiante locale quant à la nécessaire vaccination, mais peut-être aussi la résilience de peuples souvent meurtris dans l’histoire sont autant d’éléments de diagnostic qui contribueront à expliquer le bilan de la crise, et qu’il faudra affronter résolument un jour ou l’autre.
Il nous faut désormais faire plus pour convaincre jour après jour et rassurer des populations qui doutent face au vaccin. Il faut amplifier la stratégie vaccinale de proximité et aller encore plus vers les gens, ceux qui ne peuvent pas se déplacer, ceux qui sont éloignés de tout. En effet, à ce jour – je suis désolée de le dire, mais je l’assume –, nous n’avons pas de solution plus efficace que le vaccin contre les formes graves de la maladie.
Dans le même temps, nous devons aussi évoquer la question de nos entreprises, qui souffrent depuis mars 2020 de mesures successives de confinement, de l’effondrement du tourisme et, désormais, de la hausse du coût du fret, effet indirect de la crise. Le ministre de l’économie et des finances a annoncé que le fonds de solidarité serait prolongé outre-mer. C’est une réponse logique, mais elle est loin d’être suffisante : aujourd’hui, de nombreuses entreprises n’y ont pas accès. Il faut faciliter la mise en place de plans d’apurement des dettes sociales et fiscales de nos sociétés et, surtout, raccourcir les délais d’instruction. Des mesures devront être prises pour limiter l’impact social d’une crise dont l’ampleur nous inquiète.
Pour finir, je voudrais parler d’éducation. En Martinique, les écoles sont restées fermées de façon quasiment continue de décembre 2019 à septembre 2020, et la continuité pédagogique a été très inégale. Le confinement a de nouveau contraint notre académie, comme celles d’autres territoires d’outre-mer et malgré les efforts menés, à repousser la rentrée et à prévoir une reprise qui se fera en partie à la maison.
Pour conclure, j’aimerais formuler une mise en garde : nous ne pourrons pas faire comme si ces mois d’école avaient été normaux. Chez nous, les chiffres sont alarmants : à l’arrivée en CE2, un élève sur deux ne sait pas déchiffrer les lettres ! Un plan ambitieux pour l’éducation sera nécessaire. Nous ne pouvons pas laisser nos enfants être les grands sacrifiés du covid. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes GEST et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai relativement bref, car tout a été dit. Tout a été dit, oui, sauf la suite…
Le texte va être voté très largement. Il faut dire que la flambée inattendue de l’épidémie en 2021 – il n’y en avait pas eu dans les outre-mer en 2020 – le justifie. Pour répondre à ce drame, je tiens à le dire, la réaction du Gouvernement a été à la hauteur : envoi de personnels – il faut saluer l’effort et le dévouement des soignants qui ont accepté d’aller, de manière très volontaire et très dynamique, prodiguer des soins dans les outre-mer – et mobilisation de moyens matériels. Cependant, tout cela ne concerne qu’aujourd’hui.
Toutes les interventions des sénatrices et sénateurs d’outre-mer ont montré que cette crise survient dans un contexte économique, social et sanitaire difficile : inégalités, capacités médicales et hospitalières, notamment en matière de réanimation, insuffisantes. Si le texte que nous allons voter permettra de gérer l’urgence pour les deux mois à venir, qu’en est-il de l’après, monsieur le ministre ? C’est d’ailleurs pour répondre à cette question que le président du Sénat a demandé à Bernard Jomier, président de la mission commune d’information destinée à évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d’activités, mission dont je suis le rapporteur avec Jean-Michel Arnaud, d’être particulièrement attentif à la situation des outre-mer. Il s’agit non pas d’émettre des critiques, mais de formuler des propositions en lien avec les commissions permanentes, notamment la commission des affaires sociales, ainsi naturellement qu’avec la délégation sénatoriale aux outre-mer.
Monsieur le ministre, parmi les mesures que vous prenez, comme les moyens apportés en personnel et en matériel, lesquelles deviendront pérennes ? Si une nouvelle crise se produit en 2022 ou en 2023 et que la situation globale dans les outre-mer n’a pas structurellement changé en matière d’économie, d’éducation, d’inégalités et de système hospitalier, nous aurons à nouveau des problèmes. Vous serez auditionné sous peu sur ces sujets par la mission commune d’information.
Ce qui est vrai, c’est que les outre-mer ont des problèmes structurels anciens. Ils ne sont pas le fait du gouvernement auquel vous appartenez, la situation se dégrade depuis un moment. Comment faire pour répondre dès aujourd’hui à l’urgence sanitaire comme aux défis structurels des cinq à dix ans à venir, afin que les outre-mer soient toujours fiers d’être français et que la France soit toujours fière de ses outre-mer ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacky Deromedi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous entamons les travaux parlementaires de septembre par un nouveau texte consacré à la crise sanitaire qui frappe malheureusement depuis maintenant plus d’un an le monde entier.
Les Français de l’Hexagone en ont évidemment fait l’expérience, mais il faut se garder d’oublier que le tempo de l’épidémie n’est pas le même partout dans le monde : les Français de l’étranger, que j’ai l’honneur de représenter, peuvent en attester. Il en est de même pour nos compatriotes ultramarins, dont il est question aujourd’hui. Je ne reviendrai pas en détail sur des situations particulièrement difficiles parfois, dont nos collègues représentant les différentes collectivités d’outre-mer se sont fait l’écho.
Il est incontestable que les mois de juillet et d’août se sont révélés singulièrement éprouvants, en particulier dans les départements et territoires des Antilles, en Guyane, mais aussi, plus récemment encore, en Polynésie française. En ces heures difficiles, nos pensées et notre soutien vont bien évidemment aux habitants des outre-mer, en particulier aux familles endeuillées et aux soignants.
Les causes de cette dégradation soudaine des situations sanitaires locales sont nombreuses et complexes. Elles sont souvent liées aux vulnérabilités structurelles nées de capacités hospitalières limitées et d’une isolation géographique compliquant le transfert de patients. À cela s’ajoutent des taux de vaccination souvent significativement plus faibles qu’en métropole. Or, comme notre rapporteur l’a relevé, le taux d’incidence du virus est souvent le plus élevé là où le taux de vaccination est le plus bas.
Confronté à cette situation, le Gouvernement a fait le choix de demander au Parlement la prorogation de l’état d’urgence sanitaire dans plusieurs de ces collectivités ultramarines. L’article 3 de la loi du 31 mai 2021 prévoyait en effet que cet état d’urgence devait perdurer jusqu’au 30 septembre 2021.
Pis, la Polynésie française a depuis lors fait face à un pic épidémique : les taux d’incidence sont supérieurs à 3 000 dans certains archipels. Logiquement, le Gouvernement y a déclaré l’état d’urgence sanitaire par décret le 11 août. Mais cet état d’urgence sanitaire, qui ne peut durer plus d’un mois sans intervention du législateur, arrive désormais à son terme.
Compte tenu des conditions actuelles sur le terrain, conserver ces dates de fin d’état d’urgence sanitaire dans les outre-mer n’était pas réaliste. La commission des lois a dès lors accueilli favorablement la prorogation de ces dispositifs jusqu’au 15 novembre, ce qui permettra non seulement de garantir la continuité de la réponse publique dans les collectivités les plus menacées, mais également de le faire en cohérence avec la date à laquelle prendront fin les mesures en vigueur dans l’Hexagone.
Les travaux des derniers jours ont aussi permis d’ajuster le projet de loi initial. C’est ainsi que les discussions entre les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat ont abouti au retrait de Saint-Pierre-et-Miquelon du texte, cette collectivité combinant faible incidence et haut taux de vaccination.
Les récents développements en Nouvelle-Calédonie ont également conduit à l’adoption, par les députés, d’une disposition introduisant ce territoire dans le texte, ainsi que les îles Wallis et Futuna. Si ces collectivités ont jusqu’ici évité le pire, il demeure crucial de prendre en amont des mesures de freinage du virus et d’épauler le gouvernement calédonien dans la gestion de la situation.
Par ailleurs, ce qui est valable pour la Nouvelle-Calédonie peut aussi l’être pour les autres collectivités. Certes, nous nous apprêtons à voter la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, dans certains cas par anticipation, mais cela n’implique pas que celui-ci doive s’imposer de manière uniforme partout, ni jusqu’au 15 novembre. Au contraire, nous incitons l’exécutif au dialogue avec les différentes collectivités ultramarines afin d’adapter les mesures prises à la situation de chaque territoire et, le cas échéant, de mettre un terme à l’état d’urgence là où il pourrait ne plus être nécessaire.
Au moment où les outre-mer sont dans une grande détresse du fait de l’épidémie, la solidarité nationale et le dialogue sont plus que jamais de mise.
Vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains, en phase avec la position du rapporteur, votera ce texte et appelle de ses vœux un vote conforme et une promulgation rapide de la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)